Gône et Mâchon

Transcription

Gône et Mâchon
Gône&Mâchon
Po r tfo l io
I l e s t ar r i vé !
Ar r ière-c uisin e
Le s co u l is s e s d’u n bo uc ho n
Gône&Mâchon
MAKE
LIFE
TAST Y
spécialités lyonnaises
Tout n’est
pas dans le
cochon
INTERVIEW
Têtedoie vs.
Viannay
ENQUÊTE
Du surgelé dans
votre assiette
IDÉES !
Lyon s’adapte
N°1 NOV.- DÉC.
Alexandre Bassette
Rédacteur en chef
Gône&Mâchon
Oui,
mais encore ?
47 rue Sergent Michel Berthet
69 009 Lyon
Tél.: 04 72 85 71 73
Fax.: 04 72 85 71 99
www.goneetmachon.wordpress.com
Éditorial
RÉDACTION :
Directrice de la publication :
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Flora Chaduc
Damien Corneloup
Etienne Guinet
Julie Morisod
Emilie Lamine
Remerciements :
Chantal Guyot et Patricia Alexandre
du magazine Gault&Millau
pour leur aide précieuse
Maquette inspirée du bi-mensuel
Gault&Millau
2 | G&M n°1 novembre-décembre 2012
L
a gastronomie à Lyon. Regards suspicieux autour de la table.
La rédaction a les crocs de bonnes idées, mais c’est la panne.
En délocalisant, on pourrait parler de trou normand. C’est juste
un trou noir intellectuel. La gastronomie à Lyon : oui, mais encore ?
Les langues se délient. Le mot « bouchon » frémit timidement sur
les lèvres. En guise d’amuse-bouche une promenade dans le VieuxLyon. Un détour par la rue des Marronniers. Troisième à droite
jusqu’à la rue Mercière. Un arrière-goût de tourisme culinaire.
Le museau de porc réveille les papilles. Le goût des quenelles traine
sur le palais. Un coussin lyonnais sucre la langue pour terminer.
Spécialités lyonnaises et autres clichés. Entrée, plat, dessert et
sieste digestive conseillée. Oui, mais encore ? Paul Bocuse ! Chef
parmi les chefs dans le petit monde de la gastronomie lyonnaise.
Gastronomie lyonnaise ? Le sujet n’était-il pas la gastronomie à
Lyon ? C’est une piste à suivre. La distinction entre gastronomie
lyonnaise et gastronomie à Lyon pimente la discussion : c’est du
lard ou du cochon ? Cherchons plus loin. Le Larousse donne
Connaissance de tout ce qui
se rapporte à la cuisine, à l’ordonnancement des repas, à l’art de
déguster et d’apprécier les mets. » Pour la partie « à Lyon », inutile
de fouiller trop loin : il faut juste renouveler sa carte de transports en
commun et jeter toutes les autres pour ne pas s’éloigner du centreville. Il n’y a plus qu’à ouvrir grand ses papilles et commencer un
tour du monde des saveurs. Oui, mais encore ? La gastronomie à
Lyon. Vaste sujet...
Pour aller plus loin, rendez-vous
16
sur goneetmachon.wordpress.com
4 Portfolio
Cité de la gastronomie
Lyon met les petits plats dans les grands
8 So Historic
Lyon, capitale de la gastronomie
Frise gastrologique
10
10 Chefs en vue
Interview croisée
Christian Têtedoie - Mathieu Viannay
Photos : Julie Morisod - Alexandre Bassette
6 Amuse-bouche
12 Enquête conso
Ambiance glaciale
dans les assiettes des consommateurs
14 Hygiène
Contrôle qualité
15 So school
Institut Paul Bocuse : CV étoilé
16 Dossier
Entre identité et diversité culinaire
15
Photo : Vincent Ros
26 Focus
Lyon à l’heure
des nouveaux concepts
27 Enquête tourisme
Une savoureuse visite
29 So Lyon
La guerre des bouchons
30 Arrière-cuisine
Une nuit au « Musée »
32 Quiz
30
n°1 novembre-décembre 2012
G&M | 3
Photo : Etienne Guinet
Photo : Priscyllia Canabate
Sommaire n° 1
Portfolio Beaujolais Nouveau
4 | G&M n°1 novembre-décembre 2012
Beaujolais’ Day
Terrasses improvisées. Charcuteries bien
disposées. Bouteilles débouchées. Pas
de doute, le Beaujolais Nouveau est
arrivé. « Venez le goûter ! ». « Approchez,
approchez
!
».
Les
commerçants
haranguent la foule. Personne ne sait
vraiment où donner de la tête. Il y aurait
près de 2 500 variétés différentes à
déguster. Alors, il y a ceux qui refusent
poliment, ceux qui acceptent avec plaisir
et ceux, un peu hors sujet, qui préfèrent
des huîtres. « Il a un arrière-goût de
banane ? », demande-t-on par habitude.
Plutôt pêche de vigne, selon les dires.
Surtout, il devient vite trop frais. Glacé,
même. Mais ça ne gâche pas la fête.
« L’important, dit-on, c’est de passer
un bon moment. » Cette année, petite
production ; moitié moins importante que
l’an passé. Le sens du partage de certains
est si grand que lorsqu’ils apprennent la
nouvelle, ils préfèrent ne pas se resservir
et passer au vin chaud.
Par Alexandre Bassette
PHOTOS MAXIME LELONG
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G&M | 5
Amuse-bouche
CITÉ DE LA GASTRONOMIE
Succès incertain
Considérée comme la capitale historique de la gastronomie française,
Lyon est en compétition avec quatre autres villes pour accueillir la cité
de la gastronomie. De nombreuses informations, parfois, contradictoires,
circulent sur sa candidature. Décryptage.
TEXTE DAMIEN CORNELOUP
L
a cité de la gastronomie est un
L’aspect culinaire a bien entendu été pris
projet à l’initiative de l’Unesco,
en compte, les spécialités de chaque ville
être connus au mois de janvier prochain,
qui a ajouté le « repas français »
et leur légitimité à concourir dans cette
après un examen détaillé de toutes les
à son patrimoine immatériel en 2010. La
compétition
candidatures.
compétition regroupait au départ six villes.
localisation des villes est aussi un facteur
Lyon, Beaune, Tours, Dijon et Chevilly-
important. Ainsi, Tours et Chevilly-Larue,
UN PARCOURS DIFFICILE
Larue/Rungis sont toujours en compétition.
situées à moins d’une heure de Paris, ainsi
Malgré sa réputation culinaire internationale,
La sixième, Versailles, a retiré sa candidature
que Lyon, de par sa position centrale,
Lyon n’est pas assurée de remporter la
ayant
été
observées.
La
possèdent un avantage. Le jury a également
est supervisée par la Mission Française du
tenu compte de la faisabilité économique
Patrimoine et des Cultures Alimentaires
du projet. Toujours selon le ministère de
parsèment encore son parcours. En premier
(MFPCA), organisme qui a porté le dossier
de candidature du « repas français », et
par le ministère de la Culture. C’est l’une
des obligations de l’État français suite
à l’inscription au patrimoine immatériel
de l’Unesco. Concrètement, la cité de la
gastronomie consiste en la construction,
dans
la
ville
victorieuse,
d’un
grand
complexe qui aura pour but de « mettre en
valeur le patrimoine alimentaire français ».
Il contiendra de nombreux restaurants,
des marchés, un centre de formation, ainsi
que d’autres établissements entièrement
consacrés à l’art culinaire. Toutes les villes
encore candidates ont été auditionnées
Photo : Damien Corneloup
le 15 octobre dernier, au ministère de la
Culture. Elles ont présenté leur projet face à
un jury composé de sept administrateurs de
la MFPCA, dont son président, Jean-Robert
Pitte. Le ministère de la Culture précise
que plusieurs critères ont été examinés.
6 | G&M n°1 novembre-décembre 2012
L’Hôtel-Dieu doit accueillir la cité de la gastronomie en cas de victoire de Lyon.
Infographie : Damien Corneloup
Collomb, sénateur-maire socialiste de Lyon,
projet semble passionner peu de monde
réputation
a déclaré en septembre : « Pas un seul
à Lyon. Un manque d’enthousiasme qui
ville. Sans oublier que la cité deviendra
investisseur privé ne s’est déclaré intéressé
s’expliquerait par le fait que la ville aurait
également la représentation physique de
pour participer au projet. » Un projet qui
peu à gagner, mais beaucoup à perdre
la qualité de la cuisine française auprès de
coûterait au minimum 18 millions d’euros,
défaut comme la capitale mondiale de la
posait alors question et Gérard Collomb
gastronomie, elle ne pâtirait que peu de
a longtemps montré peu d’enthousiasme
l’absence de la cité de la gastronomie.
vis-à-vis de cette compétition. Lors du
L’incidence
rassemblement
négligeable, car la réputation culinaire de
soutien
au
projet
historique
de
la
l’Unesco.
selon la mairie. La candidature de Lyon
de
culinaire
sur
le
tourisme
serait
Lyon ne changera pas, selon les détracteurs
l’opposition de droite sont même apparues
du projet qui le jugent trop coûteux.
aux côtés des chefs des Toques Blanches.
Plusieurs articles parus dans la presse
Finalement, le maire de Lyon a trouvé un
régionale de tout l’hexagone ne manquent
LE PROJET
LYONNAIS EN
CHIFFRES :
pas de faire des pronostics. Infos ou intox,
18 MILLIONS D’EUROS
avec le groupe de BTP Eiffage et s’est posé
on observe que Lyon n’est jamais déclarée
Coût du projet de la cité de la gastronomie,
en défenseur du projet avant l’audition du
vainqueur. Dijon et Tours seraient en tête,
dont 15 millions pour l’installation dans
15 octobre. Quinze jours plus tard, Gérard
suivies par Chevilly-Larue qui terminerait le
Collomb dévoile le projet lyonnais : la cité
podium. Gazetteinfo, site d’information de
moitié par le groupe Eiffage.
Dieu, et fera partie du projet de rénovation
lyonnaise a fait preuve d’arrogance durant
15 000 M²
de cet hôpital historique de Lyon. Le maire
son audition au ministère de la Culture,
Surface de la potentielle cité de la
est désormais persuadé que la cité sera
une attitude qui aurait déplu au jury. Des
gastronomie, qui se situera dans la partie la
informations à prendre avec des pincettes,
plus ancienne de l’hôpital et dont 1 500 m²
point fort du dossier : « Sans vouloir faire
certes, mais qui pourraient inquiéter la
seront situés à l’extérieur, en jardin. La cité
de mauvaise publicité à certaines autres
candidature lyonnaise.
se tiendra sur quatre niveaux.
villes en compétition, le projet lyonnais,
Malgré les obstacles, Lyon reste toutefois
contrairement à celui d’autres candidats,
en compétition pour accueillir la cité de la
64
gastronomie, qui deviendrait assurément
Nombre de chefs étoilés qui soutiennent le
une
projet lyonnais, emmenés par Paul Bocuse.
de la gastronomie sera aménagée à l’Hôtel-
en œuvre à court terme. » Néanmoins, ce
concrétisation
symbolique
de
la
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G&M | 7
So Historic
Antiquité :
Lugdunum (Lyon), de part sa position centrale détient le
monopole du commerce du vin. Les Romains, en s’y installant
1759 :
1926 :
Première mention d’une « mère » lyonnaise
La première école de
avec la « Mère Guy ». Près d’un siècle plus
cuisine de France est
créée à Lyon, par les chefs
amènent des spécialités de l’Empire. Le cuisinier Septimanus,
« Mère Guy », sera surnommée « la génie »
qui tenait une auberge à Lugdunum, s’est fait connaître par son
Marius Vettard et Alain
Mennweg.
talent à cuisiner, notamment, le cochon.
Fin du XVIIIe siècle :
Lyon et y introduit les glaces, qui
1532 :
deviendront l’une des spécialités
François Rabelais, médecin à Lyon, publie
de la ville.
la première édition de « Gargantua »
dans cette ville. Les références culinaires
du célèbre texte sont fortement inspirées
de la cuisine lyonnaise. « Gargamelle
Début du XIXe siècle :
après avoir mangé grand planté
majeure de la production
Lyon devient une capitale
de bière et de pâtes,
de tripes. » Le texte a contribué à
populariser au niveau national la cuisine
concurrençant les pâtes
lyonnaise.
italiennes.
XVIe siècle :
Catherine de
Médicis fait venir des
pour améliorer la
cuisine française et
1600 :
1837 :
Le mariage entre le Roi
Stendhal publie un
Henri IV et l’Italienne Marie
éloge de la cuisine
de Médicis, célébré à
lyonnaise :
Lyon, contribue davantage
« Je ne connais
au mariage des saveurs
qu’une chose que
lyonnaises et italiennes.
beaucoup. Les
1783 :
« abats » (tripes,
Le premier livre de recettes
etc.) se banalisent
l’on fasse très bien
à Lyon, on y mange
admirablement, et,
1933 :
de gastronomie lyonnaise
selon moi, mieux
Eugénie Brazier et Fernand
à Lyon pendant
est publié : « La cuisinière
qu’à Paris. »
Point obtiennent trois étoiles.
cette époque de
bourgeoise » d’Amable Leroy.
1934 :
Le gastronome Maurice
la Renaissance.
Edmond Sailland, alias
L’humaniste Erasme
Curnonsky, enchanté par
fait l’éloge de
1801 :
Fin XIX siècle :
la gastronomie
Joseph de Berchoux publie
Les célèbres « mères »
lyonnaise : «On n’est
un poème précurseur nommé
(dont la fameuse Eugénie
pas mieux traité
« Gastronomie ou l’homme des
Brazier), quittent leurs
chez soi qu’on ne
champs à table », qui fait l’éloge
foyers pour se mettre
l’est à Lyon dans une
de l’art culinaire lyonnais. La
à leur compte. Elles
hôtellerie ».
réputation de la gastronomie
deviendront un pilier de la
réputation culinaire de Lyon à
lyonnaise s’en est trouvée
réputation mondiale de la
l’international.
renforcée avec ce poème.
gastronomie lyonnaise.
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e
la cuisine des « mères » et
des bouchons, annonce
que « Lyon est la capitale
mondiale de la gastronomie ».
Une déclaration qui lance la
Les années Bocuse
1965 :
Paul Bocuse obtient trois
étoiles, qu’il possède
toujours aujourd’hui.
De l’Antiquité à nos jours,
1997 :
Lyon a été et reste une ville
L’Association de défense des
bouchons lyonnais attribue
majeure dans l’art culinaire.
désormais un label nommé
« Authentique Bouchon Lyonnais »,
Quels sont les évènements qui
plus anciens et les plus typiques.
ont fait la réputation de la ville ?
Comment a-t-elle obtenu son titre
1987 :
Paul Bocuse crée
le « Bocuse d’Or »,
concours mondial
pour la cuisine, qui
se tient à Lyon.
de « capitale mondiale
de la gastronomie » ?
Élements de réponses.
TEXTE DAMIEN CORNELOUP
© LeFotographe.com
INFOGRAPHIE GUILLAUME BERNILLON
1989 :
Paul Bocuse est
élu « Cuisinier du
siècle» et « pape
de la cuisine » par
Gault et Millau.
1990 :
2012 :
Création de l’Ecole des
Paul Bocuse, qui détient
Arts Culinaires et de
plusieurs restaurants à Lyon,
l’hôtellerie ou Institut
opère toujours. De nouveaux
Bocuse. Le Chef en est
chefs-cuisiniers lyonnais
président d’honneur.
font vivre la gastronomie
lyonnaise, dont Christian
Têtedoie ou Mathieu
Viannay (héritier de la Mère
Brazier et élève de Paul
Bocuse).
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G&M | 9
Chefs en vue
Christian
Têtedoie
«Il y a tellement d’offre que
les gens sont de plus en plus
exigeants »
Pourquoi
la
considérée
ville
comme
de
Lyon
capitale
est-elle
observe une montée des bistrots face
de
aux bouchons traditionnels. Comment
la
L’un rêvait de devenir
cuisinier à onze ans, en
découvrant l’ouvrage
« La cuisine du marché »
de Paul Bocuse ; l’autre
a repris en 2008, l’un des
restaurants pilier de la
ville de Lyon, La mère
PROPOS RECUEILLIS PAR EMILIE LAMINE
expliquez-vous cette évolution ?
Christian Têtedoie : Lyon a une histoire
C.T. : Forcément les cuisiniers sont très
tellement chargée que le statut de capitale
attachés à surligner la sélection de leurs
de la gastronomie s’impose naturellement.
clients. Aujourd’hui, on s’aperçoit que
Nous avons eu à travers les siècles, de
les gens n’ont pas forcément toujours
nombreuses personnes qui se sont chargées
les moyens d’aller dans les restaurants
justement de créer une cuisine particulière,
gastronomiques alors beaucoup de chefs
de goût et généreuse, à base de produits
ouvrent des bistrots, qui se situent entre le
simples. Ensuite, il y a un garde-manger
bouchon et le restaurant gastronomique.
autour de la ville assez exceptionnel ! Où
Ce sont des endroits avec d’autres types
que l’on se tourne, en Ardèche, dans l’Ain,
de cuisine, des produits plus simples,
etc., il n’y a que des beaux produits.
donc avec un goût et une matière moins
Mathieu Viannay : On a de la chance
importants.
s’approprier lui-même et faire quelque
car Lyon se trouve dans un carrefour
M.V. : L’un n’empêche pas l’autre, c’est
chose de cohérent dans sa cuisine, qui doit
géographique avec une multitude de
normal. Les gens ont besoin de diversité.
être en adéquation avec son lieu, la salle
produits. On a une région très riche avec
Il y a beaucoup de jeunes qui ont ouvert
et l’ambiance. Quand je suis arrivé à Lyon,
beaucoup d’appellations contrôlées, que
faire de la
je n’avais travaillé chez aucun chef et j’ai
ce soit pour les vins avec la Bourgogne, le
bistronomie », ça ne veut rien dire. C’est
toujours fait ce que j’avais envie de faire.
Beaujolais au nord, la vallée du Rhône au
toujours de la cuisine. Ce sont des jeunes
Il y a de la place pour tout : modernité et
sud, même les vins de Savoie à l’est. Pour
qui ont travaillé dans de grandes maisons,
tradition dans la modernité. L’important,
les produits, on peut trouver toutes sortes
qui ont appris dans des restaurants étoilés
c’est de ne pas tricher avec les produits et
de fromages, la volaille de Bresse dans
et qui font partager leur savoir souvent avec
leur qualité.
l’Ain, il y a les légumes et les fruits dans la
un bon rapport qualité-prix.
vallée du Rhône, l’Auvergne à côté. On a de
Photo : Alexandre Bassette
gastronomie ?
Quel sera l’atout d’un nouveau chef,
Pour un chef qui vient s’installer à Lyon,
non Lyonnais ? S’il doit garder ces
faut-il vraiment s’approprier les codes
codes-là, que peut-il réinventer dans la
des bouchons et des traditions de Lyon ?
gastronomie lyonnaise ?
C.T. : Ça me parait important. Le client
C.T. : Ce n’est pas gênant de garder ces
qui vient de l’international a quand même
codes, la cuisine française est toujours en
envie de découvrir cette fameuse cuisine
mouvement et se reconstruit constamment.
lyonnaise et je crois que c’est le rôle d’un
On dit que les cuisiniers français sont
Lyon se base sur la tradition de la
chef d’auto-promouvoir son terroir.
prétentieux, pour moi c’est une grosse
gastronomie
M.V. : Pas du tout ! Je pense qu’il doit déjà
erreur. Ils ont toujours eu l’œil aguerri pour
beaux produits et donc de bons restaurants.
Les gens ont toujours eu cette tradition de
la table et de se retrouver à table. On dit
d’ailleurs : « À Lyon, au travail on fait ce que
l’on peut mais à table on se force. » C’est
un peu ça.
française,
10 | G&M n°1 novembre-décembre 2012
pourtant,
on
Brazier, dans le quartier
de la Croix Rousse. Les
deux chefs cuisiniers,
Christian Têtedoie et
Mathieu Viannay nous
parlent de l’évolution de
la gastronomie dans la
ville de Lyon.
Mathieu
Viannay
« La gastronomie à Lyon,c’est
la cuisine, ce n’est pas la
cuisine lyonnaise »
Photo : Julie Morisod
Aujourd’hui,
y
a-t-il
une
demande
différente des clients, dans le choix des
C.T. : Absolument. Lyon est une ville
menus par exemple ?
traditionnellement
C.T. : C’est tellement en mouvement que
justement une cité expérimentale. Quand
depuis bientôt trente ans et j’ai vu l’envie
produit, elle le lance d’abord dans la région
des gens changer constamment. C’est à
parce que les clients sont exigeants. Si ça
nous de nous adapter très rapidement à ces
passe à Lyon ça passera partout. Mais le
nouvelles tendances. Donc effectivement
contraire peut aussi arriver.
cela peut se traduire par de nouveaux plats
M.V. : Oui, car il y a une clientèle de
et de nouvelles formules au menu.
connaisseurs donc ce n’est pas simple. Par
M.V. : La demande va surtout vers des beaux
contre, je pense que si on réussit ici, on peut
produits et évidemment un bon rapport
réussir ailleurs.
réputée
pour
être
qualité-prix parce que l’on vit une période
prendre ce qu’il y avait de meilleur ailleurs
assez compliquée économiquement. Les
La gastronomie à Lyon, ce n’est pas
et la capacité de repuiser dans la tradition
gens ont toujours envie de découverte et en
seulement la gastronomie lyonnaise ?
pour mieux moderniser nos plats.
même temps besoin de repères. On change
C.T. : Alors là vous avez parlez d’un mot :
M.V. :
nos menus à chaque intersaison, en fonction
gastronomie... Il faut plutôt parler de
cuisine
des périodes, des racines, des truffes, des
cuisine. La différence est importante parce
merveilleuse, quel que soit son style de
légumes de printemps, etc. Seuls quelques
que la cuisine française est à mon avis une
cuisine. C’est vraiment la base.
plats restent.
des seules qui puisse se targuer d’être
Il pourra trouver des produits
merveilleux,
donc
faire
une
gastronomique. Tant qu’on parle de cuisine,
Trouvez-vous que ce soit le cas à Lyon ?
En ce moment, que faut-il adapter le
qu’elle soit française ou pas, si elle est bien
Quels sont les exemples ?
plus ?
faite, elle a sa place à Lyon.
C.T. : Oui, regardez le succès de Joseph
C.T. : On arrive à un moment où il y a
M.V. : La gastronomie à Lyon, c’est toute la
Viola qui est Meilleur Ouvrier de France.
tellement d’offre que les gens sont de plus
cuisine, pas seulement la cuisine lyonnaise.
Il a choisi de se mettre justement dans la
On peut faire de la cuisine contemporaine
formule bistrot. Il fait une très jolie cuisine
des cartes qui soient attractives, aussi bien
ou autre. Mais on est proche de terroirs,
et ça marche très bien.
au niveau des prix que dans la qualité de la
donc on utilise des produits de notre région.
M.V. : Il y a plein de jeunes comme au Jean
carte. Des plats qui soient à la fois dans la
Cela ne nous empêche pas de sortir du
Moulin, sur les quais, ou le Palégrié. Ce sont
tradition mais aussi dans la modernité.
registre traditionnel lyonnais.
des bistrots qui ont ouvert il y a un an. Ces
M.V. : Je ne sais pas. L’important c’est le
jeunes ont créé de belles maisons et se sont
travail, il n’y a que cela qui fasse réussir. Si un
approprié leurs restaurants, souvent avec
jour vous vous levez en vous disant que c’est
des cartes très courtes. Ils sont très bons.
gagné, c’est que ça commence à être perdu.
n°1 novembre-décembre 2012
G&M | 11
Enquête conso
Le surgelé refroidit
Livraisons et produits
surgelés, bons
ou mauvais.
Le milieu de la
restauration est
parfois loin de ce que
le consommateur
imagine, même si tout
le monde n’est pas à
mettre dans le
même sac.
TEXTE PRISCYLLIA CANABATE
P
Le plus gros inconvénient avec les produits frais : leur conservation
lus de 60 producteurs de fruits et
fiabilité dans l’approvisionnement et gain
légumes sur 35 000 m2 de surface.
de temps et d’argent. Parmi ces produits,
Repères
Il s’agit du second marché de gros
du frais, mais aussi du surgelé. Une
alimentaire de France : Lyon-Corbas.
surprise pour bien des consommateurs.
Facile alors d’imaginer les chefs lyonnais
Si certains restent indifférents, d’autres
quatre conditions :
se ruer sur les étals, choisir avec soin fruits
se disent déçus. « Je vais au restaurant
> le refroidissement doit être précoce,
et légumes avant de retourner en cuisine
pour manger des produits de qualité. »
immédiatement après la fabrication d’un
mijoter un plat pour le service du midi. La
Aurélien
plat cuisiné ou quelques heures après la
réalité est souvent toute autre. Six heures
restaurant Le Potiquet joue dans le camp
récolte d’un légume
du matin. Des camionnettes investissent
des produits frais : « Pour moi, c’est une
> le refroidissement doit être rapide à très
les rues lyonnaises. Les commis s’activent
ligne de conduite. J’aurais du mal à avoir
basse température (-30 °C à -50°C)
déjà
aucune
des plats de qualité avec du surgelé. »
> aucune transformation ultérieure n’est
casserole n’est encore sur le feu. Les bras
Aucun doute, le surgelé a mauvaise
autorisée sur un produit surgelé
disponibles s’activent pour décharger les
image.
> la température de conservation doit être
produits commandés.
Mais pour un collaborateur de Davigel,
inférieure à – 18°C
Renseignements pris, à l’ère du « tout
fournisseur
plus rapide » de nombreux restaurateurs
groupe Nestlé, qui a tenu à garder
La surgélation permet de garantir la
préfèrent se faire livrer. La pratique est
l’anonymat : « C’est une question de
sécurité sanitaire, les valeurs nutritionnelles
très courante. Produits bruts ou élaborés,
génération
et le goût des produits.
les catalogues des fournisseurs sont
mais pas de goût. » L’erreur reposerait
La congélation est simplement l’équivalent
inépuisables. On trouve de tout. Les
sur la distinction avec le congelé, une
domestique avec un refroidissement moins
raisons de cet engouement : facilité et
méthode de conservation plus tardive qui
rapide à une température moins froide.
en
cuisine.
Pourtant,
12 | G&M n°1 novembre-décembre 2012
Gourrat,
de
et
chef
produits
cuisinier
surgelés
d’habitudes,
du
Un produit « surgelé » doit respecter
du
d’image,
les consommateurs
CONFUSION À LA CARTE
Alors, comment savoir ce qui est servi
dans l’assiette ? Difficile de distinguer
un produit frais et préparé sur place,
d’un surgelé de qualité, brut ou élaboré.
Pour pallier au problème, l’État et les
représentations professionnelles créent
en 2007 le titre de Maître Restaurateur.
« C’est la garantie pour le client que
la cuisine est faite sur place, par un
professionnel »,
résume Patricia de
Figueirédo, de l’association française
des Maîtres Restaurateurs. Pour obtenir
le titre, les conditions sont nombreuses
(lire Focus). Parmi elles, l’établissement
s’engage à utiliser moins de 10% de
produits surgelés. « Cela nous permet
de nous différencier, explique Aurélien
Gourrat du Potiquet, de distinguer ceux
qui font la cuisine et les autres. » Un
autre restaurateur titré tempère : « C’est
surtout une manière d’être reconnu sans
adhérer à des associations telles que
les Toques Blanches ou les Gueules de
Lyon, avant de souffler que, le crédit
Qui peut devenir maîtrerestaurateur ?
Tout restaurateur peut demander à
être le dirigeant d’une entreprise de
restauration traditionnelle et répondre à de
le cahier des charges.
Les règles concernent la formation du
candidat, l’origine et la transformation
des produits utilisés, la décoration,
l’aménagement intérieur et extérieur du
restaurant ainsi que le respect des règles
d’hygiènes.
Ce cahier des charges impose une cuisine
« authentique » réalisée sur place avec
une majorité de produits frais (90%), ne
recourant pas à l’assemblage ou à des
plats déjà préparés.
d’impôt qui accompagne le titre n’est pas
négligeable. » En effet, le restaurateur voit
ne garantit pas les bienfaits nutritionnels
le montant de ses impôts réduit à hauteur
et gustatifs du produit (lire Repères).
de la moitié des dépenses nécessaires à
« Les surgelés peuvent être très bons.
la mise en conformité, avec le cahier des
Nous sélectionnons avec attention nos
charges de Maître Restaurateur. Pourtant,
fournisseurs. 60% des produits sont
la mesure ne convainc pas tout le monde.
d’origine France et chaque lot subit une
À Lyon, ils sont seulement 12 à porter
série d’analyse pour s’assurer de leur
ce titre, mais bien plus à ne pas utiliser
qualité. Après, tout dépend comment ils
exclusivement des produits surgelés.
sont cuisinés. Pour le consommateur, il
Maître
vaut mieux un produit surgelé bien préparé
Meilleur ouvrier de France. Etc. Au
plutôt que des produits frais, congelés
milieu de toutes ces reconnaissances, le
par le restaurateur, qui risqueraient de
consommateur est perdu. Pour clarifier la
devenir secs, de perdre leur goût, voire
situation et permettre une lecture claire
leurs valeurs nutritionnelles. » Quant à en
du type de produits utilisés, en 2011
apprendre un peu plus sur l’étendue du
le député UMP Fernard Siré propose
marché du surgelé à Lyon : impossible.
d’inscrire sur la carte si les plats proposés
« On ne peut distinguer les restaurateurs
sont préparés sur place et à base de
qui achètent du surgelé pour les repas
produits frais et bruts. Mais rien n’a
des employés ou juste pour quelques
encore été fait. Reste à déterminer ce qui
ingrédients, de ceux qui basent leur
est le plus important dans une sortie au
cuisine exclusivement sur ces produits »,
restaurant : ne manger que des produits
explique l’employé de Davigel.
frais ou partager un bon moment.
restaurateur.
Maître
moyen d’un audit réalisé par un organisme
comme des entreprises de restauration.
rôtisseur.
Photo : Priscyllia Canabate
Photo : Priscyllia Canabate
Focus
Une fois préparé, difficile de
distinguer le frais du surgelé
n°1 novembre-décembre 2012
G&M | 13
Hygiène
Conforme sous toutes
les formes
Bien manger, ce n’est pas suffisant. Les restaurateurs sont soumis à de
nombreuses obligations vérifiées par des contrôles fréquents.
TEXTE EMILIE LAMINE
n’est faite ! Les peines encourues passent
d’une amende de 1 500 € à une fermeture
temporaire. Une tromperie sur les produits
peut même aboutir à 37 500 euros
d’amende et à la prison avec sursis.
« Il semble, au vu des plaintes que nous
recevons, que les consommateurs sont de
plus en plus attentifs à la qualité », souligne
Photo : Priscyllia Canabate
Hélène Brocheton de la DDPP. Un constat
formation : « Vu le nombre d’émissions
culinaires existantes, les consommateurs
sont
sensibles
aux
problèmes
d’hygiène. » Pourtant, 150 plaintes ont été
Après chaque préparation : nettoyage du plan de travail
U
plus
enregistrées en 2011, contre environ 120
à
sont réglées. Il reste souvent des petites
en 2012. Mais l’année n’est pas terminée et
n’importe quel moment dans
broutilles. » Les restaurateurs peuvent
ces chiffres ne prennent pas en compte les
n
les
contrôleur
peut
restaurants
arriver
lyonnais,
signalements anonymes ou téléphoniques.
seul,
parfois accompagné. Il ne s’agit pas de
d’éviter tout problème, en attendant un
contrôle du bureau d’hygiène.
clients sourient. Tout est passé au peigne
Sans surprise, le défaut de nettoyage est
CHIFFRES-CLÉS
le plus souvent relevé par les contrôleurs.
du personnel, températures de stockage,
En
denrées alimentaires et déchets.
d’aliments : « Les services d’hygiène
ce
qui
concerne
les
problèmes
> 600 restaurants contrôlés
De l’origine des viandes aux plans de travail
viennent plutôt après une plainte »,
dans le Rhône en 2012
abimés par les casseroles, chaque détail
constate le gérant du restaurant les Pavés
> 30 avertissements concernant
compte. Mais d’après Serge Capovilla,
de Saint Jean. Pour lui, « ces contrôles ne
le nettoyage ou les travaux à effectuer
inspecteur des fraudes au service protection
sont pas un problème. Au contraire ! Cela
> 40 procès-verbaux suite
de la qualité de l’alimentation à la
nous permet de nous rendre compte si l’on
à des manquements en matière d’hygiène
distribution, à la Direction départementale
est aux normes et irréprochables face à nos
> 2 fermetures provisoires,
de la protection des populations (DDPP),
clients. ».
avec obligation de remettre les locaux
en état avant réouverture
du Rhône : « Il y a peu de problèmes en
général. Les restaurants s’autocontrôlent et
L’ÉTÉ, C’EST CHAUD
> 150 avertissements, suivis
C’est pendant la période estivale que
d’un nouveau contrôle.
alimentaire obligatoire depuis 2011. Donc
les casseroles tremblent le plus. Du fast-
lorsque l’on passe, la plupart des choses
food
14 | G&M n°1 novembre-décembre 2012
au
bouchon,
aucune
exception
So school
N’est pas Bocuse
qui veut
Inscrit en lettres capitales sur un CV, le nom de Paul Bocuse ouvre des
portes aux étudiants de l’Institut, qui se referment si l’on ne se montre pas
à la hauteur.
TEXTE ALEXANDRE BASSETTE
U
niformes blancs. Dos bien droits.
Ustensiles et plans de travail
impeccables. Des réponses qui
fusent : « Oui, chef. » Si cela ressemble
à la cuisine d’un grand restaurant en
plein service, il n’en est rien. Ici, à part le
professeur, ils sont tous élèves et sont là
pour apprendre.
Le bachelor Arts Culinaires de l’Institut
Paul Bocuse, IPB pour les intimes, accueille
chaque année 75 apprentis originaires du
monde entier. Ils viennent chercher ce qui
Photo : Vincent Ros
a fait la renommée du chef français aux
quatre coins de la planète : l’excellence et la
rigueur. Mais ce n’est pas tout.
« Le nom de Bocuse joue beaucoup sur
le CV
l’an dernier, ça retient l’attention d’un
Les étudiants de l’Institut Paul Bocuse ont des étoiles plein les yeux
employeur. Ne pas l’avoir n’empêche pas
accélérée pour laisser le temps d’aller plus
« Le nom de Bocuse ne fait qu’ouvrir des
de trouver du travail, mais tout dépend de
loin. Sans parler de l’enrichissement que
portes. On attend des diplômés d’être à la
ce que l’on veut. Si on vise l’excellence ou
confèrent les rencontres avec de grands
hauteur, de faire leurs preuves. C’est presque
la normalité », tranche-t-il. Car l’institut ne
professionnels.
plus dur pour eux. La barre est placée très
raisonne pas que sur un nom célèbre. La
Cossec, Meilleur Ouvrier de France et star
haut. Ils doivent montrer leur volonté. »
DRH d’un groupe hôtelier, auquel appartient
de l’équipe enseignante.
Cours
de
cuisine
et
management de la restauration, un titre
« C’est une bonne école ». Mieux que les
gastronomique, travail de produits de
de responsable en cuisine et restauration
autres ? Catherine François, proviseur-
qualité, mise en pratique dans le restaurant
gastronomique, tous deux griffés au nom du
adjointe au lycée Hélène Boucher, qui
d’application
de
chef lyonnais, sont délivrés par l’IPB. Sous
forme au CAP cuisine, conteste : « Les bases
comptabilité, de gestion ou encore de
ces appellations pompeuses, un diplôme
sont les mêmes pour tout le monde. » Une
marketing. « La formation est très complète
auréolé de prestige pour lequel il faut
position qui ne convainc pas l’autre camp.
et donne toutes les clés pour réussir
débourser plus de 30 000 € en trois ans ; loin
« C’est comme si l’on comparait un CAP et
dans cette profession », résume Hadrien
un master en marketing, ironise Géraldine
Piscioneri. « Mais l’expérience prédomine,
Derycke de l’IPB, c’est le même domaine
renchérit-il, c’est un milieu où tout le monde
mais ce n’est pas le même niveau. Chez
se connaît, où le recrutement passe par le
inscrire le nom de Bocuse sur son CV n’est
nous, les bases sont étudiées en version
bouche-à-oreille. » Pour Géraldine Derycke :
pas donné à tout le monde.
et
traditionnelle
cours
théoriques
par l’alternance.
n°1 novembre-décembre 2012
G&M | 15
Dossier
Photo : Marie Perrin - Lyon Tourisme et Congrès
Lyon ne rime pas
qu’avec bouchon
16 | G&M n°1 novembre-décembre 2012
Ambiance typique, plats
typiques, déco typique :
le vrai bouchon lyonnais
Dans le paysage lyonnais,
la gastronomie s’impose
depuis des siècles comme une
institution majeure.
Entre tradition et cuisines
du monde, la ville profite
à la fois d’une diversité
peu comparable, et d’un
attachement constant de sa
population à la culture
de la table.
TEXTE MORGANE BULAND & JULIE MORISOD
n°1 novembre-décembre 2012
G&M | 17
Photo : Priscyllia Canabate
Dossier
Les étals lyonnais regorgent de spécialités venues des quatre coins du monde
«L
yon, capitale mondiale de
Du côté des vignobles, même constat,
manière qu’il serait réducteur de limiter la
la
des côtes du Rhône au Beaujolais en
Bretagne aux crêperies, et Strasbourg aux
passant par le Mâcon et le Bourgogne.
Winstub. » Car à Lyon, il est bel et bien
par le célèbre critique gastronomique
Un apport varié et de qualité. Centre
possible de manger de tout. Toulousain
Maurice Edmond Sailland alias Curnonsky,
de convergence des produits, Lyon se
d’origine tombé amoureux de Lyon, Jean-
reste
aujourd’hui
gastronomie
encore
».
ancrée
Cette
dans
situe également sur la route des grandes
François Mesplède, qui a testé près de
l’image de la ville. Car Lyon et la cuisine,
tables : « Avec Bernard Loiseau à Saulieu,
300 restaurants cette année recense dans
c’est effectivement une histoire d’amour
Fernand Point à Vienne, Anne-Sophie Pic
la ville plusieurs bonnes adresses Cuisine
qui dure, et ce, depuis plusieurs siècles.
à Valence, Lyon est devenue un centre
du Monde, essentiellement asiatiques. Il
D’abord du fait de sa très enviable position
gastronomique, car les gens voyageaient et
choisit ainsi le vietnamien “Hong ha“ dans
géographique. Dotée d’une longue tradition
s’y arrêtaient », explique François Mailhes.
le Vieux Lyon, les Japonais de “Chez Terra“
marchande, Lyon constituait autrefois le
Mais
dans le 6e arrondissement, ou encore “Do
principal lieu de commercialisation des
lyonnaise reste incontestable, la ville est
Mo“ quai Rambaud.
productions traditionnelles de la région.
désormais bien loin de se limiter à sa seule
Mais
« Ce sont ces produits qui ont permis à la
gastronomie de terroir.
reste. François Mailhes par exemple ne
si
aujourd’hui
l’identité
culinaire
ville de développer une gastronomie »,
le
Proche-Orient
n’est
pas
en
tarit pas d’éloges sur son repas chez
COUPS DE CŒUR EXOTIQUES
“Alyssaar“, un restaurant syrien situé dans
critique gastronomique à Tribune de Lyon.
Critique gastronomique et ancien patron du
le 1er arrondissement. « C’est une cuisine
Volaille de Bresse dans l’Ain, poissons et
Guide Michelin, Jean-François Mesplède
orientale méditerranéenne assez franche
grenouilles des Dombes et de la Saône,
le souligne : « Il serait réducteur de
sur les goûts, qui à un côté explosif. J’aime
vaches charolaises, fromages de Savoie.
limiter la ville aux bouchons, de la même
beaucoup. »
18 | G&M n°1 novembre-décembre 2012
À Lyon, certains établissements exotiques
produits exotiques qu’ils ne peuvent trouver
d’abats. » Ce qui n’est pas le cas partout :
sont même devenus des institutions. À
ailleurs », se réjouit-il. “Domo de Jana“
« Il y a par exemple beaucoup moins de
est ainsi l’unique épicerie sarde de Lyon à
friteries à Lille, alors qu’auparavant c’était
dont la famille arménienne du même nom
proposer des produits de la mer Appellation
une institution. Finalement, peu de villes
s’est installée en 1929 après avoir fui le
d’Origine Contrôlée (AOC), des fromages
ont gardé leurs restaurants de terroir »
génocide. Située dans le quartier très
et autres charcuteries, tous droits importés
assure François Mailhes.
cosmopolite de la Guillotière, l’épicerie
de l’île italienne. « Des restaurateurs
Et loin de se limiter aux papilles, la diversité
recèle de nombreux trésors du Proche-
commencent à nous contacter
de la cuisine à Lyon s’applique aussi au
Orient et de la méditerranée. Preuve de
gérant.
porte-monnaie. « On peut satisfaire tous les
appétits, à tous les prix, ce qui est un cas
son intégration dans le patrimoine lyonnais,
LYON ET SES SPÉCIFICITÉS
unique en France » indique Jean-François
Au-delà des bouchons, c’est donc tout
Mesplède avant de poursuivre : « Il y a
un melting pot culinaire qui s’exerce à
évidemment beaucoup de restaurants de
LE PARADOXE ITALIEN
Lyon, offrant ainsi un large panel aux
qualité dans d’autres villes européennes,
Au cœur de ces cuisines d’ailleurs, la
consommateurs.
Jean-François
italiennes en particulier ou nordique. Mais
plus représentée reste sans doute l’Italie.
Mesplède, c’est même cette diversité qui
ce n’est pas certain qu’il y ait cette même
« 50% de la cuisine étrangère à Lyon est
contribue à « renforcer l’identité culinaire de
diversité lyonnaise, avec ces bistrots de
italienne », selon Augusto Barro Santos, chef
la ville, et la positionne comme une place
quartier où l’on mange bien et à des prix
du restaurant “Augusto“, situé rue Neuve.
forte de la gastronomie ».
raisonnables, jusqu’au restaurant triplement
D’origine brésilienne et formé à l’Institut
D’autant plus qu’à Lyon, la tradition n’est
étoilé. Ailleurs, il y a peu d’intermédiaires ».
Paul Bocuse, il est passé par Troisgros ou
pas en reste. Le succès touristique des
Stratégiquement concentrés dans le centre-
encore par la grande table italienne “Dal
bouchons, une « cuisine de folklore »,
ville, la plupart des restaurants de Lyon sont
Pescatore“ à Mantoue. Aujourd’hui, il met
mais bonne selon François Mailhes, en est
un point d’honneur à fabriquer ses pâtes et
l’exemple. « Il y a de tout à Lyon, mais la
pour les Lyonnais que pour les touristes.
son pain lui-même.
ville a réussi à préserver ses restaurants
En termes de gastronomie, l’atout de la
Mais pour Augusto, quantité ne rime pas
traditionnels, sa cuisine populaire à base
cité des Gônes réside également dans
Bahadourian
possède
également
une
succursale aux Halles de Lyon.
Pour
avec qualité. « La plupart des établissements
sa clientèle. Comme le dit un vieil adage
italiens choisissent la facilité, en proposant
lyonnais, « Au travail on fait ce qu’on peut,
des plats préparés à l’avance » précise-t-il.
mais, à table, on se force. » A Lyon, manger
S’ajoutent à cela des pizzerias et diverses
fait partie intégrante des habitudes et des
enseignes de restauration rapide.
coutumes. « Il y a des villes où les gens vont
Pour l’heure, ils ne seraient donc que
plutôt au cinéma, ou au bistrot. Ici, ils…
quatre ou cinq à proposer une cuisine
italienne de gastronome. Un paradoxe.
« Lyon est attachée à l’Italie depuis le XVIe
siècle et il est assez étrange que sa bonne
cuisine ne soit pas plus présente à Lyon.
Même si cela commence à venir » indique
De la Mère Brazier à
Mathieu Viannay
François Mailhes, qui apprécie toutefois
de dîner chez “Due by Maurizio“, dans le
9e arrondissement.
Jean-François Mesplède recommande quant
Bien qu’aujourd’hui, on ne recense qu’une femme étoilée dans la région Rhône-Alpes,
à lui “Domo de Jana“, une épicerie comptoir
la cuisine traditionnelle lyonnaise était dès le début du XVIIIe siècle une affaire de
sarde située dans le 7e arrondissement, où
femmes. Les Mères sont sans conteste à l’origine de la réputation gastronomique de
l’on peut manger sur place et à des prix très
Lyon. Au départ cuisinières des grandes familles bourgeoises, la plupart décidèrent
abordables. Originaire de la Sardaigne, le
par la suite d’ouvrir leurs propres établissements. Pour n’en citer qu’une : la Mère
gérant Laurent Uras commence d’ailleurs à
Brazier, première femme à obtenir trois étoiles au Guide Michelin en 1933, avec son
se faire un nom. « Au départ, ma clientèle
restaurant éponyme de la rue Royale. Mathieu Viannay l’a repris en 2009 revisitant les
était composée des personnes du quartier,
recettes phare de l’établissement devenu une institution. « La poularde demi-deuil res-
et par la communauté sarde qui réside
semble beaucoup à celle de la Mère Brazier quand on la présente en salle, mais on est
autour de Lyon (3 000 foyers d’après lui
sur un autre type de cuisson, avec une sauce différente, des petits légumes croquants.
dans le Grand Lyon, ndlr). Mais de plus en
Même principe avec l’artichaut au foie gras ». Comme beaucoup de chefs de sa géné-
plus de Lyonnais d’autres quartiers viennent
ration, Mathieu Viannay travaille autour du tandem tradition/innovation.
par curiosité pour goûter, voire acheter ces
n°1 novembre-décembre 2012
G&M | 19
Dossier
vont au restaurant. Les habitants conservent
que la moyenne nationale. Très dynamique,
auprès des jeunes chefs de tous horizons
une gastronomie parce qu’ils la pratiquent
la ville possède également un fort taux de
qui décident de se lancer. Formés pour la
et la fréquentent
renouvellement. Ainsi, plus d’un tiers des
plupart dans des établissements étoilés,
Mailhes. Un avis partagé par Jean-François
Lyonnais recensés en 2006 n’habitaient pas
nombreux sont ceux qui délaissent les tarifs
Mesplède : « Ces habitudes sont instaurées
Lyon auparavant. 38% de ces nouveaux
exorbitants de la capitale. « Les meilleurs
depuis l’époque romaine, quand la ville
Lyonnais venaient même d’une autre région
représentants de la gastronomie à Lyon,
était une place forte du commerce. C’est la
de France. Mais pour François Mailhes, « à
qu’ils s’appellent Philippe Gauvreau, ou
seule ville que je connaisse où quand on est
partir du moment où l’offre est importante,
encore Mathieu Viannay, n’en sont pas
à table, on continue de parler cuisine ». Les
les gens qui viennent d’ailleurs adoptent
originaires. La ville possède une attirance
tables lyonnaises font aussi bien souvent
cette habitude lyonnaise du restaurant. Ici,
unique pour ces cuisiniers qui veulent bien
Dans
cette offre est telle qu’il est impossible de
faire leur métier
beaucoup de villes, on va au restaurant
passer à côté, bien plus qu’ailleurs. ».
Mesplède. Parmi eux, Tsuyoshi Arai, issu
pour sceller un contrat, alors qu’à Lyon, les
Loin de se contenter de remplir les salles,
de la réputée école de cuisine de Tokyo. Sa
contrats se discutent à table », ajoute-t-il.
passion le conduit rapidement à s’envoler
sur l’implantation des établissements. « S’il
pour l’Hexagone. Il commence par ouvrir
commence à y avoir de vrais restaurants
DES ATTACHES VARIÉES
japonais et plus seulement des bars à
dans la commune de Saint-Valentin. Puis,
attaches
sushis, c’est parce que des Japonais se sont
« attiré par les grands chefs étoilés » comme
communes à la culture de la table, quand
installés à Lyon. Ils constituent un petit fond
il
on sait qu’ils sont loin de constituer une
de clientèle qui leur permet de vivre, avant
qu’il choisit Lyon en 2009 pour ouvrir son
clientèle homogène ?
qu’arrive la clientèle lyonnaise » explique
deuxième restaurant du même nom, dans le
Avec 30% des habitants dont l’âge est
François Mailhes.
quartier Saint-Jean. Alliant cuisine française
des
Lyonnais
possède
ces
l’explique,
c’est
tout
naturellement
et japonaise, il travaille les produits de la
compris entre 15 et 29 ans, et d’historiques
région et les cuisine avec tout l’art et la
une ville jeune, étudiante et cosmopolite.
UNE VILLE DE CHOIX
POUR LES JEUNES CHEFS
La population lyonnaise compte en effet
Grâce à sa clientèle, la ville possède
d’ailleurs au rendez-vous, puisque les douze
également un réel pouvoir d’attractivité
couverts de sa minuscule salle de la rue…
Photo : Nicolas Villion
technique d’un chef japonais. Le succès est
Dans son restaurant, le chef Tsuyoshi Arai mêle produit du terroir et art de la cuisine japonaise
20 | G&M n°1 novembre-décembre 2012
Poids économique de la
restauration rhônalpine
Hypothèses, supputations et autres on-dit ne cessent de vouloir prouver
la domination gastronomique lyonnaise au niveau hexagonal.
Mais la région est-elle à l’image de sa capitale ?
TEXTE ÉTIENNE GUINET
U
ne chose est sûre : la terre lyonnaise est fertile. De l’étoilé à la restauration rapide, les établissements prennent
RHÔNE-ALPES : L’AGROALIMENTAIRE FAIT
LA PART BELLE AUX PETITES ENTREPRISES
racines. Les chiffres le prouvent. Au delà de Lyon c’est
toute la région Rhône-Alpes qui accroît cette culture locale. En
l’espace de dix ans, le nombre de restaurants a augmenté de 23%,
majeure partie à la restauration rapide. Une étude menée en 2010
par des étudiants de l’Université Lumière Lyon 2, en collaboration
avec la CCI, révèle que l’allongement de la distance travail-domicile a accentué le développement de la restauration rapide.
En toute logique, cette catégorie de restaurants a explosé dans
la région qui compte 5 119 établissements où l’on mange sur le
pouce (soit une augmentation de 137% entre 2000 et 2011). La
région lyonnaise demeure également une place forte de la gastronomie par son nombre de restaurants étoilés : cinq « 3 étoiles »,
Infographie : Alexandre Bassette - Priscyllia Canabate
18 « 2 étoiles » et 50 « 1 étoile ». Un palmarès qui place la région
Rhône-Alpes en deuxième position derrière l’Ile de France. Un
classement presque anecdotique, car la région parisienne est deux
fois plus peuplée que son homologue rhônalpine.
Un succès qui reste à relativiser pour une capitale de la gastronomie. En termes de services, la restauration représente seulement
3,2% du total rhônalpin. Une bouchée de pain. Concernant l’emploi : en 2011, seuls 29 000 salariés sont recensés dans le secteur
de la restauration. En Île-de-France, ils sont 36 000. Une seconde
place habituelle pour la région.
n°1 novembre-décembre 2012
G&M | 21
Photos : Priscyllia Canabate
Dossier
22 | G&M n°1 novembre-décembre 2012
…
« Les Toques Blanches offrent aux chefs
des produits, l’engagement du restaurateur
demi à l’avance.
un retour d’image, qui peut leur être
à promouvoir la qualité de la gastronomie
UNE ASSOCIATION
DE GASTRONOMES
président
lyonnaise dans la région Rhône-Alpes et
de
l’association.
Cependant,
éventuellement l’obtention du titre de
n’entre pas qui veut. L’adhésion reste
gastronomie
en effet soumise à certaines conditions :
nos gages de qualité », détaille Laurent
continue de faire rayonner Lyon, c’est aussi
être par exemple parrainé par au moins
Bouvier.
parce qu’elle est la seule ville qui a réussi
deux
à fédérer des cuisiniers. L’association des
verrouiller davantage cette année, suite
Toques Blanches lyonnaises, qui existe
aux critiques que nous avons reçues, en
depuis 1936 rassemble ainsi 90 chefs
particulier concernant quelques-uns de
au sein les associations de gastronomes
nos partenaires, ou sur le fait que certains
lyonnais,
« C’est un cas unique en France. Même à
chefs des Toques Blanches retournaient
rassemblent également les cuisiniers.
Paris ils n’ont pas réussi à s’entendre. Cela
leurs vestes », explique Laurent Bouvier. Le
Parmi elles, les Gueules de Lyon, une
contribue à montrer que Lyon reste une
partenariat entre l’association et le groupe
association « de copains » qui comprend
place forte sur le plan gastronomique »
d’agroalimentaire
neuf chefs. Ensemble, ils pratiquent la
précise François Mailhes. En s’appuyant sur
notamment suscité de vives réactions.
bistronomie, un terme issu de la contraction
ses partenariats (l’association en compte
Aujourd’hui l’heure est d’ailleurs au démenti
de deux mots : bistrot et gastronomie. Le
une trentaine), les Toques Blanches sont à
pour les Toques Blanches. À l’occasion de
concept, une ambiance et un décor moins
l’initiative de nombreuses manifestations à
sa prochaine Assemblée Générale au mois
guindés
Lyon et dans sa région, qui lui offrent une
de janvier, l’association sortira une Charte
gastronomiques, mais avec des produits
Si
aujourd’hui
encore
la
membres.
«
Nous
Brake
tentons
France,
de
avait
certaine visibilité médiatique : évènements
DES CONCEPTS INÉDITS
d’autres,
que
dans
moins
les
médiatiques,
établissements
plus simples et dont la qualité se veut
culinaires, sportifs, culturels, etc. De quoi
les adhérents. « Cette charte intègre des
équivalente dans l’assiette, et à des prix
convaincre les professionnels du secteur.
notions primordiales, comme la traçabilité
surtout plus abordables. Les Gueules…
3 QUESTIONS À THOMAS PONSON
« Il faut savoir se remettre en question »
Membre des Gueules de Lyon,
Que pensez-vous de l’offre à Lyon
Thomas Ponson est propriétaire
concernant la cuisine du Monde ?
de quatre établissements (“Restaurant,
Il commence à y avoir un beau panel, mais
Comptoir“, “Café“, “Cantinetta“) rue
je pense qu’il y a encore du travail pour
Laurencin, dans le 2 arrondissement
arriver au niveau des grandes villes euro-
de Lyon.
péennes. A Barcelone, Madrid ou en Italie
e
par exemple, tout bouge beaucoup, il y a
Pourquoi avoir choisi d’ouvrir quatre
vraiment des concepts innovants.
établissements avec quatre concepts
À Lyon, on est encore un peu limité au
différents dans la même rue ?
niveau des choix, mais aussi sur le plan
Cela s’est fait naturellement, ce n’était
qualitatif. Cela arrive petit à petit, mais
pas prévu. J’ai ouvert le “Restaurant
là-dessus nous avons un peu de retard. Je
Thomas“ il y a dix ans. A l’époque, j’étais
pense que cela est valable pour la plupart
seul avec une serveuse. Cinq ans plus
des styles de restaurants. Au niveau des
tard, j’ai ouvert “Le Comptoir“, juste en
cuisiniers en revanche, il y a de plus en plus
face. Beaucoup plus orienté sur les vins,
de jeunes chefs qui montent en puissance,
avec une nouvelle façon de cuisiner :
et je trouve que c’est une très bonne
nous travaillons surtout le produit brut,
chose.
à la plancha. Ce concept répondait à de
réelles attentes de la clientèle.
Lyon peut-elle toujours être considérée
Au Restaurant, nous faisons de la cuisine
comme la capitale de la gastronomie ?
me rends compte que dans les grandes
ne faut pas trop se reposer sur ses lauriers,
villes, et notamment à Lyon, il y a des
et essayer d’être toujours innovant. Nous
gens qui voyagent beaucoup, et qui ont
ne sommes pas à la traine, mais il faut
envie de plus de modernité.
savoir se remettre en question.
Photo : thvallier
traditionnelle dans un décor classique. Je
n°1 novembre-décembre 2012
G&M | 23
Dossier
Confluence au ralenti
L
pas marché comme nous l’espérions. Nous avons une clientèle de
présente une vingtaine de points de vente de nourriture,
bureau le midi qui mange des steak-frites, et quelques familles le
cafés, snacks et restaurants confondus. La plupart sont
soir... Ce n’est pas notre concept », déplore-t-il. Il faut dire que le
rassemblés sur un étage à ciel ouvert. “Razowsky“, “Le Palais du
restaurant travaille avec 90 % de produits frais. Mais à quoi s’attendait le chef d’origine mexicaine, passé par l’institut Paul Bocuse,
aux concepts parisiens, franchisés depuis peu, et à la cuisine du
en s’installant dans un centre commercial ? En pleine mutation, le
menu lyonnais. Saucisson pistaché, rognons de veau, poire pochée
François Mailhes : «
à la Beaujolaise se retrouvent ainsi sur la carte du “Zinc-Zinc“.
une vraie population qui ira au restaurant. Pour l’heure, ce n’est
Dans ce tout nouveau quartier, modernité et diversité sont les
pas réalisable. Il y a une clientèle de bureau, point. » Ce dernier
principaux mots d’ordre.
insiste même : «
Un bémol cependant, et pas des moindres. A midi et demi, heure
médiocre. C’est une logique industrielle comme à la Part Dieu ».
du déjeuner, les restaurants sont presque vides. Dans ce centre qui
Du côté du “Palais du fruit“, le directeur Tristan Songy se montre
se veut une version chic de la Part Dieu, les seuls à faire le plein
plus optimiste : « Dans quelque temps, je suis sûr que les gens
sont les établissements de restauration rapide (“McDonald’s“,
temps de s’habituer
en vogue cuisine asiatique, représentée ici par “Woko“ et “Sushi
son restaurant subit désormais le calme de l’après-saison estivale.
Shop“, attire également les clients.
Laurent Bouvier, qui dans le quartier aime manger au “Purple“,
Mais pourquoi si peu de monde ailleurs ? Diego Garcia Victor, chef
reste «
cuisinier du “Zinc-Zinc“, ne cache pas sa déception : « Cela n’a
Attendons de voir.
Photo : Maxime Lelong
“Subway“) et certaines chaines comme “Hippopotamus“. La très
24 | G&M n°1 novembre-décembre 2012
».
ÉVÉNEMENTS
INCONTOURNABLES
SIRHA - SALON MONDIAL
RESTAURATION & HÔTELLERIE
Seul salon du monde ouvert à tous les
types de restauration
Du 26 au 30 janvier 2013
Réservé aux professionnels
Photo : Priscyllia Canabate
Eurexpo
SALON DES VINS ET DE LA GASTRONOMIE
Cours de cuisine proposés par l’Atelier
des Chefs
80 exposants
Tous les ans en octobre
Les produits lyonnais servent d’inspiration à la création de plats originaux
Eurexpo
… de Lyon sont également à l’origine d’un
entrée,
concept inédit en France : celui des duels
cependant : composer chaque plat à partir
culinaires. Ramené du Canada par l’un des
de deux mots, choisis par chacun des
SALON MER & VIGNE ET GASTRONOMIE
membres de l’association, Thomas Ponson
deux adversaires. Au fur et à mesure de la
Première édition en 1996.
et adapté à la sauce « Gueules de Lyon »,
dégustation, les clients votent pour le plat
Une soixantaine de producteurs,
le principe est simple : le temps d’une
qu’ils préfèrent.
éleveurs et viticulteurs proposent
soirée, deux chefs s’affrontent autour de la
Si au niveau national, Lyon parvient donc
des dégustations : vins, produits du
préparation de quatre plats (amuse bouche,
à garder de façon légitime son titre de
terroir, de la mer, fromage, charcuterie,
capitale de la gastronomie, il est cependant
chocolat, foie gras
moins sûr que cela s’applique à plus grande
Tous les ans en octobre
Le réseau des délices
plat,
dessert).
Une
condition
échelle. Même si elle constitue la deuxième
métropole française, Lyon reste bien loin
L’Embarcadère
C’est à l’initiative de la ville de Lyon
de certaines des villes les plus peuplées
qu’est né en septembre 2007 le
de la planète, comme le précise François
Réseau Délices. Ses objectifs, encou-
Mailhes : « À New York, on trouve absolument
TROPHÉES DE LA GASTRONOMIE ET DES VINS
rager les échanges entre cuisiniers,
de tout. On peut très bien manger français,
Organisée par le Progrès, en partenariat
et faire de la gastronomie un outil de
américain, pakistanais. Toutes les cuisines
avec les Toques Blanches
promotion pour les villes. Aujourd’hui,
locales sont représentées, en raison du
Tous les ans à l’automne
le réseau regroupe une vingtaine de
fort communautarisme qui règne dans
villes du monde entier, d’Europe,
cette ville ». Tokyo, où s’exprime tout l’art
mais aussi des États-Unis, du Canada,
de la cuisine japonaise, peut également se
d’Asie, ou encore d’Amérique latine.
présenter comme une concurrente sérieuse.
Chaque année, au moins trois évène-
Pour Lyon, pas de quoi rougir toutefois. Car
Palais de la Bourse
ments sont organisés dans trois de ces
villes membres. L’occasion pour elles
face à ces villes monde, elle continue
de promouvoir leurs actions en matière
incontestablement de jouer dans la cour
de gastronomie.
des grands.
n°1 novembre-décembre 2012
G&M | 25
Focus
L’innovation
débarque
Grandes maisons,
grands chefs, bouchons.
Lyon possède son
identité culinaire.
Photo : Alexandre Bassette
Pourtant, certains
misent sur de nouveaux
concepts pour
pérenniser leur activité.
TEXTE FLORA CHADUC
L
La maison Chorliet a pris un virage en créant son premier resto-boutique
e restaurant de Lionel Fourcade ne
choses originales pour réussir. « Lyon est
propose qu’un produit : l’huître de
déjà dotée d’un réseau de restaurants très
Cancale. Mais ce n’est pas sa seule
dense. Pour sortir du lot et parvenir à se
Maintenant, il y a le choix entre quatre
particularité. “La cabane à huître du curé“
faire une clientèle, c’est inévitable : il faut
menus chaque mois, et le client réalise
ouverte depuis le 30 octobre ne durera pas.
innover. Je constate aussi que les gens sont
entrée-plat-dessert de la formule qu’il
Restaurant éphémère, il fermera ses portes
de plus en plus attentifs à la qualité. Revenir
choisit. Les recettes sont par ailleurs plus
à des produits et des plats simples, mais de
techniques, car les gens les trouvaient
de l’avoir inventé : « C’est une idée anglo-
grande qualité est également l’une des clés
trop simples. On a donc évolué et on s’est
saxonne. Il y a beaucoup de restaurants
de la réussite en ce moment. » Pourtant, la
adapté. »
éphémères, à New-York notamment. »
capitale des Gaules reste ancrée dans les
L’innovation
À Lyon, il s’agit pourtant d’une innovation,
traditions et les restaurants à concept ne
nouveaux arrivants. La “maison Chorliet“,
bien que le gérant insiste pour ne pas la
sont pas légion : « Je rêve que Lyon soit
traiteur à Lyon depuis 1913, a innové à
considérer comme telle : « Les personnes
aussi dynamique que des villes comme
l’occasion de ses 100 ans en créant un resto-
qui travaillent à la montagne ont des
Bruxelles ou Berlin avec des restos hybrides,
boutique. L’idée : proposer des produits de
restaurants éphémères sur une période
très poussés en terme de décoration, qui
traiteur en portion individuelle à emporter
précise, de telle date à telle date. Ici, c’est
font à la fois boutique, librairie, etc. »
ou à déguster sur place. Derrière ce
une grande ville et on ne vit pas au rythme
les clients s’y perdaient, explique Alexandre
n’est
pas
réservée
aux
concept se cache un constat récurrent : les
S’ADAPTER
AUX NOUVELLES DEMANDES
gens ont de moins en moins de temps pour
ça paraît novateur. Et justement, ça peut
permettre aussi de recaler la saisonnalité
À Lyon, “Cook and Go“ a été un des
du magasin, explique : « Pour pérenniser
des produits. Il y a des choses qui ont un
symboles de l’innovation. L’enseigne, qui
l’entreprise, il faut s’adapter aux demandes
goût à un moment donné et différente à
propose des cours de cuisine, se crée en
d’aujourd’hui. Le temps de repas des
une autre période. »
2006, et s’exporte à Paris, Grenoble, Lille,
Français se raccourcit, je pense que c’est
des saisons. C’est peut-être pour cela que
manger. Jérôme Bellet-Chorliet, gérant
idées
Marseille, et maintenant Manhattan. Mais
une orientation différente et adaptée.
originales : ce sont les critères de sélection
après six ans d’expérience, tout a été
Même si le Lyonnais a un peu de mal avec
du site My Little Lyon pour conseiller
repensé pour satisfaire les demandes de
le changement, on sent que le concept
les internautes. Laurence Guilloud, la
plus en plus pointues des clients. « Avant,
plaît, que les gens adhèrent. On n’est pas
responsable, pense qu’il faut proposer des
il y avait beaucoup de recettes proposées,
en décalage, on est adapté à l’époque. »
Les
concepts
novateurs,
26 | G&M n°1 novembre-décembre 2012
les
Enquête Tourisme
La cuisine
pour atout
Patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1998,
Lyon
est
une
destination
touristique
très
prisée. Histoire riche, géographie avantageuse,
Photo : Flurrysmoke
large panel culturel, mais aussi gastronomie
authentique. Malgré tout, y existe-t-il un tourisme
culinaire ?
TEXTE MAXIME AUTECHAUD
Les Bocuse d’Or : une aubaine
Tous les deux ans, la ville de Lyon
accueille le plus grand rassemblement
mondial dans le cadre de la
gastronomie : le SIRHA. En point
d’orgue depuis 1987 : le concours
des Bocuse d’Or, qui se tiendra les
29 et 30 janvier prochain. Le prix,
considéré comme le plus prestigieux
que puisse recevoir un chef, rassemble
de la planète qui feront des pieds et
des mains pour obtenir le précieux
sésame. Un même menu, plus de cinq
heures de préparation devant une
enceinte d’environ 8 000 personnes…
Une foule hétéroclite qui comprend
les délégations de chaque pays.
Point culminant dans la sphère de la
gastronomie mondiale, ce concours
donne une visibilité certaine et permet
un rayonnement sur les cinq continents.
Même si les premières places sont
accaparées par l’Europe de l’Ouest et
les pays scandinaves, l’évènement n’en
reste pas moins une manière de faire
découvrir la ville au monde entier.
F
La rue mercière, vitrine
de la gastronomie à Lyon
ville de Lyon est un paradis
L’AFFLUENCE
NE CESSE D’AUGMENTER
pour les amateurs de bonne
En 2011, la ville de Lyon enregistrait
bouffe.
un
orce est de constater que la
Selon
Pierre
Orsi,
demi-million
de
visiteurs,
dont
chef étoilé lyonnais : « La culture de la
bonne chair remonte à bien avant Paul
dénombre
Bocuse, avec toutes les Mères qui ont
Espagnols,
grandement contribué à l’évolution de
Canadiens. Mais les Japonais prennent
cette gastronomie. » Les chefs lyonnais
une place de plus en plus importante.
se sont d’ailleurs toujours bien exportés
La raison ? La notoriété de Bocuse,
à travers le pays. Pour les plus connus,
encore et toujours, qui a récemment
la maison Troisgros à Roanne, Anne-
ouvert plusieurs brasseries au Japon. « Il
Sophie Pic à Valence ou Fernand Point
n’est pas rare que les tours opérateurs
et sa Pyramide qui ont fait la renommée
organisent des visites dans l’Hexagone et
de la ville de Vienne. Ces trois chefs sont
prévoient deux ou trois jours pour visiter
considérés comme les ambassadeurs de
Lyon et sa gastronomie
la gastronomie en France. Désormais,
Colombero,
une
majorité
Américains,
membre
d’Allemands,
Italiens
des
et
disciples
s’ils vivent dans l’ombre du maître Paul
Bocuse, ils n’en restent pas moins des
Thenet, directrice de la promotion de
références dans le milieu.
Lyon, il existe bien un tourisme culinaire
Car il est aujourd’hui impossible de parler
à Lyon. « Les principales activités sont les
de cuisine à Lyon sans évoquer Paul
repas dans les restaurants, les cours de
Bocuse. Celui-ci conserve trois étoiles
cuisine, les visites guidées des Halles de
Lyon, et les balades au marché. » Pour
record ! Devenue une vraie marque, sa
ce faire, la ville participe à des salons,
notoriété est telle, qu’elle rejaillit sur la
organise des conférences de presse à
l’étranger, met en place des opérations
le domaine de la gastronomie, le SIRHA,
de street marketing en Europe, etc.
Salon Mondial Restauration et Hôtellerie,
Mais si tourisme culinaire il y a, c’est en
prend place, tous les deux ans à Eurexpo,
grande partie grâce aux bouchons, que
en janvier (lire encadré).
les visiteurs demandent spontanément…
n°1 novembre-décembre 2012
G&M | 27
dans mon établissement. » La notoriété de
INSOLITE CULINAIRE
Le bouchon a le vent en poupe. Une
la cuisine lyonnaise au-delà des frontières
intéressés. Pour Yves Rivoiron, gérant du
Seule fausse note, l’absence d’aides de
“Café des Fédérations“
la ville. Alors oui, il existe bel et bien
visiteurs étrangers ne cesse d’augmenter.
un tourisme culinaire à Lyon, mais il
Et pour cause, l’authenticité de ces
reste sous-exploité. Malgré un énorme
tavernes lyonnaises éveille la curiosité
potentiel, les institutions ne semblent pas
qu’est-ce qu’un food truck ? Ce sont
des médias étrangers. « L’an dernier, j’ai
prendre la mesure du marché. Si bien que
ces camions garés sur les trottoirs
reçu près de treize chaines de télévision
certains doivent mettre la main à la pâte
qui vous proposent de la nourriture à
étrangères venues tourner un reportage
pour combler ce manque…
emporter. Visible exclusivement dans
« Une carte à jouer »
Les food-truck s’installent
la capitale, il est désormais possible de
tenter l’expérience avec de goûteux
mets libanais proposés par l’Aklé.
Dégustez tous les délices de Beyrouth
TEXTE GUILLAUME BERNILLON
En juin dernier, une petite révolution a
Quant au choix de Lyon, il ne doit rien
eu lieu dans le monde gastronomique
au hasard : « Ce n’est pas tant que nous
lyonnais : la possibilité de dîner tout en
sommes Lyonnais que parce que la ville
visitant la ville. Avec le Trolley des Lumières,
s’y prête, de par sa cuisine surprenante,
Elisabeth Gardien et Romain Garnier
qu’on ne trouve qu’ici,
la République… Si vous arrivez à le
trouver ! Ce restaurant nomade se gare
chaque jour sur un des marchés de la
ville. Pour le localiser, rendez-vous sur
notre site internet.
Gardien, avant d’avancer que, ce concept
L’as des écaillers
culinaire de la ville. Rencontre avec la code développer le tourisme gastronomique.
C’est au mois de janvier dernier que
Depuis que nous sommes là, ils ont
le lyonnais Bruno Thevenin est devenu
remarqué qu’il y avait quelque chose à
vice-champion du monde des écaillers.
un repas composé de spécialités
faire sur ce point. » Il faut dire que l’offre
L’objectif de ce concours, réaliser et
de la ville. Telle est l’idée de
actuelle est limitée et la co-gérante du
présenter le plus beau plateau de fruits
Romain Garnier à son retour d’Australie.
Trolley, issue du milieu du tourisme, le
de mer, pour une dizaine de personnes.
Après avoir découvert (et travaillé) dans
déplore : « Il y a de gros atouts culinaires à
Les participants ont ainsi ouvert quatre
un tramway de Melbourne qui propose un
Lyon. Mais ce ne sont pas que la quenelle
douzaines d’huîtres, préparé cinq
service de restauration à bord, il décide
et le tablier de sapeur. C’est avant tout une
douzaines de coquillages et décortiqué
d’adapter le concept à Lyon. Il s’associe
cuisine qui sait sublimer tous les produits
une trentaine de crevettes chacun.
à Elizabeth Gardien pour se lancer dans
régionaux, et là-dessus il y a un gros travail
Formé auprès des professionnels des
cette aventure, qui ne se construira pas
de communication à réaliser. »
Halles, et passé par de grandes maisons
en un jour ! « Il nous a fallu plus d’une
En attendant de voir émerger de nouvelles
(le Bistrot de Lyon, la Coupole à Paris),
année de démarches administratives pour
idées, comme des circuits gastronomiques
Bruno Thevenin possède un bar à fruits
avoir l’autorisation de faire rouler cette
à travers les quartiers de Lyon, Elisabeth
de mer dans le centre de Tassin-la-Demi-
gérante de ce concept unique en France.
D
écouvrir Lyon tout en dégustant
voiture restaurant »,
Lune.
Il faut dire qu’aucune structure du genre
n’existait jusqu’à présent dans l’Hexagone.
touristique pour la ville.
Cuisine sexiste
Diversité culinaire, peut-être, mais
pour ce qui est de la parité, la copie
est à revoir. Lyon ne compte aucune
femme chef. Même Anne-Sophie Pic,
qui s’est formée dans la capitale de la
Photo : Service Spécial
gastronomie s’est ensuite envolée vers
A bord du Trolley des Lumières le long de la Saône
28 | G&M n°1 novembre-décembre 2012
de nouveaux horizons. C’est Paris qui,
en France, en accueille le plus grand
nombre. Rougui Dia, Hélène Darroze,
Ghislaine Arabian, et Adeline Grattard
comptent parmi elles.
So Lyon
La Guerre des bouchons
aura bien lieu
Avec la multiplication
des appellations,
clients et restaurateurs
sont pris entre deux
feux : les bouchons
Photo : Priscyllia Canabate
authentiques et les
officiels.
TEXTE JULIE MORISOD
L’ambiance convivale des bouchons cache une «bataille» de renomée
J
usqu’à maintenant, seul Pierre Grison,
La fronde peut commencer. En réaction,
pour Yves Rivoiron, gérant du “Café des
l’ancien critique gastronomique du
Pierre Grison qui avait arrêté ses actions
Fédérations“.
Progrès, avait fait des bouchons son
en 2002, sort aujourd’hui un nouveau
Par ailleurs, les associations fonctionnent
Guide des bouchons fait à la va-vite.
différemment. Tandis que chez Pierre
cheval de bataille. En créant en 1997 une
Bouchons
Pas
Grison on est copain, il faut débourser une
l’ex-journaliste
placarde
sûr que tous soient recommandables »,
somme avoisinant les 700 euros pour un
Authentique
association de Défense des
lyonnais,
bouchon
assure un autre critique gastronomique,
kit de promotion, sans compter l’adhésion
lyonnais aux établissements dignes de ce
Jean-François Mesplède, qui ne recense
annuelle
nom. Le but ? Distinguer les faux des vrais
que sept bouchons dans son guide Lyon
bouchons. Selon lui, le restaurant typique
Restaurants. Pour contrer l’action de la
aujourd’hui loin de faire l’unanimité.
lyonnais
l’appellation
doit
proposer
d’espérer
recevoir
le
cuisine
CCI de Lyon, Pierre Grison argue de son
Yves Rivoiron s’étonne encore de voir
familiale et populaire à bases d’abats, de
ancienneté. Il a prévenu le membre des
les Toques Blanches « s’accaparer les
cochonnailles et d’autres lyonnaiseries.
Toques Blanches. Sans réponse.
bouchons. » Le patron de l’établissement
Les vins de la Région doivent être servis
Que ce soit chez Pierre Grison, ou
historique voit l’orage gronder : « Ils sont
en pot. S’ajoutent à ces critères : déco
Christophe
retrouve
en train de monter deux clans, ça va être
typique,
des critères semblables : qualité des
la guerre des bouchons, moi je ne veux
serviettes
à
une
avant
carreaux
voire
Marguin,
ambiance
on
saucissons pendus. Sans oublier un patron
produits,
charismatique présent en salle.
Mais le problème vient avant tout de
conviviale,
etc.
Seulement voilà. Depuis cet été, la
a rien du tout. » D’autres restaurateurs se
sentent contraints d’adhérer à l’initiative
Commission touristique de la CCI de Lyon,
du
représentée par l’ancien président des
journaliste
à
établissement soit relégué au rang de
Toques Blanches, Christophe Marguin,
Tribune de Lyon : « Le bouchon lyonnais
cuisine lyonnaise dans le prochain guide
et Only Lyon tourisme, entrent dans la
est un postulat un peu faux au départ. On
bataille et lancent un label bouchon
a mis en musée certaines recettes, mais
que tous n’adhèreront pas, un bouchon
lyonnais. Il devait être décerné le 30
avant on faisait toutes sortes de plats
non labélisé ne sera pas synonyme
novembre à 17 restaurants.
dans les bouchons. » Édicter une charte
de bouchon à éviter. À l’image d’Yves
Une façon
bouchon.
Pour
critique
François
Mailhes,
gastronomique
sérieuse : « Un argument touristique »,
n’était qu’une appellation.
selon lui. Carrément « une fumisterie »
de la commission, de peur que leur
ne pas avoir besoin
d’un label pour attirer la clientèle. »
n°1 novembre-décembre 2012
G&M | 29
Arrière - cuisine
La cuisine perso
de Luc Minaire
Aux commandes depuis neuf ans du bouchon
“le Musée“, Luc Minaire. Boulanger de métier, il
anime la maison, entre service et histoire.
À chaque fin de repas, les convives sont invités
Photo : Etienne Guinet
à finir leur verre dans la traboule abritant
l’établissement. Au menu : anecdotes et
calembours à propos de la cité des gones, clin
d’oeil paradoxal pour ce patron stéphanois.
Le restaurant est situé à côté
du musée de l’imprimerie
TEXTE ETIENNE GUINET
N
de
comme une invitation à connaître son
l’imprimerie et l’église Saint
voisin et se sentir chez soi. À la manière de
UNE CUISINE LYONNAISE
FRANÇAISE
Nizier, le Musée ne paie
l’Académie Gourmande, et des Amicales
Décoration et ambiance mises de côté, il
pas de mine. Ce restaurant,
de gueule, des associations qui, jadis
faut maintenant choisir quoi manger. Pour
Bouchon lyonnais, ne ressemble
proposaient à une gent masculine, dans
les passionnés de lecture, mieux vaut ne pas
des arrière-salles, de conserver le caractère
attendre la carte. Les mets sont annoncés à
d’intimité pour célébrer le culte du bien-
l’oral avec une pincée d’humour, pour rendre
manger. « Le plus beau compliment c’est
le choix plus corsé, mais plus alléchant.
quand les gens me disent, qu’ils se sentent
Andouillette, tripes, rognons, joue de porc,
comme à la maison », précise Luc Minaire.
mais aussi canard et escargots. “Le Musée“
bourlingue à travers la France et ses pays
“Au Musée“, pas de politique, pas de grands
est un bouchon lyonnais, mais il en faut
limitrophes.
Belgique,
discours, ni aucune prétention à montrer de
pour toutes les régions. Rien ne sert de
Suisse… Et se pose entre Rhône et Saône.
l’esprit. Ce n’est pas le genre de la maison.
se cantonner à la cuisine lyonnaise. « Il y a
Après dix ans à la tête d’une boulangerie
L’unique affaire est de bien dîner. « Un jour,
quelques jours, on a préparé de la cervelle
à Saint Cyr au Mont d’Or, il achète un
des généraux de la grande muette ont
d’agneau au beurre, citron et câpres, dite
restaurant : “Le Musée“. Un établissement
mangé avec des gens d’extrême-gauche,
à la grenobloise. Pourquoi grenobloise ?
vieux de 300 ans. L’intérieur s’est imprégné
en buvant des canons toute la soirée. Mon
Car du temps où l’Isère était navigable, la
du parfum d’antan. Fresque monastique,
restaurant se rapproche du bistrot du village
marchandise de poisson était parfumée au
banquettes
où tout le monde venait se rencontrer, où la
citron et aux câpres pour dissimuler l’odeur
prostituée mangeait avec le juge. »
d’ammoniac. Dans un bouchon, on s’imagine
oyé
entre
la
galerie
pourtant à aucun autre.
UN REPAS
POUR LES GASTROLÂTRES
Haute-Savoie,
de
moleskine,
nappes
à
carreaux, disposition familiale des tables ;
30 | G&M n°1 novembre-décembre 2012
Photo : Etienne Guinet
Luc Minaire entouré de l’équipe du Musée
ne manger que des tripes, mais à l’origine
CLOU DU SPECTACLE
à l’Oustau de Baumanière, Nicolas et sa
il y
avait deux sortes de restaurants: les
Attendu comme la surprise du chef, Luc
compagne ne tarissent pas d’éloge sur le
tripiers et les bouchons. Dans les bouchons
Minaire propose à ses convives un cours
festin, moins sur la visite, « nous sommes
la cuisine était très variée. »
d’histoire en plein coeur de la traboule
venus sur les conseils d’un ami. J’avais
À l’image d’un véritable musée, tout est
du musée de l’Imprimerie. Un monologue
entendu parler de la traboule. Le tout
est enrichissant, mais c’est compliqué de
source de respect et de découverte avec les
qui s’improvise guide vit chaque visite de
Luc
d’étrangers sont venus s’asseoir à ses tables.
façon unique. « Je partage ce moment
Minaire se défend toujours avec humour :
Une occasion pour découvrir, à chaque fois,
différemment
« C’est l’accent du restaurateur fatigué ».
le vrai visage de la cuisine française. « Les
Certains vont rire, d’autres seulement
Avec 80 couverts par jour en moyenne,
étrangers qui viennent manger en France
écouter. »
“Le Musée“ ne manque pas de visites.
imaginent qu’il y a des codes. À cause,
Éplucher les pommes de terre, sortir les
notamment, du cinéma américain qui prône
poubelles, faire la plonge, le service,
la bonne cuillère, la bonne fourchette.
c’est
vivant
perdre l’atmosphère cosy et familiale qui
Et quand je viens les voir en parlant un anglais
cette leçon d’histoire comme le moment
fait le succès de ce bouchon, était trop
un peu bizarre, leur demandant comment ils
qu’il affectionne le plus dans son métier.
grande. L’important demeurait de garder
vont, ils prennent conscience du contact.
« J’arrive même à rire de mes propres
une extrême attention aux plats. Car l’art
On pousse la table pour être à côté du voisin
blagues », s’amuse-t-il.
culinaire à Lyon est encore loin d’être
Venus pour la première fois déguster les
un art mineur. N’est-ce pas monsieur
recettes du chef de cuisine Loïc, formé
Minaire ?
verre de gnôle tous ensemble. »
un
avec
patron
chaque
personne.
touche-à-tout
d’agrandir son restaurant. Mais la peur de
n°1 novembre-décembre 2012
G&M | 31
Jeu quiz
CONCOCTÉ PAR GUILLAUME BERNILLON ET ETIENNE GUINET
LE TABLIER DE SAPEUR EST UN PLAT
CÉLÈBRE POUR SON NOM.
MAIS DE QUOI EST-IL COMPOSÉ ?
A Une tarte à la praline
A Tripes marinées dans du vin, puis
et des papillottes
panées et frites
© Editions Albert René / Gosciny - Uderzo
1
QU’EST-CE QU’ACHÈTENT ASTERIX
ET OBÉLIX À LUGDUNUM DANS
« LE TOUR DE GAULE » ?
B De la cervelle de canut
et des cardons
C Du saucisson et des quenelles
COMBIEN DE RESTAURANTS
GRAND LYONNAIS POSSÈDENT
2 ÉTOILES OU PLUS ?
A3
4
B4
C5
7
B 51 cl.
C 55 cl.
au vin et vinaigre
C
VOUS TERMINEZ LA LECTURE DE GÔNE &
MÂCHON. LE GÔNE EST LE MOT
POUR QUALIFIER UN ENFANT À LYON,
MAIS QU’EST-CE QU’UN MÂCHON ?
A Un repas traditionnel matinal
C Une brioche parfumée
3
A Le magret de canard
B Les moules-frites
C Le couscous
A PARTIR DE QUELLE DATE LE
BEAUJOLAIS NOUVEAU
EST-IL MIS EN VENTE
DANS LE MONDE ENTIER ?
5
B Une spécialité à base de fromage blanc
LE POT LYONNAIS EST
UNE BOUTEILLE AVEC UN CUL
TRÈS ÉPAIS.
QUELLE EST SA CONTENANCE ?
A 46 cl.
2
B Tranche de foie cuite puis mouillée
SELON UN SONDAGE TNS SOFRÈS
PUBLIÉ EN OCTOBRE 2011, QUEL
EST LE PLAT PRÉFÉRÉ
DES FRANÇAIS ?
A
6
B Le troisième jeudi de novembre
C Le premier jeudi de décembre
LA TOQUE EST UN ACCESSOIRE INDISPENSABLE
DE TOUT GRAND CHEF CUISINIER.
MAIS QUE SONT LES « TOQUES » À LYON ?
LEQUEL DE CES GUIDES
GASTRONOMIQUES
N’EXISTE PAS ? :
A
8
9
B
C
A Le bottin gourmand
B Les tables de France
C Le guide Hubert
Réponses
Retrouvez des explications
aux réponses sur
6A
3A
5A
2B
4B
1C
9B
8B
7A
32 | G&M n°1 novembre-décembre 2012

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