Réformes de Schröder : l`analyse de Pierre Bocev

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Réformes de Schröder : l`analyse de Pierre Bocev
LeFigaro.fr
Réformes de Schröder :
l'analyse de Pierre Bocev
14/03/2008 | Mise à jour : 19:50 |
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Pour le correspondant du Figaro en Allemagne, «les réformes de
Schröder sont un succès économique pour l'Allemagne mais
entraînent du désarroi dans son camp.
Le renouveau de l'Allemagne a été entamé il y a juste cinq ans. Le vendredi
14 mars 2003, Gerhard Schröder met son pays sur la voie de réformes
douloureuses, mais nécessaires. L'«Agenda-2010» qu'il annonce aux
députés du Bundestag, tous pris de court, se solde aujourd'hui par un
succès économique incontesté, mais un désastre politique pour le SPD. Le
parti social-démocrate de l'ex-chancelier est à la traîne dans tous les
sondages, désorienté et divisé.
Schröder, à l'époque, était le dos au mur. Un premier essai d'amener son
parti vers un centrisme économique prudemment libéral avait fait long feu.
Le SPD ne voulait pas de cette «troisième voie» préconisée en 1999 par
Tony Blair. Pas plus du reste que le PS de Lionel Jospin. Dans le même
temps, en 2003, l'économie allemande était au plus bas et avait fait de la
traditionnelle
locomotive
de
l'Europe
la
lanterne
rouge
d'Euroland.
Croissance anémique, hausse du chômage, déficits publics excessifs,
morosité, tout se conjuguait au moment où la coalition «rouge-verte» du
SPD et des Verts venait d'être réélue, six mois plus tôt, à sa propre
surprise.
Aujourd'hui, il y a un million de chômeurs en moins, la croissance demeure
solide, le budget respecte à nouveau le Pacte de stabilité européen, des
réformes sont lancées. Même si la «grande coalition» d'Angela Merkel
arrivée en 2005 est loin de répondre à toutes les attentes. Peu ou prou,
l'Allemagne est à nouveau dans son rôle de moteur économique et
d'exemple pour certains de ses voisins.
Mais Gerhard Schröder, après avoir perdu de peu les élections législatives
de 2005, a quitté la scène politique pour faire du lobbying au nom de
Gazprom. Et son parti est au plus bas. Déboussolé. Écartelé entre une aile
droite toujours convaincue du bien-fondé des réformes pour ordonnancer la
mondialisation, et une aile gauche qui rêve du bon vieux temps, du
socialisme de papa et de l'État bouclier contre toutes les vicissitudes.
Coincé entre les conservateurs de la CDU/CSU qui occupent le centre de
l'échiquier politique et Die Linke, un nouveau parti à gauche de la gauche
qui rogne sur l'électorat socialiste traditionnel.
Il est vrai que l'annonce de l'«Agenda-2010» n'avait pas du tout été
préparée par des efforts d'explication. C'était à prendre ou à laisser. Un
programme qui annonçait «la réduction des prestations de l'État», la
volonté d'«encourager l'auto-responsabilité» et le besoin de «réclamer
davantage à tout un chacun». Des tabous en série à voler en éclats.
Sous les applaudissements encore passablement dubitatifs du patronat et
accompagné des cris d'orfraie des syndicats, le paquet complexe de
réformes s'est vite réduit, dans la perception de l'opinion, aux seules
mesures restrictives. Et surtout à un symbole, la loi «Hartz-IV», du nom de
Peter Hartz, le responsable du personnel de Volkswagen qui a depuis
sombré dans un scandale au sein de l'entreprise. Du fait de ce texte, les
indemnisations
traditionnellement
généreuses
des
chômeurs
étaient
ramenées à un an, à la suite de quoi seul restait un forfait mensuel de 345
euros rapidement devenu l'incarnation de la misère imposée par le pouvoir
politique.
Le SPD se rebiffe. Son aile gauche consulte la base du parti, demande des
aménagements. Schröder lui impose sa volonté en menaçant plusieurs fois
de démissionner. Mais l'effritement des rangs sociaux-démocrates ne tarde
pas. Dès l'été 2004, ce sont un peu partout les «manifs du lundi», reprise
lointaine des mouvements de 1989 qui avaient précédé la fin de la RDA.
Parfois des milliers de personnes dans les rues.
Une
tendance
(«Wahlalternative
scissionniste
Arbeit
und
fait
soziale
son
apparition.
Gerechtigkeit»
Cette
ou
WASG
«alternative
électorale travail et justice sociale» recrute parmi les syndicalistes, les
déçus, les frustrés, les victimes de «Hartz-IV», les altermondialistes. Oskar
Lafontaine, ancien président du SPD démissionnaire dès 1999 saisit sa
chance de prendre sa revanche sur ses anciens camarades. Il opère la
jonction de la WASG avec le PDS, le parti issu de la mue des anciens
communistes de RDA. Voici Die Linke qui obtient dorénavant 14 % dans les
sondages alors que le SPD plafonne à 23 ou 24 %.
Kurt Beck, président du SPD depuis moins de deux ans, avait cru pouvoir
empêcher la montée de Die Linke. En l'ignorant et, surtout, en amorçant un
virage vers la gauche de son propre parti dans l'espoir de regagner le
terrain perdu. Plusieurs aspects des réformes de Schröder ont ainsi été
assouplis, un projet-phare comme la privatisation des chemins de fer remis
en cause. Rien n'y a fait. Die Linke entre dans les assemblées des Länder
de l'Ouest. Brême, puis la Hesse et la Basse-Saxe, Hambourg enfin. Une
coopération ponctuelle avec l'ennemi, pourtant exclue à cor et à cri, devient
du coup envisageable.
Le zigzag de Beck plonge le parti dans une nouvelle crise aiguë. Pour les
cinq ans de l'«Agenda-2010», Gerhard Schröder est sorti de son mutisme
pour asséner à son successeur que le SPD n'était «capable d'être
majoritaire que s'il est ancré au centre de la société». L'avenir montrera s'il
a été entendu.