Latitude 5 n°95 - dossier De là les satellites
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Latitude 5 n°95 - dossier De là les satellites
Dossier 16 / LATITUDE 5 / N°95 / FEVRIER 2012 De là, les satellites… Dossier préparé par Karol Barthelemy Illustrations de Caroline Chapin La voyez-vous là haut, ronde et souriante ? La Lune est le satellite naturel de la Terre. Et les voyez-vous là haut, ces petits points brillants et mouvants ? Ses “homologues” artificiels sont pléthore, tournent sans relâche autour de notre planète. De là -de l'espace- les satellites occupent une place privilégiée. De là, ils collectent et analysent des milliards de données jusqu'alors inaccessibles, clés indispensables à la compréhension de notre Univers et de notre environnement. Océans, Terre, atmosphère, populations humaines, végétales et animales, tous les paramètres du globe sont scrutés, mesurés, évalués. Anticiper les changements climatiques, prévoir les catastrophes naturelles, gérer sensément les ressources planétaires … autant de grands défis de l'humanité en ce 21ème siècle. De là, ils se révèlent indispensables pour élaborer un développement économique et social compatible d'un développement durable de notre planète. De là, ils relient le globe, ils transportent les informations. De là, ils sont désormais bien présents dans notre quotidien à tous. Entrons dans une maison kouroucienne, un vendredi. Plus précisément, le 21 octobre 2011. LATITUDE 5 / N°95 / FEVRIER 2012 / 17 h50. Il fait bien sombre à Kourou, mais la cuisine de Mado lance les douces effluves d'un petit-déjeuner dont elle seule a le secret, un réveil au rythme des papilles. « Tout est chimique, et tout s'explique » aime à dire cette incurable scientifique. Aujourd'hui, Mado, jeune retraitée, trépigne. « C'est historique» se réjouit-elle. «Non seulement Soyuz part du centre spatial européen mais en plus, ma famille est réunie !» Et de glisser un œil complice à son mari, José. Le Guyanais et son épouse toulousaine sont tout à leur bonheur. Autour de la table Judith, leur fille aînée, infirmière, Philippe, son conjoint, militaire de carrière, et leurs fils : Alex, 14 ans, et William, 9 ans. Sur l'écran du salon, Soyuz attend son heure. Il est 7h02 quand l'écran se fait noir, à l'exception du point rouge, un signe qui ne trompe pas. - « Ah, il va pleuvoir ! On appelle Thomas ? » lance Alex, dont l'oncle est ingénieur Météo au CSG. - «Laisse-le donc à ses ordinateurs et à ses satellites» sourit Judith. - «Oui, et ben j'espère que ses satellites marchent mieux que celui de la télé» grommelle William. - «Ne t'inquiète pas pour ça, on ira dehors, on la verra passer» le rassure gentiment Mado. « Je suis sûre que ça va aller. C'est important tu sais : la fusée transporte les premiers satellites de la constellation européenne Galileo, un concurrent du GPS américain, un outil remarquable. - Et ça fait quoi par exemple ? - Tant de choses ! Les satellites ont une panoplie infinie d'applications! Et c'est bien pour cela que le CSG est si important pour l'Europe» s'enthousiasme sa grand-mère. Avec une carrière “ dans l'espace ”, cette ingénieur du CNES a visité de nombreux volets de ce vaste domaine et se régale de ses évolutions. « Commençons par le début. Les satellites. T'en sers-tu toi ?» Le garçon se gratte la tête et lève spontanément le doigt. - «Pour Internet et la télé ! 6 18 / LATITUDE 5 / N°95 / FEVRIER 2012 - Bien vu frangin ! » s'exclame Alex. « Pour tchater, télécharger et regarder la coupe du monde de foot ! - Certes pas seulement, mais c'est ma foi juste ! Plus généralement, pour tout ce que l'on appelle les télécom-munications. C'est énorme ! Pensez à leurs ancêtres : les signaux de fumée Indiens face aux relais du Poney Express ! Les tambours Businenge en Guyane ! Aujourd'hui les satellites relient le globe en direct et en permanence. Ce sont des acteurs de l'Histoire. - Et le GPS dont tu parlais, c'est quoi ses ancêtres ? » rebondit Alex. - « Je dirai… l'observation des astres, la boussole et le sextant ! C'est ce qu'on appelle la navigation par satellite ou géolocalisation. Cela sert à guider, à repérer, à échelle globale mais aussi personnalisée, comme aider les personnes aveugles à se déplacer» développe Mado. - «Le GPS a toujours fonctionné en Guyane, mais depuis 2011, notre région bénéficie de solutions de GPS grâce à une cartographie spécifique Guyane » intervient papy José. « Il peut servir tous les secteurs : intervention des secours, transports en commun, suivi des camions de ramassage d'ordures ou des flottes de livraison des entreprises… En prime les grands fleuves sont répertoriés. - Bonjour tout le monde ! » annonce oncle Paul, entrant dans la cuisine. «On parle GPS ici ? - Oui, nous essayons d'expliquer à William que tout le monde utilise les satellites aujourd'hui. - Pour ma part, je suis un consommateur patenté ! Ecoute cette histoire Willy. L'an dernier, j'ai accompagné un groupe pour une excursion en forêt. Un homme se sentait mal, il respirait difficilement et avait besoin d'aide. J'ai donc utilisé mon GPS pour vérifier où se trouvait Camopi où il y a un centre de santé, que j'ai appelé grâce à un téléphone satellite. Lorsque nous sommes arrivés, l'infirmier nous attendait avec une valise de télémédecine. Avec ça, il a fait des examens et les a transmis, grâce à une liaison satellite, à l'hôpital de Cayenne où un médecin a pu établir un diagnostic. Tout s'est bien fini et l'évacuation sanitaire a été évitée. - Maman, c'est ça que tu utilisais au dispensaire quand on habitait à Papaïchton il y a trois ans ?» demande William. - « Exactement ! Aujourd'hui je travaille au SAMU de l'hôpital de Cayenne, où je vois “ l'autre côté ” de la valise. On teste actuellement la télé-échographie, c'est un vrai succès ! J'ai aussi utilisé une fois une autre nouveauté “ spatiale ”, le PSMA. Cela signifie Poste de Secours Médical Avancé. C'est un container que l'on amène, même par hélicoptère, sur une zone sinistrée. Il permet d'une part de porter les premiers secours aux blessés et d'autre part de rétablir les télécommunications. Du coup, toutes les équipes de secours peuvent se coordonner. En 2010, il est parti à Haïti, lors du séisme. - Et oui,» reprend l'oncle Paul, «car le satellite reste le seul moyen de communication lorsque tous les autres sont inutilisables ! Ou qu'il n'y en a tout simplement pas. Pour la population qui vit dans des zones isolées, les satellites permettent ce qu'on appelle le désenclavement numérique. D'ailleurs la Guyane est un véritable précurseur en ces domaines. - C'est totalement vrai» confirme papy José. «Le raccordement aux réseaux numériques des communes les plus isolées de Guyane peut se faire grâce aux satellites de télécommunications Inmarsat, Intelsat et Iridium. De tels satellites sont également précieux pour le télé enseignement, pour apprendre à distance. Ce qui peut être très utile aussi pour des enfants de forains ou de cirque. - Et quand tu vas partir faire la course, tu auras aussi un GPS pour télécommuniquer avec nous ? » demande Willy, si fier que son oncle fasse la course transatlantique en solitaire et à la rame, Bouvet Guyane. - « Pour la course, le CLS, pour Collecte Localisation Satellite, équipera tous les participants. Il assurera une géolocalisation permanente de tous les bateaux grâce au système Argos. - Argos ? Comme pour les tortues Luth pour suivre leurs déplacements ? Je l'ai appris à l'école. - Exactement !» le félicite sa mère. « Hommes ou animaux, il est parfois difficile de les suivre autrement ! J'ai lu récemment sur le site Argonimaux d'étonnantes applications de ce système. En équipant des canards en Afrique, on a pu visualiser le chemin de leur migration et identifier les zones où ils rencontrent d'autres espèces et peuvent s'échanger des virus comme la grippe aviaire. Grâce à des thons rouges “ balisés ”, l'observation du mélange des espèces remet en cause la politique de pêche de cette espèce menacée. Il y a aussi cette histoire en Arizona où circulent fréquemment des élans ; la rencontre avec un véhicule n'est bonne pour personne. Alors on les a équipés de colliers Argos pour connaître leurs chemins de déplacement favoris avant de clôturer la route et de leur créer des passages souterrains. Orignal non ? - Elle a osé !» s'esclaffe Alex. - «Et toi Papy, tu travailles tous les jours avec les satellites non ?» demande Willy à José. - « Exact jeune homme. A la station SEAS, j'utilise les images de Spot et d'Envisat pour Surveiller l'Environnement Amazonien par Satellite ! Ce sont des satellites d'observation de la Terre et de télédétection. - Et tu détectes quoi ? - A peu près tout ce que l'on veut ! Les satellites d'observation de la Terre permettent toutes les cartographies possibles. Par la suite, le principe consiste à prendre des clichés satellites réguliers d'une zone qui nous intéresse puis de les coupler avec des données relevées sur le terrain de cette même zone pour suivre l'évolution d'un phénomène : suivi des écosystèmes, gestion des ressources naturelles comme la pêche, surveillance maritime, aménagement du territoire, etc. Actuellement, WWF Guyane utilise des images satellites pour mesurer l'ampleur de la déforestation liée à l'exploitation aurifère clandestine, désastreuse pour l'environnement. Nous avons aussi un grand programme de téléépidémiologie pour anticiper sur les foyers de dengue. On peut tout surveiller, des mouches tsé-tsé aux éléphants ! Le tout sans impact sur l'environnement. - A ce jour, plus de 150 satellites d'observation de la Terre naviguent sur orbite. Les premières images de la Terre vue de l'espace datent de 1946 grâce à une caméra sur une fusée V2 !» intervient Mado. « Mais la télédétection spatiale est née avec Spoutnik 1 en 1957 : premier satellite artificiel lancé, il accomplissait un tour de Terre toutes les 96 minutes et transmettait des signaux radio. LATITUDE 5 / N°95 / FEVRIER 2012 / 19 - L'autre jour à la télé, j'ai entendu qu'en Egypte ils ont découvert 17 pyramides enterrées grâce aux satellites ! » lance Alex, fan de documentaires. - « C'est effectivement une application étonnante, mais il y en a tant d'autres ! » reprend José. « Tiens, prends l'agriculture : en Afrique, on lutte contre les invasions de criquets grâce aux images satellite. Et dans les pays occidentaux, c'est une véritable révolution ! Pas plus tard qu'hier, je lisais dans un article que 10 000 céréaliers gèrent désormais leurs cultures en France métropolitaine grâce aux observations satellites. Cela leur permet de déterminer avec précision la quantité d'engrais et de produits phytosanitaires à épandre sur les différentes parties de leurs parcelles. Ces informations sont transmises à l'ordinateur embarqué du tracteur. Celui-ci se repérant par GPS, l'agriculteur peut épandre de l'engrais uniquement aux endroits nécessaires. Ainsi, ils diminuent leurs coûts de production pour un meilleur rendement tout en préservant l'environnement. Génial non ? - Et on peut faire encore d'autres choses ? » s'enquiert le petit dernier. - «Bien sûr» reprend José. «Il y a tout le côté urbain où on va par exemple modéliser les risques d'inondation pour mieux les prévenir, faciliter la gestion de la circulation, etc. Et puis il y a tout le volet sécurité : cela peut aller de la détection de mines anti-personnelles à la gestion de la sécurité alimentaire en anticipant les effets de mauvaises récoltes et d'épidémies. Dans les transports, on devrait bientôt voir apparaître de nouveaux systèmes comme l'E-call : à partir de 2015, en cas d'accident grave, un boîtier intégré au véhicule composera automatiquement le 112, numéro unique d'urgence en Europe. Par ailleurs Airbus cherche dans les satellites une alternative aux boîtes noires pour ne plus risquer de les perdre. A Berlin, ils testent des atterrissages de précision par satellite. Il y a aussi toute l'océanographie : de la même manière que les prévisions météo sont très utiles sur terre (voir page 22) -tu demanderas à ton oncle Thomasles informations de l'océan sont précieuses ! Mais cela ton oncle Paul, marin à ses heures, en parlera mieux que moi. Ils ne sont pas frères pour rien ces deux là ! - Températures, courants, vagues, sont de remarquables indicateurs. L'an dernier en Atlantique nord, j'ai assisté - certes de loin - à l'intervention d'un bateau qui faisait des dégazages sauvages. Il avait été repéré et pisté par satellite grâce à la dérive de sa nappe de pollution. Et prends les plateformes pétrolières en haute mer : mieux vaut être prévenu 20 / LATITUDE 5 / N°95 / FEVRIER 2012 des forts courants de surface ou en profondeur pour couper une vanne et éviter une marée noire. J'ai aussi un ami qui a couru le Vendée Globe : le suivi des glaces par satellite et la prévision de leur dérive permet aux skippers d'éviter les zones dangereuses. Bref, toute action dépendant des bonnes conditions océaniques va faire appel à la technologie satellite : interdire à la baignade une zone temporairement polluée, compter des animaux marins, prévoir les cyclones, protéger les cultures d'huîtres… Et bien sûr aider les bateaux en détresse. Sans parler des sous-marins, qui n'ont que leurs sonars pour détecter les obstacles et navires ennemis. Pour exploiter ces données, il est important de connaître la température et la salinité des masses d'eau, car elles influent sur la propagation du son. L'océanographie devient alors un acteur de la défense nationale ! N'est-ce pas Philippe ? - Oui, dans le domaine militaire, on utilise beaucoup les satellites. Entre reconnaissance, surveillance et écoute, on peut obtenir toutes les informations sur l'état des forces adverses, localiser des troupes en détectant la chaleur des véhicules- mais aussi des radars anti aériens ou antimissiles. En terme d'interception, il est possible de détruire des bombes avant qu'elles n'atteignent leur cible. Les satellites optimisent nos moyens de défense et font une surveillance permanente. On les appelle souvent des satellites espions. - Comme dans James Bond ? » s'anime Willy. - « Il en existe, c'est vrai » sourit son père, « mais ce nom vient surtout de la nature de leurs missions ! - Et toi mamie, qu'est-ce que tu préfères avec les satellites ? - Ah, pour ma part je suis passionnée par l'Univers, ses mystères, ses révélations, sa beauté… Quand on pense à tout ce que l'on est désormais capables de voir… Au début nous n'avions que nos yeux. Puis Galilée et Newton nous ont offert lunettes et télescopes. Puis on a découvert que différentes ondes n'étaient pas visibles à l'œil nu, par exemple la signature chimique des éléments qui composent la lumière, les ondes infrarouges, qui détectent la chaleur émise par un objet, les radars. Aujourd'hui les instruments d'optique des satellites d'exploration, des télescopes spatiaux comme Hubble ou Herschel, sont si performants, ils nous apprennent tant de choses ! D'autres comme Corot et Kepler traquent des planètes habitables. D'autres encore comme Soho et Picard surveillent le Soleil, dont nous avons tout intérêt à comprendre le fonctionnement : c'est une gigantesque boule d'énergie bouillonnante. Ses plus violentes colères peuvent perturber le champ magnétique terrestre, créant au mieux de superbes aurores boréales, au pire endommageant les réseaux électriques du globe et des satellites, perturbant les fréquences de communication. Vue en infrarouge Vue en ultraviolet Le Soleil sous différentes longueurs d'ondes [d'après destination-orbite.net] la Terre via un rayon laser. D'autres travaillent sur les vents solaires.Tout cela finira par porter ses fruits. » Vue aux rayons X - Dernièrement j'ai vu une émission dans laquelle ils parlaient de l'énergie du futur, à partir du Soleil. - Exact Alex. Les scientifiques étudient comment un satellite pourrait capter l'énergie solaire, permanente et gratuite, pour la renvoyer vers Tout à coup, Soyuz revient sur l'écran. Il est 7h20, le temps s'est éclairci. « Tous dehors ! » Regroupée dans son jardin, la petite famille contemple pour la première fois la fusée russe dans le ciel Guyanais, boule orange dans la brume matinale. « Un pas de plus vers le futur» souffle Mado. - « Tu pleures Mamie ? - Je suis émue William. Non seulement parce que ce moment est historique, mais en plus parce-que je crois fermement que l'espace est à la fois notre origine et notre avenir. Il ne tient Vue en lumière visible qu'à l'humanité d'utiliser les satellites pour mieux gérer et protéger notre planète. - Et bien moi, quand je serai grand, je construirai un satellite espion qui détectera toutes les mauvaises personnes et un autre qui enverra un rayon laser de bonne humeur aux gens ! » 4 LATITUDE 5 / N°95 / FEVRIER 2012 / 21