II – Le domaine communal et la construction de la ville

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II – Le domaine communal et la construction de la ville
Le domaine communal et
la construction de la ville1.
1/ Le site entre rivière et forêt.
Un promontoire calcaire de la cuesta du Pays d’Othe ; site privilégié pour
l’installation du château fort assurant la défense du lieu et aussi la surveillance
des accès par les grands chemins et la rivière, véritable fleuve favorisant les
échanges par bateaux.
Un gué, légèrement en amont du pont actuel, en face la ruelle Basse-Saint-Jean
Les ruelles Haute et Basse Saint-Jean aboutissant à la porte du castrum
matérialisent le premier chemin d’accès.
Les premières habitations sont construites de part et d’autre de ce chemin avec
en partant de la porte Saint-Jean :
a) « L’auditoire », actuelle rue Montant-au-Palais où étaient rassemblés les
« officiers » du comte, administrateurs du comté, de sa justice, de sa police, de
ses finances
b) La rue Haute des Chevaliers laisse penser que des vassaux du comte à
vocation militaire se trouvaient là
c) Les Pêcheries (Rue Haute et Basse Pêcherie) réunissaient avant tout les
pêcheurs, qui constituaient une corporation, mais aussi les mariniers et les
charpentiers de bateaux
d) La Grande Rue (Rue Gabriel Cortel), moins pentue, devint l’axe de la vie
économique où se regroupèrent les commerçants, marchands, artisans.
2/ Le Prieuré Notre-Dame et la maison de Dilo.
Le prieuré s’installe très tôt en même temps que les premières constructions
situées entre le castrum et la rivière; créé en 1080, il occupe la totalité du sud
de la rue des Moines.
L’église Saint-André a succédé, pour partie, à l’église primitive, dédiée à NotreDame. Le porche contigu en est la marque la plus authentique.
Toute la pente de la colline était plantée en vigne jusqu’à la rivière, qui
ressemblait alors à la Loire actuelle (Lit large avec de nombreuses îles et de rives
inondables).
Au nord du monastère, le quartier des ouvriers du prieuré occupe toute la partie
comprise à l’est de la rue Notre-Dame, jusqu’à la Guimbarde.
Entre le cimetière, propriété du prieuré Notre-Dame (Actuelle place Saint-André
augmentée de l’emprise du tribunal de commerce), et la citadelle se situe toute
une aire qui était attribuée aux chanoines prémontrés de Dilo, qui possèdent
déjà de nombreuses propriétés à Joigny avant la création de la commanderie de
la Madeleine.
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Université pour tous de Bourgogne (UTJ). 2009-2010. Histoire de Joigny par Bernard Fleury.
Cours n° 2.
Cf. B. Fleury, Mémoire des rues du vieux Joigny, Echo de Joigny n° 65.
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Concomitamment une colonie juive est installée à Joigny, la rue des Juifs en
témoigne. Notons qu’elle est installée hors de la première enceinte
conformément aux règles de l’époque.
Exclus des fonctions administratives et de la propriété du sol, leur activité se
cantonne dans le commerce et les prêts financiers, dont ils ont le quasi
monopole, car les prêts à intérêt sont mis à l’index par l’église catholique ; à
Joigny, remarquons que la partie de la rue de la Porte du Bois comprise entre la
place du Pilori et le début de la rue des Juifs s’appelait jadis la rue aux Changes,
justement dans le prolongement de la rue des Juifs.
Après l’expulsion des Juifs de France par l’ordonnance de 1394 prise par Charles
VI, il ne semble pas qu’il en reste alors à Joigny.
Au Moyen Age, il y avait en Bourgogne de nombreuses communautés Juives. Il en
existait une à Joigny dont les rabbins étaient très écoutés en France.
L'un d'eux, YO'MTOB BEN ISAAC de JOIGNY (XIIe siècle), tossafiste et commentateur
biblique était également poète liturgique, il a composé entre autres un rituel de la Pâque.
Il eut pour Maître, Rabbin MENAHEM Pérès de JOIGNY qui participa au Synode de
TROYES et écrivit « la Massera Giedoia » (Grande Massorah), eut des rapports avec Isaac
Ben Abraham de Dampierre.
En 1190, Rabbi Yomtob se rendit à YORK où il subit le martyre, ayant exhorté les Juifs
assiégés dans une tour à s'entretuer pour ne pas être pris vivants par les Chrétiens. Il fut
surnommé « le Saint ».
Les juifs avaient été vignerons, cultivateurs et avaient des vignes et des champs, pour
lesquels ils payaient le cens au Clergé local ; mais Dagobert, en 629, avait souhaité leur
conversion au catholicisme, sous peine d’expulsion. Les récalcitrants devaient subir des
mesures discriminatoires : ils furent exclus des fonctions administratives et de la
propriété du sol et se cantonnèrent dans les activités commerciales. La communauté
Juive fut cantonnée hors les murs d'enceinte ; ils se regroupèrent pour mieux résister ;
les ghettos étaient nés.
En 1208, ayant refusé de régler leurs taxes, ils y furent obligés par le Pape Innocent III.
(Echo n° 38 page 30) En 1394, ils sont expulsés sur ordonnance de Charles VI.
3/ Les remparts (les différentes enceintes fortifiées).
1) La première enceinte entourait le seul castrum (XIe siècle).
La seule ouverture importante était la porte Saint-Jean.
Probablement, une ouverture moins importante à l’est communiquait
directement avec le prieuré (Porte Gonthier le Bossu). Cette enceinte est facile à
imaginer : elle suivait la rue des Fossés Saint-Jean.
Cette première enceinte avait 7 tours dont le donjon, situé à l’emplacement du
pavillon décapité de l’actuel château. La seule qui persiste est celle de la prison
restaurée par les HLM.
Les fondations d’une autre sont comprises dans une propriété privée, 6 rue des
Fossés-Saint-Jean2. Les bases d’une troisième se trouvent sous le monticule de
terre situé à l’ouest de l’accès à la cour de la maternelle.
Sur les plans qui suivent, on note le plan précis de la citadelle, qui a succédé au
castrum, telle qu’elle était devenue à la Révolution, et le plan, exécuté en 1830,
par Pérille-Courcelle, qui dessine en rouge le projet d’une nouvelle voie, l’actuelle
rue dans le château.
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Gervais MACAISNE dans l’Echo n° 33).
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Plan établi par Cerneau, arpenteur-géomètre, en 1790, conservé aux Archives nationales.
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2) La deuxième enceinte (Début du XIIe siècle).
Elle enfermait les premières constructions en suivant à l’ouest, mais en la
laissant en dehors, la rue de la Tuerie, puis remontait la rue des Juifs en
direction plein est pour rejoindre les remparts du château par la ruelle la
prolongeant derrière la maison « Sainte-Alpais » ; elle aboutissait probablement
à la tour du 6 rue des Fossés Saint-Jean.
La porte aux Poissons, ouverture de la ville à l’ouest pour le grand chemin de
Paris, se situait en haut de la rue de la de la Tuerie (Elle ne sera démolie qu’en
1827).
Notons que les abattoirs, le Pilori, où l’on exposait les délinquants, et le ghetto
juif étaient primitivement hors les murs, mais à son contact.
L’enceinte suivait au sud le bord de la rivière avec l’ouverture de la porte du
Pont, qui aurait été construite à ce moment-là. Elle devait rejoindre l’enceinte de
château directement plein nord par la rue Basse-Pêcherie.
La Porte aux Poissons
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A ma connaissance, il n’y avait pas jusqu’alors de représentation de la porte aux
Poissons. Par contre Pérille-Courcelle la décrit assez bien pages 85, 86 et 87 de
son Journal de Joigny l’année de sa démolition 1827 :
« Elle avait quelqu’analogie avec le portail du château en avant de l’église SaintJean…celui-ci un peu plus étroit… cette porte plein cintre bâtie en grès et autres
pierres de taille noircies par le temps, était toute simple, sans sculpture ny
ornemens d’architecture ; on y voyait du côté de Saint-Jean la coulisse de la
herse…Ses pieds droits débordaient la rue du Petit Marché…le dessous du pied
sud désépaissi formait la boutique du Sr Augustin Puisoye gdre Puisoye, boucher …
Au dessus de la porte d’entrée de cette boutique sous l’arcade était une image de
la vierge dans une niche…Par concession faite par les anciens comtes de Joigny
… ce portail appartenait à la Dame veuve Dubray … [ses ancêtres] avaient élevé
un appartement surmonté d’un grenier… ».
La municipalité prenant argument d’une menace d’écroulement décide de démolir
cette porte en indemnisant sa propriétaire. La démolition commence le 17 mai
1827.
Le dessin représente la porte vue depuis la rue du Petit Marché.
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3) Une troisième enceinte (Fin XIIe), englobant le Prieuré et ses
dépendances, ainsi que le domaine Dilo, constituait l’enceinte
définitive à l’est (Le long de la Guimbarde).
Elle rejoignait directement le castrum dans son angle nord est sur la tour située
immédiatement au nord de celle de la prison. Un décrochement du boulevard
Lesire-Lacam au niveau du lavoir de Saint-André en indique l’endroit précis.
Elle était ouverte par la porte Percy sur la route de Troyes.
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4/ Une quatrième enceinte ferma la ville à l’ouest durant le
XIIIe siècle.
Il est probable qu’elle se fit en deux temps :
1) La première partie enfermant le nord du castrum, ouvert au nord sur la forêt
par la porte du Bois, celle-ci étant jointe à la porte aux Poissons par la ruelle
Bourg le vicomte et l’arrière de l’ancien hôtel de ville. Elle enfermait les
habitations des travailleurs du bois, notamment les bûcherons, ainsi que les
chantiers des marchands de bois.
2) Pour finir, le bourg le Vicomte, l’hôtel-Dieu Saint-Antoine, les rues SaintJacques et Martin (Pasteur), la rue d’Etape et la rue du Gril ou de la porte Bignon
(Paul-Bert) étaient à leur tour enfermées dans l’enceinte ouverte sur le grand
chemin de Paris par la porte aux Malades (Saint-Jacques) et la poterne Bignon
ouverte vers la rivière au bout de la rue du même nom.
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Les quartiers avec leur spécificité (Infographie Jean-Paul Delor).
Ci-dessous le plan Chomereau (1819) recopié par Pérille-Courcelle (1830) avec
les limites des trois paroisses.
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Evolution des enceintes de Joigny entre le XIe et XIIIe siècle
(Infographie Jean-Paul Delor)
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5/ Le pont Saint-Nicolas primitif comportait 12 arches.
(Cf. plan Lefranc du XVIIe siècle (Cours n° 1) et dessin des ruines de l’hôpital au XVIIIe
par BF).
Il fut baptisé du nom du saint patron des mariniers, de même que, plus
tard, le quai et le port aux vins et aux coches contigus.
On ne sait pas exactement la date de sa première construction,
probablement en même temps que la porte du Pont ; mais il existe au XIIe
siècle quand le comte Guillaume autorise la commanderie Saint-Thomas à
construire deux moulins, le petit près de la porte de la ville et le grand au
milieu du pont à côté du poste de garde.
La comtesse Jeanne donne l’usufruit de ces moulins à l’hôpital qu’elle
fonde en 1330, mais en conservant leur nue-propriété à la commanderie ;
cette situation fut source de nombreux conflits et procès entre les maîtres
de l’hôpital et le grand prieur de France.
Si les deux arches les plus proches de la porte étaient en pierres, les trois
suivantes étaient en bois pour pouvoir les démolir rapidement en cas de
menaces. Elles s’écroulent en 1725 emportées par trois crues
successives ; l’architecte Germain Boffrand, ingénieur royal des ponts et
chaussées, est chargé de diriger la reconstruction ; confiée à
l’entrepreneur Larivière, celle-ci est terminée dès 1728.
Les 7 arches côté faubourg sont, à leur tour, reprises sous la direction de
Huppeau en 1765 ; elles furent remplacées par quatre arches seulement
construites par le gendre de Larivière, Vasserot ; celui-ci en profite pour
se faire construire un hôtel particulier.
C’est à ce moment-là aussi qu’est entrepris l’aménagement des quais,
notamment du quai Saint-Nicolas (Quai Leclerc) : construction des murs
de soutènement par Jean Bourbault et constructions d’immeubles
harmonieux sur les plans de Guillaumot désigné par l’intendant de la
Généralité pour diriger la construction du quartier de Saint-Florentin.
Près d’un siècle plus tard, Desmaisons remplace les deux premières
arches de Boffrand par une seule (Notons que subsiste la première arche
primitive visible depuis le quai).
Lors des travaux, une croix en pierre est érigée au milieu du parapet
amont; elle s’écroule en 1781 lors d’une tempête ; elle n’est remplacée
qu’en 1823 par une croix en fer (conservée à Saint-Jean) à l’initiative des
mariniers ; en 1829, ils y ajoutèrent, dans une niche, une statuette de
Saint- Nicolas apportée solennellement en procession.
Le pont lui-même était une rue avec des constructions. C’est ce qui permit
au grand incendie de 1530 de le traverser pour brûler l’hôpital.
Bien que les moulins ne fussent pas reconstruits après l’intervention de
Boffrand, il fallut attendre 1835 pour décider de débarrasser le pont des
dernières « constructions qui gênent la circulation ».
6/ Les faubourgs
a) Epizy, bien que Lachat fasse remonter sa fondation au IIe ou IIIe
siècle, semble n’avoir jamais été important même après l’installation de la
maladrerie au début du XVIIe siècle au lieudit « La Santé ». Remarquons
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que le grand chemin de Paris passait alors par la rue d’Epizy, le long de la
rivière ; on l’appelait le « chemin du roi ». Ce n’est qu’au XVIIIe qu’est
créé le faubourg de Paris en prolongement du quai Saint-Nicolas
récemment construit sur la grève et une partie des fortifications.
b) La Madeleine doit son nom à la commanderie installée au début du
XIIe siècle sur des terres du lieu-dit Joigny-la-Ville achetées aux chanoines
de Dilo.
c) Le faubourg du Pont a été important depuis les premiers siècles de
la fondation de la ville. Il est construit sur la « motte » alluviale du Tholon.
S’y installe d’abord la commanderie Saint-Thomas de l’obédience des
Hospitaliers Saint-Jean de Jérusalem.
Deux siècles plus tard, c’est le tour de l’hôpital de la comtesse Jeanne (Il y
eut des frictions entre la commanderie et les maîtres de l’hôpital).
Les tanneries, installées le long du ru éponyme lui-même longeant la
chaussée Sully allant à Aillant, gardent une certaine importance jusqu’à la
Révolution (11 tanneurs exploitant 140 fosses) ; la dernière, la tannerie
Richard, ne disparaissant qu’après la grande guerre. Après l’aménagement
du pont et la création du faubourg du Pont (Avenue Gambetta) au XVIIIe
siècle, le quartier prend un certain essor ; c’est aussi à ce moment-là
(1699) qu’est construit l’hôtel de l’Arquebuse.
Plus tard le lotissement du faubourg du Pont (Lefèbvre-Devaux 1835),
puis l’arrivée du chemin de fer et la construction de la gare (1849) lui
donnent un nouvel élan.
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Plan Pérille-Courcelle vers 1830
Notons le ru des tanneries que suivait la voie de Sully, dans l’axe de la
route d’Aillant avant les transformations qui suivent la reconstruction du
pont entre 1725 et 1765.
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