d`information sur la Damnation de faust.

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d`information sur la Damnation de faust.
BERLIOZ : LA DAMNATION DE FAUST
Les Huit scènes de Faust (1828)
En 1828, Hector Berlioz, « Jeune-France » exalté de 25 ans, était nourri de littérature (Dante, Byron, Shakespeare,
Goethe) et se passionnait pour les héros qui se posaient de pathétiques interrogations sur leur destin. Rien de surprenant
alors qu’il se soit intéressé au vieux mythe de Faust, personnage mi-réel mi-légendaire qui vivait au temps de Luther et
que Goethe ne fut pas le seul à évoquer, même s’il en a fait en 1808 l’adaptation la plus magistrale.
A 18 ans, le poète Gérard de Nerval venait de traduire le Faust de Goethe. Berlioz s’est tourné vers une évocation
partielle du sujet, qu’il nomma Huit scènes de Faust, écrites alors que Delacroix réalisait ses dix-huit lithographies sur
le même sujet. Editée en avril 1829, l’œuvre exploitait les ballades et romances versifiées par Nerval, précédées de
courtes citations pour indiquer où s’intercalait la musique dans la lecture du livre. Ainsi était déjà prête une petite moitié
de ce qui deviendrait la Damnation de Faust.
La Damnation de Faust (1846)
Berlioz se désintéressa ensuite des Huit scènes. La quinzaine d’années
suivantes vit alterner les revers et les réussites : échec injuste de Benvenuto Cellini (1838), succès éclatant de la
Symphonie fantastique (1830), d’Harold en Italie (1834) et encore de la Messe des morts (1837). Mais l’intérêt pour
Faust revint comme une obsession alors qu’Hector avait la quarantaine : son idéalisme se heurtait aux réalités du
quotidien, sa vie affective se révélait peu épanouissante et ses œuvres étaient partiellement incomprises. Autant de
frustrations qui le rapprochaient de Faust dans lequel il pouvait en partie se reconnaître. Berlioz souhaitait donc
amplifier ses Huit scènes pour en faire une vaste symphonie dramatique, à la manière de Roméo et Juliette. Peu attiré
par la « musique pure », il avait toujours associé l’expression musicale à l’expression littéraire ou dramatique. La
Damnation fut ainsi sous-titrée « opéra de concert » puis « légende dramatique ». Dans la préface, Berlioz s’est
expliqué sur ce choix : « Le titre seul de cet ouvrage indique qu’il n’est pas basé sur l’idée principale du Faust de
Goethe, puisque, dans l’illustre poème, Faust est sauvé. Le compositeur a seulement emprunté à Goethe un certain
nombre de scènes qui pouvaient entrer dans le plan qu’il s’était tracé, scènes dont la séduction sur son esprit étaient
irrésistibles. »
Le texte de Nerval, partiellement versifié, se prêtait mal à l’adaptation dramatique. Berlioz sollicita d’abord
l’obscur Almire Gandonnière puis se chargea personnellement du reste, n’hésitant pas d’ailleurs à corriger certaines
expressions de Nerval. Il lui fallut deux années pour terminer sa Damnation à laquelle il travaillait par petites
touches, selon ses libertés.
L’œuvre, achevée le 19 octobre 1846, est d’une grande richesse et d’une grande variété. Elle offre deux
univers opposés. Le sublime est l’apanage de Faust et de Marguerite, dont les airs figurent parmi les
meilleures pages du romantisme français. Le grotesque caricatural appartient à Méphisto, Brander et aux voix
d’hommes. Il est original, haut en couleur et valorisé par une orchestration particulièrement riche et inventive.
A cela s’ajoutent quelques aspects métaphysiques. Tous ces éléments qui alternent sans transition, comme au
cinéma, font de la Damnation de Faust un ensemble d’illustrations sonores plutôt qu’un drame suivi, avec un
fort risque d’incompréhension de la part d’un public aux goûts conventionnels.
Le 6 décembre 1846, Berlioz avait loué la salle de l’Opéra-Comique pour y diriger la Damnation à ses
frais. On avait économisé sur les répétitions et les solistes ne possédaient guère les qualités pour sauver
l’œuvre. Ce fut un grand échec. Désabusé, le critique Joseph d’Ortigue, ami de Berlioz, écrivit : « Il y aura
toujours un abîme entre la manière dont la masse de notre public conçoit l’art, et l’art tel que le conçoit M.
Berlioz. » Le concert du 20 décembre, aussi peu fréquenté que le précédent, acheva de ruiner Hector (10000 F
de dettes).
Sur les conseils de Balzac, il partit en Russie pour rétablir ses finances, ce qui fut fait grâce aux concerts
de Saint-Pétersbourg et de Moscou. A Berlin, par contre, on désapprouva les libertés prises avec Goethe. En
France, comme la Damnation n’était toujours pas appréciée, Berlioz se résolut en 1853 à en céder les droits
pour la somme ridicule de 700 francs. Elle fut éditée en 1856, dédiée à l’ami Franz Liszt qui plus tard rendit la
politesse à Berlioz avec sa Faust-Symphonie. Les dernières années de notre grand romantique français,
jusqu’en 1869, furent un long purgatoire, a peine éclairci par le succès de L’Enfance du Christ (1854).
Première partie
L’introduction de la Damnation, magnifique symphonie pastorale accompagnant l’arioso de
Faust au lever du jour, tient lieu d’ouverture. Elle est suivie de la Ronde des paysans qui oppose les
rudes joies populaires aux méditations lyriques du rêveur solitaire.
Vient alors la Marche hongroise, dont la mélodie avait été composée vers 1705 par Mihaly
Barna, violoniste attitré de François II Rakoczy, pour exalter l’âme de l’insurrection contre l’Autriche
des Habsbourg. Berlioz, qui prétendait l’avoir orchestrée en une seule nuit, en a fait un célèbre
morceau de bravoure, déjà donné triomphalement à Budapest 10 mois avant la Damnation.
Deuxième partie
Faust, rentré dans son Allemagne natale sans y trouver de réconfort, s’exprime dans un monologue
désespéré. Mais le magnifique Chant de la fête de Pâques va le convaincre de renoncer au poison. Alors
qu’il vient de dire « Le ciel m’a reconquis » surgit brusquement Méphistophélès, assez habile pour duper
Faust et l’entraîner dans la cave d’Auerbach, célèbre taverne de Leipzig que l’étudiant Goethe fréquentait
assidûment.
Berlioz en donne une vision haute en couleur qui débute avec le Chœur de buveurs, débraillé et
poisseux. Sur un accompagnement volontairement gras et pesant, les quatre voix avinées sont assez alertes
pour lancer à la cantonade des contrepoints serrés qui donnent du dynamisme à la scène, chaotique et
titubante à souhait.
Un laborieux dialogue de soiffards amène la Chanson de Brander, que le vaniteux étudiant doit
interpréter « debout, face au public, l’œil hagard, complètement abruti, sans faire de gestes. » Sa truculente
mélodie est saluée à trois reprises par la péroraison hurlée du chœur. Alors, les ivrognes changent de ton
pour psalmodier avec le plus grand sérieux « Resquiescat in pace », en rajoutant encore dans la dérision
avec la plus onctueuse des cadences plagales sur « Amen ».
Berlioz, qui dans ses Considérations sur la musique religieuse avait violemment raillé les fugues
conclusives des messes, récidive en déversant toute sa hargne contre le célèbre exercice d’école. Il a la
prudence de ne pas trop développer la Fugue sur le thème de la chanson de Brander, pour ne pas mettre
en évidence ses lacunes en la matière. Néanmoins, tous les poncifs du genre y sont volontairement présents
et la répétition obstinée de l’unique mot ne manque pas son effet. L’Amen est à peine terminé que claquent
les accords démoniaques de Méphisto préparant la Chanson de la puce, célèbre satire du népotisme
imaginée par Goethe. A l’orchestre, cela saute de partout : ricochets, trémolos, grattements, et l’ensemble
se termine par un formidable éclat de rire des buveurs.
Cette fois, c’en est trop pour Faust, désireux de fuir le monde de la grossièreté pour celui de la
délicatesse et de la poésie. Le bel Air de Méphistophélès introduit habilement la nouvelle scène, mais ses
propos enchanteurs sont démentis par la suavité caverneuse et diabolique de l’accompagnement.
Voici alors le Chœur de gnomes et de sylphes, dont le grand thème mélodique plane tout au long du songe de Faust. Il est enrichi de multiples
éléments décoratifs, dans un dispositif choral très dense. Puis c’est l’enchantement orchestral, avec l’extraordinaire valse du Ballet des sylphes dont le thème
gracieux est habillé d’une pure merveille d’orchestration légère.
La seconde partie de la Damnation se termine par un prodigieux Choeur de soldats et d’étudiants. Introduite par des bassons traînards, la marche
militaire n’est qu’un cortège de soudards rentrant au quartier. Elle contraste avec la chanson estudiantine vantant les joies du vin et de l’amour. Alors Berlioz
superpose les deux mélodies, l’une en ternaire, l’autre en binaire. Dans cet extraordinaire contrepoint, c’est à qui fera le plus de vacarme.
Troisième partie
Avec la Retraite, qui ouvre la troisième partie sur la sonnerie
traditionnelle du couvre feu encore en usage dans l’armée française du temps
de Berlioz, le cadre vespéral tranquille est établi, pour un moment plus
proche de l’opéra habituel, consacré aux héros du drame et mettant en valeur
les chanteurs qui les incarnent.
Entrant dans la chambre de sa bien-aimée, le philosophe est pour la
première fois rasséréné par le cadre de pureté où il vient de pénétrer. Dans
l’Air de Faust, Berlioz nous fait admirablement percevoir ce nouveau
climat, avec un style bien éloigné des airs conventionnels que pratiqueront
encore longtemps ses concurrents.
Marguerite, qui a perçu confusément la présence du Malin, va
s’endormir en fredonnant la « chanson gothique » du Roi de Thulé. On y
remarquera la présence mélancolique de l’alto, qui comme le cor anglais de
la romance fait partie des instruments dont Berlioz avait particulièrement
bien senti les ressources expressives.
Avec le Menuet des follets, nous quittons la chambre de la belle pour
retrouver le diable et son petit peuple des feux nocturnes. Les larves,
gnomes, farfadets et feux follets, tout droit sortis de la Nuit de Walpurgis,
remplacent dans cette parodie de menuet mondain les perruques poudrées de
l’ancien régime. Quant à la Sérénade de Méphistophélès, c’est une grande
guitare orchestrale qui arpège ses accords, dans un tempo infernal où le
diable se délecte avec virtuosité de ses grasses plaisanteries.
Enfin, retour à l’opéra traditionnel, avec le seul Duo d’amour de
l’œuvre : la rencontre passionnée des deux amoureux est interrompue par
l’intrusion de l’importun Méphisto. Puis, dans la bousculade du Trio et
chœur conclusif sont parfaitement exprimés les états d’âme des trois
personnages : angoisse de Marguerite, regrets de Faust et impatience du
démon. C’est un grand finale à l’italienne où Berlioz alterne avec succès les
épanchements lyriques et les sarcasmes des voisins.
Quatrième partie
La conclusion de la Damnation de Faust évoque pour commencer la solitude des deux amants, à jamais séparés. C’est d’abord la merveilleuse
Romance de Marguerite, avec l’admirable phrase de cor anglais qui tient lieu de refrain et donne le ton de sa mélancolie profonde. Puis, pour Faust,
l’Invocation à la nature est tout aussi exceptionnelle et ne possède aucun équivalent dans le répertoire. Ici, le texte est du meilleur Berlioz et la musique
d’un étonnant romantisme. Commencée par une fervente prière, l’invocation semble se fondre dans le chant puissant de l’univers pour retomber
progressivement vers le néant.
Et c’est le retour de Méphisto avec son lot de mauvaises
nouvelles. « Feux et tonnerre », s’écrie Faust, empruntant le juron
favori de Berlioz, avant de capituler et de signer sa damnation. Suit
la cavalcade effrénée de la Course à l’abîme, construite sur un
rythme haletant et se terminant par le hurlement de Faust précipité
dans le gouffre infernal. Le déchaînement de l’horreur s’amplifie
dans le Pandoemonium, capitale de l’empire infernal qui abrite le
palais de Satan, lieu mythique de tous les désordres et de toutes les
perversions. Langage infernal et danse « endiablée » y sont
soutenus par un orchestre dément que Berlioz avait déjà testé dans
le « Songe d’une nuit de sabbat » de la Symphonie Fantastique.
Harmonies heurtées, enchaînements insolites, éructations
d’orchestre, tout concourt à nous dépeindre un enfer plutôt coloré.
A cette scène dantesque, mais en même temps proche d’un
canular, l’Apothéose de Marguerite offre un contraste
extraordinaire. Dans cette sorte de berceuse, glorification extatique
de l’idéal féminin, l’orchestre se fait impalpable pour évoquer les
harmonies célestes de la rédemption. On pense à l’ambiance
séraphique du « Sanctus » de la Messe des morts, et l’œuvre
s’achève par de longs accords parfaits.
L’échec de la Damnation de Faust, dû en grande partie à une
conception trop en avance sur son temps, n’est depuis longtemps
qu’un mauvais souvenir. Dix ans après la disparition de Berlioz, la partition s’est peu à peu imposée en tant qu’oratorio, jusqu’à ce que des tentatives
diverses y associent les effets visuels. Pourtant, on continue à se passer facilement de la mise en scène, car Berlioz a su peindre comme personne le décor de
sa folle Damnation et l’imagination de l’auditeur fait toujours le reste.
François Fleurot
Les trois illustrations de la légende de Faust sont d’Eugène Delacroix

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