Actualisation de l`enseignement de la littérature au secondaire II

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Actualisation de l`enseignement de la littérature au secondaire II
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CENTRE D'ENSEIGNEMENT ET DE RECHERCHE FRANCOPHONE POUR L'ENSEIGNEMENT AU SECONDAIRE 1 ET 2
Université de Fribourg DEEM – laboratoire de didactique du français 2012-­‐2013 Actualisation de l’enseignement de la littérature au secondaire II : autour du « Roman des Romands » Travail de recherche en didactique du français sous la direction de Sylvie Jeanneret ([email protected]) Avec : Joséphine Bezzola – Didier Cotting – Nathalie Dydynski – Catherine Perriard – Corine Perroud Avant-­‐propos Ce travail consacré au prix « Roman des Romands » a été effectué par un groupe d’étudiants de l’université de Fribourg (formation à l’enseignement au secondaire II) dans le cadre d’un « laboratoire de recherche » en didactique du français langue maternelle. Durant cette année 2012-­‐2013 ce laboratoire de recherche s’est tout particulièrement intéressé à l’influence que peut avoir le Roman des romands sur les pratiques de lectures des collégiens (soit gymnasiens) et sur l’inventivité didactique que ce projet pouvait générer. Sur un plan méthodologique, trois publics ont été sollicités (auteurs – professeurs – comité de lecture). Les étudiants ont ainsi conçu des questionnaires qu’ils ont fait passer soit de manière écrite (par échange de courriels), soit sous forme d’entretiens. Les différentes passations ont eu lieu entre octobre et décembre 2012 – pour les enseignants, il s’agit d’enseignants du canton de Fribourg. Il s’agissait, dans le cadre de cette recherche en didactique du français, de mettre en évidence l’apport de la participation au « Roman des Romands » en terme d’actualisation et d’inventivité didactiques. Après une ouverture centrée sur la notion d’inventivité didactique, le présent travail propose les trois chapitres rédigés par les étudiants (à propos des enseignants – des auteurs – du comité de lecture), suivis par les questionnaires placés en annexe. Pour une ouverture La démarche instituée par le « Roman des Romands » nous semblait, au tout début de notre travail d’investigation, porteuse de dynamisme et de renouveau pour des enseignants de littérature soucieux non seulement de faire lire leurs élèves, si possible de développer également le plaisir de lire, mais aussi de leur faire découvrir des textes d’auteurs contemporains de Suisse romande ; un projet de lecture nécessaire dans un parcours scolaire qui laisse trop souvent peu de place à la littérature de Suisse romande tout en montrant une certaine frilosité vis-­‐à-­‐vis de la littérature contemporaine, voire de l’extrême contemporain. Après avoir eu accès aux différents entretiens et aux réponses apportées par les personnes interrogées, nous appuierons notre propos sur deux points : la notion d’inventivité didactique et le choix du corpus. En effet, nous pouvons dégager de nombreuses pistes pour cerner la notion d’inventivité, telle qu’elle a été caractérisée par les enseignants et, parfois aussi, par les auteurs interrogés. Des mots reviennent régulièrement dans leurs propos pour souligner l’apport que génère la participation au Roman des Romands : De la « créativité » : sans le soutien d’une littérature secondaire « traditionnelle », remplacée par une documentation différente, sans les repères habituels en histoire littéraire, enseignants et élèves se permettent une prise de risque supplémentaire, se mettant en quelque sorte dans la situation de faire « autrement », d’innover, de se faire confiance en tant que lecteurs. 2 De l’acte de « lire » : « lire », comme mot d’ordre, relayé par « écrire ». Les enseignants ne le souligneront jamais assez : ce projet est un « moyen extraordinaire de faire lire ». C’est aussi un moyen de faire écrire les élèves, de les faire réagir, de les faire découvrir. Les auteurs le soulignent : donner envie de lire, d’écrire, leur paraît essentiel. L’un des auteurs fait remarquer avec beaucoup de pertinence que l’intérêt d’une lecture au collège (ou à l’école) implique une dimension collective : « il y a partage de convictions, d’interrogations, d’emballements, de frottements. Cela ne peut qu’irriguer l’espace contenu dans ou par le livre (l’objet lui-­‐même et le texte). Et le faire déborder… » De l’« écriture » : les élèves ont pu appréhender l’écriture dans son aspect le plus pragmatique, dans la découverte de la multiplicité des styles et dans l’usage si différent du matériau littéraire, des mots, des phrases, du rythme, de l’art de raconter. Du « corpus » : de manière relativement banale, sans doute, mais de manière très efficace, le fait d’ancrer le projet sur un corpus défini par des ouvrages d’auteurs contemporains de Suisse romande permet de donner une dimension particulièrement inventive à l’enseignement. Découvrir qu’il existe des écrivains en Suisse romande, de surcroît des écrivains talentueux, et avoir la possibilité de les rencontrer : un corpus doublement porteur… L’un des auteurs dira : « Le Roman des Romands insiste auprès des jeunes sur le fait qu’il existe une littérature romande et cela fait du bien de voir que l’on est pris en considération dans les écoles. J’apprécie cet esprit : les enseignants qui se sont engagés là-­‐dedans investissent un semestre entier pour cela. Ce qui signifie, ‘je suis assez sûr de moi pour prendre des libertés dans le programme officiel’.» De la « rencontre » : Les auteurs, tout d’abord, saluent le travail et l’engagement des enseignants, mais aussi l’engagement des élèves. Le plaisir des rencontres avec leur jeune public, oui. Le plaisir aussi de voir que lire un texte signifie faire une rencontre qui a pu amener son lecteur ou sa lectrice plus loin. Comme le souligne l’un des auteurs, le Roman des romands permettrait également de réfléchir sur « la place du livre dans un monde où les émetteurs médiatiques sont plus nombreux qu’à [son] époque ». Du « passage » : finalement, ce projet au centre duquel vivent différentes voix du roman de Suisse romande, ne serait-­‐il pas un espace de rencontre, de découverte, de décentration, mais aussi de passage ? Si le roman peut être perçu comme le lieu d’un déplacement de soi, c’est qu’il a pu trouver son lecteur. L’un des auteurs utilise la métaphore de la « bête » pour qualifier son roman : « […] l’essentiel, dans ce domaine, est que la bête bouge et respire. Qu’il s’agit d’entendre et d’observer, qu’elle se déplace brusquement, nous échappe un instant, ou qu’elle semble dormir. Que c’est ça, le texte ; une bête (et peu importe son genre). Que c’est complexe parce que ça vit : c’est là. » « Que s’est-­‐il passé entre le moment où un livre a été ouvert, puis refermé ? Voilà ce qui parle et qui fait parler. » (propos d’un auteur) 3 Que soient ici vivement remerciés toutes les personnes qui ont bien voulu donner de leur temps pour répondre aux questionnaires voire pour nous accorder un entretien : Les auteurs Les enseignant-­‐e-­‐s Les personnes du comité du jury Et : Madame Fabienne Althaus Humerose, pour son énergie inégalable. Sylvie Jeanneret, pour le groupe de recherche, université de Fribourg, 2013 4 Le point de vue des auteurs Par Corine Perroud et Joséphine Bezzola a. L’auteur et son rapport au concours La première de nos préoccupations revenait à saisir le rapport des auteurs à ce concours. Autrement dit, de mettre au jour la manière dont ils vivaient cette participation ou encore la manière dont ces derniers l’appréhendaient. Nous étions également curieuses de connaître les arguments qui feraient de leur ouvrage LE « Roman des Romands ». L’aventure du « Roman des Romands » est vécue par l’ensemble des auteurs telle une expérience positive, la rencontre avec les élèves demeurant le point fort de ce concours. Pour nos écrivains, « c’est l’occasion de les rencontrer, de savoir ce qu’ils pensent, à quoi correspond pour eux la littérature, comment ils voient la vie. C’est répondre à leurs questions parfois inattendues, partir à la découverte des contingences de la jeunesse ». Cette bonne entente semble être une constante, parfois facilitée par la proximité de l’âge. Un bémol, dû au fait qu’il s’agisse d’un concours : ce concours a lieu sur une relative courte période et les élèves ont beaucoup d’œuvres à lire. Pour apprécier un livre, voire un style d’écriture, il faudrait bien plus de temps, « comme on se fait l’oreille à telle ou telle musique. » Par ailleurs, un auteur relève le fait que les rencontres ne satisfont pas à la définition de « concours » : « Si le Roman des Romands est un concours, il faut l’organiser comme un concours. Pourquoi certains auteurs rencontrent treize classes, alors que d’autres n’en rencontrent que cinq ? » Les élèves pourraient ainsi être influencés et voter sans doute plus facilement pour celui qu’ils ont rencontré que pour celui qu’ils n’ont pas vu. Un des auteurs fait également la remarque que : « La littérature ne saurait s’appréhender telle une compétition. On ne vit que trop dans un monde de compétitivité. Ce n’est pas le but de la littérature. » Les attentes quant à la participation à un tel concours sont fort diverses, même si les auteurs interviewés restent prudents sur les retombées éventuelles ; l’un des enjeux serait « à travers les discussions et les échanges, de donner envie de lire et d’écrire. » La dimension de « rencontre » s’avère également essentielle ; en effet, elle diffère « des rencontres traditionnelles en librairie, ou lors du Salon du Livre ». Ce type de rencontres permet aussi de conquérir quelques lecteurs, puisque « les lecteurs se conquièrent un à un. » Aussi diverses sont les réponses lorsque nous demandons aux écrivains pour quelles raisons leur ouvrage mériterait d’être élu « Roman des Romands ». Certains demeurent très énigmatiques, nous disant « pour toutes et aucune ». D’autres pensent que leur texte parle à ce public de collégiens, qu’il peut « toucher un public jeune (moins jeune aussi, d’ailleurs !), relayer certaines questions que les élèves se posent, dans une langue qu’ils apprécient généralement ». Bien sûr que les auteurs ne négligent pas non plus le prix, qui représente tout de même une somme confortable. 5 b. L’auteur et son rapport au monde scolaire La rencontre avec les collégiens, comme nous venons de le mentionner, demeure le point fort de ce concours. La seconde de nos préoccupations revenait donc à saisir le rapport des auteurs avec le milieu scolaire. Nous nous sommes alors intéressées aux représentations que nos écrivains avaient à l’égard de ces jeunes lecteurs ou encore à l’égard du dispositif didactique mis en place par les enseignants dans l’étude de ces divers ouvrages. Le monde scolaire, cet « autre » public, n’est pas étranger à certains de nos auteurs. L’un nous dira d’ailleurs : « J’avais déjà eu contact avec de nombreux lycéens qui avaient lu et apprécié mon livre, certains sont même mes potes, donc je n’ai pas été particulièrement surpris ou déboussolé ». Pour d’autres, « ce sont d’autres questions qui sortent, des questions sympas, différentes de celle d’un public d’adultes ». Lors de ces échanges, il convenait à nos romanciers de dépasser le stade premier de la lecture, ou bien souvent hélas, de la non lecture, leur unique enjeu demeurant « de leur montrer que la littérature n’est pas seulement un truc ennuyant et coincé qui fait plaisir à grand-­‐papa. » Le challenge consistait en d’autres termes à partir à la découverte d’un auteur, d’un texte, d’une histoire. Mais parfois le choix du jury interpelle : si un ouvrage est « complexe et difficile », que l’on remarque que peu d’élèves l’ont lu, on peut se demander pour quelle raison leur faire lire tel livre : pour « leur montrer la littérature comme quelque chose de complexe ? » Nous avons pu remarquer que les auteurs se préoccupent de la réception de leur livre auprès d’un jeune public. Il semblerait par ailleurs qu’être lu par des collégiens apporte un regard autre, inattendu, pour les auteurs : « C’est la fraîcheur d’une autre lecture, parfois même l’innocence d’une autre lecture pas encore complètement parasitée », « ça permet des échanges décomplexés », avons-­‐nous entendu dire lors de nos différentes entrevues. C’est donc bien là la jeunesse de ce public et ses caractéristiques qui sont mises en évidence. Ce concours permet, par la même occasion, de « renverser l’opinion – répandue – voulant que les jeunes ne lisent plus, ou lisent trop peu ». Il serait alors intéressant de se demander pourquoi, de rechercher la cause de ce désintérêt. Si les jeunes ne lisent plus, est-­‐ce la faute des écrivains ? Ne savent-­‐ils plus les séduire ? C’est là l’avis de l’un d’eux. D’autres pensent que « sans connaître ce que le livre raconte, il n’y a pas de retour possible ». Et de fait, face à ce jeune public, les écrivains ne peuvent plus faire appel à une même mémoire collective, puisque celle-­‐ci n’est plus la leur : plus possible d’évoquer tel événement historique sans devoir rappeler son contexte. Didactiquement aussi, les écrivains ont l’espoir de transmettre quelque chose aux étudiants. L’un d’eux s’exprimera ainsi : « Si j’ai un espoir, c’est celui qu’ils deviennent par la lecture, ce que moi je devenais à leur âge, des voyageurs immobiles de l’extraordinaire qui entrent dans l’intimité de la vie de tous les jours et accompagnent des personnages qui pourraient être eux ou leur contraire, de vibrer d’aventures et d’histoires qui nous emportent là-­‐bas. » Alors que certains espèrent faire naître chez les élèves un regard intuitif sur la littérature, la plupart ignorent la manière dont leur ouvrage est abordé par les professeurs. En témoignent ces propos : « pour ça, les élèves et les profs restent discrets. Je pense qu’évidemment, le fait que ce soit imposé peut poser problème. J’avais horreur, au gymnase, que l’on me dise quoi lire. Ça peut bloquer. 6 C’est pour ça que je pense que le prof doit en dire le moins possible, et nous laisser faire ». Certes, les professeurs font leur travail, or il y a tout de même une manière d’aborder le texte qui est revendiquée par nos auteurs. « La littérature doit causer du monde. Il s’agit de prendre parti sur ce qui est dit, de parler de ce qu’il y a dans le texte. Il faut prendre les auteurs au mot, enseigner en rapport avec les contenus et comprendre ce qui est dit. Ecrire signifie une prise sur le monde. L’écrivain dit quelque chose sur le monde et il s’agit de le juger sur ce qu’il veut faire » nous affirmera-­‐t-­‐on. En d’autres termes, ne devrait-­‐on pas, plutôt que de nous pencher sur une lecture méthodique, nous demander si cette phrase, ce texte nous dit quelque chose de la réalité, nous parle, résonne en nous ? c. L’auteur et son rapport à la littérature de Suisse romande Après avoir abordé les diverses facettes de ce concours, puis sa dimension scolaire, nous avions comme troisième et dernière préoccupation de le saisir dans une dimension plus globale, celle de la littérature de Suisse romande. Nous nous sommes alors demandé quelles étaient les représentations des auteurs à cet égard. La littérature de Suisse romande est bien vivante. Tous les auteurs interrogés se disent auteurs romands mais ne revendiquent pas forcément une appartenance à ce milieu. L’un dira : « Je suis un écrivain romand à n’en pas douter, mais je n’appartiens à aucun milieu ». Un autre affirmera que « la littérature de Suisse romande existe, elle existe très fort. Les écrivains ont ici en Suisse des conditions privilégiées, ils reçoivent des subventions, il y a davantage de maisons d’édition. Je suis tout naturellement intégré à ce milieu. Si j’ai été choisi parmi le Roman des Romands, c’est bien que je fais partie de ce milieu. J’y suis intégré mais je n’adhère pas forcément à ce qui s’y fait ». La littérature de Suisse romande se caractérise en effet par un « flux de littérature, une littérature intimiste, qui raconte sa vie ». Un autre auteur la qualifiera ainsi : « c’est la passion du petit, c’est partir du détail pour raconter le monde ». Il nous paraît intéressant de souligner les propos d’un auteur à propos d’une publication en France : il « est peut-­‐être illusoire de compter sur un public plus important au seul motif de la nationalité française de l’éditeur. » L’essentiel serait ailleurs (soit ici) : « continuer d’être publié, sous quelque forme que ce soit, en Romandie, me paraît essentiel. » L’ancrage dans un milieu mais aussi dans un lieu s’avère fondamental ; un lieu qui puisse réunir des auteurs, des éditeurs et des lecteurs : « Le Roman des Romands marque surtout une étape dans ce lien particulier unissant un écrivain émettant d’un lieu, la Suisse romande, avec différents types de lecteurs de ce lieu. En l’occurrence, de jeunes lecteurs. » Le concours du Roman des romands met en valeur l’écriture d’un lieu et révèle l’existence d’auteurs mais aussi d’éditeurs peu visibles, en général, dans les classes au secondaire II. « Le Roman des Romands insiste auprès des jeunes sur le fait qu’il existe une littérature romande et cela fait du bien de voir que l’on est pris en considération dans les écoles. » 7 Le point de vue des enseignants Par Didier Cotting et Catherine Perriard Désireux de connaître comment les enseignants vivaient cette aventure de lecture sur le plan pédagogique et didactique, nous sommes allés interviewer trois enseignants qui avaient inscrit leur classe au concours. Afin de pouvoir, par la suite, élaborer un compte-­‐
rendu basé sur trois axes – l’aventure (motivation) ; le travail de préparation (composante didactique 1) ; le travail en classe (composante didactique 2) –, nous avons mis sur pied un questionnaire abordant chacun de ces trois aspects1. a. L’aventure « Roman des Romands » Les motivations des enseignants Mus par des motivations relativement diverses, les trois enseignants que nous avons interviewés reconnaissent tous avoir saisi, par leur participation au « Roman des Romands », une opportunité de changement : faire quelque chose de nouveau et rompre ainsi avec le programme habituel. Se lancer dans une telle aventure suscite nécessairement quelques interrogations. Ainsi, l’enseignant B, novice dans l’aventure, reconnaît que, sans les encouragements de collègues très motivés et le soutien de la direction de son école, il n’aurait peut-­‐être pas osé tenter l’expérience. Aux motivations collectives, s’ajoutent des choix personnels d’enseignants désireux de relever des défis. C’est le cas de l’enseignant A qui, après trente ans d’enseignement et un arrêt suite à une maladie, retrouve par le biais de cette aventure, le bonheur d’enseigner. Mais ce dernier ne manque pas de préciser que, pour communiquer l’amour des livres et de la littérature, il faut être motivé soi-­‐même, être convaincu de la démarche – d’où la nécessité de trouver une pédagogie et une didactique permettant d’ « embarquer » les élèves. Quant à l’enseignant C, il trouve que le concours est un moyen assez extraordinaire de faire lire les élèves. Avec des sensibilités différentes, tous trois se sont exprimés sur leurs motivations liées à la promotion de la littérature suisse romande. Pour l’enseignant B, ce concours est une entrée en matière originale pour aborder une littérature trop souvent traitée à travers des classiques incontournables tels que Ramuz. En fait, cet enseignant n’insiste pas trop sur le concept de « littérature romande » ou de « promotion de la littérature suisse romande » mais plutôt sur le concept de « proximité des écrivains ». Il trouve intéressant de faire prendre conscience aux élèves de l’existence, proche de chez eux, d’écrivains talentueux. Dans le même esprit, si l’enseignant C aime aussi l’idée que les élèves découvrent, avec ce concours, une littérature liée à la Suisse romande, il préfère encore l’idée d’une découverte de la lecture – de plusieurs littératures – par l’intermédiaire de beaux livres (des livres en édition originale, contrairement aux livres de poche auxquels sont habitués les collégiens). Une telle expérience peut provoquer un 1 Voir questionnaire annexe intitulé « questionnaire pour les enseignants ». 8 déclic chez les élèves et leur donner envie de s’intéresser aux livres et d’entrer de temps en temps dans une librairie. La motivation des élèves Comme nous venons de le voir, les enseignants ne manquent pas d’arguments pour faire part des motivations qui les ont poussés à inscrire leur classe au « Roman des Romands ». Nous étions curieux de connaître les moyens utilisés par les enseignants pour motiver leurs élèves et surtout pour les convaincre de relever un tel défi de lecture. Tout d’abord, il apparaît clairement que, même si chaque enseignant a sensibilisé sa classe à la responsabilité de chacun face à un enjeu de taille2 – un concours officiel avec à la clef un prix décerné à l’auteur du roman choisi par les élèves –, la dynamique du concours ne constitue pas vraiment un critère de motivation. Le fait de pouvoir rencontrer les écrivains constitue par contre un véritable attrait3 pour les élèves et motive ainsi davantage ces derniers à participer au concours. Il n’en demeure pas moins que le véritable enjeu pour les enseignants reste le pari de faire lire des centaines de pages en un laps de temps relativement réduit. L’enseignant A ne semble pas trouver la tâche insurmontable. Il est toutefois tout à fait conscient que tous les élèves ne lisent pas intégralement les huit romans. Les enseignants B et C s’accordent sur le fait qu’il y a quand même trop de romans à lire4. Attelés à un rythme de lecture soutenu – rythme imposé par les contraintes liées aux rencontres avec les écrivains ou aux rencontres des délégués de classe5 –, certains élèves peinent à s’y retrouver. De plus, le système nécessite une organisation rigoureuse et « minutée » à l’intérieur des collèges étant donné que cette dernière repose sur le principe de l’échange des livres entre les classes d’un même collège. A cela s’ajoutent des difficultés de lecture : tous les romans ne sont pas d’un abord aisé pour les élèves6. Ainsi, les enseignants développent certaines stratégies afin de motiver leurs élèves ou plus exactement, afin qu’ils ne se découragent pas d’emblée devant la « pile de livres ». Les heures de lecture accordées aux élèves pendant les heures de classe semblent avoir été pour deux enseignants une solution intéressante7. De plus, dans la mesure où la réussite d’une telle aventure dépend également de l’attitude des élèves face à la tâche, il apparaît clairement aux enseignants qu’il est important de jouer franc jeu avec eux et surtout d’être à l’écoute de leurs difficultés voire de leurs réticences8. Le « Roman des Romands » permet en fait ce que ne permet pas le programme conventionnel : se donner le droit de ne pas lire. Par sa référence à Daniel Pennac, l’enseignant C livre sa méthode préventive au découragement que 2 L’enseignante A évoque une sorte de « pression morale » (question n°9). 3 Voir supra, le concept de « proximité des écrivains ». 4 « Six romans » serait le nombre tout à fait adapté. Le nombre trop élevé de romans pourrait à l’avenir décourager les enseignants à tenter l’aventure du RdR (remarque de l’enseignant C). 5 Pour la rencontre d’octobre à la Chaux-­‐de-­‐Fonds, les élèves devaient avoir lu quatre romans (Luterbacher, de Roulet, Haas et Amée). A la fin du premier cycle des quatre romans, l’enseignant B a senti que ses élèves étaient un peu fatigués et auraient eu besoin de marquer une pause ; de faire autre chose que le RdR. 6 Si les enseignants A et B n’émettent pas vraiment de réserves quant à la sélection des romans établie pour ce concours, il n’en va pas de même pour l’enseignant C qui avoue ne pas être toujours convaincu du choix (écriture difficile de Popescu…) (question n°11). 7 « La lecture en classe » s’insère dans notre compte-­‐rendu dans la rubrique « Composante didactique ». Voir infra. 8 Lire à ce sujet l’exemple donné par l’enseignant C dans sa réponse à la question n° 6. 9 pourraient rencontrer certains élèves devant l’ampleur du travail de lecture. En laissant le choix aux élèves de « passer leur tour, de prendre autre chose », il légitime en quelque sorte leur droit « de ne pas finir le livre »9. Dans le cadre du « Roman des Romands », il s’agit en quelque sorte d’un choix d’ouverture présenté aux élèves sous la forme d’un pari : lire au moins les cent premières pages de chaque livre même si l’objectif est de lire le plus possible. Ainsi, par un procédé non coercitif, l’enseignant allège la pression des élèves tout en favorisant la poursuite de la lecture d’un livre – après une centaine de pages lues, l’élève peut avoir envie d’aller plus loin, de connaître la suite. Un autre critère de motivation réside dans le choix des délégués chargés de représenter la classe lors des rencontres inter-­‐collèges. Nous nous sommes intéressés à la façon dont les enseignants procédaient pour désigner leurs délégués. Là encore, nous avons constaté quelques disparités chez les enseignants interviewés. Alors que l’enseignant A laisse une liberté totale à ses élèves pour élire eux-­‐mêmes leurs représentants, les enseignants B et C émettent certaines conditions : les élèves intéressés par la fonction doivent avoir un bon profil de lecteur. L’enseignant C a observé pendant quelques semaines le comportement de ses élèves afin de déterminer lesquels, parmi les très bons lecteurs (ceux qui sont également actifs en classe), seraient à même de remplir le rôle. Il a désigné lui-­‐même deux élèves de son choix10, convaincu qu’ils auraient des choses intéressantes à dire. Cette façon de faire constitue à ses yeux un moyen pour motiver ceux qui sont intéressés par la tâche et souhaitent faire partie des délégués de la deuxième rencontre. Les élèves retenus se sentent investis d’une mission et s’impliquent dans leur travail et ce, sans être « coachés » par leur enseignant. En effet, si l’enseignant se montre directif dans son choix des délégués, il ne conditionne en aucune façon leurs interventions lors des rencontres11. Nous concluons cette première partie consacrée à l’aventure « Roman des Romands » en général par une remarque fort intéressante de l’enseignant B : outre une démarche de lecture, l’expérience fut un véritable projet commun de toute une classe. Ainsi par l’échange (de livres et de points de vue), les élèves ont aussi développé des valeurs extrascolaires. b. Le travail de préparation (composante didactique 1) La collaboration La collaboration entre enseignants paraît une composante essentielle pour deux enseignants (B et C) alors qu’elle n’est en aucun cas retenue pour l’enseignant A qui préfère travailler seul. Le système de décalage des lectures (les classes d’un même collège ne lisent pas en même temps le même livre) favorise l’échange entre enseignants. Ainsi, les documents 9 Dans sa liste des dix « droits imprescriptibles du lecteur », Daniel Pennac mentionne en premier lieu « le droit de ne pas lire », en deuxième lieu « le droit de sauter des pages » et en troisième lieu « le droit de ne pas finir un livre ». 10 …afin d’éviter également que des élèves ayant peur de s’affirmer se retrouvent nommés malgré eux et chargés ainsi d’une mission qui serait davantage une corvée qu’un plaisir. 11 Pour l’enseignant C, il est primordial que les interventions des délégués reflètent réellement – et avec spontanéité – les avis et les impressions de leurs camarades et ne soient surtout pas des transcriptions des documents travaillés en classe et fournis par les enseignants. 10 créés pour un ouvrage (fiches de lecture, passages analysés, questionnaires…) sont mis à disposition dans un classeur en libre-­‐accès à la salle des maîtres et sur un dossier partagé sur le serveur commun de l’école. C’est un système qui permet de pallier la surcharge de travail que peut engendrer pour un enseignant la lecture de huit romans en un semestre. Il va de soi que la collaboration ne constitue en aucune manière une contrainte. Chaque enseignant fonctionne selon ses critères mais le fait d’échanger des idées constitue une véritable stimulation. La collaboration est finalement aisée dans la mesure où il n’y a pas d’enjeu de contenu mais des enjeux liés à une approche plus superficielle des textes12. La littérature secondaire Travailler sur des romans contemporains implique qu’il n’y a pas de littérature secondaire à disposition sur laquelle se baser pour étudier les œuvres. Comment cette absence est-­‐elle ressentie par les enseignants ? Sur quelles ressources s’appuient-­‐ils ? Voici les deux questions soulevées dans ce point. Unanimement, les enseignants ne se disent pas du tout gênés par le manque de ressources classiques. Au contraire, ils apprécient de travailler sans littérature secondaire. Ils éprouvent du plaisir à tout construire eux-­‐mêmes et trouvent cela stimulant. L’inconfort de la nouveauté est enrichissement pour eux. L’enseignant A relève également que cela apporte plus de spontanéité à sa démarche. Mais pour mener à bien cette aventure, il importe de se faire confiance ainsi qu’à ses élèves. En effet, ni l’un ni les autres ne peuvent s’appuyer sur de la littérature secondaire de type traditionnel. Les enseignants ont toutefois reçu du jury du Roman des Romands une documentation qu’ils ont trouvée utile et intéressante. Le résumé des ouvrages et la biographie des écrivains leur ont notamment facilité certaines recherches. Toutefois, les enseignants ont surtout été intéressés par les textes des auteurs concernant leur rapport à la lecture à 17 ans. Ces récits leur ont par exemple offert un angle nouveau pour étudier la biographie de certains auteurs ou des modèles pour demander aux élèves d’écrire à leur tour un texte sur le même sujet. L’enseignant B mentionne le fait que l’absence d’études des romans du « Roman des Romands » laisse la place à un paratexte original et moins technique (documentation du jury, articles de presse, émissions de radio, les rencontres avec les écrivains…) qui lui permet de ne pas orienter trop subjectivement les élèves. L’absence de littérature secondaire classique est donc plutôt ressentie comme un plus, tant sur l’attitude de l’enseignant qui doit se faire confiance et rechercher d’autres sources, que sur celle de l’élève n’aimant pas lire qui, ne trouvant pas de résumé complet des romans sur Internet, a pour une fois l’occasion d’échapper à ce raccourci si facile et si tentant et… de lire vraiment. L’influence sur le programme La lecture de huit romans a dû perturber le programme annuel des enseignants. Pour comprendre l’influence de la participation au « Roman des Romands » sur le planning 12 Une notion qui sera reprise dans la troisième partie consacrée au travail en classe. 11 habituel, nous nous efforcerons de répondre à deux questions : quel est son impact sur l’organisation de l’année scolaire ? et quelle est son influence sur la matière enseignée en classe ? Pour les enseignants interrogés, le « Roman des Romands » occupe tout le premier semestre. Mais cela coïncide toutefois avec un travail qui est ordinairement fait sur le genre romanesque. De plus, concernant les divers exercices de rédaction, tout peut se réaliser autour du Roman des romands. D’un point de vue didactique, si le support a effectivement changé par rapport à une année normale, la partie du programme consacrée au roman est traitée de manière similaire. Les autres genres, abordés au deuxième semestre, en pâtissent par contre un petit peu. Un enseignant a par exemple laissé l’essai de côté pour cette année, tandis qu’un autre pense devoir renoncer à la lecture d’une des deux pièces de théâtre initialement prévues et de se contenter de les traverser par des extraits. Mais globalement, le « Roman des Romands » a pu être intégré dans le programme annuel sans nuire à son contenu. c. Le travail en classe (composante didactique 2) La lecture Le volume total à lire, jugé trop important par les enseignants, a nécessité le recours à diverses stratégies pour motiver les élèves, notamment celle plutôt inhabituelle de leur offrir des heures de lecture en classe. L’enseignant C parle à ce sujet d’une expérience où chaque élève peut avancer à son rythme, d’une atmosphère de travail où règne un silence particulier, incomparable avec celui d’un examen. Offrir des heures de lecture en classe pose toutefois un problème éthique à l’enseignant C qui a parfois le sentiment de « voler des heures » à l’Etat. L’enseignant B, qui pense que la lecture devrait normalement se faire en dehors des heures de classe, avoue néanmoins que certaines semaines, les élèves n’ont fait que de la lecture. Le « Roman des Romands » est donc non seulement l’occasion de lire en classe, mais surtout de considérer ce moment comme un cadeau. Il nous semble que cela ne peut être que bénéfique pour le rapport que les jeunes entretiennent avec la lecture. La lecture des romans sélectionnés nécessite également un certain « coaching » de la part des enseignants. L’enseignant B corrige les erreurs de lecture, donne des balises et indique les passages-­‐clés des ouvrages à ses élèves. Tandis que l’enseignant C, pour chaque texte, demande à ses élèves de remplir une fiche de lecture très complète les amenant à travailler sur les éléments essentiels tels que le cadre spatio-­‐temporel, les personnages, l’intrigue, les principaux thèmes, le style, la structure, le type de roman et l’auteur ; les conduisant à des réflexions sur le titre, la couverture et le(s) message(s) du texte ; et les impliquant personnellement par le choix d’extraits et par la rédaction de leur avis argumenté. 12 Les activités De manière générale, toujours à cause de l’important volume de lecture, les enseignants étudient davantage la compréhension globale que l’analyse avec leurs élèves13. Même s’ils analysent tout de même quelques passages des œuvres, ils trouvent que l’approche des textes se fait de façon un peu superficielle, faute de temps 14. Les enseignants essaient en premier lieu de s’assurer que les élèves comprennent ce qu’ils lisent. Pour que les élèves puissent choisir leur roman préféré, les enseignants ont utilisé une grille contenant les critères de ce qui constitue un bon roman. C’est surtout par ce biais et au moyen de fiches de lecture que l’analyse des textes a été réalisée. La contextualisation des œuvres, qu’elle soit historique, politique ou encore stylistique, est chronophage mais nécessaire. Car sans certaines informations essentielles, les élèves n’entrent tout simplement pas dans les histoires. Cette approche contextuelle a aussi conduit à des travaux d’intertextualité. L’enseignant C a saisi l’opportunité d’avoir de beaux livres à disposition pour travailler sur l’objet-­‐livre, ses composantes et sa terminologie. Mais ce qui ressort du travail effectué en classe, c’est surtout le fait que les enseignants savent faire preuve de créativité pour utiliser les romans sélectionnés pour travailler divers points de leur programme. Par exemple, l’enseignant C a entraîné le résumé en demandant à ses élèves d’en rédiger sur les chapitres de certains ouvrages et l’argumentation en les faisant entrer dans la peau d’un éditeur pour écrire une lettre à l’un des auteurs justifiant la publication ou non de son roman. Il a également proposé à ses élèves d’effectuer de façon autonome des recherches sur la vie de Montaigne et sur le massacre de la Saint-­‐Barthélemy afin de les préparer à leur futur travail de maturité. Les enseignants se servent finalement passablement de ce corpus pour engager des travaux de création : rédiger la lettre manquante dans l’un des romans du corpus, imaginer ce qui précède ou suit un passage de tel ou tel roman, se mettre dans la peau d’un éditeur pour correspondre avec un auteur… L’évaluation Le « Roman des Romands » est un challenge permanent pour les enseignants, y compris en ce qui concerne les évaluations. Comme l’ensemble du premier semestre est consacré à cette aventure, il faut bien que les enseignants fassent leurs examens sur ou avec cette matière. Les interviews ayant été réalisées seulement trois mois après le début de l’année scolaire, nous ne disposons pas d’informations exhaustives sur la façon dont les enseignants ont évalué leurs élèves. Au moment de l’interview, l’enseignant A avait réalisé deux évaluations. La première comprenait un exposé oral de cinq minutes sur une thématique d’un roman et une version écrite à rendre. La deuxième était une rédaction dans laquelle ils devaient soit imaginer la lettre manquante dans l’un des romans, soit raconter un épisode en changeant de focalisation, ou soit encore écrire le jour d’après dans un autre des romans. 13 L’enseignant B indique qu’il n’a pu étudier qu’un quart de ce qu’il fait normalement sur l’analyse de texte. 14 Cela a notamment frustré l’enseignant B. 13 L’enseignant B, qui a également fait passer deux évaluations, a proposé un contrôle de lecture comprenant des questions d’interprétation. La seconde portait sur la mise en relation des différents romans, en insistant sur la narration. Sur ce petit échantillon15, nous constatons déjà une grande variété dans les types d’évaluation : travail personnel sur un thème, présentation orale, rédaction créative, contrôle de lecture, analyse des différents types de narration. Cela pour dire que les enseignants interrogés s’adaptent bien à la situation, tant aux niveaux de la préparation, du travail effectué en classe et des évaluations. Ils doivent faire preuve de plus de créativité que d’ordinaire et disent l’apprécier beaucoup. 15 L’enseignant C n’a pas vraiment répondu à la question. 14 Le comité de lecture et le « Roman des Romands » Par Nathalie Dydynski Introduction Nous nous sommes intéressée au comité de lecture désigné pour la sélection des œuvres mises au concours pour le prix le « Roman des Romands ». Dans le cadre de notre étude, deux des personnes faisant partie du comité de lecture ont pu être interviewées ; pour les autres personnes interrogées, nous avons procédé par échanges de courriels. En tout, nous avons pu récolter quatre retours de questionnaires et réunir des réponses pour la plupart succinctes sur le fonctionnement et les choix de certains membres du comité de lecture. a. Fonctionnement du comité de lecture L’influence du critère de lisibilité sur le comité Après avoir examiné les réponses données par les interviewés, nous avons pu constater, dans un premier temps, qu’elles étaient loin de ce que nous avions pu imaginer. En effet, nous pensions que le critère de lisibilité entrait en ligne de compte dans le choix des œuvres. Or, les organisateurs du concours ont demandé aux membres du comité de lecture de ne pas faire leur choix en fonction de ce critère. Ainsi, il a plutôt été question de choix personnels ou, en d’autre termes, d’appréciations subjectives des quelques huitante œuvres proposées, chaque membre du comité de lecture étant libre d’établir ses propres critères pour la sélection. Pour certains des interviewés c’est, entre autres, la qualité littéraire qui a primé dans leur choix, à savoir le travail de la langue dans son originalité et son adéquation au projet narratif. Néanmoins, certains interviewés ont précisé qu’il était possible, dans certains cas, que le critère de lisibilité pour les jeunes collégiens soit pris en compte. Cette démarche était plutôt pratiquée par les enseignants faisant partie du comité de lecture qui essayaient notamment de projeter leur enseignement par rapport à ces œuvres. Cependant il en résulte que la plupart des membres n’ont pas pris en compte la difficulté de lecture de l’œuvre dans leur choix et ont privilégié la qualité du style avant toute chose. Il faut préciser à ce sujet que certains membres ont également été sensibles à l’originalité et à la qualité de l’intrigue dans leur choix. Pour eux, il fallait que l’œuvre soit à la fois d’une bonne facture littéraire, originale et que son intrigue soit intéressante. Il fallait que le plus grand nombre de critères positifs soient réunis pour que l’œuvre soit sélectionnée. Pour l’un des membres du comité, le critère de lisibilité découle de la réunion de ces critères de qualité. Selon lui, il ne faut pas oublier qu’il ne s’agit pas d’œuvres destinées à des enfants mais à des jeunes collégiens ayant déjà une expérience de lecture. En ce qui concerne les membres du comité, il faut préciser qu’il y a parmi eux certains qui ne sont pas directement en contact avec le milieu scolaire du secondaire II. Comme dit précédemment, on retrouve au sein du comité une diversité dans les 15 professions, bien qu’elles aient toutefois un lien avec le monde de la lecture. Il s’agit du métier de journaliste, de libraire, mais aussi de la fonction d’assistante ou de professeur à l’université. Parmi ces membres, certains ont expliqué qu’ils avaient parfois pensé que les œuvres choisies plairaient aux collégiens alors qu’au terme du concours ils s’étaient rendu compte que ce n’était pas le cas. Ils pensent notamment que les enseignants faisant partie du comité devraient être plus à même de « sentir ce que les élèves vont apprécier ou pas ». Nous avons pu remarquer qu’au sein du comité, l’approche de la lecture a parfois été sensiblement différente. Chacun des membres avait un critère privilégié et une attente différente de sa lecture. Il apparaît clairement que dès le départ le critère de lisibilité ne rentre pas en ligne de compte dans leur choix. C’est seulement plus tard, lors du choix « décisif », que celui-­‐ci peut apparaître. Rappelons que dès le début il a été demandé au comité de ne pas tenir compte de ce critère. Problèmes et consensus au sein du comité Tout choix implique des consensus ; pour la sélection 2012-­‐2013, il semblerait toutefois que le choix des œuvres retenues n’ait pas posé de difficultés importantes : deux des membres du comité précisent que plusieurs œuvres ont fait l’unanimité dès le départ cette année tandis que d’autres membres soulignent que l’année d’avant, le choix s’était avéré plus complexe. Néanmoins, il y avait tout de même des divergences d’opinions et il a donc fallu trouver un consensus pour sélectionner huit œuvres. Pour entrer en discussion l’œuvre devait avoir retenu l’attention d’au moins six membres du comité. Ce qui résulte de ce consensus c’est le fait que tous les membres du comité de lecture n’avaient pas lu les huit œuvres sélectionnées. Sur cette question touchant le consensus en matière de choix, j’aimerais également souligner le propos de l’un des membres du comité, remarquant avec pertinence qu’il n’y a pas qu’une œuvre à choisir mais huit, ce qui élargit considérablement la marge du consensus. Il a également ajouté l’existence d’œuvres dites « problématiques » car séduisantes d’une part, mais présentant des défauts majeurs d’autre part… Thématiques, genres ou auteurs à exclure ? De manière unanime, un livre au style « trop simpliste », que l’on pourrait assimiler à une rédaction, ne sera, d’emblée, pas retenu. Les membres du comité ont également déclaré qu’il n’y avait pas de censure, avec quelques réserves toutefois pour certains. En effet, ces derniers ont évoqué le fait que les œuvres jugées violentes pour des jeunes lecteurs ou les thématiques crues pouvaient être mises en question lors des discussions. Cependant, pour cette sélection, ils n’ont pas rencontré ce type d’obstacles et tous les choix du comité ont été assumés. D’autre part, un des membres a mis en évidence un autre problème auquel le comité de lecture aurait pu être confronté, celui de la légitimité de la catégorie littéraire ; il ne faut pas oublier, en effet, que la catégorie romanesque peut être définie de manière large. Ainsi, dans les huitante œuvres à explorer, il pouvait y avoir des journaux intimes, des récits de voyage, des recueils de notes mais aussi des textes quasi poétiques mais structurés comme un roman. Le membre du comité ayant explicité cette éventualité a évoqué le fait qu’il y avait déjà eu un débat au sein du comité des années précédentes sur cette question des limites du genre. Malgré le fait qu’il 16 s’agisse d’une sélection de romans, d’où l’appellation « Le roman des Romands », ce dernier a émis la possibilité que des recueils de nouvelles soient admis dans la sélection. Cependant, il a précisé que seulement deux recueils de nouvelles au maximum pouvaient être approuvés. Enfin, précisons que seuls les auteurs refusant de venir s’entretenir avec les élèves étaient exclus de la sélection, afin de respecter l’un des principaux objectifs de ce prix, à savoir les rencontres entre écrivains et élèves. b. Approche didactique et critères de sélection Les réponses apportées par les personnes interrogées concernant d’éventuelles pistes didactiques sont très claires : aucune piste didactique prédéfinie. C’est en qualité de lecteurs qu’ils sont membres du comité et cela va de même pour les enseignants qui en font partie. Néanmoins, l’enseignant interviewé faisant partie du comité a énoncé quelques pistes didactiques qui ressortent de ces lectures. Selon lui, certains des livres sélectionnés constituent une très bonne base pour l’analyse de texte. La diversité des œuvres donne la possibilité aux élèves d’analyser des aspects différents d’une œuvre à une autre. Dans un livre, l’attention peut se porter sur les figures de style, dans un autre sur le rythme de la phrase ou encore sur la construction de l’histoire. De ce fait, c’est très logiquement que le projet a ouvert des pistes à cet enseignant et lui a permis d’avancer avec plus de précision dans ses transpositions didactiques avec pour objectif une meilleure compréhension par les élèves des textes abordés. c. L’intérêt du prix selon le comité de lecture Il apparaît clairement que le comité est unanime sur l’impact que peut avoir le prix du « Roman des Romands » dans le domaine de l’enseignement de la littérature. Il peut manifestement contribuer à faire émerger cette littérature, jusque-­‐là souvent ignorée des programmes scolaires, au sein des établissements du secondaire II. Ainsi, le prix a pour objectif de montrer aux élèves et aux enseignants que la littérature de Suisse romande mérite qu’on s’y intéresse. En effet, les élèves ont tendance à ignorer le fait qu’une littérature de Suisse romande foisonnante existe, ceci en raison d’un parcours scolaire composé, pour l’enseignement du français, en majeure partie des grands classiques littéraires canonisés. Il s’agit donc là non seulement d’apporter un renouveau par rapport à ces œuvres vues habituellement en classe mais également de faire découvrir aux collégiens la richesse et la qualité des œuvres littéraires suisses romandes. Il s’agit d’un des objectifs fixé par les fondateurs du prix. L’un des membres du comité a également ajouté que l’intérêt de ce prix est également d’aider les élèves ainsi que le public à faire des choix dans cette masse de livres que représente l’ensemble de la littérature suisse romande. De ce fait, par le biais de ce prix, les élèves et le public ont déjà une base de lecture sélectionnée mais également des repères pour choisir des œuvres susceptibles de leur plaire par leur style, leur sujet et leur histoire. Outre cet enjeu (montrer qu’il existe une littérature suisse vivante), mentionnons également le fait d’inciter les jeunes collégiens à lire et à s’intéresser aux œuvres et aux écrivains suisses romands par le biais de leur lecture et de leur rencontre avec les écrivains. De manière 17 générale, le comité de lecture a montré que c’était là encore un objectif de ce prix que de donner le goût de la lecture aux lycéens et de les faire lire autre chose que les grands classiques français ou les auteurs suisses récurrents comme Corinna Bille, Ramuz ou Cendrars. Certains membres ont ajouté que ce projet littéraire mis en parallèle avec l’enseignement permettait aux élèves de lire plus librement ces œuvres à la différence de l’approche habituelle des œuvres littéraires par les enseignants. Le membre du comité concerné directement par le domaine de l’enseignement a précisé que c’était une démarche très lente que de faire rentrer les lycéens dans la littérature romande. De ce fait, l’approche didactique est donc plus portée sur la découverte que sur l’analyse de ces œuvres, bien que celle-­‐ci ne soit pas du tout exclue. En conclusion, il apparaît que ce prix permet à la littérature suisse romande de sortir de l’ombre et d’être mise en valeur aux yeux des jeunes collégiens par le biais de leurs lectures et des rencontres avec les écrivains. 18 Les questionnaires Par : Joséphine Bezzola, Didier Cotting, Nathalie Dydynski, Catherine Perriard, Corine Perroud (revus par Sylvie Jeanneret) Questionnaire aux auteurs 1. Comment vivez-­‐vous cette aventure du « Roman des Romands » ? 2. Participer à un tel concours, qu’est-­‐ce que cela représente pour vous en tant qu’écrivain ? Quelles retombées en attendez-­‐vous ? 3. Quelle identité reconnaissez-­‐vous à la « Littérature romande » ? Vous sentez-­‐
vous intégré dans ce milieu romand ? Le « Roman des Romands » vous donne-­‐t-­‐il une identité, une visibilité particulière ? Et si l’on vous proposait demain d’être publié en France, quelle serait votre réaction ? 4. Pour quelles raisons votre ouvrage mériterait d’être élu le « Roman des Romands » ? 5. Comment se passent les échanges avec cet autre public qui est celui des collégiens ? Appréciez-­‐vous rencontrer ces étudiants ? Auriez-­‐vous peut-­‐être une petite anecdote à nous raconter de ces diverses rencontres (quelque chose qui vous a marqué) ? 6. Etre lu par des jeunes / être lu au collège, qu’est-­‐ce que cela signifie pour vous ? 7. Quelles sont les représentations que vous avez des collégiens qui lisent votre ouvrage ? Comment pensez-­‐vous qu’ils abordent la lecture et l’étude de ce texte avec leur professeur ? Avez-­‐vous quelques attentes, quelques espoirs à cet égard ? 8. Que répondez-­‐vous à un élève qui s’exclame « les analyses de texte ne servent à rien, si ce n’est de faire dire au texte quelque chose à laquelle l’auteur n’a peut-­‐
être même pas pensé » ? Questionnaire aux enseignants 1. Qu’est-­‐ce qui vous a incité à participer au « Roman des Romands » alors que – indéniablement – cela engendre une surcharge de travail pour vous et pour vos élèves ? 2. Avez-­‐vous décidé seul de participer au « Roman des Romands » ou est-­‐ce que vous avez laissé le choix à vos élèves ? 3. Concernant justement cette lourde charge de travail, partagez-­‐vous des cours préparés pour les romans sélectionnés avec d’autres professeurs participant à ce concours ? 19 4. Et vos élèves ? Lisent-­‐ils tous en intégralité les huit romans sélectionnés ou se partagent-­‐ils la tâche ? 5. Huit romans, cela fait beaucoup de lecture. Avez-­‐vous dû renoncer à aborder certains textes normalement prévus dans votre programme annuel ? Est-­‐ce que les autres genres littéraires en pâtissent ? 6. Un roman qui n’est pas apprécié par une majorité des élèves de la classe est-­‐il abandonné ? 7. Comment motivez-­‐vous des jeunes qui, bien souvent n’aiment pas lire, à participer à ce concours ? 8. Est-­‐ce que vous nommez vous-­‐même les délégués de classe ou cela fait-­‐il l’objet d’un vote de classe ? Si c’est vous qui les nommez, sur quels critères le faites-­‐
vous ? 9. Comment votre classe vote pour élire le Roman des Romands ? Avez-­‐vous établi et communiqué des critères de sélection ? Qui décide du/des roman(s) pour le(s)quel(s) votre classe vote ? 10. Le fait de ne pas choisir vous-­‐même les textes que lisent vos élèves vous dérange-­‐
t-­‐il ? 11. Certains des romans en lice paraissent difficiles pour des jeunes lecteurs. Pensez-­‐
vous que les romans sélectionnés sont accessibles à vos élèves ? Quelle démarche leur proposez-­‐vous en abordant un de ces livres ? Les aidez-­‐vous en situant par exemple le contexte historique (Cunéo, Un monde de mots ; Verdan, Le Patient du docteur Hirschfeld) ? 12. Avez-­‐vous présenté les auteurs aux élèves ? Avez-­‐vous sensibilisé ces derniers à l’importance de s’intéresser à la littérature suisse romande, à la place que nous « devons » lui accorder dans nos programmes d’étude ? 13. Vos élèves sont-­‐ils curieux ? Vous demandent-­‐ils de situer les œuvres sélectionnées dans un courant littéraire (critères esthétiques – valeurs véhiculées) ? 14. Evaluez-­‐vous vos élèves sur les romans sélectionnés ? Si oui, de quelle façon ? Questionnaire au comité de lecture 1. Sur quels critères de lecture vous basez-­‐vous pour cette sélection ? Prenez-­‐vous en compte le critère de lisibilité pour les jeunes collégiens ? Mettez-­‐vous la priorité sur le critère de qualité littéraire ? Portez-­‐vous une attention particulière au style d’écriture ou à l’originalité de l’œuvre ? 2. Quels ont été les problèmes rencontrés lors de vos choix ? 3. Parmi toutes les œuvres qui vous sont proposées, comment procédez-­‐vous dans votre choix ? Pourquoi choisir une œuvre plutôt qu’une autre ? 20 4. Choisissez-­‐vous des œuvres, a priori, faciles de compréhension ou visez-­‐vous plutôt l’effort du collégien dans la compréhension ? 5. Y a-­‐t-­‐il des thématiques ou des auteurs que vous excluez systématiquement de la sélection ? 6. Pensez-­‐vous qu’on puisse introduire ces œuvres dans un programme scolaire au secondaire II ? N’y a-­‐t-­‐il pas quelque part une volonté de faire émerger la littérature romande dans les programmes scolaires ? 7. Avez-­‐vous des pistes didactiques prédéfinies au moment où vous lisez ces œuvres ? 8. Pensez-­‐vous que ce genre de projet soit le meilleur moyen de faire découvrir la littérature romande aux collégiens ? 9. Pour quelles raisons pensez-­‐vous que ces œuvres vont susciter de l’intérêt chez les collégiens ? 10. Pourquoi avoir fait une sélection de 8 œuvres précisément ? 11. Pourquoi avoir choisi une œuvre ayant déjà reçu plusieurs prix ? (par exemple celle de Nicolas Verdan, Le patient du docteur Hirschfeld -­‐ Prix public RTS et prix Schiller) 12. Ce projet a-­‐t-­‐il été influencé par les grands prix français ? 13. Pourquoi avoir choisi ce titre évocateur pour le projet « Le roman des Romands » ? 21 22