2005 analyse_activite-N.SEVE.FERRIEU

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2005 analyse_activite-N.SEVE.FERRIEU
ARFEHGA – 3èmes journées d’ergothérapie de Garches –
Ergothérapie et Neuropsychologie Enfant et Adulte – 27 janvier 2005
PROTOCOLE D’ANALYSE D’ACTIVITE EN NEUROPSYCHOLOGIE
Nicole Sève-Ferrieu, ergothérapeute cadre de santé, directrice de l’Institut de Formation
en Ergothérapie ADERE.
MOTS CLEFS
Hémiplégie, neuropsychologie, protocole d’analyse, activité.
RESUME
Les ergothérapeutes ont coutume d’analyser leurs moyens de rééducation quant à
leurs composantes sensitivo-motrices et biomécaniques. L'étude neuropsychologique de
l’activité est son pendant pour la rééducation efficace des patients cérébrolésés.
L’objectif de cet article est de proposer un protocole d’analyse neuropsychologique de
l’activité ludique, applicable à l’hémiplégique adulte.
Ne pouvant être exhaustif, l’auteur pose dans un premier temps le cadre de
l’intervention en illustrant par des jeux l’implication des six capacités les plus
fréquemment altérés chez ces patients : mémoire, attention, somatognosie, langage,
praxie gestelle et appréhension visuo-spatiale. Il propose ensuite un protocole d’analyse
qu’il concrétise avec le jeu de “Dames”.
Il conclut sur la nécessité d’ouvrir cette recherche à d’autres fonctions cognitives
et de la poursuivre sur les activités dites manuelles et de vie quotidienne.
INTRODUCTION
Les ergothérapeutes ont l’habitude, parce que c’est un de leurs outils de travail,
d’analyser les activités quant à leurs composantes sensitivo-motrices et biomécaniques.
En fonction des patients avec qui ils partagent un processus thérapeutique, ils savent
adapter sans difficulté l’activité choisie aux objectifs de soins.
L’accompagnement des personnes présentant des troubles neuropsychologiques
implique également l’adaptation des moyens. Les ergothérapeutes qui n’ont pas
l’habitude d’une analyse systématique dans ce domaine restent souvent dubitatifs devant
le “placard de jeux” avant de se décider à choisir l’un d’entre eux.
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L’objectif de cet article est de proposer un protocole d’analyse
neuropsychologique de l’activité ludique. Son utilisation, transposable aux activités prises
au sens large du terme, doit permettre aux ergothérapeutes confort et efficacité dans le
choix de leurs moyens pour la rééducation des patients hémiplégiques présentant des
troubles des fonctions supérieures.
Ne pouvant être exhaustif, il conviendra dans un premier temps de circonscrire le cadre
de l’intervention avant de proposer un outil d’analyse et de l’illustrer par un jeu.
1. CADRE DE L’ANALYSE
Chez les patients hémiplégiques adultes, on envisage que six secteurs
neuropsychologiques sont fréquemment altérés : la mémoire, l’attention et la
connaissance du corps pour toutes les personnes, le langage et le savoir faire gestuel
pour les cérébraux lésés gauches droitiers, l’appréhension de l’espace par la vue pour
les cérébraux lésés droits droitiers. Chacune de ces capacités, représentant quelques
composantes du comportement occupationnel de l’homme, peut être étudiée
individuellement.
1.1 La mémoire
Il ne saurait être question de développer ici un rappel théorique de la fonction
mnésique tant cette entreprise représenterait à elle seule l’objet d’un article (14). A la
lumière de certains auteurs, dont Baddeley (cité in 5, 11, 13) et Tulving (13), on
envisagera que son utilisation dans la vie quotidienne s’organise autour de trois
secteurs que je nommerai les aspects « temporel », de « contenu » et « perceptif ».
 Le terme de « temporel » fait référence non seulement au processus mis en
œuvre pour transformer un stimulus en trace mnésique, et je ferai alors allusion à
la « mémoire de travail » perpétuellement en action dans l’activité ludique, mais
encore au traitement de l’information permettant que cette trace reste présente
dans le cerveau. On a alors l’habitude d’utiliser différents vocables. La mémoire
immédiate, dont la terminologie a disparue au profit de celle de Baddeley
(mémoire de travail), ne permet pas au stimulus de s’ancrer puisque seule la
répétition peut permettre l’utilisation de l’information. Dans la « mémoire à long
terme », le traitement de l’information autorise que sa disponibilité soit d’une durée
courte, ou non, suivant la profondeur de son ancrage. Elle pourra rester présente
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temporairement puis être rejetée puisque devenue non pertinente. Par exemple, si
je ne souhaite pas devenir experte au “Bridge”, j’ancrerai de manière superficielle
les cartes jouées afin de pouvoir gagner, mais les oublierai dès le jeu terminé. Par
contre, je pourrai traiter plus profondément l’information pour retenir dans le temps
les règles et stratégies m’autorisant à devenir experte. On employait autrefois les
termes de mémoire à court et long terme. Dans la vie quotidienne, nous utilisons
par ailleurs continuellement la « mémoire prospective » permettant de nous
“souvenir que nous devrons nous rappeler” d’accomplir ultérieurement une tâche
donnée. Le jeu de carte “Uno”, en particulier, m’impose de me souvenir que je
devrai dire ce mot lorsque je déposerai sur le plateau mon avant dernière carte.
 Le second aspect concerne le « contenu » et chacun sait que, même si ses
teneurs sont en interaction, il se partage traditionnellement en une « mémoire
épisodique » ou autobiographique, une mémoire dite « sémantique » représentant
notre culture générale, et une « mémoire procédurale » relative à nos aptitudes
sensori-motrices.
 Les moyens correspondent aux systèmes « perceptifs » par lesquels les stimuli
sont codés. C’est ainsi que l’on envisage les mémoires « visuelle », « verbale »,
« auditive », « kinesthésique »… qui généralement se polarisent (hypothèse du
double codage) pour favoriser une bonne mémorisation.
1.2 L’attention
L’attention est impliquée dans la mémoire via, en particulier, l’administrateur
central de la mémoire de travail et le SAS développés par Baddeley (11), dans
l’héminégligence visuelle gauche pour ce qui concerne l’attention focalisée spatialement
orientée, la théorie attentionnelle (12) et les capacités d’engagement/desengagement (1,
12), dans le faire gestuel nécessitant des traces mnésiques gestuelles de
compréhension et de production (6), ou encore dans le syndrome frontal altérant le
Système Attentionnel Superviseur (1, 3). Dans ces cadres, son analyse est étroitement
liée à la capacité concernée. L’attention peut également s’appréhender selon les
« théories proposées par Posner et Boies en 71, Posner et Rafal en 87 ainsi que Van
Zomeren and Brouwer en 94 » (1). On envisage alors deux dimensions attentionnelles.
 La première fait référence à l’intensité relative au “degré d’activité” de l’attention.
Indépendamment de l’éveil général, elle sera dite d’ « alerte » si elle correspond à
« la capacité d’augmenter durant une brève période de temps la réactivité grâce à
des indices ou des stimuli externes » (1) et « soutenue » si elle se maintient dans
le temps. On parlera de « vigilance » pour une attention soutenue dans les tâches
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longues et monotones. Le jeu de carte “Uno” sollicite l’alerte lorsqu’un joueur, en
déposant son avant dernière carte, informe la tablée qu’il ne lui en reste plus
qu’une en criant “Uno”. L’attention soutenue, elle, ne pourra pas faire défaut dans
tous les jeux où la stratégie dépend de celle de son adversaire et où le contrôle
visuel ultérieur sera difficile comme le veut le “Puissance 4 en 3D” (nombre
important d’informations visuelles à gérer en même temps) par opposition au
“Puissance 4” (constat visuel aisé à posteriori).
 La seconde dimension se réfère à la « sélectivité ». Elle « concerne la capacité du
sujet à se focaliser sur certains aspects de la tâche tout en inhibant
volontairement en même temps toute réponse à des stimuli non pertinents » (1).
Pour avoir des chances de gagner aux “Dames chinoises”, le joueur doit en
particulier savoir définir les trajets de ses pions uniquement en fonction des
espaces disponibles, et donc de ne pas tenir compte des couleurs ou de la
direction la plus courte pour atteindre son but. Cette sélectivité est
particulièrement sollicitée dans les activités de la vie quotidienne où l’individu est
en situation de double tâche. On parle alors d’ « attention divisée ».
L’activité ludique, s’accompagnant volontiers de dialogues et de rires, impose aux
joueurs d’être attentif autant au déroulement du jeu que de participer à la
discussion.
1.3 La somatognosie
On envisagera que la connaissance de son corps a trois conséquences
comportementales (10).
 La première, relative à l’ « orientation », correspond à la capacité de construire et
reconnaître l’ « espace » et le « temps » en fonction de son propre corps (8, 10).
Chacun aura présent à l’esprit le néophyte, un joy stick à la main, cherchant à
diriger une voiture de sport dans un circuit de jeu vidéo : pour pouvoir prendre “ce
virage serré à droite”, on observera l’inclinaison de son corps dans cette direction,
son épaule gauche se dirigeant vers l’avant droite… Toute activité impliquant des
notions spatiales obligera le joueur à prendre son corps comme référence à
l’orientation. On pensera pour exemple au jeu “Abalone” où le déplacement des
boules dans les encoches de l’hexagone peut se faire dans toutes les directions.
De façon identique, c’est en “me situant concrètement” dans le temps (ici et à ce
moment là de ma vie) que je pourrai appréhender les notions de “avant”, “après”
voire même “maintenant”. L’expression suisse “quelque temps en arrière” en est
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l’illustration. L’aspect temporel sera sollicité dès la mise en œuvre d’une
compétition. On pensera au jeu “Tabou” où, dans un temps limité sablier à l’appui,
un joueur doit faire découvrir aux membres de son équipe un mot sans utiliser de
synonyme, faute de donner son point à ses adversaires. Malgré cet exemple, les
notions temporelles sont davantage mises en œuvre dans les activités de vie
quotidienne.
 La seconde conséquence comportementale de la gnosie corporelle est la faculté
d’utiliser l’ « outil corps ». Envisager cet aspect impose de différencier les
capacités
sensitivomotrices,
ici
non
considérées,
des
capacités
neuropsychologiques. L’image la plus parlante pourrait être celle du violoniste qui
possède des mains ayant bien plus de dix doigts par opposition à celle d’un
individu qui n’en aurait que trois (pouce, index et main interne). On comprendra
alors que le corps est un outil extrêmement performant, que l’on apprend
progressivement ou non à maîtriser. On retiendra par ailleurs que plus l’activité
réclame des positions corporelles particulières, des dissociations des doigts, des
impératifs de coordination digitale ou de l’ensemble du corps… plus l’outil corps
est sollicité. La dissociation “main interne/main externe” ainsi que le ramassage ou
délestage progressif des billes imposés par le jeu “Awalé” implique l’utilisation du
corps outil.
 Bien qu’il soit difficile de dissocier le schéma corporel de l’image du corps, la
dernière conséquence comportementale de la connaissance de son corps est sa
participation à la capacité à entrer en « relation » avec l’autre. La communication,
outil relationnel, ne saurait être uniquement verbale, et le langage corporel, qu’il
s’agisse de mimiques, d’attitudes ou de gestes, voire même de l’expression de
nos conflits internes, prend une place importante. Dès qu’il y a plusieurs joueurs,
dès qu’il y a compétition, ou plus simplement dès qu’il y a interaction entre des
personnes, le corps relation est mis en œuvre.
1.4 Le langage
Spécifiquement traité par l’hémisphère gauche du droitier, le langage est
appréhendé dans la vie quotidienne selon deux critères : l’ « expression » permettant de
transmettre un message à l’autre, et la « compréhension » du message de l’autre. Selon
les cas, l’une et l’autre sont qualifiées d’ « orale » et l’on fera référence au langage parlé,
ou d’ « écrite » sollicitée par la lecture et l’écriture. Outre le besoin de comprendre la
règle du jeu (expression orale ou écrite), certaines activités ludiques comme le jeu du
“Mikado” ne sollicitent ni l’expression ni la compréhension d’aucun message, qu’il soit
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oral ou écrit. Le jeu des “Petits chevaux” par contre, exige de savoir lire le chiffre indiqué
sur le dé et de pouvoir compter jusqu’à six pour déplacer son cheval. De même, le
“Scrabble” impose expression et compréhension écrite, ainsi que le comptage des points
et le “Bridge” sollicite l’expression et la compréhension orale.
Dans la vie quotidienne, notre pensée s’élabore en particulier au moyen d’un
langage interne. Bien que dépassant le cadre du canal linguistique puisque, dans celui
d’une analyse neuropsychologique de l’activité on fait alors référence à l’élaboration
d’une stratégie, voire aux fonctions exécutives, il nous a paru opportun d’inclure cet
aspect dans le protocole, tant les jeux peuvent le solliciter diversement. Autant il est
possible de jouer au “Domino” sans grande élaboration mentale, autant il est impossible
de gagner une partie de “Dames” sans “langage interne”.
1.5 La programmation gestuelle
Dans le cadre du protocole, les capacités de praxie gestuelle sont envisagées
quant à leur mise en œuvre dans l’activité ; c’est pourquoi on ne retrouvera pas dans le
tableau de synthèse le support théorique de Roy et Square complété par celui de Rothi
et ses collaborateur (6). Quatre paramètres de ce “faire gestuel” émergent grâce à
l’observation d’un sujet en train de jouer et trouvent leur place dans l’analyse.
 Le premier pose la différence entre le geste dit « automatique » et celui qualifié de
« volontaire ». Nonobstant la décision gestuelle qui est généralement volontaire,
lorsque j’épluche une pomme de terre nouvelle ou une courgette, mon geste est
automatique en ce sens qu’il se déroule machinalement. Par contre, si ma tâche
concerne une “vieille patate” ou une aubergine, mon geste sera continuellement
perturbé quant à sa fluidité (œil ou épluchures coincés entre les lames du couteau
économe…) et je devrais réenclencher volontairement le processus. C’est ainsi
que tout imprévu dans le déroulement d’un programme gestuel implique qu’il soit
volontairement remis en route, bien qu’il s’agisse le plus souvent de routine. Que
je lâche un pion ou que ma première intention gestuelle n’aboutisse pas pour une
cause extérieure, et je me dois d’intervenir. Le caractère volontaire du geste est
sollicité par les ordres. Le caractère automatique du geste ne veut cependant pas
dire qu’une personne souffrant d’un trouble de la conception du geste puisse
réaliser sans difficulté une activité. Si la majorité des jeux sollicite des gestes
automatiques, (prendre/poser un pion, une carte…) celui du “Jenga’’ (consistant à
enlever progressivement des blocs constituant une tour sans la faire tomber) peut
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amener le joueur à stopper son geste qu’il constate dangereux pour le reprendre
autrement.
 Le second paramètre est l’une des trois connaissances impliquées dans la
conception du geste puisqu’elle concerne la connaissance du programme en
terme de « sériation » (6).
La sériation est souvent confondue avec la
planification, relative aux fonctions exécutives. Jouer au “Scrabble’’ exige que la
personne connaisse, indépendant de leur mise en œuvre, la succession des
étapes à accomplir (piocher, installer ses lettres sur son chevalet, organiser ses
lettres en un voire plusieurs mots signifiants, vérifier s’ils peuvent être posés sur le
plateau, compter le score qui sera le plus intéressant et enfin déposer son choix
sur le jeu). Cette planification importante peut être simplifiée et l’on jouera alors à
la “Bataille’’ où seules trois séquences sont nécessaires (prendre une carte sur
son paquet, la poser sur la table, et ramasser… ou laisser faire son adversaire).
La sériation relative à la conception gestuelle concerne le développement du
processus gestuel et non la succession des étapes nécessaires à l’action. On
pensera alors, pour l’étape « piocher », à l’extension du membre supérieur en
pronation associée à l’ouverture de la main et à son orientation sur la prise, la
préhension de la lettre par une prise tridigitale, puis à la flexion du coude associée
à une supination pour ramener la prise vers soi… Toute activité gestuelle, qu’il
s’agisse d’une manipulation d’objet ou d’un mime, nécessite des sériations. On
envisage alors que plus l’activité ludique exige des étapes successives, plus la
sériation, au sens du processus gestuel, est sollicitée. Parallèlement, on retiendra
que les gestes à une séquence (scier, saler, taper…) sollicitent moins la sériation
que les gestes complexes [ramasser et jeter, fermer une fenêtre (où il faut à la fois
tourner la poignée et pousser), allumer un briquet qui nécessite autant son
maintien (travail des fléchisseurs communs superficiels et profonds, des
interosseux et des lombricaux) que la mise en œuvre de la colonne du pouce qui
exécute une adduction puis une adduction et flexion de la métacarpophalangienne
et des interphalangiennes proximale et distale…]. Pour illustration, on conviendra
que le jeu des “Dominos” sollicite peu de sériation gestuelle comparativement à
celui du “Mikado”.
 Le système de « production » permet de traduire le programme gestuel en action
(6). Il intervient particulièrement sur son organisation spatiale, favorisant par
exemple l’orientation de l’objet par rapport à son utilisateur, et temporelle,
permettant le passage d’une séquence à l’autre. Plus l’activité ludique demande
des utilisations et manipulations diverses d’objets, plus la production gestuelle est
sollicitée. Le jeu “Coco Crazy” s’organise à partir de six noix de coco dans
chacune desquelles sont placés six petits singes (ou bobbles) de couleurs
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identiques. L’objectif est d’obtenir 6 bobbles de couleurs différentes. Ce jeu
implique le maniement du dé, l’ouverture, la fermeture voire la permutation de
deux noix, la manipulation des bobbles, la modification de l’orientation du plan de
jeu en le faisant tourner d’un quart de tour… et ce, pour certaines séquences, le
plus vite possible. Il est cependant peu fréquent de trouver des activités ludiques
permettant l'emploi de nombreux objets. On leur préférera les activités dites
manuelles ou de vie quotidienne beaucoup plus riches.
 Si l’observation dans la vie quotidienne permet de distinguer les gestes transitifs
(utilisation des objets) de ceux qui ne le sont pas (mimes et expression interne),
on s’intéresse enfin, dans l’analyse de l’activité, au « type de contrôle » gestuel
utilisé (2). Le premier, spatialement orienté, est déterminé par la position des
objets dans l’espace et porte le nom de topocinèse. La majorité de nos gestes
relève de ce type de contrôle puisqu’ils concernent le maniement d’outils, et dans
l’activité ludique, la quasi totalité des jeux favorise ce traitement. Le second type
de contrôle concerne les « gestes dont la structure est déterminée par un “modèle
interne’’ » (10) d’où son appellation de morphocinèse. Moins souvent sollicité par
l’activité ludique, il est cependant utilisé dans le jeu des “Métiers’’ où l’on doit, par
mime, permettre à son équipe de découvrir une profession, voire également dans
“Dessiner c’est gagné’’ où le candidat produit son modèle interne dans la
réalisation du dessin, le crayon étant alors considéré comme la prolongation de
son corps.
1.6 L’appréhension visuelle de l’espace
L’appréhension visuelle de l’espace est une capacité fréquemment déficitaire chez
les cérébrolésés droits droitiers. Son analyse repose sur trois paramètres relatifs, dans
un premier temps au comportement d’exploration, et dans un second à deux aspects
impliqués dans le processus (12).
 Le premier item envisage la « stratégie » visuelle imposée ou souhaitable pour
réaliser l’activité. Le jeu des “Dames chinoises’’ m’impose, parce que je dois
repérer mes pions dans un ensemble et les localiser en fonction du but à
atteindre, une stratégie dite « globale ». Cependant, la détermination du trajet à
suivre ainsi que le déplacement du pion sélectionné s’organisent grâce à une
stratégie « locale » s’organisant de proche en proche. La majorité des jeux
sollicite cette double stratégie visuelle mais leurs implications peuvent être
modulées. Faire des “Mots mêlés’’ est une activité qui sollicite surtout une
stratégie locale. Dans un ensemble certes je sélectionne une lettre, mais je
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cherche, de proche en proche, celles qui vont pouvoir s’y associer pour composer
un mot. A l’inverse une figure du “Tangram’’ ne pourra pas être réalisée sans
appréhension globale.
 La théorie attentionnelle impliquée dans l’appréhension visuelle de l’espace
demande que l’analyse de l’activité prenne pour second item la capacité d’
« engagement/désengagement ». On envisage alors cette aptitude à s’orienter
vers un stimulus pour secondairement s’en détacher afin de pouvoir se réorienter
ailleurs. Le jeu des “Dominos’’ sollicite cet “aller-retour’’ permettant la comparaison
entre les dominos posés sur la table et ceux que je possède dans mon jeu. De
façon plus large, toute activité demandant un travail comparatif ou la reproduction
d’un modèle implique la mise en œuvre de cette compétence. Par contre, lorsque
le regard est fixé en un lieu, comme pour le jeu des “Métiers’’, l’appréhension
visuelle globale prend le pas sur la nécessité d’un engagement/désengagement
efficace.
 Le dernier item, décrit sous le nom de « représentation interne », s’inscrit dans la
théorie représentationnelle de Bichiack (12). Elle fait référence à l’image mentale
que le sujet va se faire d’une situation. En rapport avec le langage interne décrit
précédemment, la représentation interne est ici en lien étroit avec la visualisation
d’une stratégie ou de son résultat. Certains jeux, comme celui des “Petits
chevaux’’, peuvent s’accomplir sans image pertinente du déroulement de
l’activité : je lance mes dés, je fais avancer mon cheval du nombre de case(s)
requis et c’est au tour du suivant… Difficile par contre de ne pas s’imaginer au
moyen d’une représentation interne, l’impact de son choix au “Puissance 4’’ ou
encore dans une partie de jeu de “Dames’’.
Correspondant au second élément de la fonction vision, il serait inadapté de ne
pas évoquer dans le protocole, même si son altération est rare chez les patients
hémiplégiques, l’autre composante relative à la « reconnaissance » des objets par la vue
(2). Fruit des deux hémisphères, cette reconnaissance n’est pas toujours sollicitée dans
les activités ludiques puisque l’adaptation de certains jeux permet qu’ils s’effectuent sans
le contrôle de la vue. D’autres par contre, comme les “Echecs’’, implique impérativement
l’utilisation de ce canal ne serait-ce que pour l’identification de ses propres pièces.
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2. PROTOCOLE D’ANALYSE
Si la sélection des items d’analyse des six capacités ci-dessus décrites est définie
en fonction des comportements pathologiques des patients et de leurs déficiences à
rééduquer, le protocole s’appuie sur deux impératifs.
 Le premier pose que l’activité ludique est par essence globale et ne saurait se
satisfaire d’une seule capacité. Bien au contraire elle implique une interaction où
le sujet doit autant faire appel à certaines de ses aptitudes qu’en inhiber d’autres
qui perturberaient son bon déroulement (théorie de l’inhibition (4) et aspect
holistique du fonctionnement cérébral). Par ailleurs, bien que globale et selon le
jeu envisagé, elle peut stimuler particulièrement quelques secteurs voire même
l’un de ses paramètres. C’est ainsi que l’on envisage que le jeu “Puissance 4 en
3D’’ sollicite de façon pertinente les capacités attentionnelles (via la sélectivité et
l’attention soutenue), corporelles (via l’orientation), et visuelles (via la stratégie à la
fois globale et locale, l’engagement/désengagement et la représentation interne).
Par contre, indépendamment du langage interne envisagé en terme d’outil de
stratégie, l’expression et la compréhension, qu’elles soient écrites et orales, ne
sont pas indispensables ; de même, le savoir faire gestuel et l’outil corps sont peu
sollicités. Inversement, l’ “Awalé’’, outre l’aspect visuel (stratégie essentiellement
de proche en proche) et linguistique (comptage), implique impérativement
l’utilisation du canal gestuel (adaptation du programme en cas d’imprévus et
production) ainsi que celui de la somatognosie (travail de l’outil corps).
 Le second impératif envisage que l’analyse de l’activité doit obligatoirement
débuter par l’observation des capacités mises en œuvre par un sujet sain pour un
jeu donné. Partir de la pathologie signifierait que les bilans ont permis de préciser
les objectifs thérapeutiques et que le thérapeute chercherait alors un jeu
susceptible de stimuler la capacité déficitaire. La sélection s’opérerait à partir
d’elle, sans tenir compte des autres canaux sollicités par le jeu et de leurs
interactions.
Le protocole envisage de procéder à l’analyse des jeux, et en particulier de ceux
dont nous disposons dans le service de rééducation, en fonction, certes de leurs
paramètres sensitivomoteurs puisqu’une personne hémiplégique ne pourrait être
réduite à ses seuls troubles des fonctions supérieures, mais également et surtout
neuropsychologiques. On envisage l’analyse en 3 étapes.
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 Le premier travail consiste en une observation immédiate : quels sont les
règles du jeu ? Le matériel indispensable ? Les performances motrices et
sensitives sollicités ?... Quels sont les canaux neuropsychologies qui
m’apparaissent, d’emblée, impératifs ?... Ce jeu me semble-t-il facile, difficile,
revalorisant… ?... Pourquoi ?… Cette observation, riche d’enseignements,
augure du résultat de l’analyse qui va suivre.
 Au-delà cette première approche, l’activité est alors envisagée selon
l’ensemble des paramètres neuropsychologiques proposés. Il semble
judicieux, puisque leur implication cumulée est incontournable, d’envisager leur
portée en termes d’implication dans le secteur concerné. C’est ainsi qu’elle le
sera « Enormément » [3], « Beaucoup » [2], « Un peu » [1], ou « Pas du tout »
[0]. Avec l’habitude et dans un second temps, il devient possible de moduler la
côte attribuée à l’item en comparaison avec son implication dans d’autres
activités ludiques similaires. Si, par exemple, on compare les jeux d’ “Echec” et
de “Dames”, on constate que l’un comme l’autre implique, entre autre, le
codage mnésique visuel et la sélectivité attentionnelle. On retient cependant
que pour le jeu d’ “Echec”, ces deux paramètres sont davantage sollicités
(diversité de la forme des pièces et de leur mode de déplacement). On
attribuera alors un [3] au jeu d’ “Echec” et un [2] au jeu de “Dames”.
Excepté pour le type de contrôle qui sera nommé, il est alors possible, pour
chaque activité, de remplir le tableau suivant :
CANAL MNESIQUE
Aspect temporel
W
LT
Aspect contenu
P
E
S
P
Aspect perceptif
Vi
Labile Ancienne
W = Travail ; LT = Long Terme ; P = Prospective
E = Episodique ; S = Sémantique ; P = Procédurale
Vi = Visuelle ; Ve = Verbale ; A = Auditive ; K = Kinesthésique
Ve
A
K
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CANAL ATTENTIONNEL
Alerte
Attention
soutenue
Attention focalisée Attention partagée
CANAL CORPOREL
Outil corps
Orientation
Espace
Relation
Temps
CANAL LINGUISTIQUE
Langage
interne
Expression
Orale
Compréhension
Ecrite
Orale
Ecrite
CANAL GESTUEL
Automatique Volontaire
Sériation
Production
Type de Contrôle
CANAL VISUEL
Appréhension visuelle de l’espace
Reconnaissance
Stratégie
Globale
Locale
Engagement/Désengage. Représent. Interne
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 Afin de pouvoir adapter l’activité au patient avec qui nous partageons un
processus thérapeutique, le dernière étape revient à analyser la règle du jeu pour
savoir si une adaptation, augmentant ou diminuant l’implication d’une ou plusieurs
capacités neuropsychologiques, voire sensitivomotrices, est possible. Il est
essentiel, à ce niveau, que nos recherches et propositions n’altèrent pas l’activité
ludique étudiée. Jouer aux “Dames chinoises’’ en ne retenant qu’une couleur par
joueur, ou stipuler que la “Bataille navale’’ ne devra comporter que des bateaux
placés horizontalement ne revient pas au même que de dénaturer une règle pour
qu’elle réponde à nos objectifs thérapeutiques.
La suite de la mise en œuvre du protocole se réfère à toute prise en charge
thérapeutique traditionnelle. L’ergothérapeute évalue le patient afin de pouvoir poser
les objectifs et choisit l’activité ludique qui, avec l’accord du patient, répondra le mieux
à la stimulation de la ou des déficiences à rééduquer.
3. APLLICATION
Considérant que chacun peut ne pas connaître quelques usages concernant le jeu
de “Dames’’, je rappellerai simplement les règles de base me permettant secondairement
d’illustrer de façon non exhaustive, par ce jeu, le protocole proposé.
Chaque joueur disposant de 20 pions (noirs ou blancs) disposés sur les 4
premières rangées d’un damier, l’objectif est de “manger’’ ceux de son adversaire. Tous
les pions, placés sur les cases foncées, se déplacent d’une case vers l’avant en
diagonale. Pour prendre un pion adverse, il convient d’être placé à côté du pion sur sa
diagonale, de lui sauter par-dessus pour se rendre sur la case vide située derrière lui et
d’enlever le pion sauté. La prise est obligatoire, peut concerner plusieurs pions espacés
d’une case et contrairement au déplacement des pions, elle peut s’effectuer en arrière.
Un pion qui arrive sur la dernière rangée du damier est promu Dame. On le recouvre
alors par un pion de la même couleur. La Dame se déplace, elle aussi en diagonale,
mais d’autant de cases qu’elle le désire et ceci d’avant en arrière. Elle a donc une plus
grande marge de manœuvre pour ses déplacements et la prise des pions.
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Ergothérapie et Neuropsychologie Enfant et Adulte – 27 janvier 2005
3.1 Observation immédiate
Deux joueurs, assis face à face devant un damier, manipulent en silence des
pions cylindriques de taille moyenne (pince pouce/index ou tridigitale du membre
supérieur dominant). Jeu de stratégie, il implique un minimum de concentration, de
réflexion et la capacité d’appréhender visuellement tout le plateau de jeu pour pouvoir
mettre en œuvre une tactique efficace. Les joueurs doivent retenir les règles de
déplacement des pions, règles imposant une orientation. Le temps est illimité. En
comparaison avec le jeu d’échec et excepté si l’on souhaite devenir expert, ce jeu ne
semble pas trop “compliqué” et jouit d’une certaine renommée.
3.2 Analyse
3.2.1 Canal mnésique
Outre la mémoire à long terme si l’on envisage que les joueurs ont depuis
longtemps appris la règle du jeu, le jeu de “Dames’’ implique la mise en œuvre du canal
mnésique dans ses aspects :
 Temporel via la mémoire de travail (maintien et maniement des informations
durant la réalisation de la tâche cognitive), à long terme avec traitement superficiel
(puisque l’on postule que les joueurs souhaitent simplement s’amuser) et
prospective (si l’on retient que le sujet va jouer ce qu’il a prévu antérieurement ; si
le jeu de l’adversaire l’empêche de réaliser sa prévision, l’implication de la
mémoire de travail est augmentée) ; dans la cotation, on ne retiendra pas la
mémoire à long terme puisque cette aptitude n’est pas indispensable pour pouvoir
participer à ce jeu ;
 Eventuellement de contenu via la mémoire autobiographique et sémantique
(connaissance du jeu) ;
 Et perceptive exclusivement sur le mode visuel (absence de tout autre système de
codage). Le codage visuel retenu pour le jeu d’ “Echec’’ [3] sous évalue celui du
jeu de “Dames’’.
On pourra donc coter le tableau de synthèse de la façon suivante :
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CANAL MNESIQUE
Aspect temporel
W
Aspect contenu
LT
Aspect perceptif
P
E
S
P
Vi
Ve
A
K
2
1
1
0
2
0
0
0
Labile Ancienne
3
2
0
3.2.2 Canal attentionnel
Indépendamment de l’état général d’éveil, en aucun cas la capacité d’alerte
tonique ou phasique (vitesse de la réponse) et d’attention partagée (on part du principe
que le jeu se déroule “sérieusement” dans un endroit calme) ne sont sollicitées dans ce
jeu. Par contre, les joueurs doivent mettre en œuvre leur sélectivité ou attention focalisée
(capacité à se focaliser sur leurs pions, espaces disponibles pour prendre les pions
adverses et ne pas se faire manger, recherche de progression vers la dernière rangée du
damier…) et dans une certaine mesure (possibilité de “décrochage” sans conséquence
sur l’issue de la partie), leur attention soutenue. En comparaison avec le jeu d’ “Echec”,
la sélectivité est sous évaluée.
On propose alors la synthèse suivante :
Alerte
Attention
soutenue
0
1
Attention focalisée Attention partagée
2
0
3.2.3 Canal corporel
S’agissant d’un jeu dont l’issue est “de gagner ou de perdre”, l’aspect corporel
dans sa dimension relationnelle peut être importante selon l’état psychologique ou plus
simplement selon la personnalité des joueurs. N’avons-nous pas tous à l’esprit des
exemples de “mauvais joueurs” qui claquent la porte si d’aventure la chance ne leur a
pas souri ? N’avons-nous pas également en mémoire des instants où nous hésitions à
gagner face à un patient, de peur de déclencher… quoi donc, au fait ?...
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Plus “neuropsychologiquement’’ parlant, le jeu de “Dames’’ ne sollicite pas l’aspect
temporel (il n’existe pas de timing imposé dans la règle du jeu), que très peu le corps
outil (préhension pouce/index voire tridigitale des pions et position assise devant le
damier), mais implique les capacités d’orientation (orientation de la main par rapport au
pion ainsi que de celui-ci par rapport au damier, déplacement en avant et en diagonale
gauche et droite des pions, saut au dessus des pions adverses, prise des pions de
l’adversaire possible en arrière, constitution d’une Dame par l’ajout d’un pion sur le
premier…) nécessitant que le sujet puisse prendre son corps comme repère de
l’orientation. En comparaison avec le jeu d’ “Echec’’, la côte ne sera cependant pas
maximale.
La proposition de cotation est alors la suivante :
Outil corps
Orientation
Relation
Espace
Temps
2
0
1
2
3.2.4 Canal linguistique
Outre la compréhension des règles du jeu que l’on ne prendra pas en compte
puisque tout jeu l’exige, la compréhension et l’expression, qu’elles soient écrites et orales
ne sont pas sollicitées dans le jeu de “Dames’’. Le langage interne, défini ci-dessus en
termes de support à la stratégie mise en place est par contre fortement impliqué.
Langage
interne
3
Expression
Compréhension
Orale
Ecrite
Orale
Ecrite
0
0
0
0
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3.2.5 Canal gestuel
Puisque la décision d’action, volontaire par essence, n’est prise en compte dans le
protocole d’analyse, on retient que le geste exigé par la manipulation des pions est
automatique. Prendre, déplacer, poser n’exige pas la mise en œuvre d’un programme
gestuel volontaire et se réfère à la routine d’action. Par contre, que le pion tombe ou que
le joueur soit interrompu implique qu’il puisse réenclancher volontairement le processus.
Jouer aux “Dames’’ suppose installer ses pions, et à tour de rôle déplacer un pion
voire ramasser celui que l’on a sauté. La planification relative aux fonctions exécutives
est donc médiocre. La sériation des différents processus gestuels est également simple.
Il en est de même pour la production puisque le pion est le seul objet utilisé.
Eventuellement la manipulation de la “Dame’’ de facture plus délicate peut quelque peu
compliquer la tâche.
Enfin, le geste étant spatialement orienté implique un contrôle de type topocinèse.
Automatique Volontaire
3
Sériation
Production
Type de Contrôle
1
1
topocinèse
0
3.2.6 Canal visuel
Fortement sollicité dans le jeu de “Dames’’, le canal visuel intervient dans le cadre
de la reconnaissance (perception figure/fond et reconnaissance des couleurs) et dans
l’appréhension visuelle de l’espace.
La stratégie visuelle est tout d’abord globale (appréhension de l’ensemble du
plateau de jeu pour pouvoir localiser ses pions et envisager une progression vers la
dernière rangée) pour s’organiser secondairement de proche en proche (choix d’un pion
et avancée voire ramassage des pions sautés). Elle suppose par ailleurs
l’engagement/désengagement (aller-retour entre le pion que l’on décide de déplacer et
les conséquences que ce mouvement peut produire) et ne peut se passer d’une
représentation interne (traduction de l’engagement/désengagement en image mentale).
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Appréhension visuelle de l’espace
Reconnaissance
Stratégie
1
Engagement/Désengage. Représent. Interne
Globale
Locale
3
3
3
3
3.2.7 Synthèse
En guise de synthèse, on dira que le jeu de “Dames’’ est une activité ludique de
stratégie dont les règles sollicitent particulièrement la mémoire de travail [3], le canal
attentionnel via la sélectivité [2], le canal corporel dans sa dimension de centre et repère
de l’espace [2], le langage interne [3], le geste automatique [3] et, de façon
particulièrement pertinente, l’appréhension visuelle quant à la stratégie [3],
l’engagement/désengagement [3] et la représentation interne [3].
Nonobstant les impératifs de stratégie ici fort sollicités, ce jeu ne pourra être utilisé
par un hémiplégique gauche droitier présentant une héminégligence visuelle, qu’à la
condition d’un aménagement et accompagnement tels que le proposent les principes de
Diller (9) lui permettant une appréhension visuelle de l’espace efficace. Inversement, il
sera peu pertinent pour la rééducation d’un patient apraxique en raison de la faible
implication du canal gestuel et du corps outil.
3.3 Adaptation
La première adaptation pourrait s’appliquer à la forme des pions et correspondre
alors aux difficultés sensitivo-motrices du patient, voire à la mise en œuvre de ses
capacités d’utilisation du corps outil et de production gestuelle.
On pourrait imaginer, en seconde adaptation, la suppression de la prise
obligatoire, de la prise en arrière, ou celle, lors de sauts successifs, impliquant parfois un
changement de diagonale. La modification des impératifs d’orientation influerait tous les
paramètres (mémoire de travail [2], sélectivité [1], orientation [1] et langage interne [2]),
excepté ceux de l’appréhension visuelle et du geste qui resterait automatique. La
simplification de la règle du jeu faciliterait l’adaptation de l’activité à des impératifs de
rééducation de la stratégie visuelle et de l’engagement-désengagement.
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La troisième adaptation pourrait être la mise en place d’interférences (musique,
lieu bruyant, discussion…) impliquant une augmentation de l’attention sélective et
soutenue [3] dont en particulier l’attention partagée [3]. Un travail debout avec contrôle
de l’équilibre ou du verrouillage actif du genou, ou celui du membre supérieur
hémiplégique avec contrôle des syncinésies, s’inscrirait également en double tâche.
Une quatrième adaptation permettrait de davantage solliciter la gnosie corporelle :
la confection d’un damier plus grand (voire un travail en temps limité) impliquerait une
utilisation accrue de l’outil corps [2] (voire de l’orientation dans le temps). Dans le même
ordre d’idée, l’obligation de travailler avec un membre supérieur donné et de devoir
systématiquement poser les pions “mangés” dans l’espace controlatéral, que ce travail
s’effectue en bilatéral ou non, obligerait au franchissement de la ligne médiane du corps
et solliciterait davantage que le corps soit pris comme référence de l’espace [3] et
s’organise en une unité corporelle.
Les quelques exemples proposés ci-dessus ne sont que des pistes de travail à
partir desquels la créativité des ergothérapeutes sait s’exprimer.
CONCLUSION
L’activité ludique est un outil de rééducation privilégié par les ergothérapeutes.
Extrêmement variée, facilement adaptable, elle présente également l’intérêt d’un
engagement dans le temps qui peut être court. Mais l’activité prise au sens large du
terme favorise surtout « l’unification de la personne… (en permettant que) le “corps qu’on
a” et ses symptômes re-présentent le “corps qu’on est” » (7).
Faire en sorte qu’elle devienne un moyen thérapeutique implique que ses
caractéristiques sensitivomotrices et cognitives soient reconnues et analysées. Les six
canaux envisagés dans cette étude ne représentent que quelques aptitudes du
comportement occupationnel de l’homme et soulignent le caractère non exhaustif du
protocole. Par ailleurs, l’illustration qui en est faite pourrait être approfondie et les
cotations proposées en sont l’illustration. Le principe, par contre, devrait faire l’objet de
recherche en s’ouvrant, non seulement sur d’autres items et troubles cognitifs, mais
encore sur les activités dites manuelles et sur celles de la vie quotidienne.
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Bibliographie
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neuropsychologie, Ed Solal, Marseille, 2001
2. Bonnet C. et al. – Perception, action, langage. Traité de psychologie cognitive 1.
Dunod, Paris, 1989
3. Enot et coll. - Définition et évaluation des fonctions exécutives, intérêt de l’approche
écologique, Expérience en ergothérapie, 10ème série, Suramps médical, Montpellier,
1997, pp
4. Marchand G. - L’inhibition (re)découverte, Sciences humaines n° 137, Echos des
recherche, Avril 2003
5. Meulemans T. et coll. - Evaluation et prise en charge des troubles mnésiques, Coll.
Neuropsychologie, Ed Solal, Marseille, 2003.
6. Peigneux P. - L’apraxie gestuelle, une approche cognitive, neuropsychologique et par
imagerie cérébrale, Thèse présentée en vue de l’obtention du titre de Docteur en
Psychologie, Université de Liège, Faculté de Psychologie et des Sciences de
l’Education, pp 55-96, 2000, http://www.ulg.ac.be/crc/pdf/Peigneux_These_full_00.pdf
7. Pelbois-Pibarot I. - Structures de l’activité humaine. Réflexion à partir de l’acte de
jouer. Des fondements de l’activité ergothérapique. Journal d’ergothérapie, pp 69-76,
Tome 3, n°3, Paris, Ed Masson, 1981
8. Schilder P. - L’image du corps, Traduit de l’anglais par Gantheret F., Coll. Tel, Ed
Galimard, 1980.
9. Séron X., Laterre C., Rééduquer le cerveau, logopédie, psychologie, neurologie,
Mardaga, Bruxelles, 1986.
10. Sève-Ferrieu N. - Neuropsychologie corporelle, visuelle et gestuelle, 3ème édition,
Collection Bois Larris, Masson, Paris, 2005.
11. Van der Linden M. - Les troubles de la mémoire, Ed P. Mardaga, Liège, 1989.
12. Viader F., De la Sayette V. - Les syndromes de négligences unilatérales, Congrès de
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13. Seron, M. Van der Linden (Eds), Traité de Neuropsychologie Clinique, Tome 1 et 2,
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14. Sève-Ferrieu N, Thébault G., Mémoire et memory Expériences en ergothérapie,
19ème série, pp 221-238, sous la Direction de MH. IZARD, Sauramps Médical, 2006.