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Sociologie
N°3, vol. 6 | 2015
Varia
Annexe 2b : Entretien avec M. B
Julien Cazal et Jean-Paul Genolini
Éditeur
Presses universitaires de France
Édition électronique
URL : http://sociologie.revues.org/2621
ISSN : 2108-6915
Édition imprimée
Date de publication : 6 novembre 2015
ISSN : 2108-8845
Référence électronique
Julien Cazal et Jean-Paul Genolini, « Annexe 2b : Entretien avec M. B », Sociologie [En ligne], N°3, vol.
6 | 2015, mis en ligne le 18 août 2015, consulté le 11 octobre 2016. URL : http://
sociologie.revues.org/2621
Ce document a été généré automatiquement le 11 octobre 2016.
© tous droits réservés
Annexe 2b : Entretien avec M. B
Annexe 2b : Entretien avec M. B
Julien Cazal et Jean-Paul Genolini
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49 ans, 3 enfants, ingénieur agronome/consultant en marketing, BAC +7, femme
prof d’arts plastiques dans le secondaire, designer de formation, BAC + 5)
2
Est-ce que vous pouvez me raconter dans quelles circonstances vous êtes arrivé à B. ?
3
Y’a 4 ans j’ai fait un problème coronarien, ils m’ont placé un stent et ils m’ont laissé…
enfin ils m’ont lâché sans aucune forme de conseil. Au bout de 3 ans j’ai fait un autre
problème coronarien. Entre les deux j’ai eu beaucoup de difficultés à m’adapter à l’idée de
ce que j’avais eu, aux nouvelles conditions qu’on m’avait imposées, que je m’étais
imposées, alimentaire, cigarette… tout ce qu’il y a autour. Et donc ça ça avait été très très
dur pendant 3 ans. Au bout de 3 ans, deuxième tour sur l’épreuve coronarienne, deuxième
stent. Et là comme j’avais changé de cardio et de médecin ils m’ont proposé B. que je
connaissais de réputation et qui me semblait être bien pour ce que j’avais donc j’ai sauté
sur l’occasion. Et voilà.
4
Y’a 4 ans vous aviez fait un infarctus ?
5
Ils appellent ça un angor je sais plus comment, oui enfin c’est très proche d’un infarctus.
6
Oui.
7
Ils vous ont posé un stent et ensuite ?
8
3 ans et demi après j’en ai fait un autre. Et ils m’ont reposé un stent. Et j’en ai pas refait
un autre. Non j’ai pas fait un deuxième accident cardiaque. Je me sentais pas bien et ils
m’ont fait un coronarographie et ils ont vu que j’avais une coronaire qui était bien
bouchée et qui nécessitait une intervention. Et ça s’est fait avant un deuxième accident.
9
Comment ça se passe ici le séjour, par rapport à vos attentes ?
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J’avais une très forte attente. Mmmh. Sur moi et sur tout ce qui pouvait me permettre
d’arriver à ce que je voulais. Donc sur la structure. Tout est parfaitement rempli.
Largement. Je découvre des gens avec un professionnalisme que je ne soupçonnais pas
dans le milieu médical. C’est une des rares fois où je vois des médecins qui comprennent
que l’homme a déjà une tête sur les épaules avant d’avoir un corps dessous la tête.
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Annexe 2b : Entretien avec M. B
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Vous avez eu une mauvaise expérience par rapport à avant ?
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Plusieurs choses. J’ai une mauvaise perception des médecins en général. Elle dure depuis
longtemps et j’ai un très mauvais vécu sur le suivi de mon premier accident cardiaque.
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Qui était suivi par votre médecin traitant ?
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Ouais. Mon médecin traitant il était en dessous de tout. Une incompétence notoire. Dans
la prise en compte de la dimension humaine de la maladie.
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C’est à dire ?
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Ben… dès que je lui parlais d’un mal vivre il fuyait. Bon… je pense qu’il comprenait ce que
je disais. C’est pas un idiot. Mais je crois profondément que ça lui renvoyait tellement le
sien que il était incapable de bouger quoi. Donc pour lui ces choses-là ne se traitent qu’à
partir, qu’à base de volonté, de coups de pied dans le cul, auto-infligés. Voilà. [rires]
17
C’est une vision un peu étriquée…
18
Ah ouais ouais. Pour être concret je lui ai dit « qu’est que vous pouvez m’apporter ?
J’arrête de fumer, j’ai posé mon paquet de clopes depuis une semaine, qu’est-ce que vous
pouvez m’apporter, qui est ce que je dois voir, un psy à l’hôpital, je sais pas, des machins,
des médicaments… non tout ça c’est affaire de volonté. Vous laissez votre paquet de
clopes et basta. Pas un patch rien. On est arrivé à parler de B.. Je lui ai dit mais il y a B. qui
existe. Un mec comme vous à 47 ans quand il a fait un infarctus il a qu’à galoper tout seul.
Texto.
19
Aujourd’hui vous avez ?
20
50.
21
Et donc à partir de là vous avez changé de médecin ?
22
J’ai plus vu de médecin, je voyais le cardiologue. J’ai jamais eu de grippe, ou de connerie
comme ça. J’ai jamais de bobos que des trucs… je suis jamais malade. A part ces problèmes
cardiaques donc j’allais pas le voir. Là ouais j’ai décidé de changer. J’ai pris rendez-vous
avec un autre et puis je suis gentiment allé le voir pour qu’il me donne le dossier médical
et que je parte avec. Oui. Y’a un peu de confiance qui doit s’établir. Y’en a pas vous vous
barrez voilà. Enfin je crois.
23
Quand vous avez fait votre angor il y a 4 ans, est ce qu’avant ça vous étiez suivi pour des facteurs
de risque ?
24
Non. Non c’était de ma faute. Ils avaient diagnostiqué 4 ans avant du cholestérol et je
m’en étais pas occupé.
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Et avant ça rien, pas de liens particulier avec le milieu médical ?
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Je dois voir le médecin 2 fois par an mais rien de plus.
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Est-ce que vous vous souvenez du jour où le médecin vous a trouvé du cholestérol, est ce qu’il vous a
expliqué ce que ça impliquait ?
28
Euh ouais. Vous avez du cholestérol, il faut arrêter de faire la fête et se mettre au régime.
Point. Y’a qu’à. Ouais c’était ça parce que j’avis des triglycérides et du cholestérol, c’est
vrai que j’étais dans une période un peu festive on va dire. Et ouais ouais c’était ça. Va
falloir vous mettre au régime et arrêter de faire la fête.
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Et quelles conséquences ça a eu sur votre quotidien ?
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Je l’ai pris pour un clown. Et… mais j’ai pas compris que c’était ma santé quand même.
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Qu’est-ce que ça représentait pour vous le cholestérol ?
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Rien parce que je sais pas moi. C’est comme si on m’avait parlé en chinois. Il me dit du
cholestérol et des triglycérides. Oui mais j’en fais quoi moi, je les mets en bouteille et je le
vends ou… [rires]. Non mais ça n’avait pas de sens et il ne m’a pas permis d’en mettre
donc je suis rentré chez moi comme j’en étais parti. Avec pas de plus de sens et autant de
cholestérol. Voilà. Et peut-être un peu plus de culpabilité ouais. Il te faudrait moins faire
la fête. En plus. Ouais finalement je suis rentré avec du négatif. [rires].
33
Vous en avez parlé autour de vous ? A votre femme, à vos enfants…
34
J’ai dû en parler avec mon épouse. Non ça m’a pas perturbé plus que ça. Ça avait pas de
sens quoi. Bon ok le cholestérol c’est quoi, c’est du gras dans le sang. C’est parce que je
bouffe trop de canard et qu’est-ce qu’on en a à foutre quoi.
35
Vous ne faisiez pas le lien avec le risque cardiovasculaire ?
36
Non. Non.
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Pas d’antécédents quelconques dans votre famille ?
38
Y’a 8 ans j’avais 40 ans. Mes parents en avaient 65. Mes oncles et tantes pareil, plus ou
moins 5. Aucun n’avait eu de problème. Maintenant ils en ont tous eu. Des antécédents
j’en ai… mais à l’époque non. Mes parents, mon père, ma mère, mon oncle. 3 ou 4 de mes
oncles et tantes. Des deux côtés. Qui ont des stents au moins. Qui ont des pathologies
coronariennes. Presque en même temps que moi.
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Pour en revenir au séjour, qu’est-ce que vous en avez pensé ?
40
Ce qui m’a surpris ici c’est leur capacité à faire ce que nous croyons tous bien sur le plan
théorique mais que peu de gens arrivent à faire, c’est de placer le patient au centre d’une
réflexion interdisciplinaire. Euh, quand j’étais en retard ce soir parce que j’avais un
entretien proposé par Julie la prof de sport qui avait discuté de mon cas avec la psycho, la
diététicienne, qui avait regardé le dossier médical qui avait compris pas mal de choses,
sur la pathologie, l’individu, le machin le truc et qui à trois se sont dit moi je lui propose
ça, toi tu lui proposes ça et puis voilà. Y’a une vraie prise en charge, mais au sens le plus
complet que je connaissais. Voilà. C’est étonnant. Je sais pas qui manage les équipes
comme ça pour arriver à générer ça mais le mec il est bon. La personne est bonne.
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Sur l’entretien avec Julie, vous vous êtes dit quoi ?
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Il s’est dit… ça concernait… c’est vrai maintenant que vous m’y faites revenir… ça
concernait une demande de ma part que je n’avais jamais exprimée. Tu vois c’est un mec
qui devance en plus. Euh… moi j’ai un rapport au sport… bon, ça va quoi. Mais je me rends
compte que si j’en fais pas ça va pas aller. Donc je commence à évoluer là-dessus et j’ai
effectivement une certaine crainte de pas pouvoir continuer même si ça me plait etc. et
donc j’attends des outils, des trucs, une discussion, une réflexion, pour être capable de
mettre en pratique un programme. Donc j’attends aussi un programme. Donc j’attends
aussi les fondements de ce programme. Sur quoi ça se base. La fréquence cardiaque, la
tension j’en sais rien.
43
C’est important pour vous d’avoir des explications rationnelles…
44
Ah si je fais sans comprendre je ferai pas longtemps. Elle m’a amené ces trois choses.
Alors que je l’attendais et que je l’ai pas demandé. Je m’en rends compte. Elle m’a amené
un programme, les fondements de ce programme et des outils et des trucs pour tenir
quoi.
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Elle vous a proposé des moyens de vous investir davantage dans l’activité physique qui est proposée
au sein du centre ou est ce qu’elle vous a donné des pistes pour mener plus d’activité une fois
dehors ?
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J’ai du mal à m’investir dans des activités sportives indépendamment de B.. Ce qu’elle m’a
amené c’est… voilà comment ça se passe comment on crame les graisses et les sucres.
Donc transposé sur une heure de marche voilà ce que ça donne. Pour que ce soit efficace,
une heure de marche voilà comment il faut que ça marche sur le plan cardiaque,
fréquence maximale théorique ou pas théorique. Pour que quelqu’un comme vous tienne
bien dans la durée et soit efficace, et ben il faut qu’il fasse tant de séances de sport, qu’estce que vous avez envie de faire. A partir de là on a bâti un programme, on a bâti tout ce
truc-là. Alors évidemment ça veut dire que c’est à mettre en route ici, pouvoir en discuter
la semaine prochaine et que je puisse partir outillé chez moi.
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Pour rester un peu dans le même domaine, vous étiez sportif à l’époque ? Quelle place avait le sport
dans la famille ?
48
Mes parents me disaient « il faut pratiquer du sport ! ». voilà c’est de l’injonction
paternelle… il faut pratiquer du sport, à partir de là, j’ai pratiqué que du sport à part le
rugby qui m’emmerdait… profondément. Mais le rugby j’ai pas trop pu le continuer
puisque je changeais d’endroit très fréquemment quoi. Donc ouais quand j’arrivais à
rester 3 ans dans un endroit, un lycée ou un collège, je pouvais effectivement pratiquer ça
et jusqu’à bon niveau quand même. Mais après le sport qu’il y avait à pratiquer c’était se
lever le dimanche matin à 7h pour aller faire le cyclotourisme pendant 4h, 5h, 6h, 7h… à
se faire chier sur un vélo le seul jour où vous pouvez dormir quoi. Traduit dans le langage
de l’époque. Jusqu’à l’adolescence. Donc après y’a plus eu de sport. Après je faisais de la
montagne pour moi ouais. C’est plus l’environnement mental qui me plaisait quoi.
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Vous faisiez du rugby dans un club ?
50
Oui.
51
A quel niveau ?
52
Je me suis arrêté en junior et j’ai fait les championnats de France scolaires en cadet. Ça a
duré 5 ou 6 ans. Après ça que de la montagne c’est tout. Quand j’ai pu arrêter le vélo je l’ai
arrêté vite et puis après la vie professionnelle, familiale, les enfants petits, pas trop de
montagne, faut aller à la mer parce qu’ils aiment l’eau donc j’ai plus fait de sport. Je
faisais encore de la montagne quand mon premier fils est né. Jusqu’à l’âge de 26-27 ans.
Après terminé. 20 ans sans rien. Ouais c’est ça.
53
Votre femme est sportive ?
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Non.
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Et vos enfants ?
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Mes enfants, l’aîné est très sportif. Très sportif, c’est pratiquement son métier. Et les deux
autres, ma fille zéro, et le dernier pour ainsi dire zéro. L’aîné est sous-officier à l’armée, il
est instructeur commando, chasseur alpin. La seconde est étudiante et le troisième aussi.
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Est-ce que vous avez changé votre discours vis-à-vis de la santé, envers vous-même, vos proches,
etc suite à cet événement ?
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Moi j’ai eu deux épisodes cardiaques. Alors la réponse est pas la même suivant qu’on
prend le premier ou le second. Donc dans l’ordre si vous voulez, j’ai changé de discours
moi pour moi et pour mes proches sur le premier. Encore que j’ai pas trop changé par
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rapport aux autres. Mais moi j’ai changé ma perception des choses. Mais j’ai fait tout faux.
Quand je suis sorti de l’hôpital, on m’a donné un polycop en me disant voilà ce qu’il faut
bouffer, voilà ce qu’il faut pas bouffer, puisque t’as du cholestérol. Alors on m’a dit faut
pas manger de fromage, faut pas manger de graisses, faut pas manger ci- faut pas manger
ça. Bon… j’ai essayé de discuter avec quelqu’un j’ai dit ouais mais c’est quoi pas manger.
Ben pas manger c’est voilà.
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C’était une diététicienne ?
60
Diététicienne et après le médecin traitant. Et donc… une approche par la privation, bon
qui a tenu quoi mais qui n’a abouti qu’à une profonde dépression nerveuse quoi. Mais ça
j’en ai jamais parlé avec mes gosses, j’en ai parlé qu’à ma femme. Euh… et le second
épisode cardiaque je suis en train de changer de discours… mais je suis aussi en train de
changer de façon de penser quoi. Mais pour l’instant j’en parle pas beaucoup. C’est en
cours.
61
Le processus est enclenché quoi.
62
Ouais voilà c’est lié à B. quoi. Différemment. Même bien différemment.
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J’ai l’impression que B. joue un rôle très important, a l’air de bouleverser un peu certaines de vos
conceptions… et pas uniquement dans le domaine de santé non ?
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J’ai un peu de mal à répondre à votre question. Non pas que je la comprenne pas mais elle
est complexe pour moi. Je fais attention de pas surinvestir B.. Parce qu’on n’est pas au
paradis sur Terre ici, même si il est bien. Je crois qu’il y a une conjonction de situations
qui fait que je suis en démarche de changement personnel. J’ai volontairement enclenché
cette démarche de changement personnel avant B.. Je ressentais que c’était l’occasion
pendant 3 semaines de pouvoir voir les choses différemment, les pratiquer différemment.
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Dans un univers un peu clos…
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Oui où y’a pas de monde… et l’étonnement est que l’univers dans lequel je me retrouve ici
correspond parfaitement à ce que je pouvais imaginer, dont j’avais même pas imaginer
que je pouvais avoir besoin et qu’on m’amène quoi. Donc c’est bien, voilà. Donc
effectivement, ça a… bouleversé je sais pas. Ça dépend du sens qu’on met derrière ce mot.
Ouais ça remue beaucoup de choses ouais, mais dans le bon sens. Mais parce qu’il y a eu
beaucoup de choses remuées mais dans le très mauvais sens, et pendant longtemps. En
gros si vous voulez je suis passé à deux doigts d’un suicide quoi… y’a 3 ans. J’avais pris ma
bagnole j’étais à l’hôpital. J’ai dit voilà. Qu’est-ce que vous faites pour moi maintenant ?
c’est ou ça ou le Tarn. Voilà. Urgences psychiatriques et puis voilà. Parce qu’au bout d’un
moment on peut plus quoi. Enfin j’arrivais plus à vivre…
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A cause de …
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A cause de tout un système d’environnement qui fait que j’arrivais plus à vivre avec ce qui
m’était arrivé et ce que je m’imposais.
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La privation…
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Ouais tout ça et quand c’était pas la privation c’était la culpabilité liée aux sorties de rails,
c’était intenable quoi.
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Vous vous culpabilisiez... ou les autres…
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Non c’était moi. J’ai pas besoin des autres pour faire ça. Si des fois ça pouvait être le
toubib aussi. Si, en gros quand vous faites part à quelqu’un de vos doutes sur, j’ai la
trouille de reprendre à fumer par exemple. Ben le mec il vous regarde et vous dit c’est
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qu’une histoire de volonté, avec un grand sourire, « t’es une merde mon pauvre si tu
fumes ». Donc j’ai eu vraiment la trouille d’être une merde. Et puis il se passe pas en trois
au 1er janvier où vous tirez pas une bouffé de clope. Enfin moi ça m’est arrivé deux fois de
tirer deux taffes quoi. Et là ben je me suis dit t’es une merde. Voilà. C’est con.
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Vous avez fumé longtemps.
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Dès l’âge de 16 ans jusqu’à 46. 16 cigarettes par jour, entre 16 et 20. Du tabac à rouler, le
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même.
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Sur la prise en charge, vous avez noté des incohérences entre les différents intervenants ?
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Non. Y’a pas de dis-cohérences. J’aime pas dire d’incohérences dans ce cas-là. Enfin moi
j’en ai vraiment pas ressenti et je suis très attentif à ça. Ici. Y’a pas mal d’incohérences
entre ce que je savais, ce qu’on m’avait dit, ce que je croyais savoir et ce que j’apprends
ici. Ouais ça ouais. Entre l’information avant et autour, et l’information ici et maintenant,
là y’a un gros trou, diététique, cardiaque et tout ce que vous voulez.
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Vous avez un cardiologue à l’extérieur ?
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Ouais. Le cardiologue il vous parle pas. Vous avez déjà vu un médecin qui parle vous ? il
m’ausculte et puis. J’ai une bonne cardiologue maintenant. Mais bon, un jour on m’a
clairement dit, bon vous faites chier avec vos conneries de question, vous allez partir à B.
et ils vont répondre à toutes vos questions. Moi je suis là pour sauver des gens, je suis pas
là pour répondre à vos questions. Mais elle est rigolote. Mais au moins elle, elle ose le
dire. Bon si vraiment elle m’avait vu en état de détresse, elle aurait répondu à mes
questions. Mais je trouve qu’elle répond parfaitement elle, et de manière verbale, ce que
les autres pratiquent, sans même sans rendre compte ils le pratiquent. Voilà. Un
cardiologue est pas là pour vous parler, il est là pour vous brancher, faire tout ce qui. Sauf
ici. Il est là pour vous écouter et pour vous parler. Accessoirement il vous branche. [rires].
80
Sur la surveillance médicale, qui est un aspect de la prise en charge, vous trouvez que c’est en
retrait par rapport à la dimension humaine ?
81
Non je crois qu’elle est là aussi cohérente et adaptée à l’individu. C’est à dire qu’il y a des
mecs qui arrivent ici qui sont vraiment esquintés quoi. Et y’a des gens comme moi, le
dernier accident cardiaque il était du mois d’avril, la pose du stent. Donc y’a 6 mois ou 5
mois quoi. Depuis j’ai galopé partout. Donc qu’est-ce que… j’ai pas plus de risques en
venant ici que quand j’étais en vacances il y a un mois à faire le con sur un rocher avec les
copains. Donc du coup ils sont pas en retrait par rapport à moi. Mais ils sont pas non plus
dans un acharnement qu’ils pratiquent pour Georges qui lui est un transplanté cardiaque
à qui ils ont tout enlevé quoi. Et tout remis. C’est pas pareil. Donc là ouais, ils me font des
trucs… ouais si ils me gonflent avec la tension le matin à 7h ouais. C’est sur-médicalisé là.
82
De vous prendre la tension ?
83
Non mais je sais pas pourquoi ils le font. Ils doivent avoir de bonnes raisons. Entre
quelqu’un qui sort d’un pontage coronarien, y’a 5 jours, de Pasteur, et 5 jours après se
retrouve ici, avec des points de là à là. qui fait comme ça il a mal partout, qui a une
trouille de tomber raide mort d’un arrêt cardiaque tout de suite. Et moi qui aie entre
guillemets une vie apparemment normale… on est dans le même centre. On peut pas le
suivre de la même façon. Ben même ça ils arrivent à le faire. Ils m’emmerdent pas. Donc
c’est pas en retrait. Je le considère pas en retrait pour moi. C’est… bien.
84
Je suis d’une docilité ici, je fais ce qu’on me dit. Et ça me va. Pas de faire ce qu’on me dit.
Ce que je fais me va. Mais je fais ce qu’on me dit. Pas moins. Je trouve c’est bien. Ils sont
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pas en décalage médical non plus, enfin je crois pas. Moi quand je regarde, je trouve c’est
assez discret y’a une surveillance permanente à mon avis mais qui est pas prégnante quoi.
Ils nous prennent pas le chou. Mais vous avez un défibrillateur dans toutes les pièces.
85
Qu’est-ce que ça évoque pour vous ce détail ?
86
Une structure spécialisée, des gens… je veux dire on pourrait avoir un défibrillateur ou
deux dans l’établissement. Un quand on va au lac et un qui reste là. et voilà. Et là vous en
avez un dans chaque pièce. Tout est prêt. Y’a une idée de protection… moi je me sens
protégé ici.
87
Pas sur-protégé ?
88
Je sais pas. Je verrais plus tard. Dimanche j’ai eu le droit de sortir. Je suis rentré chez moi.
J’habite Montauban. Je suis rentré chez moi et avec ma femme on est allé boire un coup
sur la petite place. Ça fait bizarre. Ça fait bizarre. Je crois que c’est normal le fait d’être
coupé mais j’ai aussi moi volontairement joué le jeu quoi. C’est à dire que je n’ai jamais
mon téléphone sur moi. Enfin pas celui qui sonne, j’ai celui qui joue de la musique mais
celui qui appelle… non. Voilà. J’ai donné mon numéro de téléphone à 5 personnes. Mes 3
gosses, mon frère et ma femme. Si mon père aussi. Donc effectivement je suis coupé du
monde… mais là c’est moi qui me protège c’est pas le centre. Et comme je vous disais tout
à l’heure c’est bizarre. Parce que je me suis mis dans un état d’esprit et je trouve ici une
structure qui correspond parfaitement à l’état d’esprit dans lequel je me suis mis. Je me
suis dit il faut que tu te protèges, que pendant 3 semaines tu t’occupes de toi. Et j’arrive
dans une structure qui est assez protectrice et qui implique que pendant 3 semaines il
faut se recentrer sur soi. Impeccable.
89
De quoi vous parlez avec les autres patients ? Vous vous entendez bien avec eux ?
90
Ouais s’entendre bien avec les gens du centre… ouais. Ouais. Oui oui. Mais de manière très
superficielle. De quoi on parle ? Alors y’a un sujet de conversation, moi dont j’entends
parler autour de moi, j’essaie de pas participer parce que moi il me gave trop, c’est « la
crise, ma brave dame ! », ouais c’est ça, des conneries… voilà. Ou alors le fait qu’on est
surveillé ici, qu’il y a des caméras partout, des trucs de taré quoi. Donc ça j’y participe pas.
Je me casse. Autrement ouais on échange sur… tiens t’as fait quoi, le planning quoi. Et les
activités puis le petit vécu sympa autour de ces activités quoi. Voilà. Donc très superficiel.
91
Pas de conversations autour des raisons qui vous ont amené à B. ?
92
Alors si. Souvent. Euh. Au début ouais, la première semaine. Après non. Fini. Je crois que
j’en ai pas reparlé. Sauf quand quelqu’un qui vient de rentrer quoi. Mais ponctuellement
quoi. Autrement on échange sur les pathologies un peu au départ. Après c’est fini.
93
Qu’est-ce que ça représente pour vous la maladie cardiovasculaire. Vous vous considérez comme
malade ?
94
C’est marrant ce que vous me demandez ? Pour qui vous bossez ?
95
C’est à dire ?
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Ouais cette étude elle est faite…
97
C’est une thèse.
98
Qui a décidé du sujet ?
99
Du sujet précisément c’est moi, du thème ça vient d’un contrat de recherche avec l’INPES.
100
D’accord. Euh… non c’est marrant ces questions-là.
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Euh j’ai découvert ici que c’était une maladie. Pour moi, je pensais que c’était un accident
cardiaque. Et qu’à partir du moment où il y a accident, dans ma perception des choses, qui
dit accident, à part de sortir les pieds par devant, y’a deux sorties possibles, l’infirmité ou
le réparé, en gros. Et donc j’étais dans cette dimension-là. Et ici j’ai compris que l’accident
cardiaque c’est pas l’intéressant, ce qu’il faut raisonner, c’est en fait l’existence d’une
vraie maladie qui est… je sais pas si ça s’appelle exactement comme ça, qui est
l’hypercholestérolémie. C’est tout. Donc ça m’oblige à voir les choses différemment. Et
après je me suis rendu compte que ça m’obligeait pas, ça me permettait de voir les choses
différemment. Donc t’es malade donc tu te soignes. Un accidenté une fois qu’il est réparé
il dégage. Donc c’est bon quoi. Tandis qu’un… t’es malade bon tu te soignes, puis y’a une
certaine récurrence, y’a tout ça. Voilà.
102
Vous êtes traité depuis longtemps pour le cholestérol ?
103
Non depuis le premier accident cardiaque. 3 ans 4 ans.
104
Et le fait de prendre un traitement ça vous…
105
On m’a expliqué que ce traitement c’était pas pour me soigner c’était pour me prévenir
d’un autre accident. Seulement j’en ai pris une deuxième couche alors. En plus. Donc on
m’a pas expliqué cette maladie qui consistait à avoir une problématique de cholestérol
quoi. Qui fait que dans mon cas j’en sais rien, parce qu’on veut pas prendre le risque de
savoir mais il se peut que si j’arrête les médocs je continue à être en hypercholestérol et
puis voilà. Contrairement à ce que le docteur « y’a qu’à » me disait c’est pas lié à la bouffe
quoi. Ou pas que. En gros ce qu’ils me disent aujourd’hui. Donc ça aussi c’est à la fois
frustrant de se dire « pauvre con le toubib il sait même pas ses cours alors qu’on leur
demande que ça. En plus de pas savoir que l’homme a une tête sur les épaules, il sait
même pas comment marche un foie ce crétin. Donc… c’est assez frustrant a posteriori de
se rendre compte de tout ça, parce que quand l’autre il me disait il faut arrêter de faire la
fête il faut se foutre au régime ça aurait fait quoi ? Probablement pas grand chose.
106
Justement vous me disiez tout à l’heure que depuis 4 ans vous preniez un traitement censé prévenir
les risques, d’avoir fait ce 2ème accident… est-ce qu’après ça vous n’avez pas été demandeur
d’explications envers le milieu médical…
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Mmh. Si. Si. Et on va de pire en pire. J’ai été demandeur mais en même temps il m’a fait
faire des analyses, il m’a dit les facteurs de risque et tout. Et on s’est rendu compte que
j’avais vachement de sucre. Mais on m’a pas demandé pourquoi j’avais vachement de
sucre. Il s’est pas intéressé au pourquoi. Il m’a expliqué qu’il fallait arrêter de faire la fête
et de boire. Et qu’il fallait se méfier comme on était au printemps qu’il fallait se méfier
des cerises. Qui amenaient vachement de sucre. Voilà. Il m’aurait posé deux questions
j’aurais pu avoir le temps de lui expliquer que. A force d’arrêter les matières grasses, les
protéines et tout, j’avais compensé sur le sucre. Et que je bouffais couramment avec du
yaourt zéro pourcent, un demi-pot de confiture. Mais pour moi je prenais aucun risque
avec le sucre. Parce que je savais pas. Or les trigly ils vous bouchent autant que le
cholestérol. Et ça je savais pas. Donc j’ai eu l’explication. Un peu tardivement. Il manquait
plus qu’il me dise c’est qu’affaire de volonté d’arrêter la confiture quoi. Bon ben là je lui
foutais mon poing dans la gueule je me barrais quoi. [rires]. A un moment donné il faut
réagir quoi. Non mais c’est vrai. Non mais c’est pas des blagues hein. Je le raconte avec un
peu d’humour mais… mais… mais c’est sérieux, c’est ça qu’il dit. Et c’est pas un mauvais
médecin je suis sûr. J’ai vu pire. J’ai des copains qui sont plus mal soignés que moi. Oh ils
sont pas tous comme ça.
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Annexe 2b : Entretien avec M. B
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A la maison comment ça se déroule la cuisine ?
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C’est vachement variable. On n’est pas en tâche partagée parce qu’on est pas
suffisamment bon pour tenir la grille des repas. On est tous les deux dedans. Si c’est elle
qui rentre c’est elle qui fait à bouffer. Ou alors j’ai pas envie de faire à bouffer tu fais ce
que tu veux. Ça se fait comme ça doit se faire. Elle fait plus fréquemment à manger que
moi. On fait les courses ensembles parce que c’est un moment. Parce qu’elle sait pas
choisir la viande et que je sais très bien choisir la viande et ça nous permet de parler
autre chose que de boulot. C’est pas très romantique de faire les courses ensemble mais…
c’est sympa. On partage au moins sur t’as envie de manger quoi. C’est mieux que rien.
Donc les courses ensemble, la bouffe, c’est assez simple. Je veux dire on passe pas trop de
temps. Ponctuellement elle peut passer du temps à faire un repas pour… si on a du
monde, des amis, de la famille, des trucs comme ça. Mais autrement dans le quotidien on
va vite quoi. On cuisine vite. Accessoirement on mange vite aussi. Je sais pas si c’est lié. On
fait des choses simples.
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Et les week-ends, vous les consacrez à quoi ?
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Mmmh. La dernière année… on a beaucoup d’occupations liées à la construction parce
qu’on aime bien rénover ou construire. Donc là l’an dernier c’était beaucoup de week-end
sur le placo, l’électricité, les plans, voilà. Avant c’était pareil c’était à la montagne. C’est
pas la bouffe oui. C’est pas la bouffe. Quatre fois par an on fait de la cuisine le week-end
pour la semaine. C’est tout. C’est pas que ce soit accessoire mais c’est pas un passe-temps.
On aime les trucs bien, la cuisine rapide et sympa. Je sais pas ça fait plusieurs fois qu’on
voyage en Asie, notamment en Inde. Bon. on a surinvesti la cuisine indienne pendant 2 ou
3 ans. Bon après je sais pas on fera le Pérou ou le Mexique. J’en sais rien.
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Quand vos enfants étaient encore à la maison y’avait un rythme particulier ? Les repas étaient plus
structurés…
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Les repas sont structurés. Les repas ont toujours été structurés. Trop rapides. Les repas
sont toujours un moment où on se retrouve. Alors si on est deux, on est deux, si on trois
on est trois. Ou quatre. Ben les enfants étaient plus intégrés à la préparation. Maintenant
on est deux. Avant on était trois. Tu veux manger quoi, ben tu t’occupes de la salade de
tomate, je fais la vinaigrette. On partage ce moment dans la répartition des tâches mais
c’est pas l’idée d’en faire faire à tout le monde parce que c’est emmerdant de le faire mais
tout le monde est associé à ce moment-là. Voilà.
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Pour changer un peu de sujet, au niveau de votre activité professionnelle, qu’est-ce que vous
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faites ?
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Je suis en pleine mutation professionnelle. Parce que la mutation elle est plutôt devant
que dans l’actuel. Je suis consultant. Je conseille des entreprises sur l’aspect marketing
donc je fais du conseil à des directeurs marketing à des chefs d’entreprises, et des études
marketing, sur le plan du comportement des gens par rapport au produit. Et ça je le fais
dans l’agriculture. Voilà.
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Et votre femme ?
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Elle est prof. Et mon travail me prenait beaucoup. Trop.
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C’est un rythme de travail qui vous laissait du temps pour avoir un rythme stable sur le plan
alimentaire par exemple…
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Est ce qu’il me le laissait je sais pas. J’ai toujours été attentif à le prendre. J’ai fait des
repas sandwich comme tout le monde mais c’est rare. Je sautais de manière très très
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Annexe 2b : Entretien avec M. B
exceptionnelle des repas. J’incluais le repas dans les moments de détente. Donc même si
j’étais à la bourre dans tout ce que je voulais, à un moment donné on peut plus produire
parce qu’on en peut plus. Ben je me débrouillais pour que cette demie heure-là tombe à
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20h ou à 13h quoi. Voilà. C’est vachement important.
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Pour toute la famille…
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Oui oui. C’est aussi un moment où je fais passer à ma famille, ben même si je suis à la
bourre je reste dispo quoi. Au moins ce laps de temps. Voilà.
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Votre parcours de formation avant de devenir consultant ?
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Je suis ingénieur agronome, après j’ai fait l’institut de préparation aux affaires, enfin
l’IAE. Et après quelques années d’expérience j’ai repris en 3ème cycle de… management de
l’innovation. Et là je sais pas si je vais pas reprendre des choses.
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Et vous avez rencontré votre femme…
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Ma femme actuelle n’est pas la mère de mes enfants. Nous nous sommes rencontrés
dans… ouais dans le 3ème cycle. J’avais 30 ans.
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Vous avez vécu un certain temps seul avec vos enfants ?
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Non mes enfants venaient à la maison je vivais avec mon ex-femme jusqu’à l’âge de 30 ans
on a eu 3 enfants. Et je me suis séparé d’elle, je me suis non pas marié mais je me suis mis
à vivre avec ma femme actuelle, puisqu’on est marié depuis 4 ans. Et puis là les enfants,
ma fille a décidé de venir à la maison, puis après elle est repartie, puis elle est revenue,
puis mon fils est venu. Et puis voilà. Donc on avait tout le temps un des trois gamins qui
vivait avec nous. Il faisait leur choix par période d’une année scolaire. Ben comme on
habitait pas loin de leur maman, ça pouvait le faire sans pour autant couper la fratrie
quoi.
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Votre rapport à la santé de manière générale ? Vous êtes plutôt attentif, consommateur…
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Plutôt par le médecin. Ben un peu au début… la seule fois où je suis allé sur Internet pour
des questions médicales, c’était juste après mon premier accident cardiaque. Ouais. C’est
tout. Après je suis pas retourné. C’est compliqué quoi. Ben il faut vraiment avoir les billes
pour comprendre ou après vous tombez sur les formes de discussion avec les mémères à
chat quoi. Bon c’est bon. La mère Michu. On trouve tout. Après je préfère aller voir le
médecin quoi.
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Aujourd’hui vous faites une activité physique dans des clubs, des associations…
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Non. J’ai pas souvenir. Non non. Ni sportif ni…
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Comment votre entourage a réagi par rapport à votre accident ?
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Comment ils ont réagi ? Comme tout le monde. Enfin comme tout le monde. Disons qu’ils
ont eu peur. Que ce soit mes enfants ou ma femme. Puis après ma vision est un peu
brouillée par ma difficulté de vivre que j’avais après. Je sais pas je peux même pas vous
dire. Je crois que je leur en parlais même pas. Après je me suis recentré, les difficultés
étaient telles que je n’arrivais à faire qu’une chose à ce moment-là… quand est ce qu’elle
est née cette pitchounette ? Ma petite fille est née et je sais pas, un an après mon premier
accident cardiaque. J’avais un peu de temps et j’ai pu m’en occuper un peu. Un jour par
semaine. Ça lui évitait d’aller à la crèche, se lever de bonne heure et tout ça. Pendant que
sa mère partait à la fac son père allait au boulot. Donc je me suis occupé de ma petite fille.
Point. J’arrivais à faire que ça. Donc je sais pas comment ils ont réagi. Choqués au départ.
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Votre femme actuelle a des problèmes de santé ?
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Annexe 2b : Entretien avec M. B
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Du tout. C’est une rude. Mes enfants non plus. Rien de déclaré particulier. Une lourde
hérédité sur le cholestérol.
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Avérée ?
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Ah ben entre leur mère, leur père et leurs grands-pères au pluriel… mais ils sont pas
diagnostiqués non. Juste une lourde hérédité. C’est tout.
140
[…]
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C’est intéressant votre problématique d’étude, je réfléchissais par rapport à mon
problème personnel, et je me demandais, qu’est ce qui fait que tout aurait pu ne pas
arriver ? Qu’est-ce qui aurait pu faire que ce risque-là soit vraiment a minima. Moi je
connaissais pas mal de chose sur la diététique par ma formation, sur la biologie par ma
formation. Et pour autant je me suis pas rendu compte que ces connaissances-là avaient
vieillies et pouvaient évoluer. Donc déjà on se voit pas vieillir et pas dans ses
connaissances. Le deuxième, c’est on croit savoir. Et non. Le deuxième point c’est que y’a
tout une période où moi, de ma vie, en tant que jeune cadre dynamique, patron de boîte
et tout le merdier, en gros y’a des moments de la vie où on n’a pas envie de savoir des
choses. On est préoccupé par d’autres choses et le reste… pfff… ce qui veut dire que le
message de santé publique… je pense… si on veut être bon… après si on veut être con c’est
leur problème… il a intérêt à la fois toucher les gens qui sont sensibles à l’information de
santé mais en même temps à des tranches de gens qui dans une phase de vie particulière
sont sourds… enfin sourds… une surdité sélective, voilà. Donc j’avais les connaissances, la
culture, les outils d’information pour savoir ce que je risquais avec le cholestérol.
D’accord ? Je suis pas allé le chercher parce que j’avais autre chose à foutre à cette
époque-là. Alors après on peut me dire ouais mais c’était ta santé… pfff… vas-y raconte.
C’est comme ça… ma vie elle était comme ça… et je pense qu’il y a des millions de mecs
comme moi. Je dois pas être unique. Derrière ça par contre… qu’il y ait pas un médecin
qui soit capable de dire écoute mon vieux, t’as du cholestérol, t’as 40 ans, tu fais la
bringue parce que tu bosses comme un taré toute la semaine, d’accord, et le samedi soir
tu bois des canons avec tes potes… ok. En gros il fait pareil parce qu’il avait le même âge
que moi. Le problème il est que tu dois savoir que le cholestérol, ça va te boucher tes
coronaires, rien que ça. Et qu’on peut… régler les problèmes de cholestérol comme ci
comme ça. Rien que ce message. D’accord ? C’est pas très compliqué. Et vraiment ça je l’ai
pas entendu. Mais y’a 10 ans… y’a 8 ans je crois qu’il était pas dit quoi. On savait que le
cholestérol alimentaire c’était 20-30% de la problématique… voilà. Y’a 8 ans. Y’a 3 ans
c’était encore pire parce que y’a 3 ans on m’a dit vous mangez plus d’œufs. Et ici on vous
dit 6 par semaine. Voilà. Donc c’est pas… moi ça me paraît pas très compliqué. Mais bon
c’est toujours affaire de professionnalisme aussi quoi.
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C’est sûr que le savoir scientifique et médical en particulier a ses propres limites…
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Un médecin normal ne sait pas donner des informations parce qu’il a une problématique
dans son rapport au savoir, il a passé 7 ans à essayer de baiser tous ses copains pour avoir
le concours lui et pas les autres. Et ils sont pas là pour vous donner de l’info. Ils vous
donnent pas d’info. C’est très rare. Ils vous soignent. Il a à soigner le patient. Mais soigner
c’est pas informer… tandis qu’ici… c’est plutôt… on va te soigner t’inquiètes pas ça fait
2000 ans qu’on le fait y’a pas de problème. Mais d’abord on va t’apprendre quelques trucs.
Voilà c’est là qu’ils sont différents.
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