La photographie : l`un des beaux arts ? Au regard de la facilité

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La photographie : l`un des beaux arts ? Au regard de la facilité
HISTOIRE DES ARTS — EUGÈNE ATGET
La photographie : l’un des beaux arts ?
Au regard de la facilité technique avec laquelle chacun peut pratiquer la photographie, on
peut se demander à quel titre celle-ci ferait partie des beaux arts. C’est supposer que l’image
photographique ne fait que reproduire la réalité, que l’on se hâte alors d’identifier, de situer
dans le monde que nous connaissons. Cependant, c’est oublier que si l’on reconnaît l’objet, le
paysage ou la personne présent dans l’image, celle-ci produit sur nous un effet tout particulier,
tout à fait distinct de “l’original”.
En effet, prendre une photographie, c’est prélever un élément de la réalité commune, pour
en faire un autre usage. Au lieu d’accepter les choses telles qu’elles se présentent à nous, on y
opère une découpe inédite. Le cadrage est donc au centre de l’acte de photographier. Le
photographe fait un “trou” dans la réalité ambiante : il s’approprie celle-ci en sorte qu’elle lui
appartienne.
Ce cadrage engendre une transformation radicale des éléments photographiés. Ce qui
apparaît dans une photographie n’est donc pas la “réalité référentielle” mais bien plutôt une
réalité hallucinée : au fond, on photographie des choses que personne n’a jamais vues. Et cela,
quand bien on s’exclamerait: “Tiens, je le reconnais !” On identifie, alors, un objet qui se
présente à nos yeux sous une forme renouvelée, dans une image qui porte l’estampille du
regard singulier du photographe.
L’opération matérielle de cadrage produit l’objet esthétique. On sait tous comment le cadre
d’une fenêtre en force notre regard : en classe, on tourne toujours les yeux dès que quelqu’un
passe à l’extérieur, alors qu’on n’éprouverait aucun sentiment de curiosité si l’on était soimême dehors. Dès lors, on peut dire que la photographie présente l’image cernée par le cadre,
mais aussi qu’elle nous cache toute une part à nos yeux : l’image est composée à la fois de ce
qui est donné à voir, et de la dimension qui demeure invisible, c’est-à-dire, le contexte
d’ensemble, qui permettrait une interprétation réaliste.
La photographie a évolué. Sous sa forme argentique (avec plaque de verre ou pellicule),
elle est un art moderne, dans le sens où elle se pratique au moyen d’un appareil mécanique, et
repose à la fois sur des calculs d’optique (mesure de la lumière, mise au point) et sur une
maîtrise des éléments de la chimie (pour le développement de la pellicule et la fabrication des
tirages sur papier). Aussi, la lumière imprime l’image matériellement sur le support, de la
même façon que les ondes sonores se marquaient dans la cire des premiers cylindres et
disques, au moyen de l’aiguille : il s’agit d’une technologie analogique. Contrairement à la
peinture, qui entraîne la manipulation de la matière, l’intervention de l’appareil mécanique,
dans la photographie, introduit une esthétique de l’instantané et de la série : on peut multiplier
les prises de vue d’un même sujet ; chacune de ces prises de vue est déjà complète. La
peinture, en revanche, suppose une succession de gestes aboutissant à un seul produit final.
La photographie devient un art postmoderne avec l’introduction de la technologie
numérique. Elle est alors entièrement dématérialisée : la lumière est convertie en un code
informatique, au lieu de marquer la matière. Elle se prête ensuite à une dissémination illimitée
par les réseaux de l’internet, et à une manipulation systématique. De même, le temps d’attente
entre la prise de vue et la visualisation est réduit à une fraction de seconde, et le nombre de
prises de vue est potentiellement illimité (moyennant plusieurs cartes mémoire). Par contraste,
avec la photographique argentique, on peut voir l’image qu’on a prise seulement une fois que
l’on a développé la pellicule. Cette démarche suppose un élément de risque où le photographe
ne peut être complètement certain du résultat final, ni de l’effet que celui-ci produira sur le
spectateur.
L. BROWN
PHOTOGRAPHIE : « ANCIEN PASSAGE DU PONT-NEUF »
ÉLÉMENTS D’ANALYSE
Points techniques
L’utilisation d’un objectif à grand angle renforce le dynamisme des lignes convergentes.
On note aussi un effet de vignettage (l’ombre en haut, à gauche), produit quand l’image
projetée par l’objectif ne couvre pas complètement la surface de la photographie. Important :
Atget réalisait ses images avec une chambre (voir bibliographie infra).
Qualité matérielle de l’image : il faut noter que l’utilisation d’une chambre donne une
image extrêmement nette. Atget réussit à rendre le premier plan et l’arrière-plan aussi nets
l’un que l’autre, ce qui accentue l’étrangeté de la scène.
La réalité représentée
Il ne s’agit pas des beaux quartiers de Paris, mais d’un lieu en cours de transformation :
un chantier de démolition. Il est à noter aussi que la scène est vide de toute présence
humaine : les objets y occupent la première place.
Si l’on accepte la notion que la photographie représente une “réalité halluciné”, ou
quelque chose que l’on n’a jamais vu, cela est d’autant plus vrai d’un lieu qui est voué
disparaître : désormais, la scène n’existe plus que dans cette image, qui ne possède plus
d’équivalent dans la réalité.
Une telle scène fonctionne alors selon son propre dynamisme, présentant un ensemble de
formes, de lignes, de valeurs, qui ont une efficacité esthétique.
Composition de l’image
“Règle des tiers” : classiquement, pour être esthétiquement satisfaisante, la composition
d’une image doit suivre une division en trois parties (comme dans un commentaire composé à
l’école !), afin de mieux situer le cœur du tableau en lien avec son contexte environnant qui,
alors, fonctionne comme un nouveau “cadre” à l’intérieur de l’image. Par exemple, un
paysage qui occuperait les deux tiers, sur l’axe vertical, laissant un tiers pour le ciel (ou
l’inverse). Ici, l’image se divise en trois grands blocs : les poutres au sol (occupant tout le bas),
le mur tenu par des étais (haut droit), et l’immeuble au fond à gauche. En suivant l’axe
vertical, nous trouvons : poutres/immeuble/ciel. En suivant l’axe horizontal : poutresimmeuble-ciel (= un tiers) et mur (= un tiers).
Les poutres au sol forment un triangle qui conduit l’œil du bas de l’image vers le milieu,
tandis que les étais – eux aussi posés en biais – relient le milieu de l’image et le haut droit.
Les roues avec brancard se distinguent par leur forme arrondie. Elles semblent composer une
polarité avec l’immeuble ; les poutres font de même à l’égard des étais.
Les morceaux de bois, et la charrette, apparaissent comme un assemblage de formes
pures, alors que l’immeuble au fond représente une forme achevée. Cet immeuble apparaît
donc comme le cœur de l’image. On peut avancer l’interprétation suivante de cette
photographie : le dynamisme propre de celle-ci semble suggérer que cet immeuble risque de
se voir bientôt englouti par le processus de destruction (on pourrait aussi risquer
l’interprétation inversée : l’immeuble résiste à la démolition).
L. BROWN
BIBLIOGRAPHIE
L’image étudiée : <http://liquidnight.tumblr.com/image/270796596>
Sur Eugène Atget : <http://classes.bnf.fr/atget/>
Consulter aussi :
<http://www.atgetphotography.com/The-Photographers/Eugene-Atget.html>
EUGÈNE ATGET
IMAGE À ÉTUDIER
Ancien passage du
Pont-Neuf, 1913.
LA COMPOSITION : UN CONTRE-EXEMPLE
Porte de Bercy. Chemin de fer du PLM. Sortie de Paris, boulevard Poniatowski, Paris (XIIe arr.). 1910.
Photographie d'Eugène Atget. Bibliothèque historique de la Ville de Paris