le paradoxe du vote - Lycée François 1er

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le paradoxe du vote - Lycée François 1er
AVANT PREMIERES EN SCIENCES SOCIALES
LYCEE FRANCOIS PREMIER - FONTAINEBLEAU
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LE PARADOXE DU VOTE
Par Monsieur Tarik Tazdaït, le mardi 11 octobre 2013
Dans le cadre des Avants premières en sciences sociales proposées par le lycée François 1 er,
Monsieur Tarik TAZDAÏT, économiste au CNRS, présente le sujet de son dernier livre, paru
récemment aux éditions EHESS, Le Paradoxe du vote.
L’intervention de ce chercheur semble avoir marqué et impressionné l’assemblée présente ce soir-là, et particulièrement nous, élèves du lycée, qui découvrons souvent pour la première fois
cette approche très mathématique qui relève de la démonstration, d’un phénomène qui pouvait paraitre, à première vue, un sujet de sciences politiques.
Monsieur Tazdaït commence son intervention par nous expliquer ce qu’est l’économie de la démocratie. En effet, en économie, contrairement aux sciences politiques, il n’existe pas de définition précise de la démocratie. Cependant, l’économie de la démocratie considère que les élections sont la base de ce système, et que celui-ci fonctionne puisque les gens votent. Mais
aucune théorie du comportement de vote, qui constituerait une étape intermédiaire dans
l’élaboration d’une théorie de la démocratie, n’a encore été élaborée et le travail de Monsieur Tazdaït en tant que chercheur est donc de tenter d’apporter une réponse à l’énigme du paradoxe du vote.
Qu’est-ce que le paradoxe du vote ?
Il convient de rappeler que les travaux présentés par le chercheur sont développés à partir de la
méthode du choix rationnel. Il sera alors considéré que les individus agissent selon leurs
propres avantages, on parlera d’arbitrage cout-bénéfice. L’individu se donne les moyens de ses fins. Ainsi, l’élément central de l’analyse est l’individu, et la société résulte de l’interaction des
choix des individus. C’est en cela que la méthode des choix rationnels se distingue de l’holisme méthodologique utilisé en sociologie, qui place l’institution au cœur de l’analyse et dans lequel l’individu « subit » l’institution, ce qui implique que les institutions préexisteraient à l’individu. De cette façon, si l’électeur rationnel a le choix entre voter et s’abstenir, il choisira de s’abstenir et la participation électorale sera alors nulle. Effectivement, l’élection est un bien public puisque
le président élu sera celui de l’ensemble des citoyens et qu’aucun des citoyens ne pourra être exclu des bénéfices des élections. De plus, la probabilité que la voix de l’électeur influence le résultat de l’élection est proche de 0. Les coûts de vote sont donc généralement supérieurs aux
bénéfices retirés de l’élection, ce qui devrait conduire les citoyens à s’abstenir. Or on constate AVANT PREMIERES EN SCIENCES SOCIALES
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que la participation électorale est positive. C’est ce qu’on appelle le paradoxe du vote. (C’est un paradoxe véridique, c’est-à-dire qu’il est vrai du point de vue du raisonnement mais faux dans la réalité)
Du point de vue de la science économique, il existe donc deux approches du comportement de
vote.
I.
II.
I.
L’approche instrumentale, selon laquelle le vote est l’instrument utilisé par
l’individu pour obtenir ce qu’il veut. L’électeur est alors vu comme un consommateur.
L’approche expressive, dans laquelle le vote correspond à des considérations
intrinsèques liées à l’idéologie. L’électeur vote alors pour exprimer ses convictions,
peu importe le résultat ; il peut être comparé à un manifestant.
L’approche instrumentale
Ce modèle est introduit en 1957 par Anthony DOWNS.
Cet économiste établit une analogie entre sphère politique et marché. En effet, l’objet d’étude de l’économie est l’échange marchand, régulé par la concurrence. Or l’élection peut être considérée comme un échange entre les candidats qui offrent des programmes et qui entrent en
concurrence les uns avec les autres, et les électeurs, qui offrent leurs voix. Par conséquent, la
démocratie peut être étudiée comme un marché. On analyse ce système d’échange sous la méthode rationnelle, puisque les candidats cherchent à maximiser leurs chances de victoire,
tandis que les électeurs cherchent à maximiser leur satisfaction.
Cette approche a essuyé de nombreuses critiques. Certains mettent notamment en avant les
limites de la méthode rationnelle, ce à quoi Downs répond que cette méthode est seulement le
cadre élémentaire de son étude.
Ce cadre est composé de trois hypothèses :
Les programmes politiques sont des données (le candidat n’a pas le choix de sa politique)
Les préférences des électeurs sont définies sur l’identité du candidat et non sur les
programmes
La probabilité d’influencer les résultats du vote est proche de 0. On constate que les hypothèses retenues par Downs pour définir son cadre d’étude ne sont pas valides. Quelles sont alors les hypothèses à introduire dans le raisonnement de Downs pour
établir une meilleure théorie ?
De nombreux auteurs vont écrire sur le sujet dans les années 1980, cherchant à tendre vers plus
de réalisme. Cette littérature aboutira à un assouplissement du cadre de Downs, dont le
principal élément nouveau est la pluralité politique, c’est-à-dire la possibilité pour un candidat
de se distinguer des autres par son programme.
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Ainsi, quatre nouvelles hypothèses ont été établies :
Les candidats définissent leurs programmes en fonction des attentes des électeurs sur
un axe gauche-droite allant de la politique la plus redistributive (c’est-à-dire avec le plus
fort taux d’imposition) à la politique la moins redistributive (avec le plus faible taux d’imposition). Les électeurs déterminent leur vote en fonction de leur préférence et du coût à voter
Chaque électeur connait ses préférences mais pas celles des autres
Chaque électeur peut se faire une idée de la probabilité qu’il a d’influencer le résultat des élections (exemple : sondages…)
Cette modification du cadre d’étude a permis d’aboutir à une multitude de résultats, dont trois
concernent le paradoxe du vote.
Le principe d’équivalence des objectifs, qui montre que maximiser la pluralité politique permet de maximiser la probabilité de remporter l’élection et qu’elle incite donc les candidats à se démarquer des autres par leur programme
S’il y a pluralité politique alors la participation électorale est positive
On distingue une catégorie d’électeurs animés par le sens du devoir civique, qui
considèrent que le coût de vote est bénéfique.
Ainsi, aux USA, 90% des électeurs votent par sens du devoir, contre environ 40% en
Europe.
On pourrait donc conclure que la participation électorale s’explique par la pluralité politique, et que cette dernière est la réponse au paradoxe du vote. Malheureusement, ce résultat est à
relativiser et il convient de souligner les limites de cette analyse :
Si on poursuit ce raisonnement, on en déduit que plus l’électorat est important, plus la
participation est faible, la probabilité d’influencer le résultat de l’élection étant fonction
décroissante de l’électorat.
Or la réalité est toute autre puisqu’on constate au contraire que c’est aux élections
nationales que la participation est la plus forte.
La pluralité politique est donc nécessaire mais elle n’est pas suffisante.
Si on considère que certains électeurs votent par sens du devoir et qu’ils conçoivent les coûts de vote comme un bénéfice, cela signifie que, quel que soit le résultat de l’élection, ils seront satisfaits d’avoir voté. Or cette déduction infirme l’hypothèse de départ de l’approche instrumentaliste. (Sauf si l’on considère que le sens du devoir n’est pas une donnée et que les individus ne sont pas animés d’un sens du devoir par nature, auquel
cas voter pour le candidat que l’on préfère reviendrait à remplir son devoir civique, rejoignant l’approche instrumentale du vote.)
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II.
L’approche expressive
L’approche expressive est antérieure à l’approche instrumentale, elle date de 1955. C’est une approche plus philosophique et politiste du comportement de vote que le modèle instrumental,
puisqu’elle réfute l’analogie entre le marché et la sphère politique. Ici il est considéré que la sphère politique a son fonctionnement propre.
Cette approche met donc en avant les différences qu’il existe entre le marché et la politique :
Dans le marché, l’individu est l’objet d’étude, il fait les choix et les choix sont faits par lui,
ce qui n’est pas le cas en politique.
L’élection est caractérisée par le principe d’exclusion, c’est-à-dire que le choix d’un candidat exclu la possibilité de voter pour tous les autres candidats, tandis qu’il n’y a pas d’exclusion dans le marché, la consommation d’un bien A n’empêche pas la consommation d’un bien B.
Les alternatives en politique n’existent pas, en effet, les programmes des candidats ne
sont pas réels, ce sont des promesses (les candidats ne sont pas formellement tenus de
remplir leurs promesses). L’électeur n’est donc pas certain d’obtenir les bénéfices escomptés de son vote, contrairement à un consommateur sur un marché.
Ainsi, le marché et la sphère politique se différencient par leurs enjeux, le marché faisant primer
l’individuel et la politique privilégiant le collectif. C’est le statut de l’individu qui diffère dans les deux approches.
Le modèle expressif est alors celui dans lequel le vote correspond à des considérations
intrinsèques liées à l’idéologie. L’électeur vote pour exprimer ses convictions, peu importe le
résultat.
Pour l’électeur, le résultat de l’élection est indépendant de son choix puisqu’il dépend du choix des autres. Ainsi, il votera pour ses principes moraux et son idéologie plus que pour la victoire
de son candidat.
Les candidats quant à eux, proposent un programme autour de considérations qui pèsent sur les
électeurs, c’est-à-dire sur des valeurs symboliques. C’est en cela que le modèle a un caractère expressif, il est fondé sur le désir d’exprimer une opinion, à l’inverse du marché dominé par l’intérêt individuel.
De cette façon, les candidats établissent leurs programmes en fonction du comportement de vote
des électeurs et de leur chance de victoire, et les électeurs se répartissent sur un axe des valeurs,
qui s’échelonne du plus conservateur au plus libéral, et non pas selon des critères économiques.
Toutefois, on peut considérer que l’idéologie conduit à un désir de voir gagner le candidat que l’on soutient. C’est cet argument qui marquera une ligne de séparation au sein de ce modèle en
1987.
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Cela permet d’aboutir aux résultats suivants :
Même avec un seul candidat, la participation politique est positive puisque les électeurs
votent pour exprimer une préférence, une identité, une adhésion à un idéal.
Avec une majorité d’électeurs modérés (au centre), selon une loi normale, la pression
concurrentielle conduit les candidats à proposer le même programme. Cela explique
d’une part la participation : les électeurs modérés votent, et d’autre part l’abstention : les
extrêmes ne votent pas puisqu’aucun des programmes proposés ne correspond à leurs
valeurs.
Or, les études (comme une enquête réalisée en Angleterre entre 1983 et 1996) observent le
phénomène inverse : les extrêmes votent plus que les centristes, ce qui infirme encore une fois la
théorie.
Par conséquent, il est établit que les électeurs extrémistes font un choix expressif lorsqu’ils ne votent pas, tandis qu’ils font un choix instrumental lorsqu’ils votent, puisqu’ils le font dans le but d’empêcher le candidat qu’ils aiment le moins d’être élu. Conclusion
Aucune théorie du comportement de vote n’a été vérifiée à ce jour, et les spécialistes ne sont pas en mesure d’expliquer le passé ou de prévoir l’avenir. Les résultats des recherches de Monsieur
Tazdaït et de son équipe sont à suivre, et les études qu’ils mènent en collaboration avec des médecins, des sociologues, des philosophes ou encore des psychologues parviendront peut être
un jour à éclaircir cette question au parfum de mystère.
Joséphine MAITRE, TES2
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