SLA MARShALL REMIS EN QuESTIoN?
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SLA MARShALL REMIS EN QuESTIoN?
Remarques spéciales par Dave Grossman S.L.A. Marshall remis en question? d’abord fait l’observation alors qu’il était l’historien officiel des États-Unis sur le théâtre d’opérations européen durant la Deuxième Guerre mondiale. À partir des entrevues qu’il avait menées immédiatement après les combats, Marshall concluait dans son ouvrage Men Against Fire (1946, 1978) que seulement 15 à 20 p. cent des carabiniers avaient tiré sur un soldat ennemi exposé pendant la Deuxième Guerre mondiale. Les armes dites d’importance essentielle, comme les lance-flammes, avaient habituellement été utilisées. Les armes collectives, comme les mitrailleuses, avaient presque toujours été utilisées. Et le nombre de tirs augmentait beaucoup quand un officier était à proximité et exigeait que le soldat ouvrît le feu. Mais il semble que laissés à eux-mêmes, la plupart des combattants individuels, tout au long de l’histoire, aient été incapables de tuer ou aient refusé de le faire. « Alors il y a espoir que la mémoire d’un grand homme lui survive six mois. » J’ – William Shakespeare Hamlet, III, ii apprécie les commentaires qu’a émis M. Engen en faveur de certains éléments de mon travail et de mes recherches dans son analyse critique de mes ouvrages On Killing et On Combat, publiée dans le volume 9, numéro 2 de la Revue militaire canadienne. Cependant, il semble attacher beaucoup d’importance au fait que les travaux de S. L. A. Marshall sur le faible taux de tir des soldats durant la Deuxième Guerre mondiale ont été remis en question et que, par conséquent, tout ce qui est fondé sur les conclusions de Marshall s’en trouve pareillement discrédité. Voilà bien un sujet qui mérite une étude approfondie. En ce qui a trait aux recherches de Marshall, toutefois, je demanderais au lecteur de faire preuve d’ouverture d’esprit. La source militaire états-unienne qui fait autorité en cette matière est la monographie historique du US TRADOC (Training and Doctrine Command) intitulée SLAM The Influence of SLA Marshall on the United States Army, du major F. D. G. Williams. Ce document donne un bon aperçu de la pensée de Marshall et appuie en général l’intellectuel qu’il était. L’auteur déclare même avoir vu les notes d’enquêtes sur le terrain de S. L. A. Marshall, alors que d’autres affirment qu’elles n’existent pas. Permettezmoi d’insérer ici un extrait de mon article sur « L’agression et la violence » publié dans The Oxford Companion to American Military History : Les conclusions de Marshall ont fait l’objet de controverses. Face aux doutes intellectuels que soulèvent la méthodologie et les conclusions d’un chercheur, la méthode scientifique consiste à reproduire ses recherches. Dans le cas de Marshall, toutes les études savantes parallèles qui sont disponibles prouvent la justesse de ses découvertes fondamentales. Les sondages menés par Ardant du Picq auprès des officiers français dans les années 1860 ainsi que son analyse d’anciennes batailles (Études sur le combat, 1880), les nombreux comptes rendus de Keegan et Holmes sur l’inefficacité des tirs dans l’histoire (Soldiers, 1985), l’évaluation qu’a faite Richard Holmes des taux de tirs argentins durant la guerre des Malouines (Acts of War, 1985), les données de Paddy Griffith soulignant les taux extraordinairement bas de tirs mortels parmi les régiments des guerres napoléoniennes et de la guerre de Sécession (Battle Tactics of the American Civil War, 1989), les reconstitutions au laser de batailles historiques effectuées par l’armée britannique, les études du FBI sur les taux de refus de tirer au sein des forces de l’ordre dans les années 1950 et 1960, de même que d’innombrables autres observations individuelles et isolées, tout concourt à appuyer cette conclusion fondamentale de Marshall stipulant que l’homme n’est pas un tueur de nature. Même que, du point de vue psychologique, on peut considérer l’histoire des guerres comme étant une succession de dispositifs tactiques et mécaniques de plus en plus efficaces pour permettre aux combattants de surmonter leur aversion à tuer ou les y obliger. Une importante révélation moderne dans le domaine de la psychologie militaire est la constatation que la résistance au geste de tuer un semblable est aussi un facteur clé des combats entre humains. Le brigadier-général SLA Marshall en a En 1946, l’armée des États-Unis avait fait siennes les conclusions de Marshall et le bureau de recherches en ressources humaines de l’armée a alors amorcé une véritable révolution de l’entraînement au combat en remplaçant le tir sur cibles circulaires par un “conditionnement” profond avec des cibles réalistes de forme humaine surgissant du sol et s’abattant lorsque touchées. Les psychologues savent que ce genre de “conditionnement opérant” est la seule technique fiable qui 112 Revue militaire canadienne • Vol. 9, N o 4, 2009 Remarques spéciales influencera les processus primitifs du cerveau moyen chez un être humain effrayé. Les exercices d’évacuation terrifient tellement les écoliers qu’ils réagissent adéquatement en cas d’incendie. Le conditionnement en simulateur de vol permet aux pilotes effrayés de réagir par réflexe aux situations d’urgence. Des applications semblables et des perfectionnements des techniques de conditionnement de base ont permis d’accroître le taux de tir à environ 55 p. cent en Corée et à près de 95 p. cent au Viêt-nam. On peut trouver des taux de tir aussi élevés, résultant de techniques modernes de conditionnement, dans les observations qu’a faites Holmes sur le rendement des Britanniques lors de la guerre des Malouines ainsi que dans les données compilées par le FBI sur les taux de tir des forces de l’ordre depuis l’introduction de ces techniques de conditionnement à l’échelle nationale à la fin des années 1960. » À la fin de la Deuxième Guerre mondiale, quand nos forces armées comportaient une très forte proportion de vétérans – des généraux, des officiers et des soldats du rang qui venaient tout juste de nous sortir d’une des plus horribles guerres de l’histoire –, les travaux de S. L. A. Marshall étaient universellement acceptés. En Corée et au Viêt-nam, Marshall était traité avec le plus grand respect par les hommes en théâtre opérationnel et on lui demandait fréquemment de les rencontrer, de les étudier et de les instruire. Tous les chefs militaires se trompaient-ils? Marshall les aurait-t-il tous bernés et aujourd’hui, d’une quelconque façon, quelques personnes auraient-elles découvert « La Vérité »? Ce n’est que dans les années 1980, après le décès de Marshall, qu’une poignée d’individus a lancé une campagne de dénigrement. À ma connaissance, les publications d’aucune de ces personnes ne sont encore disponibles. Dans le grand univers des idées, le camp anti-Marshall semble « épuisé ». On Killing, par contre, figure sur la liste de lecture des commandants du United States Marine Corps et sert aussi d’ouvrage obligatoire aux écoles du FBI et de la Drug Enforcement Agency, à West Point et à l’US Air Force Academy, ainsi que dans le cadre des programmes d’études sur la paix et d’autres cours offerts par plusieurs collèges. Dans les domaines de la justice pénale, de la psychologie, de la sociologie et des études sur la paix, la possibilité qu’il existe une résistance innée à tuer ses semblables chez la plupart des citoyens sains d’esprit est largement acceptée. Quelques historiens ne partagent pas cet avis, et j’émets respectueusement l’hypothèse qu’ils s’aventurent peut-être hors de leur champ de compétences. Je ne peux m’empêcher de me demander si les fautes réelles de Marshall ne furent pas, d’abord, d’avoir été l’auteur de nombreux livres historiques populaires et, ensuite, de ne pas avoir obtenu de doctorat en histoire. L’une ou l’autre de ces réalités comporte en soi l’assurance d’attirer les traits enflammés du monde universitaire et la combinaison des deux paraît mortelle – mais seulement une fois la cible morte et incapable de répondre. La méthodologie de Marshall n’est peut-être pas à la hauteur des normes rigoureuses d’aujourd’hui, mais cela ne veut pas dire qu’il a menti. On l’a accusé de prétendre qu’il avait été promu officier sur le champ de bataille pendant la Première Guerre Vol. 9, N o 4, 2009 • Revue militaire canadienne par Dave Grossman mondiale, alors qu’il était en réalité diplômé de l’école des aspirants-officiers. Mais il peut bien avoir été affecté à un poste d’officier avant d’en avoir reçu la formation. Et il prétendait avoir combattu dans une unité d’infanterie, alors qu’il était affecté à un bataillon de génie; mais son unité était peut-être attachée à une unité d’infanterie de ligne. Il se peut que tous les combattants, officiers supérieurs et vétérans de la Deuxième Guerre mondiale, se soient trompés au sujet de Marshall, ou peut-être est-ce cette poignée d’individus qui l’ont attaqué ces dernières années qui se trompe. Espérons que l’œuvre de notre vie sera mieux reçue quand nous serons morts et enterrés. Essentiellement, tout ce que S. L. A. Marshall disait était que certains de nos guerriers (militaires et policiers) ne tiraient pas au combat et que des cibles d’entraînement plus réalistes augmenteraient le taux de tir. Marshall était un pionnier dont les recherches et les écrits nous incitèrent à remplacer les cibles circulaires par des simulations de combat plus réelles; qui donc oserait s’élever contre cela? On peut débattre du nombre d’avantages que cela procure, ou encore de la hausse du taux de tir imputable à ce genre d’entraînement, mais de nos jours, personne ne veut revenir aux vieilles cibles concentriques. Et à chaque fois que vous tirez sur une silhouette, une cible photo ou un simulateur vidéo, vous devriez avoir une pensée pour S. L. A. Marshall et le remercier. Aujourd’hui, la somme de données scientifiques à l’appui de l’entraînement « réaliste » est si convaincante qu’un jugement d’un tribunal fédéral des États-Unis stipule que l’instruction des policiers au maniement des armes doit comprendre un entraînement en situation réelle comportant une formation au stress, à la prise de décision et au processus « tirer ou ne pas tirer » (Oklahoma v. Tuttle, 1984, 10th Federal Circuit Court). Les instructeurs des forces de l’ordre enseignent maintenant que les autorités policières enfreignent les normes juridiques lorsque leur entraînement consiste à tirer sur autre chose qu’une représentation claire et réaliste d’une menace meurtrière. Encore une fois, il faut en être reconnaissant à S. L. A. Marshall. Enfin, pour ce qui est des taux de tir élevés que M. Engen a trouvés chez les soldats canadiens au cours de la Deuxième Guerre mondiale, je dirais que c’est tout à fait possible. Et j’inviterais les lecteurs à consulter l’excellent ouvrage de David Lee, Up Close and Personal, dans lequel l’auteur rapporte, preuves à l’appui, de faibles taux de tir au sein de nombreuses unités pendant la Deuxième Guerre mondiale, mais il identifie également des unités qui, ayant mis en œuvre des méthodes d’entraînement réel au tir de précision, avaient atteint des taux de tir au combat beaucoup plus élevés. Le lieutenant-colonel à la retraite Dave Grossman est un ancien Ranger de l’armée américaine et psychologue militaire. Ses livres On Killing: The Psychological Cost of Learning to Kill in War and Society et On Combat: The Psychology and Physiology of Deadly Conflict in War and in Peace ont établi sa réputation de spécialiste de la dimension humaine de la guerre. 113