Madame la présidente, Monsieur le président, Madame le recteur

Transcription

Madame la présidente, Monsieur le président, Madame le recteur
30 septembre 2013 – Bellerive sur Allier
Hommage à Alexandre Varenne – Discours de Jean-Michel Guerre
Madame la présidente, Monsieur le président,
Madame le recteur, Mesdames et messieurs les élus,
Mesdames, messieurs,
Il est des rencontres qui vous obligent un jour à allonger le pas. Des rencontres
qui vous amènent alors à modeler vers elles une vie plus singulière que rien ne
prédisposait pourtant à marquer l’histoire. La vie d’Alexandre Varenne s’est
ainsi tracée dans le chemin de ceux dont la pensée progressiste éclairait son
époque. Il y a laissé sa pierre et, dans le sillon de son ami Jaurès, a légué à
l’Auvergne « sa » Montagne.
Après de brillantes études au lycée Blaise-Pascal, Alexandre Varenne quitte sa
ville de Clermont, obtient son diplôme de droit et se retrouve jeune avocat
dans le Paris des années 1900. Un métier qui ne le nourrit pas et l’oblige à
d’autres travaux.
Ses fréquentations dans le quartier Latin où il réside, l’attirent vers les milieux
intellectuels et politiques. Voilà qu’il croise et disserte avec des intranquilles,
ceux qui raccommodent de leur talent les déchirures d’une société effilochée
d’injustices. Connus ou inconnus, peu importent par quels moyens tous alors
voulaient tisser des libertés à venir puisqu’ils savaient que leurs couleurs
s’accordaient à la nécessaire solidarité humaine. Varenne apprend d’eux.
Il fait notamment la connaissance d’Alexandre Millerand, député socialiste de
Paris et futur président de la République et celle de René Viviani, député
socialiste de la Seine et rédacteur en chef de La Lanterne.
En 1897, à 27 ans, Alexandre Varenne rejoint la pensée socialiste et ne la
quittera plus. Dans ces mêmes années, alors que l’imprimerie est en pleine
restructuration avec l’arrivée des premières machines, il débute comme
secrétaire de rédaction dans un journal éphémère, « La Volonté » et poursuit
son apprentissage au journal satirique La Lanterne.
C’est aussi à ce moment que parait, le 13 janvier 1898, le « J’accuse » de Zola à
la Une de l’Aurore, marque-page de la mobilisation républicaine dans l’affaire
Dreyfus.
Lui faut-il choisir alors entre son engagement politique et ce métier de
journaliste qui se cheville à lui à mesure qu’il s’emploie à informer, à défendre
par ses écrits des causes justes ? Il choisit de concilier les deux.
Proche de Jean Jaurès pour lequel il travaille aux débuts de l’Humanité et qui
restera son « maître », Alexandre Varenne revient militer en Auvergne ; avocat
et journaliste, il est au seuil d’un nouveau dévouement : la chose publique.
A 36 ans, c’est le début d’une nouvelle vie, pour la défense de son projet de
« République sociale » et la représentation de la circonscription de RiomMontagne. Il devient en 1906 le premier député socialiste du Puy-de-Dôme
puis maire de St Eloy les Mines (1930). Sa politique d’ouverture cherche à
« travailler au bien public » et s’adresse au plus grand nombre.
C’est fidèle à cet esprit qu’il crée, en 1919, le quotidien « La Montagne » à
Clermont-Ferrand. Dans son premier édito du 4 octobre 1919, il écrit : « Les
montagnards avaient rêvé d’une humanité meilleure, affranchie de toutes les
servitudes, libre, égalitaire et fraternelle. Leur rêve n’est pas mort avec eux.
Après les heures sombres et tragiques que le monde vient de vivre, il éclaire
encore, au-dessus des charniers et des ruines de la guerre, le chemin qui
conduit vers les sommets. A peine sortis d’un ouragan de misère, les peuples
cherchent du regard la route ensanglantée. Le fardeau est plus lourd, mais
l’idée est vivante : En Avant ! ».
C’est aussi dans ces temps éprouvés de sortie de la grande guerre qu’il fait
construire à Bellerive sa villa des « Justices » sur les Coteaux du Léry. Il passe
alors dès qu’il le peut, en famille et avec ses amis, « de paisibles dimanches
dans ce havre de paix ».
Nommé gouverneur de l’Indochine en 1925, il prouve son humanisme et sa
clairvoyance, pendant ces 3 années qui le tiennent éloigné de France, en se
réclamant du courant du réformisme colonial. Il entreprend une vaste réforme
de l’enseignement et, sous son mandat, les écoles rurales et communales se
multiplient.
Outre l’école normale de Hanoï, il crée en 1928 celle de Saïgon et facilite l’accès
aux études supérieures pour les jeunes femmes indochinoises, ce qui constitue
une avancée importante pour leur émancipation.
Mais c’est lors de la seconde guerre mondiale que la carrière d’Alexandre
Varenne prend un tournant décisif. Sous le jouc de l’occupation, le
gouvernement Pétain, en 1942, démissionne d’office Alexandre Varenne de ses
mandats électifs (sous prétexte qu’il était franc maçon) mais son journal
continue de paraitre et La Montagne devient une plaque tournante de la
Résistance.
Pourtant, elle finit par se saborder le 27 aout 1943 quand, au 13eme rejet de
son éditorial par la censure allemande, Varenne préfère « briser sa plume que
se soumettre à la tyrannie ». Cet acte courageux et engagé permet au journal
d’être le seul quotidien de l’ex zone libre autorisé à reparaitre un an plus tard. Il
le veut rassembleur, il le veut « le Journal des Gauches ».
C’est encore dans ces difficiles années, de 1941 à 1944, que le calme et le
charme campagnard de Bellerive l’attire. Il passe ses étés et ses dimanches à
rédiger ici les 5 carnets de ses «notes et souvenirs» : « à la ligne de
démarcation du pont, j’observe le grand cirque du gouvernement de Vichy : Le
grand chef, le maréchal, est venu se fixer pour l’été à 400 mètre de ma maison
de Bellerive».
Dans le livre que Jean-Pierre Caillard lui consacre, on peut lire : « Les dirigeants
actuels s’essoufflent à gravir le chemin rocailleux de la collaboration. Ils sont là,
tout près de moi, dans leur étuve de Vichy… Pauvres types ! »
Peut-être a t’il puisé là, sur les hauteurs de notre ville, son énergie à défendre
inlassablement un autre de ses illustres camarades, Jean-Zay.
Le ministre de l’éducation et des beaux-arts du Front Populaire démissionne du
gouvernement de Léon Blum pour rejoindre, en 1939, l’armée combattante.
Jean Zay est arrêté et condamné à la déportation à vie par le tribunal militaire
de Clermont pour refus de se plier à l’occupation allemande en zone sud.
Alexandre Varenne plaide pour que sa peine soit commuée en simple
internement et en janvier 1941, Jean-Zay arrive donc à la prison de Riom,
Varenne multiplie toujours ses démarches pour atténuer les conditions de sa
détention.
Il sera pourtant, après deux jours passés à Bellerive au château des Brosses,
ignoblement exécuté par la Milice aux Malavauds, près de Molles, le 20 juin
1944.
A la libération, Alexandre Varenne redevient maire de St-Eloy les Mines et est
nommé, en 1946, ministre d’Etat du gouvernement de Georges Bidault.
« Homme de raison, d’audace et de cœur » il s’éteint à 77 ans, en février 1947.
Alexandre Varenne, toute une vie engagée.
Avocat, militant de la Ligue des Droits de l’Homme, obstiné adversaire de la
peine de mort, journaliste prônant l’exigence morale et l’éthique de ce si beau
métier qu’est celui d’informer, quand il avance intègre et donne à aiguiser
notre conscience républicaine.
Oui, Alexandre Varenne nous laisse en écho cette subtile résonnance, celle
traduite à la plume griffée sur le papier des déchirures des hommes. Comme si
là, de toute cette encre écoulée de témoignages dits, entendus, rapportés puis
écrits, se traçait un trait indélébile, que le buvard du temps n’absorbe pas.
Merci au Groupe Centre France La Montagne de transmettre le souffle et la
passion de son fondateur.
Merci à la Fondation Varenne d’entretenir la mémoire de ce témoin et acteur
de tous les défis de la première moitié du 20ème siècle. Merci à Luc Boëls de son
travail de recherche qui nous permet cette exposition et la conférence qui va
suivre. Merci à tous les membres de la Fondation, grâce à leurs nombreuses
actions, de transmettre aux nouvelles générations des principes d’humanisme
et de professionnalisme exemplaires.
L’épanouissement et le développement de la jeunesse sont des missions que
nous partageons avec la Fondation Varenne. Bellerive fait de la réussite des
plus jeunes un enjeu majeur de sa politique, persuadée que l’école républicaine
participe à la construction fondamentale qui fera de nos enfants des citoyens
libres et responsables.
Alors, quoi de plus naturel et quelle fierté Mme le Recteur que de dénommer
aujourd’hui et en votre présence à tous, cette école maternelle, premier lieu
d’apprentissage à la vie en commun du nom de cet homme, Alexandre
Varenne, ce fervent défenseur de l’ouverture des esprits.
J’émets le souhait que nos petits écoliers Bellerivois deviennent un jour
colporteurs de son message de tolérance et de progrès.
Je vous remercie.

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