Politique du livre en région : des attentes à la mesure des

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Politique du livre en région : des attentes à la mesure des
région
Entretien avec le directeur du CRLL Nord-Pas-de-Calais
Politique du livre en région :
des attentes à la mesure des enjeux
 Propos recueillis par Sophie PECQUET
La Gazette. A l’occasion du premier
anniversaire de votre revue trimestrielle
Eulalie, le 31 mai 2010 au club de la
presse, vous aviez dit espérer la création effective du CRLL au 1er janvier
2011. Comment se présente le passage
de l’“association de préfiguration” que
vous êtes encore, au Centre régional des
lettres et du livre Nord-Pas-de-Calais ?
Léon Azatkhanian. Nous sommes dans
une situation assez paradoxale. Le principe
de la création d’un centre régional pour le
livre a été retenu par l’Etat et la Région
dans le cadre du contrat de plan 2000-2006
avec un démarrage prévu en 2003. Ce
n’est qu’en 2008, après plusieurs années
de réflexion et une étude de définition que
ces deux institutions ont décidé d’accompagner la création d’une association de
préfiguration. Le Nord-Pas-de-Calais était
la dernière grande région française à ne pas
être dotée d’un centre de ressources dans
le domaine du livre et de la lecture. Notre
arrivée a été accueillie chaleureusement
par les professionnels qui attendent toujours d’être pris en considération dans les
schémas de développement régionaux. Les
départements du Nord et du Pas-de-Calais,
très actifs dans le domaine de la lecture
publique, se sont joints à cette nouvelle
dynamique.
Presque trois ans après, nous sommes
néanmoins en attente des moyens qui nous
permettraient de travailler plus efficacement auprès des professionnels. En 2010,
l’Etat, via sa direction des affaires culturelles, nous a financé à hauteur de 60%
et le Conseil régional à 14% seulement.
Autant dire que nous avons encore du
chemin à faire pour sensibiliser la Région
aux enjeux de notre secteur…
Eulalie1 se veut un espace de diffusion
de l’actualité du livre et de la lecture
dans la région. Comment percevezvous, après cinq numéros parus et un
sixième en janvier, le paysage du livre
dans le Nord-Pas-de-Calais ?
Un peu surpris au départ, les professionnels
et tous ceux qui s’intéressent aux livres ont
complètement adopté cette revue qu’ils
diffusent maintenant largement dans leurs
librairies, leurs bibliothèques. Ils en sont
fiers parce que, je crois, Eulalie a modifié
la perception que chacun pouvait avoir du
paysage du livre en Nord-Pas-de-Calais
et permis par exemple à de jeunes auteurs
et éditeurs de se faire connaître et de se
reconnaître entre eux.
En réalité, il n’y a pas un seul mais plusieurs paysages du livre : celui des bibliothèques, des éditeurs, des imprimeurs, des
libraires, des auteurs, des associations.
Tous ces maillons de la chaîne du livre sont
interdépendants dans un même écosystème,
avec toutefois des contraintes particulières
à chaque segment. Dans quelle autre filière
voit-on coexister sept conventions collectives différentes, des entreprises privées
et des services publics, des structures où
D. R.
CRLL, pour Centre régional des lettres et du livre. Toutes les
régions françaises en sont dotées sous une forme ou une autre.
Des structures dédiées à l’accompagnement des acteurs du livre
dans toutes ses dimensions : lecture publique, patrimoine écrit,
vie littéraire, économie du livre... Le Nord-Pas-de-Calais n’a lancé
la démarche qu’en 2008. L’association attend aujourd’hui les
moyens qui lui permettraient d’aller au bout de ses ambitions.
Rencontre avec son directeur, Léon Azatkhanian.
Léon Azatkhanian, directeur de l’association
de préfiguration du Centre régional des
lettres et du livre Nord-Pas-de-Calais.
l’intervention publique peut varier de 0%
à 99% ?
Dans le Nord-Pas-de-Calais, ce qui frappe,
c’est l’écart entre la qualité humaine et
professionnelle des porteurs de projet d’un
côté et la faiblesse des infrastructures de
l’autre : retard dans les équipements de
lecture publique, fragilité économique
plus grande qu’ailleurs des maisons d’édition, des librairies indépendantes, faiblesse
des aides aux associations de médiation,
absence de politique régionale de soutien à
l’édition et à la création littéraire, etc. Notre
ambition est bien évidemment de combler
ce retard pour que le Nord-Pas de Calais
se hisse au niveau de régions dynamiques
dans le domaine du livre comme RhôneAlpes ou Aquitaine.
Y a-t-il dans la région une vraie filière
économique du livre et que représentet-elle en termes d’emplois, d’entreprises, bref de poids économique ?
L’an passé, nous avons fait une enquête
partielle et sommaire en attendant d’avoir
les moyens de mener une véritable étude.
Si l’on met de côté l’imprimerie 
31 décembre 2010 • www.gazettenpdc.fr • La Gazette Nord‑Pas de Calais
région
(6 000 salariés en région, 800
millions d’euros de CA annuel), la filière
livre et lecture emploie environ 3 000 personnes tous secteurs confondus, auxquelles
il faut ajouter 3 000 bénévoles actifs dans
le réseau associatif. On compte environ
50 structures d’édition ayant une activité régulière, 76 fêtes et salons du livre,
530 bibliothèques municipales, 65 librairies
indépendantes (hors maisons de la presse)
et 18 grandes surfaces culturelles. Ces chiffres sont assez abstraits si on ne peut pas les
comparer avec d’autres. Ça devrait être possible prochainement, lorsque nous aurons
mis en place des tableaux de bord communs
avec nos homologues des autres régions.
D’autres chiffres sont tout aussi intéressants. Saviez-vous que 12 millions de
documents (dont 9,5 millions de livres)
sont empruntés chaque année dans les
bibliothèques municipales de la région ?
Même sans l’indication précise du nombre
de volumes achetés dans les librairies de la
région, la lecture est sans conteste la pratique culturelle la plus développée, avant le
cinéma (10 480 000 entrées en 2008), les
musées (1 202 040 entrées) et les variétés
et musiques actuelles (692 065 entrées).2

Vous avez, en novembre dernier, organisé une journée d’étude à la Médiathèque départementale du Nord qui a
réuni 50 professionnels pour dresser un
état des lieux de la formation des bibliothécaires dans la région. Ce travail coopératif augure-t-il du rôle de “liant”
que vous souhaitez avoir auprès des
différents acteurs du livre en région ?
C’est l’exemple même du travail gris, souterrain, pouvant déboucher sur des avancées très concrètes. La formation et la
qualification des bibliothécaires sont des
dimensions très importantes de la relation
aux usagers et l’une des conditions pour
un service public de qualité. Sur ce terrain, nous avons travaillé en parfaite harmonie avec les principaux opérateurs de
la formation en région : les deux médiathèques départementales et la délégation
régionale du CNFPT. Il a suffi de mobiliser les bonnes volontés lors de quelques
réunions de travail pour faire aboutir la
création d’une plate-forme de coopération,
la première de ce type à l’échelle d’une
région française. Marie-Odile Paris pour la
Médiathèque départementale du Nord, Philippe Gauchet pour celle du Pas-de-Calais
et Serge Valentin pour le CNFPT ont été
les acteurs principaux de cette réalisation.
Et le CRLL a joué le rôle de “liant” comme
vous dites.
Dans le numéro de septembre d’Eulalie,
un dossier est consacré à l’illettrisme.
Il sonne comme un engagement et une
volonté d’affronter un sujet brûlant en
Nord-Pas-de-Calais. Est-ce une mission
que vous esquissez comme pouvant être
celle d’un CRLL, espace de réflexion, de
proposition, de travailler-ensemble ?
L’illettrisme est un point noir dans notre
région : 15,5% de personnes touchées
quand la moyenne nationale est de 9%.
Avec Esther De Climmer, présidente du
CRLL, Henri Dudzinski, vice-président
de la Fondation Les Voies du Nord et un
groupe d’étudiants de l’ESJ, nous avons
voulu lancer un appel aux professionnels
du livre pour une mobilisation à la hauteur de l’enjeu. En complément de dispositifs existants comme le plan Etat-Région
de lutte contre l’illettrisme (LEA : Lire,
Ecrire, Agir), nous pouvons apporter notre
contribution spécifique, avec la souplesse
et la réactivité d’une structure de coopération légère comme la nôtre. J’espère qu’on
nous donnera les moyens de le faire.
Le livre est en train de vivre une mutation importante et rapide à travers les
évolutions numériques. Quelle place
peut avoir un CRLL dans l’appréhension de ces changements ?
La révolution numérique touche tous les
secteurs du livre et bouleverse les équilibres
économiques traditionnels entre auteurs,
éditeurs et libraires avec le risque d’un
court-circuit généralisé qui pourrait faire
de gros dégâts comme ça a été le cas pour
l’industrie du disque. La difficulté pour les
professionnels est d’avoir le temps et les
ressources pour s’adapter en temps réel à
ces mutations. Le CRLL peut mutualiser
ce temps et ces ressources et les mettre à la
disposition de chacun.
Concrètement, nous avons l’intention de
créer un groupe de réflexion sur ces questions où chacun pourra s’enrichir de l’expérience des autres. Nous souhaiterions aussi
organiser des journées de formation et
La Gazette Nord‑Pas de Calais • www.gazettenpdc.fr • 31 décembre 2010
“Nous avons l’intention de
créer un groupe de réflexion
sur les questions que pose
la révolution numérique, où
chacun pourra s’enrichir de
l’expérience des autres”
mettre en place un service de conseil technique. Car le numérique est aussi un courant porteur positif qui peut faciliter la diffusion des contenus culturels et permettre à
des œuvres rares, épuisées ou introuvables
de sortir de l’oubli. Nous réfléchissons à la
création d’une base d’ouvrages numérisés,
en accès libre pour les œuvres tombées
dans le domaine public. On y trouverait les
trésors cachés de nos bibliothèques. Et il y
en a d’insoupçonnés !
Vous avez organisé le 27 octobre dernier
une soirée littéraire à L’Hybride. Quel
bilan en tirez-vous ?
Cette soirée était une première pour nous et
nous avons été un peu étonnés et presque
dépassés par son succès. On ne se doutait
pas que l’attente était si forte… Ce fut l’occasion de belles rencontres avec Gérard
Farasse, Amandine Dhée, Jean-Marc Flahaut, Lucien Suel, Fanny Chiarello… des
écrivains formidables. Nous allons donc
renouveler en 2011, c’est sûr, avec l’idée
d’enregistrer les rencontres et d’en faire
ainsi un rendez-vous audiovisuel régulier accessible en ligne par tous et partout. C’est notre rôle aussi de contribuer
à abaisser la barrière symbolique entre le
public et l’offre culturelle. Il y a une vie
littéraire multiple et foisonnante dans notre
région. Une histoire de paysages au pluriel,
là encore, dans lequel cohabitent les courants académiques ou pompiers – pour les
observateurs les plus sévères – et les mouvements alternatifs ou irréguliers. Mais ce
qui est certain, c’est que le Nord-Pas-deCalais est une terre d’écriture qui n’a rien
à envier aux autres régions ! 
1. Eulalie est une revue trimestrielle distribuée gratuitement dans les principaux lieux du livre de la région
et téléchargeable sur le site www.eulalie.fr, portail
d’information et de ressources dédié au livre et à ses
professionnels en Nord-Pas-de-Calais.
2. Extraits de “Minis chiffres clés Livre et Lecture NordPas-de-Calais”, en ligne sur le site Eulalie.fr à l’adresse
www.eulalie.fr/spip.php?article3584