18 - SL - Philippa Gregory
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18 - SL - Philippa Gregory
La série La cour des Tudor de Philippa Gregory (née en 1954) Titulaire d’une maîtrise d’histoire et d’un doctorat en littérature du 18ème siècle, Philippa Gregory a également suivi une formation de journaliste à Cardiff. Elle a commencé à écrire en 1987 ; ses fictions historiques font l’objet de recherches aussi minutieuses qu’extensives et elle a raflé une vingtaine de prix littéraires. Ses œuvres mettent au premier plan des femmes que l’histoire a oubliées, ou négligées. « Plus j’effectue des recherches, plus je pense qu’il existe une histoire des femmes jamais racontée » dit-elle1. Elle affirme aussi être frappée par la façon dont les événements que connaît un pays façonnent la vie des individus. La série La cour des Tudor m’aura occupée tout l’été. Je ne sais plus pourquoi j’ai entamé le premier ouvrage de cette série, mais je ne regrette pas un instant d’avoir mis le doigt dans ce délicieux engrenage. Les six romans qui la constituent, présentés ci-dessous, n’ont pas tous été traduits en français : à ma connaissance, seulement Deux sœurs pour un roi (dont a été tiré le film éponyme) et L’héritage Boleyn. Ils sont formidables. Le niveau des quatre autres m’incite à suggérer leur lecture aux étudiants de niveau universitaire. The Constant Princess est consacré à la vie de Catherine d’Aragon, première épouse d’Henry VIII et championne de l’union la plus longue avec ce tyran – vingt-trois ans. Fille des rois catholiques Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon, elle épousa en 1501 le prince de Galles Arthur Tudor, qui décéda l’année suivante. Henry VII n’ayant aucune envie de restituer la grosse dot de la jeune princesse, celle-ci resta en Angleterre en attendant que le futur Henry VIII soit assez grand pour pouvoir convoler. Le mariage avec cet enfant gâté qui n’était pas supposé devenir roi et les avanies que Catherine d’Aragon dut supporter jusqu’à sa relégation forment la trame du roman. The Other Boleyn Girl (Deux sœurs pour un roi) se centre sur le personnage de Mary Boleyn, sœur de la future reine d’Angleterre. Il est avéré qu’Henry VIII eut une liaison avec cette charmante et jolie jeune femme, qui était loin cependant d’avoir le caractère brillant de sa cadette. Le roman, qui adopte le point de vue de Mary, montre son ascension jusqu’au statut de maîtresse du roi, puis sa disgrâce progressive alors que monte l’étoile d’Anne. Mary finit même par devoir la servir en tant que dame de compagnie. Il s’achève sur le mariage d’amour que fit Mary avec le roturier William Stafford et son départ du bourbier qu’est la cour. Les relations mêlées d’affection, de jalousie et d’animosité qu’entretiennent les deux soeurs sont particulièrement bien observées. 1 https://www.theguardian.com/books/2013/jul/28/philippa-gregory-unearthing-history-s-forgotten-women Karin Lafont-Miranda - 2016 1 The Boleyn Inheritance (L’héritage Boleyn) J’ai particulièrement apprécié le troisième volet de la série. Trois personnages y prennent la parole. Jane Parker-Boleyn, la veuve du frère d’Anne Boleyn exécuté en même temps que cette dernière, compose un personnage de méchante (villain) passionnant. Comment les gens méchants parviennent-ils à s’éviter la culpabilité de leurs actes nocifs ? Réponse : voir comment pense Jane Parker … Le personnage d’Anne de Clèves, la future quatrième épouse d’Henry VIII qui lutte pour sa survie, est touchant. Celui de Catherine Howard, cinquième épouse et seconde à passer (après sa cousine Anne Boleyn) sous la hache du bourreau sur ordre de l’époux, l’est tout autant. Gregory la dépeint telle qu’elle a dû véritablement être : une jeune d’une vingtaine d’années, frivole et pas très intelligente, mal éduquée et peu instruite, naturellement vite dégoûtée par un mari obèse de trente ans son aîné, dont l’ulcère à la cuisse répandait en permanence une odeur nauséabonde. L’auteur entrecroise avec intelligence la disgrâce d’Anne de Clèves (qui s’avéra une chance) et l’ascension de Catherine (qui fut en réalité une calamité) sous le regard pervers de Jane. Une franche réussite. Dans The Queen’s Fool, Gregory a eu une brillante idée pour évoquer le règne de Mary Tudor (dite la Sanglante), celle de donner la parole à Anna Verde (devenue Anna Green), une Juive espagnole qui a fui avec son père les persécutions des rois très chrétiens. Un concours de circonstances l’amène à devenir l’un des fous de la reine, d’où le titre de l’ouvrage. Sa présence permet à l’auteur de rendre compte du règne épouvantable d’une reine fanatique, bien digne de son père en termes de violence. Gregory parvient toutefois à dresser de Bloody Mary un portrait nuancé et ainsi à ne pas la rendre totalement antipathique aux yeux du lecteur. Avec The Virgin’s Lover, Gregory s’intéresse à la jeune Elisabeth 1ère, à son apprentissage du métier de reine et à l’amour qu’elle portait à son ami d’enfance, Robert Dudley. La question du mariage (et donc de sa succession) empoisonna son règne. La fille d’Anne Boleyn et d’Henry VIII, si elle avait été libre de ses choix, aurait sans doute épousé Robert Dudley. Mais quand elle accède au trône à la mort de sa sœur aînée, Dudley est déjà marié à Amy Robsart. Les conditions suspectes dans lesquelles Amy meurt (qui ont donné lieu à d’autres œuvres littéraires) s’uniront aux exigences de la politique internationale pour empêcher les amants de convoler. Elisabeth restera célibataire. The Other Queen - C’est avec Mary Stuart que s’achève la série. Veuve du jeune roi François II, elle retourna en Ecosse où elle épousa son cousin, Lord Darnley. L’assassinat de ce dernier, les soupçons qui pesèrent sur elle et son remariage avec le principal suspect du meurtre précipitèrent sa chute. Le roman commence au moment où la jeune reine d’Ecosse, venue en Angleterre solliciter la protection d’Elisabeth 1ère, se retrouve assignée à résidence sous la garde du comte de Shrewsbury et de son épouse. La situation est difficile à supporter pour les trois protagonistes : Bess de Harwick se désole des dépenses qu’impose cette papiste, Mary ne rêve que de s’évader, le comte tombe amoureux d’elle … Ce roman, qui n’a rien d’un roman à l’eau de rose, est tout aussi intéressant et instructif que les précédents. J’espère vous avoir convaincus de l’intérêt de ces ouvrages passionnants. On tourne la dernière page à regret – surtout celle du dernier, évidemment ! Karin Lafont-Miranda - 2016 2