Syndrome thoracique aigu et accident vasculaire cérébral

Transcription

Syndrome thoracique aigu et accident vasculaire cérébral
Journal de pédiatrie et de puériculture (2012) 25, 279—281
Disponible en ligne sur
www.sciencedirect.com
CAS CLINIQUE
Syndrome thoracique aigu et accident vasculaire
cérébral ischémique survenant en postopératoire
chez un drépanocytaire homozygote
Acute chest syndrome and ischemic stroke occurs postoperatively in
a sickle cell homozygous
H. Alaoui a,∗, M. Meziane a, M. Boujida b, A. Koraichi b,
M. Haddouri b, S. Cherif Kettani b, H. Azendour a,
N. Drissi Kamili a
a
Pôle d’anesthésie réanimation, hôpital militaire Med V-Rabat, avenue Tarik ibn Ziad,
lotissement Aziza, immeuble 13, appartement 4, Temara, Rabat, Maroc
b
Service de réanimation pédiatrique polyvalente, hôpital d’enfants, Rabat, Maroc
Reçu le 10 mai 2011 ; accepté le 15 juin 2012
MOTS CLÉS
Accident vasculaire
cérébral ;
Drépanocytose ;
Périopératoire ;
Syndrome thoracique
aigu
Introduction
La drépanocytose est une anémie hémolytique chronique caractérisée par la survenue
d’accidents graves vaso-occlusifs et infectieux [1]. Nous rapportons un cas d’un drépanocytaire homozygote de dix ans admis dans un tableau de choc septique secondaire à une
péritonite postopératoire, et dont l’évolution était marquée par la survenue d’un syndrome
thoracique aigu (STA) et d’un accident vasculaire (AVC) ischémique étendu.
Observation
KEYWORDS
Acute chest
syndrome;
Perioperative;
Sickle cell anemia;
Stroke
∗
Il s’agit d’un enfant de dix ans, suivi pour drépanocytose homozygote, admis pour un abdomen aigu au décours d’une cholécystectomie cœlioscopique. Devant la non-amélioration
des douleurs abdominales par les antalgiques, l’aggravation du tableau clinique avec les
signes de sepsis et l’existence d’un épanchement intra péritonéal à l’imagerie, l’enfant
était admis au bloc pour suspicion d’une péritonite postopératoire. Le bilan préopératoire
trouvait une anémie à 7,8 g/dl, une hyperleucocytose à 32 000, une PaO2 à 86 mmHg et une
PH à 7,22 avec une radiologie pulmonaire normale. Le patient était mis sous antibiotiques
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : hassan [email protected] (H. Alaoui).
0987-7983/$ — see front matter © 2012 Publié par Elsevier Masson SAS.
http://dx.doi.org/10.1016/j.jpp.2012.06.009
280
Figure 1. Infiltrats pulmonaires bilatéraux évoquant un syndrome
thoracique aiguë (STA).
à large spectre, de même qu’une transfusion de deux culots
globulaires. L’exploration chirurgicale découvrait une péritonite biliaire sur lâchage des sutures. En peropératoire, une
instabilité hémodynamique était survenue avec tachycardie
à 188b/mn, PAS à 64 mmHg et PAD à 39 mmHg ayant nécessité le recours à un remplissage vasculaire et l’introduction
des drogues vasoactifs. L’hémoglobine de contrôle était
à 10,8 g/dl. Les suites en réanimation étaient marquées
par l’apparition à j1 des infiltrats radiologiques pulmonaires bilatéraux (Fig. 1), avec parallèlement une anémie
à 8,1 g/dl et une HbS à 60 %. Les prélèvements bactériologiques étaient revenus négatifs. Devant cette situation
d’hypoxémie et d’instabilité hémodynamique, des séances
de transfusion d’échange (TE) partiel étaient pratiquées,
mais sans amélioration. À j3, une TDM cérébrale réalisée
devant la constatation d’une mydriase bilatérale montrait
l’aspect d’un accident vasculaire cérébral ischémique (AVCI)
hémisphérique droit avec un effet de masse (Fig. 2). Notre
patient était décédé au quatrième jour.
H. Alaoui et al.
déshydratation active la falciformation des hématies à
l’origine de complications vaso-occlusives, de ce fait la
période périopératoire en cas d’acte chirurgical surtout
de caractère urgent constitue une période à haut risque
[3,4]. En plus, la cholécystectomie cœlioscopique qui est
l’intervention de choix pour la cure de la lithiase vésiculaire sur ce terrain fragile pourrait être techniquement
difficile du fait de l’intensité de la réaction inflammatoire
et des adhérences liées aux infections répétées, ainsi que
les fréquentes variations anatomiques et les malformations
biliaires méconnues, ce qui explique les hémorragies en peropératoire, les plaies biliaires ou les lâchages de sutures à
l’origine parfois de péritonites biliaires graves [5—7].
Le syndrome thoracique aigu et l’AVC sont deux
complications majeures du drépanocytaire, elles sont grevées d’une lourde morbi-mortalité [8].
Le STA est défini par la survenue de manifestations thoraciques (douleurs thoraciques, dyspnée, toux) associées à
un infiltrat radiologique uni- ou bilatéral accompagné de
fièvre. Il apparaît chez plus de 50 % des enfants HbSS. En
période postopératoire c’est une complication redoutable,
dont l’incidence varie selon les séries autour de 10 % [8—11].
La physiopathologie de ce syndrome est complexe et associe
soit un infarctus pulmonaire, une atélectasie secondaire à la
douleur thoracique ou sous-diaphragmatique, une embolie
graisseuse à point de départ osseux ou une infection pulmonaire. Les risques de survenue d’un STA sont d’autant plus
élevés que le drépanocytaire est jeune, que sa concentration d’HbS est élevée, que sa concentration d’HbF est basse,
et que le nombre de leucocytes est augmenté [9]. La distinction entre pneumopathie infectieuse et STA peut se révéler
difficile. Les arguments en faveur du STA sont la progression des infiltrats et le déclin de l’oxygénation, associés à
une chute de l’hémoglobine [8]. Pour notre malade, le diagnostic retenu devant les images radiologiques associées à
l’anémie était un STA secondaire au sepsis intra-abdominal.
Le mécanisme d’infection pulmonaire à l’origine du STA était
peu probable devant la normalité des prélèvements bactériologiques.
L’AVC survient chez 6 à 10 % des patients drépanocytaires
homozygotes [2,8,12]. L’atteinte ischémique des gros troncs
Discussion
La drépanocytose est une maladie autosomique récessive, à l’origine de synthèse d’une hémoglobine anormale :
l’hémoglobine S. Elle associe cliniquement une anémie
hémolytique, des crises vaso-occlusives, des complications
viscérales d’origine ischémique pouvant atteindre pratiquement tous les organes (œil, appareil ostéo-articulaire,
poumon, cœur, système nerveux. . .) et le risque d’infection
lié à l’asplénie fonctionnelle. Les syndromes drépanocytaires « majeurs » regroupent la forme homozygote S/S et
les formes hétérozygotes composites S/C et S␤+ ou S␤ thalassémie. La forme homozygote SS a une évolution plus
sévère, mais la plupart des complications y compris les
plus graves peuvent être observées au cours des formes
hétérozygotes composites. Par opposition, les sujets hétérozygotes AS sont en règle générale asymptomatiques [1,2]. En
effet, toute situation d’anémie, d’hypoxie, d’acidose ou de
Figure 2. Aspect d’un accident vasculaire cérébral ischémique
(AVCI) hémisphérique étendu.
STA et AVCI survenant en postopératoire chez un drépanocytaire homozygote
artériels apparaît dans l’enfance, et peut être détectée par
un écho-Doppler transcrânien annuel. À l’âge adulte, ce
sont d’abord les accidents hémorragiques qui surviennent
puis les accidents ischémiques distaux. Les facteurs de
risque significatifs sont la présence d’une vasculopathie
cérébrale proximale, l’anémie chronique sévère et la survenue récente d’un STA [13,14]. La gravité de ces accidents
vasculaires cérébraux tient aussi à la fréquence des récidives, qui est entre 30 et 60 % selon les séries, ce qui pose le
problème de leur prévention à long terme [15]. Chez notre
patient, la survenue de l’AVC ischémique était favorisée par
le STA et l’instabilité hémodynamique d’origine septique,
l’étendue de l’atteinte vasculaire ischémique et sa topographie laisse penser qu’il s’agissait d’un AVC sur une probable
vasculopathie cérébrale sténosante (gros troncs) antérieure
compliquée en aigu de thrombose soit in situ soit embolique. L’éventualité d’une récidive ischémique d’un premier
AVC silencieux ou transitoire qui était passé inaperçu est à
considérer aussi.
La prise en charge thérapeutique des complications
graves du drépanocytaire (STA, AVC. . .) ainsi que la prise
en charge anesthésique usuelle fait appel principalement
à un programme transfusionnel qui comprend la transfusion simple et la TE dont le but est de traiter l’anémie et
d’abaisser le pourcentage d’HbS jusqu’à un niveau fonction des risques inhérents à l’intervention ou au terrain
[2,10,16]. Les indications de la TE pour le cas de notre
patient étaient indiscutables avec comme objectif un taux
d’HbS au dessous de 30 %, et ce qu’il soit en phase préopératoire (la chirurgie en urgence, la laparotomie, l’état
de choc septique), ou en phase postopératoire devant les
complications survenues à savoir le STA et l’AVC. Dans
notre cas la TE était matériellement impossible en phase
préopératoire et en per opératoire, on s’était contenté
de la transfusion simple de deux culots globulaire devant
une anémie à 7,8 qu’on avait contrôlé en postopératoire ;
Hb à 10,8. Mais, on l’avait pratiqué d’emblée devant
l’apparition secondaire d’une anémie à 8,1 qui avait coïncidé avec l’installation des images du STA. En effet, c’était
des séances de TE faites de façon partielle vu l’instabilité
hémodynamique dont souffrait notre malade.
Conclusion
La drépanocytose est une hémoglobinopathie grave vu les
complications auxquelles elle peut exposer. La période péri
opératoire surtout en cas d’urgence chirurgicale est une
période à haut risque. Le rôle de l’anesthésiste dans ce
contexte d’urgence doit cibler la prévention et le traitement des différentes situations pathologiques prédisposant
à la falciformation (hypoxie, acidose, hypovolémie. . .) à
coté de la prise en charge transfusionnelle qui doit couvrir toute la période périopératoire en visant un taux d’HbS
au-dessous de 30 % pour essayer d’anticiper la survenue de
telles complications.
281
Déclaration d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en
relation avec cet article.
Références
[1] Juneja HS, Shulman E, Reed K, Mclntire LV, Natarajan M.
Pathophysiology and management of sickle cell pain crisis.
Report of a meeting of physicians and scientists, University
of Texas Health Science Center at Houston, Texas. Lancet
1995;346:1408—11.
[2] Habibi A, Godeau B, Galacteros F. Drépanocytose et réanimation. Reanimation 2007;16:310—7.
[3] Constant I. Drépanocytose et anesthésie. Conférence
d’actualisation 1997:33—55.
[4] Habibi A, Brun-Buisson C, Bachir D, Schaeffer A. Drépanocytose vue à l’âge adulte et réanimation. Reanimation
2002;11:317—25.
[5] Séguier-Lipszyc E, de Lagausie P, Benkerrou M. Elective laparoscopic cholecystectomy, treatment of choice for lithiasis
in children with sickle cell disease. Surg Endosc 2001;15:
301—4.
[6] Ndoye JM, Diop PS, Fall M, Fall B. Le traitement cœlioscopique de la lithiase vésiculaire chez l’enfant drépanocytaire au Sénégal. J Afr Hepatol Gastroenterol 2011;5:
33—5.
[7] St Peter SD, Keckler SJ, Nair A. Laparoscopic cholecystectomy
in the pediatric population. J Laparoendosc Adv Surg Tech A
2008;18:127—30.
[8] Habibi A, Bachir D, Godeau B. Complications aigues de la drépanocytose. Rev Prat 2004;54:1548—56.
[9] Castro O, Brambilla DJ, Thorington B, Reindorf CA, Scott RB,
Gillette P, et al. The acute chest syndrome in sickle cell
disease: incidence and risk factors. The cooperative study of
sickle cell disease. Blood 1994;84:643—9.
[10] Vichinsky EP, Haberkern CM, Neumayr L, Earles AN, Black
D, Koshy M, et al. A comparison of conservative and
aggressive transfusion regimens in the perioperative management of sickle cell disease. The preoperative transfusion
in sickle cell disease study group. N Engl J Med 1995;333:
206—13.
[11] Charbonney E, Terrettaz M, Vuilleumier N, Lambert JF.
Drépanocytose : syndromes thoracique aigu et de détresse respiratoire. De la pathophysiologie au traitement. Rev Med Suisse
2006;91 [article no 31851].
[12] Adams RJ, Ohene-Frempong K, Wang W. Sickle cell and
the brain. Hematology Am Soc Hematol Educ Program 2001:
31—46.
[13] Ohene-Frempong K, Weiner SJ, Sleeper LA, Miller ST,
Embury S, Moohr JW. Cerebrovascular accidents in sickle
cell disease: rates and risk factors. Blood 1998;91:
288—94.
[14] De Oliveira CC, Ciasca SM, Moura-Ribeiro VL. Stroke in patients
with sickle cell disease. Clinical and neurological aspects. Arq
Neuropsiquiatr 2008;66(1):30—3.
[15] Beauvais P. Les accidents vasculaires cérébraux de la drépanocytose. Sang Thromb Vaiss 1996;8(8):505—10 [Mini-revues].
[16] Montalembert M. Échanges érythrocytaires chez les patients
drépanocytaires. Hematologie 2007;13(4):243—9.

Documents pareils