La formation des professeurs : entre analyse de praxéologies

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La formation des professeurs : entre analyse de praxéologies
La formation des professeurs : entre analyse de
praxéologies professionnelles et étude de problèmes de la
profession
Gisèle Cirade
To cite this version:
Gisèle Cirade. La formation des professeurs : entre analyse de praxéologies professionnelles
et étude de problèmes de la profession. Dorier, Jean-Luc ; Coutat, Sylvia. Enseignement des
mathématiques et contrat social : enjeux et défis pour le 21 siècle, Feb 2012, Genève, Suisse.
pp.Brochure avec cédérom Enseignement des mathématiques et contrat social: enjeux et défis
pour le 21e siècle. Actes du colloque EMF 2012, Genève, 3-7 février 2012. <hal-01216142>
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LA FORMATION DES PROFESSEURS : ENTRE ANALYSE DE
PRAXEOLOGIES PROFESSIONNELLES ET ETUDE DE PROBLEMES DE
LA PROFESSION
Gisèle CIRADE*
Résumé – Dans une formation professionnelle, l’analyse des praxéologies professionnelles permet de
travailler les types de tâches qui sont au cœur du métier : pour le professeur (de mathématiques), il s’agit
essentiellement de « mettre en place, dans une classe de collège ou de lycée, une certaine organisation de
savoir “mathématique” ». Mais la formation, par-delà l’étude de ces questions, se doit aussi de travailler à
identifier les problèmes de la profession et à y apporter des solutions, toujours partielles et provisoires,
qui pourront percoler dans la profession à travers les entrants dans le métier.
Mots-clefs : Didactique des mathématiques, Formation initiale des professeurs de mathématiques,
Praxéologies professorales, Problèmes de la profession, Théorie anthropologique du didactique (TAD)
Abstract – In professional training, analysis of professional praxeologies allows us to work on the types
of tasks that are at the heart of the trade: for the teacher of mathematics, they are essentially “set up in a
class of college or high school, some organization of mathematical knowledge”. But training, beyond the
study of these questions, must also work to identify problems of the profession and to find solutions,
always partial and provisional, which will allows the profession to be spread thanks to people who are
entering the profession.
Keywords: Anthropological Theory of the Didactic (ATD), Didactics of mathematics, Initial training of
teachers of mathematics, Problems of the profession, Teaching praxeologies
I.
L’EQUIPEMENT PRAXEOLOGIQUE DU PROFESSEUR
Au-delà des formations 1 sur lesquelles nous allons nous appuyer, notamment en leur
empruntant quelques corpus, il s’agit ici de dégager, en se plaçant dans le cadre de la théorie
anthropologique du didactique (voir Chevallard 1999, 2010), quelques fondements théoriques
qui président à leur organisation et au choix des dispositifs mis en place. On notera d’emblée
que l’enseignement de didactique des mathématiques qui est proposé dans le cadre de ces
formations est un enseignement à visée professionnelle, c’est-à-dire finalisé par les besoins de
la profession. Mais quels sont les besoins de la profession ? Quels sont les types de tâches que
le professeur doit accomplir dans l’exercice de son métier ? Quels sont les problèmes
auxquels il doit faire face au quotidien ?
Nous partirons du « type de tâches qui est la raison d’être du professeur de
mathématiques : mettre en place, dans une classe de collège ou de lycée, une certaine
organisation de savoir “mathématique” » (Chevallard 2002, p. 5). Bien entendu, par-delà ce
type de tâches Tπ qui vient d’être dégagé, il faut aussi avoir une technique  qui permette
d’accomplir ce type de tâches, une technologie  qui vienne justifier, produire, rendre
intelligible cette technique et une théorie  qui, à son tour, vienne justifier, produire, rendre
intelligible cette technologie . C’est ce qu’Yves Chevallard (2002) appelle le problème
praxéologique du professeur :
… on dira alors que le problème praxéologique du professeur de mathématiques est de construire une
praxéologie [Tπ / π / π / π], c’est-à-dire d’apporter une réponse Rπ = [Tπ / π / π / π] à la question Qπ :
*
Université Toulouse 2 (IUFM) – France – [email protected]
Il s’agit de deux formations initiales de professeurs de mathématiques de l’enseignement secondaire, en France,
qui sont dispensées l’une à Marseille (Université Aix-Marseille 1) et l’autre à Toulouse (Université Toulouse 3
et Université Toulouse 2).
__________________________________________________________________________________________
© Cirade G. (2012) La formation des professeurs : entre analyse de praxéologies professionnelles et étude de
problèmes de la profession. In Dorier J.-L., Coutat S. (Eds.) Enseignement des mathématiques et contrat social :
enjeux et défis pour le 21e siècle – Actes du colloque EMF2012 (GT2, pp. 314–323).
http://www.emf2012.unige.ch/index.php/actes-emf-2012
1
La formation : entre analyse de praxéologies et étude de problèmes de la profession
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comment accomplir une tâche tπ du type Tπ ? De même qu’on a parlé d’organisation mathématique, on
nomme ici organisation didactique une praxéologie de la forme [Tπ / π / π / π]. (p. 5)
L’enjeu est donc la diffusion de cette praxéologie, [Tπ / π / π / π], et les questions du type
« Comment mettre en place, dans une classe donnée, telle organisation mathématique ? »
seront au cœur de la formation dispensée. Bien entendu, notons que « c’est en dernière
instance que la praxis professorale se ramène à l’unique type de tâches Tπ » et que, « en un
autre sens, tout au contraire, le type de tâches Tπ se déploie en une multiplicité de types de
tâches Tπ(k) » (Chevallard 2002, p. 6). Pour donner quelques exemples de ce déploiement,
nous pouvons nous appuyer sur la liste « de 29 “critères”, que l’analyse avait permis de
dégager d’un corpus de rapports de maîtres de stage étudié dans le cadre d’une recherche 2
récemment conduite à l’époque » (Cirade 2006, p. 297) :
Le métier et l’établissement
« Investissement personnel, dynamisme »
« Intégration »
La classe
– Concevoir l’enseignement à donner
« Préparer ses cours »
« Connaître les programmes »
« Respecter le programme »
« Programmer son enseignement »
« Analyser les mathématiques à enseigner »
« Moduler le traitement du programme selon la classe »
« Bien choisir les techniques »
« Bien choisir les documents distribués »
« Anticiper les difficultés des élèves »
– Les fonctions didactiques à assurer
« Tenir le rythme dans le traitement du programme »
« Donner un enseignement structuré, diversifié, équilibré, adapté »
« Définir des objectifs d’apprentissage »
« Présenter les notions »
« Mettre en forme les contenus enseignés »
« Donner sa place à l’élève dans la gestion de la séance »
« Bien calibrer des travaux personnels diversifiés »
« Corrections et erreurs »
« Contrôler le travail et les connaissances des élèves »
– Gestion de la séance
« Aisance, assurance »
« Avoir le contact avec les élèves, avec une distance adéquate »
« S’adresser à toute la classe »
« Un langage approprié »
« Gestion du tableau »
« Matériel pédagogique »
« Figures géométriques »
« Prise de notes »
– D’une séance à l’autre
« Analyser sa pratique » (Cirade 2006, p. 298)
L’un des objectifs de la formation va donc être de déployer ce type de tâches Tπ pour étudier
les organisations praxéologiques à constituer autour des types de tâches Tπ(k), sans pour autant
oublier de travailler leur amalgamation. C’est cette question que nous allons maintenant
examiner, après avoir noté que ce déploiement et cette amalgamation constituent l’un des
nombreux problèmes que le professeur devra affronter tout au long de sa carrière :
La « compression » du système Tπ(k)kI en l’unique type de tâches Tπ et, inversement, le « déploiement »
de Tπ en le système Tπ(k)kI de types de tâches sont, si l’on peut dire, le problème ! Le professeur débutant
2
Il s’agit d’une recherche menée en 2000 par Yves Chevallard et Michèle Artaud.
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ne perçoit guère, au-delà de Tπ, le système Tπ(k)kI, qu’il va découvrir peu à peu. Le professeur averti, lui,
connaît par familiarité institutionnelle le système Tπ(k)kI qui s’impose à lui ; mais souvent il n’en perçoit
qu’imparfaitement la motivation par Tπ. Avec le temps, au fil des décennies qui composent une carrière,
cette perception risque de s’affaiblir jusqu’à faire recevoir les nouveaux types de tâches qui viennent
s’intégrer à Tπ(k)kI de loin en loin comme non motivés par Tπ, voire comme totalement immotivés. À la
limite, le vétéran sert un métier qu’il vit – parfois même qu’il vit bien – comme plus ou moins fortement
dissocié, et non comme ordonné – « comme autrefois » – à une mission unique. (Chevallard 2002, p. 6)
II.
LA FORMATION
Comme il est par exemple rappelé dans les notes du séminaire de didactique des
mathématiques dispensé en 2005-2006 à l’attention des élèves professeurs de mathématiques
de deuxième année à l’IUFM d’Aix-Marseille, la problématique générique du travail lors de
la formation est la suivante.
… face à une question professionnelle Q, l’élaboration d’une réponse R (ou plutôt R) suppose un
parcours d’étude et de recherche, collectif et individuel, dont les étapes clés sont les suivantes :
1. Observer les réponses R [lire : r poinçon] existantes dans la culture ou les pratiques professionnelles.
2. Analyser, au double plan clinique/expérimental et théorique, ces réponses R.
3. Évaluer ces mêmes réponses R.
4. Développer une réponse propre R.
5. Diffuser et défendre la réponse R ainsi produite. (Chevallard 2006, p. 170)

Dans cet extrait, on distingue la réponse, notée R , qui sera élaborée dans ce parcours d’étude
et de recherche en réponse à la question professionnelle Q considérée et les réponses

observées, notées R, qui serviront à produire la réponse R . Pour compléter ce tableau, il
reste à introduire le collectif X des professeurs en formation, le collectif Y des formateurs et,
enfin, le système didactique S(X ; Y ; Q) : on peut alors dire qu’il s’agit pour la classe [X ; Y],

d’étudier cette question Q afin de produire une réponse R . On a vu que l’élaboration de cette
réponse s’appuyait sur des réponses (à la question Q) que l’on peut observer dans la culture
ou les pratiques professionnelles : on les notera R1, R2, …, Rm. Mais ce n’est pas tout. La
classe [X ; Y] s’appuiera aussi sur des œuvres3, qui lui permettront d’étudier ces réponses et,

in fine, de bâtir la réponse R : on les notera Om+1, Om+2, …, On. On peut maintenant
considérer le milieu didactique
M = {R1, R2, …, Rm,Om+1, Om+2,…,On
constitué par la classe afin de bâtir la réponse R. On vient ici d’expliciter ce qu’on appelle le
schéma herbartien (Chevallard 2009, p. 20), que l’on présente ici sous sa forme semidéveloppée :
Notons que, dans ce schéma, on n’impose pas aux œuvres Oj d’être « disponibles » au début
de l’étude. Cela sera le cas pour certaines d’entre elles, qu’il faudra alors « convoquer », mais
pour d’autres la classe devra envisager de se les rendre disponibles.
La question Q que l’on avait énoncée génériquement ainsi : « Comment mettre en place,
dans une classe donnée, telle organisation mathématique ? » motive des questions telles que la
suivante : « Comment réaliser une séance en classe permettant de mettre en place telle
3. Par œuvre, on entend « tout objet créé et diffusé par l’activité humaine » ; voir, par exemple, le glossaire
◊
proposé dans le mémoire de master 1 de Julia Marietti (2009, pp. 96-98). En ce sens les réponses Ri sont elles
aussi des œuvres, mais on les distingue parmi toutes les œuvres considérées en raison de la fonction particulière
qu’elles occupent dans le processus d’étude.
La formation : entre analyse de praxéologies et étude de problèmes de la profession
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organisation mathématique ? » Pour étudier ces questions, on peut par exemple convoquer
dans le milieu M des réponses R proposant des séances en classe, observées par le biais d’un
compte rendu et/ou d’une vidéo de la séance, afin de les analyser, de les évaluer et de
proposer un développement ou, du moins, quelques pistes de développement.
Pour étudier une réponse R de ce type, la TAD permet de s’appuyer sur un système de
questions cruciales (voir Artaud 2007), dont on ne donnera ici que les deux suivantes, qui
structurent ce système : « Quelles sont les mathématiques qui constituent l’enjeu de l’étude
durant la séance ? » et « Comment leur étude est-elle réalisée ? » La première question motive
l’introduction de la notion de praxéologie – afin de modéliser l’activité mathématique, ici
celle qui est enjeu de l’étude lors de la séance ; la deuxième question, quant à elle, motive
l’étude des différents paradigmes de l’étude scolaire – de leur évolution, de leur devenir
possible, etc. – et l’introduction du modèle des moments de l’étude, ainsi que celle de milieu
(au sens introduit précédemment, par le biais du schéma herbartien), de topos, etc.
Bien entendu, d’autres types de réponses R peuvent aussi être introduits dans le milieu.
On peut par exemple évoquer les éléments de réponse apportés par les manuels, sous la forme
d’énoncés pouvant servir de support à divers dispositifs structurels – activités d’étude et de
recherche (AER), exercices et problèmes, travaux notés – ou encore par le biais de la
présentation du texte du savoir, permettant par exemple de travailler sur une synthèse possible
à réaliser avec la classe. Mais l’étude de séances en classe fournit un bon moyen de préparer
les stages en établissement que les étudiants accompliront au cours de leurs deux années de
formation en master, et lors desquels ils auront notamment à observer, puis à analyser, des
séances réalisées par leur maître de stage. Sans compter que ces études sont des plus
précieuses, aussi bien du point de vue de la recherche que du point de vue de la formation, en
ce sens qu’elles donnent à voir des techniques de réalisation des moments de l’étude ainsi que
ce qu’elles produisent quant à la mise en place de l’organisation mathématique enjeu de
l’étude.
Le travail ainsi réalisé permet de faire émerger des conditions et des contraintes qui pèsent
sur la dynamique de professionnalisation. À titre d’exemple, on trouvera ci-après les réponses
produites par une équipe d’étudiants de première année de master (Toulouse, 2010-2011), en
tout début de formation. La question, posée à l’occasion de la projection de la vidéo d’une
séance de géométrie en classe de 4e (élèves de 13-14 ans), est la suivante : « Vous devez
décrire à un professeur de mathématiques la séance que vous venez d’observer. Quels sont les
éléments que vous mettez en avant ? »
Appel. // Vérification du travail à faire. // Cours interactif. // Rappel du cours. // Application des
propriétés vues en cours. // Utilisation des outils mathématiques (équerre, …) par les élèves. // Bonne
diction. // Questionnement. // Approche des activités. // Temps de réflexion. // Elle laisse les élèves se
tromper : il y a une interaction entre les élèves initiée par le professeur. // Rappel du plan du cours. //
Support écrit pour les activités. // Cheminement du résultat voulu. // Bon ton. // Contrôle des activités au
tableau et dans les rangs. // Conclusion. // Fait confiance à ses élèves lorsque l’un d’entre eux veut
s’asseoir à une autre place que la sienne.
Sur l’ensemble des réponses (la promotion comportait une quarantaine d’étudiants répartis en
dix équipes), seules les mentions suivantes permettaient de cerner très grossièrement les
contours des mathématiques à l’étude durant la séance :
Utilisation des outils mathématiques (équerre, …) par les élèves. // Compas, règle. // … (figures déjà
faites). // … figure à main levée. // … (place du point G). // … (utilisation de la médiatrice pour trouver le
milieu). // … (quadrillage, vecteur). // … Elle se sert d’outils (règle, compas). // La professeure rappelle le
thème de la séance précédente sur les médianes d’un triangle. // But de ce cours. Trouver la propriété de
la médiane, à 2/3 du sommet. // But de l’exercice 2 : faire observer la propriété des 2/3 et 1/3 de la
médiane. // … illustrations/figures sur les médianes. // … découverte de la nouvelle propriété sur la
position du centre de gravité (au 2/3 de chaque médiane). // … une nouvelle propriété sur les médianes ;
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[…] tracé du point C. // Cours maths 4e sur médianes. // Supports : polycopiés, compas, règle, figure au
tableau. // … les figures sont déjà prêtes.
On retrouve là un phénomène déjà pointé à l’occasion d’une recherche portant sur la
formation initiale des professeurs de mathématiques de l’enseignement secondaire (Cirade
2006). L’analyse des rapports rédigés par les maîtres de stage sur l’activité des élèves
professeurs de deuxième année a en effet montré que « pour ce qui est des contenus
mathématiques […], ce que révèlent les [rapports] étudiés, c’est un refoulement de la mise en
débat des mathématiques : on n’en parle guère entre gens de métier, pour cette raison
définitoire que chacun est censé les bien connaître » (Cirade 2008a, pp. 256-257).
D’autres questions peuvent aussi être étudiées, telles celles du type : « Comment réaliser
une séquence en classe permettant de mettre en place telle organisation mathématique locale
(autour d’un thème donné) ? » Les contraintes sont ici très fortement liées à l’état actuel de la
profession, où le paradigme de l’étude scolaire dominant est celui de l’inventaire des œuvres :
ce qui compte, ce sont les « savoirs », et non les questions.
… le professeur est jugé sur les œuvres – les savoirs – dont il aura impulsé l’étude dans sa classe. Dans ce
que je nomme le paradigme du questionnement du monde, le professeur est jugé sur les questions dont il
aura dirigé l’étude. Selon ce paradigme scolaire à venir, le professeur n’aura pas rempli son contrat vis-àvis de l’école parce qu’il aura fait étudier le théorème de Pythagore ou le théorème de Thalès, mais bien
parce que il aura conduit l’étude de la question de la construction graphique d’une formule ou, à
différents niveaux, la question de l’expression d’un réel donné adéquate pour le calcul approché de ce réel
à l’aide de moyens de calcul donnés par exemple. (Chevallard 2009, pp. 27-28)
Comme le laisse entendre la citation précédente en mentionnant le théorème de Pythagore et
le théorème de Thalès, le professeur se situe au niveau du thème, dont l’étude se réalise à
travers les séquences (ce qui renvoie, sans forcément se superposer, aux chapitres des
manuels scolaires) ; en quelque sorte, pour le professeur, l’atome est l’organisation
mathématique locale – l’élève se situant, lui, au niveau du sujet, c’est-à-dire des organisations
mathématiques ponctuelles composant cette organisation mathématique locale. On notera,
sans développer plus avant, que l’on peut par exemple observer une séquence par le biais du
recueil des traces écrites de quelques élèves de la classe.
Nous venons d’évoquer dans cette section un parcours d’étude et de recherche organisé
autour de la question de la mise en place, dans une classe, d’une certaine organisation de
savoir. Nous terminerons en mentionnant juste d’autres parcours d’étude et de recherche sur
lesquels la formation gagne à s’appuyer, et qui sont a priori centrés sur les mathématiques à
étudier dans l’enseignement secondaire : « Enseigner les fonctions », « Enseigner la
statistique », « Enseigner les grandeurs et les nombres », « Enseigner l’algèbre », « Enseigner
la géométrie », etc.
III.
LES PROBLEMES DE LA PROFESSION
Ce travail sur l’analyse de séances ou de séquences permet notamment de mettre en place
dans la formation un environnement technologico-théorique – constitué notamment autour de
la notion de praxéologie et du modèle des moments de l’étude – qui, en retour, permettra de
produire des techniques de conception (et de mise en œuvre) de séances et de séquences. Les
questions abordées à cette occasion sont nombreuses et une formation professionnelle
universitaire – en droit, c’est le cas aujourd’hui en France – se doit de construire des réponses
appropriées, ce qui
impose d’élaborer à nouveaux frais, sans fausses économies, des techniques d’enseignement que l’on
éprouvera de mille façons, des technologies qui projettent sur elles une intelligibilité adéquate, enracinées
dans des théories dont on ne saurait attendre qu’elles existent toutes faites, intégralement, dans le
royaume des savoirs académiques, et qu’il faudra donc bien continuer de produire. L’université ne doit
La formation : entre analyse de praxéologies et étude de problèmes de la profession
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pas se contenter de fournir à la formation des enseignants de sûrs lectores. Il est vital qu’elle accepte
l’aventure exaltante de se muer en auctor collectif, sans arrogance, sans forfanterie, avec la générosité
due à des professions qui, chaque jour, contribuent vaille que vaille à donner à la société sa propre
intelligibilité et à chacun de ses membres l’intelligence des situations vécues. (Chevallard et Cirade 2009,
p. 55)
Nous venons d’évoquer la « question des réponses ». Mais il reste encore la « question des
questions » qui se posent à la profession, c’est-à-dire la question de l’origine des questions. Il
s’agit là d’une exigence cruciale, car
une formation de professeurs (ou plus largement une formation à un métier quel qu’il soit) qui ne saurait
pas s’expliquer là-dessus se qualifierait difficilement en tant que formation professionnelle. Encore toute
« explication » ne sera-t-elle pas recevable ! Pour cette raison, une formation professionnelle d’université
doit assumer humblement un postulat d’ignorance ou de quasi-ignorance grâce auquel il devient possible
d’identifier peu à peu, collectivement, les principaux problèmes de la profession sur lesquels butent non
seulement les professionnels en formation mais aussi, presque toujours, la profession elle-même. Car une
formation de professionnels est nécessairement coextensive à une redéfinition (à prétention méliorative)
de la profession. (Chevallard et Cirade 2009, p. 56)
L’un des dispositifs permettant ce recueil de « questions ombilicales » consiste à demander
chaque semaine aux professionnels en formation d’indiquer par écrit, de manière précise et
concise, une difficulté rencontrée dans le cadre de leur formation. Il peut par exemple être
présenté de la façon suivante4 :
Les questions ainsi formulées sont regardées, sauf exception, comme des questions qui se posent à la
profession à travers l’un de ses futurs membres, et non comme l’affaire personnelle de tel ou tel. Leur
étude éventuelle dans le cadre de la formation concerne donc tout professionnel de l’enseignement des
mathématiques, et pas seulement celui qui, ayant porté témoignage de la difficulté rencontrée, aura ainsi
contribué au développement de la profession que ces années de formation (dans le cadre du master et dans
celui de l’année de stage) doit promouvoir.
On notera qu’une réponse digne d’un professionnel de l’enseignement ne peut – sous peine de devenir
rapidement inutilisable – consister seulement en un Oui ou un Non, ou, selon le cas, en l’indication d’une
recette : elle doit en outre apparaître justifiée, ce qui suppose une « théorie de l’enseignement ». Une
réponse est donc une réalité qui se construit, et dont la construction demande souvent un temps
considérable. Il faut, par conséquent, apprendre à vivre avec des questions ouvertes – au cours des années
de formation, et tout au long de sa carrière. Il faut aussi accepter de vivre avec des réponses partielles,
insuffisantes, et surtout accepter de critiquer, de déconstruire des réponses auxquelles on s’était habitué –
ce qui est le plus difficile, mais aussi le plus essentiel.
Ce dispositif, appelé les questions de la semaine, permet, comme nous allons le voir, de
mettre au jour des problèmes de la profession. Mais avant cela, notons qu’il est étroitement lié
à un autre dispositif, le forum des questions, dans lequel seront apportés des matériaux pour
une réponse à certaines des questions ainsi dégagées. Pour fixer les idées, voici une petite
liste de questions qui ont été posées et étudiées dans le cadre de la formation en deuxième
année de master à Toulouse, en 2010-2011 :
1. Comment répondre à une question d’élève : « Pourquoi sur mon logiciel (GeoGebra), la bissectrice estelle une droite alors que dans la définition c’est une demi-droite ? »
2. Est-ce que l’angle plat est un angle obtus ? Si oui, l’angle nul est-il aigu ? Et qu’en est-il pour l’angle
droit ?
3. Comment peut-on faire une AER [activité d’étude et de recherche] introduisant la colinéarité de
vecteurs sans utiliser explicitement les trois notions de sens, direction et longueur ?
4. Lors de ma séquence sur les puissances en classe de 4e, durant une des séances, un élève me pose la
question suivante : « Combien fait zéro exposant zéro car la calculatrice écrit ERROR ? » Juste avant, dans
4
Cette formulation a été utilisée pour présenter le dispositif des questions de la semaine dans la formation
réalisée à Toulouse en 2010-2011, mais elle résulte de tout le travail effectué à l’IUFM d’Aix-Marseille pendant
de nombreuses années.
320
EMF2012 – GT2
le cours, nous avons noté  a  , a0 = 1. J’ai répondu à l’élève que, par convention, on écrit 00 = 1. À
savoir, comment on peut expliquer à un élève de 4e que 00 = 1.
5. Comment organiser la prise de notes lors d’une AER ? Lors de mon stage, prise par la réactivité de la
classe, tout a été fait à l’oral sauf une figure ; les élèves n’ont gardé aucune trace écrite de l’AER (à part
le sujet). Les seules figures qu’ils ont faites, c’est sur leur brouillon.
6. Quel est le lien entre statistique et probabilités ?
7. La médiane est une droite. « Le point G se trouve aux deux tiers de la médiane à partir du sommet. »
Alors, dans cet énoncé, ce n’est plus une droite mais le segment [AA’], où A’ = mil [BC].
8. Comment expliquer que a = π ou 50 est une valeur exacte ?
Sans entrer dans le détail des éléments de réponse qui ont été apportés à ces questions, nous
citerons deux problèmes de la profession qui ont ainsi pu être dégagés au chevet de la
formation et ont donné lieu à des travaux de recherche qui, en retour, peuvent venir nourrir les
formations. Le premier d’entre eux révèle un problème d’infrastructure mathématique (sur la
notion d’infrastructure, voir Chevallard 2009) qui a perduré pendant plus de deux décennies.
Au départ, on trouve quelques questions telles la suivante, posée en 2000-2001 par un élève
professeur en deuxième année à l’IUFM d’Aix-Marseille.
Quelle définition donner des angles alternes-internes ? (Il y a deux possibilités : le cas où les droites sont
parallèles et le cas plus général.)
Dans le cadre de son stage en établissement, cet élève professeur a en responsabilité une
classe de 5e (élèves de 12-13 ans) ; la caractérisation angulaire du parallélisme (notamment à
l’aide des angles alternes-internes) est au programme de cette classe. Les questions
susmentionnées portent sur la définition des angles alternes-internes. Une enquête
approfondie va révéler une pathologie curriculaire qui a affecté l’enseignement français
pendant d’assez longues années, lors desquelles les angles alternes-internes ne sont définis
que dans le cas où l’on a deux droites parallèles coupés par un sécante – ce qui, bien
évidemment, interdit de caractériser le parallélisme à l’aide des angles alternes-internes (voir
Cirade 2008b).
Le second, quant à lui, révèle un problème d’infrastructure didactique et a été étudié par
Michèle Artaud (2011). Le thème mathématique concerné est celui des puissances d’un
nombre ; il est abordé en classe de 4e (élèves de 13-14 ans) et est
travaillé dans la formation, mais fait durablement problème, comme en témoigne cette question, posée par
un élève professeur [de l’IUFM d’Aix-Marseille] de l’année 2007-2008 […].
« Les puissances en 4e : sur ce chapitre, le séminaire m’a apporté de nombreux éléments mais un point
reste encore, pour moi, mystérieux ! Je n’arrive pas à comprendre pourquoi les formules sont données
seulement pour les puissances de 10. Mes élèves ont repéré la formule sur les entiers quelconques (alors
que les puissances de 10 n’ont pas été encore traitées) et l’utilisent dans les calculs malgré de nombreuses
remarques. Je leur ai demandé de ne pas l’utiliser car hors programme mais bien que je leur demande de
détailler les étapes de calcul (en revenant à la définition), ils utilisent cette formule. Comment le justifier
autrement ? (Je leur ai permis d’utiliser la formule pour vérifier leurs calculs.) » (Artaud 2011, p. 142)
En classe de 4e, le programme indique notamment, dans la colonne Capacités :
 Comprendre les notations an et a–n et savoir les utiliser sur des exemples numériques, pour des
1
exposants très simples et pour des égalités telles que : a2  a3=a5 ; (ab)2 = a2b2 ; a3 = a–3, où a et b sont
des nombres relatifs non nuls.
1
 Utiliser sur des exemples numériques les égalités : 10m  10n = 10m + n ; 10n = 10–n ; (10m)n = 10m  n où m
et n sont des entiers relatifs.
… alors qu’en classe de 3e, il stipule (toujours dans la colonne Capacités) :
La formation : entre analyse de praxéologies et étude de problèmes de la profession
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Utiliser sur des exemples les égalités : am.an = a m+n ; am/an = a m-n ; (am)n = amn ; (ab)n = anbn ; (a/b)n =
an/bn où a et b sont des nombres non nuls et m et n des entiers relatifs.
M. Artaud analyse alors la situation en utilisant le modèle des moments de l’étude, ce dont
nous rendons compte très succinctement de la façon suivante :
On a ainsi une ligne de partage entre la classe de 4e et la classe de 3e qui se dessine grossièrement de la
façon suivante : les puissances de 10 sont à l’étude en quatrième du point de vue de la multiplication et de
l’inverse et permettent de mettre en place la notation scientifique ; cette étude se poursuit en classe de 3e
du point de vue de la division et, plus généralement, ce sont les puissances d’un nombre qui sont à l’étude
dans cette classe. […] Ce qui peut rendre viable cette ligne de partage, c’est une gestion adéquate de la
dialectique entre le moment exploratoire et le moment technologico-théorique relative aux organisations
mathématiques (OM) étudiées. (Artaud 2011, p. 144)
Sans détailler plus avant les deux cas susmentionnés, notons que l’on vient ici de dégager
certaines des conditions et des contraintes de la diffusion des praxéologies didactiques dans la
profession, en s’attachant à examiner – à partir de questions posées par les professeurs en
formation initiale – les problèmes qui se posent à la profession.
IV.
CONCLUSION
On notera que, à côté du système didactique principal S(X ; Y ; Q) et afin d’apporter une aide
à son fonctionnement, on peut mettre en place des systèmes didactiques auxiliaires – comme
par exemple ceux qui sont constitués lors du travail d’étude et de recherche menant à la
rédaction et à la soutenance du mémoire professionnel dans le cadre de la deuxième année de
master. Nous laisserons de côté, dans cette contribution, le travail qui peut être entrepris en
liaison avec les autres dispositifs mis en place dans la formation, notamment ceux qui visent à
préparer spécifiquement les différentes épreuves du CAPES, qu’il s’agisse des épreuves
d’admission ou des épreuves d’admissibilité.
Comme on l’a vu précédemment à l’occasion des questions de la semaine, les travaux
réalisés autour de différents corpus (rapports de stage, mémoires, recueils de traces écrites
d’élèves, etc.), aussi bien dans le cadre de la formation que dans le cadre de la recherche,
permettent de dégager des conditions et des contraintes de la diffusion des praxéologies
mathématiques dans l’École et des praxéologies didactiques dans la profession. L’un des
objectifs du travail réalisé en formation est de faire émerger les problèmes de la profession et
de construire des réponses aux questions dégagées, afin de (re)construire des infrastructures
didactiques, ce qui passe par l’identification, l’analyse et l’évaluation des réponses R◊
existantes, mais aussi par la recherche et la mise à disposition d’œuvres O outillant le travail
de production de R. Il reste ensuite à organiser la diffusion et la réception dans le « réseau »
des formations et, par-delà, dans la profession, tout en sachant que
construite, la réponse R, n’est pourtant pas un absolu : si elle diffuse dans le réseau que dessinent les
formations (initiales et continues) à la profession, si elle « percole » au sein de la profession elle-même,
elle apparaîtra bientôt comme une réponse R parmi d’autres, que l’on peut simplement espérer plus
proche de l’optimum par rapport à certains ensembles de conditions et de contraintes. (Chevallard et
Cirade 2009, p. 59)
La recherche en didactique des mathématiques s’avère ici l’un des moyens clés pour faire
évoluer l’institution qui « devrait avoir à sa charge d’impulser et de gérer le développement
historique du métier d’enseignant » (Chevallard sous presse) du statut de semi-profession – en
empruntant ce terme à Amitai Etzioni (1969) – au statut de profession.
322
EMF2012 – GT2
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