Quand Metropolis époussette le cinéMa d`art et d`essai

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Quand Metropolis époussette le cinéMa d`art et d`essai
la vie
Quand Metropolis
époussette le cinéma
d’art et d’essai
P a r P h i l i pp i n e d e C l e r m o n t-T o n n e r r e
198
AVRIL 2014
A
Achrafieh, le Metropolis est devenu en quelques
années le temple du cinéma d’art et d’essai à
Beyrouth. Cet endroit, où on laisse le temps au
spectateur de contempler le générique du film
jusqu’à la fin sans que la lumière s’allume instantanément,
est un lieu chéri par tous les cinéphiles du pays. « Ce
cinéma est né d’une volonté de créer un lieu qui fédère les
nombreux festivals et évènements cinématographiques du
pays qui n’avaient pas leur place dans les salles commerciales », affirme Hania Mroué, directrice de l’Association
Metropolis qui programme depuis 2009 les deux salles
obscures du centre Sofil, lequel a vu défiler en 2013
pas moins de 70 000 spectateurs. Selon la directrice,
les spectateurs associent désormais Metropolis à « un
certain genre de films ». En 2011, les programmateurs
choisissent de projeter « The Artist », avant même qu’il
ne soit couvert d’Oscars. «Le film de Michel Hazanavicius
a recueilli 10 000 entrées dans le pays, dont 8 000 à Sofil
», assure-t-elle.
En haut: Entrée
de la salle Sofil.
Page de droite:
Le Festival
du Cinéma
Européen.
PHOTOs tony eleih
Créé en pleine guerre du Liban, le
cinéma du centre Sofil a connu une
période faste avant de subir de plein
fouet la concurrence des salles de
centres commerciaux. En 2009,
l’association Metropolis entreprend de
ressusciter ce lieu emblématique.
Les débuts à Al Madina
A l’été 2006, au lendemain de la Coupe du Monde de football, l’association inaugure le lancement d’un nouveau
cinéma dans la salle du théâtre Al Madina en dévoilant au
public les films de la Semaine de la Critique à Cannes. Cette
sélection, considérée comme la plus pointue du festival
français, devait donner le ton de la future feuille de route
des programmateurs. Un jour plus tard, le 12 juillet, une
guerre totalement inattendue éclate entre le Hezbollah et
l’Etat hébreu. «Il a fallu évacuer vers la Turquie tous les invités venus de France et de Belgique mais aussi les 14 pellicules
qui arrivaient directement de Cannes et que nous nous étions
engagés à renvoyer rapidement en France. Les convives ont
été rapatriés en bus, via la frontière syrienne, tandis que le
renvoi des films a dû attendre la réouverture de l’aéroport
Metropolis ressuscite le centre Sofil
Le Théâtre Al Madina étant devenu trop exigu pour accueillir des spectateurs toujours plus nombreux, le projet déménage en 2009 dans le centre Sofil. Propriété du Circuit
Empire, dont le nom reste associé à l’âge d’or du cinéma
libanais, les deux salles du centre, de 270 places chacune,
faisaient grise mine depuis longtemps.
Ouvert en pleine guerre du Liban, le cinéma Sofil a pourtant connu de belles années, de sa création en 1982 jusqu’à
la fin des années 1990. « Nous avons inauguré les deux salles
avec les films « Les Sous-doués en vacances», de Claude Zidi
et « Coco Chanel » de Georges Kaczender, à une époque où
le film français était beaucoup plus populaire que maintenant », se remémore Mario Haddad, président du Circuit
Jusqu’à l’arrivée de Metropolis. Alain Resnais, Pedro Almodovar, Roberto Fellini ou
encore Claude Chabrol, les rétrospectives organisées par les nouveaux
programmateurs remportent un franc succès.
un mois plus tard », se souvient Hania Mroué. Contre
toute attente, la Semaine de la Critique aura quand même
lieu à Beyrouth et rencontrera un public improbable de
jeunes refugiés du Sud-Liban et de la banlieue sud. «Nous
avons décidé de montrer les films aux enfants qui avaient
trouvé refuge au deuxième sous-sol du cinéma. Alors que
certains n’étaient même pas sous-titrés en arabe, nous avons
été surpris de constater beaucoup d’enthousiasme parmi
l’audience», raconte-t-elle. Cet épisode est venu confirmer
l’intuition des instigateurs de l’association Metropolis,
persuadés que le cinéma d’auteur pouvait parler à tout le
monde, contrairement aux préjugés.
Empire, fondé en 1926. « A la fin de la guerre, la ville s’est
reconstruite petit à petit et de nouvelles salles ont émergé un
peu partout. Le Sofil ne pouvait pas concurrencer les grands
complexes modernes. Avec l’arrivée de l’ABC, il s’est considérablement affaibli », affirme Mario Haddad. Le cinéma va
se chercher pendant un certain temps, en proposant des
alternatives aux multiplex commerciaux, sans grand succès. Jusqu’à l’arrivée de Metropolis. Alain Resnais, Pedro
Almodovar, Roberto Fellini ou encore Claude Chabrol, les
rétrospectives organisées par les nouveaux programmateurs remportent un franc succès. Ces évènements sont à
chaque fois l’occasion de dérouler un peu plus le tapis du
LA VIE
Rapprocher le public du cinéma libanais
La promotion de ce cinéma est justement l’une des raisons d’être de Metropolis qui s’est attelée à rapprocher
les productions régionales de leur public. « Il y a eu un
moment de distance avec le cinéma indépendant libanais
et arabe. La responsabilité en incombe essentiellement aux
exploitants et distributeurs locaux qui diffusent surtout des
200
AVRIL 2014
productions commerciales, qu’elles soient occidentales ou
d’ici », remarque Hania Mroué.
Dans ce contexte de pseudo-acculturation, Metropolis va
oser sortir des sentiers battus et diffuser en 2008 « The One
Man Village », documentaire libanais qui va enregistrer
2.000 entrées. Le succès de ce long-métrage, réalisé par
Simon el Habre, encourage les programmateurs à continuer
de prendre des risques. Cette percée du cinéma d’auteur
libanais va progressivement gagner les autres salles du
pays. « Sleepless Night, le documentaire d’Eliane Raheb
est sorti dans plusieurs cinémas au Liban, dont Vox et Bliss.
Cela signifie qu’il existe une réelle curiosité du public pour
les films indépendants», note Hania Mroué.
Vers une cinémathèque ?
Avec la cinémathèque de Tanger, Al-Kasaba à Ramallah
et le Cinéma d’Art de Tunis, le Metropolis fait partie des
salles d’Art et d’Essai les plus épanouies de la région. Les
programmateurs entendent également jouer un rôle de
conservation du patrimoine cinématographique national.
Quelques traces du siècle dernier sont déjà exposées à
l’entrée du cinéma. «Nous avons des vieux projecteurs, des
amplis et plusieurs machines dont une servait à transférer
les films du format 16 mm ou format 35mm. Tout ce matériel a pu être récupéré in extremis au moment de la vente
du bâtiment du studio Baalbeck, qui était la plus grande
plateforme de post production de la région », indique Tania
Mroué. Qu’il s’agisse des archives du Studio Baalbeck ou
des souvenirs de la mythique Salle Empire 1 de la place
des Canons, la guerre a emporté une grande partie de la
mémoire du Septième Art au Liban. Rassembler ce qui
reste pourrait être la mission de Metropolis dans les dix
ans à venir.
En haut:
Projection en
plein air de
Easy rider à The
Garten (Biel).
PHOTOs © Überhaus
patrimoine cinématographique mondial face à un public
averti qui en demande. Qu’il s’agisse du festival du film
européen, de « Ayam Beirut Al Cinema’iya », des « Ecrans
du réel » ou de la semaine Arte, Sofil est devenu, en l’espace
de quelques années, le repère incontournable du cinéma
alternatif. Non sans un soin particulier accordé à la forme,
qui contraste avec l’image «poussiéreuse » qu’on attribue
souvent aux salles d’art et d’essai en Europe.
Symboles d’une politique de promotion et de communication « clean » : ces fameux petits fascicules pédagogiques et
attrayants disposés sur les tables basses vintage à l’entrée
du cinéma, qui ont vocation à guider le spectateur dans le
choix des films. «Les Libanais aiment que les salles soient
propres, que ce soit un peu prestigieux. Il faut présenter les
films comme si c’était un évènement à ne pas rater », explique
Hania Mroué.
Le succès de la formule Metropolis réside donc dans ce
savant équilibre entre prestige et accessibilité. « Nous
voulions que cette salle soit accessible à tout le monde, en
particulier aux jeunes qui représentent le public de demain.
On organise beaucoup de projections gratuites, comme la
semaine AFAC. On a également créé le « festival pass » qui
donne accès à des séances à 3000 livres », poursuit l’ancienne
directrice de Beirut DC, une ONG qui œuvre pour la promotion du cinéma libanais et arabe.

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