Unerumeurdeclocherdémentie

Transcription

Unerumeurdeclocherdémentie
MERCREDI 20 NOVEMBRE 2013 LE JOURNAL DU JURA
ACEYOUNG 21
ENQUÊTE (1/3) Y a-t-il vraiment tant de sectes à Tramelan?
Une rumeur de clocher démentie
LES JEUNES À LA PAGE
Chaque mois, la page Faceyoung offre à des jeunes la
possibilité de s’exprimer sur le
sujet de leur choix. Ce mois, on
vous livre la première des trois
pages rédigées par des élèves
du Gymnase français de Bienne.
Dans le cadre d’une semaine
d’études, avec le professeur en
enseignement religieux Vital
Gerber et son collègue Nicolas
Louvet, ils ont cherché à savoir
si la rumeur qui dit qu’à Tramelan il y a plus d’églises que de
bistrots était fondée. Loin de
tout sensationnalisme, leur enquête met à mal bien des idées.
SAHARA MAKELELA
Origine d’une rumeur. En
1973, les yeux des Suisses sont
braqués sur le petit village de
Tramelan, la Télévision suisse
romande (RTS) ayant décidé d’y
tourner un reportage sur les diverses communautés religieuses
existantes, à cette époque. Le reportage dénonce une augmentation exponentielle des mouvements religieux dans ce petit
bourg de quatre mille person-
nes. On y montre un Tramelan
froid, fermé, où se mélangent
différentes croyances. On croit
alors avoir découvert un no
man’s land de religions en tout
genre. Le village défraie la chronique, allant jusqu’à capter l’attention de l’hebdomadaire satirique français «Le Canard
Enchaîné». Ce dernier publiera
un article où Tramelan est présenté comme le carrefour des
sectes. La rumeur est lancée: il y
a un petit village en Suisse où la
grande majorité des résidents feraient partis d’une secte. Et cet
avis est encore partagé par certains, aujourd’hui.
9 églises, 0 secte
Moins d’un demi-siècle plus
tard, le village a tenu à redéfinir
son image en organisant un cycle
de quatre conférences sur les religions en Suisse. C’est dans ce
cadre que nous nous sommes
rendus à Tramelan afin de constater par nous-même du bienfondé, ou non, de cette image
péjorative.
Notre enquête débute par une
visite des différents monuments
importants du village, aussi bien
Tramelan compte beaucoup d’églises et de communautés religieuses par rapport à la densité de sa
population. Le nombre de ses restaurants est, lui, encore plus important. N. HAGER
culturels que religieux. Nous
sommes tout d’abord accueillis
chaleureusement par Hervé
Gullotti, chancelier à la mairie,
dans la salle de réunion communale. Après nous avoir parlé des
différentes communautés établies au village, il accepte volon-
tiers de répondre à nos questions. A l’évidence, il y a beaucoup de communautés religieuses à Tramelan. Mais il n’y en a
pas trente, comme l’annonçait la
RTS. On n’en recense que neuf.
Selon Hervé Gullotti, ces communautés vont à l’encontre de
Mais qu’est-ce qu’une secte ?
L’avis des Tramelots
On a beaucoup parlé de la réputation de village sectaire que traîne Tramelan, mais très
peu de la vision de ses habitants à ce sujet.
Nous sommes donc descendus dans la rue afin
de soumettre un sondage à cette population
qui nous a répondu de manière très chaleureuse. La plupart des intervenants sont conscients de l’existence d’un certain nombre de
communautés religieuses. Mais nous avons
constaté que l’estimation de ce nombre variait
considérablement selon l’âge des personnes
interrogées. Les citoyens de plus de quarante
ans supposent en général qu’il y en a plus d’une
trentaine notamment à cause d’un article paru
dans «Le Canard Enchaîné» et d’une émission
de la RTS. En revanche, une population plus
jeune, entre seize et vingt-cinq ans, articule un
sa propre définition d’une secte
de par leur ouverture d’esprit et
leur esprit d’engagement. En effet, nous constatons que beaucoup de membres de communautés religieuses se portent
bénévoles dans divers secteurs
tels que le sport ou la musique.
De plus, ces diverses communautés se montrent ouvertes et
organisent même parfois des activités en commun. C’est ce que
nous confirmera par la suite
Philippe Kneubühler, pasteur de
l’Eglise réformée des lieux.
A première vue, donc, ces
communautés semblent loin de
la définition du mot secte que
nous a fait Jean-François Mayer
(lire ci-dessous), spécialiste des
religions en Suisse, venu tenir
une conférence sur le paysage
religieux en Suisse. «L’idée de
vouloir établir une liste de sectes
pose problème. Impossible de
trouver des critères fixes et satisfaisants. Une approche pragmatique du problème est mieux adaptée.» Ce qui est sûr, en tout cas,
c’est que nous n’avons pas trouvé
de traces d’adeptes de la scientologie ou de Témoins de Jéhovah,
plus présents en milieu urbain.
Quant aux Eglises officielles, elles comptent de moins en
moins de pratiquants. Les gens
se disent plus librement sans
croyances particulières. Tendances à la hausse touchant
même les villages de campagne,
comme Tramelan.
Selon la définition de l’Office fédéral de la
police (OFP): «Les sectes sont des communautés de croyance, de nature religieuse ou
philosophique, ayant causé des controverses au sein du public.»
Pour l’historien Jean-François Mayer, à la
tête de l’institut de recherche sur les faits
religieux Religioscope, lorsque l’on veut définir le mot secte, «on se retrouve face à un
choc des définitions.» La secte au sens théologique est définie par rapport à une dogmatique. Est sectaire celui qui contredit ou se
coupe de la théologie communément admise. Si on entend le terme de secte au sens
sociologique, il faut se baser sur d’autres
critères. On distingue ici l’Eglise, institution publique et majoritaire, qui a un lien
chiffre variant entre cinq et dix, alors que la
plupart des enfants vont jusqu’à ignorer leur
existence. L’intérêt de la question augmente
avec l’âge. De plus, les interrogés ne voient pas
ces communautés comme ayant à leur tête un
gourou ou demandant une participation financière obligatoire mais plutôt comme des
groupes ayant leur propre interprétation de la
Bible. Dans tous les cas, les Tramelots disent
ne pas être dérangés dans la vie de tous les
jours par cette présence. On nous a fait remarquer qu’une personne de passage ne noterait
pas la moindre existence de ces communautés. C’est un sujet dont on ne parle qu’occasionellement du fait que les Tramelots ne s’y intéressent que très peu et ne veulent pas juger
sans connaître. DAMIEN CARNAL
avec l’Etat, de la secte, qui suppose un engagement de ses fidèles et une distance avec
ledit Etat.
Puis, il y a le mot secte envisagé dans un
sens polémique. Dans ce cas, des acteurs extérieurs vont définir la secte en tant que
problème de société, considérant comme
un groupe déviant, source de danger, des
personnes ayant perdu tout sens d’autonomie. Cette idée est présente dans les définitions officielles, puisqu’on parle régulièrement de «dérives sectaires», par exemple.
Lorsque le mot «secte» est utilisé aujourd’hui par la population ou dans les médias, c’est dans le sens polémique. La secte
est alors perçue comme un groupe dangereux. SAHARA MAKELELA
PHOTOS: JORDAN MONBARON
=TRAMELAN, SES 22 CAFÉS ET SES 9 COMMUNAUTÉS RELIGIEUSES: BOIRE OU PRIER, FAUT-IL CHOISIR?
Sandrine Kaplan tient l’Escalier à la rue Albert-Gobat depuis 2009, un ancien garage transformé en bistrot.
«Les gens parlent de la réputation de Tramelan sans vraiment l’avoir contrôlée. Il y avait peut-être plus de
communautés et d’Eglises avant mais, aujourd’hui, elles se sont rapprochées et il n’y a aucune hostilité entre
elles. L’Escalier est fermé le dimanche donc je ne sais pas si les gens vont prendre l’apéro dans un café après
le culte, mais c’est probable. Il n’y a aucune influence des Eglises sur la consommation d’alcool de leurs
membres; certaines religions interdisent la consommation mais elles sont assez minoritaires cela n’a donc pas
d’influence sur la marche des affaires. Tramelan a cette image spéciale qu’on lui prête sans que ça soit
foncièrement vrai. A cela, j’ajouterais que cette diversité religieuse ne pose aucun problème; il n’y pas de
conflit ou quoi que ce soit. Par contre, il n’y a pas encore de mosquée (sourire).» JORDAN MONBARON
Noël Morgenthaler, propriétaire du restaurant de la Place à la Grand-Rue. «Je tiens ce restaurant depuis le
mois de juin dernier. J’ai déjà entendu parler de la réputation de Tramelan et, d’après les dires, ça serait plus
ou moins fondé. Certaines communautés n’autorisent peut-être pas à leurs membres le droit de venir dans un
bistrot, mais ça n’influence pas plus que ça la fréquentation des bistrots. La religion reste un choix que je
respecte. Il y a l’église protestante juste en face et, le dimanche, je n’ai pas spécialement des clients qui
sortent de l’église et qui viennent ici. Tramelan n’est pas vraiment spécial par rapport aux églises, c’est un
village spécial tout court (rires). C’est dommage qu’ici les gens sortent peu dans les bistrots du coin et il ne faut
pas s’étonner que les petits commerces ferment. Ce n’est pas en rapport avec les églises, mais Tramelan est
spécial pour ça; les gens sortent peu de manière générale et c’est bien dommage.» JORDAN MONBARON

Documents pareils