Le roi et l`islam - Affaire Chahidi Alaoui

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Le roi et l`islam - Affaire Chahidi Alaoui
Le roi et l'islam: Des lignes
rouges à ne pas franchir au Maroc
Faut-il s’inquiéter pour le Maroc? Alors que les (timides) réformes de la monarchie
semblaient montrer que le régime allait s’ouvrir peu à peu, les autorités se livrent à un
véritable tour de vis concernant Internet et les libertés publiques.
Au risque d’attiser davantage la contestation?
Référendum constitutionnel le 1er juillet 2011, élections législatives le 25 novembre dernier, le Maroc
faisait figure d’exception dans le monde arabe grâce à ses réformes politiques entamées par le monarque
lui-même sous la pression de la rue. Pourtant, plusieurs événements récents révèlent que les libertés
publiques sont actuellement en régression au royaume chérifien qui a perdu 3 places au
classement mondial de la liberté de la presse.
LA MONARCHIE EN GUERRE CONTRE LES CYBER-ACTIVISTES
Au Maroc, la liberté d’informer comporte quelques exceptions. Le Roi et l’Islam semblent en effet être
des lignes rouges à ne pas franchir à en juger par la censure ayant frappé le 26 février 2012 le
journal espagnol El Pais. Dans ce numéro étaient publiés des extraits de l’ouvrage co-écrit par Catherine
Graciet et Éric Laurent, intitulé «Le Roi prédateur. Main basse sur le Maroc», enquêtant sur
l’enrichissement du roi Mohammed VI. Les autorités marocaines ont justifié cette interdiction car ce
numéro contenait des propos diffamants portant atteinte «à l’image de sa Majesté et aux institutions du
pays». En effet, au Maroc, l’article 29 du code de la presse bannit tout propos portant atteinte à la
personne du roi. On ne touche pas au monarque, plus riche que l’émir du Qatar selon l’hebdomadaire
français Point de vue. De quoi faire grincer des dents au Maroc puisque «De toutes les monarchies
présentes sur la liste, seul le Swaziland peut être considéré comme moins favorisé économiquement que
le Maroc. Le reste de la liste est constitué de pétromonarchies ou de riches Etats occidentaux» précise la
revue française.
Depuis des mois, nombreux sont les magazines et journaux interdits au Maroc à cause de cet
article 29 ou parce qu’ils heurteraient les sensibilités religieuses. Selon l’agence de presse
espagnole EFE, 29 journaux étrangers ont été interdits entre janvier 2011 et février 2012, dont 22
journaux et magazines français censurés. Le blog «The Angry Arab» ajoute également qu’AlJazeera a censuré un documentaire sur pression gouvernementale. Les autorités marocaines ne se
contentent pas de censurer, elles sévissent également. Le directeur de publication du quotidien AlMassae, Rachid Niny a été condamné le 24 octobre 2011 à un an de prison ferme pour
«désinformation» à cause d’articles dénonçant des affaires de corruption au sein du pouvoir
marocain. Comme dans de nombreux pays théâtres du printemps arabe, les atteintes aux libertés
publiques frappent particulièrement Internet. Le 16 février, Walid Bahomane, un étudiant de 18 ans,
accusé d’avoir porté atteinte à la personne du roi pour avoir diffusé une série de caricatures de
Mohammed VI sur Facebook a été condamné à un an de prison ferme et une amende de 10.000
Dirhams (à peu près 1.000 euros). Plusieurs activistes du mouvement du 20 février qui ont suivi le
procès se sont d’ailleurs plaints que celui-ci se déroule officieusement à huis-clos, la police leur barrant
l’accès au tribunal. De son côté, Me Naïma Elguellaf, avocate de Walid Bahomane, s’est plainte de n’avoir
"même pas pu présenter notre stratégie de défense, car l'avocat engagé par la famille a considéré qu'il
s'agissait d'un dossier "normal", sans aucune dimension relative à la liberté d'expression, et il a plaidé
pour que le dossier soit jugé sur le champ". Le 13 février 2012, Abdelsamad Haydour, 24 ans, a été
condamné trois ans de prison et une amende de 10 000 dirhams pour “atteinte aux valeurs sacrées
de la nation” pour avoir critiqué le roi dans une vidéo postée sur YouTube. Si le régime semble aussi
nerveux concernant le militantisme sur Internet, c’est parce le web, et notamment Facebook, YouTube et
Twitter, a libéré la parole et permis aux activistes du Mouvement du 20 février de diffuser leurs idées.
Comme le rappelle Global Voices, ce mouvement est né d’un simple groupe Facebook intitulé « Liberté et
démocratie maintenant ». Les militants ont ensuite appelé le roi à apporter “les réformes nécessaires au
système politique pour permettre aux Marocains de se gouverner eux-mêmes”; “rompre avec le passé
pour de bon et irrévocablement.” Le 20 février, ils ont manifesté pacifiquement, ce qui a surtout été relayé
sur le web. Face à ces militants agissant à visage découvert, le gouvernement a répliqué en créant de
véritables milices numériques, groupes de pirates «officiels» défendant le roi sur la toile. Ceux-ci
s’attaquent aux pages Facebook des militants du Mouvement du 20 février, à leurs boîtes e-mails, aux
blogs et aux sites d’information indépendants, se livrant à des campagnes de désinformation. Le groupe
Moroccan Kingdom Attack a également mis en ligne sur YouTube une vidéo où il promet de «dégommer»
à l’arme automatique les opposants. Malgré l’intimidation, des milliers de marocains sont descendus dans
les rues le 20 février pour fêter l’anniversaire du mouvement et réclamer plus de droits et la fin de la
corruption. La bataille numérique prend de plus en plus d’importance, en témoigne le nouvel activisme du
ministre marocain de la Jeunesse et des Sports, Moncef Belkhayat, notamment sur sa page Facebook, où
il accuse régulièrement les sympathisants du mouvement du 20 février d'intelligence , l’Algérie, l’Espagne
et le Front Polisario, et appelle à la vigilance sur Internet car «nos ennemis infiltrent nos réseaux sociaux».
Plus inquiétant, le royaume serait en train de se doter d’outils de surveillance du web fournis par
l’entreprise française Amesys. Le projet «Popcorn» devrait notamment permettre aux autorités de
garder une copie de toute les communications réalisées à partir ou à destination du sol marocain. Selon
Reflets.info, ce système serait semblable au système Eagle vendu à la Libye sous Kadhafi permettant de
récupérer toutes les données, et fichiers attachés, associés aux protocoles suivants: Mail (SMTP, POP3,
IMAP), Webmails (Yahoo! Mail Classic & Yahoo! Mail v2, Hotmail v1 & v2, Gmail), VoIP (SIP / RTP audio
conversation, MGCP audio conversation, H.323 audio conversation), Chat (MSN Chat, Yahoo! Chat, AOL
Chat, Paltalk -qui permet aux utilisateurs de Windows de chatter en mode texte, voix ou vidéo, NDLR),
Http, Moteurs de recherche (Google, MSN Search, Yahoo), Transferts (FTP, Telnet).Le Maroc justifiera-t-il
l’acquisition de cette technologie par la lutte contre le terrorisme? Au vu des nombreuses atteintes aux
libertés publiques et de l’intérêt grandissant des autorités envers la contestation sur Internet, on peut plutôt
craindre une surveillance accrue et généralisée de la population marocaine.
A. S/AFP
Mardi 6 Mars 2012 - 11:16