hypnotherapie de l`anxiete et de la depression - Psycho

Transcription

hypnotherapie de l`anxiete et de la depression - Psycho
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PALAIS DES CONGRÈS
XÈME CONGRÈS ERICKSONIEN
« HYPNOTHERAPIE DE L’ANXIETE
ET DE LA DEPRESSION »
LE TRAITEMENT DES ETATS DEPRESSIFS PAR M.H.ERICKSON
Communication du Dr Eric Mairlot∗
Je vais évoquer les thérapies qu’Erickson a menées avec des patients
dépressifs. Heureusement, seules 10 d’entre elles ont été publiées dans tous les
livres et articles concernant Erickson. Or, curieusement, un seul de ces cas a été
traduit dans l’un des best-sellers d’Erickson (« Un Thérapeute Hors du Commun » ;
trois autres viennent de l’être grâce à la traduction de « A Teaching Seminar With
M.H.Erickson »).
En fait, cette exégèse fut très facile, grâce au livre de Bill O’Hanlon qui vient
enfin d’être traduit : « Thérapies Hors du Commun, l’œuvre clinique complète du Dr
Milton H. Erickson » (éd. Satas). Il reprend toutes les thérapies d’Erickson classées
par pathologies ou type de problème ; de plus, lorsque les versions varient d’une
source à l’autre, les différences sont décrites. Chaque thérapie est suivie d’une grille
reprenant une série d’informations classées comme suit : la définition du problème,
sa durée, l’âge du patient, les techniques utilisées, la longueur du traitement, le
résultat, et le suivi après la thérapie (ainsi, O’Hanlon a été retrouver certains patients
d’Erickson pour en savoir plus, au-delà des interprétations de chacun des auteurs) ;
puis il y a la source anglophone - ou francophone si le cas a été traduit.
Je vais tenter de commenter ces cas en soulignant les idées et stratégies
thérapeutiques d’Erickson par rapport aux situations ou crises dépressives.
J’insiste sur ces mots, car le titre de cet exposé, lui, est typiquement psychiatrique ;
en effet, la psychiatrie traite des maladies : pas Erickson. On ne peut pas vraiment
dire qu’il traite des individus, car il ne travaille pas la structure de la personnalité,
d’ailleurs il refuse de temps en temps de prendre des patients en thérapie, et je
pense que c’est parce qu’il détecte chez eux un important trouble de personnalité : le
dernier cas décrit ici est ainsi refusé par Erickson. Donc, Erickson travaille sur des
situations problématiques en adaptant le traitement à chaque personne dans son
contexte de vie.
Si j’ai gardé ce titre, c’est pour montrer une analogie entre ce qu’on appelle
communément les états1 hypnotiques, et certains états pathologiques. J’évoque
l’hypothèse que certains états dépressifs sont des formes d’états hypnotiques
comme beaucoup d’états phobiques, d’états traumatiques, d’états boulimiques etc :
« états problématiques » dans lesquels on peut identifier des phénomènes
« hypnotic-like » qui entretiennent la pathologie.
Dans les crises dépressives, on retrouve des ruminations : autant d’autosuggestions négatives ; des phénomènes dissociatifs divers : physiques, émotionnels
∗
Consultant aux Hôpitaux Universitaires de Bruxelles, Président de l’Institut de nouvelle hypnose, et Président
de la Société belge d’hypnose.
1
Le mot « état » est une habitude langagière communément utilisée dans ce contexte, et peut être
avantageusement remplacé par le mot « processus » ; « état » restera souvent utilisé pour la légèreté du texte.
2
ou dissociatifs par rapport à la réalité extérieure, de la régression en âge, des
réponses idéo-dynamiques physiques diverses, de la distorsion temporelle, etc2.
Autant de ficelles hypnotiques qui vont nous permettre de dénouer la problématique
symptomatologique du patient, d’où l’importance pour les praticiens d’apprendre à
connaître l’hypnose à la fois dans un but diagnostique plus fin, plus
phénoménologique, et enfin dans un but d’efficacité thérapeutique.
Pour revenir à l’attitude psychiatrique classique par rapport à la dépression,
avouons qu’elle est souvent pusillanime devant cette maladie mortelle, régulièrement
de longue durée et annonçant souvent une série de rechutes ultérieures ; nous
sommes donc très contents de pouvoir déplacer notre responsabilité
psychothérapeutique sur les médicaments ; malheureusement, ils posent divers
problèmes :
1. Ils n’aident pas près d’une fois sur quatre.
2. Lorsqu’on les arrête, ils ne protègent plus contre la rechute
3. Mais le problème le plus important est que le patient attribue sa guérison à une
solution extérieure et n’a donc acquis, ni conscience des problèmes
interactionnels, ni confiance en ses propres capacités de se guérir ; il pourra
même ressentir parfois une moindre confiance en lui-même: il restera donc très
sensible à la rechute; alors que l’hypnose contemporaine, elle, utilise comme
solution des ressources intérieures ; l’attitude du patient envers la guérison sera
donc toute différente lorsqu’il ressentira des émotions pénibles, il aura une
certaine confiance en ses propres capacités à les gérer et à faire face à un
éventuel état dépressif.
L’un des grands apports d’Erickson par rapport à notre pusillanimité face à
cette maladie lourde est son art de communiquer des idées pour changer, mais
surtout des émotions différentes ; et pour cela on peut dire qu’il ose… tout en
engageant pleinement sa responsabilité de thérapeute. Dès qu’il a réussi à rentrer
dans le monde subjectif du patient dépressif (c’est d’ailleurs valable pour les autres
troubles émotionnels), il cherche à modifier le contexte émotionnel du patient. Il
provoque ainsi la colère ou le rire, pour sortir le patient de son état de façon plus ou
moins brutale, visant bien sûr le mieux-être. Erickson peut ainsi être assez
« choquant », pour sortir le patient de son cadre de référence dépressogène (cognitif
et/ou contextuel), et l’on pourrait même faire l’hypothèse qu’Erickson induisait ces
« chocs » pour sortir le patient de sa « transe dépressive » .
D’ailleurs, Erickson utilisera dans les cas décrits soit de l’hypnose sans choc,
soit du choc sans hypnose, comme si en fonction du cas il avait soit à induire une
transe positive pour effectuer un changement, soit à interrompre brutalement une
transe négative.
J’évoquerai d’autres stratégies pendant les histoires des patients.
Voici donc 10 cas : (il y en a 316 dans ce livre, donc 3% de dépressions) 4
hommes et 6 femmes, 9 réussites et un échec par refus de thérapie. 8 sont des
dépressions graves et 3 sujets sont suicidaires.
CAS 1 (n°151)
2
C. F. la description de la « transe dépressive » dans le dernier ouvrage de Michael Yapko, et le concept d’autohypnose négative de Daniel Araoz.
3
Le premier cas est celui d’un étudiant qui vit une dépression réactionnelle
modérée. Il ne parvient pas à mener de front 1) ses études de jour 2) son travail de
nuit 3) son apprentissage de la musique, pour lequel il n’avait plus le temps de
progresser comme il l’avait pourtant promis à son employeur, patron d’une boîte de
nuit où il travaillait le week-end.
Lors de deux séances d’hypnose, Erickson suggéra que pendant les pauses
de son travail de nuit, l’étudiant hallucinerait sa pratique musicale : le patient s’en
sortit en deux séances. Erickson a donc utilisé l’hypnose pour augmenter les
capacités du patient en utilisant des phénomènes hypnotiques comme la distorsion
temporelle, la suggestion post-hypnotique amnésiée, la mentalisation avec
hallucinations pour rendre un apprentissage plus performant. C’est le seul cas de
dépression où il utilise cette stratégie du « mieux faire face » aux exigences de la
réalité du patient ; sans doute parce que c’était le seul cas de dépression modérée,
donc le sujet avait encore des ressources cognitives suffisantes pour utiliser
l’hypnose dans ce sens. Ce qui n’est pas toujours le cas, et c’est souvent pour cela
que beaucoup d’hypnothérapeutes hésitent à utiliser l’hypnose dans le traitement de
la dépression.
CAS 2 (n°152)
Le deuxième cas porte sur une dépression sans cause apparente ; cette
patiente avait comme symptôme supplémentaire une pénible manie de griffonner.
Erickson va utiliser ce symptôme pour lui prescrire de se préparer à faire du dessin
automatique sous hypnose. Ensuite, fait étonnant par rapport à nos croyances au
sujet d’Erickson, et seul cas de dépression où il utilisera cette stratégie, le voici en
train de pousser un patient à chercher la cause de son problème. Il questionne
l’inconscient de la patiente par l’écriture automatique, de la manière suivante : « votre
inconscient va vous fournir les informations nécessaires ». Elle réalisa ainsi que son
père avait eu une aventure avec sa meilleure amie, d’où une abréaction de colère.
Elle affronta ensuite cette amie, puis rompit avec elle. Elle guérit de ses symptômes
(et un follow up de quelques années permit d’apprendre qu’elle était mariée et
heureuse).
CAS 3 (n°153)
Le troisième état dépressif est plus lourd, une sorte de dépression existentielle
avec un risque suicidaire majeur. La psychothérapie d’Erickson fut cette fois très
longue. Je vais donc me contenter d’en pointer les étapes majeures, d’autant plus
que ce cas ne sera peut-être jamais traduit ailleurs.
Dottie, étudiante en psychologie âgée de 31 ans, était paralysée des membres
inférieurs depuis 10 ans. Elle n’avait plus aucune sensation à partir de la taille, et
souffrait d’incontinence fécale et urinaire. Elle était donc en chaise roulante depuis
son accident, et son fiancé avait alors rompu avec elle. La demande qu’elle faisait à
Erickson était de trouver soit un sens à sa vie, soit une justification à son suicide. Ses
valeurs de vie avaient toujours été le mariage et les enfants ; celles d’Erickson aussi
( !) et donc il travailla dur pour qu’elle y parvienne.
Lors de la première séance d’hypnose, il lui fit halluciner un orchestre jouant la
chanson « l’os de l’orteil relié à l’os du pied etc… », suggérant que tout est lié dans le
4
corps même si l’on n’en ressent plus la moitié. Pendant ce temps, un deuxième
orchestre jouait « faire ce qui vient naturellement… », donc suggestion indirecte
centrée sur le corps, et donc aussi sur ses « besoins naturels » à accepter
(puisqu’elle se plaint de son incontinence !).
La séance d’hypnose suivante va durer 4 heures. Erickson va reculer les
limites des croyances sur les couples, en y incluant toutes sortes de handicaps chez
des femmes comme les femmes-giraffes, avec leur tête qui s’écroule lorsqu’on
enlève leurs colliers… donc il casse la croyance qu’une handicapée incontinente ne
peut attirer les hommes.
De plus, la patiente avait également la croyance qu’elle était devenue inutile
sexuellement puisque insensible. Erickson va, en hypnose, lui faire imaginer une
série de liens anatomiques pour la réassocier à ses organes… Il dit par exemple
ceci : même si l’organe urinaire extérieur ne fonctionne plus, les reins fonctionnent.
Implication : même si l’organe sexuel extérieur ne ressent plus rien, les organes
internes eux fonctionnent.
Dans une autre version de ce cas, Erickson utilise une connaissance de cette
psychologue à savoir la capacité de déplacer un symptôme en suggérant que la
femme peut ressentir des orgasmes ailleurs que dans la zone sexuelle. Puis,
toujours en hypnose, il lui fait visualiser des visages d’enfants pleins d’espoir
lorsqu’ils attendent un cadeau ou un câlin. Quelle suggestion d’attente pour
quelqu’un qui rêvait « d’attendre des enfants » de sentir qu’ils l’attendent également !
Voici un point incontournable des thérapies d’Erickson : la création d’attentes ; cela a
été très bien théorisé par Yapko dans « When Living Hurts ».
Résultat de cette longue thérapie, dont on ne connaît que les étapes jugées
principales par Erickson : c’est le conte de fées. La patiente se maria (avec un
gastro-entérologue, ou, selon une autre version, un chercheur sur les fèces et les
urines !), fut heureuse en couple, très satisfaite d’atteindre l’orgasme (non-génital), et
mit au monde quatre enfants. (Bien des années plus tard, on réalisa qu’elle avait fait
une amnésie complète de la thérapie).
CAS 4 (n°154)
L’état dépressif suivant est de cause non-connue, comme le deuxième, et
pourtant cette fois Erickson ne fera ni anamnèse ni recherche de cause. C’est
d’ailleurs au sujet de cette thérapie qu’il a énoncé l’idée devenue célèbre : le
thérapeute n’a pas besoin de savoir pourquoi le patient a besoin d’une thérapie et le
patient n’a pas besoin de savoir que la thérapie est en cours. (D’où l’utilisation
fréquente de l’amnésie). On va donc dans ce cas observer son attitude aspécifique
par rapport à la dépression en général.
Il s’agit d’une jeune femme qui dans plusieurs versions s’appelle Janice Pond,
et dans une autre Betty. Elle souffre d’une dépression plus ou moins compensée,
cachée, et est sur le point de se suicider. Elle est infirmière et orpheline. C’est
Erickson qui la choisit comme sujet d’une démonstration qu’il devait faire dans son
hôpital, et elle fut « heureuse » quoi qu’inquiète d’expérimenter l’hypnose : c’était
semble-t-il sa dernière envie avant de se donner la mort. (L’hypnose est souvent en
elle-même un créateur d’attentes pour des patients qui ont tout essayé: ils voient en
elle un dernier espoir…).
Erickson connaissait donc deux choses importantes sur cette patiente : d’une
part, l’hypnose en tant qu’expérience nouvelle et inconnue créait chez elle une
attente. D’autre part, sa peur d’éclater en sanglots et de révéler ses intentions
5
suicidaires sous hypnose indiquait une peur significative de la perte de contrôle de
ses émotions et de sa volonté consciente. Je pense que c’est pour cette raison
qu’Erickson utilise l’hypnose d’emblée. On peut généraliser cette hypothèse à de
nombreux sujets souffrant d’états dépressifs (ainsi qu’à de nombreux anxieux), qui
tentent de lutter consciemment contre leurs émotions pénibles. En effet, plus ils
luttent pour résister et contrôler, plus ils se maintiennent dans la dépression, ou pire,
souvent ils l’aggravent en la chronifiant. Donc l’hypnose en elle-même est une
métaphore thérapeutique: « on va chercher d’autres moyens, d’autres solutions,
autrement qu’en luttant consciemment contre les émotions », ainsi on abandonne les
résistances, ce qui permet de substituer à ces affects dépressifs d’autres émotions
allant vers le mieux-être.
Ainsi, Erickson induit chez Janice une hypnose par suggestion de relaxation,
puis propose de l’écriture automatique avec suggestion de régression en âge pour
qu’elle retrouve une satisfaction (un plaisir) lié à la fois à un apprentissage et au
développement de son identité. Comment fait-il tout cela ? En suggérant simplement
ceci en hypnose : « utilisez cette main droite pour écrire votre prénom comme vous
l’avez fait la première fois, lorsque vous avez appris à écrire étant enfant ; vous allez
ressentir la même satisfaction.
Il s’agit de plus d’une provocation, car Erickson savait qu’elle était une
gauchère contrariée, elle avait refusé d’écrire de la main droite hors hypnose, mais
ici elle accepte : donc Erickson a réussi à lui faire dépasser ses limites. Puis, il lui
demande : « quelle main souhaitez-vous utiliser ? ». Elle plaque alors ses mains sur
son front, prête à pleurer. Erickson lui dit : « je suis votre ami, pas votre
professeur ». A ces mots, elle réécrit son nom de la main gauche, et paraît
extrêmement satisfaite.
La stratégie d’Erickson était de la mettre en position d’abréaction de tristesse,
et très vite il chasse cette émotion en mentionnant sa présence pour elle : « je suis
votre.. », et continue par une suggestion idéo-affective amenant une émotion
heureuse d’abord : « que souhaitez-vous (en parlant de sa main) », « écoutez votre
désir naturel (écrire spontanément) ». De plus, par le « je suis votre ami », il suggère
une relation de confiance avec lui, en tant qu’homme. D’ailleurs… elle se maria et eut
beaucoup d’enfants ! !
Erickson ratifie ce changement émotionnel par cette suggestion directe (hors
transe) : « Vous êtes parvenue à surmonter cette difficulté, vous êtes capable de
surmonter vos problèmes actuels ».
Cela ne s’arrête pas là. Erickson fait alors, en transe, trois métaphores
importantes. Sous distorsion temporelle (« le temps s’est étiré et chaque seconde
dure une journée »), elles ont la forme d’une visite guidée et évoquent toutes ce qui
donne de la valeur à la vie.
1. La première : au Jardin Botanique. Par exemple, les plantes vivaces meurent (en
octobre) et … renaissent au printemps - avec d’autres messages comme
l’importance de vivre dans le présent, de se projeter dans le futur en évoquant les
graines, puis les fruits, etc.
2. La deuxième : au Zoo. Erickson évoque les différentes façons de vivre, les
différentes étapes du cycle de la vie et ses prodiges (« on ne peut pas tout
comprendre mais on ne peut pas s’empêcher d’être fasciné ») comme les
migrations : « les animaux partent pour des endroits plus adaptés » – rappelonsnous qu’à la fin du traitement Janice aura « changé d’état » (migré dans un autre
état des USA et… quitté l’état dépressif !)
6
3. La troisième : une plage, où de nombreuses générations ont pris du plaisir dans
le passé, prennent du plaisir dans le présent, et en prendront dans le futur (il fait
mention des Indiens par opposition aux puritains). Puis il décrit une tempête
évoquant la perte du plaisir, et fait une suggestion « bateau » mais ô combien
essentielle pour les troubles émotionnels : « …après la pluie vient le beau temps,
et aucune souffrance ne dure éternellement ! ».
CAS 5 (n°155)
Le cas de cette patiente est intéressant car en plus d’une dépression
réactionnelle grave, elle souffre d’inhibition sociale. C’est une belle histoire, dont je
tracerai ici les grandes lignes.
Il s’agit d’une enfant adoptée, qui eut des relations très difficiles avec ses
parents adoptifs. Dès qu’elle fut majeure, elle fit un cut-off (elle quitta brutalement et
précocement ses parents) et déprima.
Elle fit une demande de thérapie à Erickson, en précisant qu’elle ne voulait
aucun autre interrogatoire, et contrairement au cas précédent, Erickson refuse de la
traiter s’il ne peut obtenir un minimum d’informations sur son passé !. Elle éclate
alors en sanglots, et lui raconte son histoire.
Erickson induit une hypnose avec régression, au cours de laquelle il lui fait
voir ses tous premiers souvenirs de 0 à 6 ans année par année ! Il fait référence aux
apprentissages précoces positifs, ce qui pour nous psychothérapeutes paraît
fastidieux et banal, mais qui pour cette patiente inhibée dut paraître horriblement
dégoûtant, scatologique et obscène… J’ai cité le stade oral, anal et génital ! La
preuve en est que la séance suivante, la patiente arrive furieuse contre Erickson, ne
trouvant pas d’injure assez forte… Erickson a cette répartie géniale : « Commencez
par me traiter de sale bâtard de fils de pute ! » : belle utilisation de la colère de la
patiente, car il fait passer des messages à plusieurs niveaux : 1) en lui suggérant
d’augmenter sa colère, il ratifie une émotion nouvelle qui se substitue à l’ancienne
(dépressive). 2) il utilise des termes très choquants destinés à la désinhiber. 3) il fait
référence au pire de ce qu’elle a peut-être imaginé ou réprimé sur ses origines
inconnues, puisqu’on se souvient qu’elle est une enfant adoptée… une « bâtarde de
fille de pute » ?
Or, la patiente répète l’insulte et éclate de rire ! Voici qu’une évocation qui
aurait pu la faire fondre en larmes, produit au contraire une telle dissociation par
rapport à l’affect de départ que c’est une émotion antagoniste qui surgit. Erickson
utilisera cette stratégie dans les séances suivantes (d’autant que c’est probablement
l’évocation des apprentissages précoces qui a traité les symptômes dépressifs de
dyspepsie et de constipation chez la patiente).
Erickson continue la régression année par année jusqu’à la fin des études de
la patiente, lui faisant revivre uniquement des souvenirs la concernant et n’impliquant
pas sa famille, afin qu’elle évite de se rappeler les souvenirs traumatisants. Ainsi, il
utilise l’hypermnésie sélective, mais aussi des prises de conscience, et travaille
également avec les égo-states…
CAS 6 ET 7 (n°156 et 157)
Les deux cas suivants seront présentés de manière plus concise.
7
Le premier: une dame très croyante, de 52 ans, fort déprimée et en repli social quasi
complet. Erickson lui prescrit une tâche qui semble occupationnelle: cultiver des
Saintpaulias (fleurs demandant des soins très minutieux) pour les offrir aux
paroissiens, une fleur à chaque baptême, mariage, enterrement. Erickson dira : « elle
est tombée dans le piège », car cette tâche l’a indirectement resocialisée.
Second cas : un homme déprimé, se plaignant sans cesse de douleurs ; Erickson lui
prescrit de transférer l’énergie qu’il consacre aux douleurs dans une « énergie
positive » consacrée à semer des fleurs chez les autres. A l’effet désiré, similaire au
cas précédent (re-création d’un tissu relationnel), s’ajoute la création des attentes :
semer des graines c’est s’orienter vers le futur, et en attendre les fruits.
CAS 8 (n°158)
Ce cas illustre une prescription similaire de cette tâche (cas 6 et 7), mais
utilisée cette fois dans une dimension symbolique.
Une femme qui venait de se marier était atteinte d’une arthrite sévère, à cause
de laquelle tous les médecins lui déconseillaient une grossesse qui risquait
d’aggraver sa maladie ; de plus, selon son gynécologue, elle ne serait peut-être pas
à même d’accoucher. Or, comme elle désirait fortement un enfant, elle rentra dans
une crise dépressive grave avec des envies suicidaires. Neuf mois plus tard, son
mari l’amena chez Erickson. Elle dit à celui-ci qu’une grossesse valait bien mieux que
sa vie. Erickson lui répondit alors : « Soyez enceinte le plus vite possible. Si votre
arthrite s’aggrave, restez au lit et prenez plaisir à votre grossesse ; et quand viendra
le moment d’accoucher, vous pourrez avoir une césarienne ».
Voici un bel exemple de prise en compte du système des valeurs : Erickson
rentre dans le monde subjectif du patient, quitte à choquer les valeurs des médecins.
Etant médecin lui-même, il engage courageusement sa propre responsabilité (en
virant à 180° par rapport au sens médical commun).
« Heureusement », la patiente fut enceinte, sortit de sa dépression, son
arthrite s’améliora, elle accoucha sans incident d’une fille qu’elle nomma Cynthia.
« Malheureusement », à 6 mois, Cynthia mourut de la mort subite. La patiente
déprima plus que jamais, et annonça à Erickson : « Je veux mourir, c’est tout ».
Erickson lui répondit d’un ton « rude et incisif » (comme il le précise lui-même) :
« Madame, comment pouvez-vous être aussi stupide ? Pendant neuf mois, vous
avez vécu les plus beaux moments de votre vie. Vous voulez vous tuer et détruire
ces souvenirs ? Ça ne va pas. Vous avez vécu six longs mois de bonheur avec
Cynthia. Est-ce que vous allez détruire ces souvenirs ? Je pense que ce serait une
erreur criminelle. Votre mari va vous ramener chez vous et se procurer un jeune
plant d’eucalyptus. Vous lui direz où le planter. Les eucalyptus poussent très vite en
Arizona. Je veux que vous appeliez ce jeune eucalyptus « Cynthia ». Je veux que
vous regardiez grandir Cynthia. Je veux que vous attendiez le jour où vous pourrez
vous asseoir à l’ombre de Cynthia ».
Voici à nouveau un discours volontairement choquant, de façon à induire chez
le patient un contexte émotionnel particulièrement propice, pour provoquer une
réponse à des suggestions fortement opposées à ses intentions. Cette thérapie
n’utilise apparemment pas l’hypnose formelle, et pourtant elle est le fait d’un
hypnothérapeute expérimenté qui sait qu’induire un état émotionnel de cette façon
revient à induire un état modifié de conscience analogue à l’état hypnotique ; il suffit
de comparer les procédés utilisés par Erickson dans ses prescriptions de tâche, et
ceux de la micro-dynamique de la transe pour repérer l’effet de surprise, les
8
techniques de confusion, la communication par analogie et par injonctions. Et cela,
Erickson le fait toujours en rentrant dans le cadre subjectif du patient, puis en le
recadrant ; ainsi, plus vite il passe au recadrage, plus la prescription semble brutale :
il suffit d’observer le contraste entre « vous venez de vivre les plus beaux moments
de votre vie… » et « vous voulez tuer et détruire ces souvenirs ? Non, ce serait une
erreur criminelle » : il dit cela à une femme qui vient de perdre un enfant sans en
connaître la cause réelle – on imagine qu’elle doit se culpabiliser telle une mère
criminelle au sujet de la mort de son enfant. Cette phrase doit alors avoir en elle un
tel écho inconscient, que la prescription de tâche qui suit doit résonner comme étant
la seule solution possible…
CAS 9 (n° 159)
Voici le seul cas de dépression traduit dans un des best-sellers d’Erickson
(« Un Thérapeute Hors du Commun », p. 34).
Après une faillite, un brillant industriel rentra en dépression grave. Erickson le
rencontra lors de son hospitalisation en psychiatrie. Cet homme passait son temps à
pleurer et à balancer ses mains d’avant en arrière de manière répétitive. Erickson lui
déclara : « Vous êtes quelqu’un qui a eu des hauts et des bas… » (recadrage
métaphorique par rapport aux cycles de l’humeur, qui sont naturels chez l’être
humain mais lorsqu’ils sont particulièrement amplifiés, ils peuvent être diagnostiqués
comme maniaco-dépression). Erickson utilise ensuite le symptôme, en encourageant
le patient à déplacer ses mains « de haut en bas » plutôt que d’un côté à l’autre
(symptôme qui signifiait peut-être l’hésitation permanente qui le bloquait dans sa
position dépressive). Puis Erickson l’emmène en ergothérapie pour le placer dans un
contexte où ses mouvements allaient poncer le bois ! Et petit à petit, le patient trouva
de l’intérêt à poncer puis à sculpter le bois, il vendit même son jeu d’échecs (belle
métaphore inventée par le patient lui-même : il utilise son échec pour repartir dans la
vie professionnelle d’une autre façon)… le patient retrouve donc non seulement une
créativité concrète mais également une créativité psychologique en réponse à la
rigidité dépressive. Il reprit ensuite les affaires avec succès, grâce notamment à
l’intervention d’Erickson sur son schéma de comportement.
CAS 10 (n° 92)
Voici encore un cas qui n’a jamais été traduit, peut-être parce qu’Erickson
refusa la demande de thérapie. On découvre en effet dans ce livre (« Thérapies Hors
du Commun ») que les refus d’Erickson ne sont pas si rares. On peut faire
l’hypothèse que les patients refusés sont atteints par des troubles de personnalité
(axe II du DSM IV) susceptibles d’entraver les changements souhaités pour des
problèmes sur d’autres axes.
Dans ce cas, classé dans le chapitre des migraines, il s’agit d’un homme de
38 ans qui était également dépressif et échouait dans tout ce qu’il entreprenait
(couple, famille, études, profession…). Erickson justifia son refus par sa conviction
que le patient avait décidé d’échouer.
***
En guise de conclusion, on peut affirmer qu’Erickson commence par rentrer
dans le monde subjectif du patient dépressif, plutôt que de faire des hypothèses
spécifiques sur ses causalités; comme c’est un observateur hors pair, il comprend
9
très finement la situation du patient. Ce processus extrêmement rapide peut souvent
passer inaperçu, d’où l’impression que donne Erickson d’être doté d’une intuition
géniale.
Ce cadre subjectif de référence comprend avant tout
1) le langage du patient (ses manières de communiquer et de penser) car Erickson
va l’utiliser comme dans toutes ses thérapies.
2) les valeurs que le patient a acquises au fil de son éducation : elles sont
importantes car elles dictent au patient le type d’expérience qu’il recherche et
celles qu’il évite ; elles définissent sa manière de penser un problème et sa
solution. Erickson va donc repérer dans ces valeurs ce qui va le motiver, mais
aussi ce qui va limiter le patient, ce qui le rend rigide. Or pour les problèmes
dépressifs cette rigidité est définie par M. Yapko comme une incapacité à
rencontrer les exigences de la vie de manière adéquate.
3) les croyances acquises : Erickson s’en sert sur le même mode que les valeurs.
4) les besoins personnels
5) l’histoire personnelle, dont Erickson tient souvent compte sous l’angle des
expériences que le sujet a faites et surtout comment il les a faites6) c’est à dire : ses mécanismes de régulation de ses expériences.
7) la dynamique de la personnalité.
Ensuite, le but de sa psychothérapie est de structurer une expérience pour le
patient. Dans ces 9 cas de dépression, il le fait soit avec l’hypnose, soit par une
prescription de tâche, c’est l’un ou l’autre.
La prescription de tâche est le plus souvent précédée de la création d’un contexte
émotionnel qu’Erickson produit souvent par des suggestions directes voire
provocatrices. Mais ce contexte émotionnel pourrait lui-même être considéré comme
analogue à un mode de fonctionnement hypnotique (cf. cas 8).
Une dernière réflexion : en nous racontant ses thérapies, Erickson nous
déconcerte souvent ; tantôt il emploie une stratégie en la justifiant par un énoncé
comme : « le thérapeute n’a pas besoin de savoir pourquoi le patient va mal », tandis
que dans une autre thérapie il recherchera au contraire frénétiquement la cause du
problème. Il y a la selon moi un message très didactique, qui est : « Un thérapeute se
doit d’être imprévisible pour faciliter le changement » !
D’autre part, on comprendra mieux les contradictions d’Erickson dans le choix de
ses stratégies sous l’éclairage M. Yapko, qui pointe le fait que les différentes théories
par rapport à la dépression ne sont pas contradictoires, mais des facettes différentes
d’une pathologie complexe (cf. son modèle multidimensionnel).
« Thérapies Hors du Commun, l’œuvre clinique complète du Dr Milton H. Erickson »,
de W.H. O’Hanlon et A.L. Hexum, traduit par E.Paoloni et Eric Mairlot,
éditions SATAS 1998, ISBN 2-87293-041-8

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