Lire un extrait - Editions Persée

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Au creux du village planétaire…
la chaumière de l’Emmanuel ?
Guy Delhaye
Au creux
du village planétaire…
la chaumière de l’Emmanuel ?
Essai
Editions Persée
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© Editions Persée, 2014
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Editions Persée — 38 Parc du Golf — 13856 Aix-en-Provence
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Sommaire
Avant-propos.. .......................................................................... 9
1. Nazareth ................................................................................ 19
2. Chemin faisant de la société paysanne
.. ...................................................... 105
3. la chaumière ..................................................................... 175
ou postmodernisme
I n’faut niè avoi peu dè d’viser avè Jèsus… cangez nos
cœurs dè pierre in cœurs tout cauds…
(cf. messe en patois montois)
À mon épouse chérie, D,1 et aux cinq enfants (C., T., F., A., M.)
qu’elle m’a donnés et qui ont tant de prix à nos yeux, aux beaux­enfants qui nous ont rejoints (C., E., A., L.) et aux petits-enfants
si aimants qui nous ont si souvent mis en joie (A., L., E., C., M., Q.,
G., H., M., L.)
Ces quelques lignes qui sont porteuses de ce qui nous a sollicités
de meilleur2 tout au long de nos jours !
. Il faut être deux pour nommer une aurore (Bachelard)
1
Je fête l’essentiel. Je fête ta présence (Éluard)
2.
7
« Nous mangeâmes ensemble, nous partageâmes le pain et
nous bûmes à la même coupe et nous nous réjouîmes d’être
ensemble » (Gerd Theissen (1)). »
« M’aimes-tu ? » (Jean, 21, 16)
Avant-propos
Voici les grandes lignes de ma prise d’écriture.3
Jésus le Galiléen hante sans doute toujours un peu la
conscience de nos contemporains ou leur inconscient
collectif (1).
Je vous ferais quant à moi et d’entrée de jeu une confidence : « l’homme de Nazareth » (2) me sollicite le mental
et l’affectif depuis mon enfance au Pays des Rièzes et des
Sarts4. Ainsi, j’avais dix ans et j’allais dire bonjour à une
. Un essai qui se revendique de ma conviction intime en sa subjectivité « postmoderne »
cf. La foi du mutant
3
« Je n’aurais pas voulu mourir sans témoigner » (Bernanos) (145)
. Au Sud de l’Entre-Sambre-et-Meuse belge. Mon père y était instit, ma mère était
connue comme la « femme forte » (elle assumait dans le village la cause des tout-petits
et celle des jeunes mamans)
« Nous avons été élevés par de trop bonnes mères, trop patientes, trop courageuses…
avec leurs tendres cœurs vaillants, inflexibles » (Bernanos) (145)
Mes délicieux parents m’ont soutenu dans une quête qui n’a jamais pris fin… nonobstant ses zones d’ombre en leurs turbulences trop souvent égocentriques
4
9
vieille dame de mon village, Eugénie, qui avait vu sa maison
partir en fumée (et elle n’était pas bien assurée…). Après le
sinistre, et quelques péripéties, Eugénie s’était repliée dans un
chalet pas trop confortable que l’on avait mis à sa disposition
dans une venelle terreuse. J’eus alors une sorte d’intuition :
elle refaisait quelque part l’expérience qui fut celle de Jésus
et des siens à Bethléem et à Nazareth. Je le dis à ma vieille
amie « peu mystique » qui m’a écouté toute pensive… avec
l’attention d’un enfant qui apprend une vérité sur lui-même5.
Des gens de Galilée en ce qui les concerne avaient fini par
dire du fils de Marie qu’il était « l’Emmanuel » (« ils crieront
son nom Immanou-El) (Math.1, 23)6, Dieu avec nous, parmi
nous, avec nous Dieu7 dans notre condition. Et lui-même avait
eu cette réponse plus qu’étonnante quand ses compagnons de
route l’avaient interpellé par la bouche de Philippe à propos
de cet « Abba »8 dont il se réclamait volontiers. Il s’était
. ainsi que Françoise Dolto (3), Brazelton et Titran nous le feront observer par la suite.
5
Notons que Bethléem retenait davantage mon attention juvénile que Nazareth (les
historiens ont inversé la tendance donnant plus de réalité à Nazareth)
. Traduction de Chouraqui (2e version, bible intégrale)
6
. « Avec nous Dieu », une traduction de Sœur Jeanne d’Arc qui note que le terme d’Emmanuel est repris à Isaïe (7-14 et 8,8-10) et que le dernier mot de Jésus sera « Je suis
avec vous » (Math., 28,20)
7
. L’usage de ce terme familier « abba » (papa) pour renvoyer à Dieu est l’innovation
de langage la plus importante de Jésus parmi ses « ipsissima verba » selon Joachim
Jeremias (4)… un vocable chargé d’une telle tendresse fusionnelle ! (« père » ou « abba »
(Sr Jeanne d’Arc à propos de Math. 23-9))
C’est quand le petit enfant apprécie le goût du froment (c’est-à-dire quand il est sevré)
qu’il prononce « abba », « imma » (papa, maman). Ce sont les premiers sons qu’il
balbutie (id.4)
8
10
presque emporté : « je suis avec vous depuis si longtemps et tu
ne me connais pas Philippe ; celui qui me voit, il voit l’Abba »
(Jean, 14, 8-9).
Cette identification du Nazaréen à l’Abba9 n’a pas fini de
nous mettre sens dessus dessous et de soulever en nous dans les
temps forts de puissantes émotions, un émoi incomparable, un
embrasement du cœur et de l’âme. Quel est cet Emmanuel qui
passe l’essentiel de sa vie (en termes quantitatifs10) dans un bled
dont on ignorait généralement l’existence ? « Nazareth est un
trou » (Jacques Duquesne (5)). Nathanaël l’avait dit à Philippe :
« Que peut-il sortir de bon de Nazareth ? » (Jean, 1, 48).
Quoi qu’il en soit, le charpentier de Nazareth révolutionne
de fond en comble l’idée que l’on se faisait (et que l’on se fait
encore) du Dieu de nos pères ; un homme de mon Ardenne
natale, Victor, qui en prenait conscience « après le concile »
avait eu cette réflexion significative : « ce n’est plus le même
Bon Dieu ! »11
Et Foucauld pour sa part a été tellement chamboulé par
cette démarche du fils de Dieu qui se faisait tout petit dans
son hameau insignifiant12 qu’il a situé Nazareth au centre de
. Lui, c’est moi (au sens fort de l’identification)… mais quel est ce dieu pathétique
« misérable à la misère d’autrui » (Feillet) et qui présente un visage incroyable, renversant, que jamais nous n’aurions pu concevoir…
9
. Les « quatorze quinzièmes » de sa vie (Grosjean, 149)
10
. Le Christ en croix sacralisé, c’était le « Bon Dieu »… comme à Tancrémont près de
Spa et de Banneux (« Le vieux Bon Dieu de Tancrémont »)
11
. reformulation actualisée (« hameau insignifiant », une expression de Didier Decoin (6)).
Foucauld, l’aristocrate « massifié » (« au cœur des masses » (7)) parlait même de l’ab-
12
11
sa visée de converti et de mystique saharien13. En tout cas, la
perception nazaréenne de Charles de Foucauld a des accents
uniques dans l’histoire du christianisme.
L’Emmanuel, qui s’identifiait à l’Abba et qui surgissait
du monde des petites gens, il s’identifiera dans le même
mouvement du cœur à l’humanité souffrante de toujours.
« J’avais faim… j’avais soif… j’étais sans vêtement… j’étais
en prison » (Math.25, 35-36). « Vous m’avez donné un verre
d’eau » (Marc, 9,41). (Au Maroc, on lui aurait dit « tu es
chahbia… tu es issu du peuple, tu es bien des nôtres14 »).
Ses adeptes seront pris à leur tour dans ces affections « identificatoires » saisissantes (Nous (Je) – Toi ; Toi et les tiens !)
« Il y avait comme un feu dans notre cœur » (Emmaüs, Luc,
24,36). « J’ai perdu mon cœur pour ce Jésus de Nazareth »
jection choisie par l’Emmanuel (un extrême degré d’abaissement – Le Petit Robert) ;
cette façon de dire ne me convient pas vraiment, elle garde l’empreinte du réflexe high
class de Monsieur de Foucauld, elle pousse certes à fond la visée de Shaoul (Paul),
cet intellectuel enchristianisé qui fut d’abord, avant son chemin de Damas, une jeune
pousse prometteuse parmi les fils d’Israël : « Lui,… l’égal de Dieu… est devenu comme
les hommes… il s’est même fait plus petit encore (Philippiens, 2, 6-8)
. Le vicomte Charles de Foucauld (1858 -1916), officier français quelque peu bambocheur et viscéral, un tantinet libertin au début de sa vie d’adulte, ne pouvait plus
vivre désormais que dans la « voie nazaréenne » au cœur des masses (7) au milieu des
Touaregs (Tamanrasset et Assekrem) notamment. Foucauld cheminera sous le signe de
Nazareth sans rompre toujours avec un vécu « Algérie française » (à la Lyautey pour le
moins), nous sommes au xixe s-début xxe s). Il avait pour ses voisins musulmans une
considération on ne peut plus fraternelle et conviviale, il parlera et travaillera le tamachek… il a vraiment été perçu comme « frère universel ».
13
. Une marque d’affection qui avait frappé Malika Oufkir, au terme sa longue captivité vraiment trop injustifiée… les gens la reconnaissaient comme l’une des leurs. (La
prisonnière – Grasset 1999)
14
12
(Foucauld, lettre à son ami Gabriel Tourdes, 7 mars 1902),
« Vivre doucement de mes biens quand vous avez été pauvre,
gêné, vivant péniblement d’un rude labeur ; pour moi, je ne le
puis » (Foucauld, 8)
« Nous autres, gens des rues » : c’est ce qu’écrit pour sa
part Madeleine Delbrêl (9) qui est devenue une authentique
banlieusarde à Ivry, tout en mûrissant sa visée nazaréisante.
Van Gogh, évangéliste au Borinage, sera reconnu par les
mineurs comme l’un des leurs15.
« Je veux me tenir parmi les hommes, parmi leurs angoisses,
dira Etty Hillesum16, je voudrais être présente dans tous les
camps » (10) ; Etty se sentait atteinte personnellement par tout ce
qui leur arrivait et elle les accompagnera dans le train de la mort
sans y être contrainte à cette période-là. Elle n’était pas loin du
. Cf. Van Gogh au Borinage, Guy Delhaye, Le mouvement social CNRS, n° 155 avec les
extraits d’un poème de l’écrivaine boraine, Jacqueline Sentier : « t’as choisi nos corons…
tu d’as tant vu par ci… t’as bayè l’lit, tes draps, è t’as dormu par terre… tu vivras toudi au
cœur du Borinage… ». Le peintre écrit à son frère Théo en décembre 1878 « quoi qu’il fut
le fils de Dieu, (il) a travaillé dans un humble atelier de charpentier… » (même article)
15
« Beau monde des masures
De la mine et des champs…
Ils vous ont fait payer le pain
Le ciel la terre l’eau le sommeil
Et la misère
De votre vie » (Paul Éluard)
I (les teris) nous rappel’tè l’vie des carbeniés
borègnes…
el rude vie des mineurs et leu n’essploitation…
c’est l’feu du « fâte grisou » qu’a fait tant de
victimes…
L’s’eximpes de nous anciègnes èn s’ront niè sans
lindmègne
(Ferduf, le poète borain, octobre 1967)
cf. La Bulle – Quaregnon – Mai 2010
. que je situe comme juive dans le courant judéo-christianisant.
16
13
réflexe de Maximilien Kolbe qui avait pris la place d’un père de
famille à l’entrée de la chambre à gaz nationale – socialiste.17
Par ailleurs, le monde comme il va semble bien s’éloigner
de ce contexte socioculturel, socio-mental d’où l’Évangile
émergea… dans le sillage de l’Emmanuel.
C’est la société des « post » sous l’impulsion de l’Occident :
elle est post-industrielle (11) cette société (après avoir connu
« la fin des paysans ») (12), elle serait même post-laborem
(13), post-chrétienne (139), post-marxiste, post-moderne,
post-nationale, post-historique… et peut-être un jour (on
l’espère !) post-ethniciste, post-populiste… La société dite
de consommation, la société du spectacle médiatisé avec ses
messages pseudo-libertaires et parfois franchement libertins18
tentent de se globaliser, c’est l’ère de la mondialisation, celle
du village planétaire unidimensionnel (14), celle d’un libéralisme inquiétant, fomenteur de crises. La fracture sociale ne
se réduit pas, elle s’aggrave… mais de par le monde l’on rêve
toujours de l’american way of life. Quant à la géopolitique,
elle nous confronte sans cesse à la coexistence de blocs qui
sont porteurs de tensions conflictuelles.19
. J’ai entendu Philippe Meirieu qui évoquait la figure du pédagogue polonais, Janusz
Korczak, lequel avait accompagné volontairement deux cents orphelins dont il s’occupait et que les Nazis arrachaient au ghetto de Varsovie pour les emmener à Treblinka
direction chambre à gaz. Ah, mein Gott, qu’était-il donc arrivé à l’Allemagne ?… qui
disait encore volontiers « Gott mit uns ».
17
. Meirieu, ce chef de file de bien des pédagogues, observe que « nos contemporains sont
sidérés par la vulgarité galopante » (cf. ses entretiens filmés).
18
. Les States, l’Europe, la Chine… le monde musulman… risquent toujours la
confrontation… telles des plaques en proie à une activité sismique d’un genre parti-
19
14
Le style de vie des nouvelles « middle classes » se présente
souvent tel le modèle de référence (entretemps, les fastfoods font progresser l’obésité du Mexique à la Chine pour
ne parler point des sociétés « développées »). Les valeurs
­post-matérialistes ne sont guère dominantes dans ce paysage20.
Et la société en deviendrait même dépressive (Anatrella, 15).
Alors, voilà, j’ai la faiblesse de penser que la « chaumière »21
de Ieshou se cache en quelque sorte encore au creux du village
planétaire, il ne s’en laisse pas vraiment déloger22 tel le veilleur
qui attend l’aurore (61). Et quand le refoulé fait retour, le
post-modernisme a peut-être comme la nostalgie de la voie
nazaréenne.23 C’est ce qu’il me faudra tenter d’expliciter dans
cet essai qui se focalisera sur « l’homme à la recherche de son
culier… Un Paul VI tout frêle sur la scène de l’ONU criait « jamais plus la guerre ! »
(octobre 1965)
. Notons toutefois que les masses les plus marginalisées, exclues encore et toujours
(même aux États-Unis) n’ont pas souvent le temps à vrai dire de philosopher (primum
vivere !), submergées qu’elles sont par les soucis quotidiens et leurs besoins vitaux.
Ce serait dès lors trop odieux de parler de leur économisme ; cf. à cet égard, Pierre
Vercauteren, Pierre Bourdieu, Patrick Declerk, Christophe Dejours (16-19)…
Pierre Vercauteren avait décrit leur activité quotidienne incessante à la recherche du
minimum vital, en quête d’expédients.
20
. Chaumière : « petite maison rustique et pauvre… chaumière du paysan, du bûcheron…
une chaumière et un cœur, idéal de l’homme simple et sensible » (Le Petit Robert).
« Il est là-bas en Galilée sous l’humble toit de chaume » (Foucaud, 8)
21
. Quand bien même se perd sa trace… « La société occidentale s’éloigne sans bruit du
christianisme » (Marcel Gauchet, 20). « N’aie pas peur, ne frémis pas, petit troupeau »
(Luc 12,32).
22
. Viktor Frankl (1) aurait été dans ce sens quoiqu’en termes plus « déistes » ; dans ce
courant » judéo – christianisant », je ciblerais bien sûr Etty Hillesum (10) et aussi
Simone Weil que l’on ne saurait oublier et ce cher Lévinas, voire encore Bergson, le
« réveilleur » de l’intuition « transcendantale »…
23
15

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