Expérience de conservation d`un patrimoine bâti : cas des saho de
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Expérience de conservation d`un patrimoine bâti : cas des saho de
Expérience de conservation d’un patrimoine bâti : cas des saho de Kouakourou. Présenté par : Yamoussa Fané, chef de la Mission culturelle de Djenné. I. Introduction : Le Cercle de Djenné est réputé pour son architecture soudanienne, fruit du génie bâtisseur des maçons du Macina. Cette architecture exerce une fascination sur les visiteurs. Basée sur l’utilisation de matériaux et de savoir-faire locaux, cette technique architecturale a influencé les modes de construction de la sous–région. Elle n’a pas non plus laissé le colonisateur indifférent, en témoignent les bâtiments coloniaux de style néo-soudanais qu’on rencontre dans les tissus anciens des villes de Ségou et de Bamako. Auréolé par le succès de la première phase de restauration et de conservation de l’architecture de Djenné, financé par le Royaume des Pays Bas, les partenaires hollandais (Musée d’Ethnologie de Leiden) en initiant la seconde phase ont voulu l’étendre aux saho, une autre spécificité architecturale des villages bozo du Delta intérieur du Niger. Les Bozo sont de brillants constructeurs et leur créativité s’exprime surtout dans les saho, qui sont des maisons communautaires des jeunes. Ce patrimoine bâti présent dans plusieurs villages bozo du Pondori dont surtout Sirimou, Kolenzé, Kouakourou, Koa, Yonga, Pora Bozo et Nouh Bozo, pour ne citer que ces exemples, a attiré depuis la période coloniale de nombreux chercheurs. De nombreuses publications documentaires et photographiques concernant l’architecture en Afrique, ont réservé une place importante aux saho. 2 Sergio Domian, auteur du livre Architecture Soudanaise : vitalité d’une tradition urbaine et monumentale, Mali, Côte d’Ivoire, Burkina Faso et Ghana, consacre plusieurs chapitres à ce patrimoine bâti. Depuis des décennies, de nouveaux saho ne se construisent plus et ceux qui restent sont laissés à l’abandon ou défigurés par un entretien sommaire. Des bas –reliefs ont disparu ainsi que d’autres motifs. Cette dégradation est attestée par les récentes photographies. La disparition des saho s’explique par les mutations socioculturelles que connaissent les sociétés africaines. En effet, depuis des années, ces édifices se dégradent inéluctablement suite à la paupérisation des populations, aux nécessités économiques croissantes, le refus des jeunes de se plier aux contraintes traditionnelles et la fin du communautarisme. Eu égards aux menaces que courent ces joyaux architecturaux, le Musée d’Ethnologie de Leiden a décidé de les restaurer afin de les préserver de la disparition et du coup les intégrer dans le circuit touristique. Ce programme de restauration des saho s’inscrit dans le vaste projet de restauration et de conservation de l’architecture de Djenné dont elle est une des composantes. II. Brève description et état des lieux des saho : Le saho est donc la maison traditionnelle des jeunes en milieu bozo, surtout dans le cercle de Djenné. C’est un espace de rencontre, de socialisation des jeunes du village. Dans les villages bozos du Delta intérieur, coexistent deux centres de vie sociale : le religieux symbolisé par la mosquée et le laïc, représenté par le saho, maison des adolescents. Le saho, est un véritable monument, au même titre que la mosquée. C’est en général un édifice avec un étage surélevé, surmonté d’une terrasse bordée d’une balustrade décorée de troncs de palmiers en saillie. A l’extérieur, le saho se distingue des autres habitations par leurs bas-reliefs, qui représentent des symboles phalliques ou des motifs rituels. Le saho ou maison communautaire des adolescents est une spécificité architecturale des bozos du Delta intérieur du Niger. Il est un centre de vie sociale, témoin de l’ancienne tradition bozo qui veut que les jeunes célibataires après la circoncision quittent le domicile paternel et séjournent jusqu'à 3 leur mariage dans le saho, des maisons richement décorées qu’il a contribué à bâtir sous l’autorité d’un chef, pour recevoir une initiation. Il est une maison commune avec des chambres équipées de lits où les jeunes se retrouvent pour dormir ou écouter de la musique ou s’adonner à des activités récréatives. Bref le saho est un endroit pour dormir et se retrouver. Sa construction est l’affaire de tous et chacun y apporte sa pierre à l’édifice. La décision de construire un saho dans un quartier appartient à la communauté villageoise. L’autorisation donnée, la collecte des matériaux nécessaires à la construction commençait, et tous les jeunes apportaient leur contribution. La communauté décide du choix du maître maçon. On faisait d’ordinaire appel aux maçons de Djenné. Les jeunes préparent la carrière à banco et les autres matériaux de construction. Avant le début des travaux, un vieil homme du quartier déposait une brique à l’entrée afin d’éloigner les sorciers et d’empêcher les jeunes filles d’introduire des objets magiques dans le saho. Après ce rituel, la construction peut commencer. Une fois le saho achevé, le chef du quartier distribuait les chambres. Selon Pierre Maas et Geert Mommersteeg auteurs du livre Djenné chef-d’œuvre architectural, les saho découlent de la structure sociale qui caractérise le village. Chaque saho est issu d’un groupe de familles, d’une ethnie ou d’un privé. La plupart des garçons selon les auteurs du livre choisissent le saho où leur père et leur frère ont dormi, question de perpétuer la tradition. Tout comme la mosquée, le saho se voit de loin. Sa construction dépasse les maisons villageoises. Ils sont ornés de motifs divers où prédomine la symbolique sexuelle. Tant qu’il est utilisé, il est crépi annuellement. Malheureusement, l’austère pouvoir religieux de la mosquée ne fait pas le meilleur ménage avec le genre laïc-libertin du saho. Les vieux saho se délabrent après les saisons des pluies et l’usure du temps. III. Les travaux de restauration des saho : Les travaux de réhabilitation et de conservation ont concerné trois saho à Kouakourou. Il s’agit des saho Bayon Kube, Jamonati et Kouana Tourou. Les travaux se résument pour chacun d’eux comme suit : 4 1. Le saho Bayon Kube • Reconstruction totale. Etapes de la restauration des saho de Kouakourou 1. saho Bayon Kubé 5 2. Le saho Jamonati Ce saho, construit en 1937 par Bakomani, un maçon de Djenné était dans un état de délabrement avancé. Les travaux à réaliser se résument comme suit : • Reconstruction du premier étage ; • Reconstruction du toit ; • Réparation des escaliers ; • Réparations des éléments décoratifs • Crépissage. La toiture du bâtiment a été entièrement reprise ainsi que les éléments décoratifs intérieurs (les niches) et certains éléments décoratifs extérieurs tels que les phallus, les rebords et les arcs à ogive. 2 saho Jamonati 6 3. Le saho Kouana Tourou • Reconstruction du bâtiment ancien, en respectant les anciennes structures (mur rond, escalier) • Crépissage 3. saho Kouana Tourou 7 IV Importance de la conservation des saho Les saho, sont le résultat de la créativité des Bozo du Delta intérieur du Niger. Ils constituent le cadre de vie de ces communautés, leur identité et restent indispensables pour leur bien être, leur éducation et leur équilibre social. Un des bénéfices au plan culturel de la conservation des saho, est l’appropriation de ce patrimoine et la préservation du savoir faire unique de sa construction en voie de disparition. Elle permet la pérennité des traditions séculaires de construction. La conservation des saho, permettra d’assurer l’émergence d’une conscience collective de conservation et de susciter au niveau des jeunes locataires de ce patrimoine bâti, de perpétuer cette tradition millénaire de vie communautaire dans les saho pour les générations futures. La conservation des saho est un atout sur pour un développement harmonieux et durable des communautés villageoises. Cette conservation du patrimoine bâti que constituent les saho, donnera un coup de fouet au tourisme culturel. Le tourisme culturel reposant sur les valeurs patrimoniales sera la seconde activité économique après l’agriculture et la pêche. La réhabilitation des saho, permettra donc l’émergence d’une conscience collective favorable à la conservation du patrimoine bâti. V. Les résultats Les saho ont intégré le circuit touristique et reconstituent le cadre social de rencontre des jeunes desdits villages. IV. Les difficultés : • Faible participation locale liée au calendrier agricole à Kouakourou ; • Faible perception des populations du concept de restauration malgré la sensibilisation à Kouakourou. V. Les recommandations : • La poursuite du projet de restauration des saho à Kolenzé, Kwa, Nouh Bozo, Pora Bozo, Yonga permettra de préserver ce patrimoine bâti de la disparition, • L’Inventaire et la documentation de ce patrimoine bâti dans les villages qui en recèlent, peuvent être le seul gage de sa sauvegarde durable, 8 • Le renforcement des capacités d’intervention des maçons, garants de la pérennité de ce patrimoine bâti en leur donnant une formation de qualité, • La réalisation de matériel promotionnel permettra de mieux faire connaître ce riche patrimoine bâti, • L’éducation des jeunes au patrimoine afin qu’ils s’approprient ce patrimoine bâti et s’impliquent dans sa conservation. • Privilégier l’approche participative VI. Conclusion Le projet de restauration et de conservation du patrimoine bâti en général et des saho en particulier, a permis de sauver de la ruine ces maisons monumentales et de conserver cette architecture remarquable, un vecteur de l’identité nationale et symbole de l’éducation traditionnelle en milieu bozo. Sa poursuite permettra de mieux conserver et valoriser ce patrimoine architectural, unique au Mali et du coup d’assurer l’émergence d’une conscience collective de conservation. Elle suscitera une saine émulation au sein des jeunes locataires de ce patrimoine bâti ainsi que la perpétuation d’une tradition millénaire de vie communautaire dans les saho pour les générations futures. 9