L`ARBITRE DE FOOTBALL, SEUL MAîTRE DE LA DéCISION DE

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L`ARBITRE DE FOOTBALL, SEUL MAîTRE DE LA DéCISION DE
juridique
juridique
Un article rédigé par Sylvain Salles,
Avocat associé, enseignant à l’Université Lyon III- Master I
L’ARBITRE DE FOOTBALL, SEUL MAîTRE DE LA DéCISION
DE DéCLARER UN TERRAIN PRATICABLE
Yramis Avocats Droit Public - 103, avenue du Maréchal de Saxe - 69003 Lyon - [email protected]
« On ne discute pas la décision de l’arbitre »….
Cette phrase prononcée à titre de sentence, que tant de joueurs ont entendue sur les
terrains, semble se confirmer juridiquement.
L
e 14 janvier 2005, au cours d’un match de
football opposant deux clubs évoluant en Ligue
2, le FC Lorient et le Montpellier Hérault
Sport Club, l’un des joueurs, gardien de but, a
été blessé à la suite d’un choc violent. Estimant
que l’arbitre du match avait commis une faute
en déclarant le terrain praticable en dépit d’une pluie
continue, l’intéressé a saisi le juge administratif pour lui
demander de condamner la Ligue de Football Professionnel
à l’indemniser des conséquences dommageables de cet
accident. La Cour Administrative d’Appel de Nantes a
donc eu à trancher en appel ce litige sportif.
La problématique juridique se résumait à la question de
savoir si une fédération sportive, en l’occurrence la Ligue
de Football Professionnel, pouvait voir sa responsabilité
engagée à raison d’une décision prise par un arbitre. Il
est bon de rappeler que les fédérations sportives, qui
participent, en vertu de l’article L. 131-8 du Code du Sport,
à l’exercice d’une mission de service public, jouissent, dès
lors qu’elles ont reçu la délégation ministérielle prévue à
l’article L. 131-14 du Code du sport, d’un monopole pour
l’organisation des compétitions à l’issue desquelles sont
délivrés les titres internationaux, nationaux, régionaux ou
départementaux.
Elles sont dotées à cet effet d’un pouvoir réglementaire
et disciplinaire. Ainsi, lorsque les fédérations sportives
prennent, dans le cadre de la mission de service public
qui leur a été dévolue, des décisions qui s’imposent
aux intéressés et constituent l’usage fait par elle des
prérogatives de puissance publique qui leur sont conférées,
lesdites décisions ont le caractère d’acte administratif
et relèvent par conséquent de la compétence des
juridictions administratives (Conseil d’Etat, 22 novembre
1974, Fédération des Industries Françaises d’Articles de
Sport, requête n° 89828).
Une décision qui engage l’arbitre
ou la LFP ?
Ainsi, la question primordiale était de savoir si la décision
qu’un arbitre prend quant au caractère praticable ou
non d’un terrain, et donc de la tenue du match, relève
de sa propre décision ou bien si elle engage la fédération
sportive en charge de l’organisation de la compétition. Les
faits de ce litige se sont produits avant l’entrée en vigueur
de la loi de 2006, à une époque où le statut de l’arbitre de
football était encore lacunaire. En effet, avant cette loi, il
était simplement dit que les fédérations étaient chargées
d’assurer la formation et le perfectionnement des arbitres
et juges, et que ces derniers pouvaient bénéficier d’une
assurance responsabilité civile, que les arbitres de haut
niveau, agents de l’État ou d’une collectivité territoriale
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voyaient aménagées leur activité professionnelle principale.
Sous l’empire de cet état de droit ancien, il avait été jugé
que le pouvoir disciplinaire que la Fédération Française de
Football exerce à l’égard des arbitres au même titre qu’à
l’égard de tous ses licenciés dans le cadre des prérogatives
de puissance publique qui lui sont déléguées, n’est pas
assimilable à celui dont dispose un employeur sur son
personnel.
Dès lors, il était considéré, sans dispositions législatives
affirmées, qu’il n’était pas lié à la Fédération par un lien de
subordination (Cour de Cassation, 2e chambre civile, 22
janvier 2009, RJ Eco Sport 2009).
La haute juridiction expliquait cette solution par le fait
que le contrôle incombant aux arbitres au cours des
matches de football implique une totale indépendance
dans l’exercice de leur mission.
La Cour a
considéré que
l’arbitre était
seul qualifié
pour déclarer
le terrain
praticable, sans
contrôle du juge
Le statut des arbitres clarifié
Ainsi, le principe d’entière indépendance de l’arbitre
dans l’exercice de sa mission pleinement consacrée avant
même l’intervention de la loi de 2006 par la jurisprudence
n’allait déjà pas dans le sens de la responsabilité de la Ligue
de Football Professionnel, mais il est vrai que c’est bien
celle-ci qui est chargée de l’organisation des compétitions
et que les arbitres sont licenciés auprès d’elle.
Or, depuis la loi n° 2006-1294 du 23 octobre 2006,
le statut des arbitres a été clarifié formellement par le
législateur : en vertu de l’article L. 223-1 du Code du sport
issu de cette loi, « les arbitres et juges exercent leur mission
arbitrale en toute impartialité, dans le respect des règlements
édictés par la fédération sportive mentionnée à l’article L. 13114 compétente pour la discipline et auprès de laquelle ils sont
licenciés. »
De plus, l’article L. 223-2 du même Code précise que les
Terrains de Sports Magazine__n°89__Mars 2012
était portée devant une juridiction
incompétente pour en connaître.
L’arbitre de football est donc seul
maître des dispositions techniques
propres à la discipline du jeu, en
toute indépendance par rapport à la
Ligue de Football, auprès de laquelle
il est pourtant licencié.
Le rôle des collectivités
arbitres et juges sont considérés comme chargés d’une
mission de service public, et l’article L. 223-3 ajoute
qu’ils ne peuvent être regardés dans l’accomplissement
de leur mission comme liés à la fédération par un lien
de subordination caractéristique du contrat de travail.
Ces dispositions consacrent donc une indépendance
de l’arbitre, tout en précisant quand même que la
fédération sportive auprès de laquelle ils sont licenciés
est compétente en matière disciplinaire.
Ainsi, suite à cette loi de 2006, l’examen des magistrats
à la Cour Administrative de Nantes n’en a été que plus
aisé. Ils n’eurent donc qu’à statuer sur la question de
savoir si la décision de l’arbitre de se positionner sur
le caractère praticable ou non d’un terrain et donc de
la tenue d’un match, mettait en cause l’application des
seules règles techniques du jeu, ou affectait-elle les règles
qui s’imposent aux auteurs de tout acte accompli dans
l’exercice d’une mission de service public.
La Cour s’est donc prononcée en faveur de la première
hypothèse et a considéré que l’arbitre était seul qualifié
pour déclarer le terrain praticable, sans contrôle du
juge. Ainsi, dans cette affaire, le gardien de but a vu sa
requête déboutée dans la mesure où il a été considéré
que la décision arbitrale déclarant praticable le terrain ne
pouvait utilement être discutée devant le juge et n’était
pas susceptible de servir de fondement à une action en
responsabilité.
Par suite, les magistrats n’ont pas eu à se prononcer sur
le lien de causalité entre l’état du terrain et l’accident du
gardien de but, dans la mesure où la requête de ce dernier
1
Depuis la loi n° 2006-1294 du
23 octobre 2006, le statut
des arbitres a été clarifié
formellement.
2
Cet arrêt intéressant nous amène
à réfléchir plus loin et à nous
interroger sur le cas où l’arbitre se tromperait lourdement
en déclarant praticable un terrain, ce qui engendrerait
potentiellement des accidents pour les joueurs. Sur ce
point, il revient en tout état de cause, sur les territoires de
chaque commune sur laquelle se joue le match, à l’autorité
de police générale détenue par le maire, d’ordonner la
non tenue du match en raison du caractère manifestement
accidentogène du terrain.
En effet, dans une affaire où l’arbitre avait justement déclaré
praticable un terrain pourtant parfaitement détrempé, le
maire de la commune avait interdit l’utilisation du terrain.
le Conseil d’État avait relevé qu’indépendamment de
l’application des règlements des fédérations qui réservent
au seul arbitre le pouvoir de décider si une rencontre
sera ou non jouée ou bien si elle doit être interrompue
temporairement ou définitivement, il appartient aux
autorités de police de prendre les mesures nécessaires au
maintien de l’ordre et de la sécurité publique.
Ajoutons également que le club recevant peut, sinon
s’opposer à la tenue du match, du moins signaler le
mauvais état du terrain.
Ainsi, les pouvoirs des autorités sportives et des autorités
de police du maire concernant l’état d’un terrain de
football doivent s’exercer ensemble et se combiner
(Conseil d’Etat, 13 décembre 2006, Fédération Française
de Football).
L’arbitre de football est donc
seul maître des dispositions
techniques propres à la
discipline du jeu, en toute
indépendance par rapport à
la Ligue de Football, auprès de
laquelle il est pourtant licencié.
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Les pouvoirs des autorités
sportives et des autorités de
police du maire concernant
l’état d’un terrain de football
doivent s’exercer ensemble et
se combiner.
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