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Nejma GOUTAS Réflexions sur une innovation technique gravettienne importante : le double rainurage longitudinal Résumé Si les sociétés gravettiennes de France et d’Europe orientale (Russie) ont eu recours au même « bagage technique » pour l’exploitation des matières dures d’origine animale, la place accordée à certains procédés au sein des systèmes techno-économiques varie toutefois considérablement entre ces deux régions. C’est le cas de l’extraction de baguette par double rainurage longitudinal. Ce procédé, simple d’un point de vue conceptuel, constitue une innovation technique importante dans le domaine de l’exploitation des matières osseuses au Paléolithique supérieur. Pourtant, ce procédé, aux implications techno-économiques « révolutionnaires », ne s’est pas épanoui de la même façon dans toutes les régions d’Europe au cours du Gravettien. En France, il tient une place importante, voire essentielle à certains moments, dans le travail des matières osseuses, tandis qu’en Europe orientale son impact sur les productions est plus réduit. Nous nous interrogerons donc sur l’origine de ces disparités et plus largement sur les mécanismes en cause dans l’émergence, la diffusion et la pérennisation de ce savoir-faire dans l’Europe gravettienne. Abstract While Gravettian groups in France and in Eastern Europe (Russia) had recourse to the same «technical baggage» for the exploitation of hard animal materials, the place granted to certain procedures within the techno-economic systems varied considerably between these two regions. It is the case for the extraction of «baguettes» by the groove and splinter procedure. This procedure, simple from a conceptual point of view, constituted one of the most important technical innovations in the field of the exploitation of osseous materials during the Upper Palaeolithic. Nevertheless this procedure, with «revolutionary» techno-economic implications, did not flourish in the same way in all the regions of Europe during the Gravettian. In France, it played an important role, even essential at certain moments, in the working of osseous materials, whereas in Eastern Europe its impact on production was more limited. We thus wonder about the origin of these disparities and more widely about the mechanisms in play in the emergence, spread and perpetuation of this know-how in Europe during the Gravettian period. AVANT-PROPOS L’interprétation des systèmes culturels et économiques des sociétés de chasseurs-cueilleurs ne peut se Bulletin de la Société préhistorique française suffire de la seule explication écologique qui masque la dimension culturelle des techniques et élimine toute dimension historique. « […] Si seule l’écologie est responsable d’une culture […], ce type de culture a pu exister de tout temps, à chaque fois que de semblables 2009, tome 106, no 3, p. 437-456 438 Nejma GOUTAS conditions écologiques se présentaient. Au contraire, si cette culture n’est rendue possible que par des techniques appropriées, il convient de se demander à quel moment de l’histoire cette technologie apparaît. » (Testart, 1982, p. 14). Comprendre pourquoi les hommes inventent ou innovent est une question complexe, car elle fait intervenir de nombreux paramètres (économiques, environnementaux, sociaux, culturels), qu’il nous est souvent difficile d’appréhender en préhistoire. Il s’agit de comprendre ce que signifient ces changements dans « les manières de faire » et donc de comprendre quelles transformations s’opèrent dans « les manières de voir » 1 (Valentin, 2006, p. 46), à partir de données matérielles souvent lacunaires, notamment pour les périodes très anciennes. Les nombreuses recherches conduites sur cette question et plus largement sur celle des réapparitions et des emprunts reflètent d’importants enjeux palethnologiques car « l’évolution des techniques est indissolublement liée à l’évolution culturelle de l’homme » (Pigeot, 1991, p. 178). Ne pouvant être exhaustive, nous signalons seulement quelques travaux conduits sur les inventions et les Gisements innovations formelles et techniques dans le travail de la pierre et des matières osseuses : A. Leroi-Gourhan (1943 et 1945), J.G.D. Clark et M. Thompson (1953), H. Camps-Fabrer (1976 et 1988), M. Julien (1982), S.B. Mertens 2 (1986), D. Stordeur (1988, 1995 et 2003), N. Pigeot (1991), H. Knecht (1991a, 1993a, b et 1997), Y. Taborin (1993), R. White (1993 et 1995), P. Cattelain (1994, 1995 et 1997), M. O’Farrell (1996 et 2004), I. Sidéra (1998 et 2002), D. Liolios (1999 et 2003), A. Averbouh (2000), J. Pelegrin (2000), B. Valentin (2006), J.-M. Pétillon (2006) et G. Le Dosseur (2006). Notre recherche porte ainsi un intérêt particulier à la question de l’invention, de la permanence et de la disparition des savoir-faire engagés dans le travail des matières osseuses durant le Gravettien, c’est-à-dire au cours de la première moitié du Paléolithique supérieur (29000-20000 BP) 3. C’est en effet à cette époque qu’apparaît une nouvelle façon de débiter les matières osseuses – l’extraction de baguette par double rainurage longitudinal – dont l’influence sera majeure sur les productions de la deuxième moitié du Paléolithique supérieur (Camps-Fabrer, 1976 ; Mujika Alustiza, Couches inférieure supérieures (jaune, rouge et noire) 3 4 Attributions chronoculturelles Bayacien Gravettien ancien à pointes de la Gravette Gravettien ancien à pointes de la Font Robert Gravettien ancien à pointes de la Gravette Musées MAN MAN MNPE MNPE Collections Lacorre Lacorre Coiffard et Bouyssonie Coiffard et Bouyssonie Le Fourneau du Diable 3 (terrasse inf.) Gravettien ancien à pointes de la Gravette MNPE Peyrony Le Flageolet I VII et VI V Gravettien ancien à pointes de la Gravette Gravettien moyen à burins du Raysse IPGQ IPGQ Isturitz F3/IV et C Gravettien moyen à burins de Noailles MAN Rigaud Rigaud Passemard et Saint-Périer Peyrony et Bordes Peyrony et Bordes La Gravette Les Vachons 40-38/B’ (est) 40-26/B (ouest) Gravettien récent 36/F8 (est) Gravettien final MAN : musée d’Archéologie nationale, Saint-Germain-en-Laye MNPE : musée national de Préhistoire des Eyzies, Les Eyzies-de-Tayac IPGQ : Institut de préhistoire et de géologie du Quaternaire, Bordeaux Laugerie Haute MNPE MNPE Tabl. 1 – Corpus d’étude (France). Gisements Couches Attributions chronoculturelles Lieu de conservation RUSSIE Kostienki 1 I Tradition de « Kostienki-Avdeevo » Musée d’Anthropologie et d’Ethnographie (complexes 1 et 2) de Pierre-le-Grand ; Institut d’histoire de la culture matérielle ; Ermitage (Saint-Pétersbourg) Kostienki 21 I Tradition de « Kostienki-Avdeevo » Institut d’histoire de la culture matérielle (Saint-Pétersbourg) Avdeevo I Tradition de « Kostienki-Avdeevo » Muséum d’anthropologie de l’université (complexe 2) d’État de Moscou Gagarino supérieure Tradition de « Kostienki-Avdeevo » Musée historique d’État (Moscou) ; Muséum d’anthropologie de l’université d’État de Moscou Kostienki 4 inférieure et Faciès particulier Musée d’Anthropologie et d’Ethnographie supérieure du Gravettien oriental de Pierre-le-Grand (Saint-Pétersbourg) RÉPUBLIQUE TCHÈQUE Predmosti x « Pavlovien » Institut Anthropos (Muséum morave, Brno) Pavlov x « Pavlovien » Institut d’archéologie de Dolni Vestonice Collections Efimenko/Praslov/ Rogachev et Praslov Praslov Gvozdover Tarasov/Rogachev/ Zamiatnine Rogachev Kriz/Absolon/Klima Klima Tabl. 2 – Corpus d’étude (Russie et République tchèque). Bulletin de la Société préhistorique française 2009, tome 106, no 3, p. 437-456 Réflexions sur une innovation technique gravettienne importante : le double rainurage longitudinal 439 Fig. 1 – Carte de répartition des sites étudiés en France. Fig. 2 – Carte de répartition des sites étudiés ou en cours d’étude en Russie et en République tchèque. 1990 ; Averbouh, 2000 ; Goutas, 2004a). La discussion à laquelle nous nous consacrons dans le présent travail a pour objectif de poser un certain nombre de réflexions préliminaires concernant les mécanismes sociologiques et économiques en cause dans l’adoption et la diffusion de ce procédé au sein des sociétés du Gravettien d’Europe occidentale et orientale. Ceci Bulletin de la Société préhistorique française nous conduira à explorer certaines pistes afin d’en évaluer à la fois les limites et les possibilités. Pour ce faire, nous nous appuierons sur les études que nous avons conduites sur l’industrie en matières dures d’origine animale d’un certain nombre de sites clefs du Gravettien de France et de la plaine de Russie (tabl. 1 et 2 ; fig. 1 et 2). 2009, tome 106, no 3, p. 437-456 440 Nejma GOUTAS LE DÉBITAGE DES MATIÈRES OSSEUSES À L’AURIGNACIEN ET AU GRAVETTIEN Du transfert technique … Dès l’Aurignacien, les hommes anatomiquement modernes développent et organisent de façon systématique le travail des matières dures d’origine animale. Les données actuellement disponibles concernent presque exclusivement les phases anciennes de l’Aurignacien. À cette époque, deux modalités de débitage semblent régir l’exploitation des matières osseuses stricto sensu (os, bois de Cervidé, ivoire) : la fracturation (lancée ou posée) et le refend (Leroy-Prost, 1975 ; Knecht, 1991b et 1993a ; Delporte, 1998 ; Liolios, 1999 ; Tartar, 2003). La fracturation concerne presque exclusivement le débitage des os longs du squelette. Le procédé de refend est, quant à lui, appliqué à toute matière ou portion de matière cylindrique dont la séparation longitudinale ne peut se faire par fracturation (supports trop épais ou trop élastiques). Il est ainsi utilisé sur bois de Cervidé et sur ivoire et permet de produire rapidement des supports allongés (nommés baguettes) par fendage d’un tronçon préalablement obtenu par segmentation transversale. Les supports produits ne peuvent être longs et très étroits en raison des risques importants de fractures transversales qui peuvent se produire lors du fendage (fig. 3). En définitive, l’obtention de ces supports allongés (généralement larges et épais) est réalisée aux dépens de leur prédétermination technique et morphologique (faible normalisation). L’étape de façonnage est essentielle pour donner aux objets leurs « caractères morphologiques et fonctionnels » (Liolios, 2003, p. 220). Concernant les phases récente et finale de l’Aurignacien (Aurignacien évolué), les données relatives au débitage et plus largement au travail des matières osseuses sont encore très lacunaires. Toutefois, et d’après les travaux d’H. Knecht (1993b, p. 38) sur la production des pointes en bois de Cervidé durant les phases aurignaciennes postérieures à l’Aurignacien ancien (35000-30000 BP), il apparaît que les pointes losangiques ont été produites à partir de segments de bois de Cervidé semi-cylindriques obtenus par partition du bloc d’origine. Le volume des supports est ensuite fortement réduit au cours de l’étape de façonnage, notamment par la technique du raclage. Le procédé en jeu dans ce débitage n’est toutefois pas clairement décrit (op. cit.). Cependant, l’auteur signalant que le mode de débitage est le même que celui des pointes à base fendue (Knecht, 1991b, p. 125), il ne peut donc s’agir que du débitage par refend. Ceci serait d’ailleurs cohérent avec le faible degré de prédétermination des supports utilisés, puisque ces derniers ont nécessité une importante étape de façonnage pour parvenir à la forme définitive de la pointe (Knecht, 1993b). Concernant les pointes biconiques, les informations sont encore plus ténues : « Spindle-shaped points were manufactured from a segment of antler sectioned along its length » Fig. 3 – A : Schéma théorique du débitage par refend (percussion unipolaire) ; B : exemple de baguette en bois de Renne (faces inférieure et supérieure) obtenue par refend (percussion bipolaire) (Isturitz, Aurignacien ancien, fouilles C. Normand dir., clichés N. Goutas). Bulletin de la Société préhistorique française 2009, tome 106, no 3, p. 437-456 Réflexions sur une innovation technique gravettienne importante : le double rainurage longitudinal (Knecht, 2000, p. 31). L’auteur ayant précisément décrit l’utilisation de la technique du rainurage transversal pour la production notamment des pièces à languette, il est plus que probable qu’elle y aurait fait mention si cette technique avait également été utilisée longitudinalement pour la production des baguettes en bois de Cervidé (Knecht, 1991b). En définitive, aucun élément ne laisse présager le recours à un autre procédé de débitage que le refend pour la production des baguettes en bois de Cervidé durant l’Aurignacien évolué. L’émergence d’une véritable industrie osseuse à l’Aurignacien pourrait avoir pour moteur un transfert des techniques de travail du bois végétal sur les matières dures d’origine animale. Ce transfert de connaissances est d’ailleurs sans doute à l’origine de l’absence d’innovations techniques plus adaptées au débitage longitudinal du bois de Cervidé durant l’Aurignacien (Liolios, 1999 et 2003). Ce n’est que plus tardivement, au sein des sociétés gravettiennes (± 29000 à ± 20000 BP), que sont développées des solutions techniques permettant un débitage longitudinal beaucoup plus contrôlé du bois de Cervidé (Goutas, 2000, 2003a et 2004a). 441 Ce procédé permet de s’affranchir des contraintes morphologiques et volumétriques du bloc de matière osseuse, pour obtenir des supports parfaitement prédéterminés. Ceux-ci, se présentant généralement sous la forme de baguettes, peuvent alors être reproduits en série, ce qui va permettre aux groupes gravettiens de normaliser, davantage que leurs prédécesseurs …À l’innovation technique Un procédé simple aux implications novatrices Comme son nom l’indique, le double rainurage, procédé conceptuellement simple, consiste à réaliser deux rainures longitudinales, convergentes ou parallèles, afin de délimiter le contour précis du support que l’on souhaite obtenir (fig. 4 et 5). Ensuite, et lorsque cela est nécessaire, le futur support est sectionné à l’une ou à ses deux extrémités selon différentes techniques (sciage, rainurage, etc.), avant d’être définitivement détaché du bloc (généralement par éclatement en percussion indirecte). Fig. 4 – Schéma théorique du débitage de baguette par double rainurage longitudinal. A : convergent parallèle (Semenov, 1964, fig. 78 et 79) ; B : parallèle (d’après Bordes, 1969, in Averbouh, 2000, fig. 73d, p. 82). Fig. 5 – A et B : matrices d’extraction ; C et D : baguettes (bois de Cervidé) débitées par double rainurage longitudinal et parallèle (A, B et C : Isturitz, MAN, Gravettien moyen à burins de Noailles ; D : Laugerie Haute) (clichés N. Goutas). Bulletin de la Société préhistorique française 2009, tome 106, no 3, p. 437-456 442 aurignaciens, leurs productions et de diversifier leurs équipements en jouant sur cette nouvelle forme « artificielle » de support. Il est en outre intéressant de souligner que le double rainurage ne se substitue pas définitivement aux traditions techniques aurignaciennes, puisque durant certaines phases du Gravettien en France (Goutas, 2003b), ainsi que sur le site morave de Pavlov (Klima, 1987 ; Goutas et Zelinkova, étude en cours), des variantes du refend sont encore employées. D’après nos recherches sur plus d’une dizaine de séries appartenant à toutes les phases du Gravettien en France (cf. tabl. 1), il apparaît, par ailleurs, que les fabricants n’ont pas jugé nécessaire de produire des supports aussi fortement prédéterminés et normalisés que leurs successeurs magdaléniens (Goutas, 2004b). La gestion générale des blocs débités par double rainurage est, en outre, moins codifiée qu’au Magdalénien, où ce type de débitage est associé à des déchets relativement stéréotypés (Averbouh, 2000). Nous avons montré qu’au sein de la grotte d’Isturitz l’organisation et la morphologie même des rainures (stigmates d’entame ou de butée de fin de rainurage…) sont très différentes de ce que l’on observe sur ce même gisement au Magdalénien (Goutas, 2004b ; Pétillon, 2006). Si ce constat révèle une plus grande souplesse des normes de production gravettiennes, elle n’engage pas pour autant une plus faible maîtrise des savoir-faire. Il serait tentant en effet d’interpréter ce constat comme l’expression d’un tâtonnement technique où l’application du double rainurage tendrait à se perfectionner progressivement, jusqu’à atteindre une maîtrise parfaite au sein des sociétés magdaléniennes 4. Critiqué depuis longtemps dans son application à l’anthropologie autant qu’à l’archéologie préhistorique, ce raisonnement s’inscrit dans le postulat d’une évolution linéaire et rigide des structures sociales et économiques des groupes humains (Clastres, 1974 ; Sahlins, 1976 ; Testart, 1982). Un procédé réellement d’origine gravettienne ? Actuellement, les données concernant l’utilisation du double rainurage antérieurement au Gravettien sont très rares et ne concernent qu’un nombre très limité d’objets dont le contexte stratigraphique est parfois discuté, comme pour les niveaux châtelperroniens d’Arcy-surCure (Leroi-Gourhan, 1961 ; Baffier et Julien, 1990 ; White, 1993 et 2002 ; Taborin, 2002), ou bien encore les niveaux aurignaciens du site de Goyet en Belgique (Otte, 1977). Selon H.M. Bricker (1995, p. 193-197), le double rainurage, qu’il désigne sous le terme de « procédé du ciseau », serait attesté à l’abri Pataud dès l’Aurignacien ancien au sein de la couche 14 (un objet), ainsi qu’au sein de la couche 11 (deux objets). Toutefois, et selon C. Vercoutère qui a récemment repris l’étude des industries osseuses de ce site, aucun artefact n’atteste de l’utilisation de ce procédé dans les niveaux aurignaciens (Vercoutère, 2004). La simple technique du rainurage a, en revanche, été ponctuellement observée sur du matériel de l’Aurignacien ancien par E. Tartar (2003) et A. Bertrand sur le site de Brassempouy dans les Landes, et par M. Julien et D. Baffier à Arcy-surBulletin de la Société préhistorique française Nejma GOUTAS Cure (comm. pers. A. Bertrand ; Baffier et Julien, in Averbouh et Provenzano, 1999). Elle fut peut-être aussi utilisée sur une pièce dans l’Aurignacien évolué de l’abri Pataud (Vercoutère, 2004). Enfin, cette technique a également intégré le fendage, procédé utilisé sur les gisements aurignaciens d’Allemagne pour le débitage de l’ivoire (Hahn, 1995). En définitive, ce n’est qu’à partir du Gravettien que, dans le cadre de la méthode du débitage par extraction, l’usage du double rainurage longitudinal est clairement identifié (E. Peyrony, 1934 ; D. Peyrony, 1934 ; Otte, 1981 ; Julien, 1982 ; Goutas, 2000, 2003a et b). On retrouve alors régulièrement tous les éléments constitutifs de sa chaîne opératoire, du déchet de débitage à l’objet fini. Les sociétés gravettiennes sont donc assurément les premières à le systématiser à une très large échelle et, en ce sens, l’usage de ce procédé, en tant que savoir-faire transmissible, n’émerge réellement qu’à cette époque (Goutas, 2004a et b). Apparition et diffusion du double rainurage en Europe : perspectives paléohistoriques Bien que l’Europe centrale soit généralement considérée comme le ou l’un des principaux foyers d’émergence et de diffusion du Gravettien en Europe (Kozlowski, 1989 ; Djindjian et al., 1999), rien ne permet d’affirmer que c’est aussi dans cette région qu’est utilisé pour la première fois le double rainurage. Selon M. Otte, la première évidence de l’usage de la « technique d’extraction de languettes par sillons parallèles » dans cette région daterait de la phase moyenne de Willendorf (28000-25000 BP) et se développerait dans sa phase récente (aux alentours de 25000 BP) (Otte, 1981 et 1991). En France, ce procédé est attesté dès la phase ancienne du Gravettien (28000-26000 BP), dont les fourchettes chronologiques sont plus ou moins contemporaines de la phase moyenne de Willendorf. Il n’est donc pas possible, pour l’heure, de statuer sur le foyer d’émergence de ce procédé (Goutas, 2004b). Concernant les sociétés gravettiennes d’Europe orientale (Russie), majoritairement plus tardives (environ 23000 BP-20000 BP) 5 que celles d’Europe centrale et occidentale, l’usage du double rainurage est, pour l’heure, attesté aux alentours de 23500-22500 BP (Kostienki 4) 6 (Goutas, en préparation). Compte tenu de l’aire géographique et chronologique concernée, et de la rareté des études sur la question, il n’est pas encore possible de comprendre où « naît » ce procédé, comment il se diffuse dans l’Europe gravettienne (migration de population et/ou échanges de savoir-faire), selon quel rythme et quel(s) sens de progression. L’extraction de baguette par double rainurage et le débitage laminaire : une analogie conceptuelle ? La plus ancienne référence bibliographique que nous ayons retrouvée sur le double rainurage est celle de 2009, tome 106, no 3, p. 437-456 Réflexions sur une innovation technique gravettienne importante : le double rainurage longitudinal P. Cazalis de Fondouce, qui le décrit dès 1871, sans pour autant le nommer, dans des niveaux de « l’époque du Renne » de la Salpêtrière. Cet auteur décrit avec précision les deux principales étapes de ce procédé de débitage. Ceci est d’autant plus intéressant que P. Cazalis de Fondouce écrit à une époque où l’on connaît mal le travail des matières osseuses au Paléolithique. Il souligne notamment l’intérêt d’une pièce intermédiaire pour le détachement final de la baguette, idée qui sera à nouveau développée par plusieurs auteurs, et en particulier par A. Rigaud qui l’expérimenta (1984) et l’identifia sur le matériel de la Garenne (Indre). Ce qui intéresse directement notre propos à ce stade, c’est que P. Cazalis de Fondouce emploie un vocabulaire spécifique au travail de la pierre pour désigner l’objectif de ce procédé de débitage : l’obtention d’un support prédéterminé de morphologie particulière, allongé et régulier, qu’il désigne comme « lame » et qu’aujourd’hui il est d’usage de nommer « baguette ». Ce parallèle avec le lithique est très intéressant car il existe, en effet, une analogie conceptuelle très importante entre le débitage laminaire et le débitage par extraction de baguette (supports morphologiquement très proches, produits en série à partir d’un même bloc) : les « concordances dans la conception de la production sont si frappantes » pour les périodes magdaléniennes qu’A. Averbouh propose l’emploi du terme de « débitage baguettaire » (Averbouh, 2000, p. 154). Il est en outre intéressant de souligner que les débitages laminaire et baguettaire tiennent une place essentielle dans les modes de production des supports au Magdalénien. À cette époque, la recherche de supports très standardisés, parfois de dimensions exceptionnelles, produits selon des normes de production très codifiées, se fait très présente tant dans l’industrie lithique (Pigeot, 1987 ; Olive, 1988 ; Valentin, 2006) que dans l’industrie osseuse (Chech, 1974 ; Camps-Fabrer, 1976 ; Julien, 1982 ; Averbouh et al., 1999 ; Averbouh, 2000 ; Pétillon, 2006). LE DOUBLE RAINURAGE : PERSPECTIVES PALÉTHNOLOGIQUES Une innovation en réponse à quel(s) nouveau(x) besoin(s) ? La mutation technique, économique et conceptuelle que constitue le débitage de baguette par double rainurage nous renvoie donc à plusieurs questions : pourquoi ce changement dans la manière de concevoir et de mettre en œuvre l’exploitation des blocs et la production des supports ? À quel(s) nouveau(x) besoin(s) répond cette innovation technique ? Une recherche d’économie de la matière première ? Le contrôle accru qu’autorise le double rainurage longitudinal a-t-il favorisé une exploitation moins dispendieuse de la matière première ? Et cette dernière serait-elle le ou l’un des facteurs en cause dans ce Bulletin de la Société préhistorique française 443 changement de débitage ? La prudence est ici de rigueur car la gestion des stocks de matières premières dépend profondément de la disponibilité des ressources exploitées et des choix techno-économiques des populations étudiées qui, pour le peu que nous en connaissons, sont loin d’avoir été uniformes sur des milliers d’années. Par ailleurs, il apparaît que sur plusieurs sites du Paléolithique supérieur – Isturitz (Gravettien et Magdalénien), la Vache, Enlène (Magdalénien) – ce débitage tient une place fondamentale dans la production de l’équipement, sans que ne transparaisse pour autant une quelconque pénurie ou raréfaction des principales matières premières auxquelles il est appliqué (l’os et/ou le bois de Renne) (Averbouh, 2000 ; Goutas, 2004b ; Pétillon, 2006). En revanche, comme nous le verrons plus tard dans le cadre de l’Europe orientale, l’absence de certaines matières premières a néanmoins pu, en partie, jouer sur la faible utilisation de ce procédé. Une recherche de plus grande productivité des blocs exploités ? Le procédé du double rainurage, permettant d’extraire exactement la portion de matière désirée, autorisait une meilleure gestion des blocs, voire, en théorie, pouvait conduire à leur exploitation optimale. À partir d’un même bloc de matière, on peut ainsi produire davantage de baguettes qu’avec le débitage par refend et en prévoir précisément le nombre et leur morphologie. Si ces paramètres, difficilement quantifiables, ont pu jouer un rôle non négligeable dans ce changement de débitage, il apparaît toutefois que les fabricants gravettiens n’ont pas recherché une application « optimale » de ce procédé (car sans doute superflue quant à leurs besoins), comme en témoigne l’abandon fréquent de matrices pouvant encore fournir des baguettes (Goutas, 2004b) 7. Il n’en reste pas moins que le double rainurage est théoriquement plus productif en nombre de supports que le refend. Bien que les données expérimentales et archéologiques soient encore insuffisantes, on peut aussi se demander si le recours à l’éclatement en percussion indirecte dans le cadre du refend ne générait pas davantage de risques de ratés de fabrication (déviation incontrôlée de l’onde de fracture) que le double rainurage. En effet, le double rainurage agissant par usure progressive et continue de la matière (Averbouh et Provenzano, 1999), il autorise un contrôle précis de la future ligne de fracturation délimitant le support. Comme le montre l’expérimentation, l’étape la plus délicate dans l’application de ce procédé consiste principalement en l’amorce du rainurage. Une fois celle-ci réalisée, elle permet de guider l’outil en silex et évite à ce dernier de déraper et de sortir de son tracé, ce qui créerait des sillons divergents qui pourraient compromettre le rainurage (Dauvois, 1975). En revanche, avec le refend, la part d’aléatoire inhérente à une action d’éclatement en percussion indirecte ne peut être totalement maîtrisée. Enfin, et sans minimiser les compétences que nécessite l’apprentissage du double rainurage, celles-ci étaient probablement moins 2009, tome 106, no 3, p. 437-456 444 complexes à acquérir que celles en jeu dans le débitage par refend, encore fortement contraint par les propriétés mécaniques du matériau exploité (comm. pers. A. Averbouh). En effet, et selon les travaux de G. Albrecht (1977), le bois de Renne est le matériau qui résiste le mieux aux chocs (par comparaison avec l’os et l’ivoire), en raison de son importante élasticité, liée à son faible degré de minéralisation. Il possède en outre l’un des plus bas module de Young, ce qui lui confère la plus grande capacité d’absorption d’énergie imprimée sans se fracturer (la plus grande résilience). Un gain de temps dans la fabrication de l’équipement ? Le recours au double rainurage ne peut être considéré comme un gain de temps dans la fabrication de l’équipement, puisque si l’étape de façonnage est beaucoup moins importante qu’à l’Aurignacien, en revanche le débitage par double rainurage constitue une étape beaucoup plus longue que le débitage par refend. En ce sens, le temps gagné à un moment de la chaîne opératoire est réinvesti à un autre moment (Goutas, 2003 et 2004b). Le refend et le double rainurage renvoient en quelque sorte à deux conceptions différentes de la chaîne opératoire. Aucun de ces deux procédés de débitage ne peut donc, dans l’absolu, être considéré comme plus avantageux que l’autre, tout dépend des besoins et des conditions de leur utilisation. Ce qui est peut-être plus significatif, c’est pourquoi l’investissement porté en aval de la production est désormais réinvesti en amont de cette dernière ? Une anticipation de la production ? Dans un contexte de fractionnement de la chaîne opératoire, et en tenant compte de la question de la mobilité des groupes humains, de la présence/absence des matières premières, de la diversité fonctionnelle des sites (elle-même liée à la variation des cycles d’activité au sein d’un même territoire), le débitage de baguette par double rainurage offrait peut-être des possibilités techno-économiques particulièrement intéressantes. Rappelons qu’en France, le bois de Cervidé, matériau principalement associé aux débitages par double rainurage durant le Gravettien (Goutas, 2004a) et par refend durant l’Aurignacien (Liolios, 1999), est une matière première moins accessible que l’os. En effet, son cycle de croissance annuel en fait, pendant une partie de l’année (après la période de chute qui varie suivant l’espèce, l’âge et le sexe), une matière soit indisponible soit de piètre qualité (bois en cours de croissance et incomplètement calcifiés). De fait, on peut envisager que le débitage de baguette par double rainurage permettait une meilleure gestion des ressources et une anticipation plus importante des besoins puisque, comme nous l’avons vu, il est théoriquement plus productif que le refend. Dans une démarche prévisionnelle, les hommes ont ainsi pu transporter une Bulletin de la Société préhistorique française Nejma GOUTAS quantité plus importante de supports bruts, ce qui, suivant les contextes, pouvait avoir certains avantages. La mise en forme d’un support déjà prédéterminé étant plus rapide que celle d’une baguette obtenue par refend, elle permettait peut-être une plus grande flexibilité dans l’organisation temporelle et spatiale de la production. À titre d’exemple, un individu ou un groupe d’individus pouvait partir loin du campement avec son équipement qu’il pouvait renouveler rapidement si besoin était, en emportant avec lui des supports bruts déjà préformés, ou tout du moins morphologiquement et métriquement proches de l’objet fini recherché. Enfin, ce surplus de baguettes « quasi prêtes à emploi » permettait, si la situation se présentait, de palier un éventuel manque de matière première sur le lieu d’habitat suivant et donc de gérer sa consommation future. Un procédé fortement engagé dans la production des armes de chasse L’étape de débitage ne constituant pas une fin en soi mais seulement un moyen de parvenir à un résultat recherché, il est essentiel de prendre en compte la finalité même du débitage, c’est-à-dire, au-delà des supports obtenus, l’équipement produit à partir de ces derniers. « Un nouveau mode de débitage n’a de succès que par celui des nouveaux produits auquel il est associé » (Pelegrin, 2000, p. 82). Si l’on s’intéresse maintenant aux objectifs de production, on s’aperçoit qu’au cours du Gravettien, en France, cette innovation technique a accompagné de profonds changements dans l’équipement. On voit notamment apparaître la « baguette demi-ronde » (Aitzbitarte IV, Fongal, Pataud…) (Feruglio, 1992). Bien que peu nombreuses au Gravettien, leur production est profondément liée au double rainurage longitudinal car il s’agit du seul procédé à même de répondre aux exigences de standardisation que nécessite leur fonctionnement supposé (Goutas, 2004b), à savoir une utilisation deux à deux par accolement des pièces au niveau de leur face plane (Feruglio et Buisson, 1999 ; Rigaud, 2006). Leur fonction est, en revanche, plus difficile à appréhender et aucun objet ethnographique ne peut leur être rapproché. Si certaines d’entre elles ont pu être utilisées comme armatures de trait, pour d’autres, cette hypothèse fonctionnelle est peu vraisemblable. La baguette demironde apparaît, en définitive, comme un type technique qui a pu être assujetti à différents usages (Feruglio, 1992 ; Rigaud, 2006). Le double rainurage fut aussi employé pour la production des armatures de projectile et de certains outils domestiques. Toutefois, si la production des outils a fait intervenir plusieurs techniques ou procédés, celle des armatures de chasse est, pour l’heure, exclusivement mise en œuvre par double rainurage (Goutas, 2004b). Ces constats étant posés et afin de comprendre le lien qui semble unir ce procédé de débitage à cet équipement hautement spécialisé, il nous faut, au préalable, revenir sur plusieurs points essentiels caractérisant les pointes gravettiennes. 2009, tome 106, no 3, p. 437-456 Réflexions sur une innovation technique gravettienne importante : le double rainurage longitudinal Une diminution des pointes de projectile osseuses entre l’Aurignacien et le Gravettien ? À ce niveau de notre réflexion, il nous semble important de revenir sur une assertion que l’on retrouve fréquemment dans la littérature archéologique, à savoir le quasi-abandon des armatures en matières osseuses au profit de celles en pierre durant le Gravettien en France (Knecht, 1991b et 1997 ; Cattelain, 1995 ; O’Farrell, 2004). Or, il nous semble que ce constat doive être fortement pondéré, car en réalité la fréquence des pointes de projectile en matières osseuses est très variable suivant les séries et les périodes étudiées. Sur certains sites, elles sont effectivement très peu nombreuses (le Flageolet I, c. VII et VI ; la Gravette, c. inf. et sup. ; les Vachons c. 3, etc.), notamment durant le Gravettien ancien. Mais on constate en parallèle que l’industrie osseuse dans son ensemble est aussi numériquement faible et souvent mal conservée. Les armes de chasse en matières osseuses sont aussi peu nombreuses au sein de la couche 5 (Gravettien ancien) de l’abri Pataud, puisque sur plus d’une centaine d’artefacts, seuls quatre pointes de projectile en bois de Cervidé et deux fragments pouvant se rapporter à cette catégorie typofonctionnelle y ont été recensés (Vercoutère, 2004, p. 155). En revanche, la situation est très différente au sein de séries riches et présentant un bon état de conservation. Nous avons ainsi identifié plus de 150 8 pointes ou fragments d’objets appointés morphologiquement et techniquement compatibles avec cette catégorie typofonctionnelle dans le Gravettien moyen de la grotte d’Isturitz, environ une centaine dans le Gravettien récent de Laugerie Haute et près d’une trentaine dans le Gravettien final de ce même abri (Goutas, 20004b et sous presse). Il est aussi intéressant de souligner que c’est à partir du Gravettien moyen que les témoins relatifs au débitage par double rainurage (déchets, supports, objets finis) sont les plus nombreux. Bien que cet état de fait puisse être en partie amplifié par un état de la recherche (davantage de séries d’industrie osseuse sont connues pour le Gravettien moyen) et les problèmes de conservation qui caractérisent la plupart des séries rattachées aux phases anciennes que nous avons étudiées, il est aussi possible que cela traduise une réelle évolution des comportements techno-économiques au cours du Gravettien, la part des pointes en matières osseuses au sein de l’équipement de chasse augmentant entre les phases anciennes et moyennes. A contrario, on peut se demander si notre perception de l’importance quantitative des pointes osseuses durant l’Aurignacien n’a pas été amplifiée par la difficulté de reconnaissance des armatures lithiques et par une focalisation particulière de la recherche sur le Périgord et sur les phases anciennes de l’Aurignacien. Il est vrai que dans ce contexte chronologique et géographique, les pointes sont relativement abondantes – H. Knecht (1993b, p. 34) a ainsi dénombré 341 pointes à base fendue sur 16 sites français 9 – mais ne s’agit-il pas là davantage d’un épisode particulier au sein de l’Aurignacien que le reflet de la norme aurignacienne ? En Bulletin de la Société préhistorique française 445 effet, il nous semble que les données sont encore trop lacunaires sur les phases très anciennes (Aurignacien « archaïque ») et récentes de l’Aurignacien pour pouvoir ériger ce constat en modèle chronoculturel et plus encore comme éléments diagnostiques d’une évolution majeure des comportements entre l’Aurignacien et le Gravettien. En définitive, et en l’état actuel de la recherche, s’il est vrai qu’en France les fabricants gravettiens ont majoritairement investi la pierre pour constituer une part importante de leur équipement de chasse, il n’en demeure pas moins que sur certains sites et durant certaines périodes, les pointes en bois de Cervidé ont joué un rôle non négligeable dans les activités cynégétiques, comme en témoigne leur nombre. Par ailleurs, et de manière générale, il serait absurde de vouloir opposer de façon stricte sur le plan quantitatif, fonctionnel et économique, une armature lithique à une armature en bois de Cervidé et ce pour plusieurs raisons : - la possibilité d’une utilisation conjointe de ces deux types d’armatures (une pointe en bois de Renne ayant pu être associée à plusieurs microlithes) ; - la plus grande longévité des pointes de projectile en bois de Cervidé (Knecht dir., 1997) ; - la conservation différentielle des artefacts en matières osseuses qui biaise, de fait, notre perception des corpus préhistoriques ; - la difficulté d’approvisionnement en bois de Renne en raison de son cycle de croissance annuelle (voir notamment Bouchud, 1966 et Averbouh, 2000) et la complexité des schémas opératoires mis en œuvre dans la transformation des matières osseuses, qui ont sans nul doute joué un rôle non négligeable 10 dans le fait que les hommes aient surtout choisi la pierre pour ce type de production. La production d’une armature lithique, même si elle nécessite un certain niveau de savoir-faire, est une opération beaucoup plus rapide que la production d’une armature en bois de Renne (Knecht, 1991b ; Cattelain, 1995). Pour être en mesure d’évoquer une réelle décroissance des armatures osseuses entre l’Aurignacien et le Gravettien, cela nécessiterait de comparer, dans un premier temps et termes à termes, les productions osseuses de la fin de l’Aurignacien avec celles du début du Gravettien, en tenant compte des problèmes de conservation différentielle, de la fonction des sites et du biotope environnant. Or, comme nous l’évoquions plus haut, les données disponibles sur le Gravettien ancien permettent difficilement de conduire une comparaison totalement pertinente. Concernant les phases récentes de l’Aurignacien, à notre connaissance, les seules données disponibles sur l’industrie osseuse (et qui ne proviennent pas d’un contexte stratigraphique problématique ou insuffisamment documenté) sont celles de l’Aurignacien évolué de l’abri Pataud (c. 8, 7 upper et c. 6). Les données sont, cette fois encore, difficilement exploitables car l’industrie osseuse y est peu importante. La couche 8 n’a ainsi livré que trois artefacts, mais aucun se rapportant à la catégorie des pointes de projectile. La couche 7 lower a livré 2009, tome 106, no 3, p. 437-456 446 22 pièces d’industrie osseuse dont un fragment de « sagaie » en bois de Cervidé, la couche 7 upper est encore plus pauvre avec seulement deux pièces d’industrie osseuse dont une pointe losangique (Vercoutère, 2004, p. 111-132 ; Chiotti, 2005). Enfin, la couche 6 n’aurait livré aucun élément d’industrie osseuse (Gregoriani, 1996). En définitive, si l’on resserre la focale sur la transition Aurignacien/Gravettien, il est encore plus délicat d’affirmer qu’il existe une diminution des armes de chasse entre ces deux périodes. Des mutations dans la forme et les aménagements des pointes de projectile Ces précisions importantes posées, nous pouvons poursuivre en signalant un autre fait important concomitant à l’apparition du double rainurage, à savoir un changement de morphologie des pointes osseuses : les pointes gravettiennes sont en effet beaucoup plus fines et plus normées 11 que les pointes aurignaciennes (Knecht, 1991a ; Liolios, 1999 ; Goutas, 2004b). Ces changements s’accompagnent aussi de modifications dans les aménagements mésiaux et proximaux des pointes, dont certains induisent de nouveaux systèmes d’emmanchement des armatures (fig. 6). On constate ainsi une disparition des pointes à base fendue et des pointes massives à base losangique, tandis que les doubles-pointes (ou pointes biconiques) persistent et qu’apparaissent les pointes à biseau simple (les Vachons, la Gravette), à biseau double (les Vachons), à méplat mésial, à incisions mésiales, « à aménagement de type Isturitz » (Pataud, Isturitz) (Knecht, 1991b et 1997 ; Bricker, 1995 ; Goutas, 2004b et 2008) (tabl. 3). Nejma GOUTAS Les doubles-pointes et les pointes à biseau double renvoient à un système « d’emmanchement mâle » (connu dès l’Aurignacien), tandis que les pointes à biseau simple et celles à méplat mésial inaugurent un nouveau système : « l’emmanchement par contact » 12 (Pétillon, 2006) (fig. 7). L’apparition des pointes à biseau simple et notamment de l’emmanchement par contact oblique au Gravettien avait, selon H. Knecht (1991a), peut-être pour objectif de réduire les dommages subis par les hampes ou les préhampes en bois végétal, ce type d’emmanchement étant, selon cet auteur, moins destructeur lors d’impacts violents qu’un emmanchement nécessitant l’insertion de l’armature dans la hampe ou la préhampe. Sans remettre en cause cette hypothèse, il nous semble toutefois nécessaire de pondérer l’importance des pointes à biseau simple dans les systèmes cynégétiques gravettiens en France. S’il est vrai que ce type de pointe est surtout représenté dans les phases récente et finale du Gravettien au sein des sites de Laugerie Haute et de l’abri Pataud (Knecht, 1991b, p. 120), même durant ces périodes il est assez peu représenté. Lors de l’étude que nous avons conduite sur les collections de Laugerie Haute, nous avons en effet identifié une vingtaine de pointes à biseau simple pour le Gravettien récent et quatre pièces seulement pour le Gravettien final 13 (Goutas, 2004a). Si l’on s’en réfère aux autres phases du Gravettien, ce type de pointe est encore plus rare. Le Gravettien moyen à burins de Noailles de l’abri Pataud (c. 4) n’a ainsi livré que deux pointes de ce type (Vercoutère, 2004, p. 195). En outre et au terme de la révision critique de la stratigraphie et des collections d’industrie osseuse de la grotte d’Isturitz (niveaux à Noailles), nous avons montré qu’une partie des pointes Fig. 6 – Morphologie des pointes osseuses connues au Gravettien en France. A : à incisions mésiales (Pataud, in David, 1985, fig. 31) ; B : à rainure mésiale longitudinale (Pataud, in Bricker, 1995, fig. 20) ; C : à étranglement proximal (Laugerie Haute est, in Peyrony, 1938, fig. 16) ; D : à méplat mésial (Pataud, in David, 1985, fig. 20) ; E : à biseau simple (Pataud, ibid.) ; F : à aménagement de type « Isturitz » (Pataud, in David, 1985, fig. 45). Bulletin de la Société préhistorique française 2009, tome 106, no 3, p. 437-456 Réflexions sur une innovation technique gravettienne importante : le double rainurage longitudinal TYPES/SITES Pointes à biseau simple facial Pointe à biseau simple latéral Pointe à biseau double Pointe de type Isturitz Double-pointe simple GRAVETTIEN GRAVETTIEN ANCIEN MOYEN les Vachons, la Gravette Isturitz, Pataud les Vachons c. 4 les Vachons c. 4, le Fourneau du Diable, c. 3, terrasse inférieure le Fourneau du Diable, la Gravette, les Vachons Double-pointe à incisions mésiales Double-pointe large et plane Pointe à rainure mésiale la Gravette, les Vachons, Pataud Pointe à méplat mésial Pataud 447 GRAVETTIEN RECENT Laugerie Haute GRAVETTIEN FINAL Laugerie Haute est, Pataud Isturitz Isturitz Isturitz c. III, Pataud, le Facteur, les Battuts, Labattut Isturitz, Pataud Laugerie Haute Laugerie Haute Laugerie Haute Laugerie Haute est Laugerie Haute, Pataud Laugerie Haute est Isturitz c. III Isturitz c. F3/IV Isturitz, les Battuts Laugerie Haute, Pataud Laugerie Haute est Laugerie Haute Pataud Isturitz c. III Laugerie Haute, Pataud Laugerie Haute est, Pataud Laugerie Haute est Pointe à étranglement proximal Tabl. 3 – Tableau synthétique sur la répartition chronologique et par type des pointes osseuses au cours du Gravettien, en France. Fig. 7 – Systèmes d’emmanchement des pointes gravettiennes : double-pointe et pointe à biseau simple (selon Knecht, 1991b, fig. 4, modifiée) ; pointe à méplat mésial (selon D. et E. Peyrony, 1938, fig. 12). à biseau simple était intrusive et provenait des niveaux solutréens et magdaléniens sus-jacents. Concernant le Gravettien ancien, et au sein des séries étudiées, nous n’avons pu isoler qu’une pointe à biseau simple (les Vachons, c. 3). Enfin, M. Féaux signale une pointe « fine et à biseau exceptionnellement long » à la Gravette (in Sonneville-Bordes, 1960, p. 181) mais que nous n’avons pas retrouvée lors de notre étude. En définitive, la morphologie d’armature osseuse la plus répandue au Gravettien, en France, n’est pas la pointe à biseau simple mais la double-pointe, déclinée sous diverses variantes (voir Goutas, 2004b). Bulletin de la Société préhistorique française Si le lien direct entre toutes les mutations que nous venons d’évoquer (apparition du double rainurage, changement morphologique et diversification des pointes osseuses) reste difficile à démontrer, il est néanmoins très probable que ces convergences soient porteuses de sens. Des observations similaires faites en industrie lithique ont ainsi conduit certains chercheurs (Pelegrin, 2000 ; Valentin, 2006) à s’interroger sur la possibilité d’un lien subtil entre une « modification des techniques de débitage et cet autre changement capital, la transformation des engins de chasse » (Valentin, 2006, p. 142). Bien que cette hypothèse se fonde sur 2009, tome 106, no 3, p. 437-456 448 des contextes différents (le Magdalénien et l’Azilien) et principalement sur l’industrie lithique, il nous semble intéressant d’aborder nos propres problématiques sous cet angle. Ainsi, et selon J. Pelegrin (2000), ces modifications (diminution des armatures en matières osseuses au profit de nouvelles armatures lithiques, modification dans les modalités de débitage : techniques, choix des percuteurs, etc.) pourraient être l’expression d’importants changements dans les techniques et les stratégies de chasse. Un nouveau procédé de débitage pour répondre à de nouveaux besoins cynégétiques ? Partant des différents constats précédemment évoqués et en nous appuyant sur les données paléoenvironnementales et archéozoologiques disponibles, nous nous interrogerons sur la possibilité que des changements dans les modes de prédation (techniques/ stratégies) des gibiers entre l’Aurignacien et le Gravettien aient pu jouer un rôle dans l’abandon du refend au profit du double rainurage pour la production des armes de chasse en bois de Cervidé. Ceci nous conduira à aborder des questions complexes concernant l’évolution des systèmes techniques des armes de chasse. Même si elles dépassent le cadre de notre recherche et le propos principal de cet article, ces problématiques nous permettent de comprendre les mécanismes en cause dans l’invention du double rainurage au début du Gravettien et dans sa diffusion en Europe. Du fait même de l’interconnexion entre les différentes sphères de la culture matérielle, nous intègrerons notre propos aux problématiques actuelles sur l’évolution des systèmes techniques en pierre, d’autant que, comme nous le verrons, certaines des observations faites en industrie osseuse trouvent leurs pendants en industrie lithique. Mais au préalable, il nous faut rappeler quelques données générales sur l’Aurignacien évolué et le Gravettien ancien. Des données paléoclimatiques aux espèces chassées… Les occupations connues de l’Aurignacien récent (31500-30000 BP) prennent place pendant l’oscillation tempérée et humide d’Arcy. À partir de 30000 BP, l’Aurignacien final connaît une péjoration climatique en Périgord, puis à partir de 29000 BP de nouveau un épisode climatique tempéré et très humide dénommé l’épisode de Maisières (Djindjian et al., 1999). Les occupations rattachées à la fin de l’Aurignacien sont rares et nous manquons de données essentielles pour comprendre quels changements précis se produisent avec les débuts du Gravettien. En l’état actuel des recherches, l’Aurignacien évolué n’est, pour l’heure, réellement attestés qu’au sein des niveaux 6, 7 upper et 8 de l’abri Pataud (Chiotti, 2005), tandis que les couches F et G de la Ferrassie doivent être considérées avec beaucoup de prudence tant qu’une révision critique des séries et de la stratigraphie n’aura pas été Bulletin de la Société préhistorique française Nejma GOUTAS effectuée (comm. pers. D. Pesesse). Enfin, la couche 15 de l’abri du Facteur, où H. Delporte (1984) découvrit une industrie qu’il dénomma « Aurignaco-Périgordien », ne peut, en l’état actuel, être prise en compte en raison des grands problèmes géoarchéologiques qui caractérisent cette série (comm. pers. D. Pesesse). Concernant le Gravettien, il s’inscrit dans une période de péjoration climatique de grande ampleur qui marque les débuts du dernier Pléniglaciaire. En France, cette période froide et aride est entrecoupée de phases plus humides telles que celles de Kesselt (2900027000 BP) et de Tursac (26000-24000 BP) (Kozlowski, 1991). Si les changements climatiques qui accompagnent les débuts du Gravettien ont eu une influence sur les biotopes environnants (en termes de faune et de flore), il est toujours difficile de comprendre la signification des ensembles fauniques retrouvés. Le choix des gibiers, au delà des paramètres environnementaux, dépend aussi profondément de la nature et de la saison d’occupation des sites. Dès lors, il est difficile de déterminer si des variations dans les cortèges fauniques entre l’Aurignacien et le Gravettien révèlent réellement des évolutions du climat, des changements dans les activités ou bien encore dans les comportements de subsistance des uns par rapport aux autres. Les données sur la transition Aurignacien/Gravettien faisant défaut, intéressons-nous uniquement au Gravettien. Il apparaît ainsi que sur les gisements gravettiens du Sud-Ouest de la France, l’espèce la plus représentée est généralement le Renne, même si d’autres espèces ont été consommées (Cerf, Cheval…) (Bouchud, 1975 ; PikeTay, 1993 ; Enloe, 1993 ; Delpech, 1993 ; Sekhr, 1998 ; Cho, 1998 ; Delpech et al., 2000 ; Fontana, 2000, Vannoorenberghe, 2003 ; Vercoutère, 2004). En revanche, pour le Massif central, c’est le Cheval qui est la proie majoritaire (Lacarrière, 2007). Cela signifie t-il que les Gravettiens ont pratiqué une chasse « spécialisée » autour d’espèces différentes (Renne et Cheval) au sein de ces deux aires géographiques ? Comme l’ont souligné plusieurs auteurs (Costamagno, 2004 ; Pétillon et Letourneux, 2006), cette question est complexe à résoudre car pour ce faire il faut au préalable s’assurer que la représentation majoritaire d’une espèce est bien le fruit d’une sélection organisée et non le fait de contraintes environnementales 14. Des espèces chassées aux stratégies de subsistance… La stratégie de chasse reflète l’interrelation de plusieurs variables incluant l’organisation économique et sociale, les techniques de chasse ainsi que l’éthologie et le cycle saisonnier des proies chassées (Pike-Tay, 2000). Pour être en mesure d’évaluer précisément des changements dans les stratégies de chasse entre la fin de l’Aurignacien et le début du Gravettien, cela nécessiterait de comparer la faune chassée et les équipements de chasse associés, en prenant en compte la saisonnalité des sites étudiés (elle-même directement liée à la disponibilité des gibiers dans l’environnement) et les 2009, tome 106, no 3, p. 437-456 Réflexions sur une innovation technique gravettienne importante : le double rainurage longitudinal objectifs économiques des groupes humains. Or, cette fois encore, nous sommes tributaire d’un état de la recherche insuffisamment avancé pour permettre une réelle modélisation des comportements de subsistance au cours de ces deux périodes. Cet état de fait tient, d’une part, à la rareté des informations disponibles pour l’Aurignacien évolué et, d’autre part, à la nature même des modèles (généraux) établis pour le Gravettien. Ainsi, et si l’on s’en réfère aux travaux d’A. Pike-Tay (1993) et de J.G. Enloe (1993), il ne semble pas y avoir eu en France, au Gravettien, d’abattage en masse pour l’acquisition de la viande (collector strategy). Les chasseurs auraient plutôt pratiqué une chasse « opportuniste » orientée vers des petits groupes d’individus. Ce modèle se fonde sur des sites appartenant aux phases moyenne et ancienne du Gravettien (le Flageolet I, c. 7, la Ferrassie, c. D2, les Battuts, c. 5, l’abri Pataud, c. 4 et du Roc de Combe, c. 1). Il nous semble dès lors difficile d’étendre ce modèle à l’ensemble du Gravettien (Upper Perigordian). Se pose en outre la question des éventuelles spécificités (fonctionnelles, environnementales, dans le choix des gibiers, etc.) de chacun de ces sites, ainsi que le problème inhérent au fait que les sites comparés n’ont pas tous été occupés à la même saison : « Of course in order to definitively distinguish a foraging from a collector strategy as a sustained adaptation, other relevant site data should be considered as well. These include data regarding presence and absence of full residential residues in sites; degree of temporal resolution of the levels concerned; estimates of group size per site; body part bias in prey remains […]; as well as the season-of-death and age profiles for all species present » (Pike-Tay, 1993, p. 96). Selon A. Pike-Tay, l’hypothèse de foraging strategy serait cohérente avec les données relatives aux techniques de chasse et notamment avec le modèle de maintainable system (système fondé sur la facilité d’entretien de l’équipement en matières osseuses), développé par H. Knecht (1991a et b ; Pike-Tay et Knecht, 1992). Au cœur de ce dernier modèle, H. Knecht place la question de l’apparition des pointes à biseau simple. Ces pointes, du fait de leur standardisation et de l’entretien dont elles ont bénéficié, pourraient être cohérentes avec un équipement de chasse transportable et aisément remplaçable. Ces pointes seraient, en outre, utilisables tant pour la chasse de proies de grande taille que de petite taille. Tous ces éléments ainsi que l’absence de preuve concernant l’existence de projectiles dévolus à un gibier particulier ou à des conditions de chasse particulières au sein des industries osseuses gravettiennes seraient davantage cohérents avec un contexte de foraging strategy que de collecting strategy (chasse en masse spécialisée) (Knecht, 1991a et b). Or, nous avons vu que la pointe à biseau simple est très peu représentée au sein des périodes étudiées par A. Pike-Tay et J.G. Enloe et que, par ailleurs, les conséquences précises de cette innovation formelle et technique sur l’économie de subsistance des sociétés gravettiennes reste encore à déterminer. En effet, le passage des données matérielles disponibles à la reconstitution des stratégies de subsistance est loin d’être évident car il n’existe pas de « lien Bulletin de la Société préhistorique française 449 simple » entre le « type de gibier abattu et le type d’arme employé par les chasseurs » (Pétillon et Letourneux, 2006, p. 21-22). Enfin, et d’après les travaux conduits sur le Gravettien ancien de l’abri Pataud (c. 5), d’autres modèles relatifs aux comportements de subsistance sont envisageables. En effet, sur ce site, les rennes sont abattus principalement pendant l’été jusqu’au début de l’automne, au moment de leur passage dans la vallée de la Vézère au cours de leur migration, et dans une moindre mesure pendant l’hiver. Les autres espèces auraient probablement été chassées le reste de l’année en l’absence du Renne dans cette région (Vannoorenberghe, 2003). Les occupants du site auraient exploité « leur environnement selon une “ stratégie planifiée ” (“ logistical strategy ” d’après Binford, 1980), l’abri Pataud correspondait à un “ camp résidentiel ” ». Il s’agissait d’un lieu de vie communautaire, occupé toute l’année, et dont les habitants tiraient l’essentiel de leurs ressources de l’exploitation du Renne (Vercoutère, 2004, p. 176). Le site de l’abri Pataud est aussi d’un intérêt particulier car il s’agit du seul site récemment fouillé offrant en stratigraphie une succession d’occupations allant sans discontinuité de l’Aurignacien ancien au Gravettien final (Bricker, 1995). Durant l’Aurignacien évolué, « le Renne était chassé pendant plusieurs saisons au cours de l’année », avec une prédominance des bêtes abattues durant les saisons mi-printemps, été et automne. À cette époque, le site aurait servi « de site focal, servant de séjours à des mouvements de type radial au cours de l’année » (Vercoutère, 2004, p. 276). Quelques changements sont donc perceptibles entre la fin de l’Aurignacien et le début du Gravettien en termes d’occupation du site et de modalités d’exploitation de l’environnement. On observe parallèlement des changements dans le débitage des matières osseuses, puisque le double rainurage fait, cette fois encore, son apparition dès le Gravettien ancien. Malheureusement, concernant l’équipement de chasse, la pauvreté du matériel ne permet pas d’observer de profondes mutations entre l’Aurignacien évolué et le Gravettien ancien, hormis peut-être la présence d’une pointe losangique dans la couche 7 upper, type qui disparaît au Gravettien ancien (c. 5), et le fait que les pointes semblent devenir moins larges (op. cit., p. 154-155). Dès lors, il est difficile de vérifier si toutes ces différences (des plus visibles aux plus discrètes) reflètent ou non des changements dans les techniques et plus encore dans les stratégies de chasse. Une covariation dans les changements affectant l’industrie osseuse et l’industrie lithique Parallèlement aux changements qui caractérisent les productions osseuses gravettiennes, on constate dans le domaine de la pierre un développement et une diversification des armatures composites, et notamment des armatures à dos abrupt, qui servent de fondement à la définition du Gravettien (Otte, 1981 ; Soriano, 1995 ; O’Farrell, 1996 ; Klaric, 2003 ; Pesesse, 2003 ; 2009, tome 106, no 3, p. 437-456 450 Guillermin, 2004 ; Simonet, 2005, etc.). On constate aussi un investissement important dans le débitage afin de produire des supports normalisés en termes de rectitude et de régularité. Au concept aurignacien de « torsitude » (Tixier, 2005), qui traduit en quelque sorte la recherche d’un tranchant convexe (comm. pers. D. Pesesse), se substitue le concept gravettien de tranchant rectiligne. Selon A. Simonet (2005), il existerait, d’un point de vue dimensionnel, une importante variabilité inter- et intrasites des pointes de la Gravette, cette variabilité pouvant refléter, suivant les contextes, une certaine flexibilité des normes opératoires de fabrication ou des utilisations différentes. La plupart de ces pointes lithiques semble toutefois avoir servi d’armatures de projectile (Cattelain et Perpère, 1993 ; Soriano, 1995 ; O’Farell, 1996 et 2004 ; Simonet, 2005). Une évolution des techniques et des stratégies de chasse entre l’Aurignacien et le Gravettien ? M. O’Farell a souligné l’existence de « coïncidences » ou de « corrélations troublantes » entre les changements affectant les armatures lithiques et les changements environnementaux et faunistiques (O’Farrell, 1996 et 2004). Nous n’évoquerons ici que synthétiquement les conclusions de l’auteur, qui se fondent sur une importante argumentation, pour n’en retenir que ce qui nous intéressera pour la suite de notre propos. M. O’Farell (2004) envisage que les innovations observées dans l’armement gravettien reflètent une évolution de la stratégie de subsistance par rapport à l’Aurignacien. Les pointes gravettiennes (biconique ou à base biseautée) traduiraient une meilleure adaptation à des tirs de longue distance, ainsi qu’une plus grande multifonctionnalité et une meilleure capacité d’entretien que les pointes aurignaciennes. S’appuyant notamment sur des données ethnographiques, M. O’Farell s’interroge sur la possibilité que les différences observées dans la technologie cynégétique entre l’Aurignacien et le Gravettien puissent refléter plutôt « la tendance du premier à pratiquer des actions de chasse en masse saisonnière de certaines espèces, tandis que le second étalerait davantage dans le temps l’acquisition d’animaux dispersés », sans qu’il soit pour autant nécessaire d’invoquer une « spécialisation » de la chasse (op. cit., p. 135). Un changement des comportements de production en réponse à de nouveaux besoins de prédation ? Si l’on s’en réfère aux hypothèses sur les changements de stratégies de subsistance entre l’Aurignacien et le Gravettien (O’Farell, 1996 et 2004), nous pourrions envisager que dans ce contexte, l’invention du double rainurage traduise la recherche d’une nouvelle solution technique permettant aux hommes de produire des armatures de chasse plus fines et plus normées. Ce changement dans la fabrication des pointes en bois de Cervidé gravettiennes a pu être motivé par différents Bulletin de la Société préhistorique française Nejma GOUTAS facteurs. La question des modes de propulsion, des tactiques d’acquisition du gibier qui elles-mêmes renvoient à la question de la mobilité des groupes humains (Cattelain, 1994, 1995 et 1997 ; Soriano, 1995 ; Valentin, 2006 ; Pétillon, 2006) et à celle de leur structure démographique (Pelegrin, 2000) nous échappe malheureusement encore trop pour que nous puissions développer des hypothèses précises. Nous pouvons toutefois souligner que si la plus grande normalisation des pointes gravettiennes par rapport aux pointes aurignaciennes ne peut seulement être expliquée à l’aune du mode de débitage employé (l’étape de façonnage jouant aussi un rôle), ce dernier l’a néanmoins grandement facilitée. Dans ce contexte, la possibilité d’une meilleure interchangeabilité des armatures sur les hampes en bois végétal autant que l’affûtage 15 plus aisé des pointes gravettiennes ont peut-être constitué un avantage dans l’entretien de cet équipement (Knecht, 1991a, b et 1997). Avantage qui n’était peut-être pas négligeable, si l’on considère cela sous l’angle de la question de la mobilité des groupes, des tactiques de chasse mises en œuvre et du taux de perte des armatures qui en découle (Cattelain, 1995 ; Pelegrin, 2000 ; O’Farrell, 2004). B. Valentin (2006) souligne à ce sujet que « les possibilités de maintenance pour être finement appréciées doivent se découper à la fois en [opportunités] qui sont fonctions de la durabilité et du taux de perte des pointes, et en [facilités], fonctions du temps et de la difficulté de travail » (op. cit., p. 145). Par ailleurs, selon H. Knecht (1991b), les pointes gravettiennes possèderaient une meilleure capacité de pénétration que les pointes aurignaciennes, du fait de leur forme plus effilée. Le recours au double rainurage n’est, cette fois encore, pas étranger à ce changement morphologique, puisque comme nous l’avons vu il permet, à la différence du refend, la production de supports longs et étroits. En revanche, il semble plus délicat d’établir un lien direct entre cette nouvelle forme et la plus grande capacité de pénétration des pointes gravettiennes. En effet, et selon les travaux de J.-M. Pétillon (2006), les constatations faites par H. Knecht se fondent sur des expérimentations au cours desquelles « les pointes aurignaciennes et gravettiennes ont apparemment été testées “ toutes conditions de tirs égales par ailleurs ” – mêmes cibles, mêmes hampes, même système de propulsion – mais peut-on affirmer qu’il en était de même au Paléolithique ? » (Pétillon, 2006, p. 198). En définitive, si comme nous le pressentons il existe bien, en France, un lien subtil entre l’apparition du double rainurage et les changements qui se produisent dans l’équipement de chasse en bois de Cervidé, trop d’inconnues (paléo-environnementales, archéozoologiques, technologiques) nous limitent encore dans nos interprétations. Il sera en outre nécessaire d’explorer de façon plus détaillée la place du double rainurage dans la production des outils domestiques. En effet, son application à cet autre type d’équipement répondait-elle à de nouveaux besoins dans les activités de transformation de certaines matières premières ? Par exemple, l’utilisation du double rainurage pour la production d’outils biseautés renvoie peut-être à de 2009, tome 106, no 3, p. 437-456 Réflexions sur une innovation technique gravettienne importante : le double rainurage longitudinal nouvelles nécessités dans le travail du bois végétal et animal. Nouvelles nécessités qui étaient peut-être directement en rapport avec l’utilisation même du double rainurage : recherche d’outils biseautés plus fins pouvant s’insérer dans les rainures et permettre l’extraction des baguettes en bois de Cervidé. Si l’on s’en réfère aux expérimentations conduites par A. Rigaud et à ses analyses des séries magdaléniennes de la Garenne (1972 et 1984), les outils utilisés pour l’extraction des baguettes ne devaient pas être en silex mais plutôt en bois de Cervidé. En effet, le silex a tendance à s’esquiller rapidement, voire à se casser, et à laisser des traces perpendiculaires à la rainure qui sont absentes du matériel archéologique (op. cit.). Les expérimentations réalisées par J. A. Mujika (1990) et A. Legrand (2000) vont aussi dans ce sens, au même titre que nos propres expérimentations et observations sur les séries gravettiennes (Goutas, sous presse). Enfin, il est aussi possible d’envisager que le recours au débitage par double rainurage pour la production des outils biseautés et plus largement des outils de transformation soit la conséquence d’un transfert de savoir-faire, initialement mis en œuvre pour les armes de chasse, puis appliqué à d’autres domaines de production par habitude, ou pourquoi pas parce que désormais investi d’une certaine charge culturelle. N’oublions pas que « toutes sortes de facteurs interviennent à des degrés divers pendant la chaîne d’exploitation d’une matière première » : des contraintes biologiques, naturelles, fonctionnelles, individuelles, sociales, symboliques et… culturelles (Pigeot, 1991, p. 171). LE DOUBLE RAINURAGE DANS D’AUTRES CONTEXTES DU GRAVETTIEN EN EUROPE De l’usage restreint du double rainurage en Europe orientale Les principales implications techno-économiques du double rainurage ayant été discutées, nous allons maintenant nous interroger sur la place différentielle qu’occupe ce procédé au sein des sociétés gravettiennes de France et d’Europe orientale (Russie). Le procédé d’extraction par double rainurage en Europe orientale est, comme en France, principalement 16 associé à la production d’armatures de projectile (en ivoire et plus rarement en os) ou de supports théoriquement compatibles avec ce type de production. Toutefois, et à la différence du Gravettien en France, l’utilisation de ce procédé reste très rare et les pointes de projectile en matières osseuses peu nombreuses, et ce malgré des états de conservation souvent exceptionnels. Cette très faible représentation des pointes de projectile ne peut donc être considérée comme la conséquence de problèmes de conservation différentielle. La chasse a presque exclusivement fait intervenir des armatures lithiques. Probablement en raison d’un contexte environnemental, géographique 17, économique et culturel très différent, l’adoption du double rainurage par les sociétés d’Europe orientale ne semble pas, cette fois, être liée à des changements dans Bulletin de la Société préhistorique française 451 l’équipement de chasse. La question est de savoir pourquoi la place de ce procédé reste très faible et pourquoi les habitants de la plaine de Russie l’ont quand même employé. La faible utilisation du double rainurage au sein des sociétés gravettiennes d’Europe orientale pourrait, indirectement, laisser présager de l’existence d’une triade « double rainurage/ bois de Cervidé/ armes de chasse ». Nos recherches sur le Gravettien de France ont en effet montré que l’utilisation du double rainurage était étroitement liée à une matière première – le bois de Renne – et à une production particulière – les armes de chasse. Pour des raisons économiques (plus grande résistance du bois de Renne à l’impact que l’os et l’ivoire, réfection plus aisée, etc.) et peut-être même symbolique (statut des matières exploitées), les groupes de cette zone géographique ont utilisé le bois de Renne comme matériau privilégié pour la confection de cet équipement si particulier (Goutas, 2004b). En revanche, en Europe orientale, les seuls exemples avérés d’utilisation du double rainurage concernent l’ivoire et l’os (Khlopatchev, 2001 ; Goutas, en préparation). Les baguettes produites sur ivoire ont surtout été produites selon un autre procédé consistant à extraire le support en percussion indirecte (fendage), mettant à profit une fissure naturelle longitudinale ou le délitage en strates de la défense (Khlopatchev, 2006). Concernant le bois de Renne, il n’a pas été exploité (ou exceptionnellement) en raison de la vraisemblable rareté du Renne à cette époque dans la plaine Russe (Goutas, soumis). De fait, on peut se demander si l’accès difficile au bois de Renne n’a pas pu, en partie, influer sur le fait que les hommes aient peu produit d’armatures de projectile non siliceuses, et par conséquent qu’ils aient désinvesti le débitage par double rainurage, au lieu de le transférer totalement sur les matières premières locales. Les os et l’ivoire de Mammouth, bien que très abondants dans la région à cette époque, leur semblaient peut-être peu adaptés à la production des pointes osseuses, aux gibiers chassés 18 ou bien encore à leurs stratégies cynégétiques. Il faut toutefois préciser qu’à l’exception du site de Kostienki 4 (c. inf et sup., ± 23/22 KBP), dont l’attribution culturelle est encore délicate, nos recherches ont principalement porté sur la tradition de « KostienkiAvdeevo » (± 22/± 20 KBP) (Kostienki 1-I, complexes 1 et 2 ; Gagarino ; Avdeevo, complexe 2 ; Kostienki 21-I, Kostienki 18). De fait, il sera nécessaire de prendre en compte des séries plus anciennes, telles que celle de Kostienki 8 (environ 28 KBP) afin de documenter la genèse du Gravettien dans la région et de vérifier si le double rainurage faisait partie du « bagage technique » des premiers occupants de la plaine de Russie, ou s’il fut adopté plus tardivement. Quoiqu’il en soit, si les sociétés gravettiennes d’Europe orientale ont perpétué l’usage du double rainurage, elles n’ont pourtant pas fait le choix de l’intégrer totalement à leurs systèmes techno-économiques. L’utilisation de ce nouveau procédé de débitage, bien que tourné principalement vers la production des pointes de projectile, ne revêt donc pas les mêmes enjeux économiques en France et en Europe orientale. 2009, tome 106, no 3, p. 437-456 452 Nejma GOUTAS De la nécessité d’étudier l’Europe centrale… Les différents schémas interprétatifs évoqués sur les mécanismes possiblement en cause dans l’apparition du double rainurage au Gravettien et sur le rapport très étroit entre ce procédé, la présence/absence du bois de Cervidé et des armatures de projectile, resteront bien entendu à confirmer ou à affiner par la poursuite de nos recherches sur les sociétés d’Europe occidentale et orientale et par la confrontation directe avec les séries d’Europe centrale. Ces dernières, incontournables par leur position géographique (interface Europe occidentale/orientale) et leur rôle dans le processus d’émergence et de diffusion du Gravettien en Europe, détiennent assurément des clefs de réponse aux questions que nous nous posons. Il sera nécessaire de vérifier si le débitage par extraction n’est réellement employé dans cette région qu’à partir de la phase moyenne de Willendorf. Et si oui, quels étaient les savoir-faire des premiers Gravettiens de la région ? Y trouve-t-on les germes de la « révolution technique » que va engendrer l’invention du débitage par double rainurage dans l’exploitation des matières osseuses ? Il nous faudra aussi analyser la place de ce procédé au sein des systèmes technoéconomiques locaux. Les bois de Renne y tenant une place non négligeable, il est nécessaire de vérifier si, dans cette région, ce procédé est aussi associé à une matière première et à un type de production. En définitive, nous souhaitons vérifier si à des systèmes cynégétiques différents et à des formes de déplacements différents sur le territoire correspondent des armes et des modes de production de l’armement différents. Ayant récemment entamé l’étude du Gravettien morave, et bien que nos observations ne concernent, pour l’heure et principalement, qu’un seul site (Predmosti : environ 26000 BP), il est d’ores et déjà intéressant de remarquer que le double rainurage ne semble pas avoir été utilisé et que les pointes de projectile en ivoire sont assez peu représentées (une dizaine d’exemplaires complets ainsi que plusieurs fragments). Parallèlement, le bois de Renne est une matière quasi absente sur le site. Tous ces éléments montrent des correspondances importantes avec l’Europe orientale. Nos recherches ne sont, cependant, pas suffisamment avancées pour que nous puissions en tirer des conclusions économiques et palethnologiques précises. Ces premières observations semblent néanmoins confirmer l’existence d’un lien discret entre une nouvelle manière de concevoir le débitage, une matière première et un objectif de production. L’analyse actuellement en cours des industries osseuses du site de Pavlov riches, cette fois, en bois de Renne, devrait nous permettre de préciser nos résultats préliminaires sur cette question. CONCLUSION En définitive, au sein de cette « mosaïque gravettienne » (Klaric, 2003) où des particularités régionales fortes s’expriment, traçant ainsi les contours de territoires culturels, l’analyse du mécanisme du cycle Bulletin de la Société préhistorique française invention/diffusion de l’extraction de baguette par double rainurage ouvre des perspectives palethnologiques des plus prometteuses. Ainsi, et au-delà des différents schémas évolutifs qui caractérisent le Gravettien en Europe, il ne s’agit pas pour autant d’un monde cloisonné puisque les hommes se déplacent et que les savoir-faire se transmettent sur de longues distances, suivant des voies de diffusion qui ont ellesmêmes vraisemblablement évolué au fil du temps. En analysant la place et les variations régionales du débitage par double rainurage dans différents contextes européens, notre objectif est de vérifier s’il existe ou non un fonds commun dans son application tant d’un point de vue pratique que conceptuel. In fine, il s’agit de pister des « traditions techniques » en tant que source d’informations paléohistoriques. Une tradition technique renvoie, en effet, à des « systèmes de choix et de prescriptions » dans des domaines d’activités techniques ou symboliques qui nous sont archéologiquement accessibles et qui se transmettent suivant des valeurs partagées par le groupe (Valentin, 2006). C’est pourquoi il y a fort à espérer que cet axe de recherche offrira de nouvelles clefs d’interprétation à la compréhension des dynamiques gravettiennes en Europe. Remerciements : Je remercie la fondation Fyssen pour l’intérêt, la confiance et le soutien qu’elle a témoignés pour mon projet de recherche sur les sociétés gravettiennes d’Europe orientale, ainsi que la fondation des Treilles pour son soutien dans le cadre de mes recherches sur l’Europe centrale. J’adresse aussi mes remerciements aux chercheurs russes avec qui j’ai eu le plaisir de travailler et qui m’ont permis d’accéder aux collections et aux informations nécessaires à ma recherche : Y.K. Chistov et G.A. Khlopatchev (Kunstkamera, Saint-Pétersbourg), N.D. Praslov, A.A. Sinitsyn, M. Zheltova, N. Burova (Institute of the History of Material Culture, Russian Academy of Sciences, Saint-Pétersbourg), S.A. Deminschenko (Ermitage, Saint-Pétersbourg), H.A. Amirkhanov, S.Y. Lev (Institut of Archaeology, Russian Academy of Sciences of Moscow), E. Bulochnikova (Museum and Institute of Ethnology and Anthropology of Moscow) et N. Khaykunova (State Historical Museum of Moscow). Je remercie le Pr. K. Valoch, M. Oliva (Institut Anthropos de Brno) et J. Svoboda (Institut archéologique de Dolni Vestonice) pour m’avoir autorisé l’étude des sites de Predmosti et de Pavlov. Mes remerciements s’adressent aussi à M. Zelinkova, M. Galetova, G. Dreslerova, Z. Nerudova et P. Neruda, M. Nyvltova Fisakova et M. Novak pour leur accueil des plus chaleureux et leur aide des plus précieuses durant mes séjours en République tchèque. Mes remerciements vont aussi aux membres du groupe de recherche européen Prehistos (coor. A. Averbouh, LAMPEA, UMR 6636, Aix-enProvence), pour les discussions enrichissantes que nous avons partagées en juin 2007 sur les questions relatives aux innovations techniques depuis le Paléolithique jusqu’aux Âges des métaux. Je remercie aussi M. O’Farell pour toute la littérature qu’elle a eu la gentillesse de mettre à notre disposition. 2009, tome 106, no 3, p. 437-456 Réflexions sur une innovation technique gravettienne importante : le double rainurage longitudinal Je remercie enfin des plus chaleureusement M. Christensen, B. Valentin, A. Averbouh, C. Normand, P. Chambon, D. Liolios, L. Klaric, G. Le Dosseur, A. Legrand, D. Pesesse, A. Brugère et A. Taylor pour nos échanges scientifiques des plus stimulants, mais aussi pour leurs conseils avisés ou leurs relectures des plus essentielles à la rédaction du présent article. NOTES (1) Selon les expressions de J. Pelegrin, in Valentin, 2006. (2) Nous signalons ici la thèse de S.B. Mertens car, comme son titre l’indique, The groove and splinter technique: a re-evaluation, elle porte sur le procédé du double rainurage. Malheureusement, ce mémoire de doctorat n’étant disponible qu’à Londres, il ne nous pas été encore possible de le consulter. (3) Cette problématique rejoint celle du groupe de recherche européen PREHISTOS, « L’exploitation des matières osseuses dans l’Europe préhistorique : apparition et diffusion des inventions techniques et fonctionnelles du Paléolithique à l’Âge du bronze » (coord. A. Averbouh, LAMPEA, UMR 6636), auquel nous sommes rattachée depuis sa création (fin 2006). (4) Nous renvoyons aussi le lecteur à l’article Goutas, 2003b, où nous avions critiqué ce type de raisonnement dans le cadre de la variabilité des débitages par extraction de baguette durant certaines phases du Gravettien. (5) Des datations beaucoup plus récentes (comprises entre 16000 et 15000 BP) ont toutefois été obtenues sur les sites de Zaraysk et de Borschevo 1 (Amirkhanov et Lev, 2004), ainsi qu’une datation plus ancienne pour le site de Kostienki 8/II (Sinistyn, 2007). (6) D’après les datations publiées (Gin 7995 : 22800 ± 120 BP ; Gin 7994 : 23000 ± 300 BP) par A.A. Sinitsyn et N.D. Praslov (1997). (7) Il est vrai, toutefois, que ce constat s’observe dans des contextes (Isturitz, Laugerie Haute) où il ne semble pas y avoir eu de difficulté dans l’approvisionnement en matière première (abondance des restes osseux et des bois de Cervidé). (8) Pointes à aménagement de « type d’Isturitz » non incluses dans ce décompte (environ 190, soit plus de 70 % du corpus de France), car 453 certaines de ces pièces nous semblent devoir être exclues de la catégorie typofonctionnelle des armatures de projectile (Goutas, 2008). (9) Ce qui fait une moyenne d’une vingtaine de pièces par site. Toutefois, seuls trois sites ont livré plus d’une cinquantaine de pointes à base fendue (les abris Blanchard, Castanet et la grotte d’Isuritz) et cinq sites en ont livré entre 17 et 33. Les autres sites étudiés par H. Knecht ont généralement livré moins de 10 pièces. (10) Bien entendu, d’autres facteurs interviennent aussi dans le choix de la matière première (osseuse ou lithique) pour la fabrication des pointes (voir notamment Cattelain, 1995 ; Pelegrin, 2000 ; O’Farrell, 2004). (11) Normalisation qui, comme nous l’avons déjà dit, reste toutefois à pondérer (cf. supra : discussion sur les baguettes et les pointes gravettiennes et magdaléniennes). (12) Un emmanchement mâle « désigne un système où la partie proximale de l’armature […] » s’insère dans « un dispositif en « creux « aménagé à l’extrémité de la hampe ». Pour l’emmanchement par contact, « l’armature et la hampe sont simplement mises en contact selon une surface relativement plane, la cohésion de l’ensemble n’étant assurée que par la colle et l’éventuelle ligature utilisées » (Pétillon, 2006, p. 18). (13) H. Knecht (1991a, p. 470) signale 68 pointes à biseau simple à Laugerie Haute est et ouest, mais dans ce décompte sont considérées 56 pointes de l’Aurignacien V (Protosolutréen), 6 sans attribution de couche et seulement 10 pour le Gravettien récent (n : 1) et final (n : 9). Pour notre part, nous n’avons pris en compte que les pointes gravettiennes stricto sensu (Périgordien VI et VII) et nous avons exclu cinq pièces intrusives en provenance de « l’Aurignacien V ». (14) Les recherches de J. Lacarrière (thèse en cours) devraient apporter un nouvel éclairage sur ces problématiques. (15) Les pointes gravettiennes peuvent être « réaffûtées sans modifier leur forme générale, alors que la réparation d’une pointe à base fendue – et dans une moindre mesure une pointe losangique – nécessite une réfection d’une ampleur plus importante (d’après Knecht, 1991b, p. 135, in Pétillon, 2006, p. 198). (16) Quelques aiguilles à chas (Gagarino, Kostienki 1-I et Kostienki 21) ont ainsi pu être produites à l’aide de ce procédé, mais, pour l’heure, les arguments techniques permettant de l’affirmer font défaut (matrices d’extraction, supports…). (17) À la grande variabilité du paysage français (vallées encaissées, reliefs montagneux, plateaux….) s’oppose l’immensité et une relative monotonie de la steppe toundra de la grande plaine de Russie. (18) Principalement des grands herbivores. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES ALBRECHT G. (1977) – Testing of materials as used for bone points of the Upper Palaeolithic, in H. Camps-Fabrer dir., Méthodologie appliquée à l’industrie de l’os préhistorique, Actes du 2e colloque international sur l’industrie de l’os dans la Préhistoire, abbaye de Sénanque, 9-12 juin 1976, Colloques internationaux du CNRS, n° 568, Paris, p. 119-124. AMIRKHANOV H.A., LEV S.Y. 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