Syndrome de Bart : une nouvelle observation néonatale
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Syndrome de Bart : une nouvelle observation néonatale
Journal de pédiatrie et de puériculture (2013) 26, 232—235 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com CAS CLINIQUE Syndrome de Bart : une nouvelle observation néonatale Bart’s syndrome: A new neonatal case report A. Ben Itto ∗, M. Lehlimi , A. Habzi , S. Benomar Service de néonatologie et de réanimation néonatale, hôpital d’enfants Abderrahim El Harouchi, CHU Ibn Rochd, Casablanca, Maroc Reçu le 16 juillet 2012 ; accepté le 26 mars 2013 MOTS CLÉS Syndrome de Bart ; Épidermolyse bulleuse congénitale ; Atrophie cutanée ; Dystrophie unguéale ; Infection ; Soins locaux Introduction Le syndrome de Bart est une affection héréditaire associant une aplasie cutanée congénitale touchant les extrémités, une épidermolyse bulleuse congénitale, ainsi que des déformations unguéales. Il a été décrit pour la première fois chez une famille par Bart et al. en 1966 [1]. La physiopathologie est toujours mal comprise. Le but de la prise en charge est de prévenir les complications secondaires et de préparer le terrain pour une éventuelle chirurgie réparatrice. Le pronostic est généralement bon et dépend directement de la bonne prise en charge des lésions cutanées [2]. Nous rapportons une nouvelle observation d’un syndrome de Bart néonatal, et proposons une revue de la littérature. KEYWORDS Bart’s syndrome; Congenital epidermolysis bullosa; Skin atrophy; Nail dystrophy; Infection; Local care ∗ Observation Il s’agit d’un nouveau-né de sexe féminin, issue de parents apparemment en bonne santé, consanguins de premier degré, de mère primipare primigeste ayant eu une grossesse mal suivie menée à terme, et un accouchement par voie basse. Elle a été admise au septième jour de vie pour suspicion d’infection post-natale en provenance du centre hospitalier régional où elle est née. L’anamnèse infectieuse était négative. Le nouveau-né présentait depuis la naissance des lésions cutanées diffuses, avec la constatation à j7 de vie par les parents d’une fièvre non chiffrée et d’une hypotonie. L’examen à l’admission trouvait un nouveau-né à Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (A. Ben Itto). 0987-7983/$ — see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.jpp.2013.03.004 Syndrome de Bart : une nouvelle observation néonatale Figure 1. 233 Érosions au niveau du visage et de la muqueuse buccale. Figure 4. Figure 2. Érosions post-bulleuses étendues. terme, eutrophique, avec un poids de 2870 g versus 3000 g à la naissance (perte physiologique de 10 %), une taille de 46 cm (dans la moyenne), un périmètre crânien de 33 cm (dans la moyenne). L’état hémodynamique était stable, avec une fièvre à 38,5◦ C, un temps de recoloration cutanée inférieur à trois secondes, une fréquence cardiaque normale à 150 battements/min, et une fréquence respiratoire à 40 cycles/min. Il n’y avait pas de signes de déshydratation. L’examen cutané (Fig. 2—5) a objectivé des bulles au niveau des faces externes des jambes, de l’auriculaire et majeur droits, et du dos de la main gauche. Les érosions post-bulleuses étaient présentes sur les joues, le front, le thorax, les membres supérieurs, les membres inférieurs, les fesses et au niveau de la muqueuses buccale (Fig. 1 et 2). Des lésions d’aplasie cutanée congénitale étaient présentes sur les faces internes des jambes et chevilles (Fig. 3 et 4). Les ongles étaient dystrophiques. Il n’y avait pas de lésions au Aplasie cutanée congénitale au niveau des pieds. niveau du dos et du cuir chevelu ; par ailleurs, il y’avait un muguet buccal et une chéilite. Le reste de l’examen clinique était sans particularités. Le bilan infectieux a objectivé une protéine C-réactive (CRP) très élevée à 270 mg/L, l’hémoculture a mis en évidence un Enterobacter cloacae multirésistant (sensible à la colistine, la ciprofloxacine, l’amikacine, et la nétilmicine). La ponction lombaire et l’ECBU n’ont pas été faits, vu qu’on a retenu la surinfection de lésion d’épidermolyse bulleuse congénitale (EBC) par l’E. cloacae multirésistant. Pour le diagnostic différentiel, la sérologie syphilitique a été faite et était négative. Le traitement antibiotique initial était probabiliste consistant en l’association intraveineuse de céphalosporines de troisième génération et de gentamicine pendant sept jours, puis orienté par l’antibiogramme à base de Colimycine® . Le traitement conservateur a consisté en la rupture des bulles, des soins locaux biquotidiens par de la Biafine® pour tout le corps, de la Fucidine® sur les lésions surinfectées, et la couverture de toutes les lésions par des compresses vaselinées. Par ailleurs, des bains quotidiens par un gel surgras avec une manipulation douce et un traitement antalgique étaient administrés. L’évolution initiale était favorable, marquée par la défervescence thermique dès j1 de traitement, l’assèchement des lésions et le début du bourgeonnement cutané au niveau des zones d’épidermolyse (Fig. 5). Une éventuelle greffe cutanée ultérieure fut discutée avec les plasticiens. Malheureusement, la patiente est décédée à j12 d’hospitalisation dans un tableau de sepsis grave. L’étude anatomopathologique de la pièce de biopsie cutanée réalisée en post-mortem après le consentement parental était en faveur d’une épidermolyse bulleuse congénitale de type jonctionnel. Les parents ont été adressés pour un conseil génétique. Discussion Figure 3. Aplasie cutanée congénitale au niveau des pieds. Le syndrome de Bart est caractérisé par une triade clinique : l’aplasie cutanée congénitale (ACC) localisée au niveau des extrémités, l’EBC et les déformations unguéales [1—4]. L’ACC est définie comme l’absence localisée de la peau à la naissance [5]. Sa physiopathologie est très controversée [5—7]. Certains auteurs l’expliquent par un traumatisme 234 Figure 5. A. Ben Itto et al. Assèchement et début de cicatrisation des lésions cutanées. mécanique intra-utérin notamment par friction. Cette idée est toutefois discutée vu que les lésions du syndrome de Bart sont généralement bilatérales et plus ou moins symétriques. Également, leur localisation au niveau des plantes des pieds et des orteils rend difficile la théorie de traumatisme par friction intra-utérine. D’autres auteurs ont fait le lien entre la topographie des lésions d’ACC et les lignes de Blaschko, lignes de migration embryonnaire cutanées qui prennent, entre autres, une disposition en S italique le long des membres. Les lésions d’ACC qui suivent ces lignes sont symétriques, et ont un aspect caractéristique de bandes en S à bords bien délimités. Enfin, l’adhérence des bandes amniotiques à la peau, l’infarctus placentaire ou la mort d’un fœtus jumeau in utero ont aussi été proposés. Les EBC sont des génodermatoses correspondant à une atteinte de la jonction dermoépidermique, responsable de la formation de bulles et d’érosions cutanéomuqueuses [8]. Il en existe trois types selon le niveau de clivage dermoépidermique : les épidermolyses bulleuses (EB) simples (EBS), les EB jonctionnelles (EBJ) et les EB dystrophiques (EBD). On distingue les EBS où le clivage est intraépidermique dans la couche basale épidermique, les EBJ où le clivage se situe au niveau de la membrane basale elle-même, et les EBD où le clivage se situe sous la membrane basale, plus précisément au niveau des fibrilles d’ancrage du derme superficiel. Il existe plusieurs diagnostics différentiels à éliminer avant de retenir l’EBC, principalement les causes infectieuses. Le syndrome de Bart est de plus en plus considéré comme une variante intra-utérine des EBD [6,9,10]. Cela est dû au fait que la mutation de la région p21 du bras court du chromosome 3, impliquée dans le syndrome de Bart, est contiguë au gène du collagène type VII (COL7A1) qui code pour les fibres de collagène type 7, principal constituant des fibrilles d’ancrage permettant la cohésion entre le derme et la membrane basale [11,12]. La mutation du gène COL7A1, dont résulte une substitution de la glycine en arginine, est la principale mutation des EBD [8]. Cela étant dit, vu que le syndrome de Bart peut être retrouvé dans n’importe quel type d’EBC [13—15] comme dans le cas de notre patiente ou le syndrome de Bart était associé à une EBJ, plusieurs auteurs considèrent que le syndrome de Bart n’est que le résultat d’une présence intra-utérine simultanée d’une absence localisée de la peau et d’une EBC [12]. Somme toute, malgré les bases génétiques toujours mal comprises du syndrome de Bart, il n’en est pas moins considéré comme une maladie génétique autosomique dominante à pénétrance complète et à expression variable [11]. Les malformations unguéales rencontrées lors de ce syndrome sont la dystrophie unguéale, l’onychomadèse, et l’anonychie [6,16]. Le mécanisme de l’atteinte unguéale dans le cadre du syndrome de Bart est jusqu’à ce jour mal élucidé. Le traitement est d’abord conservateur, visant à favoriser au mieux l’épithélialisation et donc la cicatrisation des lésions cutanées, puis éventuellement chirurgical à visée réparatrice [5,8,17]. Le traitement conservateur repose surtout sur les soins locaux, par l’application de pansements de gaze vaselinés non collants sur les érosions propres et des pommades antibiotiques sur les lésions surinfectées. Un bain est recommandé tous les jours ou tous les deux jours, en utilisant des antiseptiques dilués, servant aussi à retirer les pansements dans le bain s’ils collent trop. Les bulles doivent être percées, et la manipulation doit être aussi douce que possible afin d’éviter d’autres traumatismes cutanés. Pour prévenir les syndactylies, de petites bandes entre les doigts et les orteils sont préconisées. Dans le cas d’un sepsis à point de départ cutané comme dans le cas de notre patiente, une antibiothérapie intraveineuse d’abord probabiliste puis orientée par l’antibiogramme est indiquée. Le traitement antalgique est un volet très important du traitement conservateur, puisque les soins locaux sont très douloureux, mais malheureusement incontournables. Les complications pouvant se greffer lors du traitement conservateur sont les infections (sepsis secondaire, surinfection localisée), l’hémorragie vu la fragilité cutanée, la déshydratation et les troubles hydroélectrolytiques, l’hypothermie, et par la suite, des cicatrices atrophiques ou hypertrophiques [6,8,18]. Sur des érosions chroniques qui ne cicatrisent pas, on peut avoir recourt à des autogreffes ou des allogreffes de peau. Le pronostic est généralement favorable, il est d’autant plus meilleur que la prise en charge est précoce, et que l’EBC est moins sévère [6,19,20]. Le conseil génétique est très difficile vu le mode d’expression très variable de la maladie ainsi que la différence interindividuelle et interfamiliale du phénotype. Syndrome de Bart : une nouvelle observation néonatale Conclusion Le syndrome de Bart est une association congénitale curieuse de symptômes cutanés bien définis à savoir l’ACC, l’EBC et l’atteinte unguéale, dont l’étiopathogénie demeure encore mal élucidée, d’où la difficulté d’établir une stratégie de diagnostic anténatal ou de donner un conseil génétique approprié. Si le diagnostic clinique en est aisé, la prise en charge est complexe visant à faire cicatriser au mieux les lésions cutanées tout en évitant les complications secondaires, conditionnant ainsi directement le pronostic. Références [1] Bart BJ, Gorlin RJ, Anderson EV. Congenital localized absence of skin and associated abnormalities resembling epidermolysis bullosa. A new syndrome. Arch Dermatol 1966;93:296—304. [2] Benvenuto C, Kraemer CK, Kruse RL. 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