Le cygne noir du Moyen-Orient
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Le cygne noir du Moyen-Orient
$7s Le cygne noir du Moyen-Orient Pourquoi l’élite occidentale politico-économique vit-elle dans un état de surprise permanent ? Lorsque le système financier a implosé, en 2007-2008, tout le monde a dit que personne n’aurait su le prévoir, alors que de nombreuses analyses montraient qu’une crise était inévitable. Il n’est pas étonnant que l’on entende aujourd’hui exactement la même remarque au sujet des turbulences dans le monde arabe. Dans les deux cas, le problème essentiel est la suppression artificielle de la volatilité – les hauts et les bas de la vie – au nom de la stabilité. Il est à la fois malavisé et dangereux de repousser les risques non décelés dans les queues de distribution de probabilité et de laisser ces risques d’évènements extrêmes, à fort impact et faible probabilité, disparaître du champ d’observation des responsables politiques. Ce à quoi nous assistons en Tunisie, en Egypte, en Lybie, à Bahreïn, au Yémen et en Syrie, c’est tout simplement ce qui se passe lorsque des systèmes fortement contraints explosent. Les systèmes complexes dont on a supprimé artificiellement l’instabilité deviennent très fragiles, tout en ne présentant aucun risque visible. En fait, ils ont tendance à paraître trop calmes et à ne manifester qu’une variabilité minimale alors que les risques s’accumulent silencieusement par en dessous. L’intention affichée par les dirigeants politiques et économiques est de stabiliser le système en inhibant les variations, mais cela produit l’effet inverse. Ces systèmes contraints sont enclins aux " cygnes noirs " (voir Nassim Taleb, "The Black Swan" : the Impact of the Highly Impro- bable), c'est-à-dire qu’ils deviennent extrêmement vulnérables à des évènements de grande ampleur très éloignés de la norme statistique et largement imprévisibles. De tels environnements finissent par connaître des explosions massives qui prennent tout le monde au dépourvu et annulent des années de stabilité. Du reste, plus l’explosion se fait attendre, plus les conséquences sont néfastes pour les systèmes politiques et économiques. Chercher à réduire la variabilité semble être une bonne politique (qui ne préfère la stabilité au chaos) et c’est avec d’excellentes intentions que les décideurs accroissent, sans le savoir, les risques d’explosion majeure. C’est la même perception erronée des propriétés des systèmes naturels qui a conduit à la fois à la crise économique de 2007-2008 et aux turbulences actuelles dans le monde arabe. Les implications politiques sont identiques : pour que les systèmes soient solides, tous les risques doivent être visibles. De même qu’un système économique robuste favorise les échecs précoces (en vertu du principe " quitte à échouer, mieux vaut le faire dès le début), les gouvernements occidentaux devraient cesser de soutenir des régimes dictatoriaux ou sous le contrôle indirect de l’armée comme l’Arabie saoudite, l’Algérie, le Pakistan et plusieurs pays d’Afrique au nom d’une pseudo-stabilité et laisser le bruit politique apparaître. rigeants britanniques et américains prennent depuis longtemps des mesures (sans grand succès) visant à éliminer les fluctuations – fini les cycles d’expansion-récession en économie, fini " les surprises iraniennes " en diplomatie. Ces mesures ont presque toujours produit des effets indésirables. Dans le domaine économique, le système financier a pu mystifier pendant de nombreuses années à peu près tous les économistes, financiers et décideurs ; au point qu'on ait pu croire être entré dans " l’ère de la grande modération ». On voit actuellement à quel point cette "théorie" cause des effets pervers et très néfastes pour la majorité des peuples du monde occidental. Transposée à la politique étrangère, cette attitude revient à soutenir le pouvoir en place, quoiqu’il arrive. Des États satellites de l’Occident comme la Tunisie de Mohamed Ben Ali ou l’Egypte de Hosni Moubarak ont pu se livrer durant des années à un pillage en règle grâce au soutien que leur a apporté le monde occidental. La vente de matériel militaire de haute qualité à des prix incroyables ont aidé à soutenir cette politique encore aujourd'hui par exemple les " batailles " que se livrent la France, l’Angleterre et les USA pour la vente d’avions de chasse à l’Arabie saoudite et aux pays du Golfe ( GEC) alors que ceux-ci doivent engager des " mercenaires " pour piloter ces avions beaucoup trop sophistiqués pour une population locale trop réduite en nombre. La crise financière actuelle comme celle politique dans le monde arabe trouvent leur origine dans une complexité, une interdépendance et une imprévisibilité croissantes. Les di- Le fait que le président Obama mette l’incapacité de son administration à prévoir la crise égyptienne sur le compte des services de renseignements est symptomatique à la fois $7s d’une incompréhension des systèmes complexes et de stratégie erronées ( Jimmy Carter avait dit la même chose au moment de l’avènement de la révolution Islamique en Iran en 1979 ). L’issue du soulèvement égyptien était imprévisible. Il est donc aussi idiot d’adresser des reproches à la CIA que de la doter financièrement pour qu’elle prévoie de tels évènements. Les Etats gaspillent des milliards de dollars et d’euros pour tenter d’anticiper des faits qui, pour être produits par des évènements interdépendants, ne sont pas compréhensibles statistiquement quand ils sont pris individuellement. La plupart des explications avancées au sujet des turbulences dans le monde arabe confondent catalyseurs et causes. Les émeutes en Tunisie, puis en Egypte ont d’abord été attribuées à la hausse des prix des produits de base, et non à des dictatures oppressantes et impopulaires. Mais le Bahreïn et la Lybie ont les moyens d’importer des céréales ou d’autres produits. Une fois encore, l’approche est erronée. C’est le système et sa fragilité, non les évènements, qu’il faut étudier. Face à un système par nature imprévisible, que faudrait-il faire ? Il est utile d’opérer une distinction entre deux catégories de pays. Dans la première, des changements de gouvernement n’ont pas d’effets politiques significatifs car les tensions s’expriment au grand jour. Dans la seconde, de tels changements produisent des effets drastiques et totalement imprévisibles. Aux critiques dont il fait régulièrement l’objet, le Liban montre combien un pays peut osciller autour de son point d’équilibre ; en dépit des vociférations, des retournements d’alliance et des manifestations de rue, les changements gouvernementaux sont en général relativement bénins. Une transformation du rapport de forces entre partis chrétiens et Hezbollah au sein de la coalition au pouvoir ne menace pas forcément la stabilité politique et économique. L’imposition de la paix par des châtiments répétés est au cœur de nombreux conflits apparemment insolubles, comme l’impasse israélo-palestienne. Qui plus est, négocier avec des dirigeants apparemment fiables plutôt qu’avec le peuple empêche tout traité de paix solide et durable. La politique arabe des USA a toujours consisté à endiguer les fluctuations politiques au nom de la lutte contre " l’islamisme » – une antienne que Moubarak a répété jusqu’à ses dernières heures au pouvoir et que Kadhafi continue d’entonner. C’est faux. L’Occident et ses alliés arabes autocratiques ont renforcé les islamismes en les contraignant à la clandestinité, et plus encore en les tuant. Une véritable solution à la décadence des pays arabes depuis le XVI siècle ne peut espérer réussir que si un véritable envol économique se dessine. Ce qui en soi est assez chimérique étant donné l’impact du Coran sur une éventuelle mutation politique et économique des pays musulmans. Michel Clerin – University of Chicago