Rentabilité et incertitude

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Rentabilité et incertitude
12 Janvier 2013
Anticiper la rentabilité des actifs dans un
contexte d'incertitude[1]
Introduction
L’anticipation de la rentabilité stratégique des actifs financiers est particulièrement
importante pour les investisseurs institutionnels. Nous entendons par là une rentabilité
anticipée sur un horizon d'au moins 10 ans tenant compte de la durée de vie moyenne des
passifs des fonds de pension, et hors impact des vues tactiques exprimées sur un horizon
de quelques mois. Ces rentabilités espérées permettent en effet d'évaluer le profil
rendement/risque des classes d'actifs et donc d'élaborer une allocation d'actifs stratégique.
Les investisseurs peuvent aussi les utiliser pour calculer la rentabilité anticipée de leur
portefeuille, qui servira ensuite de point de référence pour actualiser leur passif.
Malheureusement, si la volatilité est parfois prévisible[2], les rentabilités des actifs ne
présentent pas de corrélation temporelle et sont probablement inobservables[3]. Cela est
particulièrement vrai actuellement. En effet, la crise que nous connaissons depuis 2008
montre que la rentabilité des actifs connaît une dynamique qui n'est pas stationnaire au fil
du temps et qui peut s'écarter sensiblement et pendant longtemps de sa moyenne de long
terme.
1
Utiliser les données historiques pour anticiper la
rentabilité des actifs
L'une des méthodes les plus courantes pour anticiper la rentabilité stratégique consiste à
utiliser les données historiques sur longue période. Néanmoins, il est difficile de faire fi de
l'histoire récente : la rentabilité moyenne passée est rarement liée à la rentabilité future,
même si les « mauvaises » performances passées peuvent fournir des informations utiles
pour estimer la rentabilité future. Si l'on observe les performances des actifs aux États-Unis
entre 1960 et 2009 (cf. graphique 1 de la page suivante), on constate que les actifs qui ont
été malmenés lors des périodes de crise (1974, 1981 ou 2008) sont aussi ceux qui se sont
le mieux comportés sur longue période.
La crise de ces dernières années a rendu très
incertain l'exercice de prévision de la rentabilité
à long terme en raison de variations marquées
des niveaux de volatilité et des primes de
risques observées, mais aussi des effets
imprévisibles des politiques monétaires nonconventionnelles
sur
les
variables
macroéconomiques.
Pour l'allocation stratégique des portefeuilles
diversifiés, malgré ces grands changements,
l'approche traditionnelle basée sur un ratio de
Sharpe égal pour toutes les classes d'actifs,
garde tout son intérêt car elle assure une bonne
diversification du risque.
Mais pour déterminer une rentabilité anticipée
pouvant servir de référence à l’actualisation des
passifs, il convient d'adopter une approche plus
fine. Il faut notamment tenir compte de la
dépendance
observée
au
scénario
macroéconomique et du biais en faveur des
actifs moins risqués ou moins liquides, qui a été
observé et documenté dans les recherches
universitaires.
Pour relever ces défis, il est désormais
nécessaire de faire appel à des expertises
complémentaires en macroéconomie, en
économétrie et en finance quantitative.
La rentabilité des actifs est également influencée par la conjoncture macroéconomique.
Les
nouvelles
tendances
en
matière
d'allocation d'actifs considèrent les classes
Les performances des
d'actifs comme représentatives des variables
actifs sont aussi
macroéconomiques ou d’indicateurs de stress
influencées par la
et de liquidité. L'inflation est notamment l'une
conjoncture
des principales variables explicatives du
comportement des classes d'actifs, puisqu'une
macroéconomique.
montée de l'inflation est souvent associée à
une
dégradation
de
la
conjoncture
économique.
“
”
[1] Pour une analyse plus complète et technique, lire “Unexpected Returns: Methodological Considerations on Expected
Returns in Uncertainty “ Sylvie de Laguiche et Gianni Pola – Amundi Working Paper WP 032-2012, novembre 2012.
[2] « Les grands mouvements sont le plus souvent suivis de grands mouvements et les petites variations sont le plus
souvent suivies de petites variations » (Mandelbrot, 1963).
[3] Les moyennes historiques sont de bons indicateurs si, et seulement si, le processus stochastique (sous-jacent) est
stationnaire. L'évolution très rapide des régimes de marché et les dynamiques non-stationnaires nous empêchent de
prévoir les performances à partir des moyennes historiques, ce qui les rend inobservables.
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D'après Ilmanen (2011)
8%
6%
5%
Actions
Immobilier
Futures matières premières
Obligations du Trésor
4%
Crédit Haut Rendement
3%
Crédit Investment Grade
2%
Bons du Trésor
5%
0%
1%
-5%
-10%
-15%
-20%
Rentabilité réelle moyenne 1960-2009
7%
Petites capitalisations
0%
-30%
-25%
Rentabilité réelle moyenne pendant les crises (1974, 1981, 2008)
La mauvaise performance des marchés d’actions dans les années 70 caractérisées par une
forte inflation (8 % en moyenne aux Etats-Unis) illustre bien ce mouvement ; cf. graphique
2). Malgré cette influence non négligeable, l'inflation ne constitue pas le principal facteur
déterminant les performances des actions. Dans un article qui sera publié prochainement,
nous expliquerons en détail comment segmenter les classes d'actifs en fonction de leur
sensibilité aux variables macroéconomiques. Cette analyse montre qu'il est indispensable
d'aller au-delà d'une approche purement historique.
Rentabilités nominales obligations à 10 ans & actions américaines (1871-2012)
20%
Performance annualisée
15%
10%
obligs
`
actions
5%
inflation
0%
-5%
1870
1880
1890
1900
1910
1920
1930
1940
1950
1960
1970
1980
1990
2000
2012
Moy
2
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2
Les principales approches d'évaluation de la
rentabilité anticipée
Si les modèles statistiques tentent de prévoir la rentabilité des actifs en s'appuyant sur des
données historiques, les modèles d'équilibre calculent la rentabilité anticipée en intégrant
des variables macroéconomiques prospectives. Les principales approches sont :
- une méthode normative, reposant sur des hypothèses de ratios de Sharpe pour chaque
classe d'actifs,
- les approches par modèles factoriels, reposant soit sur des outils d'analyse statistique (par
ex. l'analyse en composantes principales et l'analyse en composantes indépendantes), soit
sur des méthodes plus fondamentales qui estiment que les classes d'actifs représentent des
facteurs plus systématiques (par ex. inflation, PIB, illiquidité, aversion au risque),
- des techniques d'optimisation inverse conçues pour évaluer la rentabilité anticipée à partir
d'un portefeuille d'équilibre. Ces techniques produisent des rentabilités anticipées plus
robustes car dépourvues de biais et aboutissent à la construction de portefeuilles bien
diversifiés si le portefeuille d’équilibre de départ est déjà diversifié. En revanche, elles ne
permettent pas aux fonds de pension et aux compagnies d'assurance de calculer des taux
d'actualisation.
- des modèles d'équilibre, fondés sur des hypothèses macroéconomiques (par ex.
anticipations à long terme d'inflation et de PIB) et des facteurs de valorisation. Ces modèles
sont plus efficaces pour estimer les rentabilités anticipées mais aboutissent parfois à des
solutions extrêmes dans un optimiseur.
3
Une approche sans modèle : les avantages et les
limites du ratio de Sharpe
Une approche courante consiste à calculer la rentabilité anticipée à partir de la volatilité des
classes d'actifs et d'un ratio de Sharpe, identique pour tous les actifs de l'univers
d’investissement et cohérent avec les observations historiques à long terme.
Cett e approc he simple, que prônons
généralement chez Amundi, a l'avantage de ne
L'hypothèse d'un ratio
pas nécessiter de prévisions
Sharpe constant a
macroéconomiques. En effet, la rentabilité
permis de construire des
anticipée peut être exprimée comme l'addition
portefeuilles plus
du taux sans risque et d'un terme égal au
produit de la volatilité ex-ante et du ratio de
diversifiés
Sharpe. En outre, l'hypothèse du ratio de
Sharpe constant a montré qu'elle permettait de
construire des portefeuilles plus équilibrés en risque, ce qui la rend particulièrement utile
pour l'allocation d'actifs de portefeuilles diversifiés (par ex. des portefeuilles à diversification
maximale). Cette approche a cependant quelques faiblesses :
“
”
- son calcul implique l'utilisation d'un taux sans risque, généralement le rendement des
emprunts d'État. Mais peut-on aujourd'hui être sûr que les titres souverains sont toujours les
actifs sans risques les plus adéquats ? Dans le sillage de la crise de la zone euro, les
investisseurs espagnols et allemands devraient-ils utiliser comme référence les taux de
leurs titres d’Etat nationaux de court terme ? En effet, cela conduirait les investisseurs de
ces deux pays à formuler des anticipations de rentabilité très différentes, sinon, faudrait-il
utiliser la moyenne des taux de la zone euro ?
- De plus, les ratios de Sharpe sont très instables sur longue période. Le graphique 3
montre qu'un ratio de Sharpe de 0,25 est acceptable[4] sur le long terme pour les actions.
Mais en réalité, sur des périodes de 10 ans, ces ratios peuvent varier sensiblement,
s'échelonnant de chiffres négatifs à 1 pour les actions américaines.
- Cette approche fait l'hypothèse de la normalité des rendements des classes d'actifs, une
vision trop approximative pour les profils de performance les plus asymétriques ou à queue
de distribution épaisse. Les spécialistes préfèrent alors utiliser comme indicateur la volatilité
à la baisse .
[4]Pour obtenir le résultat 0,25, nous avons d'abord calculé le ratio Sharpe médian sur des fenêtres glissantes de 10 ans
pour chaque pays. Nous avons ensuite calculé la moyenne des médianes.
3
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- D'un point de vue historique, les classes
d'actifs les moins volatiles ont affiché des ratios
de Sharpe élevés. Cette caractéristique, bien
connue dans l'univers actions, dans lequel elle
a inspiré les approches minimum-variance,
s'applique aussi à un univers d'investissement
diversifié.
“
Les classes d'actifs les
moins volatiles affichent
des ratios Sharpe plus
élevés
”
Ratios de Sharpe historiques des actions (10 ans glissants)
1,5
1
0,5
0
-0,5
Etats-Unis
Japon
Allemagne
France
juil-11
juil-09
juil-07
juil-05
juil-03
juil-01
juil-99
juil-97
juil-95
juil-93
juil-91
juil-89
juil-87
juil-85
juil-83
juil-81
juil-79
juil-77
juil-75
juil-73
juil-71
juil-69
juil-67
juil-65
-1
Royaume-Uni
Nous avons également montré que le ratio de Sharpe moyen des marchés actions de l'UEM
était nettement plus élevé que la moyenne des composantes individuelles, venant ainsi
confirmer les avantages de la diversification. Historiquement, les classes d'actifs illiquides
ont aussi affiché un ratio de Sharpe plus élevé que les actifs liquides, ce qui a compensé en
partie leurs coûts de transaction plus élevés et leur moindre flexibilité lors des
rebalancements des portefeuilles. En outre leurs prix sont souvent lissés, entraînant une
sous-estimation probable du risque réel qu'elles présentent, ce qui augmente artificiellement
leur ratio de Sharpe.
En appliquant cette méthode, les rentabilités anticipées sur les actions se traduiront par des
résultats très variables en fonction de la granularité choisie pour l'univers actions. 0,25 reste
néanmoins un niveau globalement raisonnable pour les ratios de Sharpe individuels des
pays sur longue période, tandis que ceux des indices actions mondiaux auront tendance à
être plus élevés en raison de la diversification de ce type d'indice. En outre, dès lors que le
niveau absolu de rentabilité anticipée d'un portefeuille est important (par ex. pour le calcul
du taux d'actualisation du passif des fonds de pension et des compagnies d'assurance),
nous préférons procéder à une description plus détaillée des ratios de Sharpe par classe
d'actifs.
4
Vers des approches indépendantes des
rentabilités anticipées
Plus récemment, le secteur financier est allé encore plus loin dans l'innovation en mettant au
point des approches d'investissement ne tenant pas compte des hypothèses de rentabilité
anticipée. Les plus répandues sont les stratégies de variance minimum, de diversification
maximum et de parité des risques. La première s'applique aux portefeuilles actions, alors
que les deux autres sont adaptées également aux allocations diversifiées. Ces approches
permettent aux investisseurs de déterminer leur allocation en fonction (uniquement) d'un
modèle de risque sur les classes d’actifs. Comme elles ont tendance à surpondérer les actifs
4
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les moins risqués, il faut mettre en œuvre un effet de levier sur les actifs peu risqués afin de
maintenir un équilibre entre les contributions au risque des différentes classes d'actifs dans
le cas des portefeuilles à profil de risque moyen ou élevé. L'approche à parité des risques
s'est révélée plus efficace que la solution de moyenne-variance lorsqu'il existe une
incertitude importante sur les paramètres pris en compte. Ces stratégies, purement
statistiques, reviennent à diversifier des informations inobservables. Elles augmentent ainsi
la robustesse du processus de construction des portefeuilles, tout en restant indépendantes
d'un scénario macroéconomique donné et des valorisations de marché.
Conclusion
Les approches utilisées pour calculer les rentabilités anticipées ont beaucoup évolué :
longtemps axées sur les fondamentaux des actifs, elles font désormais la part belle aux
modélisations fondées sur la prime de risque des actions sur le long terme. Récemment,
des travaux académiques ont étudié les primes de risque en les considérant comme des
quantités variables dans le temps, et ont cherché à élargir l'univers d'investissement aux
actifs non-traditionnels (matières premières, immobilier), à de nouveaux styles de gestion
(value, momentum, portage, volatilité) et à divers facteurs sous-jacents (croissance,
inflation, illiquidité et risques extrêmes).
Les réflexions actuelles sont de plus en plus complexes et s'inspirent à de nombreux égards
des méthodes de gestion de portefeuille. Faire l'hypothèse normative d’un ratio de Sharpe
commun pour les différentes classes d'actifs nous permet de construire des portefeuilles
plus diversifiés. Cette approche reste attractive malgré, les limites que nous avons
évoquées.
Nous recommandons toutefois de donner plus de poids au risque dans la construction des
portefeuilles et d'associer diverses approches complémentaires pour déterminer les
rentabilités anticipées à long terme, en s'appuyant sur des expertises multidisciplinaires :
macroéconomie, économétrie et finance quantitative. Les modèles comportementaux sont
aussi importants pour expliquer certaines anomalies de marché bien documentées dans la
littérature.
5
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Correspondants
Rédacteur en chef
Philippe Ithurbide - Directeur Recherche, Stratégie
et Analyse - Paris
+33 1 76 33 46 57
Contributeurs
Sylvie de Laguiche – Responsable Recherche
Quantitative – Paris
Gianni Pola – Recherche Quantitative – Paris
Eric Tazé-Bernard – Conseil en Investissement –
Paris
Support
Pia Berger – Recherche, Stratégie et Analyse –
Paris
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Directeur de la publication : Pascal Blanqué
Rédacteur en chef : Philippe Ithurbide
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«MIF», les prestataires de services d’investissements et professionnels du secteur financier, le cas échéant au sens de chaque réglementation locale et, dans la mesure où
l’offre en Suisse est concernée, les « investisseurs qualifiés » au sens des dispositions de la Loi fédérale sur les placements collectifs (LPCC), de l’Ordonnance sur les
placements collectifs du 22 Novembre 2006 (OPCC) et de la Circulaire FINMA 08/8 au sens de la législation sur les placements collectifs du 20 Novembre 2008. Ce
document ne doit en aucun cas être remis dans l’Union Européenne à des investisseurs non « Professionnels » au sens de la MIF ou au sens de chaque réglementation
locale, ou en Suisse à des investisseurs qui ne répondent pas à la définition d’« investisseurs qualifiés » au sens de la législation et de la réglementation applicable.
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