Sans titre - Prieuré de Las Canals

Transcription

Sans titre - Prieuré de Las Canals
Frauenliebe und leben op 42
L’amour et la vie d’une femme
Poème de Adelbert von Chamisso
I
Depuis que je l’ai vu, je suis aveugle au monde
Où qu’erre mon regard, je ne puis voir que lui
En un songe éveillé sa vision me poursuit
Plus lumineuse encore quand la nuit est profonde
Le monde autour de moi est terne et sans couleurs
Je ne désire plus jouer avec mes sœurs
Dans ma chambre isolée je vais cacher mes pleurs
Depuis que je l’ai vu, je suis aveugle au monde.
II
Lui, superbe entre les hommes,
Qu’il est bon et généreux !
L’œil si clair, la lèvre belle,
L’esprit prompt, constant le cœur !
Ainsi qu’en l’azur profond
Brille un astre étincelant,
Il brille à mon firmament,
Clair et beau, fier et lointain
Vas, marche sur tes chemins.
Moi, en toute humilité,
Je contemple ta lumière,
Heureuse et triste à la fois !
N’écoute pas ma prière,
Qui ne veut que ton bonheur.
Oublie ton humble servante,
Astre baigné de splendeur !
Heureuse est-elle entre toutes,
L’élue digne de ton choix.
Ma bouche la bénira
Plus de mille et mille fois.
Tout en répandant des pleurs,
Je serai comblé de joie,
Si cela brise mon cœur,
Qu’importe, cœur, brise-toi !
III
Comment comprendre, comment croire,
Non c’est un rêve qui m’égare.
Comment pourrait-il entre toutes,
Pauvrette que je suis, m’élire et me combler ?
Je crois l’avoir entendu dire :
« Je serai à toi pour jamais. »
Je crois bien que je rêve encore,
Car il est impossible que cela fût vrai.
Ô puissé-je mourir en rêve
Et de bonheur entre ses bras,
Ô puissé-je à longs traits sans trêve
Boire la mort enfin dans des larmes de joie !
IV
Anneau qui luit à mon doigt,
Mon petit annelet d’or,
Je te porte avec transport
 mes lèvres, à mon cœur.
Il s’était évanoui
Le doux songe de l’enfance,
Et je restais sans défense
Dans un désert infini.
Anneau qui luit à mon doigt,
C’est toi qui m’ouvris les yeux,
C’est toi qui m’as enseigné
La vraie valeur de la vie :
Le servir, vivre pour lui,
Être sienne toute entière,
Me donner, pour me trouver
Plus belle dans sa lumière.
V
Venez, mes sœurs,
Pour me parer,
Aidez votre heureuse compagne !
Sur ses cheveux,
Venez tresser
Gaiement le myrte virginal.
Quand apaisée,
Le cœur content,
Entre ses bras je reposais,
Son désir ardent
Appelait
Ce jour avec grande impatience.
Aidez-moi à chasser,
Mes sœurs,
La peur sans raison qui m’étreint,
Que j’accueille,
Regard serein,
L’époux qui fait tout mon bonheur.
Mon amour
Qui m’est apparu,
Soleil, prête-moi ta lumière !
Laisse-moi pauvre,
Humble et fidèle
M’incliner devant mon seigneur.
Allez, mes sœurs,
 son devant,
Sur ses pas répandez des fleurs,
Mais vous, je vous salue,
Mes sœurs,
Triste et joyeuse en vous quittant.
VI
Tu sembles surpris, Ô mon bien-aimé,
Tu ne comprends pas pourquoi tant de larmes…
Laisse-les trembler d’un éclat joyeux
Les perles mouillées qui brillent dans mes yeux.
Mon cœur est en fête et la peur l’étreint
Je ne puis trouver les mots pour le dire…
Cache ton visage, ami, sur mon sein,
Que je te chuchote tout mon plaisir.
Maintenant tu sais pourquoi tant de larmes…
Ne dois-tu les voir, Ô mon bien-aimé ?
Ecoute mon cœur, épie ses alarmes,
De plus en plus fort je veux te serrer.
Il y a la place auprès de mon lit
Pour un blanc berceau plein d’un tendre rêve,
Rêve un beau matin qui s’éveillera
Et où je verrai briller ton sourire.
VII
Viens sur mon sein, viens sur mon cœur,
Toi mon plaisir, ô toi ma joie !
C’est dans l’amour
Qu’est le bonheur :
Je l’ai dit et je le maintiens.
Moi qui croyais être comblée,
Je suis plus qu’heureuse aujourd’hui.
Car pour savoir ce qu’est l’amour
Il faut avoir enfant au sein.
Oui, nul ne sait, sauf une mère
Ce qu’est le vrai bonheur d’aimer.
Je trouve l’homme bien à plaindre :
Ce bonheur lui est refusé.
Toi mon amour, toi mon cher ange,
Tu me regardes, tu souris…
Viens sur mon sein, viens sur mon cœur,
Toi mon plaisir, ô toi ma joie !
VIII
Tu viens de me causer mon tout premier chagrin,
Mais quel chagrin profond !
Homme cruel, homme impitoyable, tu dors
Du sommeil de la mort.
Où que l’abandonnée promène son regard,
Le monde est un désert.
Celle qui a aimé, celle qui a vécu
Désormais ne vit plus.
Je me retirerai tout au fond de mon cœur,
Drapée dans ma douleur.
Je te retrouve alors et mon bonheur perdu,
Ô toi mon univers !