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Les Sofitel ont pris goût au luxe
Créé le 07-02-2013 à 10h55 - Mis à jour le 08-02-2013 à 12h30
Par Francine Rivaud
Le PDG d'Accor l'assure: « Une image forte permet d'attirer les
investisseurs. » Le repositionnement luxe, depuis 2007, de sa filiale
Sofitel, qui s'appuie aussi sur l'art de vivre à la française, en est une très
belle illustration.
Sofitel Bel Ombre à l'ile Maurice DR
Ne pas céder à la surprise. Ne pas s'étonner de ces chambres blanches, ou grises ou noires du
sol au plafond. Ni tapis ni tableaux. Ainsi l'a voulu Jean Nouvel architecte et décorateur du Sofitel
de Vienne en Autriche pour ce bâtiment aux lignes modernistes ouvert il y a deux ans. Comme le
symbole du renouveau d'une enseigne au positionnement jusqu'alors hésitant. Dans un secteur
l'hôtellerie de luxe dominé par les chaînes anglo-saxonnes ou asiatiques la petite française a
décidé de s'affirmer. Avec une idée simple: puiser dans ses origines en jouant la carte du luxe.
C'est en 2007 que tout commence. A l'époque Sofitel compte plus de 200 hôtels à la fois le pire
et le meilleur. Yann Caillère, ancien président de Louvre Hôtels que Gilles Pélisson à l'époque
PDG d'Accor vient de recruter s'attelle à la tâche. Avec un atout: dans son poste précédent il
avait réfléchi à une déclinaison du Crillon le mythique palace parisien. « Sofitel souffrait d'une
grande hétérogénéité reconnaît-il d'emblée. Il fallait exclure une bonne moitié des hôtels. »
Encore doit-il convaincre le conseil d'administration plutôt sceptique d'autant que la crise se
profile. « On me disait que je perdais mon temps, que le nom Sofitel ne valait rien que je ne
parviendrais jamais à en faire une chaîne de luxe » se souvient-il. Pas de quoi ébranler ses
convictions: il ferme des établissements en dirige certains vers d'autres marques d'Accor en vend
mais aussi en crée de nouveaux (9 en 2012, sans doute autant cette année), pour arriver
aujourd'hui à 120 hôtels.
Il ne reste plus qu'à s'approprier les codes du luxe. Cela commence par le recrutement de talents
chez les concurrents. Comme Robert Gaymer Jones, directeur général Softel Monde, venu de
Marriott. Pour s'imprégner des spécificités françaises, celui-ci visite des magasins Hermès,
Chanel, Louis Vuitton, discute avec le patron du joaillier Chaumet, assiste aux défilés de
couture... « Nous sommes partis d'une page blanche. Il nous fallait l'écrire en définissant le luxe
qui s'appliquerait à notre marque » souligne-il. Avec un préalable: Robert Gaymer-Jones souhaite
que Sofitel soit indépendant d'Accor réputé comme spécialiste de l'hôtellerie économique et donc
que la chaîne fonctionne en filiale. « Je devais avoir les mains libres », dit-il, même si le groupe
reste un support pour entre autres les réservations.
Très vite la stratégie est définie. Pas question de créer des hôtels standardisés comme ces
Novotel qu'Accor a disséminés uniformément sur la planète. « Le client doit trouver dans nos
hôtels ce que la France a de mieux, mais aussi ce que le pays d'implantation a de mieux »,
assure Yann Caillère. Il se souvient encore de son étonnement, lors d'un premier séjour au
Sofitel de Buenos Aires, de ne pas voir le moindre vin argentin sur la carte du restaurant. Sans
compter les viandes, toutes importées du Limousin.
Trois piliers, caractéristiques de l'art de vivre à la française, soutiennent cette stratégie: le design,
la gastronomie et la culture. Des grands noms de l'architecture et de la décoration sont
contactés. L'Atelier Putman métamorphose les chambres du Sofitel Paris Arc de Triomphe
comme « des pied-à-terre parisiens » en beige et blanc ponctués de carrés bleus. Didier Gomez,
pour les suites du Sofitel Paris Le Faubourg, a mélangé les codes du XVIIIe siècle, pilastres et
miroirs, avec des touches très contemporaines. Sybille de Margerie à Amsterdam, Kenzo à
Maurice, Christian Lacroix à Bangkok apportent leur savoir-faire. Parfois le cadre de l'hôtel suffit:
comme ce couvent du XVIIe siècle à Cartagena en Colombie qui fait du Sofitel Santa Clara,
ouvert en décembre, « un lieu magique, avec ses deux pélicans qui viennent se poser à l'heure
de l'apéritif et sa piscine au dernier étage », selon Denis Hennequin, PDG d'Accor.
« Sofitel rattrape son retard, mais il ne faut pas oublier que pour une poignée de beaux hôtels, il
en reste quelques-uns nettement moins glamour », nuance Mark Watkins, du cabinet Coach
Omnium.
Une fois par semaine, au restaurant du Jumeirah Beach de Dubai, c'est dégustation de vins et de
fromages. « Depuis, des concurrents nous ont copiés », s'amuse Sami Nasser, le directeur de
l'hôtel. La chaîne a mis à l'honneur viennoiseries au petit déjeuner et grands crus au dîner. Des
chefs français sont venus faire des démonstrations, comme, récemment, à Abou Dhabi. C'est
dans ce Sofitel ouvert en mars, qu'est exposée la réplique d'une oeuvre originale du peintre
Pierre Soulages et que des lithographies de Jean Cocteau ornent les murs de l'un des
restaurants.
Cette cure de rajeunissement produit ses effets. « Une image forte permet d'attirer les
investisseurs », souligne Denis Hennequin. « Le jour où nous avons gagné face à Hyatt, j'ai
compris que nous étions sur la bonne voie », confirme Yann Caillère. La visite d'établissements
emblématiques est organisée pour décider de riches promoteurs. Celui de Bahreïn a été séduit
en allant à Quiberon, celui du futur Sofitel d'Abidjan, où Accor était en compétition avec
Intercontinental et Kempinski, a signé après avoir été charmé par le Jardin des Roses à Rabat.
« Dans l'hôtellerie économique, il faut apprendre à réduire les frais, dans le haut de gamme, il
faut apprendre à dépenser », résume Yann Caillère. En cinq ans, près de 150 millions d'euros,
dont une bonne quarantaine de millions à la charge d'Accor, ont été investis. La grande majorité
des hôtels appartient à des privés. En échange d'un contrat de management, le groupe hôtelier
touche entre 3 et 6 % du chiffre d'affaires, plus un intéressement en fonction des résultats.
Depuis trois ans, la chaîne est rentable. « Nos indicateurs montrent que nous faisons souvent
mieux que nos concurrents », assure Rick Harvey Lam, vice-président ventes, marketing et
communication de Sofitel. De 15 à 20 % même à Londres par rapport au Méridien ou à
l'Intercontinental. « Une rentabilité parfois gagnée au prix d'une considérable augmentation des
tarifs », note un spécialiste. Une critique peu justifiée aux yeux de Robert Gaymer-Jones: « On
est au juste prix dans le haut de gamme. » Même à l'Old Cataract, sur le Nil, superbement
rénové pour 50 millions de dollars, mais aujourd'hui difficile à commercialiser à cause des
événements en Egypte, les prix ne sont pas bradés.