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Terrains éducatifs
Enseignement de l’histoire
et accessibilité
Catherine Bourgoin1
S
’appuyant sur une expérience professionnelle acquise en tant
que professeur de collège-lycée et formatrice au sein de l’Institut Supérieur de Formation de l’Enseignement Catholique
de Bourgogne-Franche-Comté, cet article se propose d’aborder la
question de l’enseignement de l’histoire sous l’angle de l’accessibilité.
Ne seront pas exposés ici les résultats d’une recherche scientifique
mais la description d’un cheminement intellectuel ancré dans la
pratique professionnelle, cheminement qui interroge en fait le modèle didactique à privilégier pour permettre l’apprentissage de tous.
La notion d’accessibilité découle de la nouvelle définition du handicap présente dans la loi du 11 février 20052. Dans l’enseignement,
cette notion sous-entend que ce n’est plus à l’élève de s’adapter à
l’école mais bien à l’école de s’adapter à lui. Autrement dit, la mission de l’enseignant est de construire les situations d’enseignementapprentissage de telle façon qu’elles soient accessibles à l’élève. Ce
ne devrait pas être une révolution dans la mesure où la pédagogie
différenciée est prônée depuis les années 1970 avec la création du
collège unique. Pourtant, si on prend l’exemple de l’enseignement
de l’histoire, force est de constater que les pratiques différenciées
sont rares3 et lorsqu’elles existent, il s’agit, la plupart du temps,
d’une variation dans les supports proposés (texte, document iconographique…) et/ou d’une différenciation a posteriori qui prend la
forme d’une remédiation. Comment expliquer ce paradoxe ? Une
hypothèse pourrait être qu’au cœur de cette question se trouve la
façon d’enseigner elle-même. L’enseignement de l’histoire oscille
1
Professeur d’histoire-géographie en collège. Formatrice à l’ISFEC Bourgogne-FrancheComté. Courriel : [email protected]
2
Loi n°2005-102 du 11 février 2005. Loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et citoyenneté des personnes handicapées.
3
On pourrait le constater au travers des séquences d’apprentissage proposées en ligne.
103
Éduquer|Former, n° 44, 2012|2
entre trois modèles (Bouhon, Dambroise, 2002). Le premier celui
de l’empreinte où le maître transmet le savoir à l’élève de façon
frontale ; la forme la plus répandue aujourd’hui en est le cours
dialogué qui, sous ses apparences participatives, se réduit souvent
à une sorte de texte oral à trous conçu par l’enseignant et que les
élèves doivent compléter. Le second est le modèle du discours-découverte où les élèves découvrent progressivement le savoir en répondant à une série de questions à partir de différents documents,
et le dernier modèle en date est l’approche par compétences qui
mobilise la démarche de résolution de problèmes en confrontant
les élèves à des tâches complexes. Bien que datés historiquement,
ces trois modèles coexistent dans les classes actuelles. Pourtant, me
semble-t-il, ces modèles ont une efficacité inégale dans la mise en
œuvre de l’accessibilité.
Les places respectives de l’élève, de l’enseignant,
du savoir dans la classe
Réfléchir à l’accessibilité en histoire, c’est d’abord questionner les
places respectives de l’élève, de l’enseignant, du savoir dans la classe.
A mon sens, plutôt que vouloir mettre l’élève au centre, il s’agit
de privilégier l’axe élève-savoir du fameux triangle pédagogique
(Houssaye, 1993). En effet, l’enjeu est de rendre accessible une situation d’apprentissage à un élève en particulier voire à un groupe
d’élèves. Mais nous parlons ici d’élèves réels, comme A. dont le portrait sera dressé plus loin, et non de cet élève rêvé ou encore de ce
sujet épistémologique auquel s’adresse l’enseignant lorsqu’il s’inscrit
dans le modèle de l’empreinte, celui qui a le niveau de la classe dans
laquelle il est inscrit, celui qui a un comportement conforme à celui
attendu. Ce modèle, bien qu’ayant d’autres atouts, me semble peu
adapté à cet enjeu dans la mesure où il fonctionne d’abord sur l’axe
enseignant-savoir, l’élève ayant « la place du mort » pour reprendre
l’expression de Houssaye (1993). Or c’est justement pour l’élève
que l’accessibilité doit être pensée. Concrètement, privilégier l’axe
élève-savoir, cela veut dire qu’aussi souvent que possible l’élève doit
être confronté à des tâches qui vont lui permettre soit de construire
des connaissances, des capacités nouvelles soit de mobiliser celles
qu’il a déjà acquises. La question qui se pose maintenant est celle de
la nature de ces tâches.
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Catherine Bourgoin
Les tâches confiées aux élèves Réfléchir à l’accessibilité en histoire, c’est en effet répondre à la
question suivante : rendre l’apprentissage accessible signifie-t-il
proposer à l’élève qui éprouve des difficultés, des tâches simples,
répétitives, lui demander uniquement de restituer un savoir ou
peut-on le confronter à la complexité, à la nouveauté, l’inciter à la
réflexion ? A la suite de Vygotsky (Barisnikov et Petitpierre,1994)
qui affirmait déjà dans les années 30 qu’il y avait danger à ne pas
initier l’enfant en situation de handicap à une réflexion abstraite
parce que ce serait justement lui refuser tout accès à cette forme de
pensée qu’il ne peut acquérir seul, j’ai fait le choix de la complexité
dans le cadre d’un enseignement par compétences. Dans chaque séquence d’apprentissage les élèves ont à effectuer au moins une tâche
complexe conçue pour mettre en œuvre une des trois compétences
que j’ai définies à partir des finalités de l’enseignement de l’histoire.
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Les finalités de
l’enseignement
de l’histoire
(DESCO,
2002)
Les compétences
correspondantes
Le fait,
l’événement
historique doit
être établi ;
il s’agit de
rechercher la
vérité, la preuve
Je sais établir les
faits historiques.
Pour cela, j’analyse
plusieurs documents
de nature différente
puis je communique
mes résultats en
rédigeant un récit
où je justifie mes
affirmations.
Le fait doit être
présenté dans
sa temporalité
– en utilisant
les concepts des
historiens
Je sais présenter
un fait passé en
le situant dans
le temps. Pour
cela je réalise une
chronologie assortie
d’une légende.
et expliqué
– c’est la
recherche de la
causalité.
Je sais expliquer
un fait présent
ou passé. Pour
cela je relève des
données historiques
dans un ensemble
documentaire puis
je présente mon
explication en
écrivant un récit
où j’explique les
événements ou en
réalisant un schéma.
Exemples de tâches complexes
Pour chacune de ces tâches complexes, un
dossier documentaire est donné aux élèves.
Chacune de ces tâches donnera lieu à un
article mis sur le site www .grainedhistorien.fr
Qui est en fait Gilgamesh ? Est-ce le héros d’une
épopée ou un des rois de la cité-Etat d’Uruk ?
La ville de Troie décrite par Homère dans l’Iliade
a-t-elle existé ? La guerre qu’il raconte a-t-elle eu
lieu ?
A Alésia, que s’est-il passé au juste ? Peut-on faire
confiance au tableau peint par Royer pour décrire
la reddition de Vercingétorix ? Les versions de
César et de Plutarque sont-elles plus fiables ?
Au temps de l’empereur Auguste, les riches
romaines s’habillaient de vêtements de soie.
Pourtant on ne fabriquait pas de soie dans
l’empire romain. Où se la procuraient-elles ? A
toi de résoudre cette énigme.
Au 9e siècle av. J.-C., les Hébreux sont installés
au bord de la mer Méditerranée, dans les
royaumes d’Israël et de Juda. Au 1er siècle après
J.C., les Hébreux sont dispersés sur tout le
pourtour de la Méditerranée. Que s’est-il passé ?
L’écriture est née en Mésopotamie. Pourquoi là et
pas ailleurs ?
Cet été, un de tes amis t’envoie une carte postale
de Phocée, ville située au bord de la mer Egée. Il
y a quelques jours, tu lis sur internet que Cissé
vient d’être élu « Phocéen du match ». Pourquoi
l’appeler « phocéen » alors qu’il joue à Marseille ?
A toi de résoudre cette énigme
Tableau : Des finalités de l’enseignement de l’histoire aux tâches confiées à l’élève
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Catherine Bourgoin
Quelles sont les caractéristiques de ces tâches ? Pour les décrire, on
peut reprendre la classification proposée par Vial (1996).
Des tâches complexes
Il distingue tâche simple et tâche complexe. Les tâches que je propose aux élèves sont complexes dans la mesure où elles nécessitent
de leur part la mise en œuvre de plusieurs procédures. Si l’on prend
l’exemple de la reddition de Vercingétorix à Alésia, l’élève va devoir
1. Recueillir des informations - Lire les textes de César et de Plutarque
- Observer le tableau de Lionel Royer
- Regarder les extraits sélectionnés d’un documentaire vidéo où
des historiens et des archéologues apportent un point de vue
argumenté sur la reddition
2. Mesurer la fiabilité de chacune de ces sources en se documentant sur César, sur Plutarque et sur Royer (un texte de quelques
lignes est mis à disposition pour chacun de ces personnages)
3. Confronter ces différents documents entre eux et avec les extraits du documentaire
4. Présenter ses conclusions dans un texte où il devra
- Rendre compte des trois versions, c’est-à-dire raconter avec ses
propres mots les deux versions écrites et décrire le tableau
- Pour chacune des versions, expliquer en quoi on peut douter
ou non de leur fiabilité
- la lumière des sources archéologiques et des apports historiques
sur les pratiques guerrières, préciser ce qui dans chacune des
versions est vraisemblable ou au contraire invraisemblable
- Raconter une version plausible de la reddition de Vercingétorix
On voit bien ici que l’élève doit mettre en œuvre un grand nombre
de procédures qui mobilisent des opérations intellectuelles multiples. On peut citer notamment l’analyse, l’observation, la comparaison, le jugement, la justification, la recherche, la synthèse.
Différents types de tâches : tâches notionnelles et situations-problèmes
Vial (1996) classe ensuite les tâches suivant leur type, distinguant les tâches notionnelles, les classes de problèmes et les
situations-problèmes.
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Les tâches notionnelles ont pour objectif de définir, comme leur
nom l’indique, des notions spécifiques à la discipline. Dans le tableau ci-dessus, un des exemples donnés pourrait être classé dans
cette catégorie. Il s’agit de la tâche portant sur Phocée et Marseille.
Elle doit en effet permettre aux élèves de construire les notions de
colonie et de cité-mère ou métropole. En revanche, les autres tâches
sont d’un type différent.
Si l’on reprend la définition de Vial, ce sont des situations-problèmes dans la mesure où l’élève devra, avant de se lancer dans la
réalisation, décrypter l’énoncé et tout d’abord identifier à quelle
classe de problème (Vial, 1996) ou à quelle famille de situations
(Roegiers, 2003) la tâche appartient. Autrement dit, à quelle compétence correspond-elle ? S’il s’agit de la première compétence, il
devra raconter ce qui s’est passé ; s’il s’agit de la troisième, il devra
expliquer pourquoi cela s’est passé ainsi.
Si l’on prend maintenant la définition de Meirieu (2004), ces tâches
sont des situations-problèmes dans la mesure où elles contiennent
un problème qui « invite l’élève à chercher à comprendre et à acquérir
les savoirs qui lui permettront de le résoudre » (Meirieu, 2004, pp.8586). Un certain nombre de ces savoirs sont listés dans l’analyse de
la situation portant sur Vercingétorix. A cette liste qui regroupe des
capacités, s’ajoutent des connaissances sur l’antiquité gallo-romaine
que l’élève découvrira lors du travail sur le documentaire et devra
ensuite mobiliser pour rédiger ses conclusions.
Si, maintenant, nous nous appuyons sur les travaux d’Astolfi
(1993), la situation-problème doit être organisée autour du franchissement d’un obstacle. Si nous reprenons les trois situations
correspondant à la première compétence, elles sont effectivement
construites sur un obstacle. Il s’agit d’un obstacle épistémologique,
en l’occurrence les représentations des élèves à propos de l’Histoire.
Pour la majorité de mes élèves, l’Histoire est écrite dans les livres,
elle serait une suite de faits réels, de dates qu’il faudrait mémoriser.
Jamais ils ne la pensent comme une science humaine construite
par des historiens qui émettent des vérités plausibles en l’état des
sources disponibles, des vérités donc provisoires. Or leurs représentations constituent un obstacle à un véritable travail sur le document. En effet, à quoi cela peut-il bien servir de chercher qui a
écrit ce texte, dans quel contexte, dans quel objectif… s’il suffit de
savoir que Vercingétorix a perdu la bataille d’Alésia en 52 av. J.-C. ?
Et ce travail sur document est pourtant essentiel, notamment parce
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Catherine Bourgoin
qu’il favorise le développement de l’esprit critique. Donc, ces situations-problèmes sont conçues non seulement pour que les élèves
construisent des connaissances mais aussi pour que la résolution
de l’énigme les conduise dans le même mouvement, à travailler sur
les documents et à transformer leurs représentations de l’Histoire.
L’enjeu est qu’ils prennent conscience progressivement que, pour
écrire l’Histoire, l’historien se pose des questions sur les documents
dont il dispose, les confronte entre eux, justifie toujours ses affirmations mais accepte aussi, dans certains cas, de ne proposer que des
hypothèses. Si l’on s’attarde maintenant sur la situation-problème
portant sur les riches Romaines au temps d’Auguste, l’obstacle est
différent. Comme les séquences d’histoire se succèdent au cours de
l’année scolaire, les élèves ont tendance à penser que les civilisations
abordées au cours de ces séquences se succèdent, elles aussi, dans
le temps, or ce n’est pas toujours le cas. Nous sommes là plutôt
dans un obstacle de type didactique si l’on reprend la typologie de
Brousseau. Cette situation-problème vise donc à leur faire prendre
conscience que les civilisations romaine et chinoise ont coexisté à
un moment donné de leur histoire et qu’elles ont eu des contacts
entre elles. Il s’agit donc de travailler avec les élèves sur la simultanéité, un des concepts que l’historien mobilise régulièrement.
Le rôle des tâches : tâches d’apprentissage, de contrôle
Pour Vial (1996), après avoir déterminé de quel type de tâche il
s’agissait, il faut ensuite s’interroger sur le rôle de cette tâche. Ce
rôle dépendra du moment de l’année. Si l’on se place dans le cadre
d’une même compétence, les premières situations-problèmes sont
des tâches d’apprentissage, puis, progressivement, le réinvestissement prend le pas sur l’apprentissage pur puisque les élèves rencontrent les mêmes obstacles, doivent faire les mêmes opérations
intellectuelles, mobiliser les mêmes capacités. Quant aux dernières
situations de l’année, elles s’apparentent à des tâches de contrôle
dans le sens où elles me permettent de vérifier le niveau de maîtrise
de la compétence mobilisée. La nature des tâches : analyse, synthèse, évaluation-contrôle
On peut enfin se poser la question de la nature de la tâche. Vial
(1996) distingue trois natures : l’analyse, la synthèse et l’évaluation-contrôle. Comme l’analyse de la situation-problème portant
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Éduquer|Former, n° 44, 2012|2
sur la reddition de Vercingétorix le montre, les tâches proposées aux
élèves sont à la fois des tâches d’analyse et de synthèse. Et comme
nous le verrons un peu plus loin dans l’article, il s’agit également
de tâches d’évaluation-contrôle dans la mesure où l’élève, après une
première correction de ma part, doit améliorer sa production en tenant compte de mes annotations et des critères mis à sa disposition.
Des tâches pour dépasser le niveau de l’ « opération »
Ces tâches peuvent certes paraître très complexes. Néanmoins, ce
choix résulte d’une analyse de ma pratique professionnelle au regard
des travaux de l’équipe ESCOL et en particulier de l’ouvrage de
Bonnery (2007) sur l’échec scolaire. Il y critique très sévèrement la
démarche inductive largement mobilisée dans le modèle du discoursdécouverte, ce modèle que j’appliquais depuis mon entrée dans le
métier. Bonnery montre que la succession de questions simples visant
à construire progressivement un concept ne garantit aucunement
l’acquisition de ce concept et ce, même si les élèves ont réussi à répondre à ces questions. Or c’est sur cette démarche que repose le modèle du discours-découverte. Le problème résiderait dans le caractère
implicite du cheminement intellectuel nécessaire à la construction du
concept. Effectivement, les élèves avancent à l’aveuglette ne sachant
pas où l’enseignant souhaite les conduire. Ils ne connaissent pas la
question à laquelle ils devront répondre au terme de leur travail. Et
lorsqu’enfin ils la découvrent, nombreux sont ceux à éprouver des
difficultés pour y répondre parce qu’ils ne font pas le lien entre cette
question et celles qui précèdent. Si l’on s’appuie sur la théorie de
l’activité (Leontiev, 1975), on pourrait émettre l’hypothèse que ce
modèle pose problème parce qu’il induit chez l’élève une activité
qui se cantonnerait à sa dimension matérielle. En effet, la tâche telle
qu’elle est présentée aux élèves, liste les différentes opérations à effectuer mais elle ne dit rien du but visé. Les élèves ne peuvent donc pas
se faire une représentation du résultat attendu.
Dans la situation-problème, la question au lieu d’être finale est première et le but est précisé : « La ville de Troie décrite par Homère dans
l’Iliade a-t-elle existé ? La guerre qu’il raconte a-t-elle eu lieu ? Pour le
site « grainedhistorien », tu enquêtes, puis tu rédiges un article ». L’élève
peut à partir de ces éléments, se construire une représentation du
résultat, se situer donc au niveau de l’action et non plus seulement
de l’opération. Et à partir de cette représentation, il peut imaginer
les différentes procédures qu’il aura à mettre en œuvre. L’activité de
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Catherine Bourgoin
l’élève n’est donc plus limitée à sa dimension matérielle, elle prend
une dimension cognitive. Mais il est accompagné tout au long de
ce travail de réflexion.
Dans la plupart des situations d’apprentissage, je fais en sorte que la
question émerge du groupe classe. Par exemple, dans la séquence sur
l’orient ancien, à partir de la projection d’un docu-fiction sur L’épopée
de Gilgamesh complétée par la lecture d’extraits du texte, les élèves se
posent spontanément la question : Gilgamesh a-t-il existé ? Cette histoire est-elle vraie ? Nous retravaillons ce questionnement ensemble
pour arriver à cette formulation : Gilgamesh a-t-il été roi d’Uruk ou
est-il simplement le héros d’un récit de fiction ? Pourtant, même
lorsque cette étape a eu lieu, je prends le temps de la reformulation
individuelle de telle façon que chacun s’approprie bien le questionnement. Puis les élèves sont interrogés sur ce qu’ils vont faire ensuite.
Au début de l’année, les réponses les plus répandues sont « je vais
chercher », « je vais lire les documents », mais lorsqu’on leur demande
ce qu’ils vont chercher dans les documents, nombreux sont ceux à
ne pas savoir quoi répondre. L’enjeu est donc que les élèves fassent
explicitement le lien entre les documents et la question, l’énigme à
résoudre. Cela passe par une verbalisation précise des actions qu’ils
vont entreprendre. Nous sommes là au niveau des procédures. Cette
réflexion métacognitive sur la tâche elle-même est le premier moment où je travaille l’accessibilité puisque mes questions vont d’abord
s’adresser aux élèves que j’ai repérés comme ne faisant pas le lien entre
les différentes étapes d’une activité d’apprentissage, habitués qu’ils
sont à appliquer les consignes les unes après les autres ou à répondre
aux questions dans l’ordre donné sans entrer véritablement dans une
démarche de construction des savoirs. A l’issue de ce temps collectif,
chaque élève doit pouvoir s’engager dans la tâche. Mais si ce premier
temps est indispensable il n’est en aucun cas suffisant pour que les
élèves réussissent tous à résoudre l’énigme. La question qui se pose
alors est comment donner à l’élève accès aux savoirs qui lui sont nécessaires dans la poursuite de la tâche.
Une différenciation a priori
Aides « à la carte » et zone proximale de développement
Réfléchir à l’accessibilité c’est en effet travailler sur les deux pôles
de l’axe élève-savoir. Il s’agit alors de répondre à la question sui111
Éduquer|Former, n° 44, 2012|2
vante : pour chaque élève de la classe, parmi les connaissances,
capacités qu’il devra mobiliser pour réaliser cette tâche complexe, quelles sont celles qu’il maîtrise déjà, quelles sont celles
qu’il peut acquérir avec de l’aide, quelles sont celles qui sont hors
de sa portée ? Autrement dit, quelle est sa zone proximale de
développement,(Vygotsky,1985) par rapport à la compétence travaillée dans le cadre de cette tâche complexe ? Parce que je fais le
pari de l’éducabilité, je refuse de réaliser un diagnostic a priori qui
différencierait les élèves au risque de les étiqueter. Je leur propose
donc, à tous, la même tâche dans toute sa complexité. Mais pour
que chacun puisse la réaliser, en travaillant dans sa zone proximale de développement, j’ai, au préalable, décortiqué cette tâche,
non seulement en termes de connaissances et capacités à mobiliser mais aussi en termes de difficultés que l’élève est susceptible
de rencontrer au fur et à mesure de sa réalisation. (Voir encadré
ci-dessous). Ce travail concerne à la fois ce qui est spécifique à
l’histoire mais aussi ce qui est transversal et en particulier tout ce
qui relève de la maîtrise de la langue. Nous savons en effet qu’une
maîtrise imparfaite de la langue, quelle qu’en soit l’origine, limite
l’acquisition de connaissances et de capacités dans le domaine
historique.
112
Catherine Bourgoin
Un exemple à propos de la situation d’apprentissage portant
sur Phocée et Marseille.
Il s’agit de la séance n°2. Les élèves doivent rédiger l’article à partir des informations recueillies dans la séance précédente.
Connaissances mobilisées : cité-mère / colonie / Phocée en Grèce / Massalia
en Gaule
Capacités mobilisées :
– Mettre en relation différents documents pour expliquer les faits
– Rédiger un récit explicatif, c’est-à-dire :
t&DSJSFEFTQISBTFTRVJPOUEVTFOTFUPáMPOTBJUUPVKPVSTEFRVJ
de quoi on parle
t$IPJTJSMFTDPOOFDUFVSTMPHJRVFTFUMFTNBSRVFVSTEVUFNQTQFSUJOFOUT
t3FUSBDFSMPSESFDISPOPMPHJRVFEFTÏWÏOFNFOUT
t3FTQFDUFSMPSUIPHSBQIFFUMBHSBNNBJSF
Les difficultés liées à la maîtrise de la
langue et à l’ampleur de la tâche
Commencer le texte
Structurer l’écrit
Rédiger des phrases correctes sur le plan
de la syntaxe
Gérer une tâche complexe
Les difficultés liées aux apprentissages
de la séquence
Mobiliser l’ensemble des concepts ou
notions de la séance
Mobiliser les mots-clés dans le cadre
d’un texte organisé
Faire le lien entre le travail de lecture
des documents et le texte à rédiger
Maîtriser les concepts ou notions de la
séance
Les aides proposées
Une phrase amorce
Un plan de l’article
Une série de phrases à
compléter
Segmentation du plan en
plusieurs parties
Les aides proposées
Liste des mots-clés à utiliser
Mots-clés classés dans les
différentes parties du plan
Documents de référence pour
chaque partie du plan
Documents de référence
accompagnés de questions
pour travailler à nouveau la
notion
Concrètement, selon quelles modalités le travail de l’élève est-il organisé ? Outre le dossier documentaire où il puise les informations,
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Éduquer|Former, n° 44, 2012|2
l’élève reçoit une « fiche consignes » décrivant le résultat attendu.
Pour chacune des exigences de la production finale, il a la possibilité
de recourir à une aide écrite que j’ai préparée au préalable et qu’il
peut venir chercher de façon autonome. (Voir encadré ci-dessous)
Extrait d’une fiche-consignes
L’énigme : Comment s’est déroulée la reddition de Vercingétorix ?
Tu es journaliste pour le site Grainedhistorien. Le rédacteur en chef te charge
d’écrire un article sur la reddition de Vercingétorix à Alésia. Le documentaliste
du site te confie plusieurs documents :
– Une reproduction du tableau « Vercingétorix jette ses armes aux pieds de
César » (1899)
– Un extrait de La Guerre des Gaules écrite par César (51 av. J.-C.)
– Un extrait des Vies parallèles des hommes illustres de Plutarque (100-110
apr. J.-C.)
– Une vidéo sur Vercingétorix réalisée par des historiens et des archéologues
actuels (2005)
Consignes du rédacteur en chef : ton article devra contenir :
– Une introduction où tu citeras les trois documents sources dont tu disposes
– Une partie où tu raconteras les différentes versions de l’événement :
t -B WFSTJPO EF -JPOFM 3PZFS TJ UV OF TBJT QBT DPNNFOU EÏDSJSF MF UBCMFBV
prends l’aide n°2)
t-BWFSTJPOEF1MVUBSRVFTJUVOFTBJTQBTRVPJSBDPOUFSQSFOETMBJEFO¡
t-BWFSTJPOEF$ÏTBSTJUVOFTBJTQBTRVPJSBDPOUFSQSFOETMBJEFO¡
[…]
Au moment de la préparation, lorsque je pense que cette première
aide peut être insuffisante pour certains élèves, j’en prépare une
autre, voire deux (voir encadré ci-dessous). Cela permet d’atteindre
progressivement la zone proximale de développement de chaque
élève.
114
Catherine Bourgoin
Aide n°4
Le lendemain, Vercingétorix convoque l’assemblée : il démontre qu’il n’a pas
entrepris cette guerre à des fins personnelles, mais pour la liberté de tous ; et
puisqu’il faut céder à la fortune, il s’offre à eux pour l’une ou l’autre solution,
qu’ils veuillent satisfaire les Romains par sa mort ou le livrer vivant. On envoie à ce sujet des ambassadeurs à César. Il ordonne que les armes soient
remises, que les chefs des cités soient amenés. Lui-même installa son siège
au retranchement, devant son camp : c’est là que les chefs sont conduits
devant lui ; Vercingétorix est livré, les armes sont jetées en avant.
César (100-44 av.J.C.), Guerre des Gaules VII, 89, 51 av. J.-C.
Dans ce texte, César raconte la reddition de Vercingétorix. J’ai mis en gras, les
phrases où il raconte cet événement. Attention, tu ne dois pas recopier les
phrases mais raconter avec tes mots comment cela s’est passé.
Quelques conseils : après avoir lu, essaie de reformuler ce que tu as compris. Au
moment où tu rédiges, ne regarde pas le texte. Tu n’es pas obligé de donner
tous les détails. Il faut seulement que ton résumé réponde aux trois questions suivantes :
1. Qu’a ordonné César ?
2. Vercingétorix est-il venu de lui-même, libre, à pied, à cheval ou a-t-il été
livré par les Gaulois ?
3. Est-il venu armé et a-t-il jeté lui-même ses armes ou l’a-t-on livré et a-t-on
donné ses armes à César ?
Mais attention, tu dois rédiger un petit texte à partir de ces réponses. Si tu
n’arrives pas à construire tes phrases, demande l’aide n°4 bis
Aide n°4 bis
Voici comment tu peux rédiger ton récit :
« Dans la Guerre des Gaules, César raconte qu’il a demandé ________________
_______________________________________ (Réponse à la question 1).
C’est pourquoi les Gaulois _________________ (Réponse à la question 2)
Vercingétorix à _________________ et __________________________
(Réponse à la question 3)
Des aides en situation plutôt que l’apprentissage de méthodes
Sur quel principe ce dispositif repose-t-il ? Jean Julo distingue deux
façons de faire pour concevoir une aide. Soit on propose une aide en
situation, c’est-à-dire qu’ « on agit au coup par coup en aidant l’élève
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Éduquer|Former, n° 44, 2012|2
à surmonter les difficultés particulières qu’il rencontre dans le contexte
d’un problème donné », soit « on agit plus globalement, en aidant
l’élève à surmonter ses difficultés au moyen d’un apprentissage de méthodes » (Julo, 2005). Ce dernier souligne que la seconde démarche
n’a pas réellement fait preuve de son efficacité. Suivant le moment
de l’année et suivant le type de difficultés, j’agis différemment.
Pour tout ce qui concerne la maîtrise de la langue, je propose systématiquement une aide en situation. L’aide à la rédaction exposée
ci-dessus (aide n°4 bis) en est un exemple. En effet, s’il n’est pas de
ma responsabilité d’assurer des apprentissages méthodologiques qui
relèvent du cours de français, je dois en revanche veiller à ce que les
élèves travaillent la langue en cours d’histoire et dans ce cadre, je dois
apporter l’aide nécessaire à ceux qui ne la maîtrisent pas encore.
Pour ce qui est des apprentissages spécifiques à l’histoire, un enseignement méthodologique hors contexte n’a que peu d’intérêt pour deux
raisons au moins. La première est que les élèves ne voient pas le sens
de cet apprentissage. Pourquoi, par exemple, pour présenter un document, faut-il préciser la nature, l’auteur et ses intentions, la date, le
contexte, le destinataire… ? Seule la situation peut donner un sens à
cet exercice : c’est à partir de ces données que l’on pourra mesurer la
fiabilité du document et résoudre les énigmes visant à établir les faits.
S’il y a donc un apprentissage méthodologique, celui-ci ne peut avoir
lieu que dans le cadre d’une situation donnée. C’est ce que je mets
en œuvre dans la première situation-problème de l’année. Mais on ne
peut considérer l’apprentissage effectué par tous les élèves à l’issue de
cette première situation. En effet le transfert d’une situation à l’autre est
complexe et c’est la seconde raison pour laquelle un enseignement méthodologique hors contexte est peu pertinent. Prenons l’évaluation de
la fiabilité du document. Pour certains d’entre eux, il s’agira de s’attarder sur l’auteur lui-même et ses intentions, dans d’autres d’interroger
le contexte historique pour trouver une réponse. Mais que ce soit l’un
ou l’autre, l’élève devra maîtriser la lecture – ce n’est pas le cas de tous
à l’entrée au collège -, savoir mettre en relation le document étudié et
les documents qui le renseignent sur l’auteur et/ou sur le contexte pour
choisir les informations pertinentes et enfin, être capable de faire des
déductions à partir de la confrontation de l’ensemble de ces données.
Si un apprentissage méthodologique peut mettre en évidence les opérations à effectuer, seule une aide en situation exercera les élèves à mettre
en œuvre ces opérations dans des contextes variés. C’est en quelque
sorte faire le pari qu’en étant confronté à cet exercice dans des situations différentes l’élève construira progressivement cette capacité. (Voir
116
Catherine Bourgoin
un exemple d’aides proposées dans le cadre de la situation-problème
sur la reddition de Vercingétorix).
Aide n°5b
Pour savoir si on peut croire Plutarque, relis la biographie ci-dessous :
Plutarque : Plutarque est né en Grèce, à Chéronée. […] Il voyagea beaucoup
en Grèce mais aussi en Italie, obtenant à la fois la citoyenneté athénienne et la
citoyenneté romaine. Il occupa plusieurs fonctions dont celle de grand-prêtre
d’Apollon. Il écrit Les vies parallèles des hommes illustres entre 100 et 110. Mais
c’est un philosophe qui ne recherche pas la vérité historique : les biographies qu’il écrit lui servent à décrire les mœurs des hommes.
D’après Octave Gréard, Institut français de l’éducation
Réponds dans ta tête aux questions ci-dessous :
1. Plutarque est-il un historien ou un philosophe ?
2. A quoi lui servent les biographies qu’il écrit ?
3. Cherche-t-il la vérité historique ?
4. Alors, quel était l’objectif de Plutarque quand il a raconté la reddition de
Vercingétorix ?
5. Et donc, peut-on croire tout ce que Plutarque a écrit à propos de la reddition de Vercingétorix ?
Puis rédige un petit paragraphe que tu mettras dans ton article.
Aide n°5c : Pour savoir si on peut croire le tableau de Lionel Royer,
relis les phrases en gras dans le texte ci-dessous. Elles décrivent ce qui
se passait au moment où Lionel Royer a peint son tableau.
Au 19e siècle, toute la France se passionne pour les Gaulois, Napoléon III fait placer sur le site d’Alésia une statue de Vercingétorix avec de belles moustaches. En même temps, tableaux (ex :
« Vercingétorix jette ses armes au pied de César » par Lionel Royer en 1899),
opéras, sculptures, littérature prennent pour thème Vercingétorix, le héros qui incarne l’unité nationale, sans se soucier de la vérité historique.
En 1875, Henri Martin publie «Histoire populaire de la France « qui fixe
les grands mythes gaulois repris dans les écoles de la IIIe République, faisant de
Vercingétorix un héros qui se sacrifie pour sa patrie. Réponds dans ta tête
aux questions ci-dessous à partir des phrases en gras.
Pour quel Gaulois les Français se passionnent-ils au XIXe siècle ?
– Dans le livre « Histoire populaire de la France », comment est-il présenté ?
– Ceux qui représentent Vercingétorix comme un héros national se soucient-ils
de la vérité historique ?
– D’après ce que tu viens de lire, Lionel Royer est-il le seul à représenter Vercingétorix comme un héros ?
– Alors, peut-on croire ce qu’a peint Lionel Royer ?
Puis rédige un petit paragraphe que tu mettras dans ton article
117
Éduquer|Former, n° 44, 2012|2
Bien sûr ces aides pourraient être données d’emblée à tous les élèves
mais ce serait nier que certains élèves sont déjà capables de réaliser
cet exercice sans aide en inventant eux-mêmes le questionnement
adéquat ; ce serait aussi refuser à certains élèves de s’essayer, quitte
à utiliser l’aide dans un second temps pour vérifier, compléter ou
rectifier ce qu’ils ont déjà commencé à faire.
Ce système d’aides écrites et à la carte est intéressant dans le sens où il
ne stigmatise aucun élève dans la mesure où chacun peut utiliser une
aide à un moment ou à un autre. Il permet à chacun d’avancer à son
rythme et favorise l’autonomie plutôt que la dépendance vis-à-vis de
l’enseignant. Cependant, il y a au moins trois conditions pour que
cet outil soit efficace : maîtriser la didactique de sa discipline pour un
repérage suffisamment fin des obstacles ou des difficultés susceptibles
de survenir, prendre conscience des difficultés liées à la maîtrise de la
langue dans les activités proposées et bien connaître ses élèves pour
que les aides proposées correspondent effectivement à leurs besoins.
L’exemple d’un élève : A.
A. était un élève de 6e qui n’avait jamais redoublé mais pour qui
les enseignants de primaire avaient proposé une orientation en
SEGPA. La commission d’orientation avait laissé le choix aux parents compte tenu des résultats d’A. aux différents tests. Le bilan de
l’orthophoniste n’indiquait pas de dyslexie mais des problèmes de
repérage dans le temps. Classer des événements dans l’ordre chronologique, ordonner ses idées dans un texte, organiser son travail
en plusieurs étapes successives, autant d’exercices difficiles à réaliser. Il avait également des difficultés à rédiger des phrases de façon
autonome. Pour autant, A. a travaillé tout au long de la 6e, sur
les mêmes situations-problèmes que les autres élèves, situations qui
l’intéressaient, dans lesquelles il s’est investi. Cela a nécessité, pour
moi, d’aller plus loin dans les aides proposées. En effet, la réflexion
collective sur les différentes opérations à entreprendre ne suffisait
pour qu’Arthur s’engage dans la tâche de façon efficace. Il fallait
qu’il ait, à disposition, un document écrit qui le guide de façon plus
précise en rappelant les différentes étapes du travail. Voici, dans
l’encadré ci-dessous, un exemple d’aide que je lui ai proposée. A. bénéficie en fait des mêmes aides que les autres élèves mais elles
s’insèrent dans l’article tel qu’il doit être rédigé. Ce degré de gui118
Catherine Bourgoin
dance plus élevé lui est nécessaire pour qu’il parvienne à réaliser la
même tâche que ses camarades, à savoir rédiger un article. L’autre
différence est qu’il dispose d’une aide systématique à la rédaction
alors que les autres élèves peuvent la choisir ou non. Mais A. a travaillé sur les mêmes connaissances historiques, s’est posé les mêmes
questions et a abouti aux mêmes conclusions. En l’occurrence, il a
appris, comme les autres, que l’Histoire est une science humaine où
l’historien émet des hypothèses vraisemblables.
Un extrait de l’aide proposée à A. dans le cadre de la situation-problème
portant sur la reddition de Vercingétorix
Question : Comment s’est déroulée la reddition de Vercingétorix ?
Pour écrire ton article, complète le texte ci-dessous.
Cherche quels sont les auteurs des documents puis complète la phrase
ci-dessous :
En 52 av. J.-C., Vercingétorix perd la bataille d’Alésia. Sa reddition est racontée
par _____________, par ____________ et peinte par __________________.
Plutarque raconte la reddition de Vercingétorix dans____________________
_______________. Il a écrit ce livre en ________.
Il faut ensuite que tu racontes la reddition selon Plutarque. Relis le texte de Plutarque en essayant de répondre dans ta tête aux deux questions suivantes :
– Vercingétorix est-il venu de lui-même, libre, à pied, à cheval ou a-t-il été livré
par les Gaulois ligoté ?
– Est-il venu armé et a-t-il jeté lui-même ses armes ou l’a-t-on livré ligoté et
a-t-on donné ses armes à César ?
Puis complète le texte suivant à partir de ces réponses :
Il raconte que Vercingétorix _____________________________________.
Il est venu____________ et a jeté _________________________________.
Explique ici si on peut croire cette version ou non. Prends l’aide n°5b
Cette version ____________________________ parce que Plutarque est un
___________________ (réponse à la question 1). Il __________________
___________________ (réponse à la question 3). ____________________
_______________________ (réponse à la question 5)
[…]
L’aide fournie grâce à un support écrit peut toutefois se révéler insuffisante ou difficilement utilisable pour des élèves dyslexiques par
119
Éduquer|Former, n° 44, 2012|2
exemple, la lecture constituant pour eux un sérieux obstacle. L’aide
orale devient alors indispensable.
Une aide orale : l’entretien collectif
Outre l’intervention directe auprès de l’élève qui se trouve en difficulté (réponse à ses questions, explicitation des attendus,…) l’an
dernier, j’ai eu recours à deux autres pratiques :
- l’entretien collectif au début de la situation-problème. Il a pour
objectif d’aider l’élève à construire des procédures de résolution
pour chacune des familles de situations-problèmes. L’élève peut
ainsi affronter la complexité sans avoir nécessairement besoin
d’une liste des procédures à appliquer. Comment fonctionnet-il ? Un petit groupe d’élèves (5-6 élèves environ) est invité à
s’entretenir du travail en cours autour de l’enseignant. Pendant
ce temps, le reste de la classe travaille individuellement à la
situation-problème choisie puis il y aura permutation. L’entretien commence par une phase d’explicitation où chacun
explique ce qu’il a déjà fait et si possible pourquoi, l’objectif
est de mettre au jour les procédures déjà utilisées. Lors de la
2ème phase de l’entretien, les élèves sont invités à reformuler
la situation-problème et à indiquer la compétence travaillée,
l’objectif étant de travailler sur les représentations de la tâche.
La 3ème phase est celle de la confrontation entre les procédures
utilisées et la tâche. Permettront-elles de résoudre la situation
problème ? Si non, quelles autres procédures pourraient être
utilisées ? La 4ème phase consiste en l’écriture rapide pour chacun des procédures à engager. Ce dispositif oblige l’élève à faire
un va-et-vient entre la dimension matérielle et la dimension
cognitive de son activité, l’enjeu étant qu’il dépasse le stade de
la simple exécution.
- Le « mini-cours » vient dans un second temps. Le sujet est
choisi en fonction des difficultés repérées lors de la première
évaluation des travaux. En voici le fonctionnement : le sujet
traité est écrit au tableau – par exemple la description du tableau de Royer dans la situation sur la reddition de Vercingétorix - ainsi que l’horaire prévu au cours de la séance, seuls
les élèves intéressés s’inscrivent (6 maximum). Quand vient
l’heure, nous nous regroupons autour de quelques tables accolées pendant que les autres élèves poursuivent leur travail de
façon autonome. Chaque élève, successivement, expose son
120
Catherine Bourgoin
problème, ses questions ou lit son travail. Les autres réagissent,
donnent leur avis qui doit être argumenté, proposent une façon de faire lorsqu’il y a blocage. Il est interdit de donner la
réponse mais chaque élève doit repartir avec les éléments nécessaires pour poursuivre le travail. Ce dispositif permet de ne
pas obliger tous les élèves à travailler une question alors qu’ils
n’en ressentent pas la nécessité tout en répondant aux besoins
des autres. Chacun se situe donc dans sa zone proximale de
développement.
Pour que ces modalités de fonctionnement soient efficaces, il est
nécessaire que les autres élèves aient l’habitude de travailler seuls
en silence. La fiche-consignes ainsi que l’accès aux aides permet
de développer cette forme d’autonomie. Tout comme un tableau
à cinq colonnes que j’ai expérimenté l’an dernier et que je compte
généraliser cette année. Il permet aux élèves de récapituler les différents éléments qui doivent être présents dans le rendu final et
les indicateurs de réussite pour chaque élément, de pointer au fur
et à mesure l’avancée de leur travail et d’avoir un retour de ma
part sur ce qui est à retravailler. Cela permet aux élèves de réguler
eux-mêmes leur travail, tâche qu’exécutent facilement les élèves en
réussite, mais pour laquelle de nombreux autres ont besoin d’être
assistés. Ce type d’outil qui n’est pas particulièrement novateur relève en fait de l’évaluation formatrice (Nunziatti, 1990).
Une évaluation plus formatrice
Réfléchir à l’accessibilité en histoire, c’est en effet également repenser l’évaluation. Pour que celle-ci soit réellement formatrice, il faut
non seulement qu’elle intervienne au cœur même des apprentissages mais que les élèves y soient associés. Pour mettre en œuvre
ce principe, outre le tableau à cinq colonnes évoqué ci-dessus, la
résolution d’une situation-problème se fait toujours en deux temps
minimum. Les élèves réalisent un premier jet que je ramasse pour
une première évaluation. A cette occasion, ils reçoivent des indications non seulement sur ce qui est pertinent en termes de contenu
ou au contraire sur ce qui ne l’est pas mais aussi sur ce qui manque
et ce qu’il leur reste à faire. Des questions les invitent à préciser, à
développer, à donner les références d’un document…. Des aides
supplémentaires sont fournies aux élèves en fonction des besoins
de chacun. Ce procédé relève en fait de la réécriture déjà largement
121
Éduquer|Former, n° 44, 2012|2
pratiquée en français mais encore peu en histoire où l’évaluation
classique reste sommative, que l’enseignant privilégie le modèle de
l’empreinte ou celui du discours-découverte. Un dispositif incluant
la réécriture a non seulement l’avantage de travailler l’acquisition
de compétences dans une dynamique de formation mais également
de permettre un réel accompagnement de chaque élève dans une
logique d’apprentissage et non de remédiation. C’est donc bien un
dispositif qui permet l’accessibilité.
Est également distribué à chacun un tableau de compétences (voir encadré ci-dessous) comportant les critères et les indicateurs correspondants.
Le cadre théorique sur lequel je me suis appuyée pour le concevoir est
exposé par Roegiers (2001). Dans ce tableau est indiqué le niveau de
maîtrise que l’élève a atteint dans chaque capacité mobilisée. L’élève peut
ainsi se situer et voir quelles exigences il doit satisfaire pour progresser.
L’an dernier, j’ai utilisé un tableau commun à tous. Ce tableau pourrait
cependant être différent suivant les élèves de façon à prendre en compte
leurs besoins éducatifs particuliers. Cela permettrait ainsi de mettre en
évidence leurs progrès même si ceux-ci ne sont pas encore suffisants
pour valider le socle commun et placer donc l’élève dans une dynamique
positive respectueuse de son estime de soi. L’évaluation formatrice dans
une approche par compétences favorise donc l’accessibilité dans le sens
où elle n’est pas d’abord rapport à la norme, comme l’est généralement
l’évaluation sommative, mais bien outil de formation.
Extrait du tableau de compétence - capacité « lire des documents de nature
différente » distribué dans le cadre de la situation-problème portant sur la
reddition de Vercingétorix. Dans ce tableau, est indiqué à chaque élève quel
niveau de maîtrise il a atteint.
Niveaux de
maîtrise
Débutant
Initié
Confirmé
Expert
122
Critère : Les faits retenus sont pertinents
Capacité : Lire des documents de différente nature
Je raconte la version de Plutarque et de César mais en
recopiant le texte, sans sélectionner les informations. Ma
description du tableau est très incomplète.
Je raconte les versions de Plutarque et de César avec les aides :
je choisis les informations mais j’utilise encore beaucoup le
texte + je sais décrire le tableau de Lionel Royer en me servant
des questions du professeur mais tout n’est pas pertinent
Je raconte les versions de Plutarque et de César avec les
aides mais sans recopier + je sais décrire le tableau de Lionel
Royer en me servant des questions
Je présente les trois versions de façon autonome
Catherine Bourgoin
Cet article se veut simplement être descriptif d’une pratique réfléchie à partir de références théoriques. L’expérience conduite
ici n’est en rien prescriptive ; faite de tâtonnements, elle est nécessairement amenée à évoluer en fonction des élèves, des classes.
Elle montre simplement qu’il est possible, dans une approche par
compétences, de rendre accessible l’enseignement de l’histoire. Cela
nécessite sans doute une petite révolution. Dans un tel dispositif, si
les connaissances et les capacités à mobiliser sont toujours centrales,
il ne s’agit plus seulement de les penser comme des savoirs à inculquer. Il ne s’agit plus non plus de remédier à des difficultés après
l’apprentissage, le souci de l’accessibilité doit devenir premier dans
la conception même du cours qui ne peut plus être réfléchi pour
un collectif rêvé mais doit l’être pour des élèves réels. La construction et l’analyse prédictive de la situation d’apprentissage devient
alors essentielle puisque c’est elle qui fait émerger les obstacles et
les difficultés qui devront être traités en contexte grâce aux aides
fournies. C’est un vaste chantier qui s’ouvre à nous, professeurs
d’histoire-géographie.
Références bibliographiques
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PROBIO-REVUE, 16 (4). https://sites.google.com/site/
collegealbertcamusleplessis/--la-situation-probleme.
Consulté le 15 décembre 2012.
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Barisnikov, K. & PETITPIERRE, G. (dir.). (1994). VYGOTSKI.
Déficience et défectologie mentale. Neuchâtel, Paris : Delachaux et Niestlé.
Bouhon, M., Dambroise, C. (2002). Évaluer des compétences en
classe d’histoire, Louvain-la-Neuve : Université Catholique
de Louvain, 17-21.
Houssaye, J. (1993). La pédagogie, une encyclopédie pour aujourd’hui.
Paris : ESF.
123
Éduquer|Former, n° 44, 2012|2
Julo, J. (2005). Presque tout est à inventer. Cahiers pédagogiques,
436, 49-50.
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Nunziatti, G. (1990). Pour construire un dispositif d’évaluation
formatrice. Cahiers pédagogiques, 280, 47-64.
Roegiers, X. (2001). Une pédagogie de l’intégration. Bruxelles : De
Boeck.
Roegiers, X. (2003). Des situations pour intégrer les acquis scolaires.
Bruxelles : De Boeck.
Les actes de la DESCO. (2002). Apprendre l’histoire et la géographie
à l’Ecole. Versailles : SCEREN-CRDP.
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