5 - Editions Italiques
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150 WILDCAT – IRAK 1991/2003 Confiant, je reprends la direction du nord et m’arrête pour filmer des Amtracks sur fond de palmiers et sous une belle lumière. Un sous-officier logisticien surgit soudain et me demande mon identité. Il n’a pas l’air très méchant, mais procédurier et surtout con. Il retourne à son Humvee et prévient son PC qu’un dangereux journaliste français s’est glissé dans le dispositif. Je sens que les ennuis vont recommencer. Très rapidement, deux Humvee TOW, arrivent et m’escortent jusqu’au PC de la Task Force 2/5. L’endroit est situé dans une station-service en construction à quelques kilomètres plus au sud. En chemin, je réfléchis très fort à la marche à suivre: pas d’arrogance, mais surtout bien démontrer ma détermination à continuer de l’avant. Avec un peu de diplomatie, j’obtiendrai peut-être de rester sur place. Nous arrivons, et l’on m’invite à garer la voiture en face d’une grande tente camouflée adossée à l’un des bâtiments en dur. Je reste un instant dans ma Daihatsu, juste sous le grand auvent qui servira à protéger les pompes à essence non encore installées. Deux CH-46 Sea Knight se sont posés un peu à l’écart, et l’un d’eux décharge du matériel TV… sans doute FOX TV. La chaîne américaine qui n’a presque rien à envier au directeur irakien de l’information, le fameux type en béret qui, à ce qu’il paraît, à fait rire le monde entier en prédisant un Stalingrad à l’envahisseur. Étant sur le terrain, je n’ai hélas pas pu voir ces émissions qu’on m’a décrites comme très drôles. Par contre, le gars qui sort de la tente camouflée et arrive droit vers moi n’a, lui, pas l’air drôle du tout. C’est le PIO officiel du 2/5, un lieutenant au crâne rasé. Il m’interroge en me posant les questions habituelles. Qui suis-je ? Ai-je un téléphone satellite? Pourquoi suis-je là? etc. Je réponds courtoisement mais sans m’étendre, car le mec n’est pas vraiment sympa. Deux de ses hommes commencent à fouiller la voiture et je les arrête immédiatement. Lors de mes deux premières fouilles par la 101e, les MP avaient tout chamboulé. Je leur déclare que si c’est vraiment indispensable pour la sécurité des États-Unis, ils peuvent fouiller mon véhicule, mais sous mon contrôle et que chaque chose doit être remise à sa place immédiatement. Une fois de plus, c’est le grand déballage. Le lieutenant au crâne rasé m’annonce qu’on va m’évacuer vers le sud. Je suis d’une humeur de chien et déclare poliment mais fermement que c’est hors de question et que de toute façon je n’ai pas d’essence pour le faire. — No option!», me répond Crâne-Rasé. C’est tout ce qu’il sait dire! Et il place une sentinelle armée auprès de mon véhicule. Impossible de foncer car des véhicules me bloquent le passage devant, et en marche arrière l’autre aurait tout le temps de tirer. En outre, CARNETS DE GUERRE D'UN JOURNALISTE REBELLE 151 si je fais cela, il me sera impossible de continuer à me balader au sein de la MEF. Mieux vaut ruser. J’essaie d’amadouer le lieutenant, mais il fait celui qui ne comprend rien. J’écris alors un message sur une feuille de mon carnet: I ACCEPT THE WORDS COMPROMISE OR DEAL ! I DON’T ACCEPT « NO OPTION » I DON’T HAVE ENOUGH FUEL TO GO BACK SOUTH ! IF YOU TAKE ME SOUTH, IT WOULD BE BY FORCE AND I WILL RESIST ! (J’ACCEPTE LES MOTS COMPROMIS OU ARRANGEMENT ! JE NE PEUX ACCEPTER « PAS D’OPTIONS » ! JE N’AI PAS ASSEZ DE CARBURANT POUR ALLER VERS LE SUD ! SI VOUS M’ÉVACUEZ AU SUD, CE SERA PAR LA FORCE ET JE RÉSISTERAI!) Les heures passent, interminables. Dès que je fais un pas, le Marine de service m’empêche d’aller plus loin. Les gars de FOX TV font semblant de ne rien voir – de toute façon il n’y a rien à attendre de cette chaîne totalement inféodée au Pentagone. Je saurai m’en souvenir quand je verrai une équipe de FOX TV dans un coin pourri de la planète. Assis derrière mon volant, je réfléchis à la conduite à tenir. Surtout ne pas céder. Je suis venu ici par mes propres moyens, et aucune loi internationale n’autorise les Américains à me donner des ordres dans un pays autre que les États-Unis. Vers 4 heures, deux Humvee de la police militaire arrivent. Un grand capitaine blond descend du premier, accompagné d’un sous-officier et de trois MP. L’un d’eux, un gros Philippin à lunettes, porte les liens plastique que je connais depuis ma première et désagréable expérience avec la 101st Air Assault. Je reste impassible derrière mon volant. Après un bref conciliabule avec Crâne-Rasé, qui leur montre mon mot, ils se dirigent vers mon véhicule. Le capitaine blond longiligne me dit : — Get out and follow me, we will escort you to the main H. (« Descendez et suivez-moi, on va vous escorter au PC principal.») Je sais très bien que le QG de la MEF est situé à 80 km au sud. Ce qui fait 160 kilomètres aller-retour, soit la moitié de l’essence qui me reste. Il est hors de question que j’y aille ! Je rétorque que je n’ai pas d’essence et que de toute façon mes projets sont d’aller à Bagdad et non vers le sud. — Get out, or we will use force ! (« Sortez, ou nous emploierons la force ! »), me lance le capitaine longiligne.