Cerlityp dcembre 04

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Cerlityp dcembre 04
Correlation et subordination en indo-aryen, l’exemple du hindi
Annie Montaut
Renou (1930), et surtout Minard (1936), ont nettement suggéré qu’en sanscrit, la subordination
n’existe pas, Minard divisant même sa syntaxe en deux parties, l’une sur le dyptique du type yah…sah
(lequel/qui… celui-ci/il) et l’autre sur les formes dérivées du type yavat… tavat. Les thèmes concernés
(ya- … sa-/ta-) sont du reste le pendant du thème interrogatif (ka-) et indéfini, triple base pronominale
que commente Haudry (1973) en signalant la parenté de l’interrogatif, indéfini et corrélatif, toutes
formes d’occurrence non stabilisée, en instance d’instanciation dirions-nous en termes culioliens. Ni
l’un ni l’autre n’insiste beaucoup sur le participe conjonctif dit dans la tradition française ‘absolutif’
(V-ya/tva, invariable), qui sert à coordonner deux procès et dont l’introduction en sanscrit est
fréquemment attribuée à l’influence (au substrat ?) dravidien, langues n’admettant qu’un verbe fini par
phrase 1 et ignore du reste la coordination de propositions 2 . Cette double absence en dravidien, de
conjonction de subordination et de conjonction de coordination équivalant à « et », invite à
s’interroger sur les rapports entre les deux procédés, ainsi que sur la relation de cette absence avec le
caractère non configurationnel (« flat structure ») très souvent reconnu à la langue : par
exemple, Lehmann propose d’analyser le tamoul comme ne connaissant que des rapports de
concaténation (la question des adjoints n’étant pas clairement posée), sans autre relation que celle du
verbe avec ses arguments, dont la grammaire demanderait donc exclusivement une bonne morphologie
et pas de syntaxe 3 .
L’indo-aryen moderne (ex ici hindi/ourdou), qui hérite du sanscrit les structures corrélatives, hérite
aussi du dravidien les structures coordonnantes dites de participe conjonctif (et vraisemblablement
l’ordre SOV 4 ), mais dispose en outre d’un système de subordination supposé introduire des hiérarchies
claires entre propositions à verbe fini, ce dernier système étant relativement tardif et
vraisemblablement emprunté au persan, qui fournit aussi l’essentiel de sa morphologie (conjonctions
dérivées du ki « que » persan, et parfois empruntées telles : tâki « afin que », chûnki « puisque »). Je
commencerai par m’interroger sur la nature de la conjonction opérée par le participe dit « conjonctif »,
car il peut aussi bien coordonner que subordonner (dans l’acception classique de ces termes).
LES PROPOSITIONS CONJOINTES PAR LE MORPHEME -KAR
SUBORDONNANT ?
: COORDINATEUR OU
Les participes dits « conjonctifs » en indo-aryen en général et en hindi/ourdou en particulier sont souvent
considérés comme un moyen de coordonner deux procès (1), car ils commutent dans certains cas avec la
conjonction de coordination aur « et » (2), les deux étant attestés dans le même contexte pour décrire le même
procès.
1a
âdmî andar âkar
baiTh gayâ
homme dedans venir-kar s’asseoir alla-ms
2a
l’homme entra et s’assit
Shankar ke mukh par ek mushurâhaT âkar
Shankar
de visage
sur un sourire
calî gai
venir-kar marcha-fs partit-fs
1
A l’exception de la structure dite de “quotatif” (enru, forme figée d’un verbe dicendi) autorisant un verbe fini
enchâssé : c’est-à-dire que l’occurrence d’un verbe hiérarchiquement ‘subordonné’ exige un changement du
point de vue énonciateur (dans les pronoms aussi ; Montaut 1998, 2003). Sur les quelques autres formes (dont un
verbe « sembler » fonctionnant comme « quotatif », voir Lehmann xxxx, X
2
Et la coordination en « et » à un certain point puisque l’équivalent en est un suffixe (-um) qui a par ailleurs
quatre autre emplois (groupe insécable, indéfini, concession, addition) si spécifiques que leur existence en
sanscrit associée à la particule api a fait proposer l’hypothèse d’un calque (Emeneau 1980, Montaut 1997)
3
Ce qui ne veut pas dire que toute la linguistique dravidienne se passe de syntaxe, et l’analyse la plus fréquente
de enru par exemple est COMP.
4
Ordre dominant des énoncés non marqués, c’est-à-dire non soumis à des contraintes contextuelles, intonatives,
etc. Les corollaires de cet ordre (head final) sont, entre autres, l’existence de postpositions, l’antéposition de
l’adjectif, du complément de nom, de la base verbale par rapport à l’auxiliaire.
1
2b
un sourire vint aux lèvres de Shankar et disparut
Shankar ke mukh par ek mushurâhaT âyî
aur
chalî gayî
Shankar de visage sur
marcha-fs parti-fs
un sourire
vint-fs et
Shankar de visage sur un sourire-fs vint-fs et marcha-fs partit-fs
Morphologiquement, le segment -kar/-ke 5 responsable de l’opération de jonction dérive de la base
verbale du verbe faire (kar-) et peut alterner avec la marque zéro (le verbe « faire » lui-même ne
permet d’alternance qu’entre -ke et -zéro). Il remplace la flexion du verbe dans le premier constituant.
Syntaxiquement, la forme verbale dite conjonctive n’a en principe (cf. infra) pas de sujet autonome,
son sujet étant obligatoirement coréférent avec le sujet syntaxique (premier argument : nominatif,
datif, ergatif, locatif ou génitif) du verbe fini ou principal. Il peut aussi avoir pour objet l’objet
principal (3), avoir un objet distinct (5), se placer avant ou après le sujet principal.
Sémantiquement enfin, la série (3)-(7) montre dans les traductions que la coordination est soit une
des interprétations possibles, l’autre étant une relation de dépendance causale, temporelle, adverbiale,
soit une interprétation exclue (xx)
3 Sîtâ cây banâkar pîne
lagî
Sita thé
faire-kar boire-inf.obl se mit-fs
4
Sita a préparé le thé et s’est mise à le boire (ayant préparé du thé, S s’est mise à boire)
Sîtâ ne cây banâkar mehmânoN ko pilâ dî
5
Sita a préparé le thé et l’a servi aux invités
Râm ko
ciTThî paRhkar haNsî âîN
6
Ram a lu la lettre et s’est senti envie de rire (en lisant la lettre Ram a eu envie de rire)
apne bhâi kî ciTThî paRhkar Sîtâ kî âNkheN bhar âîN
7
Sita a lu la lettre de son frère et s’est mise à pleurer (en lisant la lettre, Sita s’est mise à pleurer)
usne haNskar kahâ
Sita erg thé-fs faire-kar invité-mp
Ram-ms dat lettre
refl
lire-kar
frère de lettre
lire-kar
à boire-caus donna-fs
rire-fs vint-fs
Sita de yeux-fp s’emplir vinrent-fp
3s-erg rire-kar dit-aor
il dit en riant
La différence la plus visible avec la conjonction aur « et » est que cette dernière peut coordonner
tout constituant (N aur N, Adj aur Adj, V aur V, P aur P), alors que -kar ne peut coordonner que deux
VP (« category sensitivity » chez Haspelmath). Deux VP ou deux propositions dont la première se
caractériserait par l’ellipse du sujet ? Aur conjoint un constituant toujours ommissible, -kar aussi, dans
les exemples ci-dessus du moins. Cependant, le comportement en présence de la négation (na,
particule spécifique des modes non finis, est exceptionnellement admis 6 pour nier le co-verbe qui
prend alors le sens de « au lieu de ») montre qu’il n’est pas certain qu’on ait affaire à deux constituants
assez autonomes pour que l’omission du premier n’affecte pas le second :
8
tum tâsh na khelkar apnâ kâm karo
2
cartes neg jouer-kar refl
travail fais-imper
9a
fais ton travail au lieu de jouer aux cartes (tu ferias mieux de faire ton travail que de jouer…)
âdmî do-tîn
din khânâ khâkar
nahîN martâ
9b
on ne meurt pas pour ne pas avoir mangé pendant trois jours 7
ve âj
subah khâkar
nahîN gae
homme deux-trois jours nourriture manger-kar neg
3H aujourd’hui matin
manger-kar neg
meurt-ms
partit-3H
il est parti ce matin sans manger
5
Recaractérisation moderne de l’ancien participe ‘absolutif’ sanscrit en -i/-iya < -iya Scrt). On trouve encore au
début du XIXème siècle la concurrence des formes anciennes en -i et des formes modernes en zéro/kar/ke.
6
On dit le plus souvent que les participes conjonctifs ne peuvent pas être niés.
7
cf. vah dastânen pahankar nahîn gayâ (il gants porter-kar neg partit) « il est parti sans mettre ses gants ».
2
L’exemple (9a) par ailleurs ne peut que partiellement servir de contre argument à l’hypothèse sur le
statut coordonnant de -kar, car on a avec les conjonctions bi-syndétiques «ni… ni » (na…na) 8 , des
phénomènes analogues, même s’ils sont relativement marginaux, la négation ayant une portée qui
englobe le constituant qui la suit (alors que normalement na précède sa portée) et le constituant
précédent, en tout cas les deux constituants ‘coordonnés’ :
10a bakkâ qâtil
hai na zânî
(GHZ)
Bakka
meurtrier est neg violeur
Bakka n’est ni un meurtrier ni un violeur
10b sinemâ dekhne kâ shauq lîlâ ko thâ na mujhe
(L)
cinema voir-inf de goût Lila dat était neg 1s-dat
ni Lila n’avait de goût pour le cinéma ni moi 9
L’ommissibilité (obligatoire dans les co-jonctions par -kar, préférée avec le coordinateur aur si le
sujet du constituant 2 est nominatif ou ergatif) obéit par ailleurs à des règles plus restrictives que dans
les propositions coordonnées par la conjonction aur, puisqu’un ‘sujet’ au datif peut être omis dans un
constituant 2 coordonné mais ne peut pas être réduit à la place vide requise par le participe conjonctif :
11a use baRâ dukh
huâ aur (vah) rone lagî
3s-dat grande douleur-ms fut-ms et
(3s) pleurer se mit-fs
elle se sentit triste et se mit à pleurer
11b *use / *vah baRâ dukh
hokar rone lagî
3s-dat / 3s
grande douleur être-PC pleurer se mit-fs
Les deux constituants “coordonnés” sont par ailleurs du même niveau quand ils sont conjoints par
aur « et » 10 , alors que le trait non fini du verbe-kar en fait une catégorie syntaxiquement dépendante
du verbe principal, sans toutefois le rendre sémantiquement dépendant. Le constituant 1 ne joue aucun
8
Na est la négation des modes non finis et la particule négative correspondant à fr. « ni ».
Où on voit au passage que l’extraposition n’est pas impossible dans les structures coordonnées (à moins, encore
une fois, cf. V-kar, qu’on ne considère cet énoncé comme 2 propositions (et non deux constituants) coordonnées,
la seconde elliptique du constituant non marqué, actant 2, et du verbe.
10
Il y a malgré tout quelques cas où on doit mettre en question cette apparente symétrie : coordonnant 2 adjectifs
ou participes par exemple, aur n’impose pas l’accord pluriel puisqu’on peut aussi trouver l’accord avec le
dernier terme conjoint, ce qui fait du premier un équivalent à un certain niveau du VP-kar conjoint à VP fini. A
un certain niveau seulement car N1 ou adj1 dans les constructions en question n’est pas dépourvu d’inflexion.
9
a
ghar kâ naukrânî,
bâg kâ mâlî
aur paRos kâ halvâî
maison de domestique-fs, jardin de jardinier-ms et voisin de confiseur-ms
bhî uske
janm kî kahânî
jântâ thâ
(SSG)
aussi lui-de naissance de histoire connaître impft-ms
la servante, le jardinier et le confiseur du voisinnage aussi connaissaient l’histoire de sa naissance
b
bhâle
hamâre ye,
châleN
bouclier-mp notre-mp dem, épée-fp
c
hamârî ye, nirarthak
nos boucliers, nos épées, sont restées inutiles
(AY)
usne do mûRhe aur tîn kursiyâN rakhî thîN
3s-erg deux siège-mp et trois chaises-fp
d
enfant pour une orange-ms et
kharîdnî hai
un bonbon-fs acheter-fs oblig-3s
tu dois acheter une orange et un bonbon pour l’enfant
dâdî
ke pâs baiThî
strî
yâ puruSh
grand-mère près
f
avaient mis-fp
il avait place deux sieges de rotin et trios chaises
tumheN bacce ke lie ek santrâ
aur ek tâfî
2-dat
e
paRî rahîN
notre-fp dem insignifiant tomber-f rester-fp
(UB)
assise-part2-fs femme-fs ou homme-ms
un homme ou une femme assis(e) près de grand-mère
uskâ gharânâ, jât-birâdrî
apnî honî câhie
3s-gen lignage-ms, caste-fraternité-fs refl-fs être-fs doit
sa lignée, sa caste et son clan doivent être (les mêmes que) les nôtres
3
rôle dans l’accord 11 . En outre, aur n’est pas clitique (peut régir une expression par exemple dans une
question, aur tum ? « et toi ? »), confirmant une analyse de type [A] [aur B] alors que -kar est suffixé,
invitant donc à une analyse [A-kar] [B]. La contrainte du réfléchi quand il renvoie au sujet (unique)
invite à analyser l’énoncé comme une seule phrase (proposition) dans le type (6) alors que dans deux
phrases (propositions) coordonnées (6b) ou subordonnées finies (6c) le réfléchi de la seconde ne peut
pas renvoyer au sujet de la première:
6b Sîtâ ne apnî bhâî kî chiTTî paRhî aur (to/ islie) uskî (*apnî *zéro) ânkhen bhar gaîn
Sita erg refl frère de lettre lut-fs et (alors / donc) ses-pro (*refl) yeux-fp s’emplirent-fp
6c
Sita lut la lettre de son frère et elle eut les larmes aux yeux
Sîtâ kî (*apnî) âNkheN bhar gaî islie ki usne (*apne ne) apne bhâî kî chiTThî paRhî
Sita de / refl/ yeux s’emplirent pour-ce que 3s-erg /refl erg / refl frère de lettre lut
Sita eut les larmes aux yeux car elle avait lu la lettre de son frère
L’extraction et l’extraposition sont possibles alors qu’elles sont difficiles (voir note 8)
avec le coordonnant aur 12 :
12a Sîtâ kiskî
chiTThî paRhkar rone lagî ?
Sita interr-gen lettre
lire-kar
pleurer se mit
Sita se mit à pleurer après avoir lu la letter de qui
12b kiskî
chiTThî Sîtâ paRhkar rone lagî ?
interr-gen lettre
12c
sita lire-kar
pleurer se mit?
bhâî kî chiTThî paRhkar Sîtâ kyâ karne lagî ?
frère de lettre
lire-kar
Sita interr faire se mit
qu’est-ce que Sita se mit à faire après avoir lu la lettre de (son) frère?
12d kaun bhâî kî chiTThî paRhkar rone lagî ?
qui-inter frère de lettre
lire-kar
pleurer se mit
qui se mit à pleurer après avoir lu la lettre de (son) frère?
13a * ?Sîtâ kiskî
chiTThî paRhî aur rone lagî ?
Sita interr-gen lettre
lut
et
pleurer se mit
13b * bhâî kî chiTTî paRh aur kaun rone lagî ?
frère de lettre lut
et
qui
pleurer se mit
On serait donc tenté de dire que même s’il s’agit là de coordination sémantique (entre VPs), il s’agit
syntaxiquement de rapports de dépendance (hiérarchisés : subordination?) 13 . De fait, (5-7) présentent
une relation adverbiale (cause à effet, manière) plutôt que de coordination, ce qui apparente le
comportement du participe conjonctif aux participes accomplis et inaccomplis quand ils ne sont pas
adjectivaux, et particulièrement quand ils sont redoublés, l’interprétation n’étant jamais coordonnante
alors :
14a hâth hilâ-hilâkar
kahâ
main secouer-secouer-kar dit
elle dit en agitant (avec insistance) la main
14b tâlâ
kholte-kholte usne pûchâ
cadenas ouvrant-ouvrant 3s-erg demanda
il demanda tout en ouvrant le cadenas
15a ham log unke bhaShaN sun-sunkar
ûb gae
nous gens 3p-gen conférence entendre-entendre-kar
s’ennnuyer aller-aor
nous en avons eu marre d’entendre ses grands discours
15b main ûb gayâ yahân baiThe-baiThe
1s s’ennuer allay ici assis-assis
11
Que le sujet principal soit exprimé ou non (car le hindi omet facilement le sujet, quelque soit son cas
morphologique).
12
Le test de l’interrogation est inapplicable car il devrait porter sur le verbe pour les structures co-jointes par kar.
13
Coordination sémantique et subordination syntaxique : Haspelmath 2004, après Yuasa & Sadock 2002
(« pseudo-subordination »).
4
j’en ai eu assez / je me lassai de rester là (sans rien faire)
16a naukrî kî bât muNh par â-âkar
rah gayî
emploi de chose bouche sur venir-venir-kar rester alla
la question de l’emploi vint aux lèvres et y resta :je faillis/n’osai aborder la question de l’emploi
16b bârish hote-hote rah gaî
pluie étant-étant
rester alla
il était sur le point de pleuvoir mais il ne plut pas
17
baccâ girte-girte
bacâ
entant tombant-tombant se sauver alla
l’enfant faillit tomber
Les exemples (b) de cette série, formés sur des participes (-t- : marque d’inaccompli, -e : désinence
de masculin singulier servant aussi pour noter la fonction non adjectivale, ‘adverbiale’, du participe),
suivis ou non, comme les participes adjectivaux, du participe (hue) du verbe être, ne présentent avec
les exemples (a) pas de différence sémantique majeure, équivalant globalement à des gérondifs
français, et comme eux supposant la coréférence de leur sujet et du sujet du verbe fini 14 . Même la
valeur de suspension du procès (16), réputée propriété spécifique des participes inaccomplis suivis
d’un verbe de type « se sauver » (17), peut aussi être exprimée par le participe conjonctif redoublé. Par
contre, les participes, redoublés ou non, diffèrent des formes en -kar syntaxiquement par l’expression
possible d’un sujet distinct, représenté alors par le cas génitif (+ kâ/kî/ke) 15 , relateur ordinairement
réservé à la relation N1N2 (18a, cf. infra 21).
18a apne patî ke rahte hue
(*patî rahte hue)
maiN kahâN jâ saktî hûN ?
refl
mari de demeurer-part étant (mari demeurant étant) je
où
aller pouvoir pres-1s
où puis-je aller tant que mon mari est vivant
Les (rares) cas d’expression d’un sujet non postpositionnel correspondent à des cas de quasi
incorporation (impossibles avec les humains et les entités nettement individuées) comme le montrent
les cas de contraste suivants :
18b bârish shurû hote hî
sab bhâg gae
pluie
18c
commencer-part juste
tous s’enfuir allèrent
dès qu’il commença à pleuvoir tous s’enfuirent
bârish ke shurû hote hî sab bhâg gae
pluie de commencer-part juste tous s’enfuir allèrent
dès que la pluie commença à tomber (à la première goutte de pluie) tous décampèrent
Mais on n’a jamais andherâ *ke hote hî (dès que l’obscurité fut tombée, dès qu’il fit nuit).
Le participe (inaccompli ou accompli) diffère aussi dans ses emplois dits ‘adverbiaux’ de l’absolutif
sur le plan morphologique : non seulement le verbe conserve une marque aspectuelle, mais il arrive
même que la marque d’accord reste présente (â pour le masculin au cas direct, î pour le féminin),
apparentant, au moins sur le plan morphologique, le constituant à ce que la grammaire traditionnelle
appelle une apposition :
19 a
(vah) soyâ-soyâ
mar gayâ
(il)
ayant dormi(ms)-ayant dormi-ms mourir alla-ms
il est mort dans son sommeil (tout en étant endormi)
19b zamîn par mâthâ Tektâ huâ bolâ
14
On les trouve d’ailleurs souvent dans des constructions coordonnées, supposant donc l’analogie des deux
constituants, la forme en -kar et la forme en -te (hue) :
vah donoN hâthoN se chehre ko Dhake hue, ghûTnoN ko sameTkar chipkâe hue chup rahtî thî
3s deux mains par visage acc couvrir-part étant, genoux acc ramasser-kar se-coller-part étant silencieuse restait
elle restait silencieuse, le visage couvert de ses deux mains (se cachant le visage de ses deux mains),
recroquevillée avec /et les genoux ramassés (ramassant contre elle ses genoux)
avec participe variable en genre/nombre :
yah kahtâ huâ donoN chizoN ko lekar chalâ âyâ
ceci disant-ms étant-ms les-deux choses acc prendre-kar partir arriva
en disant ces mots il arriva avec (apportant) les deux objets
15
Voir dans les exemples supra notamment (6) : bhâî kî chiTThî (frère de lettre) « lettre du frère ».
5
terre sur front prosternant-ms étant-ms parla-ms
il dit, posant son front à terre
Les valeurs de concession et d’enchaînement immédiat (‘dès que’), données par la présence des
clitiques bhî et hî respectivement caractérisent plutôt le participe inaccompli mais on trouve aussi la
concession avec le participe conjonctif (21a) :
20a mân ke bulâte hî
maiN turant
savâr ho gayâ thâ
mère de appelant juste 1s
immédiatement s’embarquer étais allé
dès que ma mère (m’)avait appelé, j’étais parti tout de suite
21a uske na châhate hue bhî maiN vahâN gayâ thâ
3s-gen neg voulant étant bhî
1s
là-bas
étais allé
j’étais allé là-bas bien qu’elle/il ne veuille pas
21b bahut
pryâs karke bhî usse
paRhâ nahîn gayâ
beaucoup effort faire-kar
3s-instr étudier neg passif-aor
bien qu’il fît tous ses efforts il ne parvint pas à étudier
Mais qu’est-ce qu’une relation adverbiale ? (cf. gérondif français). Question d’autant plus
problématique ici que les participes dits adverbiaux en hindi/ourdou peuvent conserver leurs marques
de genre et de nombre (et de cas direct) comme on voit dans (19) et dans la note 14.
Dans la mesure où ces relations sont aussi typiquement exprimées par les syntagmes nominaux
postpositionnels, avec les mêmes contraintes syntaxiques sur le sujet que les participes, et les mêmes
possibilités (ou contraintes) d’incorporation, dans la mesure aussi où le sujet distinct quand il peut
apparaître apparaît avec le relateur nominal kâ, est-on amené à considérer certains syntagmes
nominaux, les syntagmes participiaux et la classe 2 des participes conjonctifs comme
fonctionnellement équivalents ? En effet les relations de concommittance, de consécution immédiate,
de concession, de cause, peuvent s’exprimer par des infinitifs (morphologie clairement nominale en
hindi) suivis de postposition :
14c tâlâ
kholne
ke daurân usne kahâ
cadenzas ouvrir-inf-obl pendant
18c
mère / refl ami
21c
de appeler-inf-obl sur 3s de-suite s’embarquer alla
quand [sa] mère / son ami l’appela il se mit tout de suite en route
uske na châhane
par bhî maiN jâûNgâ
3s-gen neg vouloir-inf-obl sur bhî 1s
15c
3s-erg dit
pendant qu’il ouvrait le cadenas, il dit
mân / apne dost ke bulâne
par vah turant savâr ho gayâ
irai
bien qu’elle ne le veuille pas j’irai
ham uske bhâShaN sunne
se ûbne lage
1p 3s-gen discours entendre-inf-obl par s’ennuyer commençâmes
nous commençames à nous lasser d’entendre ses grands discours
La réponse à la question posée à l’entrée de cette série pose la question de l’adjonction et du statut
des syntagmes prépositionnels non argumentaux. Question qui, en hindi/ourdou, est compliquée par la
structure de la proposition dite infinitive : bien que celle-ci soit introduite par la même marque
segmentale (postposition ko, régissant un infinitif oblique), et, en traduction, établisse clairement un
rapport de subordination (hypotaxe), bien que le comportement du réfléchi suggère aussi une analyse
en deux propositions distinctes (il peut être ambigu, renvoyer au sujet principal ou au ‘sujet
enchâssé’), le fait qu’on puisse avoir la postposition ko « à » (régissant des arguments) ou ke lie
« pour » (régissant des PP) invite à analyser la phrase comme un constituant nominal :
22 Sîtâ ne Râmesh se
apne bhâî ke sâth khelne ko
/ ke lie kahâ
Sita erg Ramesh avec/à/par 16 refl frère avec
jouer-inf-obl à / pour
dit
Sita a dit à Ramesh de jouer avec son (ambigu) frère
16
Postposition difficile à gloser (source, instrumental, moyen, cause), ordinairement glosée « ablatif », mais qui
marque en général la mise en relation (se marier, contacter, la plupart des verbes de parole se construisent avec
cette postposition).
6
On peut analyser ce type d’énoncé (Butt 1994, Montaut 2004) comme la substitution à l’argument 2
du verbe dire (objet non marqué) d’un argument de type allatif (« à, pour ») correspondant
sémantiquement à l’objectif visé par le dire, ce changement suffisant à rendre compte du changement
de sens du verbe (dire /énoncer > dire de/ demander de, assertion > prescription) sans modifier le type
de construction.
Mais les propositions dites participiales (enchâssées), qui complètent les verbes de perception “voir”
et “entendre”), présentant des propriétés analogues, comme l’ambiguïté du réfléchi, se laissent plus
difficilement ramener à un constituant nominal :
23a usne Sîtâ ko apnî bahan se bât karte hue
sunâ
3s-erg Sita acc refl
soeur à
parole faire-part étant entendit
il a entendu Sita parler à sa (ambigu) soeur
23b maiNne gâRî
vâpas âî
dekhî thî
1s-erg
voiture-fs de-retour venue-fs
vais vu
j’avais vu que la voiture était rentrée
Leur sujet est nécessairement l’objet ‘enchâssé’ (donc pas d’analogie avec la classe nominale
comme dans la série (14-17) et, si on refuse de les analyser comme des propositions dans une relation
de simple dépendance (l’accord possible du participe comme dans (22b) suggère une autre relation,
avec le nom objet de Vprincipal), on ne peut les voir que comme des adjonctions, là encore de type
« apposition » dans la terminologie traditionnelle.
Naturellement, une analyse comme adjonction (quelle que soit la fonction exacte de l’adjoint)
suppose une dissymétrie entre les deux constituants co-joints (prédicats ou propositions), le premier
constituant n’étant pas autonome. Mais le second ne l’est pas toujours (22) et la corrélation
bisyndétique présente aussi des cas de dissymétrie et de dépendance (10).
LE SYSTEME CORRELATIF
Le hindi moderne hérite ce système du sanscrit, comme le suggère la morphologie des corrélatifs et des
résomptifs (jo < yah « qui », yadi « si » et les dérivés du relatif jab « quand », jahân « où », jidhar
« où+directionel », jaise « comme » jitnâ « aussi grand » ; to, tab « alors », vah « il/celui-là » ayant une
étymologie compliquée mais correspondant au dialectal to/so, et les dérivés du résomptif vahan « là », vaise
« comme », utnâ « aussi grand » ; thèmes interrogatifs kaun (qui) kab, kahân, kidhar, kaise, kitnâ
1. La corrrelative
1.1. Modèle typique: la relative déterminative ou restrictive
La relative déterminative représente le modèle typique de la corrélation: pronom-adjectif relatif jo dans
l’expression relativisée, anaphorisée dans la principale par le pronom résomptif (vah). C’est l’ordre séquentiel
non marqué, le relatif restant, dans sa proposition, “in situ” –comme l’interrogatif en hindi.
24a jo âdmî
kal âyâ thâ vah merâ dost hai
rel homme hier était venu il
mon ami
est
l’homme qui est venu hier est mon ami
24b videsh kî jo mahilâeN subah tumhâre
étranger de rel femme
25
matin
tu-de
yahâN âîN maîN
un
ici vinrent
celles-là acc
je
ko
jântâ hûN
connais
je connais les femmes étrangères qui sont venues chez toi ce matin
kharîdnâ thâ
vah na kharîd
hameN us laRkî ke lie
jo hâr
pâe
1p-dat²² cette fille pour
pouvoir-ps
rel collier acheter être-impft il
neg acheter
nous n’avons pas pu acheter le collier qu’il nous fallait acheter pour cette fille
Le sens est restrictif (un ‘antécédent’ pluriel représente la sélection dans un groupe: 26a renvoie à un
petit groupe de Japonais), à l’opposition de la relative postposée à son antécédent (26b renvoie à
l’ensemble des Japonais), et la position du relatif, antéposé au nom, fonctionne comme un
déterminant. (26a), comme (24) et (25), thématisent l’expression relativisée.
26a jo jâpânî mehnat se kâm karte haiN ve bahut kamyâb haiN
rel Japonais peine avec travail font
ils beaucoup réussi sont
les (ceux des) Japonais qui travaillent dur réussissent très bien
7
26b jâpânî jo mehnat se kâm karte haiN bahut kamyâb haiN
Japonais rel peine avec travail font
beaucoup réussi sont
les Japonais, qui travaillent dur, réussissent très bien
La relative déterminative peut être anaphorisée par une copie du nom relativisé, trait fréquent dans
l’anglo-indien (comme l’usage du déterminant “that”, “those” sur le nom relativisé: “those Japanese
who”) :
27 jis jagah vah baiThâ thâ us jagah ko pânî se dhonâ zarûrî hotâ thâ
rel endroit 3s s’était assis cet endroit acc eau avec laver nécessaire était
il fallait laver à grande eau l’endroit où il s’était assis
1.2. Ordres alternatifs des deux éléments du dyptique
Si la relative déterminative est le plus souvent à gauche (antéposée) en conformité avec sa fonctionante
topicalisante (Gupta 1985), l’ordre des éléments peut être inversée: d’abord le nom précédé du déterminant
(résomptif?) vah, dans la “principale”, ensuite la relative, qui serait ainsi “extraposée” (Srivastav 1991,
Dvivedi 1994). Cet ordre, où la relative développe l’expression vah-N en une sorte de contre-thème (‘antitopic’: Chafe 1976), ou simple post rhème (Morel 1999), ajoutant (rappelant) une connaissance partagée,
thématise l’expression vah-N. Le sens est également déterminatif et la présence du déterminant/résomptif
vah, déictique distal, également obligatoire (interdisant yah déictique proximal) 17 .
28a ve/*ye log
â gae
jinkâ intazâr kar rahâ thâ
ces gens (là/*ci) sont arrivés rel-gen attente faire prog impft
les gens que (j’)attendais sont arrivés
28b jin logoN kâ intazâr kar rahâ thâ ve
rel people gen waiting do prog impft
â
gae
they come went
les gens que (j’)attendais sont arrivés
2. Autres types de correlation
Tous les pronoms ou pronoms dits adverbiaux dérivés des thèmes (j-/v- et u- or t-) structurent une
syntaxe “bi-syndétique” du même type que la corrélative vue supra, qu’il s’agisse d’emplois
ajectivaux (29) ou adverbiaux (comparaison, temps, lieu, hypothèse), dans le même ordre séquentiel
que les corrélatives du type (24).
29 sîtâ jitnî
lambî hai maîN utnî
Sita autant-fs grande est
je
hî
hûN
autant-fs juste suis
je suis juste aussi grande que Sita
30 jaise
maîNne kahâ vaise karo
comme
je-erg
Comparatif d’égalité
(pro-adj rel jitnâ, corrélé au résomptif utnâ)
comparaison adverbiale
a dit ainsi fais
fais comme je te dis
17
Un troisième ordre est possible, aussi considéré comme une extraposition (Subbarao 1984 : 102 sq), mais
nettement plus rare : toujours dans le modèle corrélatif du type 5a, vah étant corrélé à jo, mais avec la relative
médiane, ordre qui thématise l’ensemble (sans pause) de vahN + relative :
ve log
jinkâ intazâr kar rahâ thâ
âkhir â gae
ces gens là
rel-gen attente faisais
finalement sont arrivés
Une raison de considérer le type (24-27) comme basique est que les autres ordres sont plus contraints, en terme
notamment d’extraction du thème (‘topic extraction’: exemples de Dvivedi 1994): in the left adjoined relative of
the topicalizing dislocation of the embedded verb khar dn⇓ (a) is allowed but a similar move is not possible
with right adjoined (b) and embedded (c) relative.
a
kharîdnâ merâ khyâl hai ki jo mâkân tum câhtî thîn vo bik
cukâ hai
buy
my thought is that rel house you wanted that get-sold term pft
I think that the house you wanted to buy has already been sold
b * kharîdnâ merâ khyâl hai ki vah mâkân bik cukâ hai jo tum câhtî thîn
buy
my thougjt is that that house get-sold term pft rel you wanted
c * kharîdnâ merâ khyâl hai ki vah mâkân jo tum cahtî thîn bik
cukâ hai
buy my thought is that that house rel you wanted get-sold term pft
8
31 jahâN bhî tum jâoge, vahâN maîN bhî jâûgî
où que ce soit tu iras-m,
là
j’irai partout où tu iras
32 jab ham logoN ne pûcchâ
quand nous gens
je
to/tab vah bolâ
erg demandâmes alors
quand on lui demanda, il dit
33 yadi âpne
davâiyâN na
si vous-erg médicaments neg
lieu
aussi irai-f
bhejî hotî
il
dit
to
temps (tab strictement temporel
to +enchaînement logique
vah mar gayâ hotâ
aviez envoyé alors il
serait mort
hypothétique
si vous n’aviez pas envoyé de remèdes il serait mort
Il est significatif que, même lorsque le réemprunt sanscrit yadi alterne avec l’emprunt turc agar « si »,
la reprise par to « alors » reste nécessaire. De même dans l’expression de la concession, le dérivé
sanscrit yadyapi (si-même), corrélé à to bhî (alors même), est remplacé dans le registre non solennel
par l’emprunt persan hâlâNki (bien que), presque toujours corrélé à une coordination adversative (phir
bhî « pourtant », par « mais », etc.). Là encore, l’ordre du dyptique peut s’inverser avec les mêmes effets
sur la thématisation (l’élément 2 passe à un statut post rhématique).
Pour récapituler les questions que posent les corrélatives du hindi :
Comment analyser les rapports entre les deux phrases ou propositions? Le comportement du réfléchi
montre qu’on a affaire à deux entités nettement séparées, puisqu’il n’y a jamais contrôle de la
coréférence de l’une à l’autre, mais c’est aussi le cas dans les subordonnées non corrélées, comme
dans les coordonnées. Par ailleurs, le morphème qui introduit l’apodose a un statut soit
syncatégorématique (semblable à ceux Rebuschi 2000 du type “et”, “si” en ancien français) comme to
“alors”, “donc”, qui fonctionne aussi comme conjonction de coordination et adverbe (connexion
logique et consécution temporelle, enchaînement de paragraphes discursifs: Montaut 2003) soit
clairement anaphorique: vah en est l’exemple le plus clair. Certes on peut dire que les apodoses font
sens isolément, sauf éventuellement celles qui correspondent à une protase hypothétique 18 . Mais ce
sens n’est pas celui qu’elles ont en tant qu’apodoses: les comparatives présenteraient si elles étaient
isolées une valeur exclamative et le comparé au haut degré (itna et non utna) ou une valeur non
relative (l’adverbe aise “ainsi”). Les apodoses qui auraient le sens le plus voisin en emploi isolé
comme “j’irai là-bas” en emploi indépendant supposent soit un fonctionnement ostensif soit un
contexte à anaphoriser (de même “il dit alors” suppose un contexte narratif), et les comparatives si
elles gardent leur sens comparatif (et leur marque) supposent exprimé précédemment le terme
comparant. Dans ce dernier cas, de sens très voisin, seule la protase ne serait donc pas une phrase
indépendante possible 19 , mais l’apodose n’est pas interprétable sans elle. Dire que la protase sert de
thème (cadre interprétatif) à l’apodose revient à dire qu’elle constitue le point de départ de ce que H.
Weil 20 déjà appelait en 1844 la marche des idées, la protase constituant le but ou le point d’arrivée, ce
que l’énonciateur souhaite communiquer de nouveau et mettre en évidence. L’ordre canonique de la
corrélative hindi (protase apodose) serait tel parce qu’il correspond à celui du constituant thématisé
suivi de ce qui en est prédiqué ou est prédiqué à partir du repère qu’il pose, la relation des deux
propositions étant une relation de localisation de la seconde par rapport à la première. Que les deux
morphèmes soient présents ou, dans le cas de l’hypothétique, que le premier soit absent, l’intonation
suspensive suivie de pause dans la protase manifeste qu’il y a co-dépendance et non dépendance
orientée.
18
Eventuellement : en contexte habituel passé, elle pourrait signifier l’habitude, car il existe une forme
d’imparfait court formellement identique à l’irréel. L’exemple donné ne s’y prête pas, mais on peut interpréter to
vah aur bîmâr ho jâtâ (il et/davantage malade être allait « il était alors encore plus malade » (chaque fois qu’il
prenait cette potion par exemple)
19
Elles ne le deviendraient, avec une force exclamative, ou interrogative, qu’en substituant k- à j- dans le
morphème qui les introduit.
20
De l’ordre des mots dans les langues anciennes
9
LE SYSTEME SUBORDONNANT: CONJONCTIONS ET RELATIVE
1. Ki “que” et ses dérivés
Ki emprunt persan 21 fournit à l’origine les seules vraies subordonnées (discours et contenus de pensée
rapportés – au style direct) comme dans (34), et toute une gamme de conjonctions dérivés (kyoNki
“parce que”, hâlâNki “bien que” cf. supra, tâki “pour que”, cûNki “puisque”.
34 usne kahâ
3s-erg said
ki maîN kal
que je
âûNgâ
demain viendrai
il a dit qu’il viendrait le lendemain
L’ordre est toujours: principale CONJONCTION (ki) subordonnée, dans le discours rapporté.
2. Troncation du dyptique correlatif
Quand seul le premier membre du dyptique correlatif est exprimé, on aboutit à un système de
subordination hiérarchisé (principale/dépendante), qui s’est développé en hindi (35), probablement
sous la double influence du persan d’abord et de l’anglais ensuite, et qui, dans la relative, s’est
spécialisé dans l’expression de la relative descriptive ou appositive, sans résomptif donc, comme en
(26b). Le modèle (26b) structuré comme une relative française, est postérieur au modèle (24), et
souvent, surtout dans le parlé, souligné comme subordonnée par l’usage de ki après le relatif (36)
35 maîN zarûr ghûmne jâûgî jab mausam Thîk ho jâegâ
je
sûrement promener irai
quand temps
bien deviendra
j’irai certainement me promener quand le temps s’arrangera
36 maîN sîtâ se pûchûngâ jo (ki)
sab kuch jântî hai
je
Sita
à demanderai qui (que) tout
sait
je demanderai à Sita, qui sait tout
Ce type de relative diffère de la corrélative traditionnelle par deux traits: 1) elle seule peut
correspondre à la relative appositive/descriptive; 2) quand, aussi, elle correspond à une déterminative
(après un indéfini, “le dernier”, “le premier” 22 , elle n’est jamais thématisante (37).
37 maîN ek/aise âdmî ko jântâ hûN jo tumhârî madad kar sakegâ
je
un/tel homme acc connais
qui ton aide
faire pourra
je connais un homme qui pourra t’aider
On pourrait déduire de cette évolution que la subordination (avec la représentation hiérarchisée de la
phrase complexe) procède d’une évolution de la corrélation vers la simplification et la hiérarchisation,
évolution catalysée par le comportement de la conjonction empruntée au persan.
3. Correlativisation du modèle subordonnant
Il n’en est rien, et l’un des traits remarquables de cet emprunt du hindi au persan a consisté
précisément à recatégoriser la conjonction comme premier ou second terme d’un dyptique: cûNki
“puisque” est systématiquement repris par is lie (“pour ceci”), comme hâlâNki “bien que” est presque
toujours repris par “mais/pourtant”, kyoNki “parce que”, fréquemment repris par islie “c’est pourquoi”.
De nouvelles locutions comme avant que (is se pahle ki), malgré (is ke bâvajûd), au point que (is had
tak ki) corrèlent systématiquement la locution ‘conjonctive’ à un déictique ici cataphorique, résumant
le contenu propositionnel, qui est toujours yah/is (nominatif/oblique). Même les emplois les plus
canoniques de ki (complétive) sont corrélés à un yah cataphorique soit optionnellement (38) si le verbe
est fini, soit obligatoirement si le verbe est non fini (39).
38a maîNne yah kahâ ki…yah sunâ ki… yah socâ ki…
je-erg
ceci dis que… ceci entendis que… ceci pensai que…
j’ai dit que… j’ai entendu dire que… j’ai pensé que….
21
Bien que certains le rattachent au sanscrit kimcit, son usage comme complémenteur ne semble pas précéder l’influence du
persan sur l’indo-aryen.
22
hilârî pahlâ âdmî hai jo Everest par caRh sakâ
Hilary premier homme est qui Everest sur grimper put
Hilary est le premier homme qui a pu faire l’ascension de l’Everest
10
39b mujhe (yah) ummîd hai
je-dat (ceci) espoir est
ki tum jaldî
que tu
âoge
bientôt viendras
j’espère que tu viendras bientôt
40a * Ø /*vah/ yah sunkar
mujhe baRî khushî huî ki…
*zero/*cela/ ceci ayant entendu je-dat
grand bonheur fut ue…
I was very happy to hear that
40b yah sunte hî
ki Nishâ ânevâlî hai …
ceci entendant juste que Nisha va venir….
40c
dès qu’il entendit que Nisha allait arriver….
mujhe yah kahne kâ mauqâ nahîN milâ
je-dat ceci dire
ki yah sab galat hai
de occasion neg se-trouva que tout ceci gaux est
l’occasion ne se présenta pas pour moi de dire que tout ça est mal
Vue à cette lumière, la présence du déictique yah/is dans les locutions postpositionnelles dérivées (au
point que, malgré, etc.) de même qu’avec les noms gouvernant une complétive, suggère la
généralisation du modèle corrélatif pour tout type de complétive. Le pronom cataphorique est le
second déictique du hindi (renvoyant ici à des contenus propositionnels abstraits, comme déictique à
des référents proches) alors que la corrélative traditionnelle utilise celui qui sert aussi de pronom
personnel (renvoyant à des entités), vah “celui-là”.
41a is bât par / is par dhyân
denâ paRegâ ki…
cette chose sur /ceci sur
attention donner
faudra que…
on devra veiller à ce que…
41b sab se
zarûrî
bât yah hai ki…
superlatif importante chose ceci est que …
41c
la chose la plus importante est que…
yah khabar abhî
milî
ki râm kal
âegâ
cette nouvelle maintenant se-trouva que Ram demain viendra
(je/on) viens d’apprendre que Ram arrivait demain
Certains linguistes considèrent du reste que l’absence du pronom/adj yah (cataphorique) résulte d’un
effacement (Subbarao 1984: 135-94), considérant comme basique le modèle corrélatif dans la
complémentation nominale ou verbale aussi..
Le sysème cataphorique établit en tout cas une relation de co-dépendance (au point que chez
Pandharipande 1997 on trouve le pronom-adjectif is/yah analysé comme COMP dans les exemples
marathi équivalents à 41-45) comparable à celle des corrélatives, dans un ordre inverse : de même que
la protase seule peut (dans une interprétation requérant un contexte) exister indépendamment, de
même ici la première des deux propositions. Mais son intonation (suspensive) marque qu’elle ne peut
pas s’interpréter sans suite, la ‘complétive’ en ki instanciant la place donnée comme à instancier par
yah. La structure est analogue à celle de l’ordre alternatif de la corrélative en (28a). Question : ce postrhème occupé dans un cas par la ‘relative’ et dans l’autre par la ‘complétive’ en ki, a quel statut, de
type apposition (ce qui signifie exactement quoi ?) ? Autre question, à laquelle je ne suis pas
maintenant en mesure de répondre : l’analogie formelle entre (40) ou (41) et (28) est-elle illusoire du
fait d’une dépendance syntaxique dans (40)-(41) ? Le fait que (40)-(41) puisse remplacer la
‘conjonction’ ki par une simple pause (ou « : » à l’écrit) ne constitue-t-il pas une ombre, quand on sait
que ki est aussi utilisé comme coordonnant (tum âoge ki nahîn ? tu viendras ou (oui ou) non ?) ?
‘PARATAXE’, ‘INVERSION’ DES TERMES ET ANAPHORE
Le type complétif, corrélativisé (38) ou non (34) a de très fréquentes alternatives (surtout à l’oral) de
type asyndétique, la principale étant simplement suivie du contenu du discours direct (42). Mais si cet
ordre séquentiel s’inverse – le contenu propositionel de la “complétive” s’antéposant au verbe
principal--, le pronom yah est requis, et un modèle anaphorique se substitue donc au modèle soit
corrélatif (43 qu’on peut comparer à 41c) soit complétif/corrélatif/’parataxique’ 23 (43):
23
Les guillements simples signalent que je n’emploie le terme qu’à titre d’étiquette provisoire, et uniquement
pour marquer l’absence de tout signe de dépendance, en tout cas il n’y a pas de signe de dépendance dans une
11
42
usne kahâ maîN kal
il-erg dit
43
je
âûgâ
demain viendrai
il a dit qu’il viendrait le lendemain
vah kal
âegâ yah khabar abhî
il
milî
demain viendra cette nouvelle maintenant se-trouva
we just received the news he will arrive the day after tomorrow
44a maîN (yah) nahîN châûNgî (ki) vah mere ghar is tarah âe
je
(ceci) neg
voudrai
(que) elle ma maison cette façon vienne
je ne voudrais pas qu’elle arrive de cette façon chez moi
44b vah mere ghar is tarah âe
yah maîN nahîN châhûgâ
elle ma maison cette façon vienne ceci neg voudrai
45
that she comes to my home in such a way I would not like it
rahtî thî
bât na baRhe
is khyâl se hameshâ cup
chose neg augmente-subj cette pensée par toujours
silencieuse restait
elle ne disait jamais rien, dans l’idée de ne pas aggraver la chose
Il est notable que le modèle anaphorique (43, 44b, 45) permet au contenu de pensée/discours, c’est-àdire au contenu ‘dépendant’ d’apparaître avant le verbe principal, ce qui correspond à la structure du
dravidien, alors que le modèle ‘parataxique’ ne le permet qu’optionnellement :
46 sîtâ kab âegî
maîN nahîN jântâ
Sita quand viendra je
neg
sais
je ne sais pas quand Sita viendra (quand Sita viendra, je n’en sais rien)
47b tumhâre pitâ kâ dehânt huâ (yah sâmâchâr) kal hî
patâ calâ
ton
père de fin-corps fut
(cette nouvelle)
hier juste appris
je n’ai appris qu’hier que ton père était mort
‘Parataxe’ et anaphore apparaissent donc comme des alternatives productives aujourd’hui du système
subordonnant, parallèlement à la corrélativisation. Il est délicat de situer cette dernière comme le fait
Haudry (1973) dans l’évolution logique de la parataxe puis de l’anaphore avant le stade de la
subordination, puisque le hindi présente un cas d’évolution corrélativisante à partir de la subordination
et divers cas d’alternance entre parataxe, anaphore et subordination. On peut se demander si la
‘parataxe inversée’, requérant l’anaphore du contenu propositionnel 1, a été catalysée par la prégnance
du modèle corrélatif dès l’indo-aryen ancien. Mais on doit analyser ce système comme une relation de
co-dépendance, ce que suppose pas le terme de parataxe : la protase est intonationellement marquée
comme suspensive (comme la corrélative) mais elle ne représente pas le thème ou le cadre dans lequel
interpréter la protase. Elle représente par contre le point de départ, la notion initiale, pour reprendre les
termes de Weil, par rapport et à partir duquel l’énonciateur exprime quelque chose. L’‘inversion’
qu’on peut trouver entre (41c) et (43) représente simplement le contenu de la nouvelle est, sinon déjà
connu, posé cadre à la circonstance dans laquelle elle est apprise (élément le plus important) alors que
(41c) représente le contenu de la nouvelle comme plus intéressant que les circonstances dans
lesquelles il a été connu.
En somme, se dégage la dominance dans la langue des systèmes de co-dépendance, marqués soit par
des joncteurs symétriques (dont l’un est un anaphorique 24 ) ou par la seule intonation, au point qu’on
pourrait considérer le ki « que » (complémenteur universel dit-on parfois) comme un simple
démarcateur entre phrases co-jointes, ce que confirmerait son usage après le relatif dans les
« appositives », usage anciennement beaucoup plus répandu 25 . D’autre part, le suffixe employé pour
coordonner deux prédicats (-kar) (ou propositions elliptiques du sujet) réduit le constituant qu’il régit à
séquence discursive entre deux propositions indépendantes, bien qu’elles s’enchaînent généralement dans la
logique du discours et que l’intonation le marque.
24
Même tab « alors » et vahân « là » sont morphologiquement dérivés du pronom anaphorique.
25
Et précédant le relatif (ki jo, »qui », ki jismeN « dans lequel ») alors qu’aujourd’hui il se place après.
12
un statut présentant des affinités nettes avec les participes ‘adverbiaux’ et donc constituants nominaux
sans statut argumental. Là encore, cela fait plus de questions que de réponses. Il semble bien qu’en
tout cas, comme l’intuitionnaient Renou et Minard pour l’indo-aryen ancien, la subordination n’existe
toujours que marginalement, en hindi/ourdou moderne.
Références (incomplètes)
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Complex Predicates in South Asian Languages. Delhi: Manohar: 31-46.
Butt, Mariam, Tracy H. King & Gillian Ramchand (eds.), 1994, Theoretical Perspectives on Word
Order in South Asian Languages, Stanford : CSLI Publications.
Dvivedi, Vina, 1994, “Topicalization in Hindi and the Correlative Construction”, in Butt et al.: 91118.
Haspelmath
Haudry, Jean, 1973, “Parataxe, hypotaxe et corrélation dans la phrase latine”, Bulletin de la Société de
Linguistique de Paris LVXVIII: 147-86.
Minard, Armand, 1936, La Subordination dans la prose védique, Paris, Belles Lettres.
Montaut, Annie, 2000, “Le rôle de l’hypotaxe dans l’interprétation de l’ordre des constituants :
l’exemple du dravidien et de l’indo-aryen”, in L’Ordre des Constituants (Donabedian ed.),
Cahiers de Linguistique de l’INALCO 3, 2000: 55-78.
Montaut Annie, 2003, « La particule to en hindi moderne », Cahiers de linguistique de l’Inalco 4 (Les mots du
discours)
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Rebuschi, G., 2000, ‘ Coordination et subordination, II: la co-jonction généralisée’; Bulletin de la
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Renou, Louis, 1930, Grammaire du sanscrit, Paris, Maisonneuve.
Srivastav Veenita, 1991
Subbarao, KV, 1986
13

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