Cette créativité qui fait peur !
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Cette créativité qui fait peur !
Cette créativité qui fait peur ! Les Activités Créatrices Manuelles (ACM) à l'école primaire ne sont pas la seule discipline à disposer d'un terrain propice au développement de la créativité chez l'enfant. Les disciplines proposant des activités d'expression : langue maternelle avec l'expression orale ou écrite, musique avec l'expression musicale, arts visuels avec l'expression plastique, mais aussi les mathématiques et les sciences grâce aux résolutions de problèmes permettent de développer cette compétence. Cependant, les Activités Créatrices Manuelles contiennent le mot « créativité » englobé en son appellation, preuve s'il en est besoin, qu'elles devraient en être le lieu d'apprentissage privilégié. Au cours de l'année scolaire 2006/2007, le président de la SPVAL de l'époque, M. Jean-Claude Savoy, faisait émerger de la base les inquiétudes et les interrogations concernant : « l'orientation pédagogique et didactique très différente de la Haute Ecole Pédagogique du Valais (HEP) mettant la créativité au centre de ses démarches. » Après une rencontre organisée entre les représentants du syndicat, le département et la HEP en février 2007 visant à répondre aux questions soulevées, le président de la SPVAL a encore adressé une demande portant sur le même sujet au groupe de travail Activités Artistiques Manuelles (AAM) du Syndicat des Enseignants Romands (SER). Sa demande a été prise très au sérieux et le groupe a décidé de plancher sur un document portant le titre provisoire « Donner du sens et affirmer le processus créatif, orientations et bonnes pratiques en AAM ». Ce document sera présenté en 2008 au comité du SER pour discussion et validation et enfin présenté pour validation à l'Assemblée des Délégués du SER. Je me demande donc pourquoi... Pourquoi, alors que des milieux aussi divers que l'économie, l'ingénierie, le management mais aussi les sciences de l'éducation attestent de la nécessité absolue de cette compétence dans leur secteur d'activité et la recherchent assidûment, pourquoi les personnes directement en charge du développement de cette compétence en ont-elles si peur ? Je ne suis pas en mesure d'y répondre directement. Je souhaite dans un premier temps rappeler quelques faits : Depuis 1972 la discipline a pris le nom d' Activités Créatrices Manuelles au détriment de travaux pratiques, travaux à l'aiguille et travaux manuels. Le concept de créativité est mis en avant dans Le butde donner à l'enfant des occasions de création et d'expression personnelles et de promouvoir son imagination créatrice à des fins essentiellement éducatives. Le plan d'étude romand pour les classes de 1ère à 6ème année, mars 1989, nouvelle présentation des programmes à partir des plans d'étude romand CIRCE, appelé couramment le GRAP, mentionne parmi les buts généraux des ACM: o développer l'imagination stimuler la spontanéité, l'audace et l'originalité multiplier les occasions de création, de choix et d'utilisation des moyens d'expression plastiques o encourager la confrontation des points de vue o o Ce plan d'étude est toujours en vigueur. La déclaration de la CIIP relative aux finalités et objectifs de l'Ecole publique de 2003 mentionneque «l'Ecole Publique assure la promotion du développement de la personnalité équilibrée de l'élève, de sa créativité et de son sens esthétique». Je constate donc que le concept de créativité est présent de façon explicite dans les documents officiels et ce depuis plus vingt ans ! Ces documents devraient être connus et appliqués par tous les professionnels de l'enseignement qui ont à cœur de respecter leur cahier des charges. Quelques éléments de réponse On craint souvent ce qu'on connaît mal. Le mot « créativité » en soit n'évoque pas une définition claire et commune à tous. Terme souvent galvaudé, il en devient creux. On le brandit tel un étendard mais on ne sait pas vraiment ce qui se cache derrière. Voici une définition qui fait sens pour moi, en particulier dans le contexte dans lequel j'interviens : « Disposition à créer qui existe à l'état potentiel chez tout individu et à tous âges, étroitement dépendante du milieu social et culturel, cette tendance naturelle nécessite des conditions favorables pour s'exprimer. » (Dictionnaire de psychologie Larousse) J'ai pu remarqué d'autre part la confusion qui règne autour de ce terme. Bien des personnes pensent que créativité rime avec liberté, liberté totale du « fais ce que tu veux comme tu veux ». « Mais n'oublions surtout pas que la créativité a besoin de règles et qu'elle se développe d'autant mieux qu'elle s'appuie sur des contraintes » (J.-M. Zakhartchouk, L'imagination au pouvoir ?, Résonnances No 7 avril 2008). Pour favoriser la créativité, il ne s'agit donc pas de « laisser faire » mais de proposer à l'élève des activités basées sur des consignes suffisamment ouvertes (situation problème - contrat) pour lui permettre de donner une réponse personnelle, individuelle, originale. La multiplicité des réponses apportées par les élèves est un très bon premier indice de la pertinence de la demande faite par l'enseignant. Une des tâches de celui-ci réside donc dans la formulation de ce type de sollicitation. Attention encore à ne pas confondre la créativité de l'enseignant et celle de l'élève ! L'enseignant qui travaille rigoureusement tout l'été pour mettre sur pied une programmation ACM originale, comprenant des réalisations inédites mais qui les présente à ses élèves selon une marche à suivre entièrement prévue à l'avance, avec un matériel compté, mesuré, acheté d'avance, risque de ne pas être du tout dans la cible de la créativité. Dans ce cas, le rôle de l'élève se voit réduit à celui de l'exécutant, puisque l'enseignant a réfléchi à sa place, a choisi à sa place et a fait en sorte d'aplanir tous les écueils qu'il pourrait rencontrer. « Lorsque les consignes disent à la fois le but et la procédure, l'enfant n'a pas à chercher, à construire, à créer, il exécute ; cela ne peut servir à apprendre, à faire construire une compétence ou un connaissance. Ces situations font faire de belles œuvres mais qui ne sont identifiables que pour le maître. L'enfant n'a ni appris ni conquis une parcelle d'identité. Il a consommé des consignes. » (Construire son identité à la maternelle, Nathan pédagogie) Les remarques précédentes me conduisent souvent à prefférer l'utilisation du terme « processus créatif ». Mettre en avant le processus créatif, c'est privilégier la démarche plutôt que le résultat. L'enseignant accompagne l'élève dans ce processus : la préparation: thème adapté à l'âge, au degré d'enseignement, au monde de l'enfant; problème bien formulé (utilisation du hasard ou de la contrainte pour pousser l'enfant vers des chemins inexplorés par lui), consigne ouverte; nourrir l'imagination de l'enfant, ouvrir des pistes, mettre en appétit. l'incubation: demande du temps; l'enfant cherche, expérimente, teste l'illumination: eurêka, il tient une idée! la vérification: c'est le temps de l'action, de la réalisation qui permet de vérifier la pertinence de la l'idée. L'évaluation fait partie de la vérification. La formation reçue à l'Ecole Normale de l'époque ne nous a pas vraiment préparé à envisager nos cours sous l'angle de la créativité. Même si j'ai beaucoup apprécié ces trois années à temps plein et les possibilités pratiques presque illimitées qu'elles m'ont offertes, j'ai dû dans ma pratique faire appel à d'autres ressources (lecture, conférence, rencontre - confrontation avec des pairs plus expérimentés, essai erreur) pour palier à ce manque et essayer d'améliorer mon enseignement. Nous ne pouvons donc que nous réjouir du fait que les formations actuelles dans les disciplines concernées par la créativité comme les ACM dans les HEP abordent ce thème autant en formation initiale qu'en formation continue. Sandra Coppey Grange Article paru dans la revue "Résonnances", mensuel pédagogique valaisan, Mai 2008