L`Europe des Festivals.doc.qxp

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Notes de lecture : L’Europe des festivals - de Zagreb à Edimbourg, regards croisés
LA LETTRE D
LETTRE
ÉLECTRONIQUE
DE LA FNCC
Notes de lecture
L’Europe des festivals, de Zagreb à Edimbourg
Déjà en France, un festival ne ressemble que peu à un autre. Alors, à
l’échelle de l’Europe… Cela étant, cet ouvrage collectif explorant de très
nombreux exemples de manifestations festivalières, “de Zagreb à
Edimbourg” (comme l’indique son sous-titre) en passant par la France,
met à jour quelques forces communes qui les animent les uns comme
les autres : l’engagement des pouvoirs publics, la transgression de la
limite entre la fête et l’art, ainsi qu’une ‘‘foi’’ certaine en une certaine
forme de l’idéal de la démocratisation
culturelle. Autre ressemblance : leur
contribution à faire émerger une
conscience culturelle européenne
commune. Notes.
L’Europe des festivals/ de Zagreb
à Edimbourg, points de vue
croisés, sous la coordination
d’Anne-Marie Autissier,
éditions de l’Attribut,
230 pages - 13 euros
Dans son avant-propos à L’Europe des
festivals, Bernard Foccroulle conjugue
un éloge inattendu (quoique assez naturel de la part d’un organiste) – « depuis
la fin de la Seconde Guerre mondiale,
l’Europe s’est couverte de festivals
comme elle s’était couverte de monastères et de cathédrales au Moyen Age » –
et une interrogation sur ce que l’on
appelle parfois (plus trop) le “nonpublic”. Etrange lien, mais lien quand
même. De fait, de la même manière que
les lieux de manifestation religieuse
sont les symboles d’une unité massive
au sein d’une croyance, le festival, sauf
manifestation spécialisée et délibérément intimiste, vise également le partage massif, festif, d’une émotion, audelà, si l’on peut dire, des choix individuels. Il y a incluse dans l’idée de festival celle d’une communion.
Ce ‘‘non-public’’ massif, certes, ne fréquente pas les festivals. Mais parfois… C’est là l’effet de leur force d’attraction due à leur caractère événementiel (auquel réfléchit Dragan
Klaic dans son article intitulé “Du festival à l’événementiel” consacré aux manifestations
qui ne surviennent qu’une fois). En somme le festival ne serait-il pas une rêverie politique
de cathédrale culturelle pour le non-public ? Car il confine à la fête, la fête étant à l’opposé,
sur le même champ de l’émotion, de la culture, laquelle, traditionnellempent du moins, est
plutôt affaire de connaisseur et de concentration.
Et d’ailleurs, comme le souligne Anne-Marie Autissier, coordinatrice de cet ouvrage collectif, la visée esthétique n’est souvent pas le fondement du festival. La visée économique non
plus (c’est-à-dire qu’ils ne sont pas conçus comme un moyen pour faire faire vivre les artistes). Leur propos est autre, extra-esthétique – exogène diraient les sociolgues –, finalement
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Complément de la Lettre d’Echanges n°21 - fin janvier 2009
FNCC
Notes de lecture : L’Europe des festivals - de Zagreb à Edimbourg, regards croisés
mystique-laïque (et l’ancêtre de Bayreuth témoigne en
ce sens, tout comme le Festival d’Avignon, né de la
douleur du nazisme comme son exorcisme). Il s’agit
donc d’une visée essentiellement politique. D’où peutêtre la croissante implication des collectivités publiques. « Dans des pays et des régions aussi différents
que la Belgique flamande, l’Allemagne, la Pologne, le
Portugal, le rôle social des festivals semble désormais
l’emporter sur des considérations strictement économiques : l’idée de produire la ville autrement, de recoudre
des communautés blessées ou de permettre un partage
effectif des imaginaires figure en tête des préoccupations » (“Politiques culturelles et festivals, convergences ou malentendus ?”).
Partage et non distinction. Les festivals n’ont sans
doute guère qu’un point commun, celui de réunir au
plus large, à contre-pied de la fonction du goût culturel qu’avait discerné Pierre Bourdieu : distinguer. Et
c’est bien ainsi que l’entend Bernard Foccroulle :
« Des centaines d’expériences, à travers l’Europe et le
monde, ont montré que les œuvres d’art, dans leur
grande majorité, sont susceptibles d’attirer et d’émouvoir de larges audiences, bien au-delà de cercles de
connaisseurs. »
buer à un partage émotionnel débordant les frontières
géographiques, économiques et sociales. « Au carrefour des représentations contemporaines et des contradictions inhérentes aux pratiques artistiques de sociétés fragmentées, les festivals apparaissent sans doute
comme une opportunité pour faire se rencontrer professionnels et amateurs, publics fidèles et intermittents, culture consacrée et culture populaire. […] Les
festivals ont beaucoup contribué à façonner cette
Europe de la culture qui nous tient tant à cœur »
(Bernard Foccroulle).
Pour Alain Bertho, à travers ce débordement qui
convie – et célèbre – la ville organisatrice et son audelà, le festival génère une « communion éphémère
mais reproductible ; cette expérience partagée participe de la construction de dizaines de milliers de subjectivités ». A la différence de la fête folklorique, feria
ou autres « événements territorialisés », le festival
« s’ouvre au plus large des vents culturels. C’est le
champ culturel, artistique ou créatif qui délimite l’espace de l’échange et non l’identité primordiale du territoire » (“Lieux éphémères de la mondialisation culturelle”).
Plus précisément la fête européenne. Le festival
C’est à l’exploration de ces festivals éparpillés dans
toute l’Europe et réunissant toute l’Europe que convie
ce livre. Avec toujours et partout ce constat de l’implication décisive du politique – de plus en plus territorial
plutôt que national – qui, si elle part bien souvent d’un
souci de créer du dynamisme local, aboutit tout aussi
souvent à favoriser l’émergence de transgressions des
limites communautaires ou territoriales. Ce dont
témoigne notamment, et assez récemment, la multiplication de festivals dits “transfrontaliers” promus par
l’effort de financements européens liés au programme
Interreg (1989/1993). Par exemple le festival littéraire
“Par-dessus le mur l’écriture” entre la France et la
Suisse, ou encore le festival chorégraphique de l’eurocité basque ‘‘Dantza Hirian’’ rejoignant SaintSébastien et Bayonne. Avec ce livre, on voit poindre,
et ce n’est pas si facile, l’Europe de la culture.
s’inscrit dans la période estivale et, pour ainsi dire,
“profite” du brassage propre au tourisme pour contri-
Vincent Rouillon
Telle est donc la “foi” qui préside à l’engouement pour
l’organisation de festivals et au soutien public qu’ils
savent, bien souvent, susciter. Car il y a deux acceptions à la notion de démocratisation culturelle : celle
de la diffusion la plus large possible du goût de la distinction, de la construction autonome et différenciée
de soi – c’est alors la faculté de l’émotion et non l’œuvre émouvante qui est ainsi démocratisée, et cela passe
par le respect de la diversité des formes de l’émotion
dans leurs différences mêmes (cf. Le Spectateur émancipé, de Jacques Rancière – Lettre d’Echanges
n°20) –, soit le partage le plus large possible d’une
même émotion autour d’un même objet et dans le
même temps. C’est-à-dire la fête.
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