Marathon de Rome: au cœur de l`Urbs antique

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Marathon de Rome: au cœur de l`Urbs antique
Les Acteurs de l’Immobilier
Les Acteurs de l’Immobilier
Le Colisée.
Les marathons de l’architecture par Patrick Blaser
Marathon de Rome:
au cœur de l’Urbs antique
A la suite des marathons de Pékin (Prestige Immobilier n° 15) et de Marrakech (Prestige
Immobilier n° 16), Patrick Blaser retourne en Europe pour plonger au cœur de la Rome antique.
Ce marathon a traditionnellement lieu en mars (beau temps garanti!). Les participants ont ainsi
tout loisir d’apprécier à sa juste valeur toute la diversité architecturale de la Ville éternelle, l’Urbs,
héritage de 2000 ans d’histoire, qui défile sous leurs yeux durant 42 km (et des poussières!)
L
e marathon de Rome offre
incontestablement l’un des
parcours des plus variés qui
soient en termes d’histoire de l’art
et d’architecture. Il conduit en effet ses participants successivement
dans une Rome antique, médiévale,
baroque ou Renaissance, avec un
superbe crochet au cœur du Vatican.
Ce feu d’artifice de monuments historiques fait du marathon de Rome
un événement incontournable, à ne
manquer sous aucun prétexte.
Le Colisée: à la gloire de Rome
Le départ – et à l’arrivée! –, du marathon ont lieu au meilleur endroit
qui soit: au pied du Colisée. Ce monument était la meilleure carte de visite de la Rome antique. Près de 2000
ans après, c’est encore le cas. Dans
l’attente du départ, les participants
au marathon ont largement le temps
d’apprécier l’architecture de ce monument colossal (colosseum en latin;
voilà: le lien est fait!) et de méditer
sur quelques pans de son histoire.
D’une hauteur de 57 m, comprenant
trois étages d’arcades, avec une
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circonférence de 527 m, incluant
trois galeries circulaires, le Colisée
constitue le plus grand amphithéâtre, pouvant accueillir 50 000 personnes assises, jamais construit par
les Romains. Les arcades reposent
sur d’imposants piliers à colonnes
doriques à la base et ioniques ou
corinthiennes aux étages.
Manifestement, le Colisée en impose.
C’était, et c’est toujours, sa vocation!
On doit ce chef-d’œuvre monumental
à l’empereur Vespasien qui l’a commencé en 72 après J.-C. Il a été achevé
sous le règne de Domitien (empereur
de 81 à 96).
Tout le monde a à l’esprit les combats
de gladiateurs qui se tenaient dans
l’arène. Mais il s’y déroulait aussi
d’autres spectacles plus culturels et
parfaitement recommandables.
C’est en 404 que les combats de gladiateurs ont été interdits, par la bonté de l’empereur Honorius (qui porte
bien son nom).
Par la suite, le Colisée ne résistera pas
aux outrages du Moyen Âge qui en fit
une carrière de pierres avant que, au
XVIIIe siècle, un pape, Benoît XIV, ne
vienne à son secours en interdisant le
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«sac» de ce monument qui fut restitué en son état d’origine (mais sans
les gladiateurs!).
Forum et Capitole:
le temps des palabres
Juste après le départ, le marathon
longe le Forum, avec sa multitude
de colonnes encore visibles que domine la colline du Palatin.
Toute l’histoire de Rome est passée
par là. Les innombrables vestiges
de temples, de basiliques, de portiques, d’arcs de triomphes, de statues et de rues permettent d’avoir
des points d’ancrage avec cette histoire mouvementée qui a vu défiler
tant d’empereurs, de guerres civiles, d’assemblées populaires, d’envahisseurs vandales (dans tous les
sens du terme), enfin, mais en plus
pacifique, de hordes de touristes.
A quelques enjambées du Forum,
le Capitole. C’est sur cette colline,
la plus petite des sept qui surplombent Rome, que Rome trouve son
origine et que s’y exerçait le pouvoir.
Cette colline présente un ensemble
tarabiscoté mais admirable de bâ-
timents de tout temps et de toute
époque qui se sont succédé au rythme imperturbable des siècles.
Pêle-mêle se côtoient sur cette colline le Palais du Sénat, dont on doit
la façade actuelle à Michel-Ange, le
Palais des Conservateurs (15e siècle) et le Nouveau Palais, tous deux
également dessinés par MichelAnge, le Théâtre Marcello qui a été
construit à l’initiative de l’empereur
César, ainsi que le temple d’Apollon, dont subsistent trois élégantes
colonnes cannelées à chapiteaux
corinthiens.
Bref, toute l’histoire de Rome s’est
donné rendez-vous sur cette colline.
De la pyramide de Cestius
à la Basilique Saint Paul
Après le Capitole, plein cap sur le
sud de la ville. A la hauteur du mur
d’enceinte de Rome que l’on doit
à l’empereur Aurélien (qui, c’était
prémonitoire, s’inquiétait déjà très
sérieusement de la menace germanique), l’œil est immédiatement
frappé par une incongruité architecturale. En effet, un simple lambda
romain (tout de même magistrat,
aisé, de son état) du Ier siècle av. J.C. n’a rien trouvé de mieux que de
se faire édifier sous le ciel romain,
en guise de tombeau, une monumentale pyramide égyptienne couverte de marbre blanc.
La commission des monuments et
des sites de l’époque semblait manifestement moins tatillonne sur
le mélange des genres qu’actuellement. L’idée de la pyramide ne devait pas être mauvaise, puisque le
musée du Louvre l’a reprise!
Cela observé, le marathon de l’histoire romaine mène ensuite ses participants sur les traces de l’apôtre
Saint-Paul, qui a son tombeau dans
la Basilique Saint-Paul-hors-lesMurs. À l’origine, cette somptueuse basilique avait été édifiée par
l’empereur Constantin, lequel avait
placé le christianisme en odeur de
sainteté impériale et était rongé
de remords suite à la décapitation
de l’apôtre Paul par un de ses peu
illustres prédécesseurs (peut-être
Néron).
Le Château Saint-Ange:
un tombeau devenu forteresse
Avant d’atteindre la cité du Vatican, le marathon passe à côté du
Château Saint-Ange. Cet édifice,
caractérisé par sa masse trapue et
son impressionnant bâtiment cylindrique de 20 m de haut, a tout
de l’aspect d’une forteresse. C’est
d’ailleurs bien l’usage qui en fût
fait lorsque, au Moyen âge, la papauté se disputait, armes à la main,
avec quelques familles de nobles
romains, mais néanmoins voisins
encombrants. De même au XVIe siècle, lorsque le pape Clément VII s’y
réfugia alors qu’il était en délicatesse avec Charles-Quint (mais qui ne
l’était pas?).
Pourtant, à l’origine, ce bâtiment
avait été uniquement conçu pour
servir de tombeau à l’empereur Hadrien (dont le sens de la grandeur
n’était pas la moindre des qualités).
Ses successeurs, jusqu’à l’empereur Septime-Sévère, y élirent aussi
domicile post mortem (la place ne
manquait pas!).
Par la suite l’empereur Aurélien, qui
a fait édifier l’enceinte de Rome encore visible de nos jours, incorpora
avec pragmatisme le Château SaintAnge dans son mur d’enceinte, en
en faisant une forteresse, attribution qui colla aux murs de cet édifice pendant des siècles. Sa construction s’y prêtait d’ailleurs fort bien.
Au sommet du château, on distingue très bien la statue de SaintAnge (armé!), à qui le pape Grégoire-le-Grand avait attribué, en 590,
les mérites de la fin d’une peste qui
avait déjà décimé la population.
Cette statue, signe des temps, avait
d’ailleurs remplacé celle – de luimême! – que l’empereur Hadrien
avait installée de son vivant.
Place Saint-Pierre: un instant
de recueillement virtuel
Point d’orgue de ce marathon (parmi d’autres!), la traversée de la
place Saint-Pierre. L’émotion est
au rendez-vous; c’est somptueux et
grandiose. C’est le génie baroque
A vril
–
M ai
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La fontaine de Trèves.
Le célèbre bain de minuit
d’Anita Ekberg
dans «La Dolce Vita».
du Bernin qui a donné à cette place
toute la dimension spirituelle et visuelle nécessaire pour que le pèlerin se rendant à la basilique SaintPierre se sente transporté avant
même de pénétrer dans le Saint des
Saints. Et c’est réussi.
Les deux bras protecteurs qui entourent en demi-cercle la place comprennent quatre rangées de colonnes
en perspective qui donnent à la place
toute la solennité qui sied aux lieux.
Au centre de la place se situe le
célèbre obélisque, monolithe de
granit taillé en Egypte comme il
se doit, qui a été «récupéré» par
le pape Sixte-Quint alors qu’il trônait sur une autre place de Rome.
A l’origine c’est l’empereur Caligula
(en 37 après J.-C.) qui l’avait fait
transporter d’Héliopolis (où il avait
été construit pour le préfet romain
du coin) jusqu’à Rome.
Au fond de la place, en point de mire,
c’est toute la magnificence de la basilique Saint-Pierre qui s’impose.
Place Navona: rendez-vous
galant avec le baroque
Après un long périple au nord de
Rome, qui présente malheureusement peu d’intérêt, le parcours replonge vers le centre de la Rome historique et rejoint la place Navona.
Ici, autre temps, autres mœurs.
A la place Navona, il ne reste plus
aucun vestige de l’époque romaine.
Ou presque. En effet le fantôme
(comprendre l’esprit) de ces temps
antiques hante toujours les lieux,
puisque la place reprend, presque au
mètre près, les dimensions et la forme
de l’ancien stade qu’avait construit
en ces lieux l’empereur Domitien.
Depuis, les architectes et les artistes de la Renaissance et du baroque
(16e et 17e siècles) s’en sont donnés
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de Sainte-Marie du Peuple, de style
Renaissance, qui abrite des œuvres
du Caravage, légitime fierté de l’église et qui vaut le déplacement (mais
ce sera pour plus tard!).
Place d’Espagne et Fontaine
de Trèves: coups de foudre
baroque
à cœur joie et avec faste. Cette place comprend en effet une véritable
mosaïque de palais, d’églises et de
fontaines où l’embellissement est de
rigueur avec la bénédiction, et le financement, papaux.
Bref la place Navona constitue l’une
des plus belles places de Rome. L’animation y est de surcroît permanente.
Trois fontaines se disputent les faveurs du public, avec au centre de la
place la fontaine des fleuves que l’on
doit au pape du baroque italien, Le
Bernin (par la grâce d’Innocent X, ce
sculpteur est décidément partout).
Le tout à l’ombre de l’église de SainteAgnès, dont la façade, tout en courbes, a été dessinée par Borromini.
La place du peuple:
pour impressionner l’étranger
Le marathon remonte ensuite vers le
nord en direction de la place du peuple en empruntant, en droite ligne, la
via del Corso.
Le saut dans le XXe siècle se fait sans
transition. C’est la rue commerçante
la plus courue de Rome (même, et
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surtout, hors marathon); véritable
paradis du shopping (pour ceux qui
aiment ça).
Comme son nom l’indique (del Corso), cette rue était utilisée pour les
courses de … chevaux, selon une
tradition que l’on doit au XVe siècle
et au pape Paul II (comme quoi!).
Et comme bon nombre d’autres rues
principales à Rome, l’emplacement
de cette rue remonte à l’époque romaine.
En bout de course, on atteint la place du peuple, qui est l’une des plus
vastes de Rome. Aménagée par Giuseppe Valadier, le «chouchou» des
papes Pie VI et Pie VII, elle devait impressionner l’étranger qui entrait à
Rome par la porte nord de l’enceinte
élevée par l’empereur Aurélien.
Au centre, un incontournable obélisque égyptien ramené d’Héliopolis
par l’empereur Auguste qui, initialement, ornait le Circus Maximus. Par
la suite, cet obélisque a été déménagé à la place du peuple par volonté
papale.
Autour de cette place, on ne compte
pas moins de trois églises, dont celle
C’est ensuite le retour vers le centre
de Rome par la via del Babuino, avec
ses charmantes boutiques d’antiquaires.
Au passage un coup d’œil, trop bref,
sur la place d’Espagne, noire de
monde, et l’église de la Trinité-desMonts qui surplombe cette place et
l’escalier qui y mène.
Cette place n’a rien d’espagnol, mais
a appartenu un temps aux Ibères
(pour le plus grand courroux de leurs
voisins français, jaloux).
Le «must» (le mot n’est pas usurpé vu
le luxe des boutiques avoisinantes)
de cette place est bien évidemment
constitué par l’escalier qui mène à
l’église de la Trinité-des-Monts. A
cet endroit, le style baroque trouve
sa meilleure expression en termes
de perspectives et de répartition des
surfaces, donnant à cet escalier une
grandeur qu’il n’a en fait pas!
Au printemps, cet escalier croule
sous les azalées. Coup de foudre garanti!
Conquis par cet escalier, les Français,
qui venaient de conquérir Rome, imaginèrent de dresser en son faîte une
statue équestre de Louis XIV. Heureusement, l’idée fut définitivement
abandonnée suite à la retraite (elle
aussi définitive) desdits Français.
Nouveau rendez-vous avec une autre
beauté baroque; à quelques enjambées de là se situe l’icône de la dolce
vita romaine. Il s’agit de la fontaine
de Trèves, dans laquelle il ne faut
pas hésiter à jeter, de dos, une pièce
de monnaie pour finir le marathon
autrement que sur les rotules!
Piazza Venezia: la foule est au
rendez-vous
Les vœux monnayés à la fontaine
de Trèves sont rapidement exaucés.
En effet, le marathon débouche sur
la fameuse Piazza Venezia, noire de
monde, qui annonce l’arrivée dans
trois kilomètres.
Cette place est dominée par le célèbre
(cartes postales obligent) monument
dédié à la mémoire du roi Victor-Emmanuel II. En fait, aussi célèbre que
décrié. En effet ce gigantesque bâtiment d’inspiration romaine antique,
construit entre 1885-1911, ne s’intègre pas, par le déséquilibre qu’il provoque, dans l’architecture des lieux.
Trop grand et inélégant pour les uns,
trop blanc et mal proportionné pour
les autres, ce bâtiment prétentieux a
été affublé de nombreux sobriquets
allant de «la machine à écrire» à
«la pièce montée», en passant par
«le dentier». Bref, il fait l’unanimité
contre lui. Pourtant, sur cette place,
on ne voit que lui (et pour cause!).
Qu’importe, il suffit de détourner le
regard de l’autre côté de la place pour
voir le Palazzo Venezia qui, lui, s’intègre parfaitement dans son cadre. On
doit ce palais, dont la construction
a commencé en 1455, au pape Paul
II et à ses successeurs (notamment
Sixte IV et Pie IV) qui n’eurent de cesse de l’embellir (avec goût!).
Le Circus Maximus:
ses heures de gloire
Le marathon longe enfin le Circus
Maximus. L’arrivée au Colisée n’est
plus très loin.
Ce cirque, le plus vaste de Rome, a
connu ses heures de gloire à l’époque antique des courses de chars à
deux, trois, voire quatre chevaux qui
pouvaient attirer jusqu’à 300 000
spectateurs. Ces courses étaient si
populaires que les empereurs ont rapidement compris l’intérêt, politique,
qu’il y avait à embellir ces lieux avec
ostentation. Par ailleurs, le recours
à la tricherie (pouvant aller jusqu’au
meurtre), afin que ce soit l’écurie de
l’empereur qui gagne, était une pratique courante.
Aujourd’hui, ce cirque a perdu de son
lustre d’antan et les touristes ne s’y
bousculent plus. Même l’obélisque
égyptien qui y trônait a été déplacé.
Encore quelques enjambées et c’est
enfin l’arrivée au Colisée sous les
vivats d’une foule dense et chaleureuse (on est en Italie!).
Et déjà, les souvenirs les plus mémorables de la course s’entrechoquent.
Ce n’est en effet pas souvent qu’un
marathon offre l’opportunité de traverser plus de 2000 ans d’histoire en
… 42 km! n
Patrick Blaser
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