La prévention, leitmotiv de la lutte contre le stress - WK-CE

Transcription

La prévention, leitmotiv de la lutte contre le stress - WK-CE
par
François Sebe,
Actualité
Sociale
Juriste en droit social
La prévention,
leitmotiv de la
lutte contre le stress
Un accord sur le stress a été signé par les
partenaires sociaux. S’il ne contient pas de
définition très précise, il a le mérite
de mettre en valeur le lien entre le stress
au travail et son organisation.
«L
a définition du stress,
extrêmement floue,
permet à chacun d’y
mettre ce qu’il veut :
on ne sait pas de quoi on parle »
(Rapport « Organisation du travail et
nouveaux risques pour la santé des
salariés », Conseil économique et social, 24 mars 2004). Si l’accord national interprofessionnel (ANI) du
2 juillet dernier sur le stress au travail
n’apporte pas de définition claire et
non équivoque, il a au moins le mérite de transcrire une méthode de
lutte contre le stress au travail destinée aux entreprises. Il vient transposer un accord collectif européen signé
le 8 octobre 2004 par les partenaires
sociaux européens qui proposait une
action préventive, et une volonté de
sensibiliser aux problèmes de stress
tant les travailleurs que leurs employeurs. « La prise en compte du
stress est nécessaire et indispensable, c’est de leurs intérêts à la fois
économique et social » disait Xavier
Bertrand dans une interview accordée à Liaisons Sociales (Bref Social
24
Les Cahiers Lamy du CE
n° 76 - Novembre 2008
n° 15077). Cet ANI apporte enfin
une grande avancée en ce qu’il met
en valeur le lien entre le stress au
travail et l’organisation, le contenu et
l’environnement du travail.
UNE DESCRIPTION DU
STRESS AU TRAVAIL
L’accord se contente de décrire le
stress et non de donner une véritable
définition. Selon les termes de l’article 3 : « Un état de stress survient
lorsqu’il y a déséquilibre entre la perception qu’une personne a des
contraintes que lui impose son environnement et la perception qu’elle
a de ses propres ressources pour y
faire face. » Il est difficile de définir la
notion de stress ; les dictionnaires les
plus courants n’en donne qu’une définition vaste. De plus, les partenaires
sociaux ont entendu exclure du
champ d’application de cet accord le
harcèlement et la violence au travail
car une négociation spécifique sera
engagée dans les prochains mois
dans ces domaines. Dans leur des-
cription du stress, il est important de
noter que les partenaires sociaux européens puis français ont tenu compte
d’une part de subjectivité. Ils ont pris
en compte l’individu. D’autre part, le
stress n’est toujours pas reconnue
comme une maladie professionnelle
mais son exposition prolongée peut
réduire l’efficacité au travail et peut
causer des problèmes de santé. En
effet, la Cour de cassation a déjà retenu la thèse de l’accident du travail
pour qualifier une situation de stress
au travail (Cass. soc., 15 juin 2004,
n° 02-31.194). Mais il est évident que
cela reste soumis à l’appréciation souveraine des juges. Enfin l’accord apporte un nouvel angle de vue selon
lequel le stress au travail est un problème collectif aux facteurs causaux
multiples, qui ne doit pas être limité
à la sphère individuelle.
FACTEURS CAUSAUX
Si l’accord rappelle un certain nombre
de causes pratiques connues de tout
un chacun, notamment le nombre
de visites spontanées chez le médecin du travail, un fort taux d’absentéisme, des plaintes fréquentes etc.,
il innove en ce qu’il apporte de nouveaux facteurs qu’il est possible de
décliner en deux catégories :
– les facteurs objectifs ne tenant
pas à l’aspect personnel du salarié,
mais à la structure de l’entreprise ;
– les facteurs subjectifs tenant à la
personne du salarié.
Dans les facteurs objectifs, et c’est là
l’originalité de cet accord, l’article 4
identifie trois facteurs :
– l’organisation et les processus de
travail : aménagement du temps de
travail, dépassements excessifs d’horaires (la mise sous pression systématique n’est pas une méthode de
management) ; cela recouvre aussi
la notion de charge ou de surcharge
de travail, même si les termes ne sont
pas employés.
– les conditions et l’environnement de
travail : exposition à un environnement
agressif, à comportement abusif
– la communication : perspective d’emploi, changement à venir, mauvaise
communication.
À côté, on trouve des facteurs subjectifs de stress plus communs, tenant à
la personnalité de chaque travailleur.
Ainsi par exemple, des pressions émotionnelles et sociales, une perception
de manque de soutien ou des difficultés de conciliation entre vie personnelle
et vie professionnelle. Le travailleur importe et exporte du stress entre l’entreprise et son domicile. L’article 4 de cet
accord n’entend pas donner une liste
exhaustive des facteurs causaux de
stress. Ces facteurs doivent être analysés pour identifier les problèmes de
stress et aider les différents acteurs de
l’entreprise dans ces démarches de prévention. Enfin, le rapport sur la détermination, la mesure et le suivi des risques
psychosociaux au travail (Ph. Nasse et
P. Legeron, v. Rapports – Santé,
n° 90/2008) préconise le lancement
d’une grande enquête d’ampleur nationale sur le stress au travail, permettant
de créer un indicateur global sur ce dernier. Cet indicateur deviendrait alors une
source précieuse pour les entreprises
afin d’identifier les sources de stress.
PRÉVENIR LES PROBLÈMES
LIÉS AU STRESS
« L’objet de cet accord est […] de fournir aux employeurs et aux travailleurs
un cadre qui permette de détecter, de
prévenir, d’éviter et de faire face aux problèmes de stress au travail » (article 2).
L’article 4 vient encore le rappeler en
énonçant : « dès qu’un problème de
stress au travail est identifié, une action
doit être entreprise pour le prévenir, l’éliminer ou à défaut le réduire. » L’accord
apporte une démarche préventive, un
cadre général de prévention et de gestion des problèmes de stress. L’article 6
vient marteler l’ensemble en proposant
des mesures spécifiques. Ces mesures
peuvent être collectives, individuelles ou
concomitantes. Elles doivent régulièrement être réexaminées pour évaluer leur
efficacité et leur impact sur le stress. Ce
même article propose des exemples de
mesures visant à :
– améliorer l’organisation, les processus, les conditions et l’environnement
de travail ;
– informer et consulter les travailleurs,
leurs représentants ;
– proposer des formations à tous les
acteurs de l’entreprise, en particulier à
l’encadrement et à la direction, dans le
but de développer la compréhension
du stress, ses causes, et la manière de
le résorber.
Encore une fois cette liste de mesures
vient mettre en valeur le lien entre le
stress au travail et le contenu, l’environnement et l’organisation du travail.
DIVERS INTERVENANTS
Au fil du texte, l’accord mentionne un
certain nombre d’intervenants. Ainsi, sont
amenés à participer à différents degrés
bien évidement l’employeur, les salariés, le médecin du travail ou encore le
recours à une expertise extérieure.
Le médecin du travail et le service de
santé au travail ont un rôle de pivot
dans l’entreprise, grâce au secret médical, qui garantit au salarié de préserver son anonymat. Le même médecin
du travail est un atout dans l’entreprise
car il joue un rôle dans l’identification
des facteurs de stress. Il peut aussi jouer
un rôle dans la mise en place d’actions
Il est toujours possible, comme le mentionne un certain nombre de textes,
conventions collectives et pratiques
communautaires, de recourir à une expertise externe en fonction des problèmes et solutions identifiés. La
CNAMTS, les CRAM, l’ANACT, l’INRS,
mènent des travaux d’expertises sur les
risques psychosociaux. Les entreprises
peuvent faire appel à ces organismes
pour un appui technique.
Le rôle de l’employeur est défini dans
plusieurs articles. Sur la mise en place
de mesures de lutte contre le stress au
travail, l’employeur doit déterminer
celles-ci en lien avec les institutions représentatives du personnel, et les tra-
vailleurs. Il doit veiller à éviter les sources
de stress au travail, évaluer les risques
en tenant compte des contraintes de
travail, s’entourer des conseils, engager
des actions de lutte contre le stress et
contrôler l’application des mesures. L’accent est mis sur une participation active des travailleurs et de leurs représentants, dans l’élaboration, la mise en
œuvre et le suivi des mesures anti-stress.
LE STRESS AU TRAVAIL,
RISQUE PROFESSIONNEL
Selon cet accord, le problème lié au
stress au travail est considéré comme
un risque professionnel. Or qui dit
« risque » dit responsabilité. Un article
est donc consacré à la responsabilité
des employeurs et des salariés. L’accord
évoque un certain nombre de textes
contraignants pour l’employeur, l’obligeant à mettre en œuvre une politique
de lutte contre le stress au travail.
Il y a d’une part une référence à la directive cadre 89/391 du 12 juin 1989
concernant la mise en œuvre des
mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des
travailleurs au travail. D’autre part, les articles L. 4121-1 à 5 du Code du travail
prévoient que les employeurs doivent
prendre les mesures nécessaires pour
assurer la santé, physique, et mentale
des salariés. Rappelons que cette obligation générale à la charge de l’employeur
est une obligation de résultat (Cass. Ass.
Plén., 24 juin 2005, n° 03-30.038 ;
Cass. soc., 5 mars 2008, n° 06-45.888).
L’employeur doit prendre les mesures
appropriées de manière à ce que les
risques liés au stress au travail ne se réalisent pas. De même les salariés répondent d’une obligation générale de se
conformer aux mesures de protection
déterminées par l’employeur. I
À NOTER :
Au moment où nous publions cet
article, l’ANI n’a pas encore été étendu,
ce que souhaite les partenaires sociaux
afin qu’il s’applique uniformément à
l’ensemble des entreprises. En effet,
il ne prévoit de dérogation possible que
dans un sens plus favorable.
Les Cahiers Lamy du CE
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