Le principe de subsidiarité
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Le principe de subsidiarité
29 Les Cahiers nouveaux N° 88 Juin 2014 Alain Schoon Université catholique de Louvain –Site de Mons Faculté des sciences économiques, sociales, politiques et de communication Professeur 29-30 Le principe de subsidiarité Le prochain transfert de compétences du niveau fédéral au niveau régional notamment offre l’opportunité de s’interroger sur la mise en œuvre de dispositifs censés permettre une efficacité et une efficience, pour certains dispositifs à l’intérieur d’une entité déterminée, pour d’autres, entre entités. Le principe de subsidiarité fait partie des dispositifs qui concernent les rapports entre entités de niveaux différents. D’une revue wallonne consacrée à l’aménagement du territoire, nous tirons la définition suivante du concept : « principe selon lequel les politiques doivent être décidées et appliquées au niveau où elles présentent le plus d’efficacité et, en cas d’équivalence, au niveau le plus proche du citoyen ». Cette définition nous semble compréhensible, logique. À y regarder de plus près, elle suscite certaines interrogations : — qu’est-ce que l’efficacité ? pour quels publics-cibles ? qui la détermine et sur base de quels indicateurs ? — qu’est-ce que l’efficience dans un contexte politico-administratif ? — que faut-il entendre par équivalence ? — la recherche de l’efficacité peut-elle impliquer qu’une politique décidée à un niveau soit mise en œuvre à d’autres niveaux, inférieurs en l’occurrence, en vue d’atteindre l’efficacité globale ? — quid alors de la coordination entre ces niveaux ? Plus concrètement, on se posera la question de savoir comment ce principe est pris en compte dans l’architecture institutionnelle belge. Afin de nous imprégner plus avant du concept, nous avons reconsulté certains ouvrages de référence sur le fédéralisme. On peut y lire notamment que l’exacte adéquation postule que chaque « problème » soit résolu au niveau auquel il peut l’être le plus efficacement. Voilà qui correspond à la définition de notre principe. Il est dit également que le fédéralisme s’oppose à l’égalitarisme puisqu’il prévoit une hiérarchie de collectivités. L’exacte adéquation, en vertu de cette hiérarchisation, implique la subsidiarité, c’est-à-dire le transfert à la collectivité supérieure des compétences que la collectivité inférieure est incapable de gérer efficacement et sans nuire aux personnes et aux autres collectivités. On se retrouve ici dans une logique bottom-up et non top-down. Le fédéralisme comporte deux autres principes qui sont également appliqués : — la participation qui postule que les collectivités inférieures sont effectivement associées au processus de décision des collectivités supérieures — la complémentarité qui postule qu’à coté des compétences attribuées à chaque collectivité, des compétences concurrentes peuvent être mises en œuvre. Cette technique permet d’affiner l’application du principe d’exacte adéquation. On constate qu’à notre principe de subsidiarité sont associées d’autres notions qui lui donnent, en quelque sorte, pertinence et efficacité. Ainsi, le principe de subsidiarité se complète du principe de proportionnalité. Les deux principes combinés font référence à la nécessité de l’exercice d’une compétence 30 « Principe selon lequel les politiques doivent être décidées et appliquées au niveau où elles présentent le plus d’efficacité et, en cas d’équivalence, au niveau le plus proche du citoyen ». (principe de subsidiarité) et de son intensité (principe de proportionnalité) et sont généralement mentionnés dans le cadre de l’exercice par l’Union européenne de ses compétences. Dans ce contexte, le principe de subsidiarité ne s’applique en fait qu’aux compétences partagées entre l’Union et les États membres, qui posent souvent des problèmes d’attribution tandis que le principe de proportionnalité s’applique aux compétences – exclusives ou concurrentes – de l’Union européenne. Il postule que celle-ci est censée ne pas « faire plus que nécessaire pour atteindre ses objectifs », par exemple elle privilégiera la Directive par rapport au Règlement dans la mesure où la première apparaît moins contraignante pour les États membres (conditions de forme) ou encore elle évitera toujours pour ne pas empiéter sur les compétences des États membres plus que nécessaire, d’émettre des textes trop détaillés (condition de fond). En résumé, il y a des compétences exclusives, des compétences exercées par un niveau supérieur à partir du moment où le niveau inférieur, en raison par exemple des dimensions ou des effets des actions envisagées, est jugé moins à même d’exercer les compétences concernées de façon efficace et des compétences partagées. On notera au passage que le principe de subsidiarité peut être ascendant (accroissement des compétences de l’entité supérieure) ou descendant (accroissement des compétences de l’entité inférieure), ce qui constitue la conception qui l’emporte actuellement dans le cadre de l’Union européenne. Le lecteur nous fera grâce de la manière dont le contrôle sur ces compétences est exercé, dont les garanties d’exercice des compétences sont exercées, dont le règlement des conflits est exercé, etc. Ce que nous venons de présenter constitue un cadre de référence au sein duquel les politiques sont conçues et menées. En pratique, l’application de ces principes pousse à une réflexion plus globale sur l’exercice des compétences sur un territoire donné. Ainsi, par exemple : — l’attribution d’une compétence doit être distinguée de la manière dont elle sera exercée. Si l’on prend le cas de l’aménagement du territoire, il y a différentes manières de concevoir son rôle : depuis la fonction de « notaire » des parties prenantes jusqu’à celle de véritable outil de politique publique permettant d’être proactif en ce qui concerne le « maillagement » territorial ; — il y a lieu de s’interroger sur le mode de gouvernance de chaque entité, de l’articulation horizontale et verticale des compétences ; — la pertinence du découpage des territoires peut également être questionnée : la base administrative ne doit-elle pas être « retravaillée » en fonction de l’évolution des enjeux sur base de coopérations et d’institutions nouvelles, de recherche de complémentarités et de création de réseaux, etc. ; — l’octroi de compétences à un territoire peut poser le problème du choix entre le « faire » et le « faire faire ». La mise en œuvre d’une politique peut être le fait de celui qui l’a conçue. Rien n’empêche a priori de confier la mise en œuvre d’une politique à une entité tierce ou de collaborer avec celle-ci (cas des intercommunales ou du partenariat privépublic) ; — on conçoit aisément que deux ou plusieurs territoires puissent coopérer ou se faire concurrence. En réalité, ces deux principes peuvent coexister : on parlera alors de « coopétition » ; — l’échelle – la taille – des territoires joue également un rôle dans l’exercice efficace des compétences : le passage de macro-territoires à celui de micro-territoires n’est pas sans conséquence sur la conception, la mise en œuvre et la gestion des politiques qui s’y développent ; ainsi l’on peut concevoir qu’une entreprise réalise ses recherches, ses activités de production, de commercialisation dans le cadre européen. Ce cumul des fonctions sur un même territoire est plus difficilement concevable au niveau d’un micro-territoire. Les politiques publiques doivent tenir compte de cette réalité. On pourrait allonger la liste des problématiques concernées directement ou indirectement par l’application large du principe de subsidiarité. Tel n’est pas notre propos. La leçon que nous tirons de notre réflexion est qu’il faut dépasser le concept de principe de subsidiarité pour considérer qu’il s’agit d’une démarche dont il faut systématiquement s’imprégner chaque fois qu’une action publique est concernée.