SOrTIe NaTIONaLe : 9 OCTOBre 2012

Transcription

SOrTIe NaTIONaLe : 9 OCTOBre 2012
SORTIE NATIONALE : 9 OCTOBRE 2012
EN TOURNÉE DANS TOUTE LA FRANCE, CONCERT PARISIEN LE MERCREDI 5 DÉCEMBRE AU NEW MORNING
1966. Le Havre
Comme chaque semaine, un jeune homme
pousse la porte du même magasin de disques
dans le centre ville. Sylvie, la vendeuse
arbore son plus beau sourire.
« Désolée, Roberto, je n’ai pas encore
reçu le premier Rolling Stones, et le
dernier Little Richard non plus…
Mais… J’ai une petite surprise qui
pourrait bien te plaire… »
Bob, hyper déçu de ne pas avoir sa
dose de rock’n roll frais en provenance
d’Angleterre ou des States, regarde avec
une moue dépitée l’album que lui tend
Sylvie, la vendeuse.
« Ca s’appelle Hauwleen… Heu …Volf ! »
Sur la pochette est écrit “Les Rois Du Rhythm
N’ Blues - Howlin’ Wolf” avec un black hurlant
dans un micro.
« Je te l’ai mis de côté…comme tu m’as parlé
de blues l’autre jour ! Et même que les Rolling
Stones eh ben, il paraît qu’ils lui ont tout copié…! »
« Howlin’ Wolf, Sylvie, Howlin’ Wolf !!….
waououwwaouw (il imite le cri du loup dans
Tex Avery). »
La jeune fille rougit, Bob sort de son portemonnaie les économies de sa paye de la semaine à l’usine Tréfimétaux, met le disque sous
son blouson, et sort en faisant un clin d’œil à
Sylvie. « Salut Bob, Little Bob… ». Elle reste
un peu rêveuse, suivant du regard la silhouette
reste encore cinq à enregistrer. Dans l’encadrement de la porte, clope au bec, Gilles Mallet,
Gillou, l’éternel compère, le roi de la six
cordes rock en France. Le guitariste que
beaucoup rêveraient d’avoir, toujours
resté fidèle à Bob.
LA STORY
de Roberto s’en allant sur les pavés glissants,
santiags aux pieds, jean’s retroussés et veste de
cuir.
2012. Le Havre
Roberto porte toujours le même uniforme, les
pavés sont toujours mouillés. On est toujours
au Havre. Mais dans la cour du fort de Tourneville, devant le studio Honolulu. Il est sorti
prendre l’air, malgré la pluie de ce mois de Juin.
Une petite pause entre deux prises. Depuis hier
ils ont mis en boîte huit morceaux, et il leur en
Oui, le même Little Bob qui achetait
un disque d’Howlin’ Wolf 50 ans auparavant.
Depuis, il en fait du chemin.
Il a commencé par écumer les salles de
bal de la région avec ses divers groupes
(les Apaches, Little Bob and the Red Devils,
Little Bob Blues Gun….)
Puis il a arrêté l’usine et s’est autoproclamé
musicien professionnel, avec son groupe Little
Bob Story, dans une France où le rock était plutôt… Progressif ! Il a remué les publics babas
cool de toutes les MJC de l’Hexagone, et a
été voir en face, chez nos cousins les Rosbifs,
qui l’ont adopté comme un des leurs. Le New
Musical Express déclare même “I’m Crying”
Single of the Week en 1976 ! Aux côtés de Dr
Feelgood et Eddie and the Hot Rods, il a préparé le terrain aux punks, partageant la scène
avec The Clash, The Jam, The Stranglers…
Son groupe, la Story, le MC5 français, a dégoupillé la scène rock en France, a connu le succès,
puis la séparation.
groupe de minots cherche à reconstituer. Bob, rythme qui étonne toujours quand, par exemple,
lui, le revit en 2012 avec son nouveau gang : il vous chante un truc a capella à vous faire
dresser les poils. Alors là, il ouvre son coffre
Little Bob Blues Bastards.
aux trésors:
« One…two…one two three… » c’est Bob qui
donne le start et c’est parti pour… “Circums- Qui, à part lui, se souvient des Lafayettes et de
tances” de Captain Beefheart ! Oui. LE Cap- leur “Nobody but you” ? Il le ressuscite et on se
demande comment on a pu passer à coté d’un
tain, dont Bob est un fan absolu.
Le groupe sonne compact, hargneux. Rentre tel bijou.
dedans. Le blues comme on ne le pratique
plus assez par ici: pas académique, sans solo Et “Run you of the Hill” sorti du 1er album du
bavards, bref pas la version à la papa comme Aynsley Dunbar Retaliation à la pochette 100%
on en entend trop, mais ce truc un peu sale, dés- cockney ? Là aussi, le morceau s’impose et
n’est pas prêt de quitter nos playlists, comme
tructuré, qui vibre, qui chauffe.
cette version lente et heavy du magnifique “I
Fin du morceau. Personne ne dit rien, ils remon- wanna be free” de Joe Tex ?
tent dans la cabine, réécoutent. Hochements de
2012, Gilles Mallet tête. Jérémie n’a pas l’air content de sa partie de Break down the Walls est un disque de blues
sourire aux lèvres, batterie. Bob dit que non, on ne refait pas, c’est et l’histoire recommence… avec, toujours et
pas l’esprit: pas de retouches. Donc c’est dans encore, Howlin’ Wolf et un “Who’s been talking” purement dynamité.
Willie Dixon est là aussi et
Bob hurle son “Evil (is goin’
on)”. J.B. Lenoir traîne aussi
dans le coin, soufflant un “I
feel so good” à un Little Bob
en pleine forme !
Après quelques épisodes héroïques, dont deux
albums enregistrés à L.A avec un groupe de
musiciens américains, Bob a repris le collier
en solo, sans maison de disques, produisant
lui-même ses tournées. Le “Do It Yourself”, il
connaît et l’Indie rock il l’a pratiqué très tôt.
Mais à priori vous connaissez déjà cette histoire, qui est un peu (beaucoup) celle du rock
en France.
Alors, quel rapport avec le disque de Howlin’
Wolf acheté dans son magasin préféré ?
Dessus il y avait “You’ll Be mine”, qu’il a repris dès le premier album de Little Bob Story,
High Time, un signe avant-coureur de ce que
serait un jour son disque de blues…
LA HORDE SAUVAGE
Or donc, on est en juillet
sort entre deux prises, le
silencieux, les yeux ailleurs, heureux. Comme
le mec qui vient d’accomplir un rêve de gosse.
Arrive derrière lui un
grand type brun, Bertrand Couloume, le
contrebassiste de Bob
depuis plus de 20 ans.
Celui qui a amené une
autre couleur musicale
dans le rock de Bob. Il
est rejoint par un mec
mal rasé, qui lui parle
technique et a l’air un
peu plus stressé. Normal,
c’est le petit jeune de la
bande : Jérémie, Piazza
de son nom de famille. Il
a non seulement le talent
d’être un excellent batteur au feeling inventif,
il est aussi le neveu du
boss…
A côté de Gillou s’assoit un type au look pas
possible, une silhouette
familière à tous les amateurs de rock : pantalon
de cuir, chemise à jabots, cheveux en pétard,
boucles d’oreilles en cascades, bagouses à tous
les doigts, maigre comme un clou… oui c’est
bien Mister Mickey Blow, harmoniciste de
son état. Ex Stunners, et compagnon de scène
de Johnny Thunders, une légende croisée sur
toutes les scènes possibles et imaginables, lui
aussi toujours dans la galaxie de Bob depuis
longtemps.
On a l’impression de revoir les cowboys de La
Horde Sauvage de Sam Peckinpah, au repos
entre deux casses de banque.
Et quand on glisse une oreille à l’intérieur, on
comprend mieux pourquoi : déjà on se heurte
à l’ampli de Gillou, dans le couloir (trop fort
pour le studio), et comme un bleu, on n’a pas
fait gaffe : Blaaam ! Gilles Mallet est revenu
au studio sans prévenir, et son premier raccord
vous explose les tympans. Ne surtout pas rester
là. On se réfugie dans la cabine. Les musiciens,
en demi cercle, jouent live dans la même pièce.
Comme avant: ce mythique âge d’or que tout
Et il y a l’étape du 5ème morceau, “the Rain Song”. Ca
ne vous dit rien ? Normal, il
est signé Dirty Ray, un pote
gallois de Bob, qui hante les
pubs de son blues acoustique.
Ce n’est plus une ballade,
c’est une longue promenade
déchirée et déchirante avec
un Bob qui nous sort toute son
humanité, son romantisme à
fleur de peau. Séquence émotion assurée !
On a déjà évoqué la présence
du Captain Beefheart sur le
disque mais il fallait oser le
faire voisiner avec le King :
alors Bob balance une version
la boîte. Une seule prise… La Horde Sauvage ! ramassée de “Heartbreak Hotel”, nous rappeMais, me direz-vous, si Bob enregistre un lant qu’Elvis a lui aussi puisé dans cette culture
disque de blues c’est qu’il est cuit, fini, il n’a du blues du sud des Etats-Unis.
plus la patate, il fait son vieux crooner…
Là, fausse route : les Blues Bastards c’est son BLUES BASTARDS
2ème groupe, une vraie bande de bâtards du blues Tout le monde sait que les vrais bluesmen ne
qui a juste envie d’en découdre et de mettre le jouent pas le blues, ils l’ont.
feu, emmenés par un rebelle qui a toujours 20 Imaginez un gamin de 12 ans débarquant du
ans !
train à la gare du Havre en provenance directe
EN MORCEAUX
d’Alessandria, ville italienne proche de Turin,
et découvrant les pavés glissants et la pluie
poisseuse…à peine mis le pied par terre, il l’a
ressenti, le blues, et il ne lui restait plus qu’à
pousser la porte de cette fameuse boutique où
l’attendait le disque de Howlin’ Wolf et attendre
encore quelques dizaines d’années pour enregistrer ce qu’il a peut-être de plus profond en
lui, ce vrai bâtard du blues et du rock.
Et si Bob met son blues en morceaux, c’est avec
des morceaux de choix !
D’abord les originaux signés monsieur Bob
himself ( “Feel like a bastard”, “Break down the
Walls”, “Mean Game”), histoire de confirmer
qu’il n’est pas là pour sodomiser les mouches,
mais pour envoyer du son, hurler sa rage, balancer ce qu’il a sur le cœur, comme au bon vieux
temps de Little Bob Story dont il reprend un Break down the Walls, motherfuckers, ne vous
fiez pas aux apparences, ne vous enfermez pas
inédit, “The Brokenhearted boy”.
dans des chapelles. Une fois les murs tombés,
Little Bob possède une science assez exacte plus de différence entre le rock et… Le blues !
L. Jézéquel
de ce qu’est un bon morceau, et une culture du