ELNE : vue sur petit ghetto

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ELNE : vue sur petit ghetto
ELNE : vue sur petit ghetto
Extrait du Judaiques Cultures
http://www.judaicultures.info/sites-patrimoine/france-15/languedoc-roussillon-38/ELNE-vue-sur-petit-ghet
to-de
Août 2005.
ELNE : vue sur petit ghetto
- Sites & Patrimoine - France - Languedoc-Roussillon -
Date de mise en ligne : lundi 24 mars 2008
Description :
Elne possède un petit "Call" ou ghetto en Catalàn, qui mériterait d'être mis en valeur, Elne recèle aussi son énigme, celle des étoiles de David gravées dans son
cloître.
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A bien y chercher, on les déniche, on les débusque au détour d'une ruelle encaissée ; une
impasse est déjà un indice, un porche à l'abri des regards est une indication de discrétion
et/ou de discrimination. Quelle trace témoignerait-elle que vie juive il y eut en ce lieu précis
? Le Call de Elne aurait de la chance.
Car hélas, trop souvent aucune plaque ne le mentionne, sinon parfois un nom de rue ! ou un guide de l'Office du
tourisme qui s'y est intéressé...par hasard ! ou bien un travail universitaire [1] qui les a répertoriés.
Nous avons dû faire le tour du village pour le trouver. Nous l'avons trouvé ; le minuscule call d'Elne , au sud de
Perpignan, un matin du mois d'août. Dans la rue Constantin, en direction du château, le visiteur découvre « la
typique configuration des calls catalans : il s'agit d'une venelle coudée, ouverte d'un seul côté, par une double arche
plein-cintre. Des restes de murs en opus spicatum en illustrent l'originalité médiévale. Un unique objet survit de ce
passé juif : un méreau ou jeton de présence, sur lequel est gravée une indication hébraïque : "Sainte Communauté
de Yelim (Elne). Que l'Etre Suprême la Soutienne. Amen". Il est exposé au Musée Puig de Perpignan. [2] »
Elne, montée vers la cathédrale.
La tradition populaire en a gardé la mémoire situant le quartier des Juifs non loin de la Cathédrale Sainte-Eulalie,
de même que celle d'un cimetière que l'ouvrage "Route Juive" mentionne et qui se serait situé "à un champ sis près
de la chapelle Notre Dame de Aguills, confrontant cum fossari juderorum".
Témoignage visible dans la rue Constantin, une chance ; un écusson gravé sur le montant de l'arc du porche : "la
Clef de l'arc de la porte de l'ancien call" tel que le désigne Martine Berthelot dans son ouvrage Route Juive ,
cependant d'un point de vue juif, si cet écusson désigne un lieu habité par des juifs, voici ce qu'il pourrait signifier :
un instrument du Mohel, le circonciseur, symbole que l'on retrouve parfois sur certaines pierres tombales pour
indiquer le métier du défunt. On perçoit également un oiseau de proie qui indiquerait l'activité de prêteur d'argent ou
changeur de monnaies. Schéma classique des communautés juives médiévales implantées sur les lieux des
grandes foires, ou aux carrefours des échanges commerciaux ou bien encore à proximité d'une concentration
ecclésiale [3] à qui ils étaient de quelque utilité.
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Blason du ghetto de Elne. Motifs d'un couteau et de deux volatiles.
La présence du motif double d'oiseaux ou de volatiles pourrait signifier aussi que celui qui habitait ici faisait
profession de Mohel et de Chokhet (sacrificateur rituel des bêtes et volailles destinées à la consommation).
D'authentiques métiers nécessaires à toute vie juive et qui servent à une voire plusieurs communautés alentours.
Ainsi, pourrait-on se demander si toute la population juive d'Elne était concentrée dans l'exigüe Call, ou si elle ne
débordait pas dans ce qui était la rue Constantin, et le Call n'abritait-il pas que les détenteurs des fonctions rituelles :
rabbin, chantre, mohel, chokhet, boucher, instituteur...? La présence d'un blason témoignerait d'une certaine
notoriété, et marquerait les limites d'un lieu spécifique voire sanctifié.
Il serait par ailleurs intéressant de mener une recherche de Mikwé [4] dans les sous-sols, à cet endroit ou dans la
rue.
Cloître de Elne XIII° et XIV° siècles.
Ancienne cité grecque, Illibéris, puis siège épiscopal jusqu'en 1602, Elne est doté d'un beau cloître dont la
construction date du XIIème, XIIIème et XIVème siècle. Outre son intérêt propre de patrimoine religieux chrétien, il
présente la particularité d'arborer sur une de ses colonnes et frontons de ces colonnes, trois étoiles de David. Les
chercheurs n'ont pas pu/su donner d'explications à leur présence.
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Cloître de Elne Etoile de David au centre de la première colonne de gauche.
La conviction du guide qui nous fit la visite commentée, étudiant en histoire à l'Université de Toulouse, et qu'un
visiteur questionnait à ce sujet, était que : "Nous sommes ici dans un cloître, n'est-ce pas ? je ne vois pas ce qu'une
étoile de David viendrait faire ici !"
Mais encore, lui dit-on, qu'est-ce que ça pourrait signifier ?
Il ne faut pas y chercher malice, ce sont des motifs de décor comme les autres."
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Cloître de Elne Etoile de David.
A la fin de la visite, nous lui avons dit notre étonnement, et lui avons repris avec lui toutes les évocations du judaïsme
et de l'antijudaïsme que nous avions observées dans les représentations de l'art médiéval de ce cloître, elles étaient
nombreuses comme elles sont nombreuses en d'autres sites [5], mais il ne les avait pas vraiment interprétées
comme cela : ainsi, une scène selon laquelle Jésus va chercher en "enfer" les sages d'Israël dignes d'être
récussités.
Cloître de Elne Scène des sages d'Israël ressucités.
Une autre scène par exemple, montre le roi Hérode tendant sa main gantée jusqu'au bras, pour accueillir des
visiteurs ; le gant signifiant la perfidie.
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Cloître de Elne Scène de Hérode ganté (à droite), accueillant des visiteurs.
Comprenez les allusions antijudaïques sous tendues à ces représentations à peine allégoriques ; sans
commentaires plus avertis, le message médiéval passe encore, sous un discours laïque et culturel. Loin de les
occulter, un guide doit pouvoir les utiliser dans un esprit critique et humaniste, et intéresser encore davantage le
visiteur curieux.
Le guide ensuite il fut surpris d'apprendre l'existence du ghetto d'Elne, il n'en avait jamais entendu dire qu'une
communauté juive existât à Elne !
Quelle part l'enseignement universitaire, consacre-t-il au patrimoine juif à l'intérieur du patrimoine chrétien ? Quelle
part accorde-t-il à l'héritage juif en Europe ? Il serait souhaitable de mettre l'accent sur l'art médiéval dans son rôle
de vecteur culturel passé et réactualisé à la lumière de l'histoire, et entre autres fonctions, de briser les mythes à
travers lui, notamment celui qui nous occupe, l'antijudaïsme chrétien qui y prend sa source.
Le cloître d'Elne recèle une énigme, celle de ses étoiles de David, ostentatoires, évidentes, seules au milieu de
motifs floraux épurées. Mais toutes trois regroupées au même endroit de la construction ; Même temps, même
artiste, même graphisme.
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Cloître de Elne Etoile de David.
Il doit exister une grille de lecture, peut-être une chronologie allégorique de l'histoire biblique. D'autant qu'un autre
motif singulier apparaît, comme le symbole ancien d'une culture d'Asie !
Cloître de Elne Etoile de David près d'un autre motif asiatique.
Elne ne parle ni de son étoile, ni de son ghetto, une négligence peut-être, une indifférence sans doute. Elne
pourrait et mériterait de figurer sur l'itinéraire du Patrimoine Juif, nouvellement labellisé par le Conseil de l'Europe,
elle pourrait ainsi participer à la Journée Européenne de la Culture Juive à laquelle participe la ville toute proche de
Gérone. Elne pourrait....enfin exhumer de sa mémoire, ses Juifs, d'autant que Route Juive mentionne encore le
"Château d'en Bardou ou Mas Mirous au sud-ouest de la cité (...) qui fut transformé par le Secours Suisse aux
Enfants, pendant la Seconde Guerre Mondiale, en maternité destinée aux réfugiées espagnoles d'abord, puis juives
internées au Camp de Rivesaltes dont les enfants nés furent sauvés par les infirmières." Elisabeth Eidenbenz
reçut à ce titre, la médaille des "Justes parmi les nations" décernée par Yad Vashem.
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La commune de Elne pourrait...s'y intéresser !
Mars 2008 > Rebonds
Cet article a suscité une réaction de l'étudiant en histoire à l'université de Toulouse qui assurait la visite guidée du
cloître ; je publie volontiers son texte, relançant le débat notamment sur l'énigme des étoiles du Cloître.
Néanmoins, pour ma part, je souhaite rappeler que l'ouvrage Route Juive de Martine Berthelot affirme que l'impasse
de la rue Constantin est identifiée comme un call catalan ayant abrité le quartier juif, attesté par le méreau ou jeton
exposé au musée Puig de Perpignan. Sans ce jeton de présence et sans autre preuve matérielle, le doute
subsisterait surement. Quant aux motifs de l'écusson surmontant l'arc de la porte de l'ancien call, les spécialistes
ont-ils identifié leurs significations ?
Quant aux étoiles de David présentes dans le Cloître, je ne veux rien affirmer, en revanche je peux préciser ceci :
Le graphisme rappelle étrangement celui de l'étoile que l'on trouve sur une colonne de la synagogue de
Capharnaüm (III° s. è.c) en Israël, précisément au côté d'un pentagramme et d'une svastika (comme dans le cloître).
On peut observer que l'une des étoiles est voisine d'une fleur de lys d'où l'on sait qu'elle a été rapportée de Terre
Sainte par les Croisés en France avant d'être adoptée comme symbole de la monarchie française.
Il est vrai par ailleurs que l'étoile à six branches [6] bien qu'étant un motif courant en Europe et au Moyen Orient
depuis l'âge du bronze, apparaît comme un motif rattaché au Judaïsme, dès le VII° s av l'ère chrétienne sur un sceau
à Sidon, puis devint courant durant la période du second Temple ( à partir du VI°siècle av. èc). Cependant, elle n'est
pas encore un symbole spécifiquement juif et n'apparaît pas durant la période héllénistique comme tel, ce n'est qu'au
cours du XIII° et XIV° s que l'étoile à six branches fait son apparition dans des synagogues allemandes. Elle sera
utilisée comme motif sur des objets et manuscrits en hébreu à caractère magique ou cabbalistique. Le nom bouclier
de David préexiste à la fois dans un alphabet à valeur de talisman, parmi les bénédictions dites à la synagogue mais
aussi dans l'oeuvre du XII° s du caraïte Judah Hadassi. Ce n'est qu'au XIV° s qu'une oeuvre kabbalistique (en
Espagne) associe le bouclier de David au motif de l'étoile à six branches. Du XIV° au XVIII° s, ce motif fut utilisé
indifféremment par des imprimeurs juifs et non juifs ; tour à tour symbole héraldique, symbole des brasseurs d'Alsace
etc... Cependant, c'est la communauté juive de Prague au XVI° s. qui fit figurer sur son blason une étoile à six
branches, suivie en 1655 par celle de Vienne, puis celle d'Amsterdam, elle figura enfin sur les objets du culte dès
1643.
Rectificatif et contribution de Gabriel Poisson, avec nos
remerciements :
le call que vous pensez avoir retrouvé dans la rue Constantin porte une pierre sculptée d'époque moderne (XVIIe
ou XVIIIIe siècle), ce qui peut se voir quant au style baroque du cadre de l'écu - elle porte d'ailleurs la date de 1669.
Il est donc impossible qu'il s'agisse d'une sculpture marquant l'entrée du call, institution médiévale si l'en est. Il se
pourrait - mais rien ne permet de l'affirmer - que cette ruelle ait été le call mais cette clé de voûte ne peut avoir un
sens judaïque puisqu'elle est postérieure à la présence juive à Elne.
C'est grâce au soutien actif de la mairie d'Elne, et ce depuis 2001, que le château d'En Bardou a été restauré, par
souscription déjà active lors de votre venue. Le maire a également obtenu la remise de la légion d'honneur à
Elisabeth Eidenbenz.
Les scènes de Jésus emmenant les Sages d'Israël et d'Hérode portant le gant ont toujours été identifiés par
l'équipe du cloître (...).
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Je réaffirme mon point de vue, soutenu par quelques-uns des plus éminents historiens de l'art ayant travaillé sur
Elne (M. Durliat, R. Grau ou G. Mallet) : les étoiles de la galerie nord du cloître ne sont pas des étoiles de David. Je
vous signale d'ailleurs que le motif de l'étoile à six branches se retrouve sur les colonnes de la galerie est, qui sont
postérieures d'au moins une cinquantaine d'années à la galerie nord. Il n'y a donc pas un "même temps, même
artiste, même graphisme".
Votre attitude ouverte me ravit. Je ne conteste absolument pas la visée de votre action, mais il me semble que la
ville d'Elne fait beaucoup pour valoriser l'action d'E. Eidenbenz et remettre en perspective les drames de l'histoire
contemporaine, trop souvent simplifiés dans la région du Camp de Rivesaltes.
Pour le cloître d'Elne, il me semble clair qui la représentation de juifs se limite aux panneaux sculptés de la galerie
ouest, notamment le panneau de la montée au Calvaire, comme vous me l'avez fait remarqué lors de votre visite. La
probabilité que ces sculptures soient le fruit d'un atelier français, porteur d'une représentation du juif avec son
chapeau distinctif, chose inconnue en Roussillon à cette époque, vient renforcer cette hypothèse.
Toutefois je reste ferme sur la présence des étoiles de la galerie nord. On ne peut là procéder par une simple
analogie des formes. Toute cette galerie est organisée autour de la représentation du martyre d'Eulalie et Julie sur le
pilier central, les autres motifs étant soit des motifs décoratifs végétaux soit des reprises de la sculpture romane de la
galerie sud. Le fait que les motifs de l'extrémité de la galerie (étoiles et entrelacs) sont différents des motifs végétaux
est sans doute dû à la particularité du support de ces sculptures : des corbeaux, plus étroits que les tailloirs du reste
de la galerie. Il y manque l'élément déterminant au-delà de la forme qui nous permettrait de "donner un sens" à ces
sculptures.
Quant à la présence de la communauté juive à Elne, elle n'est qu'évoquée par des sources extrêmement
fragmentaires, il est donc très difficile de retrouver son implantation aujourd'hui, en comptant que le tissu urbain de la
ville haute a subi un grand nombre de transformations depuis 1492. La disposition en "impasse barrée" n'est
d'ailleurs pas unique aux calls dans la topographie médiévale catalane, puisqu'on peut la retrouver dans certaines
habitations aristocratiques à Perpignan.
En espérant que cet échange vient clarifier les malentendus et avec l'assurance de mes meilleures volontés
G. Poisson Le 19 mars 08
Post-scriptum :
Office du tourisme d'Elne : 04 68 22 05 07. Cloître : 04 68 22 70 90.
Je ne saurai que recommander l'ouvrage "Route Juive" de Martine Berthelot, éditions Sources, BP 1030, 66101 Perpignan Cedex. Ouvrage
réalisé (2002) dans le cadre de la formation de guides-interprètes touristiques, étudiants de l'Université de Perpignan. Concernant Elne, l'auteur a
été assisté de l'association Hélen'Arts, de Patrice Berthez, Jean-François Charpentier.
[1] Route Juive de Martine Berthelot,2002, Cal.ligrafies Lalou, Ass Sources, BP 1030, 66101 Perpignan Cedex.
[2] 42, avenue de Grande Bretagne.
[3] Elne est le siège épiscopal jusqu'en 1602.
[4] Bain rituel de purification.
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[5] Ainsi qu'en témoigne l'ouvrage "L'image des Juifs dans l'art chrétien médiéval" , de Jean-François Faü, éditions Maisonneuve et Larose,
2005.
[6] Source : Dictionnaire encyclopédique du Judaïsme. ed. Cerf 1993
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