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L I V R E S
Reviens, Voltaire,
ils sont devenus fous
de Philippe Val
Paris, Grasset, 2008, 300 p., 18,50 €
par Vincent Laloy
S
OUS CE TITRE ACCROCHEUR le directeur de Charlie Hebdo revient avec force
détails sur la publication, par son journal, de caricatures de Mahomet, une affaire
qui agita beaucoup les médias, et sur la démission forcée de l’hebdomadaire satirique
du caricaturiste Siné, lequel avait ironisé sur l’éventuelle conversion au judaïsme de
Jean Sarkozy pour pouvoir épouser l’héritière de l’empire Darty.
Une majorité de soumission
Concernant les caricatures, la classe politique montra un bien vilain visage. Un chef
d’État un peu oublié, inconsolable soutien de Saddam Hussein, et qui s’était auparavant prononcé contre la sortie du livre de Salman Rushdie, invita par exemple la mosquée de Paris à porter plainte contre Charlie Hebdo après les fameuses caricatures,
qu’il qualifia de « provocations ». Il alla jusqu’à « prêter » son avocat attitré aux religieux musulmans: « Chirac, écrit l’auteur, a varié sur bien des points au cours de sa
vie. Mais sur sa bienveillante compréhension pour les fanatiques religieux, dont il présente l’extrémisme comme une vieille culture à laquelle ces bourrins d’Européens ne
comprennent rien, il n’a jamais varié ».
En revanche, alors que tout sépare Philippe Val du ministre de l’Intérieur d’alors,
Nicolas Sarkozy, celui-ci se prononça pour la publication des caricatures, préférant en
effet « un excès de caricatures à une absence de caricatures » et apportant son soutien
sous forme d’un témoignage écrit, versé aux débats du procès.
Cette affaire révèle l’esprit de démission qui s’est emparé de la quasi-totalité de la
classe politique et des médias. Car, à la notable exception de Nicolas Sarkozy et, dans
une moindre mesure, de François Bayrou, François Hollande et Bertrand Delanoë, les
autres ont été possédés par la peur. Gauche et droite n’ont rien dit ou, plus grave,
n’ont rien osé dire.
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histoire & liberté
Les journalistes n’ont pas été non plus très nombreux à monter au créneau, si ce
n’est Denis Jeambar qui, à L’Express et malgré les pressions du groupe Dassault, a osé
suivre Charlie Hebdo. En revanche, Bernard Guetta, Daniel Schneidermann et
Stéphane Paoli ne sortent pas grandis du débat, pas plus que la Ligue des droits de
l’homme, plus apte à défendre le coupable que la victime et qui, selon l’auteur, a « fini
par nourrir une certaine sympathie pour la cause ».
Philippe Val montre ce qui unit les défenseurs de cette attitude, de l’extrême
gauche à la droite extrême. « Ce groupe politico-intellectuel […] semble avoir peu
de points en commun » si ce n’est une certaine idée de la nation, qui, parlant souverainement, peut tout se permettre, sans considération pour les droits de
l’homme et les valeurs fondamentales de la civilisation comme la liberté d’opinion,
le droit à la critique. C’est pourquoi, plus d’une fois, on a pu trouver les meilleurs
avocats du droit à la caricature parmi des religieux ou des laïcs de confession
musulmane, et ses dénonciateurs les plus radicaux dans la mouvance des extrêmes :
« D’anciens maos, marxistes, néotrotskistes, chrétiens d’extrême gauche, alter-souverainistes diplomatiques, eux dont la réunion, vingt ans auparavant, pouvait passer pour la forge de la laïcité radicale, les voilà tous devenus soucieux du respect de
la liturgie (musulmane)… ».
À nier le péril…
Au fond, que recherchent les intégristes? « Leur plus grande victoire serait d’obtenir
qu’au nom de la lutte contre la discrimination, on réduise la liberté d’expression. Ils
pourraient ainsi faire avancer les revendications les plus insensées sans avoir à subir le
feu de la critique, puisque critiquer l’islam serait assimilé à un racisme ». Et de poursuivre sur des principes que la classe politique n’ose jamais évoquer: « Il faudrait que
l’autocensure, pardon, la responsabilité, ne s’exerce que dans un seul sens, celui des
États de droit vers les dictatures. L’inverse n’est jamais évoqué […]. Si nous pensons
que les démocraties et leur cortège de libertés doivent s’adapter aux dictatures et non
les dictatures aux démocraties, c’est que nous n’avons plus foi dans la liberté que nous
ont léguée ceux qui se sont battus pour elle ».
Philippe Val rappelle un des thèmes les plus fréquemment présents chez ceux qui
veulent interdire ces caricatures, la mise sur le même plan du nazisme et du colonialisme et les syllogismes suivants: les Juifs sont des colons, or ces colons ont des méthodes
de nazis, les Juifs sont donc des nazis; les Européens en Algérie étaient des colons, or etc.
etc. L’auteur bondit: « Si le colonialisme avait été aux Algériens ce que le nazisme a été
pour les Juifs, verrions-nous les consulats français […] pris d’assaut par des milliers
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d’Algériens qui veulent vivre et travailler en France? A-t-on vu des milliers de Juifs se
précipiter en Allemagne pour y vivre, après la découverte des camps de la mort? »
L’auteur rappelle qu’on devrait au contraire relever qu’il y eut dans le passé des
rapprochements entre certaines personnalités du monde musulman et le nazisme.
Ainsi, le grand mufti de Jérusalem, Al Husseini, fut le docile auxiliaire de Hitler
auquel, en 1941, il demandait son onction pour liquider les Juifs, selon les méthodes
scientifiques des nazis. Pas un pays arabe ne semble avoir jamais réprouvé publiquement ces liens…
S’agissant de la question palestinienne, Philippe Val s’interroge aussi: « Le malade
palestinien » n’est-il pas devenu un fonds de commerce idéologique tellement rentable qu’on est en droit de se demander si sa guérison est vraiment souhaitée ou
même si l’on y pense, parfois… ? ». Il remarque que les pays arabes se moquent
comme d’une guigne des Kurdes au nombre de près de 30 millions, des musulmans
ouïgours réprimés par les Chinois, des Tchétchènes massacrés par Poutine, élevé
pourtant au plus haut grade de la Légion d’honneur par Jacques Chirac.
« Alors, pourquoi les Palestiniens? », interroge Val.
La réponse est claire: « Parce qu’ils sont en guerre contre des Juifs, défendus par
l’Amérique ».
Philippe Val en vient aussi au second reproche fait à l’équipe de Charlie hebdo, qui
est de s’être débarrassé de Siné. Ah, l’enfant de cœur! N’est-ce pas lui qui déclarait en
août 1982 sur Radio carbone, en réponse aux bombardements israéliens au Liban:
« Je vais faire dorénavant des croix gammées sur tous les murs. […] Je veux que
chaque Juif vive dans la peur »?
Le caricaturiste poussé à quitter Charlie Hebdo a pourtant été aussitôt soutenu par
des personnalités comme Rony Brauman, Olivier Besancenot, Gilles Perrault, Michel
Onfray et Daniel Bensaïd. Même Plantu s’empressa dans Le Monde de représenter Val,
déguisé en nazi lançant le salut hitlérien, et renvoyant sans ménagement le pauvre
Siné, victime du système et d’« une presse aux ordres du pouvoir sarkozyste », pour
reprendre les termes d’Edwy Plenel.
Le livre de Philippe Val constitue un témoignage essentiel sur le degré d’aliénation
intellectuelle d’une partie de la classe politique et des médias, et il faut lui savoir gré
d’exprimer sa critique sans ambages, dans la lignée d’un Revel et le prolongement des
Pierre-André Taguieff, Caroline Fourest et Antoine Vitkine.
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