Aix en Provence Cloître Saint Sauveur - Cathédrale Aix-en
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Aix en Provence Cloître Saint Sauveur - Cathédrale Aix-en
Un Tétramorphe bien caché dans le Cloître Saint Sauveur d’Aix en Provence Les symboles des quatre Evangélistes sont un des thèmes majeurs de l’iconographie romane. Ces quatre symboles sont : L’Homme ailé représentant St Matthieu, le Lion ailé St Marc, le Taureau ailé St Luc et l’Aigle St Jean. St Irénée au 2ième siècle leur a donné le nom grec de Tétramorphe. En actualisant leur symbolisme pour lutter contre les hérésies de son temps, il a attribué aux Evangélistes ces figures des chérubins déjà présents dans la Genèse et gardiens de l’Arche d’Alliance au temps de Moïse, mais qui dans la vision du char de la gloire de Dieu d’Ezéchiel, ~560 avt JC, et celle du trône de l’agneau dans l’Apocalypse de St Jean, au 1er siècle, prennent la figure d’un homme, d’un lion, d’un jeune taureau et d’un aigle. L’art roman, pour respecter la puissante signification cosmique de ces figures ailées les a placées de manière préférentielle entourant le Christ en gloire au tympan des grandes cathédrales. En Provence, elles décorent les trompes des coupoles des nefs romanes de la plupart des cathédrales. Elles sont présentes dans tous les cloîtres romans, en général à leurs 4 coins, comme dans celui d’Aix. Cependant, l’art roman est aussi un art populaire et les maîtres d’œuvre des édifices romans n’ont pas refusé, dans des zones moins en vue que celles que nous venons d’évoquer et décorées par des maîtres, à de plus modestes compagnons de transposer ces grandes compositions à leur manière plus naïve et plus populaire. Les sculptures du cloître étaient réalisées par une équipe constituée d’un maître et d’un ornemaniste qui complétait le travail du maître en exécutant en particulier des têtes d’hommes et d’animaux, des fleurs, des bordures de vêtement. (ref 1) Le Chapiteau extérieur de l’aile ouest, voisin du pilier sud-ouest (Position 121) On peut penser que c’est un tel compagnon qui a réalisé les quatre têtes de ce chapiteau. Elles prennent la place des rosettes placées sur les astragales des chapiteaux corinthiens classiques, chapiteaux qui servent de modèles à la plupart des chapiteaux archaïsants du cloître. Un aigle au dé Est (fig3) est bien caché, coincé entre les volutes des deux chapiteaux intérieur et extérieur. Il est de la même facture que l’aigle de dimension plus importante qui décore le chapiteau voisin du pilier Nord Ouest comme le montrent sa morphologie, les plumes de sa poitrine et sa manière de faire saillie sur le dé. Par contre la position du corps par rapport à la tête n’est pas la même. Ici l’aigle regarde vers le haut et sa tête dans le prolongement du corps lui donne une posture noble tandis que là la tête moins relevée donne à l’oiseau une posture qui ne convient pas à un aigle de Tétramorphe et lui donne plus l’air d’un oiseau de nuit que d’un oiseau royal qui regarde le soleil en face. Les figures des dés Sud, Ouest et Nord sont traitées de manière plus sommaire et à une échelle plus petite. Toutes trois ont des dimensions similaires, un diamètre de tête d’environ 6 cm surmontant une ébauche de corps ou de poitrail qui remplit le triangle isoscèle de base horizontale dont les côtés, orientés vers le bas, sont constitués par le rebord supérieur des volutes. La tête d’homme qui décore le dé Ouest (fig1) semble inspirée par celle plus volumineuse du chapiteau réutilisé comme base d’un pilier voisin mais d’un modelé moins vigoureux. Elle est usée par le temps et le nez et la partie droite du visage sont détériorés. L’œil gauche est surdimensionné. La tête est couverte d’un bonnet plat ou d’une couronne cerclée qui comportent un reste d’ornementation. Le cou dégagé surmonte un plastron semblable à celui de la grande statue-colonne de l’aile Est du cloître. Les deux têtes aux dés Nord (fig2) et Sud (fig3) semblent au premier abord être celles d’animaux identiques d’autant plus qu’elles sont très abîmées. Une observation plus précise permet de les distinguer par la décoration stylisée de leur poitrail. Dans la coupole de la nef romane, le lion et le taureau ont un poitrail différent : le lion a une crinière qui tombe de son encolure en quelques grosses touffes de poils tandis que le taureau a un fanon, une lame de peau qui comporte de nombreux plis, qui sont stylisées en nombreuses petites rayures divergentes. Ici, le poitrail a 4 plis saillants quasi verticaux pour l’animal du dé Nord et 11 petits plis divergents pour celui du dé Sud. La tête du dé Nord, plus ronde est surmontée de 2 oreilles qui font penser à un félin. Celle du dé Sud, usée par le temps, plus fuyante s’élargit vers un haut comme pour un animal qui porte des cornes. Ces quatre figures constituent bien un Tétramorphe. Aix en Provence Cloître Saint Sauveur Chapiteau extérieur voisin du pilier sud-ouest L’homme fig.1 dé Ouest Ph. Vincent Baudoin déc.2005 Le lion fig. 2 dé Nord Ph. Vincent Baudoin déc.2005 L’aigle dé Est Le taureau Fig.3 Ph. Vincent Baudoin déc. 2005 Fig.4 Ph. Vincent Baudoin déc. 2005 dé Sud C’est une œuvre mineure certes mais tous les chapiteaux archaïsants du cloître le sont aussi individuellement et c’est leur ensemble qui constitue un chef d’œuvre. D’autres figures d’animaux ou d’hommes décorent les chapiteaux de l’aile Ouest, placées sur l’astragale ou cachées entre deux feuilles d’acanthe ; ce sont des décorations de circonstance. Certaines sont vraisemblablement l’œuvre du même artiste. Son désir de faire ici une œuvre d’inspiration religieuse, copie naïve d’œuvres plus travaillées, donne une cohérence plus grande et une beauté supplémentaire à ce chapiteau. L’artiste semble avoir eu une haute idée du sens religieux de son travail puisque la figure la plus travaillée, celle de l’aigle, ne peut être vue que très partiellement et qu’en la réalisant, le chapiteau placé sur son établi ou son tour, il savait qu’il travaillait plus pour Dieu que pour les hommes. (1) Jacques Thirion Le Cloître de la cathédrale d’Aix, Congrès archéologique de France, Le Pays d’Aix, 1985, Paris 1988 Jean Paul Roullier 25 janvier 2006