The Home Children

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The Home Children
Les « Home Children » (Enfants d’ici)
Patrick Stewart
Enfants immigrants des foyers du Dr Barnardo à Landing Stage, St. John, N.-B.
(Archives nationales du Canada, PA-041785)
À la fin du 19e siècle, les conditions de vie dans l’Angleterre à l’ère industrielle étaient
souvent épouvantables : le mélange de pauvreté, de pollution et d’inégalités sociales créait des
circonstances terribles pour des centaines de milliers de personnes et surtout pour les enfants en
Grande-Bretagne. L’industrialisation a entrainé la formation d’immenses bidonvilles dans les grandes
villes et le manque d’empathie envers le nombre croissant de pauvres faisait en sorte que peu était fait
pour améliorer leur sort. Les gens n’avaient d’autre choix que d’entrer « en service » essentiellement
comme main-d’œuvre contractuelle, chercher un emploi dans une usine (un sort probablement encore
pire) 1, ou tenter de gagner sa vie sur la rue. L’absence de programmes éducatifs faisait en sorte que
plusieurs choisissaient la troisième option, la survie par leurs propres moyens et nombreux furent ceux
qui moururent de faim, de maladie ou de froid2.
À la fin des années 1800, les conditions de vie étaient devenues trop malsaines pour qu’on
continue de les ignorer et un grand nombre d’organismes philanthropiques furent créés afin de tenter
d’y remédier. Le 28 octobre 1869, le British Child Emigration Movement (Mouvement britannique
d’émigration des enfants) a débuté ses activités quand Maria Susan Rye a rassemblé 68 enfants de
Londres et de Liverpool et les a fait monter à bord du Hibernian, en route pour le Canada. Son
intention était de sortir ces enfants des bidonvilles urbains et de les placer chez des fermiers au
Canada, qui les traiteraient comme des membres de leur famille en échange de leur aide, ou si les
enfants avaient moins de neuf ans, ils pouvaient les adopter. Maria Rye et d’autres espéraient libérer
les enfants d’une existence désespérée et de les envoyer là où ils trouveraient à la fois un foyer, du
travail et la santé3.
1
Plaut, Martin, “Misery of Britain’s Workhouses Revealed,” http://news.bbc.co.uk/1/hi/england/1917452.stm.
2
Harrison, Phyllis, The Home Children (Winnipeg: Watson & Dwyer, 1979), p.16.
3
Ibid, p.16.
Bon nombre d’organismes plus ou moins charitables, selon le cas, furent créés à la suite du
mouvement de Mme Rye. Les plus philanthropiques de ces organisations étaient la Church of England
Waifs and Strays Society (Société des enfants illégitimes et errants de l’Église d’Angleterre), the
Fegan Homes of Southwark, et les Dr. Thomas Barnardo’s own Barnardo Homes (de loin la plus
importante de tout ce groupe) 4. Les Homes deviendraient en peu de temps un immense réseau
couvrant la Grande-Bretagne et une grande part du Canada. Surtout au Canada : « au tournant du 20e
siècle, presqu’un enfant immigrant sur deux au Canada provenait d’un foyer Barnardo 5». L’échelle de
cette immigration était massive. Entre 1868 et 1924, au moins 80 000 enfants et possiblement jusqu’à
100 0006 arrivèrent au Canada à titre de Home Children. Ils auront au fil du temps plus d’un million
de descendants7.
À leur arrivée au Canada, les Home Children étaient placés dans une famille d’accueil,
habituellement sur une ferme, qui les embauchait essentiellement à contrat jusqu’à l’âge adulte.
C’était certainement une servitude contractuelle; les enfants se voyaient généralement interdire de
quitter leur famille d’accueil, n’étaient certainement pas payés pour leur travail et souffraient de
sévices et de négligence8. Les filles, car le tiers de ces Home Children étaient des filles, avaient la vie
encore plus difficiles. En plus du mépris habituellement réservé aux Home Children (après tout, c’était
des enfants illégitimes et errants aux dires mêmes de l’Église d’Angleterre !), elles étaient soumises à
un régime de deux poids, deux mesures. Par exemple, les garçons des foyers Barnardo recevaient des
médailles de « long service et bonne conduite ». Pour mériter une de ces médailles, les garçons
devaient se contenter de ne pas fuir leur famille et leur employeur. Aucune fille n’a reçu de
reconnaissance pour cette « bonne » conduite et plusieurs d’entre elles ont du subir des sévices
physiques et émotifs9.
Les Homes tentaient parfois de superviser le tout, souvent par des ententes écrites entre la
famille et les Homes précisant les attentes de la famille (nourriture, abri, allocations financières,
éducation et au moins suffisamment de liberté pour écrire à l’organisme et aux amis de temps en
temps10) mais le respect de ces attentes par les familles d’accueil était dans certains cas sporadique.
L’éducation en souffrait apparemment beaucoup; plusieurs parents voyaient la présence du Home
Child dans leur maison comme une occasion d’envoyer leurs propres enfants à l’école sans perdre la
main-d’œuvre potentielle. Ainsi, plusieurs Home Children ont reçu tout au plus une éducation
minimale et servaient de remplaçant aux enfants de la ferme11. Quand les enfants arrivaient à l’âge où
ils pouvaient travailler pour gagner leur vie, ils se faisaient exploiter encore plus : un Home Child
devenu travailleur agricole recevait une pièce d’argent pour « un mois ou deux » de travail alors qu’il
aurait dû avoir droit à un dollar par jour12. Il y a eu le cas (certainement extrême) de Margaret Cleaves,
qui fut traitée plus comme une esclave que comme une « simple » domestique contractuelle. Elle fut
privée d’école et ne sut jamais qu’elle avait droit à une rémunération à partir de son 16e anniversaire.
Elle demeura sur sa ferme d’accueil sans salaire jusqu’à l’âge de 31 ans13.
4
Ibid, p.16-17.
5
Ibid, p.17.
6
Barber, Marilyn, Immigrant Domestic Servants in Canada (Ottawa: Société historique du Canada, 1991), p.12.
7
Harrison, p.13.
8
Ibid, p.22; Barber, p.12-13.
9
Harrison, p.22.
10
Young, Barbara, Chasing Grandma (Québec: Shoreline, 2001), p.36-38.
11
Harrison, p. 21.
12
13
Harrison, p.54.
Ibid, p.57
Les circonstances négatives des Home Children n’étaient en réalité qu’une partie des faits. Un
groupe de mille personnes aura toujours de bonnes et de mauvaises expériences et un grand nombre de
ces enfants furent placés chez de véritables saints qui les ont traités comme leurs propres enfants et
leur ont donné une merveilleuse impression du British Child Emigration Movement. Pour des milliers
d’entre eux, c’était certainement un répit des dures conditions de vie de l’ère industrielle, où plusieurs
auraient été abandonnés à la pauvreté et même à la mort. De nos jours, au moins un million de
personnes comptent un ancêtre parmi les Home Children et peut-être une personne sur dix est reliée à
ces jeunes qui arrivèrent au Canada entre 1868 et 192414. Cependant, il ne fait aucun doute que des
milliers de ces enfants ont été abusés et négligés et s’en trouvèrent stigmatisés, se considérant moins
qu’humains jusqu’à la fin de leurs jours.
Quatre-vingt années se sont écoulées depuis l’arrivée des derniers Home Children au Canada.
Très peu d’entre eux sont encore en vie aujourd’hui et leur histoire n’a que récemment commencé à
attirer l’attention. Comme le disait l’ancien Gouverneur général du Canada, Roméo LeBlanc :
L’histoire d’un pays est composée d’épisodes glorieux qui enrichissent la mémoire collective
et qui sont racontés dans les livres d’histoire. Elle comprend aussi des périodes sombres et
troublantes que ces ouvrages passent sous silence, des événements qui suscitent en quelque sorte
l’amnésie collective. Le Canada n’y fait pas exception. L’histoire canadienne comporte des chapitres
qui appellent à notre fierté nationale; d’autres, par contre, nous incitent à les ignorer15.
Oublier d’un seul coup l’histoire des Home Children causerait du tort à la fois à leur mémoire
et à l’héritage de leurs descendants. Il y a un siècle, l’arrivée de ces enfants « illégitimes et errants » a
amené des gens qui ont changé le caractère et le paysage canadiens de plus d’une façon. C’est la
moindre des choses que de se rappeler leur contribution autant que leurs souffrances.
14
Young, p. 38.
15
LeBlanc, Roméo, lettre de juin 1999.

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