Les enjeux de l`énergie Place du nucléaire Olivier Appert, Président

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Les enjeux de l`énergie Place du nucléaire Olivier Appert, Président
Les enjeux de l'énergie
Place du nucléaire
Olivier Appert,
Président d'IFP Energies nouvelles
Président du Conseil Français de l'Energie
L'énergie est revenue ces dernières années au premier plan des préoccupations de tous. Les
ressources énergétiques sont-elles suffisantes pour satisfaire une demande croissante ? Les
enjeux géopolitiques ne font-ils pas peser des risques majeurs sur l'économie mondiale ? La
lutte contre le changement climatique ne modifie-t-il pas fondamentalement la donne ? Ces
thèmes ont été centraux dans le Grenelle de l'Environnement.
Ces défis énergie et environnement sont considérables. Ils imposent de s'engager dès
maintenant dans une transition vers un système énergétique durable. Toutes les sources
d'énergie ont leur rôle à jouer et il ne faut s'interdire aucune option. Le progrès technologique
apportera à l'évidence des solutions à ces défis. Mais depuis un an, le système énergétique est
confronté à un contexte nouveau dont on ne mesure pas encore pleinement l'impact : le
printemps arabe, la révolution des shale gas aux Etats-Unis et Fukushima.
1. Le Contexte énergétique
1.1
Les fondamentaux du secteur énergétique
Le secteur énergétique a été marqué par trois événements majeurs depuis 15 ans. Ces
événements nous ont rappelé les risques auxquels est confronté notre approvisionnement
énergétique.
En 1997, le protocole de Kyoto a mis en évidence le risque climatique. On ne peut plus parler
d'énergie sans parler d'environnement : en effet, le secteur énergétique est à l'origine des 2/3
des émissions de gaz à effet de serre.
Les attentats du 11 septembre 2001 nous ont rappelé que le risque géopolitique est au cœur du
secteur énergétique : il s'en est suivi l'intervention américaine en Irak.
Enfin, l'emballement de la croissance économique chinoise à l'aube du XXIe siècle a pesé sur les
marchés mondiaux d'énergie et de matières premières. Le risque de disponibilité de ressources
énergétiques est réapparu au premier rang des préoccupations.
A l'évidence, le système énergétique actuel n'est pas durable. La montée en puissance des
pays émergents, et en particulier de la Chine, pose le problème d'une croissance inéluctable de
la demande d'énergie. Dans son scénario "Nouvelles politiques", l'Agence Internationale de
l'Energie (AIE) estime que la demande mondiale d'énergie devrait croître de 36 % entre 2008 et
2035. Cette croissance de la demande se traduit par une augmentation des émissions de gaz à
effet de serre : dans le même scénario, l'AIE estime que, loin de diminuer, les émissions de CO2
augmenteraient de 21 % dans cette même période. Enfin, l'approvisionnement énergétique
mondial dépend aujourd'hui à 85 % des énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz). Cette
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dépendance soulève des interrogations sur le caractère non renouvelable de ces énergies et
donc sur l'ampleur des réserves mobilisables.
Avant d'examiner les perspectives énergétiques, il convient de rappeler les fondamentaux du
système énergétique mondial.
Figure 1
Quelle est la situation actuelle de l'énergie dans le monde ? La figure 1 montre les principaux
flux énergétiques de l'énergie primaire jusqu'à l'énergie finale. Cette figure illustre clairement
quelques fondamentaux :
- Les énergies fossiles et le nucléaire représentent l'essentiel de l'approvisionnement
énergétique. Le solaire ou l'éolien dont on parle beaucoup ne représentent aujourd'hui qu'une
part infime de l'approvisionnement énergétique.
- Seule la moitié de l'énergie primaire est transformée en énergie finale. Ceci montre
l'importance de l'enjeu de l'efficacité énergétique.
Cette structure n'évoluera que très lentement. En effet, le système énergétique présente une
grande inertie. Ainsi, le taux de renouvellement du parc immobilier est inférieur à 2 % par an, la
durée de vie de ce parc étant de 50 à 100 ans. De même, les centrales électriques construites
aujourd'hui seront toujours en fonctionnement dans 50 ans.
Il est nécessaire de porter une attention particulière à deux sous-secteurs du système
énergétique : l'électricité et le transport. Il y a en effet une corrélation forte entre la demande
d'énergie dans ces deux sous-secteurs et le PIB. Par ailleurs, le taux de croissance de la
demande d'énergie de ces deux sous-secteurs est le plus élevé comparé aux autres services,
par exemple le chauffage. Enfin, ils sont les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre.
1.2
Les perspectives énergétiques à moyen-long terme
Il y a un consensus entre les experts en ce qui concerne les perspectives énergétiques à moyen
terme.
L'AIE a publié en novembre 2010 son scénario énergétique pour 2035 (figure 2). Dans son
scénario "Nouvelles politiques", la demande d'énergie devrait croître de 1,5 %/an en moyenne
de 2007 à 2030 (+ 36 % entre 2008 et 2035). Les énergies fossiles couvrent les ¾ de la hausse
de la demande.
Figure 2
Les énergies fossiles représentent encore en 2035 80 % de la consommation énergétique
mondiale. Le pétrole reste l'énergie dominante (pétrole : +1 %/an). Toute la croissance vient des
pays non OCDE. Par contre, la demande baisse dans les pays de l'OCDE. Malgré les politiques
incitatives mises en place, la part des énergies renouvelables et de la biomasse hors
hydroélectricité, n'augmente que de 11 % aujourd'hui à 12 % en 2035.
Satisfaire la croissance de la demande implique en outre des investissements considérables :
plus de 1000 milliards de dollars par an, soit environ 1,4 % du PIB mondial.
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Figure 3
La demande d'énergie mondiale est tirée par l'augmentation de la population et par le
dynamisme des pays émergents. La Chine et l'Inde représentent plus de la moitié de
l'accroissement de la demande de 2008 à 2035. A noter aussi la forte croissance de la demande
dans les pays du Moyen-Orient. Il en résulte un changement majeur de la géopolitique de la
demande. Ainsi les PVD ne représentaient que 27 % de la consommation d'énergie mondiale en
1980. Ils représenteraient 66 % en 2035 (figure 3). Malgré cette croissance de la consommation
d'énergie dans les PVD, il faut se rappeler qu'environ 1,5 milliard d'habitants n'ont pas accès à
l'électricité.
Dans ce scénario, les émissions de CO2, loin de se stabiliser, continueraient à augmenter,
passant de 25 GT en 2000 à 35 GT en 2035 (figure 4).
Figure 4
Environ 97 % de l'augmentation des émissions viendraient des pays non OCDE. La Chine, l'Inde
et le Moyen-Orient contribuent au ¾ à cette augmentation. Les villes des pays non OCDE
représenteraient la moitié des émissions totales en 2035. La mise en œuvre de politiques
adaptées dans les pays de l'OCDE permet de faire diminuer les émissions.
Si l'on veut en 2050 diviar deux les émissions de GES pour éviter un changement climatique
dramatique, il est indispensable d'engager dès maintenant une transition vers un système
énergétique durable moins carboné. Cela passera par une modification en profondeur du mix
énergétique, mais aussi des changements de comportement majeurs des consommateurs.
2. Les défis spécifiques (électricité, transport, hydrocarbures)
Les défis de la transition vers un système énergétique durable sont particulièrement importants
pour le secteur électrique, le secteur des transports et les hydrocarbures. Ces défis se déclinent
différemment suivant les sous-secteurs.
2.1
L'électricité
Ainsi pour le secteur électrique, il n'y a pas de problème de supply : on peut produire de
l'électricité à partir de charbon, de gaz, de nucléaire ou de renouvelable. Toutes ces sources
d'énergie sont nécessaires pour obtenir un mix électrique équilibré. La contrainte climatique est
majeure dans la mesure où la production d'électricité à partir de charbon devrait, d'après l'AIE,
continuer à croître (cf. figure 5).
Figure 5
La croissance de la demande d'électricité va nécessiter des investissements considérables au
niveau de la production du transport et de la distribution. Le secteur électrique représente à lui
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seul 50 % des investissements du secteur énergétique. Dans les pays non OCDE, sera-t-il
possible de mobiliser les financements suffisants ? Dans les pays OCDE, le régime juridique de
la régulation du secteur électrique favorisera-t-il les investissements ou les gênera-t-il ?
2.2
Les transports
La situation est fondamentalement différente dans le secteur transport. En effet,
l'approvisionnement en énergie de ce secteur dépend quasi exclusivement (à 95 %) des
produits pétroliers (figure 6). Aujourd'hui, le secteur transport représente à lui seul environ 50 %
de la consommation de pétrole et cette part croît régulièrement. Or, il n'y a pas aujourd'hui de
substitut massif aux produits pétroliers pour ce secteur.
Figure 6
2.3
Les hydrocarbures
Le caractère non renouvelable des énergies fossiles est une préoccupation alors qu'elles
représentent 85 % de l'approvisionnement énergétique mondial.
Les réserves de charbon sont considérables et bien réparties : elles ne soulèvent pas
d'interrogation. Par contre, on a vu réapparaître récemment un débat malthusien sur les
ressources en hydrocarbures. S’il est clair que les réserves d’hydrocarbures sont par nature
finies, on peut affirmer que les ressources disponibles sont largement suffisantes pour satisfaire
la demande d’énergies pour les quelques décennies à venir. Les réserves prouvées de pétrole
et de gaz sont aujourd’hui d’un montant équivalent et représentent respectivement environ 40 et
60 ans de consommation au rythme actuel. Les réserves n'ont cessé de croître, tirées par la
hausse des prix de l'énergie et par le progrès technique (figure 7). L'émergence des
hydrocarbures non conventionnels permettra de repousser encore plus ces limites. Ainsi, la
prise en compte des shale gas conduirait à doubler les réserves mondiales de gaz.
On est donc loin de la fin du pétrole ou du gaz que prophétisent certains : le peak oil ou le peak
gaz ne sont pas pour demain.
Figure 7
A plus court terme, l'inégale répartition géographique des ressources pétrolières et gazières
pose problème.
Figure 8
Sur la carte du monde présentée en figure 8, la superficie de chaque pays est proportionnelle à
l'importance de ses réserves de pétrole. Elle illustre parfaitement l'anomalie géologique du
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Moyen-Orient. Il est clair que les enjeux géopolitiques de cette région pèsent et pèseront sur
l'équilibre énergétique mondial.
Il en est de même pour le gaz. Les deux tiers des réserves de gaz se situent dans un croissant
compris entre le 50e et le 70e méridien, en particulier Russie, Iran, Qatar. Cette inégale
répartition renforce les inquiétudes qu'on peut avoir face à l'ampleur des investissements à
réaliser. Les pays producteurs investiront-ils assez et à temps ?
3. Les technologies de la transition énergétique
Le défi climatique impose des efforts accrus. Afin de limiter l'effet de serre, l'IPCC estime qu'à
échéance 2050 il est nécessaire de réduire d'un facteur 2 au niveau mondial les émissions de
gaz à effet de serre. Ce n'est pas le chemin qu'on prend puisque les émissions devraient
doubler à cette échéance si on poursuit les tendances actuelles (cf. figure 9).
La transition vers un système énergétique bas carbone imposera une modification des
comportements. Elle nécessitera aussi la mobilisation de technologies efficientes.
Figure 9
La figure 9, tirée d'une étude récente de l'AIE, illustre la contribution de chaque technologie au
défi de réduire les émissions mondiales de CO2 par un facteur 2, à échéance 2050.
L'amélioration de l'efficacité énergétique permet de réaliser plus du tiers du chemin. La
conversion vers des énergies moins carbonées réduit les émissions de 18 %. Les renouvelables
et le nucléaire contribuent respectivement à hauteur de 21 % et 6 %. Quant au captage et
stockage du CO2, il contribue à hauteur de 19 % au total.
C'est un défi majeur. Cela nécessitera un effort technologique très important et imposera la
mobilisation d'investissements considérables.
Figure 10
Il n'existe pas de panacée technologique qui permettra de résoudre tous les problèmes. Il faut
faire appel sans exclusive à un ensemble de technologies. Mais toutes les technologies n'ont
pas le même potentiel et n'ont pas la même maturité. C'est ce qu'illustre la figure 10 issue du
SET-Plan de la Commission européenne. La surface de chaque cercle donne une idée du
potentiel de chaque technologie. Certaines sont disponibles dès maintenant, d'autres seulement
à moyen et long terme. Certaines peuvent être déployées sans difficulté, d'autres se heurtent à
des obstacles plus importants.
L'efficacité énergétique dans le secteur résidentiel et tertiaire offre des opportunités à court
terme : les technologies sont disponibles et les contraintes de déploiement sont moindres. Il en
est de même de la cogénération et de l'efficacité énergétique dans les transports.
Les technologies de l'éolien offshore sont disponibles mais leur déploiement se heurte à des
oppositions croissantes. Ceci conduit à développer des technologies offshore plus coûteuses.
Le potentiel du nucléaire est important mais il se heurte à des problèmes d'acceptabilité. Il en
est de même du captage et du stockage du CO2.
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Les biofuels sont amenés à jouer un rôle important. Leur déploiement à grande échelle
nécessite le développement de procédés permettant de traiter des matières premières qui ne
sont pas en concurrence avec la production alimentaire.
L'énergie solaire présente un potentiel important mais les coûts restent élevés. De plus, comme
l'éolien, il se heurte à un problème d'intermittence.
L'hydrogène comme la fusion nucléaire restent des technologies prospectives dont l'échéance
est lointaine (post 2050).
Ainsi, il existe un vaste ensemble de technologies qui peuvent être mobilisées mais le
développement et le déploiement de ces technologies nécessiteraient des investissements
considérables.
4. Un nouveau paradigme énergétique
Depuis un an, trois événements majeurs amènent à revisiter en profondeur notre vision du
système énergétique : le Printemps arable, la révolution des shale gas aux Etats-Unis et la
catastrophe de Fukushima. Autant de "game changers" qui peuvent amener à un nouveau
paradigme énergétique.
4.1
Le Printemps arabe
Le Printemps arabe crée une incertitude majeure sur l'approvisionnement énergétique mondial,
compte tenu de la concentration des réserves pétrolières et gazières dans les pays arabes et en
particulier au Moyen-Orient (cf. figure 8).
Il est clair que les enjeux géopolitiques de cette région pèsent et pèseront sur l'équilibre
énergétique mondial. Certains comparent le Printemps arable aux révolutions de 1848 en
Europe. Rappelons que la démocratie n'a émergé en France qu'en 1875 et bien plus tard dans
d'autres pays européens ! Ceci illustre l'incertitude majeure que fait peser le Printemps arabe
sur les approvisionnements énergétiques mondiaux. La prise en compte de ce risque peut
renforcer le potentiel de développement de sources d'énergie alternatives, notamment le
nucléaire.
4.2
La révolution des shale gas aux Etats-Unis
La révolution des shale gas aux Etats-Unis va aussi radicalement changer la donne énergétique.
Figure 11
Exploités depuis 20 ans, leur production a connu une envolée exceptionnelle en 2006
(figure 11). De 10 Gm3 produits au milieu des années 2000, on a atteint plus de 100 Gm3 en
2010. Le DOE américain envisage désormais 300 Gm3 en 2030, c'est-à-dire le double de ce qu'il
prévoyait il y a juste un an. Cette nouvelle donne a bouleversé le marché nord américain, mais
aussi le marché mondial du GNL.
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Au niveau international, l'impact est majeur en raison de la baisse des achats de GNL de ce
pays. Les importations américaines devraient être marginales en 2015 alors qu'il y a 4 ans, on
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estimait que les Etats-Unis importeraient 80 Gm . Cette révolution pourrait toucher d'autres
pays et notamment la Chine qui a un potentiel important et investit massivement dans ce
domaine.
Au-delà de son impact sur le marché mondial du gaz, la révolution des shale gaz a un impact
significatif sur le nucléaire. Avant même Fukushima, l'émergence des shale gas aux Etats-Unis
a différé sine die le développement du nucléaire dans ce pays. En sera-t-il de même en Chine ?
4.3
La catastrophe de Fukushima
Fukushima est venu renforcer les incertitudes pour le marché de l'énergie et plus
particulièrement pour le marché gazier. Cela crée à l'évidence un potentiel supplémentaire de
demande. C'est déjà le cas sur le court terme avec des importations japonaises qui ont
progressé de 10 % sur les premiers mois de l'année, ce qui représente 6 Mt de GNL
supplémentaires.
Pour le moyen terme, différents scénarios sont envisageables en ce qui concerne les
perspectives de la production nucléaire au Japon. Tous tablent sur une baisse compensée par
les renouvelables, le charbon mais surtout le gaz. La sortie du nucléaire en Allemagne se
traduira aussi par une croissance de la consommation de gaz.
Plus généralement, la catastrophe de Fukushima pourrait se traduire par un "hiver nucléaire"
comparable à Tchernobyl. Le mix électrique mondial s'en trouvera fortement impacté avec une
croissance accrue des renouvelables, du charbon mais surtout du gaz qui se confirmera comme
l'option privilégiée pour le secteur électrique.
* *
*
En conclusion, le monde est confronté à des défis énergétiques et environnementaux
considérables. Il est indispensable d'engager dès maintenant la transition vers un système
énergétique durable. Cela implique une modification des modes de consommation mais aussi la
mobilisation sans exclusive d'un ensemble de technologies. Les événements récents ces
12 derniers mois sur la scène géopolitique et énergétique mondiale représentent de véritables
"game changers" dont on n'a pas encore mesuré pleinement les impacts. Mais on ne doit pas
oublier les conséquences de la crise économique mondiale dont la sortie reste encore
incertaine.
7/7