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ADEME – Région Rhône-Alpes –UMR PACTE
Villes et Constructeurs, vers un co-pilotage de la qualité
environnementale des projets
Institut de Géographie Alpine et Institut d’urbanisme
Grenoble 11-12 juin 2008
Atelier 2 : Grenoble
Rapport de Taoufik Souami, Institut Français d’Urbanisme, Université Paris 8
Deux séances d’atelier ont été organisées le 12 juin sur le copilotage à Grenoble. D’une
durée d’une heure trente, chaque séance a commencé par une présentation d’Eric Henry
avant un débat avec la salle. De nombreuses questions ont été abordées. Cette synthèse
s’appuie sur la présentation et les précisions apportées par un responsable du service
Urbanisme de la ville et rend compte des débats suscités.
L’atelier de Grenoble a abordé une question devenue urgente aujourd’hui pour une majorité
de villes : comment améliorer la qualité environnementale des constructions et des projets
diffus au sein de la ville ? Comment assurer cette qualité pour des réalisations ordinaires et
successives qui constituent le tissu urbain ?
La question de la qualité environnementale se pose différemment pour les projets diffus et
pour les opérations urbaines majeures. Les grands projets urbains bénéficient d’une attention
et de moyens exceptionnels dans leur démarche environnementale. Les efforts consacrés à la
qualité environnementale sont mobilisés dans un espace-temps précis. Des procédures
juridiques particulières (ZAC ou lotissement) permettent l’imposition
de règles
environnementales pour tout le projet urbain et constructif et d’en contrôler, en principe, la
bonne application.
En revanche, les projets de construction diffus s’inscrivent dans le quotidien des villes, de
leurs services techniques, de leurs promoteurs et habitants. Ils ne bénéficient pas d’un cadre
juridique et d’une mobilisation exceptionnelle. Leur qualité environnementale doit donc
s’organiser dans une vigilance constante, au fil des décisions courantes, sous le régime
juridique ordinaire. Or ce régime juridique s’y prête peu et les instructions de dossiers sont
vite routinières et réduisent la vigilance.
La ville de Grenoble a tenté de résoudre ces problèmes par une démarche particulière : elle a
essayé d’instituer un co-pilotage des projets ordinaires. Pour Eric Henry, rapporteur de
Rapport atelier Grenoble 12 juin 2008 Souami 1/7 Villes et constructeurs : vers un copilotage de la QEB l’atelier, ce terme résume bien le choix de Grenoble même s’il demeure insatisfaisant
conceptuellement. Il s’agit pour la ville de se construire une position d’influence, voire de
décision directe dans ces projets. Dès lors, elle ne se contente plus de son rôle de prescription
réglementaire et de contrôle du respect des règles. Elle s’invite dans le processus même de
conception et de décision qui est, théoriquement, réservé au maître d’ouvrage. Une démarche
intrusive que revendiquent volontiers la ville et ses représentants.
Explorons donc cette démarche de co-pilotage des projets diffus à Grenoble..
Comment obliger à co-piloter ?
La ville de Grenoble a utilisé deux leviers principaux pour gagner cette position de codécision et la faire accepter. Elle a introduit des règles environnementales relativement
exigeantes dans le PLU : recommandation forte d’isolation par l’extérieur, utilisation de
l’énergie solaire, terrasses végétalisées…
La nouveauté et la « sévérité » des règles,
conduisent tout individu ou tout promoteur déposant un permis de construire en vue de
réaliser un projet d’une certaine envergure, à entrer en contact avec les services techniques de
la ville pour préciser les modalités de réponse à ces exigences préalablement à l’obtention du
permis de construire..
Parallèlement, les responsables de la ville ont fait connaître cette orientation politique et son
caractère prioritaire, quasi obligatoire voire indiscutable. Les annonces et les discours
politiques constituent la face la plus visible de cette affirmation. Ils sont adossés à l’exemple
de plusieurs ZAC « durables »
en cours de réalisation ou achevées dans la ville.
Parallèlement, la biennale de l’habitat durable lancée en 2006 et renouvelée en 2008 constitue
un vecteur de communication professionnel et grand public pour préciser le sens de ces
obligations et pour rappeler l’attachement des responsables politiques à leur respect. La
biennale qui réunit chaque fois plusieurs centaines de professionnels du secteur de la
construction et de l’aménagement, est un moment d’action pédagogique et d’incitation pour
accompagner et donner un sens civique et incontournable à ces nouvelles contraintes. Par
ailleurs, tous les échanges formels ou informels avec les particuliers et les promoteurs sont
l’occasion d’expliquer et de réaffirmer l’importance de ces choix.
Concrètement, cela signifie que tout maître d’ouvrage essayant de se soustraire à ces
obligations coure le risque de perdre l’accès au foncier à Grenoble ou de voir ses projets
notablement retardés. Elément crucial : le PLU adopté en 2005 présentait une deuxième
facette dans le dispositif réglementaire : en contrepartie de cet effort sur la qualité
environnementale, il augmentait la constructibilité dans la ville. Tout promoteur souhaitant
Rapport atelier Grenoble 12 juin 2008 Souami 2/7 Villes et constructeurs : vers un copilotage de la QEB mettre à profit cette opportunité se devait d’accepter ces exigences de la ville et de rentrer
dans le jeu de co-pilotage. Autrement dit, le PLU construit les termes du « deal » entre ville et
promoteur.
Le PLU constitue une formalisation juridique d’obligations adossées à une volonté politique
et un travail d’accompagnement. Mais les orientations et les règlements du PLU ne suffisent
pas, seuls, à garantir la qualité environnementale visée. Ils ne provoquent pas mécaniquement
des décisions d’installation d’isolation par l’extérieur ou de panneaux solaires. Ils constituent
dans les faits un levier de pression et de négociation de la puissance publique lui permettant
de prendre une place importante au côté du maître d’ouvrage. Ce dernier l’accepte d’autant
plus facilement que la collectivité l’accompagne à partir de cette position de co-pilote pour
améliorer son projet et en faire la promotion auprès des riverains toujours réticents à voir une
immeuble conséquent s’installer dans leur rue. Réciproquement, si les maîtres d’ouvrage
étaient laissés seuls face aux
obligations environnementales ils seraient tentés de les
contourner, les ignorer et peut être les refuser. La collectivité n’a aucun intérêt à laisser se
développer une telle résistance, car au final, le maître d’ouvrage est l’acteur indispensable
pour voir ses objectifs réalisés. Elle ne se positionne pas à ses côtés pour mieux le contrôler,
mais parce qu’elle a également besoin de lui comme partenaire proche, indispensable pour
mettre en œuvre sa politique urbaine à forte qualité environnementale.
L’utilisation du PLU comme instrument de médiation pour établir un co-pilotage demeure
toutefois un exercice délicat. Les limites et les risques juridiques liés à l’introduction de
contraintes environnementales supposent de grandes précautions. Plus encore, le contenu des
obligations environnementales intégrées dans les règlements d’urbanisme peuvent mettre en
péril l’objectif même de partenariat. Ainsi, de nombreux maîtres d’ouvrage estiment que
« l’obligation » d’utiliser l’isolation par l’extérieur à Grenoble est trop précise et restrictive.
Ils proposent que la règle soit plus ouverte sur d’autres solutions techniques tout en réalisant
les mêmes objectifs de performance énergétique. Leurs réactions montrent que la
systématisation de l’isolation par l’extérieur peut être à l’origine d’une résistance plus
importante de leur part et donc la fin d’un co-pilotage accepté ou subi.
Qui co-pilote ?
A Grenoble, deux principaux acteurs sont insérés dans ce co-pilotage :
•
Les services de la collectivité, en particulier le service d’instruction des permis de
construire
•
Les promoteurs et propriétaires
Rapport atelier Grenoble 12 juin 2008 Souami 3/7 Villes et constructeurs : vers un copilotage de la QEB Au-delà de ces acteurs visibles du co-pilotage, la démarche mise en œuvre implique un
troisième ensemble d’acteurs : les habitants. Les services de la ville de Grenoble encouragent,
contribuent et invitent fortement les promoteurs à informer le voisinage sur les objectifs et les
contenus de leurs projets. Il n’y a pas obligation à cela. Toutefois, les promoteurs ont
progressivement mesuré l’intérêt de ce travail de prise de contact et d’explication auprès des
habitants du voisinage de l’opération, y compris pour de petites opérations de quelques
logements. Cette démarche réduit considérablement les oppositions et les recours des
riverains lors du traitement administratif du dossier. Par ailleurs, elle permet une valorisation
des efforts faits en matière de qualité environnementale : « les nuisances occasionnées par le
projet et par le chantier seraient ainsi mieux acceptées ou tolérées ».
Les habitants influencent ainsi indirectement les décisions et les choix opérés pour ces projets
diffus. Sont-ils également co-pilotes ? L’atelier n’a pas permis de répondre à cette question.
Notre avis est que la concertation engagée est essentiellement source de dialogue et de
dédramatisation des impacts du projet de construction. Mais parfois des modifications
d’implantation ou d’épanelage du projet sont acceptées par les constructeurs et la ville à la
demande des habitants du voisinage
En revanche, certains acteurs clés sont absents de ce co-pilotage :
•
les opérateurs des services urbains (distributeurs d’énergie, entreprise eau et
assainissement, etc.). Ils décident de solutions techniques et financières qui peuvent
notablement influencer la qualité finale d’un projet. Par exemple, les possibilités de
branchement à un réseau de chaleur ou de réutilisation locale de l’eau ne peuvent se
décider indépendamment de ces entreprises de services urbains ;
•
les acteurs de la filière de la construction. Très sollicités par la ville dans le cadre de la
Biennal, ils sont absents dans cette démarche spécifique. Les promoteurs se trouvent
régulièrement confrontés aux modalités de mise en œuvre de choix techniques très
performants alors que les entreprises et artisans locaux n’ont pas les compétences pour
les installer.
Pourquoi co-piloter ?
Les finalités les plus visibles de ce co-pilotage visent l’orientation de la conception des projets
dans le sens des objectifs environnementaux souhaités par la ville et la réalisation d’un projet
de qualité architecturale économiquement viable.
Rapport atelier Grenoble 12 juin 2008 Souami 4/7 Villes et constructeurs : vers un copilotage de la QEB Toutefois, d’autres finalités implicites motivent ce co-pilotage. La première est le partage des
risques. L’introduction de nouvelles solutions pour la conception et la réalisation de ces
projets implique des risques de nature multiple :
•
Technique : la fiabilité des matériaux et matériels utilisés, la complexité de leur mise
en œuvre, leur durabilité et fonctionnement ;
•
Juridique : la sécurité de ces matériaux, leurs respects de la réglementation française et
européenne, leur assurance, etc.
•
Financier : la difficile maîtrise des surcoûts liés à la qualité environnementale, leur
prise en charge partielle par la collectivité (indirecte à travers une aide à la conception
et la mise à disposition d’une expertise spécialisée),
En devenant co-pilote de fait de ces projets, la ville a choisi de partager ces risques et de
conforter les promoteurs dans leurs démarches de qualité environnementale par l’apport d’une
garantie de la puissance publique. Cette garantie face aux différents risques liés à l’innovation
est de nature politique et symbolique. Elle n’a pas été mise à l’œuvre dans une situation de
mise en cause juridique ou de perte financière importante. Jusqu’où irait le partage de ces
risques par la collectivité ?
D’autres objectifs sont également réalisés à travers ce co-pilotage : un renforcement du
substrat partagé entre techniciens de la ville, experts et maîtres d’œuvre locaux, promoteurs et
constructeurs concernant la qualité environnementale.
Comment co-piloter ?
L’élément central dans ce co-pilotage est l’instruction du permis de construire. Cette
instruction assure plusieurs fonctions :
•
elle est un système d’alerte de la ville pour repérer les projets demandant un travail de
suivi et d’accompagnement particulier. Le dépôt du permis est déclencheur du travail
de co-pilotage ;
•
elle est l’espace de négociation obligatoire, pour le promoteur comme pour la ville ;
•
elle organise et rythme les échanges entres les protagonistes du co-pilotage ;
•
elle dicte les règles de ces échanges et leurs limites (tout n’est pas négociable, tous les
compromis ne sont pas possibles)
Cette position pivot de l’instruction du permis de construire signifie concrètement un
alourdissement du travail administratif, de gestion et décision : des études complémentaires
sont demandées au maître d’œuvre pour démontrer l’efficacité énergétique, les discussions sur
les choix techniques et leurs conséquences sont plus longs et plus lourds…
Rapport atelier Grenoble 12 juin 2008 Souami 5/7 Villes et constructeurs : vers un copilotage de la QEB La ville de Grenoble a pu utiliser l’instruction du permis de construire de la sorte car ses
services étaient suffisamment nombreux pour suivre. Toutefois, elle semble pouvoir
difficilement tenir une telle charge de travail dans la durée. A fortiori, des villes présentant
des services moins étoffés auraient beaucoup de difficultés à assurer une telle fonction. Par
ailleurs, les services de la ville directement engagés dans ce travail de suivi et de discussion
ont tenté de palier, au tant que possible, leurs propres carences et faiblesse en matière de la
qualité environnementale. Au-delà d’un niveau de complexité, les ingénieurs et techniciens de
la ville ne sont pas formés et préparés pour expertiser dans le détail les solutions énergétiques
des bâtiments. D’ailleurs, ce n’est pas leur rôle et de leur mission première. L’imposition de
l’isolation par l’extérieur est une manière de remédier à cette situation. Elle restreint l’éventail
des solutions possibles et permet aux techniciens d’acquérir une maitrise et de la maître en
œuvre dans le suivi des projets. Cette solution a tout son sens dans la période provisoire du
lancement de la démarche : elle facilité l’apprentissage et l’acquisition des bases techniques.
Toutefois, elle n’est pas une solution définitive : la question de l’intégration ou de
l’association de compétences plus spécialisées demeure entière.
Que faire du pilotage maintenant ?
Comme indiqué ci-avant, l’un des principaux fondements de ce co-pilotage grenoblois est le
« deal » implicite entre la ville et les promoteurs : le respect des exigences environnementales
contre un accompagnement de la puissance publique et une augmentation de la
constructibilité. Quand il a été pensé au milieu des années 2000, ce fondement était lié à la
dynamique haussière du marché foncier et immobilier. Le marché était en croissance, la
demande de logement en augmentation pour la ville de Grenoble. Depuis le début de l’année
2008, le marché est en cours de ralentissement et de retournement. L’augmentation de la
constructibilité n’est attractive et motivante pour les promoteurs que si elle trouve preneur et
client. Un premier sous-bassement du co-pilotage paraît ainsi fragilisé.
Les propriétaires et les promoteurs sont plus précautionneux. Ils déposent donc moins de
permis de construire. Ils sont plus attentistes ou cherchent de nouvelles manières de valoriser
leurs biens (par exemple, préférant de petites réhabilitations et la location). Si cette tendance
se confirme, le permis de construire ne deviendrait plus cet espace de passage obligatoire à
partir duquel la ville construit sa position de co-pilote. Elle perd « cette vanne » qui lui permet
d’obliger à une négociation et des compromis sur la conception des projets.
La ville de Grenoble se trouve donc dans un moment de changement important pour elle, et
intéressant pour les observateurs que nous sommes. Saura-t-elle embrayer sur la dynamique
Rapport atelier Grenoble 12 juin 2008 Souami 6/7 Villes et constructeurs : vers un copilotage de la QEB de partenariat qu’elle a impulsé et continuer ce co-pilotage sans le marché « motivant » ? Le
substrat commun entre co-pilote d’opérations ordinaires, construit au cours des dernières
années, sera-t-il suffisant pour maintenir les volontés d’atteindre la qualité environnementale
visée ? La ville devra-t-elle modifier son utilisation contraignante du PLU, voire trouver un
autre outil pour créer un nouvel espace de co-pilotage ? Si les projets diffus diminuaient
notablement avec la conjoncture, sauta-t-elle recréer la même forme de co-pilotage pour des
actions encore plus modestes, fragmentées et diffuses sur le cadre bâti (des petites
réhabilitations de qualité environnementale) ?
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