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SCIENCE & MÉDECINE ARGENT & PLACEMENTS ZIKA : L’ÉPIDÉMIE EN 10 QUESTIONS SUPPLÉMENT SUPPLÉMENT → Mercredi 3 février 2016 72e année No 22099 2,40 € France métropolitaine www.lemonde.fr ― Fondateur : Hubert BeuveMéry Directeur : Jérôme Fenoglio Google, nouveau roi de Wall Street ▶ Alphabet, la maison ▶ La capitalisation de ▶ La croissance est portée mère de Google, a an noncé des résultats record, qui ont fait grimper sa valeur en Bourse à 555 milliards de dollars l’entreprise américaine dé passe désormais celle d’Ap ple. Son bénéfice a atteint, en 2015, 23 milliards de dollars, en hausse de 23 % par ses métiers historiques – le moteur de recherche, YouTube, Android – qui génèrent toujours plus de publicité ▶ Mais la société perd de l’argent dans les nouvelles technologies, comme la santé, les voitures sans conducteur, la domotique ▶ Cinq des neuf plus im portantes valeurs de la Bourse américaine sont désormais des entreprises issues du hightech → LIR E LE C A HIE R É CO PAGE S 1 ET 6 SANTÉ CANCER : DES TAUX DE GUÉRISON DE PLUS EN PLUS ENCOURAGEANTS → LIR E Ted Cruz, la surenchère populiste EMPLOI LES RÉGIONS ENRÔLÉES DANS LA LUTTE CONTRE LE CHÔMAGE → LIR E ▶ Le sénateur du Texas a nettement devancé Donald Trump dans l’Iowa LA GRANDE MISÈRE DES PROSTITUÉES CHINOISES DE BELLEVILLE comme le candidat modéré des républicains ▶ Chez les démocrates, Bernie Sanders fait presque jeu égal avec Hillary Clinton → LIR E ▶ Le vote de l’Iowa ne préjuge SYRIE pas du résultat national et est une victoire des « antisystème » Ted Cruz à l’annonce des résultats. PAGE 2 E T L’ É DITOR IA L PAGE 2 2 JIM YOUNG/REUTERS CINÉMA « ANOMALISA », UN FILM SOMBRE, DRÔLE, OUVERT C’ est l’histoire étonnante d’une pièce de théâtre qui se transforme en film d’animation. Anomalisa, le film de Charlie Kaufman et Duke Johnson, est une œuvre singulière, fascinante et innovante. Il se passe à l’Hôtel Fregoli : « J’avais lu des choses sur le syndrome de Fregoli, dit Charlie Kaufman. Ceux qui souffrent de ce délire pensent que PAGE 7 SOCIÉTÉ ▶ Marco Rubio s’impose → LIR E PAGE 9 POLITIQUE leur entourage n’est qu’une seule et même personne », illustration de cette impossibilité d’entrer en con tact avec les autres. La semaine s’ouvre encore avec La Marcheuse, de Naël Maran din, la vie d’une clandestine prostituée, ou Chocolat, l’his toire du clown afrocubain, de Roschdy Zem. CHRISTIANE TAUBIRA S’EXPLIQUE SUR SON DÉPART par jean-baptiste jacquin et thomas wieder → LIRE P. 16 À 19 E lle avait quitté son minis tère en enfourchant son vélo jaune, le 27 janvier. Cinq jours plus tard, c’est avec une rose rouge à la main que Christiane Taubira débarque chez son éditeur, où viennent tout juste d’arriver les premiers exem plaires de son livre, Murmures à la jeunesse (éd. Philippe Rey, 94 p., 7 euros), imprimé dans le plus PAGE 1 1 LES CIVILS, VICTIMES DES VILLES ASSIÉGÉES → LIR E PAGE 4 grand secret en Espagne alors qu’elle était encore garde des sceaux. Une rose : le symbole se passe de mots, et il suffit de voir son sourire malicieux pour com prendre qu’elle se plaît assez dans le rôle que certains lui prêtent, ce lui d’icône d’une gauche en quête de visages pour incarner l’espé rance. → LIR E L A S U IT E PAGE 8 LE REGARD DE PLANTU « UN FILM PUISSANT ET AMBITIEUX » MARIANNE TÉLÉRAMA COUP DE CŒUR Julie Bertuccelli dans ELLE CRÉATION PHOTOS © FOLAMOUR - CRÉDITS NON CONTRACTUELS UN FILM DE NAËL MARANDIN QIU LAN YA N N I C K C H O I R AT LO U I S E C H E N P H I L I P P E L AU D E N B AC H LE 3 FÉVRIER AU CINÉMA /LaMarcheuse REZOFILMS.COM Algérie 200 DA, Allemagne 2,80 €, Andorre 2,60 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,40 €, Cameroun 2 000 F CFA, Canada 4,75 $, Côte d'Ivoire 2 000 F CFA, Danemark 32 KRD, Espagne 2,70 €, Espagne Canaries 2,90 €, Gabon 2 000 F CFA, Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,60 €, Guyane 3,00 €, Hongrie 990 HUF, Irlande 2,70 €, Italie 2,70 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,40 €, Malte 2,70 €, Maroc 15 DH, Pays-Bas 2,80 €, Portugal cont. 2,70 €, La Réunion 2,60 €, Sénégal 2 000 F CFA, Slovénie 2,70 €, Saint-Martin 3,00 €, Suisse 3,60 CHF, TOM Avion 480 XPF, Tunisie 2,80 DT, Turquie 11,50 TL, Afrique CFA autres 2 000 F CFA 2 | international 0123 MERCREDI 3 FÉVRIER 2016 De gauche à droite et de haut en bas. La déception de Donal Trump, la joie des partisans de Bernie Sanders et Ted Cruz ; le discours d’Hillary Clinton, le 31 janvier à Des Moines. DARCY PADILLA/VU POUR « LE MONDE » ; ALEX WONG/GETTY IMAGES/AFP ; CHARLIE NEIBERGALL/AP Dans l’Iowa, Trump chute et Clinton piétine Les caucus de lundi marquent la percée du républicain Ted Cruz et la résistance du démocrate Bernie Sanders des moines (iowa) - envoyé spécial E n prenant congé, lundi après-midi 1er février, du public venu l’entendre dans la petite ville de Jefferson, avant-dernière étape de sa campagne de l’Iowa, le sénateur républicain du Texas Ted Cruz avait formulé trois requêtes : « voter », « faire voter » et « prier ». Sur les deux premiers points, on peut assurer qu’il a été entendu, confirmant l’aversion des électeurs de l’Iowa pour les victoires annoncées par les sondages. Profitant d’une mobilisation exceptionnelle de l’électorat conservateur, M. Cruz, 45 ans, l’a en effet emporté avec 28 % des voix sur celui qui faisait figure de favori, Donald Trump (24 %), dans la course à l’investiture républicaine pour l’élection présidentielle du 8 novembre. Un autre sénateur, cette fois-ci du Vermont, l’indépendant Bernie Sanders, avait demandé la même chose à ses soutiens au cours des dernières semaines, à l’exception du troisième point. Il a lui aussi créé la surprise en obtenant, selon sa propre expression, « un quasi-match nul » avec une autre favorite, l’ancienne secrétaire d’Etat Hillary Clinton, pour l’investiture démocrate. Un résultat longtemps trop serré pour qu’un vainqueur ait pu être proclamé lundi soir à Des Moines. Dans la nuit de lundi à mardi, l’équipe de campagne de Mme Clinton a annoncé sa courte victoire. Après avoir imposé pendant sept mois ses foucades et ses thèmes de campagne à un camp républicain souvent tétanisé, impressionné par sa capacité d’attraction vis-à-vis d’un public majoritairement conservateur en rupture de ban avec la politique, M. Trump, 69 ans, affrontait pour la première fois le jugement des électeurs. Sa deuxième place, dont il s’est dit « honoré », lundi soir, au cours d’un discours marqué par une inhabituelle humilité, est pourtant doublement décevante. M. Trump a tenté de masquer la déception en multipliant les traits d’humour, envisageant ainsi l’achat d’une ferme dans cet Etat rural. Mais il n’est pas parvenu à contenir M. Cruz, après avoir pourtant alimenté les doutes sur son éligibilité – M. Cruz est né au Canada –, une tactique douteuse qu’il avait déjà utilisée il y a quatre ans, lors de la campagne contre le président démocrate sortant, Barack Obama. M. Trump est également talonné par un autre sénateur, Marco Rubio (23 %), élu de Floride. Ce dernier, 44 ans, a prononcé pour sa part un véritable discours de victoire lundi, convaincu d’avoir fait un grand pas pour s’imposer comme le candidat modéré de son camp par rapport à d’autres prétendants. Tout d’abord, l’ancien gouverneur de Floride Jeb Bush (3 %), son ancien mentor, mais aussi les gouverneurs du New Jersey et de l’Ohio Chris Christie (2 %) et John Kasich (2 %), qui ont été complètement laminés dans cet Etat rural. M. Rubio avait emprunté à M. Cruz et à M. Trump leur rhétorique catastrophiste ces dernières semaines. Il a immédiatement renoué avec une tonalité plus optimiste, développant, lundi soir, devant ses partisans, le thème d’un « nouveau siècle américain », son slogan initial de campagne. COURSE PAR ÉLIMINATIONS Le sénateur de Floride s’est également empressé de se présenter comme le meilleur rassembleur d’un camp divisé. Il aura fort à faire pour convaincre M. Cruz, qui a analysé au contraire sa victoire comme celle d’une base conservatrice peu disposée à en rabattre sur ses convictions. Après avoir remercié Dieu, sous l’œil attentif de son père, pasteur baptiste, M. Cruz a assuré que sa victoire était la preuve que le choix du candidat républicain pour la présidentielle « ne sera pas décidé par les médias, ni par Washington, ni par les lobbys ». Le sénateur du Texas peut d’autant plus se réjouir de son succès qu’il a subi la concurrence du neurochirurgien Ben Carson, très apprécié par les conservateurs religieux bien implantés dans cet Etat rural. Ce dernier est parvenu à rassembler près de 10 % des voix en dépit d’une campagne en chute libre. Le trio de tête républicain va en découdre désormais dans le New Hampshire, premier Etat à organiser des primaires (le 9 février) après le premier caucus de l’Iowa. M. Rubio y a d’ailleurs atterri en famille peu après minuit. Après avoir concentré ses attaques contre M. Cruz, M. Trump, donné favori, pourrait se tourner contre M. Rubio, compte tenu de la sociologie de cet Etat, qui est plus favorable à ce dernier que l’Iowa. S’il a félicité lundi soir le vainqueur après l’avoir agoni pendant un RÉSULTATS DU CAUCUS DE L’IOWA, LE 1ER FÉVRIER, EN % CAUCUS RÉPUBLICAIN 27,7 Ted Cruz 24,3 Donald J. Trump 23,1 Marco Rubio 9,3 Ben Carson Rand Paul 4,5 2,8 Jeb Bush CAUCUS DÉMOCRATE Hillary Clinton 49,9 Bernie Sanders 49,6 Martin O’Malley 0,6 99 % des bulletins dépouillés Marco Rubio a prononcé un discours de victoire lundi, convaincu d’avoir fait un grand pas pour s’imposer comme le candidat modéré du camp républicain SOU RCE : « THE NEW YORK TIMES » mois, le magnat de l’immobilier n’a d’ailleurs pas eu un mot pour le sénateur de Floride. Donald Trump dispose à cet effet d’arguments vis-à-vis d’un candidat qu’il avait jusqu’à présent ménagé. Il peut en effet dénoncer la présence du sénateur au sein du « Gang des huit », les élus républicains qui avaient accepté en 2013 de s’associer aux sénateurs démocrates pour rédiger une réforme de l’immigration. M. Trump, qui se targue de son indépendance financière, condition selon lui de son autonomie politique, peut également mettre en cause la dépendance de M. Rubio à l’égard de ses donateurs. La course par éliminations que constituent les primaires et les caucus a produit à nouveau ses effets lundi avec la décision du vainqueur républicain de 2008, Mike Huckabee, ancien gouverneur de l’Arkansas, de « suspendre » sa candidature après un revers cuisant (2 %). Il pourrait en aller rapidement de même avec le vainqueur républicain de l’Iowa en 2012, Rick Santorum (1 %), du sénateur du Kentucky Rand Paul (4 %), dont le siège au Sénat est remis en jeu en novembre, ou de la seule républicaine en lice, Carly Fiorina (2 %), ancienne responsable de Hewlett-Packard. Côté démocrate, l’ancien gouverneur du Maryland Martin O’Malley a également tiré les leçons d’un résultat particulièrement piteux (0,6 %). Ce retrait officialise le duel inattendu qui domine la course à l’investiture démocrate et qui oppose Hillary Clinton à Bernie Sanders. Les deux candidats, qui défendent des positions identiques s’agissant de la suppression des inégalités salariales entre hommes et femmes, ou la nécessité de la lutte contre le réchauffement climatique, s’opposent cependant sur l’ampleur et les modalités des réformes qu’ils souhaitent mettre en œuvre. M. Sanders, qui a dénoncé lundi soir, après M. Cruz, le poids des médias et des lobbys, a plaidé une nouvelle fois pour une « révolution politique ». Mme Clinton, qui a tenu à se définir lundi soir comme « progressiste », plaide au contraire pour un changement graduel et pour une approche pragmatique qui ne convainc pas le sénateur du Vermont. L’ancienne secrétaire d’Etat, qui a évité lundi soir l’humiliation d’une nouvelle déroute, après l’échec essuyé en 2008 face à Barack Obama, est cependant condamnée à une guerre d’usure contre M. Sanders. Le très bon résultat obtenu par ce dernier dans l’Iowa, où il a longtemps été donné battu à plates coutures, va en effet décupler l’énergie de ses militants tout en lui garantissant les rentrées financières dont il va avoir besoin. Le calendrier immédiat lui est également favorable puisqu’il domine pour l’instant dans le New Hampshire, Etat voisin de son Vermont d’élection. M. Sanders a limité jusqu’à présent ses attaques contre Mme Clinton à ses liens supposés avec Wall Street. Le 29 janvier, il a refusé une nouvelle fois d’utiliser la polémique sur l’usage par Mme Clinton d’un serveur et d’une adresse électronique privée pendant ses années au département d’Etat (2009-2013), alors que cette administration avait annoncé avoir découvert que des courriers classés top secret avaient transité par cette messagerie. L’équipe de campagne de la candidate, qui avait assuré le contraire, a fait valoir que cette classification avait été introduite a posteriori. De son côté, Hillary Clinton peut difficilement s’en prendre au sénateur du Vermont sans risquer de s’aliéner l’électorat jeune dont elle aura besoin, si elle parvient à remporter l’investiture démocrate, face au candidat républicain qui se sera imposé de son côté. L’engouement que suscite celui qui se définit comme un social-démocrate à la scandinave et qui galvanise ses troupes avec ses tirades frappées de son accent de Brooklyn lui garantit la meilleure des protections. p gilles paris international | 3 0123 MERCREDI 3 FÉVRIER 2016 La Birmanie s’engage dans une cohabitation inédite L’assemblée élue en novembre 2015, dominée par les partisans d’Aung San Suu Kyi, est entrée en fonctions L e parti d’Aung San Suu Kyi aura dû patienter un quart de siècle depuis les élections de 1990 qui lui furent volées par la junte. Lundi 1er février, un Parlement dominé par la Ligue nationale pour la démocratie (LND) a enfin tenu sa session inaugurale. Bon nombre de ses nouveaux députés entraient pour la première fois à l’assemblée de Naypyidaw, capitale du Myanmar. « C’est comme entrer à l’université », a confié Htoot May, qui compte parmi ces nouveaux parlementaires, au site d’information The Irrawaddy. Aung San Suu Kyi, de son côté, évitant les flashs des photographes, est entrée par une porte dérobée. Avec 77 % des suffrages, la LND avait emporté une victoire écrasante lors des élections du 8 novembre 2015. Toutefois, la Constitution, taillée sur mesure par la junte en 2008, garantit qu’un quart des sièges revient aux mili- taires : lundi, dans l’hémicycle, on pouvait d’ailleurs clairement identifier ces derniers par leurs chemises vertes. Malgré ses 255 sièges sur 440, le parti majoritaire a donc dû se préparer à cette étrange cohabitation, entre des parlementaires incarnant l’autoritarisme du passé et de nouveaux visages associés à la très populaire fille du général Aung San, fondateur de l’Union de Birmanie. Les élus de la LND ont dû se former à l’exercice du pouvoir. Le parti avait organisé des séminaires sur le fonctionnement des institutions, une tâche pédagogique confiée à Myo Yan Naung Thein, un ancien des manifestations en faveur de la démocratie réprimées en 1988, qui fut emprisonné à deux reprises par la suite. « Ils voulaient savoir comment fonctionne la Constitution, les procédures, ce qu’ils ont le droit de faire et les problèmes qu’ils peuvent évoquer », résume, par télé- Les Cubains de Paris hésitent à se rapatrier Les salaires restent extrêmement faibles dans l’île en dépit de l’ouverture économique J’ espère retourner à Cuba dans quelques mois », confie Alexis (tous les prénoms ont été modifiés), debout derrière le bar du café parisien où il travaille. Comme 2 800 autres natifs de l’île – selon le Quai d’Orsay –, il a choisi de vivre en France, où le président cubain Raul Castro est en visite officielle lundi 1er et mardi 2 février. A cette occasion, François Hollande a soutenu fermement, lundi, la levée de l’embargo américain qui frappe l’île depuis 1962. « Je n’ai pas changé d’avis : je suis toujours en désaccord avec le système cubain », assure Alexis. Et pour cause : enfant, il a vu sa mère, une intellectuelle révolutionnaire déçue, quitter l’île, puis son père perdre son emploi à cause de ses critiques contre le régime. A 20 ans environ, il a saisi ce qu’il pense être l’opportunité d’une vie : « Je me suis marié à une Française… par amour ». Un ticket aller, supposé sans retour. Mais un vent d’ouverture souffle sur le pays communiste depuis l’arrivée de Raul Castro à la tête de l’Etat, en 2008. Des changements transforment l’économie, étatisée dans sa quasi-totalité. Les Cubains peuvent désormais travailler à leur compte. Alexis le sait. Malgré son héritage politique anticastriste, il rêve d’un avenir à Cuba. « J’ai essayé beaucoup de choses à Paris, j’ai même pris des cours de théâtre, mais c’est dur d’avancer », lâche-t-il. Entre crise de la quarantaine et mal du pays, il se projette : « J’ai suivi des formations pour ouvrir un magasin de glaces à La Havane. » Cet horizon d’opportunités n’attire pas Andy, Jorge et Juan, trois autres Havanais vivant à Paris. « Il y a un avant et un après la chute du mur de Berlin. Avant, on Juan apprécie trop sa situation d’enseignant pour la risquer contre les 18 euros de salaire mensuel moyen cubain pouvait vivre de son salaire à Cuba », se souvient Jorge, la quarantaine. Après, la Russie a cessé d’approvisionner son ex-partenaire en pétrole, céréales, médicaments, et le pays, sous l’embargo des Etats-Unis, a sombré dans une crise provoquant une chute du PIB de 38 % en 1990. Ce sont les prémisses de la « période spéciale », le nom donné par Fidel Castro à des années de restrictions économiques. Entre 1990 et 2000, Jorge et Andy, tous deux musiciens, s’expatrient. « Peur d’être coincé » En 2015, Juan a voulu montrer ses racines à sa conjointe, malgré la désapprobation de ses parents. C’était la première fois qu’il revenait sur l’île. « Les Cubains arrivent à mieux vivre, admet-il. Il y a toujours eu de l’argent à Cuba, mais nulle part pour le dépenser. Aujourd’hui, des commerces, des restaurants poussent comme des champignons. Ça fait plaisir. » Mais pas assez pour qu’il s’y voie, lui. Il juge sa situation d’enseignant trop précieuse pour la risquer contre les 20 dollars par mois (18 euros) du salaire moyen cubain. Pourtant, Cuba tente de faire revenir ses exilés qualifiés. Début septembre 2015, les autorités ont fait une annonce historique : les médecins ayant choisi l’étranger pourraient rentrer sans risquer de sanction et retrouver un poste équivalent à leur dernière affectation, avec un salaire mensuel augmenté à 50 dollars. Juan rit de bon cœur : « Mon père, qui est médecin à Miami, gagnera toujours plus en Floride. Et il ne veut même pas revenir une semaine à Cuba de peur d’être coincé. » Surtout, ces Cubains redoutent une volte-face du gouvernement. Jorge confie : « Mes gosses étudient. Je ne veux pas les emmener là-bas pour de bon. Maintenant, ça va, mais on ne sait pas comment ça peut tourner. » Selon les autorités américaines, le nombre de migrants rejoignant les côtes des Etats-Unis a même augmenté, malgré l’annonce du dégel diplomatique. Ils craignent que le régime spécial d’immigration qui leur est réservé aux Etats-Unis disparaisse avec la normalisation. p clara wright « Ces nouveaux élus n’ont d’autre choix que de se résoudre au compromis » MYO THEIN Burma Democratic Concern phone, Myo Yan Naung Thein. Une question centrale a dominé ces sessions d’apprentissage parlementaire : « Savoir comment on partage le pouvoir. » Signe que le parti s’est éloigné de son purisme idéologique pour un pragmatisme très politique, la LND a fait financer ces formations par Asia Green Development Bank, détenue par Tay Za. Ce tycoon en quête de respectabilité, propriétaire de la compagnie Air Bagan, fut longtemps vendeur d’armes pour la junte et fait toujours l’objet de sanctions occidentales. Il faudra désormais trouver un équilibre entre les fortes attentes qu’a suscitées le raz-de-marée en faveur de la LND à l’automne 2015 et la réalité de la coexistence avec une armée protégeant ses privilèges. « Ces nouveaux élus disposent de la légitimité populaire et veulent répondre aux demandes des électeurs, mais ils n’ont d’autre choix que de se résoudre au compromis, afin d’assurer une transition pacifique », constate Myo Thein, directeur du Burma Democratic Concern, qui suit la transition. Unité nationale Un premier compromis a ainsi consisté, lundi, à élire un nouveau président de la chambre basse affilié à la LND, l’avocat Win Myint, tout en confiant la vice-présidence à Ti Khun Myat, un membre du Parti de l’union, de la solidarité et du développement, formation politique des anciens dictateurs. Depuis la victoire écrasante de son parti, la Dame de Rangoun a été avare de paroles publiques. Elle entend ne pas brusquer le régime sortant et a déjà fait savoir qu’elle préfère préparer l’avenir par l’unité nationale, plutôt que régler les comptes du passé. Le 2 décembre 2015, Aung San Suu Kyi a ainsi rencontré le chef des armées, Min Aung Hlain, qui, au lendemain des élections, l’avait félicitée tout en appelant les militaires à l’obéissance dans un espoir : « La confiance du public peut se gagner. » Les questions concrètes se présenteront rapidement. Le mandat du président sortant, Thein Sein, ex-général qui a porté les réformes, arrive à échéance en mars. Aung San Suu Kyi ne peut pas prétendre au poste, car un article rédigé sur mesure par l’armée et intégré à la Constitution écarte de la plus haute fonction les citoyens mariés à un étranger. Or, elle a épousé en 1972 le Britannique Michael Aris, décédé en 1999. Les plus expérimentés savent que la route est encore longue. « Il faut amender la Constitution, pas seulement pour le fauteuil présidentiel, mais simplement parce qu’elle n’est pas démocratique. Il est trop tôt pour dire si nous parviendrons à résoudre ce problème, mais nos dirigeants font de leur mieux », juge Phyo Zeya Thaw, un parlementaire de la LND qui entame son deuxième mandat. Sauf concession de dernière minute de la part des militaires, la LND devra donc choisir une autre figure. Plusieurs noms circulent, dont celui d’un des pères fondateurs de la LND, Tin Oo, ainsi que celui du médecin de la Dame de Rangoun, Tin Myo Win, qui a pris part à de récentes négociations avec l’armée. Aung San Suu Kyi a d’ores et déjà fait savoir que les attributions du futur chef d’Etat seront symboliques, elle-même se voyant « au-dessus du président » dans le futur organigramme. p harold thibault 4 | international 0123 MERCREDI 3 FÉVRIER 2016 L’ONU cherche un accord humanitaire sur la Syrie De fragiles discussions indirectes entre Damas et les mouvements rebelles se sont ouvertes lundi à Genève S taffan de Mistura a donné, lundi 1er février, le coup d’envoi officiel des pour parlers de Genève entre le régime syrien et son opposition. L’émissaire spécial des Nations unies pour la Syrie a saisi l’occa sion d’une première réunion avec la délégation du Haut Comité des négociations (HCN), l’organe re présentatif de l’opposition politi que et militaire, au palais des Nations, pour mettre fin à quatre jours de tergiversations. Mais l’amorce des discussions est fragile, et l’objectif de former un gouvernement de transition dans les six mois avant de nouvelles élections mi-2017 paraît très incertain. Le diplomate italo-suédois doit obtenir des « mesures de confiance » humanitaires du régime de Damas pour espérer engager l’opposition dans des négociations sur une transition politique. L’opposition réclame la mise en œuvre des mesures prévues par la résolution 2254 votée au Conseil de sécurité des Nations unies, le 18 décembre 2015. « Trois questions sont importantes pour nous : la levée des sièges, la libération de détenus et l’arrêt des attaques contre les civils par les bombardiers russes [alliés de Damas] et par le régime », a réitéré lundi Salem AlMouslat, porte-parole du HCN, disant désormais attendre la réponse du régime. « Ils insistent sur le fait que la population civile syrienne mérite de voir une réduction concrète de la violence sur le terrain pendant que des discussions politiques se déroulent. C’est un argument très fort, car c’est la voix du peuple syrien qui demande cela », a répondu Staffan de Mistura. Ce n’est qu’après avoir reçu des « assurances » de l’émissaire onusien et de ses parrains internationaux – dont un engagement écrit du secrétaire d’Etat américain, John Kerry, selon un membre du HCN – que la délégation avait rejoint Genève, samedi soir. Des propositions pourraient déjà être sur la table. Dimanche, le chef de la délégation du gouvernement, Bachar Al-Jaafari, s’était dit prêt à Sur les lieux du triple attentat dans le quartier de Sayyida Zeinab, à Damas, qui a fait plus de 60 morts, dimanche 31 janvier. AP discuter de mesures humanitaires, telles que la libération des prisonniers. « Pour justifier l’engagement dans le processus politique, (…) tout le monde est d’accord pour dire que la libération des femmes et des enfants est une mesure qui aurait une valeur symbolique et émotionnelle forte. Ce serait un tournant important qui renforcerait notre légitimité », a indiqué une source au sein du HCN. Selon l’opposition, 3 800 femmes, ainsi que des enfants, sont actuellement détenues par le régime. Pressions internationales Lundi soir, l’ONU a indiqué que le régime syrien avait donné son accord de principe à l’envoi de convois humanitaires dans la ville assiégée de Madaya, près de Damas. Quelques « mesures de confiance » ne devraient pas clore pour autant le volet humanitaire. Au sein de l’opposition, deux approches se dessinent entre les « politiques », plus disposés à envisager une mise en œuvre graduelle des mesures humanitaires, et les « militaires », qui soulignent le danger d’en faire ainsi un sujet de négociation et donc de discussions sans fin avec le régime. Au risque de revivre « la mascarade et le désaveu » de Genève 2, le dernier round de négociations intrasyriennes qui avait achoppé en 2014. Staffan de Mistura devait évoquer ces questions mardi matin avec la délégation du régime, avant une nouvelle réunion avec l’opposition, cette fois en la présence de son négociateur en chef, Mohamed Allouche, arrivé lundi soir à Genève. Mais l’émissaire onusien a d’ores et déjà reconnu que l’implication des grandes puissances est indispensable pour obtenir des concessions. Il a La remise en selle du président Bachar Al-Assad, avec le soutien militaire russe et iranien, a durci les positions rappelé l’engagement pris à Vienne, à l’automne 2015, par le Groupe de soutien international sur la Syrie (ISSG) – qui comprend notamment les Etats-Unis, la Russie, l’Arabie saoudite et l’Iran, ainsi que la France – à mettre en œuvre un cessez-le-feu en parallèle au début des pourparlers. Rendez-vous est pris à Munich, le 11 février, pour une nouvelle réunion de l’ISSG. Mais, en coulis- ses, les acteurs internationaux de la crise syrienne s’activent déjà. Lundi, la secrétaire d’Etat adjointe américaine pour le Moyen-Orient, Anne Patterson, et l’émissaire des Etats-Unis pour la Syrie, Michael Ratney, ont rencontré le vice-ministre des affaires étrangères russe, Guennadi Gatilov. Le secrétaire d’Etat américain pourrait venir en personne donner une impulsion aux pourparlers. « John Kerry a pris l’engagement auprès de l’opposition de venir », note une source diplomatique. Sans ces pressions internationales, la tâche de M. de Mistura semble impossible. La remise en selle du président Bachar Al-Assad, avec le soutien militaire russe et iranien, et la multiplication des violences sur le terrain, ont durci les positions. « Le régime russe va créer un nouvel Hitler (…), nous souffrons d’un Hitler en Syrie », a déclaré lundi Salem Al-Mouslat, tandis que le HCN a dénoncé, dans un communiqué, « la politique de la terre brûlée russe ». Dimanche, le chef de la délégation du régime, Bachar Al-Jafaari, invoquait le triple attentat terroriste revendiqué par l’organisation Etat islamique dans le quartier de Sayyida Zeinab, à Damas, qui a fait plus de 60 morts, pour faire de nouveau l’amalgame entre terrorisme et opposition. « Nous ne discutons pas avec des terroristes », at-il martelé, un qualificatif employé par Damas à l’usage de tous ses opposants. L’arrivée de Mohamed Allouche, membre politique du groupe armé d’obédience salafiste Jaïch Al-Islam (« Armée de l’islam »), que Damas et Moscou exigent de voir classé « organisation terroriste », ne devrait pas aider à créer la confiance. p hélène sallon En Syrie, les sièges de civils se multiplient L’ONU estime le nombre de civils encerclés par des troupes armées à 480 000. Pour les organisations humanitaires, ils seraient deux fois plus nombreux beyrouth - correspondance U ne « tactique barbare », un « crime de guerre » : les condamnations par les Nations unies de la pratique des sièges imposés aux civils en Syrie sont allées crescendo depuis le tollé suscité par le calvaire de Madaya, cette localité proche de la frontière syro-libanaise verrouillée par l’armée et le Hezbollah et frappée par la malnutrition. Mais dans la petite ville, malgré l’entrée de trois convois en janvier, la faim continue de faucher des vies. Et les avancées vers une levée des sièges en Syrie, espérées par les acteurs humanitaires internationaux basés à Damas, après le scandale de Madaya, n’ont pas eu lieu. Dans le pays ravagé par la guerre, plus de 480 000 Syriens vivent encerclés selon l’ONU ; ils sont au moins deux fois plus nombreux, affirment des militants et des humanitaires. Au-delà du danger à opérer dans ces zones, le blocage des autorités syriennes empêche l’acheminement de l’aide. En 2015, seules une dizaine d’opérations des Nations unies ont été autorisées dans les zones assiégées ou difficiles d’accès. L’armée et ses alliés tiennent la plupart des sièges. Mais, pour convoyer de l’assis- tance dans les zones encerclées par les rebelles – qui tiennent en étau entre 10 000 et 20 000 habitants dans la province d’Idlib –, Damas doit aussi donner son accord. Son feu vert va être encore nécessaire, si les Nations unies décident que les conditions de sécurité sont réunies pour mener l’opération, à l’envoi d’aide par voie aérienne afin de secourir les 180 000 habitants de Deir ez-Zor réfugiés dans les quartiers sous contrôle de l’armée et assiégés par les djihadistes de l’organisation Etat islamique (EI). Etau implacable Dans les zones verrouillées, où les habitants, civils et combattants, vivent sans électricité et sans eau, et souvent au rythme des bombardements ou des affrontements, les mêmes scènes de privation se répètent. A Deir ez-Zor, « où la population vit dans la terreur des avancées de l’EI et les hommes essaient d’échapper au recrutement forcé du régime, rapporte Karam Al-Hamad, militant originaire de la ville, des disputes éclatent pour un morceau de pain. De la nourriture a été récemment larguée par les avions russes, mais la plus grande partie a été délivrée aux forces militaires. Seuls quelques civils ont reçu de cette aide ; « La population vit dans la terreur de l’EI et des disputes éclatent pour un morceau de pain » KARAM AL-HAMAD militant de Deir ez-Zor pour les autres, ils doivent l’acquérir à prix d’or sur le marché, où une partie de ces denrées sont vendues ». A Mouadamiya Al-Cham, une localité de 45 000 habitants proche de Damas où l’étau du régime est devenu implacable depuis décembre, « huit personnes sont mortes de faim et de manque de soins en janvier, et près de 3 500 enfants souffrent de malnutrition », assure Dani Qappani, étudiant et militant joint sur place. Les humanitaires font le même constat d’impuissance. Ceux accrédités à Damas voient toute initiative conditionnée par le régime. Et, pour ceux qui opèrent clandestinement, l’acheminement de l’aide est un casse-tête : « Quand un siège atteint un certain niveau, ce n’est plus le peu de nourriture qu’on peut faire entrer en contrebande, à un prix exorbitant, qui va faire la différence », témoigne un membre d’une ONG internationale. A Mouadamiya AlCham comme à Deir ez-Zor, les humanitaires s’alarment d’un risque de famine dans les prochaines semaines. Parmi les habitants assiégés, la frustration grandit à l’encontre des bureaux de l’ONU à Damas, accusés de faire trop peu pour ne pas froisser le régime. Lors d’une réunion fin janvier en Jordanie, des ONG ont appelé les Nations unies à réviser leurs critères pour définir les régions encerclées, jugées sous-estimées. « Il faut des pressions pour que les routes s’ouvrent, et pas uniquement lorsque la faim fait des ravages », plaide en outre Dani Qappani, à Moudamiya AlCham. On est loin d’une entente, même si la levée des sièges et l’accès de l’aide doivent en théorie être discutés à Genève. Sur le terrain, les observateurs constatent plutôt une escalade : depuis 2014, les rares fins ou allégements de sièges ont été obtenus, comme à Homs, par des accords politiques, et non pas humanitaires. Et la tactique des sièges est en train de devenir un dangereux outil de négociations, aux dépens des civils. p laure stephan international | 5 0123 MERCREDI 3 FÉVRIER 2016 « Brexit » : Bruxelles fait des concessions R USS I E Les prestations sociales aux travailleurs intra-européens pourraient être limitées Les Etats-Unis ont sanctionné, lundi 1er février, quatre Russes et un Ukrainien en vertu de la loi votée en mémoire de Sergueï Magnitski, juriste mort en prison à Moscou fin 2009. Le département d’Etat et le Trésor ont ajouté à la « liste Magnitski » Alexis Anichin, Evgueni Antonov, Boris Kibis, Pavel Laptchov et Oleg Ourzhoumtchev. Ces derniers sont interdits d’entrée sur le territoire américain et leurs éventuels avoirs dans le pays sont gelés. – (AFP.) londres - correspondant bruxelles - bureau européen L a voie vers l’organisation du référendum sur le maintien ou la sortie du RoyaumeUni de l’Union européenne, promis par David Cameron, devait s’ouvrir, mardi 2 février, avec l’annonce, prévue à midi, d’un préaccord entre Bruxelles et Londres sur les réformes demandées par le premier ministre britannique. Le texte, destiné à répondre aux quatre projets de réformes demandées par M. Cameron, est censé permettre à ce dernier de se lancer dans la campagne en faveur du maintien de son pays dans l’Union en vue d’un vote le 23 juin, si la date favorite de Downing Street est retenue. Avant d’être définitif, ce compromis doit encore être débattu par l’ensemble des chefs d’Etats et de gouvernement lors du Conseil européen des 18 et 19 février. Une réunion supplémentaire du Conseil pourrait même être organisée à la fin février si des désaccords devaient persister. Sur les quatre séries de revendications britanniques, deux – l’amélioration de la compétitivité de l’économie européenne et les questions de souveraineté – ne semblent plus poser de problème aux négociateurs. Tout projet législatif européen pourra ainsi être bloqué si une majorité de 55 % des Parlements nationaux le demande, et ce sans aller vers une modification des traités européens. Un projet de déclaration est par ailleurs proposé, précisant que « le Royaume-Uni n’est pas obligé de participer à une intégration politique supplémentaire ». Mais les discussions ne sont pas encore closes sur l’immigration et sur la défense de la City. Initialement, M. Cameron réclamait le droit pour son pays de priver d’allocations sociales les ressortissants des autres pays européens s’installant au RoyaumeUni pendant les quatre premières années de leur séjour. Cette revendication a été récusée par les autres pays comme étant « discriminatoire ». Elle a laissé la place à une contre-proposition de JeanClaude Juncker, le président de la Commission : permettre au Royaume-Uni, mais aussi aux 27 autres pays, d’actionner un « frein d’urgence » dans le cas où ils prouveraient que leurs services publics subissent une pression exceptionnelle du fait des arrivées. « Pression exceptionnelle » Londres a accepté cette proposition alternative, mais M. Cameron voudrait pouvoir la mettre en œuvre immédiatement pour une durée pouvant atteindre sept ans, et il souhaite éviter que d’autres pays puissent exercer leur veto. La Pologne, dont au moins 700 000 ressortissants vivent au Royaume-Uni, est particulièrement sensible sur ce dossier. L’UE reconnaîtrait que Londres subit déjà une « pression exceptionnelle », ce qui permettrait à M. Cameron d’actionner le « frein d’urgence » sans délai pour bloquer l’accès aux prestations sociales. Reste encore à fixer la durée pendant laquelle la mesure pourrait s’appliquer et quelle instance décidera d’accorder le recours au « frein ». Veto ? Simple avis ? « Il faudra de toute façon que la Commission européenne donne un avis avant que la procédure ne s’enclenche », croit savoir une source proche des discussions. L’HISTOIRE DU JOUR Après le 13 novembre, les ventes d’armes s’envolent en Suisse genève - correspondance E n un an, leur nombre a augmenté de 20 % en moyenne dans douze cantons du pays. Les armuriers évoquent un pic des commandes après les attentats du 13 novembre à Paris et Saint-Denis. En 2015, plusieurs cantons suisses ont reçu nettement plus de demandes de citoyens désirant obtenir l’autorisation d’acheter une arme à feu. Les chiffres, révélés par l’émission de la télévision alémanique « 10vor10 », mentionnent une augmentation de 20 % des demandes dans les douze cantons qui ont accepté de communiquer. C’est dans le canton de Vaud, autour de Lausanne, que cette envolée est la plus forte, avec un accroissement de 73 %. Obtenir un permis d’acquisition ne veut pas forcément dire sauter le pas immédiatement et acheter un 9 millimètres. Mais, dans le reportage diffusé sur la chaîne SRF, Pierre-Olivier Gaudard, responsable de la prévention contre la criminalité à la police cantonale vaudoise, relève que ce phénomène est lié à un climat d’insécurité croissant en terre helvétique, qui incite la population à vouloir se protéger. ICI, LA DENSITÉ Un armurier romand a, lui, ressenti D’ARMES EST chez ses clients une « psychose » liée aux attentats de Paris. En décembre, LA QUATRIÈME il a battu ses records de ventes, a-t-il déclaré à la Radio télévision suisse. DU MONDE APRÈS Selon des chiffres révélés par cette LES ÉTATS-UNIS, LA chaîne publique francophone, la remonte déjà à plusieurs SERBIE ET LE YÉMEN tendance années. En cinq ans, les cantons romands ont enregistré beaucoup plus de demandes de permis d’acquisition d’armes. L’augmentation est, par exemple, de 39 % à Genève entre 2010 et 2015. Une fois le pistolet ou le fusil acheté, son détenteur doit cependant le garder à son domicile, car, pour pouvoir se promener avec, il devra obtenir un permis de port d’arme. Les Suisses auront-ils bientôt tous un revolver dans leur placard ? Les experts se montrent prudents et estiment que cette explosion statistique pourrait être en partie due à l’essor du tir sportif ou à un changement réglementaire instauré en 2008, qui oblige les propriétaires d’armes à feu à déclarer tout nouvel achat. Les armes achetées avant cette date, elles, ne sont pas recensées. Au total, le pays de Guillaume Tell compterait quelque 2 millions d’armes en circulation, pour plus de 8 millions d’habitants. La densité d’armes en Suisse est la quatrième au monde après les Etats-Unis, la Serbie et le Yémen. p marie maurisse Les discussions ne sont pas encore closes sur l’immigration et sur la défense de la City L’autre point sensible concerne la demande de David Cameron d’avoir son mot à dire dans toute décision des pays de la zone euro ayant un impact sur les nonmembres comme le RoyaumeUni. Londres veut s’assurer qu’aucune décision des 19 Etats ayant adopté l’euro ne nuise à l’activité de la City, première place financière européenne. Les Britanniques n’ont pas apprécié d’avoir été mis à contribution l’été 2015 pour abonder des prêts en faveur de la Grèce menacée de faillite. Au début des négociations, Londres demandait un droit de re- gard sur les décisions prises par l’eurozone. Pas question d’accéder à cette demande qui risquerait d’entraver le fonctionnement des pays utilisant l’euro, ont répondu la France et l’Allemagne. En guise de compromis, le Conseil propose une clause d’urgence qui permettrait à un certain nombre de pays de demander une discussion au niveau du Conseil sur des décisions dont ils estiment qu’elles violent les principes de nondiscrimination entre les Etats de l’euro et leurs voisins. Fermeté française Mais il est exclu que cela constitue un droit de veto ou que cela freine les décisions du Conseil. Berlin et Paris soulignent que les Britanniques peuvent faire valoir leurs droits devant la Cour de justice européenne. La fermeté française est mise en exergue par certains médias britanniques toujours friands de « french bashing ». L’Evening Standard annonçait ainsi lundi soir « Cameron contre Hollande » dans la rubrique « match du jour ». La dramatisation par la presse n’est pas pour déplaire à M. Cameron, qui veut montrer à ses électeurs qu’il se bat avec acharnement. Pourtant, certains conservateurs voteront pour sortir de l’UE quoiqu’il obtienne. Steve Baker, le député qui mène le groupe pro- « Brexit » du Parlement, a qualifié de « mauvaise blague » la proposition de « frein d’urgence ». A l’extrême droite, le Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP) accuse le premier ministre de « se moquer » des Britanniques. Les électeurs ne semblent pas rester sourds à ces sirènes : publié le 28 janvier, le dernier sondage donne le vote « out » (pour la sortie de l’UE) gagnant avec 42 %, contre 38 % pour le maintien. Mais 20 % des électeurs se disent encore indécis. p philippe bernard et cécile ducourtieux Liste Magnitski : quatre Russes et un Ukrainien visés par Washington ÉTATS - U N I S Enquête sur la police de San Francisco Le département américain de la justice a annoncé, lundi 1er février, l’ouverture d’une enquête sur la police de San Francisco, après le scandale causé par la mort d’un Noir tué, le 2 décembre 2015, par des policiers californiens. Cette enquête fédérale intervient après l’ouverture de procédures similaires visant les forces de l’ordre de Chicago et celles de Baltimore. – (AFP.) 6 | planète 0123 MERCREDI 3 FÉVRIER 2016 Le port de Bilbao va accueillir le « Modern-Express » Le cargo en perdition, qui menaçait les côtes landaises, a pu être remorqué au terme d’une opération risquée « Les Etats sont souverains pour accepter ou pas l’accès d’un navire à un port » bordeaux - correspondante A près une semaine d’inquiétude et de rebondissements, le naufrage du Modern-Express, ce navire commercial à la dérive depuis le 26 janvier, devrait connaître un dénouement favorable : depuis lundi 1er février à midi, ce roulier de 164 mètres de long, toujours à moitié couché dans l’océan Atlantique et dont on craignait l’échouement sur les côtes landaises, est finalement tracté par un remorqueur espagnol, le Centaurus, en direction du port de Bilbao, dans le nord de l’Espagne. A une vitesse de 3 nœuds (environ 5 km/h), le navire devait arriver à proximité de ce port du Pays basque dans la nuit de mardi à mercredi. Avant de pouvoir entrer dans le port, il doit être mis au mouillage à proximité, dans une zone dite refuge, à l’abri du vent et des vagues, afin d’effectuer les premiers travaux de redressement. Lundi midi, après un premier échec, la tentative de remorquage a fonctionné. Le Modern-Express, appartenant à l’armateur Cido Shipping (Hongkong), affrété par la compagnie belge European Roro Lines et naviguant sous pavillon panaméen, se trouvait alors à 42 kilomètres des côtes landaises et gîtait à tribord à plus de 40 degrés. Le pont était devenu un mur d’escalade d’acier. Quatre techniciens de Smit Salvage, une société néerlandaise spécialisée dans le sauvetage des navires et engagée par l’armateur du cargo, ont été hélitreuillés sur le pont. Ils ont réussi à amarrer un gros câble au niveau d’une bitte d’amarrage située à l’intérieur du plateau avant du navire. Un véritable exploit technique. Le remorqueur a ensuite mis le cargo dans le bon sens sans casser le câble. Une autre prouesse. Toute la réussite de l’opération devait dépendre de la solidité de ce filin. Au total, cinq navires ont été engagés dans l’opération : la frégate de lutte anti-sous-marine Primauguet, avec à son bord un hélicoptère, deux remorqueurs GWENDOLINE GONSAELES université d’Anvers espagnols, un remorqueur français, l’Abeille-Bourbon, affrété par la Marine nationale, ainsi qu’un bâtiment de dépollution et des moyens aériens. Bilbao était le port le plus proche, avec des équipements adaptés pour ce type de situation, mais l’armateur a dû attendre l’accord des autorités portuaires et de la ville. « Sur la base du droit international, les Etats sont souverains pour accepter ou refuser l’accès d’un navire à un port territorial, explique Gwendoline Gonsaeles, professeure de droit de la mer à l’université d’Anvers. Mais depuis le naufrage de l’Erika, en 1999, la directive européenne 2009/17/CE oblige les Etats à proposer un plan de refuge pour les navires en détresse et à faire une analyse de la situation avant d’accepter ou… de refuser une demande. » Temps des investigations Le Modern-Express n’est pas l’Erika ni le pétrolier Prestige refoulé des côtes espagnoles : le cargo sous pavillon panaméen est en bon état général (construit en 2001) et le risque de pollution est quasiment nul, d’où l’autorisation de l’Espagne. Utilisé pour transporter des voitures et des autocars d’occasion de l’Europe vers l’Afrique, il faisait généralement le retour en emportant du bois. Une fois que le navire sera arrivé dans cette zone refuge, il faudra d’abord le redresser pour supprimer sa forte inclinaison due au détachement de sa cargaison de 3 600 tonnes de bois et d’engins de travaux. Plusieurs possibilités sont envisagées : « Dans un premier temps, il est prévu de mettre du liquide – de l’eau de mer ou/et le gasoil de propulsion des réservoirs POLLU T I ON Report de l’interdiction des sacs en plastique L’interdiction des sacs plastique à usage unique, qui devait à l’origine entrer en vigueur en France le 1er janvier, s’appliquera finalement à partir du 1er juillet. La ministre de l’écologie, Ségolène Royal, a expliqué lundi 1er février avoir « écouté le besoin de transition » exprimé par les professionnels. Le projet de décret d’application a été mis en ligne lundi sur le site du ministère, « afin que les fabricants et les distributeurs puissent s’adapter au plus tôt et qu’ils puissent utiliser leurs stocks jusqu’à cette date ». Mais il ne devrait être publié au Journal officiel qu’à la fin mars. – (AFP.) #& '.)$,(!+"& '& -%.)* %* 3*2%6 )* ($2%/$%6 7 ,!#" )($& 462&$2+ 06/$+. 51*/2)36-+$ )* '12%$ avec Le « Modern-Express » tracté par un remorqueur espagnol, le « Centaurus », vers le port de Bilbao, lundi 1er février. LOIC BERNARDIN/AFP – dans les ballasts à bâbord via les tuyaux collecteurs prévus à cet effet », explique le capitaine de frégate Louis-Xavier Renaux. Le fioul peut aussi être retiré par mesure de précaution. Autre possibilité : une partie de la cargaison peut être déplacée d’un bord à l’autre. « Ça serait plus complexe, car cela supposerait de faire venir une grue et d’ouvrir le bateau », tempère le porte-parole de la préfecture maritime. Plus complexe et plus coûteux aussi. A l’armateur, en concertation avec le port, de décider. Ce n’est qu’après ces mesures de sécurisation que le roulier pourra entrer dans le port espagnol. Ensuite s’ouvrira le temps des investigations : enquête du propriétaire de la marchandise, expertise du ou des assureurs du navire. « Il y aura aussi l’expertise de l’assureur de la responsabilité civile de l’armateur pour contrer ou contester les réclamations qui lui seront faites », explique Franck Dollfus, avocat parisien spécialisé dans le droit maritime et des transports. En revanche, des poursuites judiciaires sont peu probables si aucune pollution ou dégradation matérielle n’est constatée : « Il faudrait un préjudice côtier de l’Etat pour engager une enquête judiciaire, souligne l’avocat. Dans le cas contraire, seuls les préjudices financiers et les frais engagés pour le sauvetage devraient être demandés à l’armateur. » La Marine nationale française, qui a mobilisé trois navires militaires pendant presque une semaine, fera partie des premiers créanciers. p claudia courtois Dérive du roulier Brest Zone d’intervention de la préfecture maritime de l’Atlantique Limite de la zone économique exclusive française 28 janvier 29 janvier FRANCE 26 janvier Appel de détresse lancé par le ModernExpress 27 janvier 30 janvier Bordeaux Golfe de Gascogne er Gijon La Corogne ESPAGNE 50 km 1 février Début de l’opération de remorquage par le Centaurus Bilbao Port de destination. Arrivée prévue à proximité le 2 ou 3 février « Demain », road movie écologique à succès Le film de Cyril Dion et Mélanie Laurent, axé sur les solutions, a déjà attiré 500 000 spectateurs REPORTAGE A la fin du film, après de longs applaudissements, une personne s’est levée dans la salle comble du cinéma. « Je repars plein d’espérance. Et en espérance, je m’y connais un peu. » C’était monsieur le curé. A Dreux (Eure-et-Loir) comme partout où il est projeté, le documentaire Demain attire les foules. Déjà 500 000 spectateurs depuis la sortie, le 2 décembre 2015, du manifeste de Cyril Dion, militant écologiste, et de l’actrice Mélanie Laurent qui, ensemble, ont parcouru la planète pour recenser les initiatives susceptibles de la sauver. Le père Jean-Marie Lioult, à la tête de la paroisse Saint-Etienne en Drouais, n’oubliera pas cette fin d’année 2015, au cinéma de sa ville. « J’ai dit : “Sur les 400 personnes présentes, il y a au moins une moitié de Drouais. Qu’est-ce qu’on attend pour se mettre en route ?” On s’est parlé, puis on a organisé une marche pour le climat, avec 250 personnes, on a monté des comités qui travaillent sur une monnaie locale, des ruchers, des jardins partagés, sur les pistes cyclables et le bio dans les cantines… » C’est l’histoire d’un petit documentaire, sur lequel aucun professionnel n’entendait miser un euro, qui se transforme en succès. Il a d’abord fallu la réussite d’une campagne de financement participatif, sur le site Kisskissbankbank, durant l’été 2014, pour que les chaînes de télévision s’y intéressent. Quasiment 450 000 euros récoltés en deux mois, auprès de plus de 10 000 donateurs. Le documentaire déjoue les lois classiques du cinéma. Son audience grimpe de semaine en semaine, et avec elle, la joie du distributeur, Stéphane Célérier, président de Mars Films. « Nous avons multiplié par dix la fréquentation de la première semaine, comme l’avait fait le film Intouchables. C’est totalement exceptionnel pour un documentaire sur l’écologie. » « Une bouffée d’oxygène » On vient en famille, on revient avec les amis, on griffonne même des notes dans le noir. On s’extasie sur les réseaux sociaux, qui font caisse de résonance (100 000 amis du film sur Facebook). Avec, dans les messages, des soleils, des cœurs, des smileys et des « Merci ! » à en écœurer les moroses. « Une bouffée d’oxy- gène », lit-on. Et plus loin : « Rentrée avec l’envie d’acheter un vélo et de créer un potager de quartier », « Adressez une copie à nos politiques de tout poil ! » ou « Ce film devrait être projeté dans tous les collèges et lycées ». Sur le site Internet du film, des Français qui se découvrent écologistes racontent les groupes créés pour mette en œuvre les solutions exposées. Bien mené, joliment réalisé, raconté comme une histoire, un road movie planétaire, Demain ressemble davantage à un film de cinéma qu’à une vidéo pour soirée militante. Il vient d’être sélectionné aux Césars, et a bénéficié de la meilleure note moyenne attribuée, en 2015, par les spectateurs sur le site Allociné. Ni ennuyeux, ni technique, ni anxiogène, il capte l’attention des plus rétifs à la cause verte en jouant l’humain (les pionniers charismatiques) et le concret (les initiatives locales). La transition écologique s’incarne. Elle devient possible. Etonnamment souhaitable, même. Cyril Dion, le réalisateur du film, par ailleurs cofondateur en 2007 du mouvement Colibris avec Pierre Rabhi, savoure l’engouement. « L’annonce de catastrophes déclenche peur, déni, repli, tandis que là, nous donnons légitimité et courage à ceux qui agissent, ou veulent le faire. » Côté associations de défense de l’environnement, la vulgarisation réussie des solutions promues depuis si longtemps ne peut que réjouir. Le succès inattendu de Demain, veut-on croire, pourrait même être le signe d’un moment de bascule. D’une « maturité », selon Cyril Cornier, de Greenpeace France. « Les énergies renouvelables, les monnaies locales, les entreprises coopératives, le fait de manger moins de viande et seulement bio, tout cela n’est plus le fantasme de quelques fous. » Dans une France qu’assombrissent crise et terrorisme, ce documentaire est un « souffle d’espoir », « espoir qui ne relève pas de la méthode Coué mais qu’étayent des réalisations concrètes », ajoute Nicolas Hulot. « Ce film présente aux spectateurs des gens qui ne sont pas dans la lumière mais qui créent, inventent, préparent l’avenir. Il les sort de l’impasse. » Cyril Dion compte bien les guider plus loin. Un « Après-demain » est en réflexion, qui appellera à une sorte de « révolution d’un nouveau genre ». Il y aurait, perçoit-il, comme un vide de projet politique à combler. p pascale krémer france | 7 0123 MERCREDI 3 FÉVRIER 2016 Emploi : ce que réclament les régions Reçus à Matignon et à l’Elysée mardi, les présidents de région veulent piloter la formation des chômeurs A lors qu’il se révèle impuissant à inverser la courbe du chômage, François Hollande veut enrôler les régions, majoritairement à droite depuis le scrutin de décembre 2015, dans sa « bataille pour l’emploi ». Les présidents des treize exécutifs régionaux en métropole et de cinq collectivités d’outre-mer étaient conviés, mardi 2 février, à Matignon, à un séminaire où ce sujet devait occuper une place centrale. Une rencontre inédite en présence de plusieurs ministres, suivie d’un déjeuner à l’Elysée. Le président de la République compte sur les élus régionaux pour la mise en œuvre de l’une des principales annonces faites le 31 décembre 2015, lors de ses vœux aux Français. M. Hollande s’était engagé à ce que 500 000 formations supplémentaires soient proposées à des demandeurs d’emploi en 2016. Soit presque deux fois plus qu’à l’heure actuelle. « L’idée est de contractualiser avec les régions pour que ça aille vite, explique une source gouvernementale, en rappelant que celles-ci jouent un rôleclé dans le système de la formation professionnelle. Si les demandeurs d’emploi entrent en formation en septembre, cela ne peut pas aller. » Les patrons de région, qui, pour la plupart, ont mené campagne sur le thème de l’emploi, semblent plutôt disposés à jouer le jeu. Y compris ceux de droite, même s’ils y mettent des bémols et posent leurs conditions. « On n’a pas envie d’être la roue de secours de Hollande mais quand on est aux responsabilités, on se doit de tout faire pour que ça marche », affirme Philippe Richert, président (LR) de la région AlsaceChampagne-Ardenne-Lorraine et tout nouveau patron de l’Association des régions de France. « Il n’est pas question de se soustraire à cet exercice d’échanges avec le gouvernement. Mais c’est à lui d’aider les régions », renchérit Christian Estrosi (LR), élu en décembre 2015 à la tête de ProvenceAlpes-Côte d’Azur (PACA). Dans un entretien aux Echos, Xavier Bertrand, président (LR) de la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie, était allé encore plus loin dans cette intention de coopérer avec l’exécutif : « Si l’Etat peut nous aider, je me moque de la couleur politique du gouvernement », assurait l’ancien ministre du travail, d’autant plus enclin au dialogue avec l’exécutif que sa victoire est due, en partie, aux électeurs de gauche. Seul Laurent Wauquiez, qui ne participe pas aux rencontres de mardi, émet de fortes dissonances : « Les Français en ont assez des grand-messes hypocrites dont il ne sort jamais rien », a déclaré le président (LR) de Rhône-Alpes-Auvergne, lundi à l’AFP. Mais la région devait néanmoins être représentée, mardi, au séminaire par le premier vice-président, Etienne Blanc. tion » attribue aux régions les pleins pouvoirs sur le dispositif d’orientation. M. Estrosi, lui, défend l’idée consistant à fusionner les lycées professionnels et les centres de formation d’apprentis. Disposées à participer à l’effort de formation supplémentaire en faveur des chômeurs, les régions espèrent obtenir en contrepartie ce qu’elles réclament en vain, depuis longtemps, droite et gauche confondues : le pilotage de la totalité des formations sur leur territoire. « Aujourd’hui, ce ne sont pas les régions qui orientent les demandeurs d’emplois dans les formations. C’est Pôle emploi, rappelle Alain Rousset, patron (PS) de la région Aquitaine-Limousin- PoitouCharentes. Du coup, nous avons des stages qui ne sont pas remplis. Et des emplois non pourvus, faute de candidats. Seules les régions ont une connaissance fine des besoins des entreprises. » « Seules les régions ont une connaissance fine des besoins des entreprises » ALAIN ROUSSET président (PS) d’AquitaineLimousin- Poitou-Charentes Les régions attendent du gouvernement qu’il instaure enfin « la régionalisation du service public d’accompagnement vers l’emploi ». Promulguée en août 2015, la loi sur la Nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) prévoit la possibilité pour les régions de demander la délégation de la coordination des acteurs de la formation - à l’exception de Pôle emploi. L’opérateur public a conservé la faculté d’orienter des demandeurs d’emploi vers les formations et d’affecter les crédits de l’Etat aux organismes de formation. Pour les régions, la loi NOTRe ne va pas assez loin. Lors de l’examen du texte au Parlement, « le gouvernement a détricoté ce que nous avions voté au Sénat pour imposer un dispositif purement formel », regrette M. Retailleau. Lui et plusieurs présidents de région de droite, dont MM. Bertrand, Richert et Estrosi, mais aussi de gauche, tel M. Rousset, se sont déclarés candidats à l’expérimentation de la régionalisation de la politique de l’emploi. Leur motivation est d’autant plus grande que le 18 janvier, lors de ses vœux aux acteurs de l’entreprise et de l’emploi, M. Hollande s’est dit prêt à « prêt à modifier la loi si nécessaire » pour étendre les compétences régionales en matière de formation. Mais il risque de se heurter à des résistances. Les syndicats sont, en effet, vent debout contre la perspective d’une « régionalisation de Pôle emploi qui ferait courir des risques de rupture d’égalité au regard des moyens, voire des objectifs politiques des régions », selon la CFDT. Une autre cause fédère aussi les régions : la régionalisation de la Banque publique d’investissement (BPI). Créée par le gouvernement Ayrault pour – entre autres – prêter de l’argent aux petites et moyennes entreprises (PME), la BPI « décide de Paris sans vision des vrais gisements de création d’emplois sur le terrain », estime M. Rousset. « Si les régions pilotaient la BPI, poursuit-il, l’argent irait davantage aux PME qui sont les premières à créer de l’emploi en France. » Jusqu’ici, le ministre de l’économie, Emmanuel Macron, a fait la sourde oreille sur ce sujet. p béatrice jérôme Contreparties Si une relative bonne volonté est de mise parmi les régions, toutes obédiences confondues, il n’y a pas pour autant d’« union sacrée droite-gauche » sur l’emploi, souligne Bruno Retailleau, président (LR) des Pays de la Loire. Son homologue de Normandie, Hervé Morin (UDI), le dit en des termes très directs : que l’on ne compte pas sur « sa » collectivité s’il s’agit de « financer des stages parking de quelques semaines pour les demandeurs d’emploi ». Bon nombre d’élus comptaient bien profiter des débats avec Manuel Valls et avec le chef de l’Etat, mardi, pour faire valoir leurs propres propositions. M. Morin souhaite par exemple qu’une « expérimenta- L’HISTOIRE DU JOUR Sarkozy enchaîne les dédicaces et esquisse ses propositions P uisque la primaire de la droite a commencé chez les libraires, Nicolas Sarkozy n’a pas l’intention de lâcher le stylo. Lundi 1er février, l’ancien président de la République a passé plus de deux heures à signer son livre, La France pour la vie (Plon, 264 p., 18,90 euros), dans un magasin Cultura à Saint-Maximin (Oise). Pour cette troisième séance de dédicaces en huit jours, des centaines de personnes se sont pressées, obligeant les responsables de l’enseigne à fermer les autres parties du magasin. Bilan : 626 livres signés, « trois stylos usés » et l’ego de l’ancien président revigoré. « Un lien, ça se distend, ça se retend. Mais au moins, il y a toujours un lien », explique-t-il. Que représente ce livre pour M. Sarkozy ? Calinothérapie éditoriale auprès d’une base d’inconditionnels ou pièce maîtresse de la reconquête de l’Elysée ? Seul l’avenir le dira. En attendant, l’ancien chef de l’Etat ne veut pas se contenter d’animer les fins d’après-midi des librairies. Il espère que la tournée médiatique que lui offre ses 264 pages de confession lui permettra aussi d’entretenir le débat à droite. « Dans ces pages, j’ai voulu expliquer la complexité de certaines décisions, mais je vais aussi passer à une partie program« UN LIEN, ÇA matique », dit-il. Dans les jours à venir, le président du SE DISTEND, ÇA SE parti Les Républicains va développer certaines idées de son livre. Le 4 février, RETEND. MAIS, AU il participe à l’émission « Des paroles et MOINS, IL Y A TOU- des actes », sur France 2. Même si Emmanuel Macron ne sera pas son principal JOURS UN LIEN » débatteur, comme cela avait été envisagé, M. Sarkozy compte profiter de l’ocNICOLAS SARKOZY casion pour s’exprimer sur l’assurancechômage. Lundi, lors d’une visite au Pôle emploi de Saint-Maximin, il a longuement interrogé les agents sur « les secteurs qui recrutent le plus » et sur la part de « gens de mauvaise volonté qui ne veulent pas retrouver un travail ». « L’idée n’est pas de diviser, l’idée est de résoudre la bombe atomique que représentent les 6 millions de chômeurs dans notre pays », a déclaré l’ancien chef de l’Etat. Dans son livre, M. Sarkozy propose une dégressivité de 20 % des indemnités au bout de douze mois puis de 20 % supplémentaires au bout de dix-huit mois. Une façon de ne pas laisser François Fillon et Alain Juppé occuper seuls les thématiques libérales. Ses deux principaux rivaux se sont prononcés eux aussi pour mise en place de la dégressivité. A droite, la compétition ne se jouera pas que dans les librairies. p matthieu goar (saint-maximin, oise - envoyé spécial) ]GD6D=@ 758]95D:]F BO82CFL=@F> G%UXZ[%-"* *[ ; ? < XZVS*U> 7^#X ^WU[-_X> G:8 `+[-_ R4< \^W+)Z> F-WXN\-[")W[Z F#H# F-[!-_ C-[*^_e> J`X)+X)W[ *) \"W#) 0 S""W!-%) *)Z ')WQ> 9-*-[ *) [)+W"> P"W)X^^X$> J)Z#%_ #_`*#X> c :S97D9 JI K(<20A=D8>V ;R A=D8> 8S?8 S::=97> I?79I7DI? 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[ZV!* *RVZX\*[[* @FGI> C/*MS\V%*RV +* ,* P\&%,R"* ,Z!XZVS* des équipements de série ou en option en fonction de la inition. 8 | france 0123 MERCREDI 3 FÉVRIER 2016 « La gauche, ce n’est pas un chef bonapartiste » Six jours après sa démission, l’ex-garde des sceaux explique au « Monde » les circonstances de son départ suite de la première page Mais jusqu’où Christiane Taubira est-elle prête à aller pour cela ? Ce lundi 1er février, après une nuit passée dans l’avion de retour de New York à « lire de la poésie », elle semble surtout bien décidée à ne pas presser le cours des choses. Car pour l’heure, elle jure n’être habitée que par un seul combat : la déchéance de la nationalité. A quatre jours de l’examen par les députés du projet de loi constitutionnelle qui doit inscrire celle-ci dans la Loi fondamentale, l’ex-garde des sceaux veut manifestement peser dans les débats : « J’espère que la déchéance de nationalité ne sera pas inscrite dans la Constitution. Oui, j’espère très sincèrement que la gauche n’aura pas à assumer une telle décision. » Y croit-elle ? « Je ne suis pas seule à l’œuvre, assure-t-elle. Il y a une dynamique. J’ai vu des députés pourtant archi-loyaux à l’égard de la majorité avoir le courage d’écrire des tribunes en ce sens dans la presse de leur circonscription. La gauche, ce n’est pas un chef bonapartiste ! C’est un mouvement et le sens de la délibération collective. » Intarissable sur cette mesure qui, selon elle, touche « au cœur même de l’idée républicaine du droit de la nationalité », Christiane Taubira se montre en revanche plus réservée quand on l’interroge sur le moment qu’elle a choisi pour claquer la porte. Pourquoi, par exemple, ne pas l’avoir fait dès le 23 décembre, quand a été présenté en conseil des ministres le projet de loi inscrivant la déchéance dans la Constitution ? Réponse un brin agacée : « Parce que j’estime qu’on ne part pas dans le vacarme. Je ne voulais pas que le tumulte des événements brouille la lecture de mon départ, et notamment qu’on le lie aux pressions de la droite. – Conserviez-vous l’espoir d’un abandon ou d’une réécriture du texte après le 23 décembre ? – Il y a une part de ça. Je pense qu’il y a eu une courte fenêtre pendant laquelle il était possible de prendre de la distance par rapport à ce que le président de la République a dit au Congrès. C’est ainsi que j’ai entendu et compris ses vœux du 31 décembre lorsqu’il a affirmé que le débat était “légitime” et qu’il revenait au Parlement de “prendre ses responsabilités”. Mais j’ai très vite compris que, sur l’essentiel, il n’y aurait pas de retour en arrière et que [donc] ma place n’était plus au gouvernement. » Quelle fut la teneur précise des discussions qu’elle a eues avec François Hollande et Manuel Valls pendant ces semaines de haute tension ? Le chef de l’Etat, comme cela a été dit, a-t-il tenté de la retenir ? A ces questions, Christiane Taubira se mure dans le silence. On lui fait alors remarquer que, sur la quatrième de couverture de son livre, dont le bon à tirer a été signé neuf jours avant sa démission, figure encore la mention « garde des sceaux ». Est-ce à dire qu’elle l’a écrit en pensant pou- Nouveau cri d’alarme des magistrats Le premier président de la Cour de cassation et les premiers présidents de cour d’appel ont profité de leur réunion annuelle le 1er février pour s’alarmer des projets du gouvernement. « Le rôle constitutionnel de l’Autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, est affaibli par des réformes et projets législatifs en cours », lancent-ils dans une délibération. Alors que le gouvernement va examiner un projet de loi de lutte contre le crime organisé, les plus hauts magistrats rappellent que le rôle de la justice ne doit pas se limiter à « la seule protection contre la détention arbitraire ». Au-delà de la question des moyens, ils appellent à une « réforme d’envergure de nature à garantir (…) que l’autorité judiciaire soit soustraite à toute forme d’influence ». « J’espère que la déchéance de nationalité ne sera pas inscrite dans la Constitution » CHRISTIANE TAUBIRA voir rester en fonctions après sa parution ? Sur ce point, elle veut bien répondre. « Ma décision formelle de partir est très antérieure à la publication du livre, même si je ne vous dirai pas la date précise. Mais dans mon rapport de loyauté totale à l’égard du président de la République, j’ai choisi de tenir mon éditeur dans l’ignorance en ne le prévenant pas que je ne serais plus garde des sceaux au moment de la parution du livre. » Prolixe, lapidaire et énigmatique Au cours de l’heure que durera l’entretien, ponctué d’innombrables SMS de journalistes auxquels elle dit ne pas vouloir donner suite (« Si je voulais, je serais matin, midi et soir sur les plateaux, mais ce n’est pas mon genre », juret-elle), c’est une Christiane Taubira tour à tour prolixe, lapidaire et énigmatique qui répondra à nos questions ou au contraire tentera d’y échapper. Prolixe, elle l’est quand on pointe les limites de son bilan et qu’elle se met alors à citer de mémoire le nombre de magistrats recrutés chaque année depuis 2012, avant de vous tendre une plaquette en papier glacée vantant ses « Quarante mois d’action et d’engagements » place Vendôme. Lapidaire, elle le devient quand on l’interroge sur son successeur, Jean-Jacques Urvoas, l’ancien président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, contre lequel elle a notamment ferraillé au moment du débat sur la loi renseignement. Craint-elle, par exemple, qu’il se montre peu soucieux des libertés ? « Il n’y a pas Christiane Taubira, le 1er février, à Paris. MATHIEU ZAZZO /PASCO POUR « LE MONDE » d’antagonisme entre la sécurité et la préservation des libertés. Le ministère de la justice est le garant des libertés. Je n’ai aucun commentaire à faire sur M. Urvoas. Vous le jugerez sur ses actes », se contente de répondre Christiane Taubira, rappelant à cette occasion qu’elle a autant de talent pour manier la langue de bois que pour ourler ses discours de citations d’Aimé Césaire ou René Char. Et puis il y a la Christiane Taubira énigmatique. Celle qui se dérobe quand on l’interroge sur ses ambitions politiques. Sur ce point, elle prend un soin particulier à ménager François Hollande, jure qu’elle est « très respectueuse de la fonction présidentielle » et ajoute que, « quand une société est dans un moment de doute et de fragilité, il faut que les institutions soient fortes et puissantes ». Même chose avec Manuel Valls, avec lequel elle se contente d’admettre des « désaccords incontestables », mais sans s’étendre davantage. Restent quelques phrases sibyllines, que l’on interprétera comme on l’entend, sur son attachement aux « principes qui ne dépendent pas des gens qui passent » et sur « l’action qui doit être ancrée et durable », alors que « le reste est éphémère, même la durée d’un quinquennat ». Et puis cette nonréponse, quand on lui demande Comptes de campagne : la défense du FN contredite Devant les juges, François Logerot, le président de la commission de contrôle des comptes de campagne, a indiqué que le microparti Jeanne était « un écran et une construction juridique artificielle » L’ argument est répété en boucle par les dirigeants du Front national pour tenter de dégonfler l’affaire du financement de ses campagnes électorales en 2012 : le parti d’extrême droite n’aurait rien à se reprocher, car la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) a validé « quatre fois » les comptes de ses candidats. « Tout ce système de financement, qui est parfaitement transparent et qui a été validé quatre fois par la Commission nationale des comptes de campagne (…) est parfaitement légal », a encore assuré le vice-président du FN Florian Philippot, début janvier. L’audition comme témoin de François Logerot, président de la CNCCFP, devant les juges chargés de l’enquête, le 3 décembre 2015, vient sérieusement battre en brèche cet argument. Lors de son audition, que Le Monde a pu consulter, M. Logerot a expliqué les raisons qui ont conduit son institution à valider dans un premier temps les comptes de campagne des candidats frontistes aux législatives de juin 2012. « La période d’examen des comptes était extrêmement réduite, notet-il à propos des circonscriptions qui faisaient l’objet d’un contentieux électoral et nécessitaient un examen plus rapide de leur situation. A partir du moment où nous n’avions pas fait de réformation car nous n’avions pas constaté d’irrégularité manifeste pour ces comptes, examinés en priorité, il nous était impossible de procéder autrement pour les autres comptes, sauf à rompre l’égalité de traitement entre les différents candidats. » La tâche de la CNCCFP est d’autant plus ardue qu’elle n’a pas accès au détail des comptes des partis. L’institution n’a pas pu se pencher sur les sommes transitant par Jeanne, le microparti de Marine Le Pen qui accordait des prêts avec intérêts aux candidats du FN et leur vendait des kits de campagne confectionnés par Riwal, une société dirigée par Frédéric Chatillon, un ami de la présidente du FN. Alertée par un candidat frontiste, surpris d’avoir touché le rembour- sement de l’Etat alors qu’il n’avait signé aucun papier, la commission a signalé l’affaire à la justice en 2013, provoquant l’ouverture, en avril 2014, d’une enquête, sous la direction d’Aude Buresi et de Renaud Van Ruymbeke. Cette dernière s’est achevée le 13 janvier. « Habillage » Les magistrats soupçonnent la mise en place d’un système frauduleux qui aurait visé à se constituer un trésor de guerre par la grâce des remboursements de l’Etat. Plusieurs millions d’euros sont concernés. Les juges ont ainsi découvert que Riwal a sous-traité au FN la fabrication de milliers de tracts, qui ont été facturés 412 000 euros à Riwal alors que la prestation réalisée n’a coûté que 83 000 euros. Les magistrats du pôle financier doivent dire dans les mois à venir s’ils comptent renvoyer l’affaire devant un tribunal. D’ici là, la chambre de l’instruction doit se prononcer sur la régularité du réquisitoire supplétif délivré aux juges par le parquet de Paris. Ce dernier avait élargi les chefs de poursuite après que le trésorier du Front national eut soulevé la disparition de l’une des infractions poursuivies. Durant son audition, François Logerot, magistrat expérimenté, qui siège depuis plus de dix ans à la tête de la CNCCFP, s’est livré à un réquisitoire virulent contre Jeanne. La réalité des prêts accordés par le microparti de Mme Le Pen est remise en cause : Riwal aurait simplement avancé les fonds dans l’attente que Jeanne lui verse les remboursements de l’Etat perçus par les candidats. « Les comptes de Jeanne sont d’une part artificiels, car ils ne représentent pas l’activité propre du parti, et d’autre part un habillage d’opérations financières qui en réalité mettent en présence d’une part les candidats, d’autre part la société Riwal », dénonce M. Logerot. Et de poursuivre : « Jeanne est un écran et une construction juridique artificielle. (…) La présidente du parti, Mme Florence Lagarde, ne connaissait pratiquement rien des montages financiers en cause (…). Seuls M. Chatillon et M. [Nicolas] Bay [secrétaire général du FN] étaient capables de répondre aux questions du service juridique. » Lors de son audition devant les juges, Axel Loustau, conseiller régional FN d’Ile-de-France, et ami de M. Chatillon, a reconnu n’être qu’un trésorier de « paille » pour Jeanne, destiné à suppléer son prédécesseur à ce poste Olivier Duguet, qui faisait l’objet d’une condamnation pénale. Depuis 2012, la CNCCFP a approfondi ses contrôles. Elle s’est penchée en particulier sur les kits de campagne fournis par Riwal dans le cadre des élections municipales et départementales de 2014 et 2015. Des dépenses de « personnalisation » de documents dans le cadre des départementales, manifestement surfacturées, ont, par exemple, été réformées, à hauteur de 10 % à 15 % de la facture totale, a expliqué aux juges le président de la CNCCFP. De quoi écarter l’argument mis en avant par le Front national selon lequel l’institution lui accorderait un blanc-seing. p olivier faye et simon piel pour finir si elle envisage d’être candidate en 2017 et ne craint pas de regretter son départ du gouvernement ? Une question qu’elle préfère là encore esquiver, ce qui tombe d’ailleurs très bien car il est déjà l’heure pour elle de rejoindre la cantatrice Barbara Hendricks pour déjeuner. « Ne vous en faites pas pour moi, je n’aurai aucun blues, même s’il est forcément difficile de quitter un ministère au moment où vient la récolte des fruits du travail fourni. Mais je n’ai pas été seule à le faire et cette frustration peut être partagée par mes équipes. » p jean-baptiste jacquin et thomas wieder POLI T I QU E Pascal Durand quitte Europe Ecologie-Les Verts Nouveau coup dur pour Europe Ecologie-Les Verts. Son ancien secrétaire national (2012-2013), Pascal Durand, a annoncé, lundi 1er février au Parisien.fr, son départ de la formation. « Je ne suis pas contre EELV. Mais je laisse le parti gérer ses problèmes. Ça ne m’intéresse plus, je veux me focaliser sur autre chose », indique le député européen. M. Durand dit avoir revu Nicolas Hulot et être « dans le même état d’esprit » que lui. « Il faut redynamiser le débat et l’écologie, et cela ne peut pas se faire à l’intérieur des partis ou dans une primaire. » EXT R ÊME D R OI T E Jean-Marie Le Pen au « banquet » de « Rivarol » Selon les informations du Monde, le « grand banquet des amis de Rivarol », qui doit se tenir, samedi 9 avril, à Paris, pour les 65 ans de l’hebdomadaire pétainiste et antisémite, recevra Jean-Marie Le Pen. Il y célébrera l’anniversaire de son entretien à Rivarol dans lequel il réitéra ses propos sur les chambres à gaz, « détail » de l’histoire, le 9 avril 2015, et déclencha le conflit avec Marine Le Pen. france | 9 0123 MERCREDI 3 FÉVRIER 2016 Les malades du cancer vivent plus longtemps Selon une étude menée entre 1989 et 2010 sur 535 000 cas, davantage de cancéreux passent le cap des cinq ans C’ est une nouvelle plutôt rassurante. De plus en plus de personnes atteintes d’un cancer sont toujours en vie cinq ans après le diagnostic de la maladie. C’est ce que révèle la troisième édition d’une vaste enquête publiée mardi 2 février par l’Institut de veille sanitaire (InVS) et l’Institut national du cancer (INCa). Selon cette étude menée entre 1989 et 2010 sur plus de 535 000 cas et portant sur 53 types de cancer, les tendances sont jugées globalement « encourageantes ». Même si ces survies restent très « hétérogènes » et ces pronostics doivent être lus avec « prudence ». Certaines tumeurs laissent en effet toujours peu d’espoir (mésothéliome pleural, pancréas, œsophage, foie, poumon) quand d’autres affichent des taux de survie proches de la guérison (prostate et testicule chez les hommes, thyroïde chez les femmes). Des différences de pronostic qui varient également selon le sexe et l’âge des malades au moment du diagnostic. De fait, les cancers de mauvais pronostics – survie inférieure à cinq ans – représentent 31 % des cancers chez les hommes et seulement 17 % chez les femmes. Trois des quatre « tumeurs solides » – sur les organes – les plus fréquentes (prostate, sein et côlonrectum) affichent des évolutions de leur survie à cinq ans « extrêmement significatives » et « positives », se félicite François Bourdillon, le directeur général de l’InVS. Alors que 72 % des hommes à qui un cancer de la prostate a été diagnostiqué entre 1989 et 1993 étaient encore en vie cinq ans plus tard, cette proportion passe à 94 % pour ceux dont le diagnostic a été posé entre 2005 et 2010. Cette hausse spectaculaire de 22 points en quinze ans La durée de survie s’améliore pour trois des quatre cancers les plus fréquents SURVIE NETTE STANDARDISÉE À 5 ANS, EN %, DES CAS DE CANCER DIAGNOSTIQUÉS ENTRE 2005 ET 2015 ENTRE 1989 ET 1993 PROSTATE SEIN 94 % des cas 72 % des cas diagnostiqués entre 1989 et 1993 étaient toujours en vie 5 ans après diagnostiqués entre 2005 et 2015 étaient toujours en vie 5 ans après CÔLON-RECTUM 87 56 841 8 876 80 SEIN 63 54 48 763 11 886 42 152 CÔLON-RECTUM 17 722 13 17 39 495 POUMON 29 949 * EN 2011 s’explique par une amélioration de la prise en charge thérapeutique et du dépistage de ce cancer à l’origine de 8 900 décès en 2012. Entre ces deux mêmes périodes, le pourcentage de survie après un diagnostic de cancer du sein est en hausse de 7 points. Si 80 % des femmes à qui cette tumeur a été diagnostiquée entre 1989 et 1993 étaient toujours en vie cinq ans plus tard, elles sont 87 % parmi celles diagnostiquées entre 2005 et 2010. « Mais du fait de sa fréquence, le cancer du sein reste la première cause de décès par cancer chez la femme », tempèrent l’InVS et l’INCa. En 2012, pour 48 800 nouveaux cas diagnostiqués, ce cancer a causé 11 900 décès. « Prévention » La survie au cancer du côlon-rectum affiche de bons résultats, avec une hausse de 9 points (de 54 % à 63 %) de la survie à cinq ans. « Il y a là des marges de progression, juge cependant le docteur Jérôme Vi- guier, le directeur du pôle santé publique et soins de l’INCa. On arrive encore trop tard dans la maladie. Le programme de dépistage, pourtant efficace, ne rencontre que 35 % à 40 % des personnes visées. » Malgré une légère amélioration, les chiffres du cancer du poumon restent alarmants, avec un taux de survie à cinq ans particulièrement faible. En quinze ans, il est passé de 13 % à 17 %. « C’est un cancer qui garde un pronostic effroyable », constate le docteur Viguier. « Il n’y a pas à ce jour de traitement optimum de ce cancer. L’amélioration ne passera donc que par la prévention et la réduction du tabagisme », ajoute François Bourdillon. Cette tumeur est la première cause de décès par cancer chez l’homme (21 300 estimés en 2012). La baisse de la survie au cancer du col de l’utérus, de 68 % à 62 %, se présente comme une exception. Cette évolution s’explique paradoxalement par la montée en puissance du dépistage par frottis de- Depuis une semaine, des établissements prestigieux sont la cible d’alertes à la bombe et de menaces de mort. Une enquête est ouverte P POUMON PROSTATE* Des lycées parisiens et lyonnais sous la menace de messages mystérieux our la troisième fois en une semaine, des établissements scolaires ont été perturbés par des appels téléphoniques menaçants. Lundi 1er février, vers 9 heures, les élèves de trois lycées parisiens (Condorcet, Henri-IV et Louis-le-Grand) ont été mis à l’abri à la suite d’un appel anonyme. « Vous allez tous mourir », aurait lancé l’interlocuteur au bout du fil. Ce même lundi matin, à Lyon cette fois, six collèges et lycées ont reçu des appels faisant état de la présence d’une bombe. Dans deux d’entre eux, les élèves ont été évacués, le temps que la police inspecte les lieux. Dans la capitale, le scénario se répète. Mardi 26 et jeudi 28 janvier, plusieurs lycées réputés ont été contactés dans la matinée. A chaque fois, un message préenregistré, provenant d’un numéro anonyme. Mardi, le message parvenu au standard de six lycées évoquait un colis piégé à l’intérieur de l’établissement et les alertes à la bombe n’ont été levées qu’à la mi-journée. Jeudi, cinq lycées ont été pris pour cible ; cette fois, « le message indiquait que le lycée allait être bombardé, que les élèves allaient être mitraillés dans une demi-heure », témoigne un proviseur. Ni le rectorat de Paris ni les autres chefs d’établissement contactés n’ont souhaité donner plus de détails. Côté police, une enquête est en cours, menée par la direction de la sécurité de proximité INCIDENCE ET MORTALITÉ DES QUATRE PRINCIPAUX CANCERS EN 2012 NOMBRE DE DÉCÈS NOMBRE DE NOUVEAUX CAS de l’agglomération parisienne (DSPAP) avec un soutien technique de la PJ parisienne. Elle progresse lentement en raison de la difficulté à remonter à l’origine des appels. « Le numéro de téléphone est anonymisé. Le travail est assez lourd techniquement, explique une source policière. Nous tentons de remonter le cheminement des appels, qui transitent peut-être par une plate-forme ou via Skype. » Evacués ou confinés En cas d’alerte, les lycées appliquent une procédure définie à l’avance dans leur « plan particulier de mise en sécurité ». Selon la situation, les élèves peuvent être soit évacués soit confinés dans l’établissement, regroupés dans certaines pièces ou dans la cour. « Dans ces cas-là, on ne se pose pas la question de savoir si la menace est sérieuse ou non. On déclenche le dispositif prévu, raconte un proviseur dont le lycée a été menacé jeudi. J’ai immédiatement appelé le rectorat et les services de police. La police est arrivée et a bloqué les rues adjacentes. Les cours ont continué mais les élèves n’ont pas été autorisés à sortir avant midi. » A Louis-le-Grand, lundi matin, l’appel malveillant « n’a absolument pas perturbé mes cours », raconte une enseignante sous couvert d’anonymat. « Je ne me suis rendue compte de rien. Ce n’est qu’à midi que j’ai eu vent de cette nouvelle menace. » L’enseignante rapporte que les cours ont également eu lieu normalement jeudi, alors que les élèves avaient dû évacuer leur salle de classe mardi. « A part une surveillance accrue des sacs à l’entrée depuis quelques jours, notre quotidien n’est pas bouleversé. » « Ce n’est pas la panique, confirme un de ses collègues. Je sens les élèves plus agacés de voir les cours perturbés qu’inquiets. » Outre-Manche, un scénario similaire s’est produit ces derniers jours dans plusieurs établissements scolaires d’Angleterre et d’Ecosse. Les enquêteurs français tentent d’établir un lien avec ce qui se passe en France, selon une source policière citée par l’Agence France Presse (AFP). Vendredi, en Australie, des écoles ont été évacuées ou fermées à la suite d’alertes à la bombe qualifiées finalement de « canulars » par la police. Des menaces qui se sont répétées mardi. En France, les consignes de sécurité ont été revues à la hausse depuis les attentats du 13 novembre 2015 : vérification d’identité, contrôle des sacs, interdiction de s’attarder devant les établissements, sensibilisation aux premiers secours, constitution de « cellules de crise » dans les rectorats, diagnostic de protection des espaces… En outre, tous les établissements scolaires étaient tenus d’organiser, avant les vacances de Noël, deux exercices de sécurité (évacuation et confinement), que les lycées menacés ont, depuis, pratiqué… grandeur nature. p aurélie collas L’étude a servi à élaborer une grille pour le « droit à l’oubli » lors de la souscription d’un crédit bancaire puis vingt-cinq ans. Malgré tout encore insuffisant. Les cancers « diagnostiqués au stade invasif » ayant échappé à ce dépistage sont certes moins nombreux mais « comportent une proportion plus importante de cancers de mauvais pronostic, d’où la diminution de la survie au cours de la période d’étude », fait valoir l’enquête. C’est sur la base de toutes ces nouvelles données qu’a été élaborée ces derniers mois entre l’INCa et les sociétés d’assurances une nouvelle « grille de référence » affinant le « droit à l’oubli » prévu par la loi santé pour les anciens malades du cancer. Pour leur éviter d’avoir à payer des surprimes d’un montant parfois exorbitant lors de la souscription d’un crédit bancaire, le texte définitivement adopté en décembre prévoit que les anciens malades ne sont plus tenus de déclarer leur cancer dix ans après la fin de leur traitement. Selon nos informations, la mi- SOURCE : INVS nistre de la santé, Marisol Touraine, devrait dévoiler jeudi 4 février, lors de la clôture des sixièmes rencontres de l’INCa, une grille – évolutive – qui détaillera quels cancers ne donneront plus lieu à une déclaration obligatoire. Au vu de l’enquête publiée mardi, les cancers avec un bon pronostic, comme celui du testicule (96 % de survie à cinq ans) devraient figurer en bonne place. « A 95 % de survie, on peut considérer qu’on est sur un cancer qui se guérit », souligne le docteur Viguier. « Même si c’est assez difficile de mettre le pancréas ou le poumon dans un premier temps, ajoute-t-il, cette liste est quand même une petite révolution. » p Le nouveau nom de l’énergie. www.uniper-energy.fr françois béguin 10 | france 0123 MERCREDI 3 FÉVRIER 2016 La « jungle » calaisienne se resserre Deux lieux de culte ont été détruits lundi 1er février. La préfecture veut créer une zone tampon avec l’autoroute REPORTAGE La petite école qui était au bord de la bande à déblayer a été épargnée calais - envoyée spéciale U ne main sur le front en guise de visière, deux jeunes Africains regardent au loin. Depuis la butte de terre où ils sont juchés, au cœur de la « jungle » calaisienne, ils scrutent la tractopelle qui nivelle le lieu où tous deux ont vécu durant trois mois. Derrière eux, le bruit des marteaux rythme la fixation des bâches sur les murs de planches des cabanes remontées en urgence. Lundi 1er février, ils sont une quinzaine à reconstruire un semblant de quartier éthiopien et érythréen, à quelques pas de leur village détruit. Dans l’immense bidonville de Calais, où se côtoient une vingtaine de nationalités, chacun aime à se retrouver entouré des siens. « On va être serrés mais ça va aller », lance Fantiou, un jeune Ethiopien d’une vingtaine d’années, avant de se saisir du sac-poubelle dans lequel il traîne ses affaires. Village englouti Victime de l’opération de « resserrement » du bidonville, son quartier a été rayé de la « jungle », lundi matin à 9 heures. Le lieu où vivaient Fantiou l’Ethiopien et Mithias l’Erythréen a été rendu à la nature. C’est désormais un no man’s land entre le bidonville et les pavillons des riverains. La création de cette bande de terre nue était un des buts de l’opération. Le 19 janvier, la préfète du Pas-de-Calais, Fabienne Buccio, avait pris un arrêté d’expulsion concernant tous les migrants installés en lisière du bidonville. Elle souhaitait éloigner les Afghans de l’autoroute et les Africains des riverains. Les Afghans ont migré il y a une semaine, et un à un, leurs cafés et épiceries rouvrent à quelques pas de ceux que le bulldozer a anéantis. Restait à bouger les Africains. Leur église évangélique et leur mosquée ont été rayées de la carte. Des femmes ont pleuré, des humanitaires ont crié à la provocation, avant qu’un calme d’impuissance ne reprenne le dessus. « Ils avaient promis qu’ils ne toucheraient pas les lieux de culte. Que cherchent-ils ? », s’interroge Christian Salomé, de l’Auberge des migrants. Une bénévole calaisienne, hors association, mais très présente, s’inquiète de « l’effet sur les communautés de ces destructions hautement symboliques ». Interrogé par le journal Nord Littoral, Etienne Lhermenault, le président du Conseil national des évangéliques de France estime que « dans le climat général d’hystérie antireligieuse, ces destructions sonnent comme un aveu : faute de pouvoir s’en prendre aux réfugiés, la République essaie de les priver de ce qui nourrit leur espérance ». En fin de journée, Ethiopiens et Erythréens étaient peu loquaces sur l’événement, trop affairés à reconstruire des abris avant la nuit et la tempête. Mais Fantiou avait un sourire triste, comme s’il avait laissé un peu de lui-même dans son village englouti. Lundi soir, Mme Buccio rappelait qu’associations et responsables des communautés étaient prévenus que l’église et la mosquée ne pourraient rester puisqu’elles étaient au milieu de la bande des 100 mètres. « Lorsque nous sommes arrivés ce matin, nous avons laissé au pasteur le temps de déménager l’intérieur de l’église évangélique ; aux migrants et à leurs sou- PR OST I T U T I ON I SL AM Démantèlement d’un réseau à Belleville Polémique avant un rassemblement de l’UOIF Huit personnes ont été mises en examen dans le cadre du démantèlement d’un réseau de prostitution qui opérait dans le quartier de Belleville à Paris, a annoncé, lundi 1er février, la police judiciaire parisienne. Sept ont été placées en détention provisoire et une sous contrôle judiciaire, a-t-on appris de source judiciaire. L’enquête, menée par la Brigade de répression du proxénétisme de la police judiciaire parisienne, a débuté au printemps 2015. – (AFP.) Des responsables politiques – dont le président de Debout la France, Nicolas DupontAignan, et le député PS Jérôme Guedj – ont dénoncé l’invitation d’orateurs « prêchant la haine » ou « la négation même du pacte républicain » à une rencontre organisée dimanche 7 février à Lille par l’Union des organisations islamiques de France. Mohamed Rateb Al-Nabulsi, Abouzaïd Al-Mokri et Abdallah Salah Sana’an seront au côté de l’islamologue suisse Tariq Ramadan. Jean-Christophe CAMBADÉLIS Invité de Mercredi 3 février à 20h30 Emission politique présentée par Frédéric HAZIZA Avec : Françoise FRESSOZ, Frédéric DUMOULIN et Yaël GOOSZ sur le canal 13 de la TNT, le câble, le satellite, l’ADSL, la téléphonie mobile, sur iPhone et iPad. En vidéo à la demande sur www.lcpan.fr et sur Free TV Replay. www.lcpan.fr Destruction de la mosquée et de l’église évangélique, dans la « jungle », à Calais, le 1er février. PHILIPPE HUGUEN/AFP tiens, le temps nécessaire pour enlever la cabane qui servait de presbytère et récupérer les structures des autres constructions de bois », précise-t-elle. L’école qui était au bord de la bande à déblayer a, elle, été épargnée alors que dans cet espace de non-droit, plus de 300 enfants (selon France Terre d’asile), parfois là depuis des mois, ne bénéficient d’aucune scolarisation. La mise en place de cette bande de terre dépourvue de végétation réduit la taille du bidonville et en contient les limites. Elle permet aussi aux autorités de répondre à la demande pressante des riverains qui déploraient des intrusions dans leur jardin. La préfète y voit par ailleurs une zone tampon entre la « jungle » et l’autoroute. « C’est une protection pour nos policiers qui sont en poste. Son dégagement leur permet de mieux suivre les groupes de migrants qui se dirigent vers l’autoroute », rappelle Mme Buccio. Or l’autoroute est un point stratégique puisqu’elle conduit vers le port. La préfète se félicite que son dispositif ait déjà permis d’éviter une interruption du trafic dimanche après-midi. Le 31 janvier, quelque 500 migrants selon la préfecture – bien plus, selon l’association A fond de Calais – se sont opposés aux forces de l’ordre et le conflit a été contenu dans cet espace. Alors que personne ne sait aujourd’hui combien de migrants vivent là, Mme Buccio poursuit sa stratégie de transformation du camp en peau de chagrin. La destruction du quartier éthiopien après celle du quartier afghan procède de ce dessein. Au même titre que les 2 375 personnes convaincues de partir dans ces centres d’accueil ailleurs en France, les 3 000 converties à une demande d’asile ici, ou les quelque 700 qui viennent de quitter leur tente pour le camp de conteneurs chauffés, juste à côté. Frédéric Van Gansbeke est dubitatif face à cette stratégie. Le président de la fédération du com- merce de Calais estime que le printemps et ses arrivées risquent fort de chambouler les plans étatiques. Lundi, il a rendu publique une lettre au chef de l’Etat écrite au nom du Grand rassemblement du Calaisis. Commerçants, travailleurs du port et autres signataires y demandent « qu’on construise un vrai camp, afin d’accueillir dignement ces gens. Ensuite qu’on nous aide pour que nos entreprises ne meurent pas chacune à son tour ». Si l’énervement monte dans le bidonville à l’heure où les passages vers la Grande-Bretagne se font rares, il s’exacerbe aussi chez les commerçants calaisiens. p maryline baumard Une association de locataires dénonce les pratiques du plus gros bailleur de France La SNI, filiale de la Caisse des dépôts, est épinglée dans un rapport sur les organismes HLM L’ Agence nationale de contrôle du logement social (Ancols), sorte de Cour des comptes pour les 700 organismes HLM de France, produit des rapports très confidentiels. Mais depuis 2014, la CLCV, une association de locataires, se fait un plaisir de les divulguer. Le 27 janvier, elle en a rendu publics 45 simultanément. Ceux-ci visent notamment trois filiales de la Société nationale immobilière (SNI) : les franciliennes Efidis et Osica et la nantaise Société anonyme des marchés de l’Ouest (SAMO). La SNI, qui dépend de la Caisse des dépôts, contrôle, à travers treize filiales, 184 000 logements sociaux (sans compter 90 000 logements à loyer intermédiaire). Elle est dirigée par André Yché, un ancien militaire, qui mène ses 6 500 salariés avec autorité. Sur- tout, il laisse fort peu de marge de manœuvre à ses bailleurs sociaux, au grand dam de leurs administrateurs, notamment les représentants des locataires, dûment élus, et des collectivités locales. « Ce n’est pas une tutelle, c’est une tyrannie ! », s’insurge Maryse Offredi, élue CLCV au conseil d’administration d’Osica. C’est aussi ce qui ressort des rapports de l’Ancols. Celui concernant la SAMO est sans doute le plus critique. Son directeur est choisi et salarié par la SNI, et mis à disposition de la SAMO priée d’assurer sa rémunération. « Le directeur général ne dispose pas, de fait, de la liberté d’action nécessaire au plein exercice de son mandat social », estiment les inspecteurs qui voient là « un lien de subordination ». La SNI puise, en outre, largement, par différents moyens, dans Salaire mirobolant chez Paris Habitat Le directeur général de l’office HLM Paris Habitat, Stéphane Dambrine, est rémunéré 14 000 euros net par mois sur treize mois – dans la norme si l’on compare avec d’autres établissements publics – mais il bénéficie aussi, comme l’a révélé Le Parisien du 30 janvier, d’un parachute doré de 500 000 euros en cas de départ. Le quotidien a également précisé que le directeur général adjoint, Gilles Romano, dont le salaire est de 9 000 euros net par mois, s’est vu attribuer un logement trois pièces à loyer intermédiaire, dans le 12e arrondissement, pour 1 000 euros par mois. « Ce n’est pas illégal mais il faut éviter ce type de conflit d’intérêt », estime Ian Brossat, adjoint au logement à la Mairie de Paris. Cette question sera examinée lors d’un prochain conseil d’administration. la trésorerie de ses filiales. Jusqu’en 2015, elle exigeait ainsi une curieuse « redevance d’image de marque » pouvant aller jusqu’à 1 % du chiffre d’affaires. A ce titre, par exemple, Efidis a été ponctionnée de près de 875 000 euros en 2012. Une situation à « caractère strictement commercial incompatible avec le service de l’intérêt général », dénoncée par l’Ancols. Cette pratique a été abandonnée. Un autre biais pour tirer parti des filiales est de leur imposer de recourir exclusivement aux services proposés, donc imposés, par la SNI, à son prix, via divers « groupements d’intérêt économique ». C’est le cas des services informatiques, financiers, de maîtrise d’ouvrage pour toutes les actions de construction et de rénovation mais aussi d’expertise et de vente des logements. « Les prestations facturées ne reposent pas sur un calcul du coût réel », relève l’Ancols à propos de la SAMO. La stratégie même de chaque organisme HLM est décidée à la SNI sans toujours tenir compte des réalités locales. Les loyers, par exemple, sont systématiquement fixés à leur niveau maximum autorisé, voire plus : « Une réflexion mériterait d’être engagée sur la politique des loyers dont les niveaux apparaissent globalement élevés », notent les inspecteurs à propos de la SAMO. « La SNI [lui] impose une politique ambitieuse de vente de logements, près de 500 actuellement, quitte à abandonner certains territoires, comme le littoral vendéen ou le Maine-etLoire, alors que les besoins en logements sociaux y sont toujours avérés », dénonce, de son côté, Daniel Gonzalez, administrateur locataire, élu CLCV. « Mutualisation des moyens » Toutes les opérations de développement, de construction et de renouvellement urbain des franciliennes Osica et Efidis sont désormais confiées à un GIE Grand Paris Habitat. « Les organismes HLM se voient cantonnés au rôle de gestion des locataires, dont ils reçoivent directement les plaintes dans des procédures, notamment celles de rénovation, qu’ils ne maîtrisent pourtant pas, et les élus locaux sont tenus à distance », regrette Edward Watteeuw, de l’Union régionale Ile-de-France CLCV. « Nous sommes l’actionnaire principal, je revendique cette stratégie et la mutualisation des moyens », maintient André Yché. Enfin, la gestion financière imposée par la SNI, notamment de coûteuses couvertures de risques pour des emprunts à taux variable, a entraîné pour Efidis une lourde perte de 23 millions d’euros, entre 2008 et 2012. « Ce n’est pas une perte mais une assurance », se défend M. Yché. p isabelle rey-lefebvre enquête | 11 0123 MERCREDI 3 FÉVRIER 2016 Belleville, extérieur nuit Elles ont entre 40 et 60 ans et ont quitté la Chine dans l’espoir d’une vie meilleure. Alors que la loi sur la prostitution doit être votée à l’Assemblée, les « marcheuses » de Belleville revendiquent de n’être « l’esclave de personne » florence aubenas E n voyant un attroupement sur le boulevard de La Villette, à Paris, les femmes ont d’abord cru à une opération de police. Il y en a régulièrement ici. Deux se sont engouffrées dans un supermarché chinois, d’autres ont dévalé les rues qui descendent vers le canal. Une seule s’est approchée, discrète. En fait, on tournait un film, ce jour-là, dans le Belleville asiatique. La même femme s’est risquée à demander un rôle. Après tout, le scénario raconte la vie d’une prostituée chinoise. Comme elle. Une femme sans papiers. Comme elle, ou plutôt comme elles toutes. Avec le recul, des mois plus tard, la femme frissonne encore de sa « folie » : imaginer son visage sur écran géant, projetée partout, peut-être même jusqu’en Mandchourie, chez elle. Là-bas, les gens auraient compris alors : en fait, elle n’est pas secrétaire à Paris. Mercredi 3 février, La Marcheuse, premier film de Naël Marandin, sort au cinéma. Le même jour, l’Assemblée nationale examine en dernière lecture une proposition de loi – controversée – de lutte contre la prostitution. Un peu en recul du boulevard, quelques femmes se sont réfugiées dans un café, zinc à la parisienne version chinoise, où des dragons caracolent sur les théières autour du percolateur. Il s’est remis à pleuvoir. De l’autre côté de la vitrine, des lycéennes rient sous l’averse, bien plus pomponnées qu’elles. Elles ? Elles ont entre 40 et 60 ans, allure de tantes de province, fagotées dans des anoraks sombres, jeans bon marché. Le quartier en compte 300, un bon tiers de la prostitution chinoise à Paris, regroupées dans le huis clos minuscule et terrible du carrefour de Belleville. D’habitude, les passes tournent ici de 20 euros à 60 euros. Ces temps-ci, certaines acceptent à 10. Janvier a toujours été un mois de misère. Dans le café, on se bat à qui paiera les expressos ; surtout garder la face. « ON N’AVAIT PLUS RIEN » « En partant, on ne peut pas imaginer qu’on va travailler avec notre corps, dit une petite blonde. Ton direct, pas de plainte. Chez nous, à 40 ans, une femme ne vaut plus rien. » A Paris, d’autres filles – les Françaises surtout – les ont surnommées « les prolétaires ». Presque toutes viennent de la Chine du Nord-Est, là où les immenses complexes d’Etat, industriels ou sidérurgiques, « rendent la neige noire comme le charbon ». Vers la fin des années 1990 s’y abat un tsunami appelé « restructuration ». Tout ferme, en quelques mois. « Les usines logeaient, éduquaient, soignaient : on n’avait plus rien », constate la petite blonde. Dans une fabrique de chaussettes, on conseille aux employés : « Prenez quelque chose, vendez-le sur le trottoir, vous ne reviendrez plus. » Dans le même temps, à l’autre bout du pays, une nouvelle économie se construit, textile, électronique, enrôlant des bataillons de jeunes ruraux, une classe ouvrière remplaçant l’autre, sacrifiée. Dans le café, une femme avec des lunettes d’institutrice raconte avoir été vendeuse, artisan, entrepreneur, rien du tout. Les départs pour l’Occident ont commencé à ce moment-là. Les filières varient peu : un vrai visa pour un faux colloque dans un pays aux confins de l’espace Schengen, 11 000 euros environ, cash. Les vols transitent par Londres, Francfort, Paris. Peu importe, elles y restent, avec l’adresse d’un appartement-dortoir. « C’est là qu’on comprend la réalité », dit « Petite Blonde ». Toutes hésitent des semaines. Le faire ou pas ? « L’émigration, pour nous, c’est comme un homme qui va à la guerre. On espère rentrer vite avec la victoire. Pour nous, l’argent », dit une femme. Sa première passe ne lui a laissé aucun souvenir. « Comment peux-tu l’oublier ? Mon cœur est devenu un hérisson », s’exclame « Petite Blonde ». En face, sur le même carrefour, Naël Marandin, 35 ans, réalisateur, s’installe dans une brasserie. Il habite le quartier, un garçon pas facile à classer. S’il ne l’avait déjà obtenu, on commencerait par lui donner le diplôme de Sciences Po rien que sur son allure sage, très fils de profs, parlant délicatement du film Happy Together, de Wong Kar-wai, qui lui a donné l’envie de tourner. Enfant, Marandin faisait du théâtre, il a même eu son grand rôle, le gamin-héros des Allumettes suédoises, le best-seller de Robert Sabatier adapté à la télévision en 1995. « Graine de star », titre Sud-Ouest en mars 1996. « Il me semblait qu’on attendait de moi des choses extraordinaires, je me faisais l’effet d’être une déception permanente. » A 19 ans, il part en Chine. Il veut l’aventure, l’absolue différence, peutêtre ne jamais revenir. Marandin apprend la langue, devient barman, présentateur télé, s’engage dans une ONG au Tibet, puis joue dans une pièce de théâtre. Au retour, presque deux ans plus tard, il se branche sur des associations en prise avec l’émigration chinoise, manière de garder un lien. Le Lotus Bus est l’une d’elles, un programme de Médecins du monde (MDM) pour « l’accès aux droits et à la santé des travailleuses du sexe ». Une nuit par semaine, le minibus de l’ONG se gare au carrefour de Belleville. « Le projet a grandi face à l’afflux de femmes chinoises très vulnérables, qu’on a vu arriver après les lois Sarkozy de 2003, raconte Nathalie Simonnot, l’une des pionnières du Lotus Bus. Avant, elles arrivaient à cumuler les boulots clandestins, mais le durcissement des sanctions contre les employeurs pour “travail dissimulé” a réduit leurs possibilités. » Parallèlement, une loi instaurait le délit de racolage passif. « Une énorme erreur, selon Nathalie Simonnot. Les femmes se réfugient dans des endroits de plus en plus reculés, augmentant leurs risques. » 55 % d’entre elles ont subi des violences physiques, 38 % des viols, 28 % des séquestrations, relève Jean-François Corty, directeur France de MDM, citant une enquête de l’ONG sur la prostitution chinoise. Au café, « Petite Blonde » parle de sa fille qui étudie en Mandchourie. « Du design, préciset-elle, paupières baissées pour voiler l’orgueil. Un parent doit tout donner pour ses enfants. Tout, tout, tout. Chez nous, on ne vit pas pour soi. » « Moi, je n’ai pas d’enfants », lance une autre, aux cheveux ondulés. « Petite Blonde » se braque : « Pour faire ce que nous faisons, il faut une raison impérieuse. Quelle est la tienne ? » Tout le monde s’est tu et des visages soudain sans pitié mettent en joue « Cheveux Ondulés ». Elle hésite. Même entre elles, toutes évitent de donner des détails, chérissant chacune son projet en secret, plus que sa propre vie. Là-bas, les proches ne soupçonnent rien, loin de tout ça, trop pauvres, pas d’informatique. Personne ne doit pouvoir remonter jusqu’à eux, sinon « toute la famille part en enfer ». « Petite Blonde » insiste : « Alors, quelle est ta raison ? » « Cheveux Ondulés », tête basse : « Nous vivons dans un village de montagne, nous possédons une table, un lit, un peu de riz. Nous avons dû emprunter pour soigner mon père, puis acheter un cochon, avec l’espoir de rembourser plus vite. Le cochon est mort. J’étais la seule chance de sauver l’honneur de la famille. » D’un coup, ça crie dehors. « La police ! La police ! » On se demande laquelle. Le carrefour de Belleville, c’est le rio Grande, la jonction de quatre arrondissements, donc quatre com- ALE+ALE « L’ÉMIGRATION, POUR NOUS, C’EST COMME UN HOMME QUI VA À LA GUERRE. ON ESPÈRE RENTRER VITE AVEC LA VICTOIRE. POUR NOUS, C’EST L’ARGENT » une prostituée de Belleville missariats, sans compter la brigade de répression du proxénétisme, la police judiciaire (PJ), la brigade spécialisée de terrain. Parfois, les uniformes font des descentes – huit personnes ont été arrêtées lundi 1er février. Pour harceler ou pour protéger. En dix ans, cinq prostituées chinoises ont été tuées. La dernière est devenue une icône. Les autres l’ont vue partir avec un homme que toutes savaient violent. Elle aussi. Rien n’a pu la retenir, il lui fallait de l’argent, elle venait de faire venir sa fille. Trente euros, 24 coups de couteau. La petite est restée ; plutôt mourir ici comme sa mère que raconter à la famille les circonstances du meurtre. Dans ce contexte, une centaine de femmes ont créé Les Roses d’acier, en 2015, à Belleville, portant des masques pour leurs apparitions publiques. Comme d’autres associations, elles ont été auditionnées par les parlementaires pour la préparation de la loi. Elles ont bien vu qu’on ne les croyait pas quand elles ont expliqué n’être « l’esclave de personne ». « Les gens ne perçoivent pas qu’on peut parfois effectuer un travail sexuel sans avoir un flingue sur la tempe, dit de son côté Morgane Merteuil, une porte-parole du Strass, le Syndicat du travail sexuel. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de grosses contraintes économiques, les logeurs par exemple. C’est moins spectaculaire, mais pas forcément plus facile. » La présidente des Roses d’acier sourit : « Notre exploiteur, c’est la famille, mais on est d’accord… » LA GUERRE DES ASSOCIATIONS Pour la première fois en France, la nouvelle loi proposera un « parcours de sortie de la prostitution », assorti de droits, logement, allocations, formation, y compris un titre de séjour provisoire pour les personnes sans papiers (la majorité en Europe). Mais, au-delà des moyens, à quelles conditions s’ouvrirait ce parcours d’insertion ? En décembre 2015, le Défenseur des droits, Jacques Toubon, avait souligné – comme d’autres – qu’il n’existe pas « une » mais « des » prostitutions, et s’inquiétait que l’entrée dans le dispositif soit soumis à l’arrêt de toute activité, ce qui ne serait ni réaliste sur le terrain « ni compatible avec une égalité d’accès aux droits ». Premier tollé dans la vieille guerre qui déchire les associations. Mais à l’Assemblée, ce 3 février, la bataille de la pénalisation risque d’être la plus violente. Si la loi supprime le fameux « délit de racolage » institué en 2003, elle prévoit aussi la pénalisation des clients. La mesure protégera-telle davantage les prostituées, comme le soutient le mouvement Le Nid, par exemple ? Ou au contraire les maintiendra-t-elle dans une clandestinité de tous les dangers, selon Amnesty International ? En général, Qiu Lan évite Belleville. Elle s’est posée à Paris voilà quinze ans, sur la rive ensoleillée de l’émigration, coup de foudre en Chine avec un homme d’affaires français. Ici, elle a appris la langue et le théâtre. Ancienne danseuse de l’Opéra de Pékin, fille d’un compositeur de renom, Qiu Lan a essayé « de se mettre le plus bas possible », quand Naël Marandin l’a amenée au carrefour de Belleville. La Marcheuse est son premier vrai rôle, elle était « enthousiaste » de jouer une prostituée ; « un défi, c’est mon caractère ». Elle se souvient que, en face, les femmes avaient honte, « surtout devant d’autres Chinois ». Ceux de Paris ne les aiment pas, elles le savent, surtout l’immigration traditionnelle du Sud. Certains commerçants de Belleville, installés depuis des générations, proposent régulièrement de leur payer un billet retour pour « rétablir une bonne image de la communauté ». Au bout de deux ans, « Petite Blonde » vient de rembourser les dettes pour le passeur. Encore trois et elle aura tout payé. Elle pourra repartir comme la plupart des femmes. Un Français a proposé de l’épouser. Elle ne l’aimait pas. « Est-ce que c’est correct de le faire seulement pour les papiers ? » Et « Petite Blonde » a refusé. p 12 | débats 0123 MERCREDI 3 FÉVRIER 2016 Gauche : refonder une vision et non un projet Faute d’avoir mieux préparé les mutations du monde contemporain, le socialisme risque d’être soumis au même sort que celui du « vieux monde » qu’il voulait remplacer par gaël brustier L a démission de Christiane Taubira a relancé le débat : le gouvernement est-il de gauche ? Malgré les vicissitudes de l’actualité, malgré le caractère symbo lique évident du départ d’une mi nistre honnie par l’opposition de droite et d’extrême droite et qui avait porté la grande mesure symbolique du quinquennat Hollande – le « mariage pour tous » –, on ne saurait dater de ce 27 janvier une quelconque rupture dans l’exercice gouvernemental de François Hollande et de Manuel Valls. Il faut resituer l’action de François Hollande et de ses gouvernements – ceux de Jean-Marc Ayrault et de Manuel Valls – dans le contexte plus vaste de l’après2008 et de l’ef fondrement d’un modèle auquel le socialisme français avait fini par s’identifier. Le contexte né de 2008 est celui du renforcement des pouvoirs économiques de certaines institutions européennes, dont on vit les effets en Italie et en Grèce dès 2011. Le consensus européen autour des questions économiques n’a ja mais été véritablement remis en cause par François Hollande. Le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) n’a pas été renégocié et, au fil des mois et des années, les marges de manœuvre économique du gouvernement se sont réduites à mesure que les mois passaient. Contraints sur le plan budgétaire et monétaire, faisant face à la montée en puissance de la BCE et de la direction générale à la concurrence de la Commission, les gouvernements européens ont vu leurs marges de manœuvre considérablement réduites. LA COMPÉTITIVITÉ, LE GRAAL Les gouvernements français n’ont pas fait exception. Certes, à plusieurs reprises, Paris a tenté de faire entendre une voix dissonante par rapport à Berlin. Cependant, c’est la « compétitivité » qui est devenue le Graal d’une action publique très éloignée de ce que fut l’action de la gauche dans le passé. Les Etats sont mis au défi par la mondialisation, par la formidable accélération des interdépendances entre Etats et individus. La réforme constitutionnelle sert d’ailleurs à restaurer l’idée d’un Etat ayant prise sur le cours des événements alors que les attentats de 2015 ont rendu plus urgente l’adaptation de nos appareils étatiques à une configuration sociale porteuse de périls. La contestation du « pacte de stabilité » au nom d’un « pacte de sécurité » est symptomatique de cette volonté d’affirmation de l’autorité de l’Etat. Ce qui trouble une partie de la gauche n’est pas tant l’affirmation d’une ferme volonté dans la lutte contre des groupes qui ont décidé d’activer au sein de nos sociétés des germes de guerre civile que ce qui est perçu comme l’adoption par nos gouvernants d’une vision du monde comparable à celle des néoconservateurs américains après le 11 septembre 2001. Soumise à une « demande d’autorité », en vérité coproduite par les stratégies discursives du premier ministre et par la quête d’une action publique compréhensible par le plus grand nombre, la recherche de « l’ordre » se pare du vocabulaire de la République. Les solutions autoritaires prospèrent dans nombre de pays. La social-démocratie européenne est en crise. Le Parti socialiste n’est certes lui-même pas le plus atteint des partis sociaux-démocrates européens, mais ses importantes défaites électorales rendent spectaculaires son recul et la dénationalisation qui la frappe. Les « grandes coalitions » (SPD/CDUCSU en Allemagne au premier chef) ont vocation à préserver le consensus économique et social dans l’Union européenne, elles sont pour l’heure une sorte de pis-aller stratégique. Les socialistes n’étaient sans doute pas préparés au monde tel qu’il est. Le basculement du centre de gravité du monde de l’Atlantique au Pacifique, l’entrée de la Chine dans l’OMC, les mutations géopolitiques qui en sont la conséquence, la montée en puissance du salafisme djihadiste, l’accélération des flux migratoires et la difficulté de trouver une réponse européenne adaptée contribuent, parmi d’autres facteurs, à donner l’avantage aux idéologies et aux discours portés par des droites radicalisées. L’idée de « déclin » domine le débat public depuis fort longtemps. Elle fait écho à l’expérience que nombre de nos concitoyens font de la désindustrialisation du déclassement. Les longs mois de débats relatifs au « mariage pour tous » ont, en outre, laissé un important mouvement social conservateur se constituer. Celui-ci pèse sur le destin de la droite parlementaire autant que sur celui du Front national, mais contribue aussi à inhiber une gauche désormais tétanisée à l’idée qu’on l’accuse de substituer le « sociétal » au social. Le premier ministre développe une vision politique cohérente : changement de culture du Parti socialiste, mutation de son projet, changement d’alliance. Il entend abandonner les références au mouvement ouvrier, c’est ce qui explique d’ailleurs ses assauts fréquents contre le mot « socialisme ». Le projet de Manuel Valls est à la fois empreint d’une volonté de rester dans le consensus européen et animé par une vision du monde assez similaire à celle des néoconservateurs américains. Enfin, il ne fait pas de doute qu’il recherche, à terme, des alliances avec le centredroit. Ailleurs en Europe, en Espagne ou au Portugal, les partis socialistes ou sociaux-démocrates sont soumis à la pression des nouvelles gauches radicales. Ces dernières, en mettant au cœur de leur discours la question démocratique, contribuent progressivement à redéfinir un sens commun favorable à des politiques alternatives en Europe. Figure emblématique de la social-démocratie européenne, Felipe Gonzalez n’a-t-il finalement pas livré le fond de la pensée de certains de ses camarades européens en souhaitant publiquement une alliance du PSOE et du Parti populaire plutôt qu’une alliance avec Podemos ? L’attachement au clivage gauchedroite, qui est assurément l’un des clivages explicatifs de notre vie po litique, ne saurait à lui seul camoufler l’ampleur de la mutation à l’œuvre. La gauche française, une fois arrivée au pouvoir, a été prise dans un véritable maelström. Pour la social-démocratie et la gauche ra dicale, il s’agit moins de trouver des « marqueurs » de gauche que de re fonder totalement leur projet et de redéfinir leur vision du monde. Le vieux monde, quant à lui, est bien en train de mourir… p ¶ Gaël Brustier est politologue. L’un de ses derniers ouvrages est A demain Gramsci , (Cerf, 2015) La justice est une femme | par serguei Non à l’ingérence des lobbys dans la concertation publique sur le vaccin La confiance du public dans les vaccins et les médicaments s’érode. Pour la reconstruire, il faut davantage associer les citoyens à la politique de santé collectif L a ministre de la santé, Marisol Tou raine, a présenté mijanvier son plan d’action de rénovation de la politique des vaccins en France à la suite de la remise du rapport de l’ancienne députée Sandrine Hurel et a promis le lancement d’une grande concertation publique au sujet de la vaccination en France que nous réclamions depuis des années. Toutefois, aucune garantie n’est posée pour assurer une parfaite transparence et la neutralité du débat public qui doit s’ouvrir. Accoler un jury de professionnels de santé et un jury d’experts scientifiques est une méthode bien éloignée de la conférence citoyenne mise en place dans un grand nombre de pays sur les sujets majeurs de société. Le risque est grand de voir le jury citoyen servir d’alibi aux décisions prises sous l’influence de l’industrie pharmaceutique via les jurys d’« experts ». Dans le même temps, pour des raisons de transparence évidentes, nous nous opposons à la directive « secret » des affaires que s’apprête à voter le Parlement européen. De manière plus globale, si l’on veut vraiment restaurer la confiance des Français vis-à-vis de l’ensemble des produits de santé, il convient de ne pas limiter le débat public à la seule question vaccinale. La politique de santé publique pose en effet une exigence de maîtrise démocratique en associant les citoyens aux décisions et au contrôle. Les fondements de notre République sont sapés par la généralisation de la cor ruption, la banalisation des conflits d’inté rêts, le lobbying institutionnel des multinationales et la faiblesse des moyens de contrôle démocratique dans l’exécution des politiques publiques. Ces dernières années, les scandales sanitaires ont fleuri, du scandale des 94 millions de doses de vaccins commandés pour rien contre la grippe H1N1 à l’affaire du Mediator (plus de 1 300 morts). A cela s’ajoutent les scandaleux profits des « majors » pharmaceutiques. Le secteur pharmaceutique est même de très loin la première industrie mondiale en termes de bénéfices (120 milliards d’euros en 2014) exprimés en pourcentage du chiffre d’affaires, avec une moyenne de 20 %. Ce domaine possède un atout considérable par rapport aux autres secteurs marchands : celui d’agir sur notre santé par des traitements efficaces mais de plus en plus onéreux et aussi de jouer sur les peurs pour vendre coûte que coûte. Face aux dérives financières de l’indus trie pharmaceutique et au détournement massif de l’argent public dans les poches des actionnaires de la « big pharma », il est indispensable de revoir les pouvoirs tant au niveau de notre système de santé que de celui de la Sécurité sociale ou du lobby pharmaceutique. La cause princi pale de cette dérive tient à l’avidité dévorante des actionnaires associée à une volonté de rentabiliser le moindre traitement. Cela tient également à une panne d’innovation réelle, en lien, entre autres, avec les restructurations massives de leur secteur de recherche ces quinze dernières années et la focalisation sur les maladies les plus rentables. Dans un rapport paru en 2012, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estimait que, sur les 700 nouveaux médicaments mis en vente par les grands groupes pharmaceutiques sur la décennie 2001-2011, seuls 4 % présentaient un intérêt essentiel. De même, en ce qui concerne les vaccins, le chiffre d’affaires mondial est passé de 6 milliards d’euros en 2006 à 20 milliards en 2012, et 42 milliards sont attendus cette année. LA TRISTE SINGULARITÉ FRANÇAISE Les causes de cette inflation du coût du médicament sont connues : opacité des instances de fixation du prix ; surprescription médicamenteuse ; foisonnement de conflits d’intérêts entre l’industrie pharmaceutique, les médecins, les politiques et les hauts fonctionnaires. En luttant contre cette surconsommation et cette surfacturation par une meilleure prescription, l’Assurance-maladie pourrait réaliser au moins 10 milliards d’euros d’économies, c’est-à-dire annuler son déficit chronique, et ce, sans dommage pour la santé publique. En Italie, on constate en effet que le coût des médicaments en ville et à l’hôpital s’élève pour 2013 à 18 milliards d’euros, contre 34 milliards pour la France, soit 70 % de plus à population égale pour les mêmes résultats sanitaires (avec une espérance de vie de sept mois supérieure en Italie). Les prix hors taxes des génériques sont supérieurs en France de 30 % en moyenne à ceux pratiqués en Italie. La perte de confiance envers les produits de santé (médicament et vaccins) marque la fin d’une époque : celle de la sacralisation de la parole des « sachants ». L’époque où les Français déléguaient aveuglément leur santé à leur médecin est bel et bien révolue. La relation entre le médecin et son patient est à présent plus égalitaire, ce dernier ayant accès plus facilement à l’information scientifique. L’échange que cela permet est la garantie d’un choix éclairé auquel on est peu habitué dans le domaine de la santé. Pour répondre à cet état d’urgence sanitaire et afin de garantir la pérennisation de notre système de solidarité et d’égalité d’accès aux soins, les solutions existent. Il faut renforcer l’encadrement du médicament par la mise en place d’un corps d’experts indépendants, la prohibition des conflits d’intérêts, la réorientation de la recherche vers les besoins thérapeutiques et non le profit exclusif, la purge du marché et le déremboursement des médicaments inutiles en améliorant aussi la pharmacovigilance. Il faut aussi modifier les usages des prescripteurs et des patients en garantissant une formation indépendante aux médecins, en transformant le pharmacien en conseil thérapeutique et le patient en consommateur éclairé et en reconnaissant les actions collectives et le statut de lanceur d’alerte. Il convient enfin de refuser les brevets abusifs, de créer une justice sanitaire digne de ce nom et de reconnaître les victimes d’accidents liés à des produits de santé (20 000 morts par an en France). Au XXe siècle, les médicaments et les vaccins ont permis, avec l’amélioration des conditions de vie et d’hygiène, de fortement diminuer la mortalité infantile et d’éradiquer certaines maladies infectieuses. L’adhésion populaire a été immédiate, car le produit de santé était reconnu comme un bien commun. Malheureusement la pression financière, notamment du lobbying pharmaceutique, génère de nombreuses dérives qui alimentent la méfiance de nos concitoyens : mise sur le marché de « médicaments » dangereux, adjuvants générant des effets secondaires, ruptures de stocks permettant d’agir sur les prix, imposition des polyvaccinations, conditions de travail dégradées portant atteintes à la qualité. Pourtant, les besoins en recherche sont grands, notamment pour de nouveaux traitements et vaccins adaptés aux besoins des populations tant des pays du Sud que des pays développés. Il ne faut pas craindre le débat sur la politique des produits de santé, mais au contraire faire confiance à l’intelligence collective et à l’expertise citoyenne affranchie de l’influence des lobbys, loin des oukases de l’ancien temps. Voilà l’urgence, c’est à cette condition que la confiance reviendra dans la population française. p ¶ Marie-Odile Bertella-Geffroy, ex-magistrate, responsable du pôle santé du tribunal de grande instance de Paris, avocate spécialisée dans les questions sanitaires ; Thierry Bodin, représentant syndical, CGT Sanofi ; Dominique Bourg, philosophe ; Philippe Even, ancien doyen de la faculté de médecine de Paris et président de l’Institut Necker ; Estelle Kleffert, représentante de Génération Cobayes ; Didier Lambert, président de l’association E3M ; Michèle Rivasi, députée européenne EELV ; Séverine Tessier, ex-présidente de l’association Anticor ; Patrick Viveret, philosophe et essayiste éclairages | 13 0123 MERCREDI 3 FÉVRIER 2016 La Grèce « mise en quarantaine » pour endiguer la vague migratoire ANALYSE cécile ducourtieux bruxelles – bureau européen BRUXELLES VEUT DÉPLACER PLUS AU NORD LA FRONTIÈRE EXTÉRIEURE DE SCHENGEN, À UN ENDROIT PLUS FACILE À CONTRÔLER QUE LES ÎLES DE LA MER EGÉE L’ Europe risque de payer cher ce qui a été décidé à Bruxelles, mercredi 27 janvier, en ce qui concerne la Grèce. Ce pays, sous la coupe réglée de ses créanciers et de ses partenaires euro péens depuis plus de cinq ans, vient de nou veau de se faire humilier. Et pour de mauvai ses raisons. La Commission, mandatée par les ministres de l’intérieur européens, a validé un rapport de Frontex – l’agence de gardescôtes et gardes-frontières de l’Union –, établi sur des informations récoltées, minovem bre 2015, dans les îles de Chios et de Samos, en mer Egée. Ce rapport conclut que « la Grèce néglige gravement ses obligations et qu’il existe des manquements graves dans l’exécution des contrôles aux frontières extérieures ». Sur la foi de ce rapport de novembre 2015, et alors que, dans l’intervalle, Athènes a accepté de solliciter une aide supplémentaire de Frontex, Bruxelles a néanmoins décidé de déclencher une complexe – mais redoutable – procédure, qui, si elle est menée à son terme, permettra de prolonger de deux ans le rétablissement des frontières intérieures de Schengen. Même si la Commission s’en défend avec véhémence, cela aboutit à une « mise en quarantaine » de la Grèce, pays par lequel sont entrés, en Europe, en 2015, l’essentiel des migrants ve- nus de Turquie (900 000). Quelque 60 000 les ont rejoints depuis le 1er janvier. La procédure bruxelloise permettra à l’Allemagne de continuer à contrôler, voire de fermer, sa frontière avec l’Autriche. Idem pour l’Autriche, pour ce qui concerne sa frontière avec la Slovénie. Cela aura pour conséquence de bloquer la « route des Balkans ». Et ce, d’autant plus que, dans le même temps, la Commission a accepté d’aider la Macédoine, passage le plus emprunté par les migrants en transit vers l’Allemagne, à mieux contrôler ses frontières. Certes il n’est pas question de « sortir » la Grèce de Schengen – le traité de libre circulation ne le permet pas. Mais il s’agit de déplacer plus au nord, entre la Slovénie et la Croatie, la frontière extérieure de Schengen, à un endroit bien plus facile à contrôler que les îles de la mer Egée. UNE AIDE AU COMPTE-GOUTTES A Bruxelles, on fait aussi un calcul cynique : isoler la Grèce, ne laisser entrouverte la route des Balkans que pour les seuls Syriens et Irakiens, c’est envoyer un message à tous les autres, Marocains, Algériens et autres migrants du centre et de l’est de l’Afrique. Inutile pour eux de risquer la noyade en Méditerranée : ils vont se retrouver coincés dans un pays où le taux de chômage frôle les 25 %. Les Grecs redoutaient la tentation d’autres Européens de transformer leur pays en vaste « camp de rétention », et ils le ressentent comme une injustice. « Les flux de réfugiés dépendent surtout de la Turquie, et de la manière dont elle applique les accords [avec les Européens, signés en novembre 2015]. S’ils n’avancent pas, ce n’est pas la faute de la Grèce », souligne ainsi la porte-parole du gouvernement, Olga Gerovassili. Surtout, les Grecs se plaignent que l’aide promise par les autres Européens arrive au compte-gouttes. Selon Athènes, le pays a réclamé 26 ambulances, qu’il n’a toujours pas reçues. Il lui a été livré 580 lits, au lieu de 4 000, et 9 300 couvertures sur les 90 000 attendues… Certes, la Grèce a perdu de précieux mois avant de réclamer une aide d’urgence en bonne et due forme des Européens. Elle est très loin d’avoir fourni les 20 000 places d’accueil promises en octobre 2015. Et les conditions dans les centres existants sont sévèrement jugées par les ONG. Mais tout le monde, à Bruxelles, sait qu’il est impossible de demander à ce pays d’étanchéiser sa frontière maritime avec la Turquie, alors que son administration est notoirement défaillante, sa géographie particulièrement difficile et son économie à terre, après des années de récession. Le premier ministre, Alexis Tsipras, qui avait dû accepter, en juillet 2015, un plan d’austérité supplémentaire, n’a aucune marge de manœuvre financière. Son pays est toujours menacé de faillite, s’il ne met pas sur les rails les réformes très dures réclamées par ses créanciers. La Grèce paie pour le manque complet d’anticipation des autres pays européens. Car, avec cette mise en quarantaine, c’est surtout l’Allemagne que Bruxelles veut préserver, en lui ménageant la possibilité, à la mi-mai, de rester dans la légalité en continuant à contrôler sa frontière autrichienne. Pourquoi n’avoir pas pris de décision à l’automne 2015, quand il était déjà évident – après le formidable appel d’air déclenché par Angela Merkel avec sa Wilkommen Politik – que Berlin aurait besoin de plus que les huit mois permis dans le cadre habituel de Schengen pour maintenir le contrôle à ses frontières ? Bruxelles et Berlin comptaient sur des résultats rapides de l’accord turc. Mais ils se font attendre, et la chancelière est déstabilisée, après le scandale des agressions sexuelles de Cologne lors de la nuit de la Saint-Sylvestre. Elle doit d’urgence obtenir une baisse du nombre de migrants qui arrivent en Allemagne. Il aurait fallu déployer bien plus de moyens – politiques, financiers et humains – pour les « hot spots » (les centres de regroupement) dans les îles grecques. Accélérer le mouvement du côté des « relocalisations », ce mécanisme pour distribuer, en Europe, 160 000 migrants depuis la Grèce et l’Italie. Il n’a, à ce jour, bénéficié qu’à 400 réfugiés. Les Etats membres « n’ont pas tenu leurs engagements », a dénoncé JeanClaude Juncker, le président de la Commission. Au lieu de quoi, le message envoyé aujourd’hui par l’Union est redoutable : au lieu d’aider la Grèce, on tente de se débarrasser d’elle. En pure perte. Cela ne résoudra pas la crise des migrants. Les passeurs auront tôt fait de trouver un moyen pour contourner l’obstacle… p [email protected] LETTRE DE NEW DELHI | par jul ien b ouissou La caricature des divinités hindoues n’est plus en odeur de sainteté P eut-on caricaturer une divinité hindoue ? Le célèbre magazine américain Fortune, dont la ligne éditoriale flirte peu avec la satire, vient de faire une amère expérience. En janvier, celui-ci a publié sur sa couverture un dessin de Jeff Bezos, le patron d’Amazon, sous les traits de la divinité Vishnou pour illustrer un long reportage sur la conquête de l’Inde par le site marchand américain. Jeff Bezos est représenté avec un teint bleu, un point rouge sur le front, portant une fleur de lotus à sa main gauche, un tatouage de son enseigne sur l’autre. Déguisé dans cet apparat, on lui offrirait sans sourciller une prière et quelques offrandes. Mais, quoi qu’en pense Fortune, le dieu du commerce électronique, et encore moins Jeff Bezos, n’a pas encore sa place dans le panthéon hindou. « Le Seigneur Vishnou est une divinité majeure et vénérée de l’hindouisme, qui peut être révérée dans les temples et les autels, et non pas utilisée de façon inconvenante », s’est emporté Rajan Zed, le directeur de la Société universelle de l’hindouisme située au Nevada, aux Etats-Unis, précisant que « l’usage inapproprié de concepts et de symboles hindous à des fins mercantiles n’était pas acceptable ». A la suite de cette polémique, le directeur du magazine s’est excusé auprès de fidèles hindous, par le biais d’un communi- LES INDÉGIVRABLES PAR GORCE qué : « Il est clair que nous nous sommes trompés et nous nous excusons. » Le joueur star de cricket Mahendra Singh Dhoni, qui bénéficie pourtant d’un statut de demi-dieu en Inde, n’a pas eu droit à plus de clémence. Il a été représenté il y a quelques années en couverture d’un magazine indien sous les traits de Vishnou portant au bout de ses nombreux bras les différentes marques qu’il sponsorise, et notamment celle d’une chaussure de sport. Sacrilège ! Les pieds sont considérés en Inde comme impurs. Le joueur a été visé par une plainte, alors qu’il n’était pour rien dans ce choix éditorial. Le seul à avoir été épargné, étrangement, est le premier ministre indien, Narendra Modi. Il avait été représenté, au lendemain des élections de mai 2014, sous les traits du dieu Brahma dans le quotidien Mumbai Mirror. On savait la liberté d’expression menacée en Inde par les conservateurs hindous, mais aussi chrétiens, musulmans ou sikhs. Plusieurs livres ont été retirés de la vente sous leur pression, des salles de cinéma projetant des films « hérétiques » ont même été saccagées. Même la France n’est pas épargnée. Le fabricant de chaussures Minelli avait dû retirer des ventes une paire d’escarpins où était imprimée une image du dieu Ram. Le film Les Bronzés 3, dans lequel une image du dieu Shiva est déchirée, avait été vilipendé. En 2006, l’organe de presse des nationalistes hindous, Organiser, avait trouvé un argument étonnant pour réclamer l’interdiction du film : Shiva est « le prophète le plus vénéré des hindous ». Un prophète, Shiva ? Ce qualificatif avait surpris de nombreux spécialistes de l’hindouisme. Faut-il penser, comme le journaliste indien Abhijit Majumder, que « l’extrême droite hindoue finit souvent par incarner l’ennemi qu’elle prétend combattre : l’islam radical » ? DIFFICILE DE RÉSISTER À LA TENTATION L’hindouisme n’est pas une religion au même titre que l’islam ou le christianisme : elle n’a ni dogme ni clergé, à savoir aucune autorité spirituelle reconnue comme telle par tous les fidèles. L’intolérance dont se disent victimes les radicaux hindous, « au nom du respect de leurs croyances », n’est donc pas partagée par tous, loin de là. La tradition de la caricature en Inde est ancienne. Charles Dickens, qui pariait sur son échec au prétexte que « le tempérament asiatique est grave et qu’il ne trouve aucun plaisir à l’amusement en tant que tel », s’est trompé. Le Mahatma Gandhi avait eu l’idée de reproduire dans son journal Indian Opinion, publié en Afrique du Sud, les caricatures de journaux satiriques britanniques qui s’en prenaient à l’empire colonial. On y trouvait déjà des divini- tés hindoues, allègrement caricaturées. Qu’il est difficile pour un dessinateur indien de résister à la tentation de caricaturer les divinités hindoues ! Le célèbre dessinateur Kaak était bien obligé de le reconnaître : « Toutes nos divinités hindoues sont des caricatures. » Il suffit de regarder la richesse et la variété de l’iconographie hindoue dans la culture populaire. Pas une représentation de Vishnou qui ne ressemble à une autre. Toutes sont déformées, différentes, en fonction du contexte culturel et de l’histoire de chaque région. Les représentations de divinités saturent même l’espace public : elles sont sur les calendriers, dans la publicité. On les a même placardées le long des murs dans les villes pour dissuader les piétons d’uriner sur place. « Les caricaturistes ramènent Dieu sur terre », explique Ritu Gairola Khanduri, professeure à l’université du Texas, aux Etats-Unis, auteure d’un passionnant ouvrage sur « la culture de la caricature en Inde » (Caricaturing Culture in India, Cambridge University Press, non traduit). « La caricature indienne peut retourner les esprits et montrer au reste du monde à quel point les dieux peuvent nous faire rire et grimacer sur nos situations politiques, ajoute l’universitaire. Les dieux sont tout-puissants, n’est-ce pas ? » p [email protected] « VISHNOU EST UNE DIVINITÉ MAJEURE QUI NE DOIT PAS ÊTRE UTILISÉE DE FAÇON INCONVENANTE » RAJAN ZED directeur de la Société universelle de l’hindouisme Les juifs entre départ et repli ? LIVRE DU JOUR par matthias cure S alomon et Victor Malka, écrivains et journalistes, rappellent un constat alarmant dans leur ouvrage Le Grand Désarroi : en France, en 2015, des juifs ont été assassinés non pas pour ce qu’ils ont fait – exercer leur citoyenneté française –, mais à cause de ce qu’ils sont. Ils donnent la parole à des juifs et à des musulmans en allant à leur rencontre à Toulouse, Strasbourg, Bordeaux, Lyon, Marseille, Nice, Paris… Les juifs de France sont-ils voués à choisir entre l’alya – le départ pour Israël – et le repli communautaire ? C’est la question qui guide cette Enquête sur les juifs de France, cet état des lieux. « Qu’avons-nous fait pour être ainsi, génération après génération, pris pour cible ? », se demande Gérard Marthan, cardiologue toulousain. L’antisémitisme est le point de départ de l’ouvrage, après des tragédies telles que les meurtres d’enfants perpétrés par Mohamed Merah, à Toulouse, en 2012, la tuerie du Musée juif de Belgique, à Bruxelles, en 2014, la prise d’otages de l’Hyper Cacher, à la porte de Vincennes, à Paris, en 2015. Pour les auteurs, les juifs en France connaîtront encore des heures sombres, mais il est nécessaire de ne jamais céder à la peur, car le judaïsme français se trouve aujourd’hui à une intersection – oscillant entre repli sur soi, départ de France ou engagement politique ou social. UNE COMMUNAUTÉ BLESSÉE Le Grand Désarroi reprend les mots de Manuel Valls lors de ses hommages aux victimes des attentats de janvier 2015 : « La France sans les juifs de France ne serait pas la France, et le judaïsme sans la France ne serait pas le judaïsme. » Mais, à l’heure où ce 1 % de la population française est victime de la moitié des actes racistes, on peut comprendre, estiment les auteurs, qu’une partie de cette communauté blessée veuille préparer son départ. Mais, pour ceux qui restent, comment être juif en France ? Le fondateur de SOS Racisme, Julien Dray, appelle alors les juifs français à rester et à s’investir politiquement. La parole est également donnée à des musulmans, comme le rappeur et poète Abd Al Malik, qui prône un islam ouvert à ses « frères et sœurs juifs », car la Shoah « concerne tous les hommes sans exception et au même degré ». Si Abd Al Malik s’inscrit dans un courant particulier de l’islam, le soufisme, ce défenseur d’une nouvelle pédagogie pluraliste ne représente malheureusement pas l’ensemble de la France et de ses communautés religieuses. Quant à Jean-Jacques Zenou, ancien militant à l’Union des étudiants juifs de France, il affirme qu’il faut « créer un islam de France, comme il y a un judaïsme français ». Enquête sur le sens étymologique de la religion – ce qui relie –, Le Grand Désarroi cherche à mettre en évidence le lien entre appartenance religieuse et implication dans la ville, entre des idées et des lieux où l’on pense. L’ouvrage fait aussi dialoguer des intellectuels, des imams, des rabbins. Et les auteurs affirment leur passion pour une vérité à plusieurs facettes. Car toute pensée unique du réel, cela se nomme du fanatisme. p Le Grand Désarroi. Enquête sur les juifs de France de Salomon Malka et Victor Malka Albin Michel, 238 p., 18 €. 14 | disparitions 0123 MERCREDI 3 FÉVRIER 2016 Benoît Violier Chef cuisinier L e restaurant de l’Hôtel de Ville à Crissier (Suisse) serait-il « une maison maudite » ? s’est interrogé Joël Robuchon en apprenant dimanche 31 janvier le suicide de Benoît Violier, le chef franco-suisse de 44 ans. Il venait de succéder à Philippe Rochat – lui-même mort subitement en juillet 2015 à la suite d’un malaise à vélo –, auquel Frédy Girardet, le père de ce restaurant triplement étoilé de la banlieue de Lausanne, avait confié les clés en prenant sa retraite en novembre 1996. « Il y a un an, nous avons mangé dans la cuisine de l’Hôtel de Ville avec Frédy, Philippe et Benoît. Il ne reste que Frédy », constate aujourd’hui Joël Robuchon, très affecté. Il fut le premier maître de Benoît et l’avait envoyé parfaire sa formation chez Girardet. « C’est un élève que j’ai beaucoup aimé, a déclaré Frédy, qui fêtera ses 80 ans cette année, depuis sa demeure de Féchy. Je suis complètement abasourdi. Je ne sais plus que dire. Je ne vois aucun motif à un tel acte. C’était un garçon brillant. Il présentait bien, il cuisinait bien. Il donnait l’impression d’être parfait. Je vous le dis, cette nouvelle, c’est le malheur. » Les hommages de la profession – sidérée à l’annonce de sa mort – sont unanimes sur les réseaux sociaux. « Grand chef, grand homme, gigantesque talent », tweete Paul Bocuse. « Terriblement attristée par sa disparition brutale », Anne-Sophie Pic, qui travaille au Beau-Rivage, à Lausanne, « n’a plus les mots pour le dire ». Marc Veyrat, « anéanti », déclare que « la planète [est] orpheline d’un chef d’exception ». « Une bien triste nouvelle pour un chef extrêmement talentueux », selon Pierre Gagnaire. « Un immense chef, une immense tristesse », écrit Jean-François Piège. « Bouleversés » Les institutions ne sont pas en reste. « A l’image de sa cuisine, Benoît Violier faisait l’unanimité. Son humilité, sa générosité et son immense talent lui valaient l’estime de ses pairs et la reconnaissance de ses équipes », déclare dans un communiqué Philippe Faure, fondateur de La Liste, le classement des classements gastronomiques qui, dans sa première édition en 2015, l’avait sacré « meilleur restaurant du monde ». « Bouleversés par la disparition de Benoît Violier », Michael Ellis, directeur des Guides Michelin, et Claire Dorland-Clauzel, directrice des marques et des relations ex- térieures, ont fait observer une minute de silence à sa mémoire, au début de la conférence de presse annonçant, à Paris, lundi 1er février, le palmarès du guide France 2016. En novembre 2015, le Michelin Suisse lui avait d’ailleurs renouvelé sa confiance en le maintenant à trois étoiles. Meilleur ouvrier de France (MOF) en 2000, Compagnon du Tour de France sous le nom de Saintonge Cœur Vaillant, couvert de titres, à la tête d’une brigade de compétition et affichant complet à chaque service, ce chasseur hors pair – auteur de deux magnifiques anthologies sur le gibier à poil et à plume – a retourné son fusil contre lui, un aprèsmidi d’hiver, à son domicile de Crissier, où la police a découvert son corps. Une enquête a été ouverte sur les circonstances et les motifs de ce geste fatal et incompréhensible aux yeux de tous. Avec lui, le meilleur du gibier s’est enfui des assiettes et des tourbières d’Ecosse. Au sautoir comme au bout du fusil, cet homme au regard tendre montrait la même passion, le même respect du produit, le même goût du travail parfait. Un déjeuner à sa table ne s’oublie pas. Perdrix rochassière Benoît Violier (au premier plan), en 2012. MAURICE ROUGEMONT / EPICUREANS du Tyrol en délicat consommé aux bolets et girolles ; vitellus (veau) aux pousses d’épinards en papillote tiède aux truffes blanches d’Alba ; lagopède alpin (perdrix des neiges) du Valais poêlé aux baies sauvages, nappé d’une réduction de vin rouge, crapaudines aux oignons de Roscoff ; selle de mouflon rôtie aux aromates sauce poivrade relevée ; soufflé Jean-Louis Steinberg aux fruits de la passion. Nous en étions ressortis fort ému cet automne (Le Monde du 23 octobre 2015). Au-delà de l’excellence des mets et du service, il régnait dans cette maison une atmosphère paisible et sérieuse – suisse pourrait-on dire – à l’abri des convulsions et des drames. Un coup de feu y a mis fin. p jp géné 22 AOÛT 1971 Naissance à Saintes (Charente-Maritime) 1996 Entre au restaurant de l’Hôtel de Ville (3 étoiles), à Crissier (Suisse) 2000 Meilleur ouvrier de France 2012 Reprend l’Hôtel de Ville 2013 Sacré cuisinier de l’année par le Gault & Millau (éd. suisse) 2015 Publie « La Cuisine du gibier à plume d’Europe » 31 JANVIER 2016 Mort à Crissier Paul Kantner Astronome Cofondateur de Jefferson Airplane J I ean-Louis Steinberg, astronome de l’Observatoire de Paris, est mort jeudi 21 janvier, à l’âge de 93 ans. Il fut un des pionniers de la radioastronomie en France, cofondateur de la station de radioastronomie de l’Observatoire de Paris à Nançay (Cher), et également initiateur de la recherche spatiale à l’Observatoire. Jean-Louis Steinberg est né le 7 juin 1922 à Paris. Après des études d’ingénieur, il entra au laboratoire de physique de l’Ecole normale supérieure. Ses parents et leurs trois fils, juifs non pratiquants, furent dénoncés et arrêtés en juin 1944, sauf le plus jeune enfant. Puis déportés au camp d’Auschwitz-Birkenau, où Jean-Louis fut actif dans la résistance interne. Il était le seul survivant des quatre lorsque, après un terrible transfert à pied à Buchenwald, les déportés furent libérés par l’armée américaine. Il consacra après son départ à la retraite beaucoup de son temps à la mémoire des déportés, allant dans les écoles et faisant des conférences. Il insistait toujours sur l’origine de cette horreur, car, répétait-il, « les Allemands sont des gens comme nous ». Il évoquait d’autres génocides, avec toujours la volonté de responsabiliser les jeunes. A son retour en France en 1945, Jean-Louis Steinberg et son collègue Jean-François Denisse (19152014) entreprirent de développer en France une nouvelle branche de l’astronomie, l’étude de l’univers en ondes radio. Ils fondèrent au laboratoire de physique de l’Ecole normale supérieure un groupe de radioastronomie, avec le soutien très actif de son directeur, Yves Rocard (1903-1992). Le succès fut tel qu’ils purent créer en 1953 la station de radioastronomie de l’Observatoire de Paris, à Nançay. JeanLouis Steinberg joua un rôle majeur dans l’organisation de la station, puis dans la construction du grand radiotélescope, inauguré en 1965 par le général de Gaulle, qui fut complètement opérationnel en 1967 et fonctionne toujours. A partir des années 1960, la France développa un système de fusées et créa, en 1961, le Centre national d’études spatiales. Et, en 1963, Jean-Louis Steinberg fonda le service d’astronomie spatiale de l’Observatoire de Paris, situé à Meudon, dans les Hauts-deSeine. Deux fusées françaises Rubis, équipées de récepteurs radio et de très longues antennes, furent lancées en 1965 et 1967. Le rayonnement radio de la Voie lactée à très basse fréquence fut ainsi détecté pour la première fois. JeanLouis Steinberg s’intéressait aussi à l’émission radio du Soleil, qui est très variable en raison de l’activité de l’astre. Les sursauts radio du Soleil sont-ils émis dans toutes les directions ou sont-ils directifs ? Pour le savoir, cela conduisit au lancement le 28 mai 1971, à bord de la sonde soviétique Mars 3, de l’expérience Stereo I, comportant une antenne radio pointée vers le Soleil et qui observait les sursauts en même temps que les instruments radio solaires de Nançay. La directivité de certains types de sursauts solaires fut ainsi mise en évidence pour la première fois. Vision à long terme L’activité du laboratoire où se déroulaient ces recherches était très complète, depuis la construction des instruments jusqu’à la théorie des phénomènes observés. L’un des grands mérites de Jean-Louis Steinberg fut d’élargir cette activité à d’autres longueurs d’onde, notamment l’infrarouge, et à des domaines comme l’étude des planètes et des étoiles. Le département de recherche spatiale qui lui doit tant est devenu, sous différentes désignations, l’une des composantes les plus importantes de l’Observatoire de Paris. Jean-Louis Steinberg s’intéressait beaucoup aux publications En 2000. AGNÈS FAVE scientifiques, si bien qu’il accepta en 1962 le poste de rédacteur en chef d’une revue astronomique française, les Annales d’astrophysique. Pour mieux faire connaître la revue à l’étranger, et les résultats obtenus par les astronomes français, l’astronome néerlandais Jan Hendrik Oort et Jean-Louis Steinberg réussirent à fusionner les différents journaux professionnels européens en une revue unique. Le résultat fut la publication en 1969 du journal européen Astronomy & Astrophysics, qui réunissait initialement les contributions de six pays, bientôt suivis par d’autres. Jean-Louis, toujours aidé par Madeleine, son épouse, en fut pendant cinq ans un des deux rédacteurs en chef. Le succès actuel de cette publication, l’une des quatre plus importantes du monde en astronomie, témoigne de la valeur de sa vision à long terme. Jean-Louis Steinberg était un leader charismatique, accessible et attentif aux problèmes humains, et un scientifique aussi brillant que visionnaire. p michel combes et james lequeux, astronomes de l’observatoire de paris 7 JUIN 1922 Naissance à Paris 1944 Arrêté et déporté à Auschwitz-Birkenau 1953 Cofonde la station de radioastronomie de l’Observatoire de Paris, à Nançay 1962 Devient rédacteur et chef de la revue « Annales d’astrophysique », puis d’« Astronomy & Astrophysics » 1963 Crée le service d’astronomie spatiale de l’Observatoire de Paris 21 JANVIER 2016 Mort l avait cofondé, à l’été 1965, avec le chanteur et guitariste Marty Balin, le groupe Jefferson Airplane, l’un des plus connus, avec The Grateful Dead et Quicksilver Messenger Service, de la scène de San Francisco des années 1960. Le guitariste, chanteur et auteurcompositeur Paul Kantner, par ailleurs fondateur du groupe Jefferson Starship en 1974, est mort, jeudi 28 janvier, dans la ville californienne. Il avait été victime d’une crise cardiaque au début de la semaine. Sa mort est due à une défaillance multiviscérale. Il était âgé de 74 ans. Né le 17 mars 1941 à Sans Francisco, Kantner avait manifesté un intérêt précoce pour la science-fiction et les utopies, des thèmes que l’on retrouvera dans ses compositions. Il fait ses premiers pas de musicien vers l’âge de 20 ans dans le circuit folk-rock local, plutôt tourné vers un répertoire à tendance politique et contestataire. Voyage psychédélique sous acide En août 1966 est publié un premier album, Jefferson Airplane Takes Off, avec Kantner, Balin, le guitariste soliste Jorma Kaukonen, la chanteuse Signe Anderson (19412016), le bassiste Jack Casady et le batteur Alexander Lee « Skip » Spence (1946-1999). Il baigne dans une ambiance folk-rock et pop, sur fond d’appels aux plaisirs de l’amour libre, de l’usage récréatif des drogues douces – Kantner sera un actif militant de la dépénalisation du cannabis – et du voyage psychédélique sous acide. Spence a quitté le groupe avant cette sortie, remplacé par Spencer Dryden (1938-2005). Anderson cède sa place à Grace Slick à l’automne. Jefferson Airplane va alors connaître son plein essor. L’album Surrealistic Pillow paraît en février 1967 et devient l’une des références du rock psychédélique américain avec le suivant, After Bathing at Baxter’s. 17 MARS 1941 Naissance à San Francisco 1965 Fonde Jefferson Airplane, avec le chanteur et guitariste Marty Balin 1969 Album « Volunteers » 1972 Séparation du groupe Jefferson Airplane 1974 « Dragon Fly », premier album de Jefferson Starship 28 JANVIER 2016 Mort à San Francisco L’Airplane, ce sont les voix mêlées de Balin, Slick et Kantner, le développement soliste de Kaukonen, un lien rythmique entre Casady, Dryden et Kantner. Un équilibre aussi entre le format chanson, une volonté de rigueur, l’improvisation et des développements solistes. Les disques Crown of Creation (1968) et Volunteers (1969), le plus marqué politiquement, seront les derniers enregistrements en studio du groupe historique. Fin 1970, Dryden et Balin sont partis. Kantner a enregistré avec Grace Slick, désormais sa compagne, Blows Against the Empire. Jefferson Airplane perdure jusqu’à l’hiver 1972, sous la direction de Kantner et Slick, tandis que Kaukonen et Casady fondent en parallèle le groupe de blues psyché Hot Tuna. En 1974, Jefferson Starship, mené par Slick et Kantner, prend le relais avec Marty Balin, de retour, et le bassiste et claviériste David Freiberg. Le propos, d’abord plus resserré et pop – Ride the Tiger et Caroline dans Dragonfly (1974), Miracles dans Red Octopus (1975)… – dans l’esprit des débuts, virera, au début des années 1980, à une bouillie pop-rock sans personnalité. Kantner s’en va. Il fera revivre l’Airplane en 1989, avant de remettre en route un Starship de meilleure tenue, rejoint au cours des ans par différents membres historiques des deux formations. p sylvain siclier disparitions & carnet | 15 0123 MERCREDI 3 FÉVRIER 2016 Jean-Louis Martinoty Ng Ectpgv Xqu itcpfu fixfipgogpvu Metteur en scène Pckuucpegu. dcrv‒ogu. hkcp›cknngu. octkcigu Cxku fg ffieflu. tgogtekgogpvu. oguugu. eqpfqnficpegu Eqnnqswgu. eqphfitgpegu. rqtvgu/qwxgtvgu. ukipcvwtgu Uqwvgpcpegu fg ofioqktg. vjflugu. JFT ont la grande tristesse de faire part de la mort de Mme Simone BUFFET, survenue à Paris, dans sa quatre-vingt-seizième année. L Une messe sera dite en l’église SaintSulpice, le jeudi 4 février 2016, à 11 heures, suivie d’une inhumation au cimetière de Châlo-Saint-Mars (Essonne), sa ville natale où elle rejoindra son mari, Erudit éclectique En 1975, Jean-Louis Martinoty fait ses débuts à Strasbourg dans Le Songe d’une nuit d’été, de Benjamin Britten. Il enchaîne avec La Périchole, d’Offenbach. Deux univers aux antipodes l’un de l’autre. Mais c’est l’opéra baroque qui lui offre son premier succès avec le rare Ercole amante, de Cavalli, monté à l’Opéra de Lyon en 1979 et repris au Châtelet en 1981. A une époque où Haendel n’est pas encore la coqueluche des scènes lyriques, Martinoty entame une imposante série de productions dans le cadre du Festival Haendel de Karlsruhe (Allemagne) – Semele, Rinaldo, Giulio Cesare… Un travail de défricheur éclairé, comme avec L’Argia de Cesti, recréé avec René Jacobs à Innsbruck en 1996, Lausanne en 1997, à Paris en 1999 ; après Lully – Alceste (1992) et Thésée (2008) au Théâtre des Champs-Elysées. Sans parler de Rameau – il aura été l’un des Claude BUFFET, libraire, décédé en 1990. Mme Irène Dally, sa mère, M. Charles et Antoine Dally, ses ils, Mme Catherine Ballay, née Dally, sa sœur, M. Alexandre Dally, son frère, Ses amis, ont la tristesse de faire part du décès de Philippe DALLY, glorieux artisans de la renaissance de ses fameuses Boréades au Festival d’Aix-en-Provence en 1982, avec John Eliot Gardiner. Deux productions baroques lui vaudront d’ailleurs le plébiscite du Grand Prix de la critique : Le Couronnement de Poppée, de Monteverdi, avec Jean-Claude Malgoire, et David et Jonathas, de Charpentier, avec Michel Corboz. Fidèle à son idéal, Martinoty récuse que l’opéra baroque se doive d’être traité de manière patrimoniale, à l’instar d’une pièce de musée. Il en arguera brillamment dans Voyages à l’intérieur de l’opéra baroque (Fayard, 1990), œuvrant en érudit éclectique qui aime à enchâsser les styles et les époques. Une rhétorique qui n’exclut pas les œuvres du grand répertoire. Que ce soit sur les scènes européennes (Ariane à Naxos, de Richard Strauss, à Londres, Carmen, de Bizet, à Bonn et Tokyo) ou dans les théâtres lyriques de la capitale (Le Chevalier à la rose, de Richard Strauss, Le Vaisseau fantôme, de Wagner, La Bohème et Le Triptyque, de Puccini), et de l’Hexagone : sa dernière mise en scène en 2012, Macbeth, de Verdi, aura été pour l’Opéra de Bordeaux. Passionné par le mythe de Faust, il l’aura exploré du Faust de Gounod au Doktor Faust de Busoni, en passant par La Damnation de Faust, de Berlioz, et le Mefistofele, de Boito. Il crée en 1989 à l’Opéra de Paris la mise en scène du Maître et Marguerite, de York Höller, adapté de Boulgakov. Propulsé administrateur général de l’Opéra national de Paris de 1986 à 1989 (une période turbulente liée à l’ouverture de l’Opéra Bastille), ce fondu d’art contemporain crée alors des « Cartes blanches » pour les plasticiens, ainsi Karel Appel, Bernar Venet, Arman ou Paul Jenkins. Jean-Louis Martinoty n’aura sans doute pas été le plus grand de nos metteurs en scène d’opéra, mais cet intellectuel émérite doublé d’un conceptuel lyrique restera comme un grand dramaturge, soucieux de la musique avant toute chose. p marie-aude roux Elle a rejoint son époux, Les obsèques auront lieu le jeudi 4 février, à 14 heures, au cimetière parisien de Bagneux, 45, avenue Marx-Dormoy, à Bagneux (Hauts-de-Seine). M Blanche Buffet, M. Pierre Bergé, 20 JANVIER 1946 Naissance à Etampes (Essonne) 1979 Premier succès avec « Ercole amante », de Cavalli, à l’Opéra de Lyon 1986-1989 Administrateur général de l’Opéra de Paris 2001 « Les Noces de Figaro », de Mozart, au Théâtre des Champs-Elysées, à Paris 27 JANVIER 2016 Mort à Neuilly-sur-Seine survenu le 30 janvier 2016, dans sa quatre-vingt-douzième année. Rqwt vqwvg kphqtocvkqp < 23 79 4: 4: 4: 23 79 4: 43 58 ectpgvBorwdnkekvg0ht Décès e metteur en scène d’opéra, écrivain et essayiste Jean-Louis Martinoty est mort le 27 janvier à Neuilly-sur-Seine (Hauts-deSeine) des suites d’une opération du cœur. Il avait 70 ans. Il aura consacré toute sa vie à la musique et notamment à l’opéra. Intellectuel et artisan, penseur et metteur en scène, sa prolixité ne sera pas sans lui valoir des fortunes diverses. En septembre 2011, son Faust de Gounod à l’Opéra Bastille, censé mettre fin au règne de la version de 1975 de Jorge Lavelli, avait été un ratage cruel. Mais ses Noces de Figaro, de Mozart, au Théâtre des ChampsElysées en 2001, maintes fois reprises (et notamment à Vienne), resteront l’une des plus grandes réussites de ce mozartien grand teint, qui s’employa aussi à Don Giovanni, La Flûte enchantée, La Clémence de Titus et Idoménée. Né le 20 janvier 1946 à Etampes (Essonne), Jean-Louis Martinoty avait passé son enfance en Algérie avant de revenir en France, adolescent, pour suivre des études de lettres classiques et de violoncelle. Il débutera d’ailleurs comme professeur de lettres et journaliste (à L’Humanité notamment). Il commence la mise en scène d’opéras, d’abord comme assistant de JeanPierre Ponnelle, puis en arpentant les théâtres lyriques de répertoire, entre Rhin et Danube, apprenant sur le tas, au contact de la scène et de la fosse. Pour l’homme de convictions passé par le marxisme, une mise en scène consiste à décrypter une dramaturgie et des codes narratifs à force d’investigation historique, idéologique, philologique, émotionnelle. Cécile EPSZTEIN, Gzrqukvkqpu. xgtpkuucigu me MICHEL CLÉMENT/AFP ont la douleur de faire part du décès de Roland, (28 janvier 1997 †). AU CARNET DU «MONDE» En 1986. Michel, son ils, Et Françoise, sa belle-ille, Sara, Judith et Olivier Bedel, David, ses petits-enfants, Quentin, son arrière-petit-ils, chevalier de la Légion d’honneur, chevalier de l’ordre national du Mérite, survenu à la clinique Hartmann à Neuillysur-Seine, le 31 janvier 2016, dans sa soixante-huitième année. Une cérémonie religieuse sera célébrée en l’église Saint-Médard, Paris 5e, le jeudi 4 février, à 14 h 30. Une inhumation aura lieu le lendemain dans la stricte intimité familiale. Cet avis tient lieu de faire-part. Henri DEJOUX, angliciste, ENS Saint-Cloud 57, agrégé de l’université, est mort d’un cancer généralisé, le 30 janvier 2016, à l’âge de soixante-dix-huit ans. « One short sleepe past, wee wake eternally, And death shall be no more; death, thou shalt die. » John Donne. « Après un court sommeil, nous nous éveillons pour l’Eternité, et la mort sera vaincue; Mort, c’est toi qui mourra. » Marie-Louise Bernard, son épouse, Alexis Dejoux, Ludivine et leur petit Valérian, Perrine Dejoux, Vivien Dejoux, ses enfants, Sa famille, Ses amis, vous invitent à lui dire adieu au crématorium du cimetière du PèreLachaise, salle Mauméjean, Paris 20 e, le jeudi 4 février, à 16 heures. Ni leurs ni couronnes. Famille Dejoux, 137, rue de Belleville, 75019 Paris. 17 Patriots Drive, Lexington, MA 02420, USA. 2, rue du Port, 37270 Azay-sur-Cher. Mme Isabelle Flouquet, sa ille, M. Jérôme Fagart, son ils, Anne Garnier et Vincent Flouquet, sa belle-ille et son gendre, Marine, Romain, Mathis et Lucas, ses petits-enfants, ont la tristesse d’annoncer le décès de Mme Suzette FAGART, née MULLOT, survenu le 28 janvier 2016. Les obsèques auront lieu le jeudi 4 février, à 9 h 30, en l’église de Villevieille (Gard). M. Dominique FRANÇOIS, professeur émérite et directeur du Laboratoire des matériaux de l’Ecole Centrale Paris, cofondateur de l’université de Technologie de Compiègne, président de l’International Congress of Fracture, coauteur avec A. Pineau et A. Zaoui de « Comportement mécanique des matériaux », conseiller en recherche et technologie du ministre de la Recherche Hubert Curien, chevalier de la Légion d’honneur, membre de l’Académie des sciences d’Ukraine, commissaire international des Eclaireurs et Eclaireuses de France, nous a quittés, le mercredi 27 janvier 2016, à l’âge de quatre-vingt-trois ans. Condoléances : [email protected] On nous prie d’annoncer le décès du docteur Mathias GOLDSCHILD, survenu à Dinan, le 27 janvier 2016. Mlle Adèle Guiloineau, sa ille Et Mme Dominique Rist, sa compagne, ont la douleur d’annoncer la disparition de Mme Catherine GUILOINEAU. La crémation aura lieu au cimetière du Père-Lachaise, Paris 20 e, le jeudi 4 février 2016, à 13 heures. Anne Battiaz-Laubreaux, Sa famille, Ses proches, ont la grande tristesse de se séparer de M. Raymond LAUBREAUX, décédé le 31 janvier 2016, à Paris, dans sa quatre-vingt-dix-neuvième année. L’inhumation aura lieu le jeudi 4 février, à 15 heures, au cimetière du Montparnasse, Paris 14e. Ni leurs ni couronnes. # # $ !# $ # #$ $# &. + *2.+ #$ $ #$ $ $# $ # *'$ %&# & #$ # . *&%%* # $ !# ! #! *%& + &/& #$ %# # # " $ #$ ! #! # %&!- &(). % * ** %%#&%. * % # %* # * .* # # ** &.*-& + # % *&% 2#/ .$%% *%. (*$%- * # $ $ %%- &- # (( &.* # 3"&0+" # $# *%" &%%+ # .** % * +- % ++&# #$ $ $ %# $ $ ##+ /% &- #$ $ %# $ $ .# % *&&.*#$ % !# # #! %%- * # % &.1 #$ #!#$ * + (-&&*&. # &#+ $%3 * 3 #$ *%" &. # $ $ -* %  # # * +- % ! !$ % ** * (*+ %- +- % *% & / (*+ %- Le docteur François Ménard et Mme Joanne Ménard, son ils et sa belle-ille, Matthieu, Alexandra et Vincent Ménard, ses petits-enfants Et toute sa famille ont la tristesse de faire part du décès de Mme Michèle MÉNARD, professeur honoraire des Universités, survenu au Mans, le 29 janvier 2016, à l’âge de quatre-vingt-six ans. La cérémonie religieuse sera célébrée à Paris, le jeudi 4 février, à 10 h 30, en l’église Saint-Germain-des-Prés, suivie de l’inhumation au cimetière du Montparnasse, Paris 14e. Cet avis tient lieu de faire-part. Bernard Monjardet, son époux, Sylvain, Jeanne, Ulysse, son ils, sa belle-ille, son petit-ils, Sabine, sa sœur, Claire, Elisabeth, Adeline, Antoinette, Anna, ses belles-sœurs, Valérie, Véronique, Emmanuelle, Sabine, Nathalie, ses nièces, Tobias, Jonathan, Lucas, Yves, Benjamin, Olivier, ses neveux Sa famille, Ses amis, ont la douleur de faire part du décès de Cornelia MONJARDET, née MÜHLENWEG, survenu le 29 janvier 2016, dans sa soixante-seizième année. Elle a lutté avec un admirable courage contre de multiples affections. La levée de corps aura lieu le 4 février, à 10 heures, à la chambre mortuaire de l’hôpital du Kremlin-Bicêtre. Les obsèques auront lieu le 4 février, à 14 heures, en l’église d’Arçay (Cher). Marc Pussemier, son compagnon de vie, Michel Paramythioti, son frère, Nicole Paramythioti, sa sœur et Jean Granoux, Astrid Granoux, sa nièce et Olivier Agnus, Diane Granoux, sa nièce et Youssouf Sokhna, Laure Agnus, sa petite-nièce, Aurélien Agnus, son petit-neveu, Valentina de sa Soares, Nathalie Lejbowicz, son épouse, Romain, Maïa, Amanda et Tania, ses enfants, ont la tristesse de faire part de la mort de Max LEJBOWICZ, le 30 janvier 2016. Sa famille et ses amis se réuniront le jeudi 4 février, à 16 h 30, au crématorium du cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e. Le 22 janvier 2016, Janine PONS, née CORBEAU, nous a quittés dans sa soixante-dixneuvième année. Physicienne, maître de conférences, chercheuse au Collège de France puis professeure à l’université de Reims et responsable d’un département industriel d’IUT, elle était très appréciée de ses proches et amis pour sa générosité et sa modestie. Profondément humaniste et amoureuse de la nature, elle s’est consacrée à plusieurs œuvres humanitaires et à la défense de la cause animale. Ayant donné beaucoup de son temps au soutien bénévole d’élèves en difficulté et en manque de repères sociaux, elle avait terminé en 2012 un ouvrage intitulé « Un siècle de morale dans les manuels scolaires ». Elle restera à jamais présente dans nos cœurs. [email protected] La Goutelle (Puy-de-Dôme). Mme Irène Prugne, son épouse, Toute la famille Et ses amis font part du décès de Pierre PRUGNE, ingénieur physicien, ancien chef de service du STIPE au CEA, oficier dans l’ordre des Palmes académiques, chevalier de l’ordre national du Mérite docteur es sciences, honoris causa de l’Académie des sciences de Russie, à l’âge de quatre-vingt-douze ans. Ses obsèques auront lieu le mercredi 3 février 2016, à 15 heures, en l’église de La Goutelle. Anniversaire de décès Le 3 février 1999, Raymond, Louis VEYRUNES, « Mallarmé » dans la Résistance, s’en est allé. Colette, sa ille. Souvenir ont la tristesse de faire part du décès de M. Dominique PARAMYTHIOTI, artiste peintre, survenu le 29 janvier 2016, dans sa soixante-quatorzième année. La cérémonie du souvenir aura lieu le jeudi 4 février, à 11 h 30 précises, au crématorium du cimetière du PèreLachaise, 71, rue des Rondeaux, Paris 20e. La dispersion des cendres aura lieu au jardin du souvenir du cimetière du PèreLachaise, le vendredi 5 février, à 10 h 15. Les cendres de Dominique Paramythioti y rejoindront celles de ses parents, Jean et Philiberte PARAMYTHIOTI. 31 janvier 2014. Bubi. « Toujours dans mon cœur et mes pensées. Je te porte dans moi comme un oiseau blessé ». Communication diverse L’Espace culturel et universitaire juif d’Europe : Hommage autour du grand rabbin, Claude Maman, le jeudi 4 février 2016, à 19 heures. Témoignages : Haïm Korsia, Edmond Elalouf, Gilles Bernheim, Hervé Rehby. www.centrecomparis.com 119, rue La Fayette, 75010 Paris. 16 | culture 0123 MERCREDI 3 FÉVRIER 2016 pppp CHEF-D'ŒUVRE pppv À NE PAS MANQUER ppvv À VOIR pvvv POURQUOI PAS vvvv ON PEUT ÉVITER Charlie Kaufman et ses drôles de drames Le scénariste-star des années 2000 retrouve l’inspiration dans « Anomalisa », un « film cerveau » sombre RENCONTRE Charlie Kaufman et Duke Johnson, en janvier, à Paris. S cénariste surdoué, Charlie Kaufman a connu la gloire entre la fin des années 1990 et le début des an nées 2000, décennie bénie durant laquelle le succès critique s’est accompagné d’une pluie de récom penses. Associé aux premières réalisa tions des deux petits génies du clip qu’étaient Spike Jonze et Mi chel Gondry, ce juif newyorkais, né en 1958, a fourni au premier le matériau fictionnel de Dans la peau de John Malkovich et d’Adaptation. Au second, il a livré le cane vas de Human Nature et d’Eternal Sunshine of the Spotless Mind. Autant de films conceptuels qui allient gracieusement un fond de noirceur et une forme pop, avec lesquels il a établi sa signature. Biberonné aux écrits de Kafka, à l’humour anar des Marx Brothers et des Monty Python, il réalise son premier longmétrage, Synecdoche, New York, en 2008. Evocation abstraite, foisonnante et claustro phobe de la dépression d’un auteur de théâtre angoissé à l’idée de passer à côté de sa vie, le film est présenté à Cannes en sélection of ficielle. Mais il fait un flop, qui tombe au plus mauvais moment, celui où les studios américains, pris à la gorge par les effets de la crise des subprimes, se détournent de tout projet qui ne promet pas de remplir les salles de hordes d’adolescents. Et le voilà propulsé dans le désert, dont il sillonnera les dunes quatre ans durant à enchaîner les projets mort-nés – pilotes de sé rie télé restés sans suite, scénarios de fiction orphelins… Jusqu’au coup de théâtre Anomalisa. Un projet auquel il ne croyait pas Ce film, qu’il a coréalisé avec Duke Johnson, réalisateur d’animation associé au jeune studio Starburns Industries, s’est fait indépendam ment de sa volonté, alors même qu’il ne croyait plus en sa bonne étoile. Le personnage de Michael, auteur d’un bestseller sur l’opti misation des relations clients, mais incapable d’établir le moin dre lien affectif avec ses sembla bles, est né en 2005, au théâtre. Les frères Coen et le compositeur Carter Burwell, à qui l’on doit la musique de Dans la peau de John Malkovich, l’avaient approché pour concevoir une soirée musicale dans laquelle ils souhai taient « incorporer du texte ». Ils ont imaginé ensemble un prin cipe de pièces sonores dans lesquelles les acteurs liraient leur texte sur scène. « L’idée qu’il y avait une déconnexion entre ce que vous ANTOINE DOYEN POUR « LE MONDE » pouviez voir et ce que vous entendiez, que l’image devait, idéalement du moins, se créer dans l’esprit des spectateurs, faisait partie intégrante de l’histoire », explique Kaufman. Le spectacle fut d’abord monté à New York et à Londres. Puis à Los Angeles, pour deux autres représentations, mais les Coen n’étaient plus disponibles. Anomalisa a été écrit pour rem placer leur pièce. « J’avais lu des choses sur le syndrome de Fregoli. Ceux qui souffrent de ce délire paranoïaque pensent que tout leur entourage n’est qu’une seule et même personne. Cela m’a semblé une métaphore intéressante pour ce per- sonnage qui ne parvient pas à entrer en contact avec les autres. J’ai imaginé que deux des acteurs joueraient les deux personnages principaux, et que le troisième jouerait tous les autres. » Dino Stamato- Durant quatre ans, le réalisateur va enchaîner les projets mortnés, jusqu’au coup de théâtre « Anomalisa » poulos, l’un des fondateurs de Starburns Industries, était dans l’assistance. Sept ans plus tard, en 2012, il propose à Charlie Kaufman de faire de cette pièce un long-métrage d’animation. Le scé naristecinéaste au chômage lui donne son feu vert, sans nourrir le moindre espoir sur les chances de voir le projet aboutir : « Un film d’animation en stop-motion, ça ne s’était jamais fait aux Etats-Unis, sans parler du sujet… » Mais l’argent afflue, amorcé par une campagne de crowdfunding qui permet de lancer la production avec une indépendance artistique totale. La suite, quoi qu’en dise ce grand sceptique de Kaufman, res semble à un conte de fées. Une fois enregistrées les voix des person nages – celles des acteurs de la pièce d’origine, David Thewlis, Jennifer Jason Leigh et Tom Noonan –, les réalisateurs imaginent l’aspect visuel des décors et des deux per sonnages principaux. Pour le troi sième visage – celui de tous les personnages, homme, femme ou enfant, qui ne sont ni Michael ni Lisa –, ils photographient tous les employés du studio, et en font « une sorte de morphing », combinant ces éléments hétéroclites. Fidèles à l’esprit conceptuel de l’auteur, ils assument l’aspect composite, un peu Frankenstein, des visages des marionnettes. « Il nous semblait que cela apportait un supplément d’âme et une forme de fragilité à l’animation, explique Duke Johnson. Une fois ce parti pris, on s’en est servis pour la narration. » Des choix que valideront les festivals de Telluride, Venise et Toronto, où Anomalisa est acclamé, à l’automne. Paramount en fait alors l’acquisition et le portera jusqu’aux Oscars, puisque le film concourt aujourd’hui pour le prix du meilleur film d’animation. Kaufman et Johnson revendiquent d’avoir fait une œuvre ouverte à l’interprétation. Sombre peut-être, mais aussi drôle, chargée d’émotion, et même d’espoir, s’ils en croient certains de leurs spectateurs. Elle est certes triste au début, et triste à la fin. « Mais ça, ré pond Charlie Kaufman, c’est comme la vie. » p isabelle regnier Est-ce ainsi que les marionnettes vivent? Film d’animation admirable sur nos civilisations sans âme, « Anomalisa » pose un masque mabusien sur les clients d’un hôtel standard ANOMALISA pppv A nomalisa, c’est l’histoire d’une pièce de théâtre sonore qui se transforme de manière un peu hasardeuse en film d’animation de marionnettes image par image. Le hasard faisant parfois bien les choses, le résultat est une très grande réussite. Anomalisa est une œuvre à la fois singulière et fascinante, formellement innovante, intellectuellement stimulante, dont on acquiert vite la certitude, en la découvrant, qu’elle s’inscrira – à l’instar de Valse avec Bachir (Ari Folman) ou de Fantastic Mr. Fox (Wes Anderson) – dans l’histoire du cinéma d’animation. On entre dans le film comme dans une matière un peu cotonneuse, qui dissimule un univers à la fois familier et étrange, assez ty pique du scénariste et réalisateur Charlie Kaufman, concepteur de films cerveaux. Un endroit à la lisière du réalisme et du fantasti que, de l’angoisse métaphysique et de l’humour noir, de la trivialité absolue et de l’ornement baroque. Quasiment toute l’action du film se déroule, entre chambres, bar et couloirs, à l’Hôtel Fregoli de Cincinnati. Ce nom est à la fois le pseudonyme qu’avait pris Charlie Kaufman pour signer la pièce originale, celui d’un transformiste italien cé lèbre, enfin, celui d’un syndrome psychiatrique qui consiste à se croire victime d’une persécution menée par un seul et même individu supposé prendre pour ce faire une multitude de visages. Au centre de ce huis clos, qui tient du no man’s land mabusien, se tient l’Anglais Michael Stone, un spécialiste des relations clientèle, venant donner une conférence aux EtatsUnis. L’homme a, selon toute apparence, partie liée avec la grisaille. Cheveux poivre et sel, tempérament maussade, vêtements lavasse, posture tassée, voix exténuée. Il fuit, de surcroît, une situation familiale délabrée. Rêverie apocalyptique Il convient de préciser que Michael Stone n’est à ce titre que l’élément central d’un monde que le film s’ingénie à représenter sous l’an goissant étendard de l’asthénie et de l’uniformisation. Dans cet uni vers tirant vers le brun, organisé selon les codes sans âme du standing international, tout le monde a une silhouette flapie, tout le monde parle avec la même voix masculine, tout le monde porte sur son visage une nette incision visible, qui évoque la présence d’un masque. Estce le regard de son héros qui confère au monde cet aspect si navrant ? C’est probable. Il est en tout cas certain que c’est à travers sa pathétique tentative d’échapper à cette misère (la rencontre inespé rée d’une vraie femme, la pro messe d’une nouvelle vie) que le film invite le spectateur à se considérer luimême. Ce chauffeur de taxi à l’aéroport qui débite des ba nalités, cette chambre d’hôtel qui n’évoque rien, ces programmes de télévision qui moulinent les heu res de cerveaux disponibles, cet ancien flirt qui nous renvoie impi toyablement à notre faillite, cette sensation de la répétition des ex périences, ce constat de la ressem blance de tout avec tout, cette nau sée absurde qui émane de notre mode d’existence hautement civi lisé : n’estce pas là, en même temps que l’expression du système qui le produit, le terme de l’homme occidental moderne ? La question de la marionnette se pose d’une part comme qualité des personnages de ce film d’ani mation. Hyperréalistes, et en même temps décalés, affichant dans leurs gestes saccadés, sur leurs visages morcelés, le signe de l’illusion dont ils procèdent. D’autre part, comme expression poétique de l’inquiétude contem poraine. Toute une rêverie biomé canique occidentale, à la fois futuriste et terminale, émancipatrice et apocalyptique, tourne autour de l’imperfection du vivant et de sa possible modélisation sur la dyna mique de la marionnette. L’affaire commence au titre de la réforme théâtrale (Heinrich von Kleist, Vsevolod Meyerhold, Gordon Craig), elle s’assombrit farouchement dans les univers fantasmagoriques de Franz Kafka et Bruno Schulz, avant que Tadeusz Kantor, dans son théâtre de la mort, ne cé lèbre le triomphe du « bio-objet », mi-homme, mi-mannequin, à l’ombre d’Auschwitz. Charlie Kaufman et son Anomalisa – au même titre que Paul Verhoeven et son Robocop – viennent en droite ligne de ce fonds européen. Ils nous racontent l’his toire tragique de cette créature maudite qu’est le Golem, masque de vie plaqué sur une mécanique de mort, mais réduite à l’échelle de tout un chacun, dans un monde que le clientélisme résume. p jacques mandelbaum Film d’animation américain de Charlie Kaufman et Duke Johnson (1 h 30). culture | 17 0123 MERCREDI 3 FÉVRIER 2016 La croissance d’Apple, une i-tragédie en trois actes Danny Boyle dessine le portrait du magnat californien, sur un scénario virtuose et théâtral d’Aaron Sorkin Il s’agit de faire réagir le même personnage aux mêmes stimuli, à un moment différent de sa vie STEVE JOBS ppvv L e théâtre, vous vous souvenez ? Les acteurs sont physiquement présents, l’organisation de l’espace et du temps n’a rien à voir avec la vie qui passe, et – souvent – on y parle beaucoup. Vous vous en souvenez forcément si vous suivez le cinéma pop américain. Son enfant terrible, Quentin Tarantino, louche de plus en plus du côté de la scène. Ce n’est qu’une question de mois (et de copyright) : Les 8 Salopards vont prendre la place du Père Noël est une ordure au répertoire des troupes amateurs. Et voici qu’Aaron Sorkin, scénariste extraordinaire (« A la Maison Blanche », The Social Network), propose, en guise de biopic de Steve Jobs, une pièce en trois actes, interprétée par Michael Fassbender, mise en scène par Danny Boyle. Bien sûr, ce n’est pas tout à fait du théâtre, et une part non négligeable de l’excitation réelle que l’on ressent à un spectacle qui ne devrait guère en susciter (le lancement d’un nouveau produit) tient aux armes du cinéma. Danny Boyle n’est pas du genre à s’attarder sur un plan, et le montage de Steve Jobs propulse le récit à une vitesse qui cache presque sa nature. Grand amateur de procédés, il a filmé chaque acte sur un support différent – 16 mm, 35 mm et numérique. Un espace confiné Les comédiens aussi, stars ou quasi-stars, tirent le spectacle du côté de l’illusion cinématographique. Autour de Fassbender (à qui le rôle a échu après la défection de Christian Bale) sont réunis Kate Winslet (Joanna Hoffman, la collaboratrice haute résistance), Seth Rogen (Steve Wozniak, l’ami trahi), Jeff Daniels (John Sculley, l’ex-patron de Pepsi Cola, recruté pour faire d’Apple une vraie compagnie), Michael Stuhlbarg (l’ex-A Serious Man, des frères Coen, incarne Michael Fassbender dans le rôle de Steve Jobs. FRANÇOIS DUHAMEL Andy Herzfeld, concepteur de logiciels), Kate Waterston (Chrisann Brennan, la mère de l’enfant reniée) et trois jeunes actrices qui jouent, à des âges différents, cette fille que Steve Jobs mit des années à reconnaître. On aurait pu suivre le chef et sa bande du garage où naquit le premier ordinateur jusqu’aux lieux saints du culte Apple, à Encino. Aaron Sorkin a préféré parquer la troupe dans un espace confiné, qui n’est jamais tout à fait le même, sans vraiment changer. Steve Jobs est divisé en trois actes, qui correspondent chacun au lancement d’un produit : le Macintosh en 1984, le NeXT en 1988 et l’iMac en 1998. A chaque fois, le lancement est précédé d’un psy- LA REPRISE DU JOUR Et les sables hollywoodiens brûlèrent pour Marlene Dietrich chodrame, qui fait entrer en jeu tous les personnages énumérés plus haut, au mépris de la chronologie des faits. Pour Sorkin, l’enjeu n’est pas de faire œuvre d’historien. Il s’agit de faire réagir le même personnage aux mêmes stimuli, à chaque fois à un moment différent de sa vie. Le lancement du Macintosh est dominé par l’affrontement avec Steve Wozniak, l’enfant prodige qui voit ses aspirations à la démocratisation de l’informatique coupées dans leur élan par un homme qui raisonne en termes de part de marché, de lignes de produits. Comme dans The Social Network, qu’il avait écrit pour David Fincher, le scénariste excelle à clarifier les enjeux, à injecter des affects inat- jean-françois rauger Film américain de Josef von Sternberg. Avec Marlene Dietrich, Gary Cooper, Adolphe Menjou (1 h 38) son côté, Kate Winslet fait de Joanna Hoffman une présence maternelle et madrée, la seule en mesure de manipuler un homme qui consacre toute son énergie à manipuler non pas les individus, mais la vie quotidienne des foules. Arrivé au troisième lancement, celui de l’iMac, qui devait ouvrir le processus par lequel Apple est passé du statut de challenger à celui de force dominante, le spectateur a compris que les faits sont ici arrangés à la fois pour servir le dessin d’un caractère et pour figurer une façon d’exercer le pouvoir. Cet exercice reste l’objet de toutes les fictions de Sorkin, y compris son imparfaite, mais passionnante série, « The Newsroom », consacrée à une thomas sotinel Film américain de Danny Boyle. Avec Michael Fassbender, Kate Winslet, Seth Rogen (2 h 02). La geste noire de l’Auguste Roschdy Zem met en scène rigoureusement, mais sagement, le destin du clown afro-cubain, vedette parisienne du début du XXe siècle T rès bonne nouvelle: on ressort Morocco (Cœurs brûlés). C’est le genre de films qui pourrait faire justice d’un grand nombre de clichés, fréquemment énoncés sur le cinéma hollywoodien par ceux qui ne prendraient pas la peine de bien regarder ce qu’on leur montre. Morocco est le second film que Josef von Sternberg réalise, après L’Ange bleu, avec Marlene Dietrich, et son premier film hollywoodien avec elle. Tourné en 1930, il devait lancer l’actrice allemande en Amérique, et y parvint. Dans un Maroc de pacotille, reconstitué dans les studios de la Paramount et la vallée de San Fernando, substitut approximatif du désert saharien, le cinéaste décrit la rencontre entre une chanteuse de cabaret fuyant ce que l’on devine être une désillusion sentimentale dans un demi-luxueux bouge cosmopolite d’une petite ville marocaine, et d’un légionnaire, bourreau des cœurs (Gary Cooper), viscéralement attaché à son indépendance. Les deux êtres se jaugent, se méfient l’un de l’autre et craignent surtout, peut-être, l’amour lui-même. Un milliardaire incarné par le suave et élégant Adolphe Menjou propose LE CINÉASTE DÉCRIT un riche mariage à la femme, qui devra choisir entre une vie confortable LA RENCONTRE ENTRE ou la soumission à une passion dévastatrice. La simplicité d’une mise en UNE CHANTEUSE scène tout en plans fixes et en recadrages, descriptifs et sensuels, cache le DE CABARET ET UN baroque d’une peinture tortueuse, ou LÉGIONNAIRE, BOUR- plutôt inusitée, des affects. L’univers est celui d’une libre circulation du déREAU DES CŒURS sir, d’une sorte de capharnaüm de la pulsion sexuelle masquée par les afféteries d’un univers social faisandé. Le triangle amoureux s’émancipe de tout sentiment de jalousie, mais l’intensité des émotions y est portée à son plus haut degré d’incandescence. Une femme abandonne un destin rédempteur pour suivre en courant, pieds nus sur le sable brûlant, la colonne de légionnaires emportant l’homme qu’elle aime. p tendus dans des concepts abstraits, comme – ici – technologie captive. Contrairement à ce qui se passait dans le film consacré au fondateur de Facebook Mark Zuckerberg, c’est le metteur en scène qui se met au service du scénariste. Le scénario a beau sortir, le temps de quelques retours en arrière, des coulisses des théâtres de San Francisco où se préparent les lancements des produits conçus par Steve Jobs, il s’agit surtout de dégager une dramaturgie. Par trois fois, Seth Rogen incarne le fantôme de l’idéalisme juvénile pendant que Jeff Daniels forme la figure paternelle qui, manifestement, trouble encore plus Steve Jobs que le vieil Hamlet ne dérangeait le jeune. De chaîne d’information en continu. Il a trouvé en Michael Fassbender l’incarnation idéale de cette soif et de son assouvissement. Le scénariste, en prise avec les tendances de la culture contemporaine, fait du milliardaire d’Encino le cousin californien de Sherlock Holmes – figure dont le regain de faveur actuel dit beaucoup de la terreur qui habite nos contemporains d’être incapables de déchiffrer le monde. Steve Jobs, selon Fassbender, Sorkin et Boyle, est un homme capable de voir ce que les autres ne voient pas. De déterminer des besoins dont ceux qui les ressentent n’avaient même pas idée. Cette lucidité se paie en absence d’empathie, en une indifférence à la souffrance et aux sentiments des autres qui servent, bien sûr, les nécessités de la gestion d’une multinationale, mais aussi à protéger un ego fragile, torturé par la question de la paternité. Il arrive que le scénario insiste un peu lourdement sur tel trait de caractère, comme dans la scène où Steve Jobs emmène son père spirituel, John Sculley, dans un restaurant tenu par son père biologique : Aaron Sorkin est soucieux de lever tous les malentendus. Reste le portrait d’un entrepreneur en action, critique et admiratif, l’équivalent cinématographique de ces grandes toiles de la peinture classique qui aidaient aussi bien à l’histoire qu’à la légende de leurs sujets. p CHOCOLAT pvvv I gnorée pendant presque un siècle, la figure de Chocolat est revenue dans la conscience collective, à travers le travail de l’historien Gérard Noiriel (Chocolat, clown nègre), qui s’est fait aussi dramaturge en écrivant le spectacle mis en scène par Marcel Bozonnet aux Bouffes-duNord en 2012. Le clown, fils d’esclaves cubains, devenu la vedette des cirques parisiens à la veille de la première guerre mondiale, fut à la fois l’une des premières célébrités noires du show-business français et une figure tragique, morte dans l’oubli après deux décennies de célébrité. Il n’était pas assuré que le cinéma français s’emparerait de cet Auguste afro-cubain, tant cette industrie s’est révélée allergique à la question noire en France au fil des siècles. Voici pourtant Chocolat, grosse production, soutenue par un studio – Gaumont – vigoureusement promue, avec en figure de proue Omar Sy, qui tient le rôle-titre. C’est beaucoup, et le film, réalisé par Roschdy Zem, tient en partie les promesses de son projet. Il affronte directement la question du racisme qui était un des constituants de ce pays colonial. Et pour mettre en scène ce déchirement, il a constitué un duo dramatique parfaitement fonctionnel, qui ajoute à la présence solaire et tourmentée d’Omar Sy la sombre rectitude de James Thierrée, qui incarne Footit, le clown blanc avec lequel Chocolat forma pendant quinze ans le duo qui le porta au summum de la gloire. Une tension permanente La réaction chimique que produisent les deux acteurs alimente une tension permanente. James Thierrée incarne un être rationnel, qui calcule le rire comme d’autres la résistance du tablier d’un pont, pendant qu’Omar Sy, intuitif et fragile, n’arrive pas à fixer la course de son destin. Footit et Chocolat instaurèrent un numéro de clown blanc et d’Auguste qui redoublait le conflit entre les personnages : en plus de l’affrontement entre la raison et la fantaisie, on devinait l’affirmation de la supériorité de celui qui donnait les claques (Footit) sur celui qui les recevait (Chocolat). Tout cela, le scénario de Cyril Gely (d’après l’ouvrage de Gérard Noiriel) et la mise en scène de Roschdy Zem l’établissent clairement. Ce que le film peine à faire vivre, tout en le montrant consciencieusement, c’est l’inscrip- tion de cette anecdote dans l’histoire. Pourtant, le récit prend de grandes libertés avec ce que l’on sait du destin de Chocolat – ce n’est pas, par exemple, Footit, qui a découvert son comparse dans un cirque de province –, ce qui devrait lui permettre de dessiner à loisir ce moment de l’histoire du divertissement où les moyens de communication de masse commencent à fabriquer des célébrités, où un nouvel art, le cinéma, vient menacer les vieilles manières de se distraire – jolie séquence, d’ailleurs, qui voit les frères Podalydès, grimés en frères Lumière, demander aux clowns de ne pas sortir du cadre. Le scénario peuple le film de figures emblématiques, du révolutionnaire haïtien et opiomane (Alex Descas) qui semble avoir déjà lu Frantz Fanon, au policier tortionnaire et raciste, en passant par l’intellectuel parisien compréhensif mais pas bien courageux (Olivier Rabourdin, dans le rôle de Firmin Gémier). Roschdy Zem s’en empare pour les insérer dans un Paris reconstitué avec trop de soin pour faire toute la place qu’elles méritent aux folies de Chocolat, à la scène comme à la ville. Cette volonté de clarté, cette minutie entravent une histoire qui pouvait aussi bien s’envoler sur les ailes de la colère que se rouler dans le burlesque. p t.s. Film français de Roschdy Zem. Avec Omar Sy, James Thierrée, Clotilde Hesme (1 h 50). 18 | culture 0123 S E M A I N E MERCREDI 3 FÉVRIER 2016 Dix-sept après avoir quitté sa famille, un homme tente de sauver les siens. L A PYRAMIDE DISTRIBUTION K Retrouvez l’intégralité des critiques sur Lemonde.fr (édition abonnés) ppvv À VOIR Préjudice Film belge d’Antoine Cuypers (1 h 45). Après quelques courts-métrages remarqués, le réalisateur belge Antoine Cuypers s’attaque au format long en huis clos, en faisant tourner des réjouissances familiales au vinaigre. Ses dialogues remarquablement ciselés avec Antoine Wauters, sa mise en scène minutieuse et l’interprétation formidable de Nathalie Baye et Thomas Blanchard, dans les rôles principaux d’une mère et de son fils, lui permettent de franchir ce cap décisif haut la main. p n. lu. F I L M S D E pvvv POURQUOI PAS S i besoin était, deux signes préalables devraient re commander ce film de César Acevedo à l’attention des spectateurs. Le premier est son couronnement, en mai 2015, par la Caméra d’or du Festival de Cannes, prix du pre mier longmétrage fort convoité par les jeunes cinéastes, et qui ré compense souvent des œuvres fortes et originales. Le second, après la sortie, le 23 décembre 2015, du magnifique L’Etreinte du serpent, de Ciro Guerra, également présenté au Festival de Cannes, est que ces deux auteurs particulièrement bien exposés signalent, parmi d’autres (Oscar Ruiz Navia, William Vega…), l’incontestable frémissement du cinéma colom bien, qui a été, depuis sa nais Tableaux expressifs, prégnants Le film naît du croisement entre la recomposition intime de cette famille et la décomposition des liens entre celleci et l’industrie sucrière, qui lui vole son espace vital, la réduit et l’étouffe à petit feu. Le « comment revivre ensemble familial » – avec ce père qui revient d’on ne sait où pour sauver ce qui peut l’être, et sa femme qui s’accroche comme une damnée, jusque dans l’étreinte à son fils mourant, à son lopin de terre – se combine ainsi avec le « survivre ensemble » face à la ruine financière et à l’empoisonnement qui menacent. Ce que réussit brillamment Cé sar Acevedo dans ce film est de A U T R E S transfuser ces problématiques psychologiques et sociales en ta bleaux visuels inspirés, expres sifs, prégnants. Le couple appari tiondisparition, dans une succes sion de plansséquences compo sés et frontaux, y commande les cadres et les affects. Apparition du père, en « revenant », dans l’embrasure de la porte. Disparition du même dans un nuage de fumée blanche pro voqué par un poids lourd qui le frôle. Irruption onirique, magique, angoissante, d’un cheval dans la maison. Noircissement duveteux de l’image sous la pluie de cendres qui engloutit décors et personnages. De cette tragédie immobile, op pressive, un mouvement, une libé ration devaient naître. Ils n’en trancheront pas moins la famille en deux. Ainsi l’a dit, croisée dans une taverne, la magnifique chan son du film : « Amour, ton nom s’écrit avec des larmes ». p jacques mandelbaum Nombre d’entrées (1) Nombre d’écrans Evolution par rapport à la semaine précédente Total depuis la sortie La 5e Vague 1 378 805 409 378 805 Les Saisons 1 292 090 488 292 090 Creed : L'Héritage de... 3 244 825 456 Encore heureux 1 185 292 301 Star Wars : Le Réveil de la Force 7 163 993 519 Spotlight 1 160 764 208 The Boy 1 152 636 152 Les 8 Salopards 4 148 663 604 Tout schuss 3 101 506 354 Jane Got a Gun 1 88 994 301 AP : avant-première Source : Ecran total Film américain de Dan Mazer (1 h 42). Un jeune homme (Zac Efron) voué à un avenir brillant d’avocat accompagne son grand-père (Robert De Niro), veuf depuis peu, mais surtout priapique et érotomane, dans un périple vers la Floride. A l’image de ce que l’on voit avec de nombreuses productions hollywoodiennes récentes, les bons sentiments côtoient ici une débauche de situations honteuses et humiliantes. Le comique scabreux semble ici trop forcé et trop artificiel pour qu’on y croie. p j.-f. r. Le Temps des rêves Film franco allemand d’Andreas Dresen (1 h 57). Ils ont passé leur enfance dans les groupes de pionniers de l’exRDA, ils franchissent l’adolescence à la chute du Mur, dans une Allemagne réunifiée, qui sera fatale à leur rêve de réussite sociale. Ce groupe d’antihéros perdus sans la jungle occidentale est au centre du nouveau film d’Andreas Dresen, qui ne laisse pas un brin d’air ni l’ombre d’un doute pénétrer dans sa démonstration en béton. p j. ma. Alvin et les Chipmunks : à fond la caisse Film d’animation américain de Walt Becker (1 h 32). Attention, les épouvantables petites bêtes à poil ras sont de retour, et leur voix de crécelles reste l’instrument de torture auditive le plus cruel qu’on ait inventé depuis le crissement de la craie sur le tableau noir. Le succès de cette franchise a beau être mystérieux, il ne se dément pas. Ce quatrième volet en est la preuve déroutante. p i. r. Mini et les voleurs de miel Film d’animation danois de Jannik Hastrup et Flemming Quist Moller (1 h 15). Adapté d’un livre d’illustrations de l’artiste Fleming Quist Moller, ce dessin animé déroule une fable gentillette sur l’affirmation de soi et la tolérance. L’univers graphique n’a rien de déplaisant, mais l’animation et la narration, rudimentaires, accentuent le sentiment de platitude. p m. ma. NOUS N’AVONS PAS PU VOIR Les Tuche 2 Film français d’Olivier Baroux (1 h 34). Film colombien de César Acevedo. Avec Haimer Leal, Hilda Ruiz, Edison Raigosa (1 h 37). LES MEILLEURES ENTRÉES EN FRANCE Nombre de semaines d’exploitation Dirty Papy ↓ – 35 % Point Break Film américain d’Ericson Core (1 h 53). !# !" Théâtre de l’Europe 1 318 953 185 292 ↓ – 33 % jusqu’au 25 mars 2016 Berthier 17e 10 128 093 160 764 TARTUFFE 152 636 ↓ ↓ – 34 % 1 590 983 – 31 % 470 263 MolIère luc Bondy 88 994 * Estimation Période du 27 au 31 janvier inclus Les adolescents goûtent toujours autant le spectacle de leurs pairs en lutte armée contre le monde des adultes. La dernière dystopie postpubère en date, La 5e Vague, prend sans peine la tête du classement. Sur un mode plus bucolique, mais tout aussi apocalyptique, le poème écologique de Jacques Perrin, Les Saisons, fait sortir les spectateurs du bois, avec une moyenne par salle néanmoins plus modeste (599, con tre 926 pour La 5e Vague). Spotlight, sorti dans une combinaison plus réduite, se situe entre les deux, avec 773 entrées par écran. George Miller présidera le jury du Festival de Cannes Le cinéaste australien George Miller présidera le jury du 69e Festival de Cannes, ont annoncé les organisateurs le 2 février. Le réalisateur de la saga Mad Max, dont le quatrième volet avait ouvert le Festival en 2015, succédera aux frères Joel et Ethan Coen. (AFP.) THeATre-odeon.eu 01 44 85 40 40 @Theatreodeon #Tartuffe christiane cohendy Victoire du Bois Audrey Fleurot laurent Grévill nathalie Kousnetzoff Samuel labarthe yannik landrein Micha lescot Sylvain levitte yasmine nadii chantal neuwirth Fred ulysse Pierre yvon © Thierry Depagne / Licence d’entrepreneur de spectacles 1064582 ppvv de famille revient au foyer conjugal pour tenter de sortir sa famille d’un désastre annoncé. Sa femme, vieillie et hostile, ne veut pas quit ter sa maison. Leur fils, fidèle à sa mère, se meurt du fait des émana tions régulières de cendres produites par l’incendie des cannes à sucre. La femme de ce dernier aimerait partir pour sauver leur enfant de ce désastre. L E S Un premier long-métrage prometteur du Colombien César Acevedo sance tardive (le premier long métrage date de 1922), régulièrement empêché par les vicissitu des et les violences historiques. César Acevedo, qui est né à Cali, en 1987, signe son premier long avec La Terre et l’Ombre. Son film, par surcroît, se défend très bien tout seul. Ancré dans la terre, il lutte avec l’ombre. Un film de terri toire, de fidélité, de résistance, ter riblement concret, et cependant quasiment abstrait à force de subordonner intrigue, décors et per sonnages à cette sorte de fatalité sourde, qui relie une famille de paysans au lieu qui l’a vu naître. Cet enjeu est exprimé par un dé pouillement figuratif qui confine à la métaphore visuelle : une mai sonnette et un arbre, comme écra sés par leur isolement, encerclés par des champs de canne à sucre à perte de vue. La ligne narrative est elle-même assez minimaliste : absent depuis dix-sept ans, un père Film d’animation français d’Anthony Roux et Jean-Jacques Denis (1 h 47). Premier long-métrage de cinéma des studios français Ankama, spécialisés dans les jeux vidéo, ce film poursuit sur grand écran l’histoire du monde magique du Krosmoz, commencée au début des années 2000, avec le célèbre jeu en ligne Dofus. Malin et rythmé, ce Julith, qui slalome entre épopée d’heroic fantasy et bouffonneries manga, fait honneur à ses racines : il est sans aucun doute le rendez-vous ludique de la semaine. p n. lu. vvvv ON PEUT ÉVITER Dans la solitude des champs de canne à sucre LA TERRE ET L’OMBRE Dofus, livre 1 : Julith culture | 19 0123 MERCREDI 3 FÉVRIER 2016 Un rêve échoué sur les trottoirs de Belleville Naël Marandin conte, comme dans un thriller, le quotidien d’une clandestine qui se prostitue pour survivre LA MARCHEUSE Le rapport au monde se négocie sans états d’âme, à coups de petits arrangements avec la vie ppvv C es femmes chinoises au regard las, qui usent leurs semelles sur les trottoirs de Belleville, entre les supermarchés exoti ques et les restaurants de soupes phô, qui sont-elles ? Quelle était leur vie avant d’arriver en France ? Comment leurs rêves sont-ils venus s’échouer sur le bitume parisien ? Comédien à l’origine, Naël Marandin a passé du temps en Chine. De retour à Paris, il s’est fondu dans la communauté chinoise de Belleville en s’engageant, notamment, dans des associations de quartier, en venant en aide, plus particulièrement, au sein de Médecins du monde, aux prostituées tout juste débarquées. Les histoires que ces femmes lui ont racontées lui ont fourni la matière, dure et sensible, de ce premier long-métrage, un thriller en mode mineur, tout en nuance, au fil duquel se dessine le portrait romanesque de l’une d’entre elles. Immigrée clandestine venue du Dongbei, au nord-est de la Chine, région sinistrée qui fournit l’essentiel du contingent de la dernière vague d’immigration arrivée en France – la moins bien intégrée –, Lin a laissé son mari après un divorce. Au fil des ans, elle s’est bricolé une économie de survie qui lui a permis de financer la venue de sa fille, Cerise, aujourd’hui adolescente, et continue d’assurer leur subsistance à toutes les deux. Logée dans le grand appartement d’un vieil homme grabataire, pour qui elle fait la cuisine, le ménage, qu’elle assiste dans sa toilette et dans ses moindres mouvements, elle complète les maigres émoluments qu’elle reçoit en faisant des passes. Rythmée par le Lin (Qiu Lan) et Daniel (Yannick Choirat) dans « La Marcheuse », de Naël Marandin. FOLAMOUR/VITO FILMS/REZO FILMS travail, tendue par l’espoir de voir sa situation régularisée, la volonté de sa fille de réussir ses études, et la peur, au moindre faux pas, d’être renvoyée en Chine, sa vie se déroule sans vagues, en sourdine… Mais l’intrusion qu’y fait un homme violent, traqué par des prêteurs sur gages, qui s’impose chez elle par la menace et décide de rester le temps de trouver une meilleure idée, met d’un coup en péril ce fragile édifice. Si le propriétaire découvre sa présence, elle et sa fille seront jetées à la rue. Si les prêteurs sur gages retrouvent la trace de leur débiteur, les conséquences seront plus graves encore. Ambivalence des sentiments Ce grand appartement sombre, décrépi, devient dès lors un petit théâtre, où les rapports entre les trois personnages – la mère, la fille, et cet homme à la fois inquiétant et attirant – se reconfigurent au fil de l’eau, au gré de la circulation du désir et des multiples possibles que cette présence nouvelle fait naître pour les deux femmes. Pour la prolétaire transfrontalière qu’est Lin, le rapport au monde se négocie sans état d’âme, le pragmatisme chevillé au corps, à coups de petits arrangements avec les gens, avec la vie. Aussi ne tarde-t-elle pas à renverser la situation à son avantage en proposant au nouveau venu d’endosser ses dettes en échange d’un mariage blanc, ouvrant du même coup sur l’inconnu une situation qui semblait totalement verrouillée. C’est la grande qualité de ce film que de rendre sensible l’ambivalence des sentiments qui lient ces personnages, contraints dans leur liberté d’individus, pris dans un nœud de forces contraires, et pourtant perméables au désir, auquel ils finissent par s’abandonner, et même à la tendresse qui, discrètement, s’invite dans la partie… Cerise n’est pas en reste, à qui la promiscuité avec ce « bad boy » inspire ses premiers émois éroti- ques et des pulsions transgressives qui ne seront pas sans effet. Sèche, sans ostentation, la mise en scène maintient cette intrigue sous cloche et dans un état de tension permanente qui donne sa texture vibrante à la peinture du quotidien de Lin. Magnétisée par son actrice, Qiu Lan, par sa beauté singulière, par son jeu farouche, rentré et intense, la caméra saisit attentivement aussi les vibrations de la ville, l’âme de l’appartement, les émotions des personnages. Sensible aux mouvements de la rue, à la moindre expression des regards, aux frémissements des peaux, elle rend superflue toute forme de commentaire, toute effusion, qui, dans un tel contexte, serait nécessairement déplacée. La violence symbolique des vexations que Lin subit au quotidien – de la part des clients, des grands bourgeois qui l’hébergent, des commerçants du quartier… – explose d’autant plus fort qu’elles sont à peine suggérées. Et qu’entre elles s’insèrent des moments de paix, de joie, d’érotisme qui arrachent le personnage au déterminisme de sa fiche sociologique pour lui donner une épaisseur humaine profondément émouvante. p isabelle reignier Film français de Naël Marandin. Avec Qiu Lan, Yannick Choirat, Louise Chen (1 h 20). Plans serrés sur les garrots de marginaux new-yorkais Les frères Josh et Benny Safdie adaptent l’autobiographie d’une jeune sans-abri américaine, entre amours incandescentes et addictions MAD LOVE IN NEW YORK ppvv M ine de rien, la jeune scène indépendante new-yorkaise, comme on a pris l’habitude de la nommer, est en train de créer, film après film, une nouvelle forme de subjectivité. Les frères Josh et Benny Safdie, ses figures de proue, ont cultivé, en à peine quatre longs-métrages, un rapport unique, à la fois psychique et organique, entêté et farouche, avec leurs personnages : une petite voleuse de tout et n’importe quoi dans The Pleasure of Being Robbed (2008), un papa foutraque dans Lenny and the Kids (2010), ou un espoir fugace du basket-ball, dans leur documentaire Lenny Cooke (2013) encore inédit en France. Cette fois, ils se penchent sur une jeune vagabonde, Harley, qui erre sur les trottoirs de New York et titube dangereusement entre deux amours incandescentes. Le premier, c’est le bel Ilya (Caleb Landry Jones, repéré dans Antiviral de Brandon Cronenberg), le prince noir des rues, maître hautain au visage exsangue, dont le mépris affiché pour Harley la pousse à se mutiler. Le second, c’est la drogue, maîtresse exigeante, qu’on s’injecte dans les toilettes des fast-foods, pour laquelle Harley s’accroche aux basques de n’importe quel pourvoyeur de passage, que ce soit le dealer Mike (Buddy Duress), qui la prend sous son aile, ou l’essaim des junkies qu’il saupoudre. Comment filmer, sans sombrer dans le social-glauque, ce monde des sans-abri, si rare à l’écran, et d’une telle rugosité qu’il semble devoir ne tolérer aucun artifice ? Le film est, avant tout, né d’une rencontre, celle d’Arielle Holmes, Un romantisme brutal et halluciné, qui peut rouler dans le caniveau, brûler d’une fièvre intense et s’évanouir dans la douceur d’une caresse une véritable SDF qui, à la demande des frères Safdie, écrivit un livre sur sa propre vie. C’est ce texte qu’ils ont adapté (avec leur complice Ronald Bronstein, réalisateur du curieux Frownland en 2007), faisant jouer à Arielle son propre rôle, et l’entourant d’un casting de non-professionnels piochés dans la rue (à l’excep- tion d’Ilya). Ainsi, la frontière entre la fiction et le documentaire, bien que clairement délimitée, reste mince et assure au récit un champ perméable à l’expérience de ses interprètes. Béton, bitume et crasse A la caméra, le prodige Sean Price Williams, chef opérateur clé de cette génération artisanale (Queen of Earth, d’Alex Ross Perry, 2015), signe une image fluente, d’une incroyable mobilité. L’usage du téléobjectif écrase les perspectives, brouille les lieux et plonge les êtres dans un amalgame indifférencié de béton, de bitume et de crasse. Les cadres serrés sur les gestes, surtout sur les visages, dessinent une symphonie de faciès abîmés, de passions et de stigmates, substituant à l’urbanité réelle un espace strictement subjectif, voire égotiste, dont on ne sort quasiment pas. Cette focalisation, à la fois étouffante et envoûtante, estompe l’environnement, le réduit à ses échos lointains, ou a d’importunes irruptions dans le parcours chancelant de son héroïne. A ce titre, le film ne s’intéresse pas tant à la marginalisation en elle-même, qu’à la modalité essentiellement addictive selon laquelle la jeunesse fait l’expérience du monde. Expérience faite de cycles, de boucles obsédantes (qu’amplifient les plages électroniques du compositeur japonais Isao Tomita), et donc acculée à un pur présent, sans autre mémoire ni destin qu’une éternelle répétition. Ce présent, c’est avant tout celui de conversations heurtées, emphatiques, qui peuplent le film : les paroles se télescopent, buttent sur des difficultés, des résistances, des incompréhensions, des points de détail qui gonflent, gonflent et deviennent infran- D OWNTON A BBEY L’ U LT I M E S A I S O N DÉCO UVREZ LA SAISON 6 EN BLURAY , DVD ET COFFRETS INTÉGRALES TM chissables. Si les personnages des frères Safdie parlent autant, et se comprennent si peu, c’est parce qu’il est de leur nature de « se faire des montagnes d’un rien ». Harley ment, négocie, réclame, contourne, brode, parce qu’elle a besoin de se réchauffer, parce qu’elle a besoin de brûler. A travers elle, et le ressac passionnel qui la ramène toujours vers l’orageux Ilya, le cinéma des frères Safdie résonne d’une tonalité nouvelle : celle d’un romantisme brutal et halluciné, qui peut rouler dans le caniveau, brûler d’une fièvre intense et, la seconde d’après, s’évanouir dans la douceur d’une caresse. p mathieu macheret Film américain et français de Josh et Benny Safdie. Avec Arielle Holmes, Caleb Landry Jones, Buddy Duress, Necro, Eleonore Hendricks (1 h 37). 20 | télévisions 0123 MERCREDI 3 FÉVRIER 2016 Toi, l’enfant que je ne reconnais plus VOTRE SOIRÉE TÉLÉ Le terrible combat d’un père et d’une mère face à la radicalisation de leur fille M E RCR E D I 3 F É VR IE R TF1 20.55 Les Experts : Cyber Série créée par Carol Mendelsohn, Ann Donahue et Anthony E. Zuiker (EU, saison 1, ép. 8, 11 et 12/13). 23.20 Les Experts Série créée par Anthony E. Zuiker (EU, S12, ép. 22 et 1/22 ; S9, ép. 19 et 18/24). France 2 21.00 Ne m’abandonne pas Téléfilm de Xavier Durringer. Avec Lina Elarabi, Samia Sassi, Sami Bouajila, Marc Lavoine (Fr., 2016, 85 min). Suivi d’un débat 23.30 Les Français, c’est les autres Documentaire de Mohamed Ulad et Isabelle Wekstein-Steig (Fr., 2016, 60 min). France 3 20.55 Des racines et des ailes Passion patrimoine : Terres de Bretagne, du pays rennais à la presqu’île de Crozon. Magazine présenté par Carole Gaessler. 23.15 In situ Magazine présenté par Marie-Sophie Lacarrau. Inès (Samia Sassi), Chama (Lina Elarabi) et Sami (Sami Bouajila). ARTHUR FARACHE SAUVEGRAIN / SCARELETT PRODUCTION FRANCE 2 MERCREDI 3 – 21 H 00 TÉLÉFILM C hama, 17 ans, vient de passer brillamment l’oral du concours d’entrée à Sciences Po. En sortant, elle appelle sa mère pour la rassurer. Puis retrouve une amie qui la prévient : « Tu vas faire la pire connerie de ta vie. » Chama s’en moque, aussi déterminée à réussir face à ses professeurs qu’à épouser quelques instants plus tard, via Internet, dans un cyber café, le garçon qu’elle aime et qui l’attend en Syrie, où il combat dans les rangs de l’EI. Cette première séquence détermine la forme que reproduit de bout en bout le téléfilm de Xavier Durringer : la mise en scène à répétition d’un basculement – et donc de ruptures – qui secoue le récit en même temps que les personnages et le téléspectateur. Le climat de violence auquel nous soumet Ne m’abandonne pas vient de là. Et de nulle part ailleurs. Ainsi la réunion de famille organisée pour fêter l’admission de Chama à Sciences Po où les rires vont s’étrangler au détour d’une phrase. La jeune fille, radieuse, doit soudain faire face à l’interrogation de ses parents qui la soupçonnent de s’être radicalisée. Elle nie. Puis, en une fraction de seconde, sort : « Je ne supporte plus vos gueules de mécréants ! » La mère et le père vacillent. A peine conscients encore du combat qu’ils vont devoir mener pour empêcher leur fille de partir en Syrie. Les scénaristes Aude Marcle et Françoise Charpiat se sont beaucoup documentées pour tenter de rendre compte du cataclysme auquel sont soumis les parents de jeunes qui partent au djihad. Et de cerner aussi les motivations qui pouvaient pousser des adolescents à se radicaliser. L’idée d’écrire sur le sujet est partie d’un fait divers découvert il y a deux ans dans un article consacré au départ en Syrie d’une gamine de 15 ans originaire d’Avignon. « Nous étions tristement fascinées par le fait qu’une jeune fille puisse basculer aussi rapidement et devenir une étrangère sous les yeux de ses proches, sans que personne ne s’en rende compte », explique Aude Marcle. Entre le point de départ de leur projet et la fin, l’actualité a rattrapé les deux auteures, qui ont intégré, sous la forme d’allusion, les attentats de janvier 2015. Ceux du 13 novembre ont eu lieu quelques semaines après le dernier clap du tournage. Pour autant, elles n’ont pas dérogé au parti pris qu’elles s’étaient presque instinctivement fixé aux prémices de l’aventure : concentrer l’histoire sur la relation mère-fille. « Nous nous sommes immédiatement identifiées à la mère et sur ce que nous serions capables de faire par amour pour protéger notre enfant », précise Françoise Charpiat. Extrême brutalité Dans Ne m’abandonne pas, Inès choisit d’emmener sa fille dans une maison isolée à la campagne où elles vont vivre séquestrées, autant de temps qu’il le faudra, autant de semaines, de mois, que nécessitera le retour de Chama parmi les siens. Ce huis clos où se joue un affrontement d’une extrême brutalité – qui amène irrémédiablement à établir le parallèle avec une cure de désintoxication – permet, en le resserrant, de préserver le propos des débordements auxquels il pourrait prêter. « Le scénario déstigmatise la communauté musulmane et prend à contre-pied les poncifs sur les jeunes de banlieue, souligne Xavier Durringer. La mère de « Le scénario prend à contrepied les poncifs sur les jeunes de banlieue » XAVIER DURRINGER réalisateur de « Ne m’abandonne pas » Chama est de culture musulmane mais athée. Elle est médecin, divorcée, elle fume, elle boit. Son père fréquente la mosquée mais sans plus, il est informaticien et remarié. Sa grand-mère est plus dans la tradition… Chacun a un rapport différent à la religion. A partir de là, le film s’attache essentiellement aux sentiments et aux émotions, aux réactions presque animales des parents – et principalement de la mère – vis-à-vis de leur fille, mais aussi au désespoir total du père du petit ami de la jeune fille qui tente par tous les moyens de faire revenir son fils de Syrie. » Pour tenter d’appréhender les mécanismes de la radicalisation chez les jeunes filles, Aude Marcle et Françoise Charpiat ont fait appel à l’anthropologue Dounia Bou- zar, engagée dans la lutte contre l’embrigadement djihadiste. De cette matière, les scénaristes n’ont tiré aucune démonstration, préférant se servir des éléments recueillis pour construire, en creux, la personnalité et le parcours de Chama. Adolescente amoureuse et butée, en colère contre l’injustice et en quête d’un idéal. Malgré ses qualités, ce téléfilm n’aurait pas la puissance qu’il dégage sans les acteurs qui incarnent les figures de cette histoire singulière. Lina Elarabi (Chama), Samia Sassi (Inès, la mère), Sami Bouajila (Sami, le père) délivrent un jeu d’une justesse inouïe, travaillé en amont du tournage et capté ensuite par un réalisateur qui sait user des plans-séquences pour saisir une scène dans son entier. Comme au théâtre dont Xavier Durringer est issu. p véronique cauhapé Ne m’abandonne pas, de Xavier Durringer. Avec Lina Elarabi, Samia Sassi, Sami Bouajila, Marc Lavoine (Fr., 2016, 85 min). Le téléfilm sera suivi d’un débat puis d’un documentaire saisissant, « Les Français, c’est les autres », de Mohamed Ulad et Isabelle Wekstein-Steg (Fr., 2016, 60 min). Canal+ 21.00 Coach Documentaire de Manuel Herrero (Fr., 2015, 90 min). 22.30 Foxcatcher Drame de Bennett Miller (EU, 2014, 130 min). France 5 20.40 Comment fabriquer une planète ? Documentaire de Mike Slee, Nigel Simpkiss et Nick Shoologin-Jordan (GB-EU, 2013, 85 min). 23.35 Dangers dans le ciel Documentaire de Su Rynard (Can., 2008, 50 min). Arte 20.55 Minuit à Paris Comédie de Woody Allen. Avec Owen Wilson, Rachel McAdams et Marion Cotillard (EU-Esp., 2011, 90 min). 23.20 Paradis : amour Comédie dramatique d’Ulrich Seidl (Autr.-All.-Fr., 2012, 115 min). M6 20.55 Patron incognito Magazine avec Christel Jaffres (Bureau Vallée). 22.30 Patron incognito Magazine avec Alain Brière (Balladins). 0123 est édité par la Société éditrice HORIZONTALEMENT 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 I II III IV V VI VII VIII IX X SOLUTION DE LA GRILLE N° 16 - 027 HORIZONTALEMENT I. Malversation. II. Obéirais. ONU. III. Tarer. Lion. IV. ISO. Ecolière. V. Votera. Essor. VI. Au. Tofus. CIO. VII. Trauner. Do. VIII. Idrisi. Li. OE. IX. Oie. Exécuté. X. Nectarivores. VERTICALEMENT 1. Motivation. 2. Abasourdie. 3. Lérot. Arec. 4. Vie. Etui. 5. Errerons. 6. Râ. Caféier. 7. Silo. Ur. Xi. 8. Asiles. Lev. 9. Ois. Dico. 10. Ionesco. Ur. 11. On. Roi. Oté. 12. Numérotées. I. Une étourderie qui peut avoir de graves conséquences. II. Saisi et enregistré pour être repris. Atome. III. Facilite le soulèvement. Emile créa le dessin animé, Paul it de la politique. IV. Se retrouvent sous inluence. Dans la gamme. V. Monument funéraire. Sort la tête à marée basse. VI. A fait la guerre chez les Romains. Creuse comme une bête. VII. Possessif. Prépara le gigot. Supporte la coque pendant la construction. VIII. Fabrique de cadres. Travailla sur l’œil. IX. Rendront des services. Hérétique condamné à Nicée. X. Se retrouve avec un nouveau découpage. VERTICALEMENT 1. Pousse à l’action. 2. Se fait entendre du bout des lèvres. 3. Font tourner notre économie. Enjoué mais désordonné. 4. Reprit la conversation. Ouvre le livre. 5. Dans l’erreur. Le chlore. Lac lombard. 6. Ne fait que simuler la réalité. Points opposés. 7. Un peu trop salées. Article. 8. A fait danser dans les années 1960. Lumière de la nuit. 9. Ensemble des cardinaux. Sélection. 10. Fit l’innocent. Consolidais le forage. 11. Passe au plus près. Assure la liaison. 12. Fait passer ses idées. La reproduction de tout article est interdite sans l’accord de l’administration. Commission paritaire des publications et agences de presse n° 0717 C 81975 ISSN 0395-2037 0123 Les Unes du Monde RETROUVEZ L’INTÉGRALITÉ DES « UNES » DU MONDE ET RECEVEZ CELLE DE VOTRE CHOIX ENCADRÉE Encyclopéd ie Universalis www.lemond e.fr 65 e Année - N˚19904 - 1,30 ¤ France métropolitaine L’investiture de Barack Nouvelle édition Tome 2-Histoire --- Jeudi 22 janvier Uniquement 2009 Fondateur Premières mesures Le nouveau président américain a demandé la suspension : Hubert Beuve-Méry En plus du « en France - Directeur Monde » métropolitaine : Eric Fottorino Obama des audiences à Guantanam o Barack et Michelle Obama, à pied sur Pennsylvania WASHINGTON Avenue, mardi 20 janvier, CORRESPONDANTE se dirigent montré. Une vers la Maison evant la foule nouvelle génération Blanche. DOUG tallée à la tête s’est insqui ait jamais la plus considérable MILLS/POOL/REUTERS a Les carnets transformationde l’Amérique. Une ère d’une chanteuse. national de été réunie sur le Mall de Angélique a Washington, Des rives du commencé. Kidjo, née au Obama a prononcé, a Le grand Barack lantique, Pacifique à jour. Les cérémonies celles de l’At- aux Etats-Unis pendant Bénin, a chanté discours d’investituremardi 20 janvier, toute l’Amérique la liesse ; les la campagne de Barack Obama ; ambitions d’un presque modeste.un sur le moment s’est arrêtée a Feuille force d’invoquer en 2008, la première rassembleur qu’elle était pendant les A vivre : décision de ; n’est jamaisde route. « La grandeur Abraham en train de festivités de et de nouveau administration: Martin Luther l’accession la nouvelle Lincoln, un l’investiture, au poste du 18 au dant en chef Avec espoir et dû. Elle doit se mériter. avait lui même King ou John Kennedy, pendant cent la suspension des armées, de comman- raconte 20 janvier. Pour Le Monde, (…) vertu, il placé la barre responsable vingt : les cérémonies, elle de plus les courants bravons une fois discours ne très haut. Le l’arme nucléaire, d’un de Guantanamo. jours des audiences passera probablement les rencontres jeune sénateur de – elle a croisé l’actrice glacials et endurons cain-américain Pages 6-7 les tempêtes à postérité, mais afri- le chanteur page 2 et l’éditorial Lauren de 47 ans. venir. » Traduction il fera date pour pas à la Harry Belafonte… Bacall, du discours ce qu’il a inaugural du e intégrale miste Alan Greenspan. Lire la suite et l’écono- a It’s the economy... des Etats-Unis. 44 président page 6 la Il faudra à la velle équipe taraude : qu’est-ce Une question nou- a Bourbier Page 18 beaucoup d’imagination Corine Lesnes pour sortir de que cet événement va changer pour irakien. Barack a promis de l’Afrique ? Page Obama et économiquela tourmente financière retirer toutes 3 qui secoue la de combat américaines les troupes Breakingviews planète. page 13 d’Irak d’ici à mai 2010. Trop rapide, estiment les hauts gradés de l’armée. D Education UK price £ 1,40 GRILLE N° 16 - 028 PAR PHILIPPE DUPUIS du « Monde » SA Durée de la société : 99 ans à compter du 15 décembre 2000. Capital social : 94.610.348,70 ¤. Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS). Rédaction 80, boulevard Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13 Tél. : 01-57-28-20-00 Abonnements par téléphone : de France 3289 (Service 0,30 e/min + prix appel) ; de l’étranger : (33) 1-76-26-32-89 ; par courrier électronique : [email protected]. Tarif 1 an : France métropolitaine : 399 ¤ Courrier des lecteurs blog : http://mediateur.blog.lemonde.fr/ ; Par courrier électronique : [email protected] Médiateur : [email protected] Internet : site d’information : www.lemonde.fr ; Finances : http://inance.lemonde.fr ; Emploi : www.talents.fr/ Immobilier : http://immo.lemonde.fr Documentation : http ://archives.lemonde.fr Collection : Le Monde sur CD-ROM : CEDROM-SNI 01-44-82-66-40 Le Monde sur microilms : 03-88-04-28-60 SUDOKU N°16-028 L’avenir de Xavier Darcos Ruines, pleurs et deuil : dans Gaza dévastée « Mission terminée »: le ministre de REPORTAGE ne cache pas l’éducation considérera qu’il se GAZA bientôt en ENVOYÉ SPÉCIAL disponibilité pour ans les rues tâches. L’historien d’autres de Jabaliya, les enfants ont de l’éducation trouvé veau divertissement.un nouClaude Lelièvre explique lectionnent les éclats d’obusIls colmissiles. Ils comment la et de déterrent du rupture s’est sable des morceaux d’une faite entre les enseignants qui s’enflamment fibre compacte et Xavier Darcos. immédiatement au contact de Page 10 l’air Bonus Les banquiers ont cédé Enquête page Nicolas Sarkozy des dirigeants a obtenu françaises qu’ilsdes banques renoncent à la « part variable de leur rémunération ». En contrepartie, les banques pourront bénéficier d’une D et qu’ils tentent aide difficilement de l’Etat de d’éteindre avec 10,5 pieds. « C’est d’euros. Montantmilliards du phosphore. leurs dez comme ça Regarbrûle. équivalent à Surles mursde » celle accordée cetterue,des fin 2008. Page cesnoirâtres tra- boutique. 14 sont bes ont projeté visibles.Les bom- victime, Le père de la septième âgée de 16 ans, chimique qui partout ce produit re ne décolèa incendié une pas. « Dites fabrique de bien aux dirigeants Au bord de papier. « C’est petite des nations occidentales la mière foisque que ces sept je voiscela après la pre- innocents sont il y a quelquesfaillite huit ans d’occupation trentemorts pour semaines, rien. l’Américain israélienne », Qu’ici, il n’y a jamais s’exclame Mohammed eu de tirs de Chrysler roquettes. Que Abed négocie l’entrée bo. Dans son c’est costume trois Rab- nel. Que les Israéliensun acte crimidu cette figure constructeur nous en don- La parution du quartier pièces, nent la preuve, italien Fiat deuil. Six membres porte le puisqu’ils sur- de deux dans son capital, textes inédits de sa famille veillent tout depuis le ciel ont été fauchés », enrage de Roland Rehbi Hussein de 35 %. L’Italie à hauteur devant par Barthes, Heid. un magasin, une bombe mains, de cette bonne se réjouit il tient une Entre ses mort en 1980, le 10 janvier. Ils étaient venus enflamme feuille de le s’approvisionner papier avec tous cercle de ses pour l’économienouvelle pendant noms des nationale. décrétéesles trois heures de trêve morts et des blessés,les Le demi-frère disciples. Chrysler, de par Israël pour âge, qu’il énumère ainsi que leur son côté, aura tre aux Gazaouis permet- reprises, l’écrivain, qui de à accès à une comme pour plusieurs en a autorisé technologie Le cratère de de souffler. se persua- la publication, der qu’ils sont plus innovante. la bombe est jours là. Des bien morts. essuie touPage 12 éclats les foudres Michel Bôle-Richard mur et le rideau ont constellé le de l’ancien Algérie 80 DA, métallique de éditeur de Barthes, Allemagne 2,00 Lire la suite ¤, Antilles-Guyane la 2,00 ¤, Autriche page 19 27000profs partirontcha quean àlaretraite,d ’icià2012. née Automobile Fiat : objectif Chrysler Edition Barthes, la polémique et Débats page 5 17 François Wahl. L elivre-en q u êtein co n to u rn ab lep o u ralim en terled su rl’aven éb at ird el’éco le. 2,00 ¤, Belgique 1,40 ¤, Cameroun Maroc 10 DH, 1 500 Norvège 25 KRN, Pays-Bas F CFA, Canada 3,95 $, Côte 2,00 ¤, Portugal d’Ivoire 1 500 F CFA, Croatie cont. 2,00 ¤, u né 18,50 Kn, Danemark Réunion 2,00 d ite u rd ¤, Sénégal 1 e rriè 500 F CFA, Slovénie 25 KRD, Espagne 2,00 rel’é c ra ¤, Finlande n>w 2,20 ¤, Suède 2,50 ¤, Gabon w w 28 KRS, Suisse .a rte b o 2,90 FS, Tunisie 1 500 F CFA, Grande-Bretagne u tiq u e .c 1,9 DT, Turquie o m 1,40 £, Grèce 2,20 ¤, USA 2,20 ¤, Hongrie 3,95 $, Afrique 650 HUF, Irlande CFA autres 2,00 ¤, Italie 1 500 F CFA, 2,00 ¤, Luxembourg 1,40 ¤, Malte 2,50 ¤, Page 20 RENDEZ-VOUS SUR www.lemonde.fr/boutique Présidente : Corinne Mrejen PRINTED IN FRANCE 80, bd Auguste-Blanqui, 75707 PARIS CEDEX 13 Tél : 01-57-28-39-00 Fax : 01-57-28-39-26 L’Imprimerie, 79 rue de Roissy, 93290 Tremblay-en-France Toulouse (Occitane Imprimerie) Montpellier (« Midi Libre ») styles | 21 0123 MERCREDI 3 FÉVRIER 2016 LAPONIE Ylläs Kittilä C e rc l e p o l a i r e a rc t i q u e e de Bo tn i SUÈDE G o l fe FINLANDE RUSSIE Helsinki 200 km C A R N E T D E R O U T E Y aller Vols réguliers de Paris à Kittilä avec ASL ou Finnair, à partir de 250 € pour des séjours hors club. Se loger Excursion à motoneige à Ylläs (Finlande) organisée par Lapland Safaris. KONSTA PUNKKA la laponie, pôle magnétique VOYAGE kittilä (laponie) L orsque l’avion se pose en douceur sur la piste d’at terrissage enneigée de Kittilä, municipalité du nord de la Finlande, il est difficile d’imaginer qu’à peine trois heures se sont écoulées depuis Paris. Mais le froid mordant est là pour rappeler au voyageur, une fois sorti sur le tarmac, qu’il a dépassé le cercle polaire depuis près de 200 kilomètres. Depuis le parking de l’aéroport tapissé de blanc, les pistes de ski, ou du moins les in nombrables spots lumineux qui les éclairent du matin au soir, sont déjà visibles. Les sapins prennent vie Car à cette période de l’année, dans la région, l’obscurité est reine. Ce n’est qu’entre 11 heures et 14 heu res, quand le soleil atteint son zé nith, qu’un semblant de jour émerge. Pour quitter Kittilä et rejoindre l’une des communes avoisinantes, mieux vaut être un habitué de la conduite sur glace ; la plupart des routes sont larges mais périlleuses la moitié de l’année. Bien souvent d’ailleurs, ce sont des conducteurs locaux qui font la navette jusqu’aux hébergements. On l’imagine lointaine. Pourtant, la région la plus septentrionale d’Europe n’est qu’à trois heures d’avion de Paris. Un paradis blanc où l’on se laisse glisser, à ski ou en traîneau Le mont Ÿllastunturi, qui domine la vallée de Kolari du haut de ses 719 mètres, se situe, lui, à une vingtaine de minutes de route de Kittilä. A son pied s’est établie Ylläs, station de ski chérie des Finlandais. Avec ses quelques hôtels et sa poignée de commerces, difficile pourtant de croire qu’elle est la plus importante du pays. « C’est parce qu’ici, les chalets sont cachés dans les bois », explique Sébastien, un Français installé dans la région depuis quinze ans, aujourd’hui organisateur d’activi tés chez Lapland Safaris. « Je ne veux pas dire par là qu’il y a du monde, seulement un peu plus qu’on peut le croire. N’oublions pas qu’on trouve ici plus de rennes que d’habitants », plaisantetil… sans mentir. Sur les pistes de ski, on pourrait d’ailleurs croire que les touristes aussi sont cachés dans les bois tant ils se font rares. Dans la lu mière rose de la fin de matinée ou dans la nuit précoce, l’amateur de pentes douces et de calme s’en donne à cœur joie. On peut même profiter de la glisse jusqu’à 19 heures passées, avantage non négligeable d’une station dotée d’un dispositif d’éclairage. Pour une escapade en motoneige, moyen de locomotion optimum dans la région, il faudra, en revan che, se lever de bonne heure. Sur À TRAVERS LES BOIS OU SUR LES LACS GELÉS, DANS LE PLUS ABSOLU DES SILENCES, LES RENNES TRACTENT LEURS PASSAGERS BLOTTIS SOUS D’ÉPAISSES COUVERTURES Le soir, à Ylläs, les skieurs peuvent profiter de la glisse sur des pistes éclairées. AKU HÄYRYNEN/LEHTIKUVA/SIPA des routes réservées à ce type d’engin, phares allumés, la balade n’en sera que plus mystique. Avec leurs branches ployant sous le poids de la neige, les sa pins prennent vie, devenant tour à tour des visages ou d’inquiétan tes silhouettes. Et malgré le bruit des moteurs, il n’est pas improba ble que le passager ou le conduc teur – qui devra forcément être titulaire du permis de conduire – puisse entrevoir un renne. Une apparition magique. Légendes de Sames Si la plupart de ces bêtes placides vivent en liberté, chacune a un propriétaire, identifiable grâce à un petit poinçon à la forme spéci fique appliqué sur l’une de ses oreilles. On raconte que ce sont les Sames, que l’on nomme aujourd’hui les Lapons, qui auraient été les premiers à les domestiquer pour leur viande et leur fourrure, il y a plus de trois mille ans. Encore nombreux dans la région, les éleveurs proposent parfois aux visiteurs de s’en ap procher au plus près en organi sant des promenades en traîneau, comme le fait une famille implantée à quelques centaines de mè tres du village de glace de Lainio. A travers les bois ou sur les lacs gelés, dans le plus absolu des si lences, les cervidés tractent leurs passagers blottis sous d’épaisses couvertures. L’escapade achevée, la maîtresse de troupeau sert à ses hôtes un jus de baies, boisson typique de Laponie, au coin du feu. Moins feutrée mais tout aussi marquante, la conduite d’un autre traîneau, cette fois tiré par des huskys sibériens. L’activité « carte postale » de Laponie s’il en est. A quelques kilomètres d’Ylläs, une ferme propose des parcours de plusieurs kilomètres en com pagnie de ces chiens résistant aux températures les plus basses. Dès l’entrée de la propriété, ils se font d’ailleurs entendre, hurlant d’im patience. Les huskys sentent venir le signal de départ. S’amorce alors une véritable traversée fan tastique, effectuée dans la pé nombre, à la lueur des lampes torches qui éclairent la route à l’attelage. L’impression d’être ailleurs, sur une planète non identifiée. On aimerait que la balade ne s’arrête jamais. Comme ce séjour hors du temps, au cœur des plaines laponnes, blanches et silencieuses. p marine benoit Formule Jet Tours au club Ylläs Saaga 4-étoiles, à partir de 1 169 € par personne comprenant le vol, les transferts sur place, la pension complète, le prêt de matériel grand froid, les excursions et l’accès au spa. Conseillé pour les familles avec de jeunes enfants ou des adolescents, ces derniers pouvant bénéficier d’activités spécialement adaptées à leur âge durant la journée. Pour des séjours hors club, des chalets particuliers sont à la location sur Yllas.fi. Location d’un véhicule obligatoire à l’aéroport de Kittilä. S’évader Motoneige, chiens de traîneau, promenade avec des rennes, en raquettes ou encore chasse aux aurores boréales organisée sur place par Lapland Safaris. Plus d’infos sur Laplandsafaris.com. Faire de la culture votre voyage www.artsetvie.com IMMATRICULATION N° : IM075110169 22 | 0123 0123 MERCREDI 3 FÉVRIER 2016 FRANCE | CHRONIQUE par gé r ar d co urtois Primaire : la foire d’empoigne L e constat est assez rare, à gauche, pour être souligné. Des responsables de partis aux intellectuels, de Jean-Luc Mélenchon (Parti de gauche) à Jean-Christophe Cambadélis (PS), de l’écologiste Cécile Duflot aux frondeurs socialistes, du communiste Pierre Laurent à l’économiste Thomas Piketty, de Daniel Cohn-Bendit au sociologue Michel Wieviorka, tout le monde est d’accord sur un point : si la gauche ne prend pas rapidement le taureau par les cornes, si elle ne trouve pas le moyen de se ressourcer et de se rassembler, elle court à la catastrophe en 2017. Quant au président de la République, pour l’heure silencieux, il n’est pas le dernier à savoir que le candidat d’une gauche fracturée et en guerre contre elle-même n’aurait aucune chance face à la présidente d’un Front national conquérant et au candidat des Républicains, si toutefois celui-ci est porté par une primaire réussie. Mais c’est bien le seul point d’accord entre tous les partis, toutes les familles, tous les courants de la gauche. Dès que sont posées les questions du pourquoi et du comment, du bilan et du projet, et plus encore de la désignation du ou de la candidat(e) susceptible de fédérer et de mobiliser tout ce beau monde, c’est la foire d’empoigne, la suspicion généralisée, la division assurée. Prenez cette grande primaire des gauches et des écologistes à laquelle ont appelé, début janvier, une cinquantaine d’intellectuels engagés dans la vie des idées, de la culture ou dans l’action politique. Qui, à gauche, pourrait récuser une démarche qui avait si bien réussi aux socialistes en 2011 ? L’ambition n’est-elle pas de combattre la passivité face au vote Front national et à la droitisation de la société, de refuser les renoncements face aux inégalités sociales, à la dégradation environnementale, aux discriminations et à l’affaissement démocratique, de débloquer le système politique, de réanimer le débat et de construire un projet positif sur la base d’idées et d’échanges exigeants, bref de se réapproprier l’élection présidentielle ? Réquisitoire Mais les refondateurs autoproclamés de la gauche ne s’arrêtent pas là. Leur initiative repose sur un réquisitoire implacable de la politique menée depuis bientôt quatre ans par François Hollande : injustifiable projet de déchéance de la nationalité, mise en œuvre de modè les économiques et sociaux destructeurs ou obsolètes, absence de perspectives claires et de résultats tangibles, impuissance à enrayer la progression de l’extrême droite, personnel politique devenu synonyme de caste et d’oligarchie… Dès lors, sans même parler du chef de l’Etat, on imagine mal comment quiconque – responsable ou électeur – ayant soutenu son action ou y ayant participé pourrait accepter de se jeter dans une telle fosse aux lions, sauf à pousser l’autocritique jusqu’au masochisme. C’est d’ailleurs ce que l’on observe depuis que cet appel a été lancé. Seules des mouvances de la QUI POURRAIT RÉCUSER UNE DÉMARCHE QUI AVAIT SI BIEN RÉUSSI AUX SOCIALISTES EN 2011 ? ENSEMBLE, LES GAUCHES PEUVENT S’IMPOSER ; EN ORDRE DISPERSÉ, ELLES SONT SÛRES D’ÉCHOUER gauche la plus critique envisagent d’y répondre. Chacune avec ses préoccupations tactiques particulières, mais toutes avec le même ressort : récuser François Hollande, l’écarter ou le dissuader. Planche de salut C’est le cas de l’ancienne « patronne » des écologistes, Cécile Duflot, tentée de se présenter en 2017 : alors que son parti est un champ de ruines, dévasté par les guerres picrocholines et les règle ments de comptes fratricides, une telle primaire peut constituer une planche de salut. De même, le communiste Pierre Laurent se dit ouvert aux échanges et aux débats, mais c’est pour mieux tenter de différer le moment où son partenaire du Front de gauche, JeanLuc Mélenchon, imposera sa candidature de façon solitaire et péremptoire. Car l’ancien candidat de 2012, convaincu d’incarner la « vraie » gauche et la seule alternative à François Hollande, n’entend nullement se soumettre à une primaire qui ne serait, à ses yeux, que perte de temps et source de controverses inutiles. Enfin, pour les frondeurs socialistes, qui viennent d’approuver vigoureusement la perspective d’une primaire, c’est l’occasion de reprendre l’initiative. Depuis deux ans, ils ont échoué à infléchir la politique économique du gouvernement ; une telle consultation citoyenne leur permettrait, espèrentils, d’élargir leur contestation à l’ensemble des choix du chef de l’Etat, en particulier à l’actuel « repli défensif, sécuritaire et identitaire ». La réponse aux uns et aux autres du premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, dans un entretien à L’Opinion, est donc logique : « Participer à une primaire qui fixe comme périmètre le “Tout sauf Hollande”, ça pose un problème ! C’est graver dans le marbre la division des gauches », alors qu’elles ne peuvent espérer se qualifier pour le second tour de la présidentielle qu’en étant rassemblées. Les initiateurs de la primaire des gauches sont parfaitement fondés à objecter que leur démarche est précisément destinée à dépasser ces jeux d’appareils et qu’il est donc urgent d’engager un débat de fond avant de s’occuper de la désignation d’un candidat. Ils s’y emploieront, mercredi 3 février, lors d’une première réunion publique à Paris. Mais cela ne lève pas quel ques questions décisives. Qui, par exemple, est capable d’organiser une large consultation, crédible et convaincante, sinon les partis politiques ? D’autre part, quelle que soit la force des idées, on peine à imaginer qu’elle peut bouleverser, en quelques mois, le rapport des forces attesté par toutes les élections récentes : le PS recueille plus de 20 % des suffrages quand le reste des gauches plafonne, au mieux, à 10 %. L’on en revient au constat initial. Ensemble, les gauches peuvent s’imposer ; en ordre dispersé, elles sont sûres d’échouer. Or, le débat sur la primaire le démontre cruellement : elles sont plus divisées que jamais. p [email protected] Tirage du Monde daté mardi 2 février : 241 323 exemplaires LES PRIMAIRES DE L’IOWA : LA CHARGE DES « ANTISYSTÈME » C e n’est pas dire du mal de l’Iowa, ni de la grande prairie du Midwest, que de constater ceci : ce petit Etat n’est aucunement représentatif des Etats-Unis. Avec trois millions d’habitants, une population blanche à 99 %, essentiellement occupée dans l’agriculture, l’Iowa n’a rien de l’échantillon électoral national. Pour autant, il a le privilège, exorbitant, d’ouvrir la cam pagne des primaires présidentielles. Et, au minimum, il donne l’air du temps politique. Pas de surprise à cet égard : la météo est orageuse. Chez les républicains comme chez les démocrates, cette première étape de la longue course à la désignation des deux candidats au scrutin présidentiel de novembre 2016 a mis en valeur l’humeur antiélitiste de l’électorat. Côté républicain, l’homme du Tea Party, l’archiconservateur Ted Cruz, chef des « insurgés » de l’ultradroite, devance Donald Trump, roi de l’immobilier et prince de la démagogie la plus vulgaire. Ils défendent les mêmes idées. Chez les démocrates, Hillary Clinton a bien du mal à distancer le rebelle du parti, Bernie Sanders, 74 ans, sénateur du Vermont, pourfendeur d’une élite politique qu’il juge « corrompue » et peu courageuse. Elle ne l’emporterait que de quelques voix. Dans un cas comme dans l’autre, les bons scores des « antisystème » témoignent de la défiance d’une opinion au moral pessimiste. Elle n’est pas convaincue par une reprise molle, qui paraît sans impact sur le niveau des salaires et l’accroissement des inégalités. Elle éprouve un sentiment de déclin stratégique, devant la persistance du terrorisme islamiste et des engagements peu concluants des Etats-Unis à l’étranger, notamment au Moyen-Orient. républicains et démocrates n’en tirent pas les mêmes leçons. Comme l’indiquaient la plupart des sondages, Cruz, 46 ans, sénateur du Texas, baptiste, bénéficie du vote « évangélique » dans l’électorat républicain. Il s’est aligné sur Trump pour stigmatiser l’immigration, dénoncer la mollesse de la direction républicaine, préconiser des bombardements à outrance en Syrie et en Irak, promettre la fin de la lutte contre le réchauffement climatique, réduire « l’obésité » de l’Etat fédéral et autoriser tout Américain à acheter librement son fusil d’assaut. Sanders, idole des jeunes démocrates, tonne contre une élite politique otage des groupes d’intérêts qui financent les campagnes électorales. Il n’accepte que des donations individuelles. Il dénonce la corrution exercée par l’argent sur la démocratie américaine. Il dit douter de l’indépendance d’Hillary Clinton vis-à-vis de Wall Street, dont elle accepte les contributions. Sur l’assurance-santé, le contrôle des banques, l’accès à l’éducation supérieure, il double Hillary Clinton sur sa gauche. La bonne tenue des « insurgés » est-elle durable ? Dans les deux camps, « l’establishment » est bien décidé à soutenir massivement « ses » candidats : Mme Clinton pour les démocrates, Mario Rubio pour les républicains. Celui-ci, 44 ans, sénateur de Floride, reste solidement dans la course, avec une troisième position juste derrière Donald Trump. Il faut compter avec lui. Sur la durée, Hillary Clinton, 68 ans, cumule nombre d’atouts : expérience, soutien du populaire Bill Clinton, financement assuré, punch à revendre, enfin cette motivation en forme de défi à relever – être la première femme à la Maison Blanche. Au terme de ce galop d’essai dans la prairie du Midwest, les candidats de l’élite traditionnelle tiennent le coup face à ceux de « l’insurrection » antisystème. p Bataille des taxis : les plates-formes de VTC organisent leur riposte La mue de BT, opérateur historique du Royaume-Uni ▶ Les sociétés de véhicules ▶ Les VTC réfutent ▶ Les plates-formes ▶ En Espagne, le français de tourisme avec chauffeur (VTC) – dont Uber et SnapCar – manifesteront mercredi 3 février au nom de l’emploi la volonté de l’exécutif de durcir l’usage du statut « Loti » réservé aux chauffeurs qui transportent moins de neuf personnes incitent les candidats chauffeurs VTC à choisir le statut « Loti » pour utiliser leur service et faire grossir ainsi leur flotte Blablacar est accusé de concurrence déloyale par la Confédération espagnole de transport en autobus I → LIR E PAGE 3 Google détrône Apple à Wall Street ▶ La firme de Mountain View a annoncé des résultats en forte hausse ▶ Sa capitalisation boursière dépasse désormais celle de sa rivale ▶ La recherche sur mobile devrait doper la profitabilité du groupe → LIR E PAGE 6 l est né en 1846, mais veut s’offrir une seconde jeunesse. L’opérateur télécoms historique du Royaume-Uni, BT (ex-British Telecom), qui a perdu jusqu’à 1 million d’abonnés par an à ses lignes fixes, il y a quelques années, a opéré un virage stratégique pour inverser la tendance. Sous la houlette de Gavin Patterson, BT s’est « reconstruit », affirme le directeur général dans un entretien au Monde. Il a d’abord lancé, en 2013, quatre chaînes de télévision consacrées au sport, regroupées sous l’appellation BT Sport. Pari risqué : le bouquet Sky de Rupert Murdoch écrase le marché outreManche. Seconde décision : le rachat, effectif depuis vendredi 29 janvier, du réseau de téléphonie mobile EE, pour 16,5 milliards d’euros. C’est un retour sur ce marché pour BT, qui avait vendu son réseau mobile, O2, en 2002. La plus vieille entreprise de télécommunications au monde incarne désormais la « convergence » entre réseaux et contenus : elle propose des chaînes de télévision, de la téléphonie fixe, de l’Internet haut débit et un réseau mobile. Pour mettre en œuvre cette diversification, le groupe s’appuie sur la fibre optique. Un investissement coûteux, mais indispensable, selon M. Patterson. p → LIR E PAGE 8 16,5 La cotation d’Alphabet (Google) au Nasdaq, lundi 1er février. C’EST, EN MILLIARDS D’EUROS, LA SOMME DÉPENSÉE PAR BT POUR ACQUÉRIR LE RÉSEAU DE TÉLÉPHONIE MOBILE EE MARK LENNIHAN/AP FINANCES UN « MADOFF » CHINOIS ESCROQUE PRÈS D’UN MILLION DE PERSONNES → LIR E PAGE 4 EUROPE LE PLAN DE BRUXELLES CONTRE LE FINANCEMENT DU TERRORISME → LIR E PAGE 5 J CAC 40 | 4 363 PTS – 0,66 % J DOW JONES | 16 449 PTS – 0,10 % j EURO-DOLLAR | 1,0908 J PÉTROLE | 33,94 $ LE BARIL j TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,65 % VALEURS AU 02/02 – 9 H 30 PERTES & PROFITS | GOOGLE-APPLE Le prix du rêve L es investisseurs aiment s’endormir en écoutant de belles histoires. Leur préférée en ce moment de grande incertitude, c’est celle de Google. Deux petits gars qui, en 1998, ont réinventé l’Internet et gardent intacte leur capacité à innover. Ils ont donc applaudi aux résultats financiers du groupe californien en propulsant sa valeur boursière audelà des 550 milliards de dollars (504 milliards d’euros). La firme de Mountain View est désormais la société la plus chère du monde. Il faut dire que ces résultats (pour 2015) ont de quoi remplir d’optimisme analystes et investisseurs. Un chiffre d’affaires qui dépasse les 75 milliards de dollars et dont la croissance s’accélère, tout comme la rentabilité, avec plus de 23 milliards de dollars de profit opérationnel. Un enthousiasme néanmoins surprenant au regard des pertes colossales de sa division « nouveaux paris », qui rassemble les efforts de diversification de l’entreprise au-delà du revenu publicitaire généré par son moteur de recherche et par sa filiale YouTube. Pour la première fois, Google a en effet chiffré les coûts de développement de sa voiture sans chauffeur, de ses recherches sur la santé ou l’intelligence artificielle : 3,5 milliards de dollars de pertes, soit le double de celles de 2014. En face, Apple ressuscite quelques vieux cauchemars. Celui d’un marché chinois qui pourrait s’effondrer, d’une saturation du monde en téléphones mobiles et de la promesse envolée des tablettes tactiles. Et, derrière, pas grandchose pour faire rêver, si ce n’est une montre- Cahier du « Monde » No 22099 daté Mercredi 3 février 2016 - Ne peut être vendu séparément bracelet qui ne promet pas de changer la face du globe comme les voitures autonomes ou la quête de l’immortalité. Mais, à y regarder de près, Apple est en train de devenir une vraie bonne affaire financière. La société est trois fois plus grosse que Google en termes de revenus comme de profits. Elle vaut en Bourse à peine dix fois ses résultats opérationnels, contre plus de quarante fois pour sa rivale. Ses très chers smartphones font toujours fureur et la croissance de son activité services est tout aussi prometteuse que celle de Google. Passage de témoin Mais voilà, les marchés apprennent à vivre au rythme des technologies. Toujours plus rapide, toujours en quête de nouveaux rêves. La bascule s’est produite en 2011, lorsque Apple a détrôné le pétrolier Exxon comme première capitalisation mondiale. Un passage de témoin d’une économie à l’autre. Désormais une entreprise de services grimpe en haut du podium. Et, en dépit du marasme sur les marchés actions, qui n’épargne pas les valeurs high-tech, cinq des neuf plus importantes capitalisations boursières américaines sont issues de ce secteur, Microsoft, Facebook et Amazon rejoignant le duo de tête. Plus que jamais, les investisseurs ont besoin de raisons d’espérer dans l’avenir et d’imaginer des arbres qui rejoignent le ciel. On connaît désormais le prix qu’ils sont prêts à payer pour aimer le futur. p philippe escande 220 PAGES 12 € ANALYSEZ 2015 // DÉCHIFFREZ 2016 2 | plein cadre 0123 MERCREDI 3 FÉVRIER 2016 La favela de Paraisopolis, à Sao Paulo, dominée par le luxueux quartier de Morumbi. JOAO MARCOS ROSA/ NITRO-REA « Les Misérables » do Brasil De 2003 à 2010, 25 millions de Brésiliens sont sortis de la pauvreté. Mais, avec la récession qui étrangle le pays, la réduction des inégalités n’est plus une priorité du pouvoir REPORTAGE E sao paulo - correspondante lle a le fatalisme de ceux que la vie n’a jamais épargnés et se réjouit que les rats ne rôdent pas autour de sa baraque de bois. « Grâce à Dieu. » Eugenia Oliveira a 35 ans, six enfants, bientôt sept, vit dans deux pièces à l’architecture approximative et dangereuse dans le bas de Paraisopolis, un bidonville du sud de Sao Paulo, la mégapole brésilienne. Un rideau poisseux sépare la cuisine d’environ quatre mètres carrés d’une chambre à coucher à peine plus grande où s’entasse la famille dans la crasse et l’humidité, la télévision branchée sur TV Globo, la chaîne la plus populaire du pays. « L’hiver on gèle, l’été on cuit », plaisante-t-elle. Quand sa petite dernière est née avec un problème cérébral, Eugenia a dû quitter son emploi de femme de ménage et la maison en dur qu’elle occupait un peu plus haut sur la colline, incapable de payer le loyer exorbitant (300 reais, soit 67 euros) que le propriétaire lui réclamait. Elle tient avec la Bolsa familia (littéralement la « bourse famille »), offerte par l’Etat aux plus miséreux en échange de la scolarisation des enfants, et attend une subvention pour sa fille. Ce soir de janvier, l’eau de pluie mêlée aux égouts ruisselle le long d’une rue boueuse. L’odeur d’urine se mêle à celle de la friture des cuisines alentour dans le bruit incessant que génère la promiscuité. A quelques centaines de mètres, on aperçoit les immeubles luxueux de Morumbi. Des appartements de plusieurs millions de reais, avec piscine, terrasse et sauna, où travaillent comme domestiques certains habitants de la favela. Contraste choquant, témoin des inégalités vertigineuses, Paraisopolis ne fait pas mentir les statistiques qui évoquent une distorsion des richesses équivalente à celle du début du XIXe siècle en France ou au Royaume-Uni. L’époque des Misérables de Victor Hugo et des romans de Charles Dickens, rappelait le 5 janvier l’hebdomadaire brésilien CartaCapital. Selon l’organisation non gouvernementale Oxfam, 62 milliardaires détiennent autant de richesses que la moitié de la population mondiale, soit 3,6 milliards de personnes. Parmi eux, deux Brésiliens : l’homme d’affaires et ex-champion de tennis Jorge Paulo Lemann et le banquier Joseph Safra. Au Brésil, les données ne permettent pas de mesurer les inégalités de patrimoine, mais l’écart des seuls revenus donne une idée du problème : selon l’Institut brésilien de géographie et de statistiques, les 1 % des plus riches, en 2014, gagnaient en moyenne 14 548 reais par mois (3 332 euros), contre 155 reais pour les 10 % les plus pauvres. Près de cent fois moins. « C’est assez alarmant », observe Marc Morgan Mila, élève de Thomas Piketty, qui rédige une thèse sur les inégalités brésiliennes à l’Ecole d’économie de Paris. LA CRAINTE D’UN RETOUR EN ARRIÈRE En cause, accuse-t-il, une fiscalité qui, à certains égards, donne au Brésil des allures de paradis fiscal. Les revenus tirés des dividendes des entreprises et touchés par les personnes physiques ne sont pas taxés, la fiscalisation du patrimoine est quasi absente, celle des héritages est légère et l’impôt sur le revenu est peu progressif, avec une tranche marginale maximale de 27,5 % (contre plus de 40 % en France). L’essentiel des recettes fiscales vient des impôts indirects tirés de la consommation comme la TVA, dont riches et pauvres s’acquittent de manière identique et inéquitable. Au final, un millionnaire paie « APRÈS L’ABOLITION DE L’ESCLAVAGE EN 1888, LE BRÉSIL (...) A FOSSILISÉ LES INÉGALITÉS DE RICHESSES QUI SONT AUSSI DES INÉGALITÉS DE GENRE ET DE RACE » ANDRÉ CALIXTRE directeur d’études à l’IPEA (Brasilia) proportionnellement 25 % de moins qu’un travailleur de la classe moyenne. « Après l’abolition de l’esclavage, en 1888, le Brésil n’a pas eu de véritable réforme agraire. On a fossilisé les inégalités de richesses qui sont aussi des inégalités de genre et de race », commente André Calixtre, directeur d’études à l’Institut de recherche économique appliquée (IPEA), à Brasilia. Les grands propriétaires terriens, ex-colons, Blancs, ont transformé leur fortune agraire en patrimoine industriel, financier ou immobilier, quand les descendant(e) s d’esclaves se sont maintenu(e) s dans la pauvreté. En 2014, un homme blanc gagnait en moyenne 2 393 reais, contre 956 reais pour une femme noire, souligne M. Calixtre. Pourtant, le Brésil, ex-star des pays émergents, s’est engagé au début des années 2000 sur la voie du développement qui a bénéficié d’abord aux plus modestes. Aidés par le boom du prix des matières premières et la politique sociale du gouvernement de Luiz Inacio Lula da Silva, du Parti des travailleurs (PT, gauche), au pouvoir de 2003 à 2010, 25 millions de Brésiliens sont sortis de la pauvreté. De 2002 à 2014, le salaire minimum a augmenté en termes réels de 77 %, soit bien plus que le revenu moyen (+ 40 %). Entre 2004 et 2014, le taux de Brésiliens vivant dans l’extrême pauvreté – avec moins de 1,25 dollar par jour (1,14 euro) – a été divisé par trois (de 9,37 % à 3,09 %). « Les inégalités se sont réduites, mais pas assez », commente Katia Maia, directrice d’Oxfam Brésil. Pour aller plus loin, il aura manqué la réforme fiscale que certains espéraient d’un gouvernement de gauche. Pragmatique, l’ancien président a veillé à ne pas affoler le « mur de l’argent » : « Lula a concen- tré son action pour aider les plus pauvres, sans gêner les plus riches », résume Morgan Mila. Une tactique que certains ont mise au jour dès son arrivée au pouvoir en 2003, lorsqu’il s’est rendu à la fois au sommet économique de Davos, symbole du capitalisme, et à son contrepoint, le forum social de Porto Alegre. Aujourd’hui, la récession, l’inflation à deux chiffres et la montée du chômage font craindre un retour en arrière. En 2015, le pays a perdu 1,5 million d’emplois et l’économie informelle progresse. Or, « le meilleur programme social, c’est l’emploi », estime Heloisa Oliveira, de la fondation Abrinq, qui vise à protéger les enfants et les adolescents. « La crise peut aggraver la vulnérabilité des plus jeunes », s’inquiète-t-elle, rappelant qu’en 2010 19 % des mères brésiliennes avaient moins de 19 ans et que, dans le Nordeste, plus d’un tiers de la population a entre 0 et 18 ans et vit dans les favelas. Dans certains Etats comme l’Acre, en Amazonie, le plus pauvre du pays, le coefficient de Gini, qui mesure les inégalités, a recommencé à s’aggraver en 2015. Pour préserver l’avenir, Mme Oliveira regrette que l’accent ne soit pas mis davantage sur l’éducation. Mais le temps n’est plus à la dépense. La présidente Dilma Rousseff (PT), menacée de destitution, a cessé depuis 2014 de mener une politique sociale sur le modèle de son prédécesseur, prenant le tournant de la rigueur. Même les dépenses sacrées du carnaval, début février, ont été revues à la baisse. Cette austérité peut se révéler positive si Brasilia réforme un Etat dépensier et peu efficace, mais aussi négative si les coupes budgétaires sont faites à la va-vite et affectent les programmes sociaux au point de compromettre l’ambition brésilienne de fonder une société plus égalitaire. p claire gatinois La valse des étiquettes pousse la population dans la rue en revenant du marché, Claudia, mère de trois enfants, n’en a pas cru ses yeux. Ses 30 reais (6,75 euros) ne lui ont permis d’acheter que des fruits. Pas de légumes. « L’inflation, on la sent directement dans le porte-monnaie », se plaint la jeune femme, employée de banque. Comme Claudia, les plus modestes sont les premières victimes de l’inflation galopante. Fin 2015, la hausse des prix a atteint 10,7 %, bien au-delà de la limite de 4,5 % jugée acceptable par la banque centrale du Brésil. Du jamais-vu depuis 2002. En dépit de la récession et du chômage, les prix s’envolent du fait de la dévaluation vertigineuse du real, la monnaie brésilienne (– 30 % en un an face au dollar). A cela s’ajoute le réajustement explosif du prix de l’eau (+ 14,75 %), de l’électricité (+ 51 %) ou de l’essence (+ 20 %), maintenus artificiellement bas en 2014 par l’Etat. L’adage veut qu’inflation rime avec révolution. Si le Brésil est aujourd’hui loin du cauchemar des années 1990 où les étiquettes valsaient à plus de 2 000 % l’an, la population gronde. Un pays pris en étau Depuis l’annonce, début janvier, de la hausse de 30 centavos du ticket de bus, passé de 3,50 à 3,80 reais, les manifestations orchestrées par le Movimento Passe Livre se multiplient et dégénèrent à Sao Paulo. La police réprime, mais l’exaspération ne disparaît pas. De fait, la glissade des prix n’en finit pas. En janvier, l’Institut brésilien de géographie et de statistiques relevait une hausse de 24 % du prix de la carotte. Entre autres. Selon les experts, la hausse des prix devrait encore avoisiner 7 % en 2016. Juguler ce fléau est une gageure. Le pays est pris en étau. Lutter contre l’inflation risque d’accentuer la récession et de laisser les prix déraper et appauvrir encore la population. Face à ce choix cornélien, Alexandre Tombini, président de la banque centrale, a décidé, le 20 janvier, de ne pas relever les taux directeurs, aujourd’hui à 14,25 %. Renchérir le coût du crédit aurait pénalisé la consommation et l’investissement, et donc la croissance. Un choix étrange pour un banquier central censé être le gardien des prix. La rumeur prétend que M. Tombini aurait été influencé par la présidente, Dilma Rousseff, affolée par la chute du PIB brésilien, avec qui il avait rendez-vous deux jours plus tôt. En 2015, le PIB se serait contracté de 3,8 %, selon le FMI. L’institution internationale ne prévoit pas d’amélioration rapide cette année puisque le PIB devrait diminuer d’encore 3,5 %. p c. g. (sao paulo, correspondante) économie & entreprise | 3 0123 MERCREDI 3 FÉVRIER 2016 Les plateformes de VTC entrent en résistance Uber, SnapCar et les autres « VTcistes » défileront mercredi 3 février à Paris C’ est au tour des plates-formes de véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC) de manifester. Une semaine après la mobilisation des taxis, l’association Alternative mobilité transport (AMT) appelle les chauffeurs dits « Loti » à manifester mercredi 3 février à Paris. SnapCar invite aussi ses conducteurs à descendre dans la rue. « La manifestation sera silencieuse, calme, en rupture totale avec la manière dont les taxis manifestent », assure le président de cette start-up, Yves Weisselberger, en faisant allusion au blocus anti-VTC monté par les taxis fin janvier à Paris, aux aéroports d’Orly et de Roissy. Instauré par la loi d’orientation territoriale (Loti) en 1982, ce statut est réservé aux chauffeurs professionnels qui transportent des groupes inférieurs à neuf personnes. « En 2014, un décret en a précisé la définition, en l’accordant au transport d’au moins deux personnes », précise M. Weisselberger. Tous les opérateurs, à commencer par Uber, s’inquiètent du sort que l’Etat va réserver à l’emploi de ces chauffeurs professionnels. Vendredi 29 janvier, le secrétaire d’Etat aux transports, Alain Vidalies, a mis en demeure vingt plates-formes de se « mettre en conformité avec la loi », précise son cabinet. « Vingt ! Vous vous rendez compte ? Moi, je suis incapable de citer vingt sociétés de VTC en France », persifle M. Weisselberger. Rassurer les syndicats de taxis Depuis la loi Thévenoud qui, en 2014, a rendu obligatoire une formation de 250 heures (soit 3 mois et moyennant 3 000 euros environ) pour devenir chauffeur VTC, les plates-formes ont recommandé aux candidats VTC de prendre le statut Loti pour utiliser leurs services de réservation. Pourquoi ? La formation est moins chère et plus courte que celle des VTC. Et, immédiatement après enregistrement, le titulaire peut monter une société Loti, se mettre au volant d’un véhicule ou employer des chauffeurs qui, eux aussi, opéreront sous ce statut. Très vite, les plates-formes, dont l’américain Uber, leur ont ouvert l’usage de leur application. Chez Les taxis reçus à Matignon Le député Laurent Grandguillaume (Parti socialiste, Côte-d’Or), nommé médiateur par le premier ministre, Manuel Valls, devait recevoir à Matignon, mardi 2 février dans l’après-midi, les dix-sept organisations de taxis pour évoquer les « contrôles » des véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC) et les « coûts » à la charge des chauffeurs de taxi. Sera notamment évoqué l’envoi des mises en demeure aux VTC. La teneur de ces lettres ne sera pas révélée. Celle que doit recevoir Heetch, la plate-forme de transport entre particuliers, était, lundi 1er février, « toujours en cours de validation » auprès des conseils juridiques de Matignon. M. Grandguillaume recevra, jeudi 4 février, les représentants des VTC. Les chauffeurs de VTC avaient déjà manifesté le 18 décembre 2015, porte Maillot, à Paris. NICOLAS MESSYASZ/SIPA SnapCar, les « Loti » représentent de 15 % à 20 % des voitures. Uber reconnaît en utiliser mais refuse d’en révéler le nombre. « A Paris, environ 15 000 VTC circulent, dont 5 000 sous Loti », estime M. Weisselberger. La méthode du gouvernement a des vertus. Par son ampleur, elle doit rassurer les syndicats de taxis et leurs adhérents qui exigent séance tenante contrôles et répression. Son objet est aussi d’affoler les plates-formes, en les frappant au cœur. Le ministère des transports exige d’ici à fin février la liste de tous les chauffeurs connectés aux plates-formes de VTC quand la loi prévoit uniquement une transmission annuelle de ces données sans fixer de calendrier. « Il s’agit de vérifier si ces platesformes détournent le statut Loti », explique le ministère. L’ampleur du recours aux chauffeurs Loti par les applications de VTC agacent les taxis. Tous y voient une concurrence déloyale, notamment parce que ces chauffeurs transportent des personnes seules, et non des groupes. Les taxis avaient déjà ferraillé contre « tous les particuliers qui font taxi », note un observateur. C’était Blablacar obtient un répit en Espagne Accusée de concurrence déloyale, l’entreprise française de covoiturage peut continuer son activité en attendant un jugement sur le fond madrid - correspondance L’ entreprise française de covoiturage Blablacar pourra continuer, pour le moment, son activité en Espagne. Ainsi en a décidé, lundi 1er février, le tribunal de commerce de Madrid qui avait admis, en mai 2015, une plainte de la Confédération espagnole de transport en autobus (Confebus) pour « concurrence déloyale. » Ce n’est cependant qu’un répit pour la start-up tricolore. Si les mesures conservatoires exigées par le patronat du secteur de transport en autobus et en autocar ont été rejetées, la justice n’a pas encore tranché sur le fond. A savoir si Blablacar est, comme l’affirme la société, « une entreprise de commerce électronique », voire un réseau social qui ne fait que mettre en relation des particuliers pour partager les frais de leur voyage, ou si elle est, comme le dénonce Confebus, un service de transport professionnel dépourvu de la licence adéquat qui « recommande les prix, gère le paiement du service via carte de crédit, prélève une commission de 10 % comme intermédiaire et paie le conducteur plus de quinze jours après la réalisation du service ». Blablacar, qui compte vingt millions d’usagers sur dix-neuf marchés, est installée depuis 2009 en Espagne, où la plateforme compte 2,5 millions d’inscrits. Jusqu’en 2013, ses services étaient gratuits et n’avaient pas suscité de réactions du secteur des transports. En les rendant payants, Confebus estime qu’elle a changé de registre et qu’elle enfreint depuis la réglementation en vigueur sur le transport professionnel. « Tendance imparable » « La crise économique a favorisé l’apparition de plateformes technologiques qui jouent les intermédiaires dans de nombreux marchés, comme celui des appartements touristiques, des repas ou du transport, qui opèrent en dehors du cadre régulateur et hors du système, faisant concurrence avec des coûts inférieurs et de manière déloyale », résume Confebus, qui accuse Blablacar d’être responsable d’une chute de 20 % de son activité. Sur certains trajets comme celui entre Madrid et Valence, les offres des utilisateurs de Blablacar représentent presque la moitié des places disponibles en autocar. De quoi « porter gravement préjudice à un secteur qui génère 88 000 emplois directs », ajoute le patronat. De son côté, la société Blablacar s’est dite « satisfaite » de la décision judiciaire, tout en admettant que ce n’est qu’un « premier pas » dans « un processus légal » qui posera d’autres « défis ». L’Espagne est le seul pays où une plainte a été déposée contre la plateforme française et celle-ci se montre confiante car elle estime répondre « à une tendance imparable dans le monde entier, non seulement dans [son] champ mais dans d’autres ». A Madrid, plusieurs procédures judiciaires visent cependant d’autres services dits de « l’économie collaborative ». Les associations de taxi ne sont pas parvenues à obtenir la suspension provisoire de l’activité de Cabify, l’équivalent espagnol d’Uber mais en revanche, UberPop a été suspendu provisoirement en décembre 2014. Quant à Airbnb, le site de location touristique entre particuliers, il est sur la sellette à Barcelone où la mairie lui a imposé, en décembre 2015, une amende de 60 000 euros pour avoir fait la publicité de logements qui n’étaient pas inscrits au registre du tourisme de Catalogne et ne pas avoir fourni la liste de ceux-ci. p sandrine morel en 2014 lors du débat sur la légalité d’UberPop, application qui mettait en relation particuliers et passagers. Deux ans plus tard, le débat porte donc sur les chauffeurs professionnels mais l’objectif est similaire. Les taxis œuvrent pour les priver de ce réservoir, limiter l’augmentation de leur flotte et, in fine, comprimer la croissance des VTC. Matignon a promis de « réprimer tout détournement ». Les pouvoirs publics pourraient exiger de déconnecter tout chauffeur Loti, sous peine de fermeture. « Or, une application VTC peut représenter jusqu’à 80 % du chiffre d’affaires d’un chauffeur Loti », prétend Za- karia Benjelloun, porte-parole d’Alternative mobilité transport. Fondée il y a quelques semaines seulement, l’association, qui dit représenter une dizaine de sociétés Loti, joue de la carte sensible et dénonce la mise en danger « de milliers d’emplois ». « Cela revient à tuer les entreprises françaises d’applications VTC », ajoute un observateur du marché. L’argument est censé faire mouche auprès de certains membres du gouvernement. A commencer par Emmanuel Macron. « Les demandes des taxis, c’est de fermer certaines plates-formes, c’est d’empêcher d’autres de travailler : ça n’est pas acceptable », a dit jeudi 28 janvier le ministre de l’économie, alors que se tenait une réunion à Matignon. Celui qui, début janvier, est allé à Las Vegas, au Consumer Electronics Show, grand-messe du high-tech, pour soutenir les start-up françaises « ne veut pas de mesures propres à briser une dynamique d’emplois », observe un entrepreneur français. Mais le locataire de Bercy n’a pour l’instant pas été entendu par le premier ministre, Manuel Valls, ancien numéro un du ministère de l’intérieur, autorité de tutelle des taxis. p juliette garnier présentent MBA FAIR Le MBA, un accélérateur de carrière ! Pour choisir votre MBA Rencontrez les directeurs des programmes les plus prestigieux Assistez aux conférences animées par les journalistes du Monde Participez aux nombreuses prises de parole des exposants SAMEDI 19 MARS 2016 11 H - 18 H PALAIS BRONGNIART 28, PLACE DE LA BOURSE 75002 PARIS ENTRÉE GRATUITE INSCRIVEZ-VOUS POUR ÉVITER L’ATTENTE INFORMATIONS SUR : www.mbafair-lemonde.com 4 | économie & entreprise 0123 MERCREDI 3 FÉVRIER 2016 Le « Madoff chinois » fait 900 000 victimes Vingt et une personnes ont été arrêtées en Chine, soupçonnées d’avoir détourné 7 milliards d’euros shanghaï - correspondance M adoff dans l’empire du Milieu. Les autorités chinoises ont mis au jour une escroquerie à plus de 50 milliards de yuans (7 milliards d’euros). Ezubao, un des leaders du crédit en ligne, avait attiré 900 000 clients en leur proposant des rendements à des taux d’intérêt alléchants, allant de 9 % à 14,6 %. Mais les investissements étaient fictifs. Ce secteur en plein essor en Chine, qui met en relation des investisseurs en quête de retours élevés et des entreprises qui peinent à se financer auprès des grandes banques, est aussi peu régulé. « A ma connaissance, 95 % des projets présentés étaient faux », a avoué, cité par l’agence Chine nouvelle, un contrôleur de risque de la société, qui figure parmi les 21 dirigeants et employés d’Ezubao arrêtés. Ezubao utilisait les nouveaux dépôts pour financer les intérêts des précédents investissements : comme dans le cas de l’escroquerie de Bernard Madoff, révélée en 2008, c’était un parfait système de Ponzi, a reconnu l’un des dirigeants de l’entreprise. Le succès de l’entreprise avait fini par attirer l’attention. Le 10 décembre 2015, une partie des fonds de l’entreprise ont été gelés et son fondateur, Ding Ning, arrêté. La nouvelle n’avait pas manqué de provoquer des manifestations d’investisseurs inquiets dans plusieurs grandes villes chinoises, malgré l’interdiction faite aux médias de couvrir l’affaire. Dimanche 31 janvier, Ding Ning est apparu sur la chaîne nationale CCTV en tenue de prisonnier, reconnaissant les charges qui pèsent lui. Les aveux publics, avant que le verdict ne condamne les suspects, sont une pratique courante en Chine. Ses principaux collaborateurs apparaissaient également, dont Zhang Min, le visage public de la firme. D’après Chine nouvelle, Ding Ning, le cerveau de l’opération, lui offrait de somp- Les épargnants chinois sont de plus en plus nombreux à se tourner vers les plates-formes en ligne pour placer leurs bas de laine tueux cadeaux, dont une villa à Singapour estimée à 130 millions de yuans, et 550 millions de yuans en cash. Le reportage montre aussi des valises pleines de billets dans les locaux de l’entreprise. La mise en scène de CCTV doit avoir un goût amer pour les 900 000 victimes présumées d’Ezubao : l’entreprise s’était offert plusieurs spots publicitaires sur la chaîne nationale, vue comme la voix du pouvoir, pour gagner la confiance des investisseurs. Lesquels, disposant d’une culture économique limitée, sont à la merci des escrocs comme de la forte volatilité des marchés boursiers. Une « dangereuse jungle » Mais les Chinois qui cherchent à placer leur argent n’ont guère le choix. Les grandes banques d’Etat rémunèrent aujourd’hui les dépôts entre 0,3 % et 0,35 %, jusqu’à 4,5 % pour les placements à long terme les plus avantageux. En face, les plates-formes de finance en ligne proposent en moyenne 12 %. « Le marché des produits financiers n’est pas très développé en Chine, explique Jiazhuo Wang, professeur de finance à la City University de New York et coauteur de Financing the Underfinanced. Online Lending in China (Springer, 2014, non traduit). Pour l’instant, on en est aux fondamentaux : faibles risques, faibles rendements, risques élevés, rendements élevés. » Alors que l’immobilier est incertain et que les Bourses chinoises Rassemblement d’investisseurs lésés par Ezubao, le 31 janvier, à Pékin. MARK SCHIEFELBEIN/AP ont chuté, les épargnants sont de plus en plus nombreux à se tourner vers les plates-formes en ligne pour placer leurs bas de laine. Depuis ses débuts en 2011, ce marché a explosé. En 2014, le nombre de plates-formes a progressé de 50 % par rapport à 2013, selon Wangdaizhijia, un site d’analyse spécialisé. Ezubao, fondé en juillet 2014, est l’un de ces nouveaux venus. En 2015, elles ont prêté 982 milliards de yuans (136 milliards d’euros). Soit un quart des sommes prêtées par les banques chinoise, d’après Bloomberg. Ce nouveau marché vient répondre à une demande de financement des PME chinoises, bou- dées par les banques d’Etat, qui préfèrent prêter aux grandes entreprises étatiques présentant peu de risques. Une alternative coûteuse mais souvent indispensable. « Si vous comparez aux taux des banques chinoises, les taux sont élevés, mais par rapport aux taux de la finance de l’ombre – le shadow banking –, qui peuvent aller jusqu’à 40 %, ce n’est rien ! », tempère le professeur Wang. Aujourd’hui, environ 3 600 plates-formes de prêts sont enregistrées, mais près d’un tiers sont en difficulté, d’après le site d’analyse Yingcan group. « Ce ne sont pas forcément tous des systèmes de Ponzi, indique Jiazhuo Wang. Ce La BCE et son homologue du Japon utilisent cet outil, qui revient à taxer les dépôts des banques qui dorment dans leurs coffres. Elles pourraient faire des émules E taire au-delà d’un certain montant. « Il y a dix ans encore, une telle pratique était inimaginable », rappelle Ben May, spécialiste du sujet chez Oxford Economics. Mais depuis la crise, les banques centrales sont de plus en plus nombreuses à l’adopter. Après celles de Suède, du Danemark et de Suisse, la BCE s’y est mise en juin 2014, suivie, désormais, par la BoJ. « Plus les membres de ce club augmentent, plus il devient difficile pour celles qui ne l’ont pas encore rejoint de résister », confie un investisseur parisien. Effets secondaires L’intérêt du taux de dépôt négatif ? On dit parfois qu’en taxant les liquidités que les banques laissent dormir au sein des établissements centraux, on les incite à prêter plutôt ces sommes aux ménages et aux entreprises. C’est une explication que les économistes jugent néanmoins peu convaincante. « Le véritable but [de cette stratégie] est d’agir sur le taux de change », explique Frederik Ducrozet, économiste chez Pictet. En taxant les réserves, la BoJ incite les institutions financières à aller placer leurs liquidités hors du Japon, dans un pays où elles seront mieux rémunérées. Ce Cette stratégie monétaire n’est en vérité qu’une nouvelle facette de la guerre des monnaies qui entraîne une baisse de la demande internationale de yen, et donc, du cours de la monnaie nippone. De fait, la devise japonaise s’est dépréciée de 2 % depuis le 29 janvier. « Or, la baisse du yen fait mécaniquement augmenter le prix des produits importés, et donc l’inflation, tout en soutenant la compétitivité des exportations de l’Archipel », explique M. May. Voilà pourquoi les banques centrales qui sont en guerre contre la déflation ont de plus en plus recours à cet outil. Il n’est pourtant pas dénué d’effets secondaires. D’après les calculs de M. Ducrozet, les taux négatifs représentent un coût de 2 à 3 milliards d’euros par an pour les établissements bancaires de la zone euro. Ces derniers « pourraient décider de le répercuter sur leurs clients d’une façon ou d’une autre, ce qui ne serait pas très bon pour la reprise », ana- au ralentissement de l’économie chinoise, le nombre de défauts devrait augmenter. Mi-décembre, la Commission de régulation bancaire chinoise a présenté un projet de loi ouvert aux commentaires publics. Le texte, qui n’entrera pas en vigueur avant plusieurs mois, prévoit d’interdire aux institutions financières d’offrir des garanties aux clients, et de n’autoriser que la mise en relation entre prêteur et emprunteur. Les plates-formes devront soumettre leurs comptes aux régulateurs financiers locaux après avoir obtenu leur licence. Un plafond d’endettement sera aussi mis en place pour limiter les risques. – (Intérim.) p L’HISTOIRE DU JOUR Des Brics aux Ticks, le concours Lépine des émergents Taux de dépôt négatif, à qui le tour ? t maintenant, quelle institution monétaire va sortir du bois ? De nouveau la Banque centrale européenne (BCE) ? La Banque de Corée ? La Banque du Canada ? Depuis quelques jours, les spéculations vont bon train parmi les investisseurs et les économistes spécialistes de la politique monétaire. Sur le réseau social Twitter, dans les notes envoyées à leurs clients, tous y vont de leur petite hypothèse, pressés de savoir quel sera le prochain banquier central à adopter, à son tour, l’outil du taux de dépôt négatif – ou à le renforcer encore. Ces paris ont d’ailleurs fait chuter les taux souverains de plusieurs pays ces derniers jours. A commencer par ceux à dix ans de l’Allemagne, passés de 0,404 % à 0,307 % entre le 28 janvier et le 1er février, retrouvant ainsi leur niveau d’avril 2015. Cela n’a l’air de rien, mais le sujet est déterminant pour l’économie mondiale. Surtout depuis que, vendredi 29 janvier, la Banque du Japon (BoJ) a surpris la planète finance en baissant son propre taux de dépôt à – 0,1 %. Cette mesure revient à taxer les établissements bancaires pour les nouvelles liquidités qu’ils déposent dans les coffres de l’institution moné- sont aussi des débiteurs en difficulté qui peuvent couler une plateforme. » Face au ralentissement de la croissance chinoise, le nombre de défauts ne devrait qu’augmenter. Pour le seul mois de décembre, 106 entreprises étaient en difficulté, en augmentation par rapport à la moyenne de l’année. Les patrons disparus avec les économies de leurs clients ne sont pas rares. Sur les réseaux sociaux, des photos de locaux vidés accompagnés de messages dénonçant des escrocs se sont multipliés en 2015. Le manque de règles est patent. En octobre, la China Merchants Bank Co. évoquait une « dangereuse jungle en pleine expansion ». Et, face L lyse Jean-Louis Mourier, économiste chez Aurel BGC. Ce n’est pas tout : plus les institutions monétaires sont nombreuses à utiliser les taux négatifs pour tenter de faire baisser le cours de leur devise, moins cette technique fonctionne. Et ce, pour une raison bien simple : il est impossible que toutes les monnaies se déprécient en même temps ! Le système actuel des taux de change flottants fonctionne en effet selon le principe des vases communicants : une devise ne peut baisser que si une autre monte… Ce qui fait dire à certains économistes que les taux négatifs ne sont, en vérité, qu’une nouvelle facette de la guerre des monnaies. « Disons plutôt qu’ils sont le symptôme de l’absence totale de coordination des politiques monétaires au niveau mondial », jugent Eric Chaney et Maxime Alimi, économistes chez AXA IM, dans une note sur le sujet. Dans tous les cas, une chose est sûre : selon les analystes, la BCE, qui a promis de réévaluer sa politique lors de sa réunion du 10 mars, a de fortes chances de baisser encore son taux de dépôt, de – 0,3 % à – 0,4 %. Voire à – 0,5 %. Les paris sont déjà ouverts… p es Brics sont morts. Faut-il les remplacer ? Le Financial Times le pense qui, dans son édition du 28 janvier, a souhaité longue vie aux Ticks (Taïwan, Inde, Chine, Corée du Sud). A elles seules, ces économies tirées par les services, la technologie et la consommation et non par le boom des matières premières illustreraient la sophistication économique croissante des émergents. Jim O’Neill, alors chez Goldman Sachs, imagina en 2001 l’acronyme Bric pour désigner les pays qui paraissaient les plus à même de rattraper les économies avancées. Pendant la décennie qui suivit, le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine ont connu croissance éleLES TICKS vée, décollage économique, émergence des clasAURONT-ILS UN ses moyennes… La mondialisation souriait à ces puissances régionales, rejointes par l’Afrique du DESTIN MOINS Sud. Leur résilience après 2008 frappa les esprits. ÉPHÉMÈRE ? Las ! Depuis 2010, le vent a tourné. La Russie, qui n’a pas su se diversifier, et le Brésil, handicapé PAS SÛR ! par ses blocages politiques et structurels, sont en récession. L’Afrique du Sud semble abonnée à une croissance molle. L’économie chinoise n’en finit pas d’atterrir. Seuls les 7,5 % de croissance indienne sortent du lot. Tirant les conséquences de cette évolution, la banque d’investissement américaine a fermé en 2015 son fonds Bric, passé de 800 millions à 100 millions de dollars. Les économistes, eux, ont ouvert une sorte de concours Lépine : HSBC a parié sur les « Civets » (Colombie, Indonésie, Vietnam, Egypte, Turquie, Afrique du Sud), Coface sur les « CIPP » (Colombie, Indonésie, Pérou, Philippines). Les Ticks auront-ils un destin moins éphémère ? Pas sûr ! Taïwan et la Corée du Sud, ces ex-dragons asiatiques, sont des économies avancées. L’Inde et la Chine n’en sont pas là même si la rapidité d’adaptation de leurs consommateurs aux changements technologiques impressionne les investisseurs. Plutôt que d’inventer un acronyme pas très heureux, pourquoi ne pas admettre que les émergents sont trop divers pour qu’on puisse les ranger derrière une même bannière. p marie charrel claire guélaud économie & entreprise | 5 0123 MERCREDI 3 FÉVRIER 2016 Terrorisme : Bruxelles a entendu Paris Le « plan d’action » de la Commission propose de lever l’anonymat des utilisateurs de cartes prépayées C’ était une demande pressante de la France à Bruxelles, après les attentats de janvier 2015. L’électrochoc des tueries du 13 novembre lui aura permis d’être entendue de ses partenaires européens. Mardi 2 février, Frans Timmermans, le premier vice-président de la Commission européenne, a présenté un « plan d’action » contre le financement du terrorisme, en tout point conforme aux demandes françaises. Ce plan s’organise autour de trois grands axes : le contrôle des plates-formes d’échange de monnaies virtuelles sur Internet ; la fin du tout-anonymat pour les cartes prépayées, des moyens de paiement prisés par les réseaux criminels et utilisés lors des récentes attaques ; et la mise en place d’une coopération efficace entre les différentes cellules de renseignement financier. Ces mesures, précise-t-on à Bruxelles, « devraient pouvoir être adoptées en urgence, d’ici à la fin du deuxième trimestre 2016 ». Toutes entrent dans le cadre d’une nouvelle révision de la directive européenne antiblanchiment, la précédente mouture ne datant que de mai 2015. Bruxelles propose donc de réguler les plates-formes d’échange de monnaies virtuelles (bitcoin et autres) sur Internet, pour l’instant largement sous le radar des autori- tés européennes. L’idée est d’assujettir aux règles de vigilance en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme l’acte de conversion de ces monnaies électroniques immatérielles en monnaies ayant cours légal. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, cet angle mort de la régulation financière laissant le champ libre aux fraudeurs. La Commission européenne propose aussi de lever, autant que faire se peut, l’anonymat des utilisateurs de cartes prépayées. C’est un point sur lequel le gouvernement français insistait particulièrement. De fait, comme le révèlent des rapports du GAFI parus en 2015 – l’organisme intergouvernemental antiblanchiment créé en 1989 –, les cartes sont susceptibles d’être utilisées massivement par des groupes criminels (criminalité organisée, trafics de migrants…) et terroristes, pour blanchir leurs trafics et se financer. Vendues par certaines banques, dans leurs réseaux ou en ligne, mais aussi par des sociétés de paiement sur Internet ou par des commerçants (buralistes, grande distribution…), ces cartes anonymes, créditées d’un montant qui peut atteindre plusieurs dizaines de milliers d’euros, permettent notamment de procéder à des achats en toute discrétion (armes, billets d’avion, caches diverses, etc.). Les attentats du 13 novembre l’ont montré. Des cartes prépayées Un système financier vulnérable Pour le Groupe d’action financière (GAFI), cet organisme intergouvernemental anti-blanchiment, le système financier international est « vulnérable » face à l’argent du terrorisme. Dans un rapport publié en octobre 2015, le GAFI exhorte les Etats à « suivre la piste financière des organisations terroristes », afin de pouvoir les sanctionner. L’organisation Etat islamique (EI) est devenue l’organisation terroriste la plus riche du monde depuis sa razzia sur les réserves d’or de la banque centrale d’Irak à Mossoul, en 2014 (423 millions d’euros). Si l’essentiel de ses ressources reste en Syrie, l’EI en fait sortir une part substantielle pour financer sa guerre. Selon Bruxelles, ces mesures « devraient pouvoir être adoptées en urgence » ont été retrouvées lors des perquisitions des services de police judiciaire sur les lieux de cache d’individus mis en cause. Une note de la France à ce sujet a été envoyée à Bruxelles le 2 décembre. La Commission veut mettre en place un système de seuils de retraits ou de transferts d’argent audelà desquels une identification de l’utilisateur de la carte serait requise. Le contrôle d’identité pourrait intervenir au moment où la carte est activée. Fichier centralisé des comptes Le calibrage de cette mesure n’est pas achevé, les fonctionnaires européens ayant en tête de ne pas pénaliser les publics « fragiles ou sensibles » consommateurs de ces cartes (interdits bancaires, population immigrée envoyant de l’argent dans leur pays d’origine…). Il s’agit de ne pas créer d’abus par rapport aux droits fondamentaux. Une dernière mesure devrait être rapidement mise en musique : l’élaboration d’un cadre de coopération efficace et précis entre les différentes unités européennes de renseignement financier, équivalents du Tracfin français, pour sa part rattaché à Bercy. Bruxelles devrait exiger que tous les Etats membres disposent d’un fichier centralisé des comptes bancaires, comme il en existe, par exemple, en France avec le Ficoba. Celui-ci recense les comptes de toute nature (bancaires, postaux, d’épargne…) détenus par les personnes et les sociétés. D’autres dispositions devraient ISABELLE ROZENBAUM/ ALTOPRESS/MAXPPP suivre et compléter ce plan d’action censé entraver les réseaux terroristes, en les empêchant de faire circuler de l’argent et de se financer. Si la Commission suit sa feuille de route sans faiblir, d’ici à fin 2016, deux textes législatifs, pour leur part complètement nouveaux, devraient être présentés : l’un, pour harmoniser en Europe la définition des infractions en matière de blanchiment et lever certains obstacles à la coopération judiciaire et policière. L’autre texte s’attachera à mieux surveiller les mouvements d’espèces. Bruxelles réfléchit en effet à Les seniors, une génération connectée Les plus de 50 ans passent plus de temps sur Internet que leurs cadets, selon une étude E tre vieux ne veut pas dire être sur la touche. Contrairement aux idées reçues, les seniors représentent aujourd’hui une « génération sociable et connectée », selon l’étude annuelle sur la consommation de l’Observatoire Cetelem, publiée mardi 2 février. Les plus de 50 ans représentaient 38,5 % de la population européenne sur les 13 pays où a été menée l’étude, soit 164 millions d’individus, selon l’institut de statistiques Eurostat, qui prévoit que ce chiffre devrait atteindre 44,1 % en 2030. « Les 50-75 ans ne sont pas du tout une génération égoïste, qui profite de son argent pour se faire plaisir. Elle est extrêmement solidaire avec les générations qui l’entourent, constate Flavien Neuvy, responsable de l’observatoire Cetelem. C’est une génération qui se retrouve souvent avec un ou deux parents dans le grand âge. Donc avec des questions de dépendance et des conséquences financières importantes, comme dans le cas d’un placement en maison de retraite. » Trenteneuf pour cent des seniors en Europe déclarent ainsi aider un ascendant. Cette aide concerne en premier lieu les dépenses courantes et l’achat de nouveaux équipements, souligne l’étude. Mais les seniors s’occupent aussi de leurs enfants, voire de leurs petits-enfants : 32 % des Européens de plus de 50 ans déclarent héberger encore un enfant chez eux et 78 % disent aider financièrement, de manière régulière ou occasionnelle, leurs descendants. « Cela peut être pour avancer les frais de notaire pour un achat immobilier, être caution pour un logement, ou un apport personnel pour l’achat d’une voiture, avance M. Neuvy. C’est une génération qui est un peu prise en étau et qui dépense beaucoup pour les autres. » Réticents aux achats en ligne Les résultats sont un peu plus marqués dans les pays du sud de l’Europe, en Espagne ou au Portugal, où l’aide intergénérationnelle a permis d’amortir les cinq années de crise. « Quand les parents et les grands-parents aident financièrement, cela contribue à la consommation des ménages », précise M. Neuvy. La solidarité des seniors se ressent sur leur pouvoir d’achat : 80 % de ceux qui ont renoncé à partir ou ont reporté un voyage mettent en avant des motifs financiers, seulement 18 % l’expliquent par des problèmes de santé. Les 50-75 ans passent 27 heures par semaine devant leurs écrans, contre 6 h 30 à lire, bricoler, jardiner… Même si 40 % des seniors déclarent être partis en vacances ou en week-end au moins trois fois au cours des douze derniers mois. Autre élément saillant de l’étude : les seniors sont plus connectés que leurs cadets. Ils passent vingt-sept heures par semaine devant leurs écrans (Internet et télévision), soit 20 % de plus que les moins de 50 ans, contre 6 h 30 consacrées aux activités à domicile comme le jardinage, le bricolage, la lecture. Les plus de 50 ans sont connectés à Internet en moyenne 13 h 15 par semaine (une heure de plus que leurs cadets), soit près de deux heures par jour. « Les jeunes poussent leurs parents et grands-parents à être connectés, notamment pour partager des photos », constate M. Neuvy. De même, les aînés ne sont pas en reste quand il s’agit d’utiliser Facebook ou Twitter. En France, plus d’un sexagénaire sur quatre est membre d’un réseau social, soit deux fois plus qu’il y a cinq ans, relève l’étude Cetelem. « Dans le cas de la France, cela répond à une nécessité de garder le contact, car la mobilité géographique, que ce soit pour des contraintes d’emploi ou d’études supérieures, est de plus en plus forte », analyse M. Neuvy. A l’inverse, les seniors sont encore réticents à acheter sur le Web. Pour eux, il s’agit davantage d’une source d’informations pour préparer leurs achats (consultation des avis, utilisation des comparateurs de prix). Plus d’un senior sur deux préfère encore effectuer ses emplettes dans les magasins : 65 % d’entre eux le justifient par le besoin de toucher les produits, 41 % pour le plaisir de sortir. Au total, 26 % des seniors n’achètent pas en ligne, car ils n’ont pas confiance dans les moyens de paiement. Sur Internet, les plus de 50 ans recherchent surtout des informations sur « les sujets liés à la santé et à la beauté ». Mais « ils affichent aussi un goût prononcé pour les jeux en ligne », relève l’étude. p cécile prudhomme abaisser le seuil au-delà duquel les contrôles douaniers peuvent devenir systématiques – il est actuellement de 10 000 euros. L’usage des billets de 500 euros – importants vecteurs de fraude, qui prennent peu de place et permettent de transporter discrètement d’énormes montants – pourrait aussi se trouver limité. Depuis plusieurs années, Tracfin en France ainsi que les douanes mettent en garde contre le trafic de ces très grosses coupures. Devraient aussi être mises sur les rails des mesures pour améliorer la coopération entre pays tiers contre le trafic d’œuvres d’art, une source de revenus significative pour les groupes terroristes, dont l’organisation Etat islamique. Cela ne pourra toutefois pas se faire avant 2017, dit-on à Bruxelles. In fine, l’ensemble du dispositif devra être validé par le Conseil européen et le Parlement européen. Les premiers textes présentés par la Commission, ce semestre, ne seront probablement pas adoptés avant la fin de l’année. Au bas mot. p cécile ducourtieux (bruxelles, bureau européen) et anne michel 1 MILLIARD C’est le nombre d’utilisateurs revendiqués, lundi 1er février, par l’application de messagerie WhatsApp : « C’est presque une personne sur sept sur la Terre qui utilisent WhatsApp chaque mois pour rester en contact avec ses proches, ses amis et sa famille », indique le groupe sur son blog. L’application a plus que doublé son audience depuis son rachat par Facebook, début octobre 2014, pour plus de 20 milliards de dollars (18,3 milliards d’euros). Le groupe pétrolier britannique BP a annoncé, mardi 2 février, une perte nette de 6,48 milliards de dollars (5,9 milliards d’euros) pour son exercice 2015, contre un bénéfice de 3,78 milliards de dollars un an plus tôt. La compagnie a aussi annoncé une charge de 2,6 milliards au quatrième trimestre, essentiellement pour des dépréciations dans l’exploration-production et des frais de restructuration. bientôt de nouveau disponibles en pharmacie. Pour les allergènes préparés spécialement pour un seul individu (APSI), « Stallergenes Greer continue de collaborer avec l’Agence nationale de sécurité du médicament [ANSM] en vue de reprendre rapidement la production et la distribution », a précisé le groupe. Une inspection de l’ANSM, menée les 18 et 19 novembre, avait révélé que des « traitements inadaptés » avaient été envoyés à des patients après un problème informatique. PHAR MAC I E AÉR ON AU T I QU E Stallergenes reprend sa production Iran Air commande des ATR Le laboratoire Stallergenes Greer a annoncé, lundi 1er février, « la reprise imminente » de la production sur son site d’Antony (Hauts-de-Seine), suspendue depuis le 2 décembre. Les médicaments de désensibilisation Oralair, Actair et Alyostal Venin seront Le numéro un mondial des avions régionaux à turbopropulseur ATR a annoncé, lundi 1er février, la signature avec la compagnie Iran Air d’un contrat d’« 1 milliard d’euros », portant sur la commande ferme de 20 appareils ATR 72-600 et 20 options. – (AFP.) EN ER GI E BP dans le rouge en 2015 6 | économie & entreprise 0123 MERCREDI 3 FÉVRIER 2016 Google pèse plus lourd qu’Apple à Wall Street La capitalisation de la firme de Mountain View a dépassé celle de sa rivale après l’annonce de résultats record new york - correspondant L a maison mère de Google, Alphabet, n’a pas commis de faute pour ses premiers résultats annuels sous cette nouvelle dénomination. Le groupe a publié, lundi 1er février, des résultats largement supérieurs aux attentes des analystes, ce qui a fait bondir son action de plus de 6 %, à 796 dollars (730 euros), au cours des échanges après Bourse. Une progression qui permet à l’entreprise de Mountain View (Californie) de devenir la première capitalisation mondiale devant Apple, une première depuis 2007. Lundi soir, Alphabet, dont le titre a gagné plus de 45 % en un an, valait 555 milliards de dollars, contre 534 milliards pour le fabricant de l’iPhone, dont les ventes commencent à plafonner. Cette publication était très attendue dans la mesure où, pour la première fois, la société communiquait de façon séparée sur les ré- sultats de ses activités principales (son moteur de recherche, le site de vidéos YouTube et le système d’exploitation pour téléphone mobile Android) et ceux de sa galaxie de filiales qui investissent sur les technologies du futur. Une initiative censée donner une vision plus claire à la fois de la rentabilité de son métier historique, focalisé sur la publicité sur Internet, et du poids des investissements consacrés à des activités qui vont de la santé (Calico) à la voiture autonome sans chauffeur (Google X), en passant par la domotique (Nest) ou le capital-risque (Google Ventures), regroupés en interne sous l’intitulé « Autres paris ». Rentabilité astronomique Le chiffre d’affaires des activités principales réalisé en 2015 est en hausse de 13,5 %, à 74,54 milliards de dollars, pour un bénéfice opérationnel en hausse de 23 %, à 23,4 milliards. Ces résultats, dopés par un quatrième trimestre très Les « paid to click », les clics rémunérés, ont bondi de 31 % en 2015 dynamique, montrent que le groupe arrive à accélérer sur son métier historique, ce qui permet de compenser les coûts engendrés par ses autres activités. Ainsi les « paid to click », les clicks rémunérés, c’est-à-dire le nombre de fois où les gens cliquent sur des annonces publiées sur les sites utilisant la technologie Google, ont bondi de 31 % en 2015. Le défi, maintenant, consiste à améliorer la rentabilité sur téléphone mobile. Pour le moment, le groupe n’a pas encore réussi à amener les annonceurs à payer les mêmes tarifs que sur ordinateur, ceux-ci considérant que les messages diffusés sur de plus petits écrans ont moins de valeur. C’est l’une des raisons qui expliquent que le « coût par clic » est en baisse depuis quatre ans. Au quatrième trimestre, celui-ci a encore chuté de 13 % par rapport à la même période de 2014. Mais, comme l’a souligné la nouvelle directrice financière du groupe, Ruth Porat, au cours d’une conférence téléphonique, ce recul est largement compensé par la croissance exponentielle des recherches sur téléphone mobile. Cela explique les 18 % de progression du chiffre d’affaires entre octobre et décembre 2015. Le groupe espère que l’accélération de cette mutation va tôt ou tard convaincre ses clients annonceurs de consentir à payer plus sur mobile. Dans le même temps, Gmail a dépassé au quatrième trimestre le milliard d’utilisateurs. Après Android, Chrome (le navigateur sur Internet), YouTube ou encore Google Play (la boutique en ligne), la CETTE SEMAINE MASTERS, MASTÈRES, MSC : CHOISIR DANS UNE OFFRE RENOUVELÉE P Un mastère ou un « master of science » : pour quoi faire ? P Numérique, big data, cybersécurité, environnement : l’ofre dans les secteurs de pointe P Les nouveaux cursus sur les robots, les drones, la transition énergétique, l’analyse de vidéos… Dans « Le Monde » du mercredi 3 daté jeudi 4 février CHAQUE MERCREDI, LES ÉTUDIANTS ONT RENDEZ-VOUS DANS « LE MONDE » Retrouvez aussi toute l’actualité lycéenne et étudiante sur Lemonde.fr/campus RÉSULTATS DE GOOGLE-ALPHABET, EN MILLIARDS DE DOLLARS Chiffre d’affaires Résultat opérationnel ACTIVITÉS TRADITIONNELLES Moteur de recherche, YouTube... NOUVELLES ACTIVITÉS Google Car, fibre, domotique... 74,54 65,67 19,01 2014 23,43 0,33 2015 – 1,94 2014 0,45 – 3,57 2015 SOURCE : GOOGLE-ALPHABET messagerie de Google est ainsi le septième service à avoir franchi ce seuil psychologique. Le fait de séparer la publication des différentes activités permet de cerner la rentabilité astronomique dégagée par Google, qui, au quatrième trimestre, a publié une marge opérationnelle de 25 %, sur les talons d’Apple, dont les 32 % de profitabilité restent la référence à Wall Street. En marge de ces activités, très rémunératrices, Alphabet mise sur le futur pour prendre peu à peu leur relais. La division « Autres paris » a ainsi dégagé un chiffre d’affaires en forte hausse, de 37 %, en 2015, mais, dans le même temps, les pertes se sont creusées, à 3,57 milliards de dollars, contre 1,94 milliard l’année précédente. Rien que sur le quatrième trimestre, la perte s’élève à 1,2 milliard. Ces chiffres ont réclamé un peu de pédagogie auprès des investisseurs, qui, pour la première fois, ont pu jauger la consommation de capital exigée par ces activités. C’est le rôle qui incombe désormais à Mme Porat, une ancienne de Morgan Stanley, débauchée à prix d’or pour donner plus de lisibilité à ce maquis d’investissements prometteurs. Elle a souligné que l’objectif était d’optimiser les ressources de ce portefeuille, dont le chiffre d’affaires a été essentiellement porté par Nest, Google Fiber (fibre) et Verily, une filiale spécialisée dans les sciences de la vie. « Nous effectuons un périple et c’est encore le début », a prévenu Mme Porat. A ceux qui s’inquiéteraient de l’envolée des dépenses de cette division, le patron de Google, Sundar Pichai, a expliqué que le succès de son moteur de recherche a été aussi le fruit de lourds investissements. Il a notamment vanté les progrès faits par le groupe dans le domaine de l’intelligence artificielle, rappelant qu’une de ses machines avait réussi à battre pour la première fois un maître du jeu de go. C’est aussi une sorte de jeu de stratégie dans lequel Google est engagé avec les marchés financiers. Son but : entretenir leur patience vis-à-vis des projets futuristes, en continuant à dégager une solide rentabilité dans son métier historique. p stéphane lauer Les chantiers navals de Saint-Nazaire respirent L’italo-suisse MSC Croisières a commandé deux nouveaux paquebots à STX France S atisfaction à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique). Les chantiers navals STX France ont engrangé, lundi 1er février, une nouvelle commande de deux paquebots par MSC Croisières, portant à quatre le nombre de navires achetés depuis 2004 par le croisiériste italo-suisse. Ce nouveau contrat, d’environ 1,6 milliard d’euros, garantit cinq années de travail, jusqu’à fin 2020, à ce chantier. L’Etat en est actionnaire à hauteur de 33,34 %, aux côtés du groupe sudcoréen STX, propriétaire à 66,66 %. MSC Croisières a levé l’option prise sur ces deux bâtiments lors de la première commande, a souligné son président exécutif, Pierfrancesco Vago, lors d’une visite du chantier en compagnie d’Emmanuel Macron, le ministre de l’économie. Les deux nouveaux navires, longs de 331 mètres, soit 15 mètres de plus que les deux premiers, seront dotés de 2 444 cabines et pourront accueillir près de 7 750 personnes à leur bord, dont 6 000 passagers. Il s’agit des plus gros paquebots du monde après ceux de la classe Oasis, comme le Harmony-of-theSeas, également construit à SaintNazaire et devant être livré en avril à une filiale de l’armateur américain Royal Caribbean Cruises Ltd. Ces nouveaux bateaux seront remis à MSC en novembre 2019 et en avril 2020, « ce qui anticipe de deux ans la livraison du dernier des quatre navires » par rapport au calendrier initial, a précisé M. Vago. Avec ces nouvelles commandes, le chantier français a désormais huit bâtiments à construire jusqu’en 2020. « Actuellement, 6 000 personnes travaillent sur le site », dont 2 500 salariés de STX, a précisé Laurent Castaing, directeur général de STX France. De son côté, M. Macron s’est félicité d’une commande qui se traduit par « 500 emplois directs chez STX et 1 500 emplois indirects chez ses sous-traitants ». Repreneurs potentiels Reste la question-clé de l’actionnariat des ex-Chantiers de l’Atlantique. STX en a hérité en 2008 en reprenant leur propriétaire, le norvégien Aker, qui les avait lui-même achetés à Alstom. Or, le conglomérat sud-coréen est en difficulté. Son principal créancier, la banque Korea Development Bank, qui en a pris le contrôle en 2013, a décidé de céder les activités européennes, française et finlandaise de STX, pour alléger sa dette. Le processus a été lancé voici bientôt deux ans, en avril 2014, sans aboutir jusqu’à présent pour STX France. Interrogé sur des repreneurs potentiels, M. Macron a évoqué « beaucoup de rumeurs ». « Ça peut être des Français, des étrangers, mais l’Etat restera à une part significative de capital et avec la volonté d’accompagner véritablement le développement du groupe », a promis le ministre. « Nous avons des discussions constantes avec les actionnaires coréens », a-t-il ajouté, affirmant vouloir trouver de partenaires industriels « de long terme ». p dominique gallois idées | 7 0123 MERCREDI 3 FÉVRIER 2016 LETTRE DE WALL STREET | st ép hane l auer L’opération séduction des banques américaines C e n’est pas encore les 35 heures, mais les banques de Wall Street ont décidé de se pencher sur la délicate question du temps de travail. Dernière initiative en date, l’opération « Posez les crayons ! », lancée chez JPMorgan, fin janvier. Derrière ce slogan assez peu 2.0, il faut bien le dire, une directive à destination des salariés qui travaillent dans la banque d’investissement. Celle-ci leur demande de prendre leurs week-ends, sauf cas exceptionnel. Les unes après les autres, les grandes banques d’affaires de Wall Street tentent de canaliser les ardeurs de leurs collaborateurs, obnubilés par leurs carrières et leurs bonus. Citigroup, Bank of America Merrill Lynch, Morgan Stanley ou Goldman Sachs, toutes cherchent à les inciter à retrouver, autant que faire se peut, une vie plus équilibrée. Le déclic s’est, sans doute, produit en 2013, lorsque Moritz Erhardt, un jeune stagiaire de 21 ans affecté au département fusions-acquisitions de Bank of America Merrill Lynch, s’est écroulé à son bureau londonien, après soixante-douze heures de travail sans interruption. L’autopsie avait révélé que son décès avait pu être causé par un surmenage. L’association d’aide aux stagiaires Intern Aware avait prudemment demandé que ces derniers soient jugés sur la qualité de leur travail et non sur le nombre d’heures passées au bureau. Une supplique qui ne mangeait pas de pain. Mais, au-delà de la subite compassion qui s’est emparée de Wall Street au lendemain du décès du jeune stagiaire, il y a également, parallèlement, une préoccupation grandissante au sein des banques sur leur capacité à attirer les meilleurs. Non seulement les excès de la crise ont écorné leur réputation, mais, entre-temps, le secteur du high-tech est devenu de plus en plus glamour pour les jeunes diplômés. DES PRATIQUES QUI ONT DU MAL À ÉVOLUER Ainsi, au prestigieux Massachusetts Institute of Technology, en 2014 (derniers chiffres disponibles), seuls 10 % des étudiants ont choisi une carrière dans la finance, contre 31 % en 2006, avant la crise financière. Même tendance à Harvard, où le taux est passé de 42 % à 33 %. Dans le même temps, le high-tech est passé de 7 % à 17 %. A la Wharton School (Pennsylvanie), considérée comme la plus prestigieuse école américaine de finance, le taux est également en chute libre. Certes le salaire de départ d’un analyste, l’un des plus bas échelons de la hiérarchie, atteint, en moyenne, les 70 000 dollars (64 500 euros) par an, qui, avec les bonus, peuvent être doublés. Mais les firmes technologiques peuvent elles aussi se montrer généreuses. En outre, L’ÉCLAIRAGE A Bruxelles, une bureaucratie libérale par paul jorion S ociologue à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, Sylvain Laurens a consacré au fonctionnement des institutions européennes un livre intitulé Les Courtiers du capitalisme. Milieux d’affaires et bureaucrates à Bruxelles (éditions Agone, 2015). La thèse principale de cet ouvrage à la fois sociologique et historique est que la représentation commune de milieux d’affaires imposant leur point de vue à la Commission européenne au moyen d’une armée de lobbyistes est essentiellement une illusion d’optique. Ce que nous interprétons de cette manière est en réalité le mode de collaboration entre les milieux d’affaires et une bureaucratie en vue d’élaborer les normes de fabrication et de distribution des produits au sein de l’espace économique européen, dans le double but de faciliter les échanges au sein de la zone, mais aussi de délégitimer toute concurrence en provenance de l’extérieur. A ces représentants de firmes et ces bureaucrates se sont joints des scientifiques d’un type un peu spécial, conscients des contraintes auxquelles sont soumises les deux autres parties. Face à une pratique, un produit ou une substance problématique, ils mettent alors au point ensemble l’une ou l’autre de deux stratégies possibles : soit une gestion optimale du risque existant, soit une « substitution », c’est-à-dire une interdiction progressive de la pratique, du produit ou de la substance jugés nocifs. SOLUTION TECHNIQUE OPTIMALE L’apparence d’une politique délibérément ultralibérale résulte du fait que, dans une telle configuration, toute question possède nécessairement une solution purement technique qu’il suffit de mettre au jour : rien n’apparaît jamais soulever de problème de fond, et a fortiori n’apparaît ¶ Paul Jorion est économiste et anthropologue à l’Université libre de Bruxelles avoir un enjeu politique. C’est sans surprise que l’on débouche alors dans chaque cas de figure sur un « TINA » – « There is no alternative », selon la formule du premier ministre britannique Margaret Thatcher –, puisqu’il existe à chaque problème une solution technique optimale. Pour les eurocrates, il n’y a donc nul intérêt en jeu, nul rapport de force entre les parties en présence. Il n’existe que deux sortes de gens : ceux qui comprennent la solution optimale à laquelle eux-mêmes sont parvenus, et ceux à qui elle échappe et qui constituent de ce fait un obstacle et une gêne. C’est ce qui explique la réponse désarmante du bureaucrate quand sa proposition est rejetée parce qu’intolérable sur un plan social ou politique : « J’ai dû mal m’expliquer, donc je recommence ! » Réponse jugée dans le camp adverse comme stupide ou de mauvaise foi. SYMBIOSE On accordera à Laurens qu’une part de la philosophie des institutions européennes résulte en effet d’une telle symbiose entre bureaucrates, milieux d’affaires et experts formés aux logiques bruxelloises, et que la combinaison des contraintes, légitimes à leurs yeux, leur enfonce la tête dans le guidon au point qu’ils ne voient plus que les arbres et ignorent la forêt. Cela dit, si la partie sociologique de l’explication de Laurens conforte sa thèse de l’illusion d’une scène bruxelloise où se rencontreraient une bureaucratie passive et des lobbies les manipulant, la partie historique jette un autre éclairage. N’est-ce pas l’auteur lui-même qui affirme que « [d]es liens intimes (…) existent entre la bureaucratie de l’UE et les premières organisations patronales à taille européenne » ? Car il nous montre aussi que les institutions européennes – alors qu’elles n’ont encore qu’une forme embryonnaire – adoptent en 1947 les catégories normatives américaines lors des accords du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade) sur la libéralisation du commerce mondial, et se coulent l’année suivante dans les nomenclatures comptables imposées pour rendre compte de l’utilisation des fonds dispensés par le plan Marshall. Le virus de l’ultralibéralisme était déjà là avant d’être transfusé à l’Europe naissante par le biais du GATT et du plan Marshall. Elle a grandi ensuite avec ce virus dans le sang. p celles-ci ont fait d’un environnement de travail « cool » un argument de recrutement. Les banques, qui, pendant des années, ne se sont guère préoccupées du sort d’employés corvéables à merci, se doivent de reprendre la main. En octobre 2013, Goldman Sachs avait annoncé la mise en place d’une équipe chargée de réfléchir à l’amélioration de l’équilibre de vie de ses jeunes banquiers. Morgan Stanley y était aussitôt allée de sa commission, pilotée par un ponte de l’établissement. Mais c’est Bank of America qui a concrètement tenté d’instiller le changement. Depuis 2014, chacun est prié de prendre au moins quatre jours de repos par mois. Byzance ! JPMorgan veut aller plus loin, en demandant à ses salariés de rentrer chez eux le week-end, sauf cas exceptionnel, comme le bouclage d’une opération de fusion-acquisition. Sur le papier, l’initiative est louable. Mais qu’en serat-il dans la pratique ? Car, dans des métiers où faire des semaines de cent heures est considéré comme une routine, il n’est pas évident de faire évoluer les pratiques et les esprits. Ainsi, contrairement à ce que laisse entendre le slogan de l’opération, il ne suffira pas de « poser les crayons ». Si la banque voulait pousser la logique jusqu’au bout, elle demanderait d’éteindre téléphones et ordinateurs portables pendant quarante-huit heures. Sinon, com- ment lutter contre la tentation d’emporter chez soi tous les dossiers qu’on n’a pas pu boucler à temps le vendredi soir ? Après tout, la banque d’investissement n’est-elle pas un métier de service, dans lequel les longues heures de travail sont nécessaires pour répondre aux exigences de clients qui réclament une disponibilité vingt-quatre heures sur vingt-quatre ? Carlos Hernandez, le patron de l’activité banque d’investissement chez JPMorgan, se montre néanmoins optimiste sur l’efficacité du dispositif, dans la mesure où l’impulsion vient du sommet. Par ailleurs, dans un entretien accordé au Wall Street Journal, fin janvier, il soulignait qu’un certain nombre de tâches ingrates, réservées traditionnellement aux plus jeunes, avaient été automatisées. Pour améliorer un peu plus le quotidien des salariés, un effort sera entrepris au niveau des congés parentaux payés, qui vont être portés de douze à seize semaines. Enfin, JPMorgan a décidé d’accélérer les promotions. L’établissement imite Goldman Sachs, qui a pris une initiative similaire en novembre 2015. Une jeune recrue pourra devenir « directeur » en huit ans, au lieu de douze aujourd’hui. Mais, pour y parvenir, il va certainement falloir renoncer – tout de même – à quelques week-ends. p CHEZ JPMORGAN, UNE DIRECTIVE DEMANDE AUX SALARIÉS DE PRENDRE LEURS WEEK-ENDS, SAUF CAS EXCEPTIONNEL [email protected] Oui, au référendum dans l’entreprise, pour régénérer la démocratie sociale Malgré la méfiance pour ce mode de consultation, les syndicats auraient tort de se priver d’un outil propre à mobiliser des salariés de plus en plus individualistes par jacques le goff L e 10 juin 1982, au cours de la discussion parlementaire des lois qui porteraient son nom, Jean Auroux, le ministre du travail, lançait une mise en garde : « Tout processus qui tendrait à établir un rapport direct avec les salariés en laissant la seule initiative à l’une des parties, se traduirait fatalement par un affaiblissement, voire une disparition, du fait syndical. » En cause, l’idée avancée par certains d’introduire dans le code du travail un possible recours au référendum. Un quart de siècle après les débats constitutionnels de 1958 soulignant ses accointances avec le pouvoir personnel, ce mode de consultation populaire suscitait la méfiance. Aujourd’hui encore, malgré l’indéniable évolution des esprits et des pratiques (référendum d’initiative populaire, lois Aubry, participation…), son image demeure souvent négative. On y voit une machination contre la démocratie représentative dans l’entreprise, d’autant plus insidieuse que défendue au nom d’une démocratie directe certes vertueuse, mais dangereusement exposée aux pires dérives de la personnalisation, du chantage et de l’intérêt à courte vue. Son usage marquerait la mise en court-circuit des institutions représentatives, à commencer par la section syndicale, et la rétraction de l’entreprise sur son pré carré sous couvert de « citoyenneté d’entreprise ». Si l’inquiétude se comprend, il n’est pas sûr qu’elle se justifie. Le point de vue inverse, celui d’une activation démocratique par le référendum, se défend tout autant. Jean Auroux le partageait d’ailleurs ! Son vrai souci LE RÉFÉRENDUM EST ENCORE PERÇU COMME UNE MACHINATION CONTRE LA DÉMOCRATIE DANS L’ENTREPRISE était d’éviter que l’initiative n’en revienne aux « parties » en présence, patronale ou salariée. Non seulement il laissait la porte ouverte à l’action syndicale en la matière, mais cette perspective s’inscrivait dans la droite ligne de sa réforme visant à donner, pour la première fois dans l’histoire du droit du travail, la parole aux salariés à titre individuel. C’est le sens du droit d’expression « directe et collective » de la grande loi du 4 août 1982. Or, quoi de plus « direct » et « collectif » que la technique référendaire ? Le sociologue Emile Durkheim (1858-1917) voyait dans la société une « machine à fabriquer des dieux ». Et le syndicat en constituait l’une des figurations les plus typiques avec, comme le parti ou la religion, son eschatologie, ses masses, ses militants disciplinés… L’individu n’y existait qu’à titre de particule élémentaire d’un collectif seul revêtu de sens. Avant 1982, le code du travail ne connaissait dans l’entreprise que l’acteur collectif. UN MODÈLE QUI RELÈVE DU PASSÉ Ce modèle d’organisation relève désormais du passé. Autonome dans sa vie personnelle et, de plus en plus, dans le travail lui-même, le salarié ne supporte plus ce type de mobilisation et d’enrégimentement. On a assisté depuis les années 1980 à une rapide montée en puissance de l’ego social et du rêve très libéral d’une société composée d’atomes très mobiles dans un milieu liquide ou gazeux. Ce rêve demeure actif dans bien des stratégies managériales d’accompagnement et d’amplification de la tendance individualisante. Mais là comme ailleurs, et spécialement du côté des salariés, les limites de ce modèle n’ont pas tardé à apparaître au grand jour. Mais sans espoir de retour à ce qui prévalait avant. D’où la question à laquelle nul syndicat ne peut plus échapper aujourd’hui : comment penser le social à l’heure de l’individu accompli, farouchement jaloux de ses prérogatives ? Comment réarticuler la production d’action collective et l’intervention personnelle de chaque salarié ? Comment être à la fois soimême et ensemble ? Le sociologue Georges Gurvitch (1894-1965) avait une formule pour désigner cette quadrature qui fut l’horizon de pensée du socialisme libertaire d’inspiration proudhonienne : il parlait d’un social « transpersonnel », encore à construire, mais déjà à l’œuvre aussi bien dans les groupes de projet très divers dont bruissent bien des entreprises que dans la démarche « qualité de vie au travail » (QVT) impulsée par l’accord national interprofessionnel de juin 2013, qui reconnaît à l’expression individuelle toute sa place. « Replacer l’individu au centre de nos préoccupations, considérer qu’il est la raison ultime de toute organisation sociale, ce n’est pas cheminer à contrecourant de nos conceptions solidaires » : c’est ce à quoi appelait Edmond Maire, secrétaire général de la CFDT, en juin 1986. Tout juste trente ans après, la préoccupation anime plus que jamais le questionnement cédétiste autour du « syndicalisme collaboratif » de type bottom up et non plus top down. La CGT n’y échappe pas, depuis un certain temps déjà. Souvenonsnous de ce que disait Maryse Dumas, du bureau confédéral, au lendemain des référendums consultatifs chez Fleury-Michon et Air France en 1994, qui avaient désavoué les syndicats : « Il y a quelques mois encore, beaucoup d’entre nous craignaient que la consultation des salariés n’affaiblisse le rôle propre de notre syndicat. Aujourd’hui, la consultation devient un élément presque incontournable de notre pratique syndicale. Le syndicalisme y trouvera une nouvelle légitimité et la négociation plus de vitalité et d’efficacité. » C’était bien vu. Au fond, le référendum ne serait-il pas une manière appropriée de lancer des ponts entre les salariés et leurs syndicats, par le débat, la prise au sérieux de leur parole et l’action collective sans sacrifice de l’individu ? Entre démocratie directe et démocratie représentative, un nouveau point d’équilibre est à découvrir au profit des deux modes d’expression dans une synergie qui pourrait se révéler régénératrice d’une démocratie sociale au bord de la panne. p ¶ Jacques Le Goff est professeur émérite de droit public, ancien inspecteur du travail et auteur de Du silence à la parole. Une histoire du droit du travail (Presses universitaires de Rennes, 2004) 8 | MÉDIAS&PIXELS 0123 MERCREDI 3 FÉVRIER 2016 Au Royaume-Uni, le dinosaure BT change d’ère L’opérateur historique a créé des chaînes de télévision et racheté un réseau de téléphonie mobile londres - correspondance C’ est la fin d’un long déclin. Pour la première fois depuis plus d’une décennie, au Royaume-Uni, le nombre d’abonnés aux lignes téléphoniques fixes de BT a augmenté au troisième trimestre de son exercice (octobre-décembre 2015). La progression, annoncée lundi 1er février, est infime : 6 000 clients gagnés sur un total de 9,5 millions, mais c’est un symbole. L’ancien monopole qu’était British Telecom, qui a perdu jusqu’à un million d’abonnés par an il y a quelques années, s’est « reconstruit », affirme Gavin Patterson, son directeur général, dans un entretien au Monde. Les résultats du groupe témoignent de ce retour en grâce : sur les neuf premiers mois de l’exercice en cours, l’opérateur a enregistré un chiffre d’affaires stable à 13,2 milliards de livres (17,3 milliards d’euros) et un bénéfice avant impôt en hausse de 9 % par rapport à l’année précédente, à 2,3 milliards de livres. Sa dette s’élève à 5 milliards de livres, en baisse de 20 % sur un an. Offres « quadruple play » Sous la houlette de ce patron aux cheveux mi-longs et toujours sans cravate, aux manettes du groupe depuis 2013, BT a pris deux décisions spectaculaires. La première a été le lancement, en 2013, de chaînes de télévision de sport, centrées sur le football. La seconde est le rachat d’un réseau de téléphonie mobile : l’acquisition, pour 16,5 milliards d’euros d’EE, qui appartenait à Orange et Deutsche Telekom, est effective depuis vendredi 29 janvier. La plus vieille entreprise de télécoms au monde incarne désormais la « convergence » entre réseaux et contenus La plus vieille entreprise de télécommunications au monde, dont les racines remontent à 1846, incarne désormais la « convergence » entre réseaux et contenus. Avec ses chaînes de télévision, sa téléphonie fixe, son Internet haut débit et son réseau mobile, BT va prochainement offrir des offres dites « quadruple play ». Cette convergence redessine complètement le paysage des télécoms britanniques. Alors qu’il y a une quinzaine d’années le bouquet satellite Sky faisait de la télévision et BT de la téléphonie, les groupes sont aujourd’hui deux titans en concurrence directe. Sky fournit désormais de l’Internet haut débit et de la téléphonie fixe, et il a prévu de lancer sa propre offre mobile d’ici à la fin de l’année. La reconstruction de BT remonte à 2008, selon M. Patterson. « Le conseil d’administration [dont il faisait alors partie, en tant que directeur de la division grand public] a pris la décision d’investir dans la fibre optique. A l’époque, c’était courageux, parce que ce sont des investissements lourds, et on était en pleine crise financière. Mais ça a permis de mettre en place notre réseau actuel, qui est la base de notre entreprise. » Cette colonne vertébrale en Gavin Patterson, directeur général de BT, en 2015. BLOOMBERG/GETTY IMAGES place, M. Patterson, supporteur passionné de Liverpool, prend la décision, en 2012, d’acheter une partie des droits de retransmission du championnat anglais de football, la Premier League, et de créer ses propres chaînes pour retransmettre les matchs. Le pari est risqué : Sky domine le secteur, et les précédents concurrents ont tous échoué. Mais BT ne cherche pas la rentabilité directe de ses télévisions. Son offre vise à attirer les clients vers d’autres produits de sa gamme : un abonnement à BT Sport coûte 25 euros par mois pour un téléspectateur qui veut regarder les matchs sur Sky ou Virgin Media, les deux réseaux concurrents, mais seulement 7 euros pour ceux qui sont abonnés à l’Internet haut débit de BT. C’est même gratuit pour ceux qui s’abonnent à l’offre de télévision du groupe, qui comprend 80 chaînes. Le problème est que cela coûte cher : 1,6 milliard d’euros pour acheter les droits de la Ligue des champions et d’une partie de la Premier League pour trois ans. Selon les calculs du consultant Enders Analysis, BT Sport perd environ 600 millions d’euros par an. « C’est une erreur de regarder cela de façon isolée, rétorque M. Patterson. Désormais, tous les chiffres de notre division grand public sont positifs. » Le deuxième pari de BT est son grand retour dans la téléphonie mobile. En 2002, l’opérateur avait vendu son réseau, désormais devenu O2 (en cours d’acquisition par le hongkongais Hutchison). Duel pour le football contre Sky, le mastodonte de Rupert Murdoch tout au fond de l’ancien parc olympique, encore à moitié en travaux, se trouvent les locaux qui abritent le grand pari de BT (autrefois British Telecom). C’est là, dans l’est de Londres, que l’opérateur britannique de téléphonie a installé, il y a trois ans, ses chaînes de télévision. L’immense bâtiment caverneux, qui avait servi de centre de presse lors des Jeux olympiques de 2012, dispose notamment d’un studio de 1 400 mètres carrés, l’un des plus grands disponibles au Royaume-Uni. Lors des soirées de Ligue des champions – BT a les droits exclusifs de cette compétition qui rassemble les meilleurs clubs européens – jusqu’à huit matchs y sont diffusés en direct, présentés par le très populaire Gary Lineker, ancien footballeur et star de la BBC. « Les gens ont compris que BT comptait dans le football », estime Simon Green, le directeur de BT Sport. Outre-Manche, le ballon rond est pourtant dominé par Sky. Depuis 1992, le bouquet satellite du magnat Rupert Murdoch en achète les droits, ce qui explique son emprise sur le marché de la télévision payante. Des matchs à prix cassés Plusieurs concurrents ont bien tenté de s’attaquer au mastodonte, dont l’américain ESPN et l’irlandais Setanta. Mais à chaque fois, ils se sont cassé les dents. BT est le dernier à tenter l’aventure, avec une évidente détermination. Le groupe a aussi acheté les droits d’une partie de la Premier League, le championnat anglais – même si Sky en conserve la majorité. BT propose quatre chaînes de sport, dont l’une est entièrement consacrée au football européen (championnats de France, d’Italie, du Portugal…) et à la Ligue des champions. « Cette compétition est très importante, même si elle propose moins de matchs que la Premier League. Certaines rencontres sont de véritables événements nationaux, explique M. Green. Comme on possède les droits exclusifs, BT Sport devient incontournable. » Désormais, les quatre chaînes sont reçues dans 5,4 millions de foyers, contre 12 millions pour celles de Sky – un tiers sont des clients directs de BT ; les autres les regardent sur l’une des plates-formes rivales (Virgin Media, Sky…). Si BT Sport s’est bien installé dans le paysage – l’entité va entrer dans sa qua- trième saison –, c’est grâce à son modèle économique différent : ses chaînes ne servent pas vraiment à gagner de l’argent, mais à attirer les clients. Ceux qui s’abonnent à son Internet à haut débit ou à son offre de télévision peuvent regarder les matchs à prix cassé. Le groupe pourra-il un jour surclasser Sky et devenir l’acteur dominant dans le football anglais ? « Ici, à BT Sport, nous sommes prêts à passer à la vitesse supérieure, assure M. Green. Mais la direction générale en est moins sûre. Elle a une approche plus prudente, de long terme. » Selon lui, le combat de titans entre Sky et BT va durer : « Dans dix ans, les deux seront encore là. Chacun gagnera des batailles ; ce ne sera pas une lutte à mort. » p é. a. Une erreur historique ? « L’entreprise n’avait pas le choix. Elle avait énormément dépensé dans les années 1990, et elle avait accumulé une dette qu’elle ne pouvait pas financer. » Une stratégie coûteuse Aujourd’hui, l’opérateur rachète EE. Et, là aussi, la fibre optique est le socle de sa stratégie. « Notre vision est d’avoir un seul réseau, qui puisse servir tout le monde où que vous soyez, que ce soit fixe ou mobile, entreprises ou individus. Seul le bout de la connexion, la dernière partie, change. » Il s’agit d’une stratégie coûteuse, de très long terme. « Les investissements qu’on a faits dans la fibre optique en 2009 n’ont pas encore été rentabilisés et, pourtant, il faut déjà qu’on recommence à investir juste pour rester concurrentiels. C’est un défi permanent », résume M. Patterson. Cette année, BT prévoit d’investir 4 milliards d’euros. « Un bon paquet d’argent… », reconnaît Gavin Patterson. Indispensable, selon le directeur général, qui prend pour preuve l’explosion de l’utilisation d’Internet par les clients particuliers de BT, qui a quasiment doublé sur la période de Noël. « Cette tendance va continuer à long terme. Tant qu’on investit là-dessus, on sera dans un bon business. » p éric albert La future chaîne d’information publique cherche sa place sur la TNT France Télévisions veut diffuser sa chaîne d’info sur le réseau hertzien, comme ses concurrentes. Mais les solutions sont limitées P armi les nombreux défis que devra surmonter la future chaîne d’information publique, l’obtention d’un canal TNT pour la diffuser n’est pas le moindre. La présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte, a reconnu en janvier qu’elle souhaitait, pour ce projet-phare, une diffusion hertzienne classique, comme pour les autres chaînes de l’entreprise. Mais elle est restée prudente sur le moyen d’y parvenir. En plus des options déjà connues, toutes difficiles à mettre en œuvre, une autre hypothèse, technique, est étudiée en interne, a appris Le Monde : il s’agit d’utiliser les espaces vacants sur les émetteurs hertziens pour tenter d’y placer la chaîne, grâce au passage à la TNT « haute définition », prévu en avril. « Les autres solutions posent certains problèmes », dit Eric Vial, délégué du syndicat FO de France Télévisions, favorable à cette diffusion « technique ». Supprimer une chaîne de l’entreprise publique pour la remplacer par la chaîne d’information est en effet délicat : renoncer à France 4 pose un problème économique, car son offre jeunesse finance la production française de l’animation. Zapper France Ô, la chaîne des outre-mer et de la diversité, pose un problème politique, renforcé par la perspective de la présidentielle. Mme Ernotte a d’ailleurs écarté ces deux solutions, dans un entretien au Monde.fr, le 21 janvier, tout en précisant : « Pour l’instant, je ne choisis rien, ce sont des discussions que nous allons avoir avec notre actionnaire, l’Etat. » L’hypothèse la moins compliquée semblait jusqu’ici être l’utilisation du canal de Numéro 23, la chaîne privée consacrée à la diversité : celle-ci a vu son autorisation d’émettre abrogée mi-octobre par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), pour une revente jugée frauduleuse. « Mais il y a une incertitude juridique », pointe M. Vial. En effet, l’actionnaire principal de la chaîne, Pascal Houzelot (également membre du conseil de surveillance du Monde), a déposé fin décembre 2015 un recours devant le Conseil d’Etat, dont la réponse est attendue d’ici à fin mars. Meilleure compression Privilégier une solution interne et technique éviterait certains aléas, pense un autre syndicaliste. Concrètement, il s’agirait de profiter de L’utilisation d’espaces vacants sur les émetteurs hertziens, grâce au passage à la TNT « haute définition », est à l’étude la meilleure compression des images permise par le nouveau standard MPEG4, qui sera généralisé le 5 avril, lors du passage à la TNT « haute définition ». L’idée serait de placer la chaîne d’information publique sur l’un des six « multi- plexes » qui diffuseront les chaînes de la TNT : celui consacré à France Télévisions accueillera France 2, France 3, France 4 et France Ô, ainsi que des décrochages régionaux. Au sein de ces derniers, tout l’espace n’est pas occupé aujourd’hui, explique ce syndicaliste, car si France 3 a partout une présence régionale, il n’y a pas de chaîne locale privée dans toutes les zones de France. Ce salarié estime possible « à 95 % » la faisabilité technique d’une diffusion de la chaîne d’information sur le multiplexe de France Télévisions. Mais une autre source doute qu’il soit possible de réellement couvrir ainsi la totalité du territoire. Un observateur estime qu’il est certes possible de dégrader le signal de façon sélective, en fonction des zones et des chaînes, pour « gagner de la place » sur le spectre de la TNT, mais qu’il faut conserver une qualité d’image satisfaisante pour le téléspectateur. Mme Ernotte a été informée de cette piste « technique » lors du comité central extraordinaire du 15 décembre 2015, assure M. Vial de FO, qui l’a alertée. A la direction de France Télévisions, on ne commente pas mais l’hypothèse est bien à l’étude. Mis au courant mijanvier, le CSA se penche sur la question, sans avoir été officiellement saisi. En attendant, les équipes de France Télévisions travaillent sur le contenu et l’organisation, délicate, de la chaîne. Son lancement a été promis pour septembre. Au minimum sur support numérique, pour les smartphones, tablettes et ordinateurs. Sur un canal TNT, si possible. p alexandre piquard MALADIES CHRONIQUES ASTRONOMIE PORTRAIT LE DÉLICAT PASSAGE À L’ÂGE ADULTE BABYLONE, BERCEAU DE L’ABSTRACTION MATHÉMATIQUE WIEBKE DRENCKHAN ÉTEND LE DOMAINE DES MOUSSES → PAGE 2 → PAGE 3 → PAGE 7 Zika, une «urgence de portée mondiale» L’Organisation mondiale de la santé tire le signal d’alarme contre le virus, qui pourrait toucher 4 millions de personnes sur le continent américain en 2016. Mais les autorités sanitaires s’interrogent encore sur l’étendue des atteintes neurologiques qu’il pourrait engendrer. Le point en dix questions. PAGES 4-5 A Caracas, le 28 janvier, un employé de la capitale vénézuélienne pulvérise de l’insecticide sur des foyers potentiels d’« Aedes ». FAUSTO TORREALBA/AVN/XINHUA-REA L’ADN, agent d’un bonheur national L carte blanche Laurent Alexandre Chirurgien urologue, président de DNAVision [email protected] (PHOTO: MARC CHAUMEIL) es neurosciences révèlent la complexité du fonctionnement cérébral. Le plan précis du câblage cérébral – nous avons 85 milliards de neurones, dont chacun est porteur de milliers de connexions – n’existe pas dans nos chromosomes. Notre ADN a une action plus subtile : il donne à nos neurones une boîte à outils, plus ou moins performante, leur permettant de bâtir un réseau de connexions plastiques et dynamiques. Le cerveau se bâtit grâce à un mélange de déterminisme génétique, de réponse à l’environnement et de hasard. Notre quotient intellectuel, in fine, n’est déterminé par notre ADN qu’à hauteur d’un peu moins des deux tiers ; le tiers restant étant lié à l’école, la stimulation familiale, l’environnement et l’alimentation. Les scientifiques commencent à étudier les bases biologiques de nos émotions : des facteurs génétiques ont été identifiés qui favorisent les addictions à l’alcool, à la drogue, au jeu ou au sexe, et les liens entre génétique, foi et cerveau commencent à être étudiés. Notre rapport aux autres et notre propension au bonheur eux-mêmes ont des origines génétiques. Publiée par Cahier du « Monde » No 22099 daté Mercredi 3 février 2016 - Ne peut être vendu séparément Alexander Kogan en 2011 dans PNAS, une étude montre qu’une base chimique, sur les 3 milliards que comportent nos chromosomes, module notre niveau de sociabilité : un changement minime du gène du récepteur de l’hormone ocytocine modifie notre empathie. Le variant « A » accroît le plaisir Ce désespérant déterminisme génétique se transpose également à l’échelle d’un pays. Une étude publiée en janvier dans Journal of Happiness Studies montre que les nations où une forte proportion de la population possède un variant génétique dit « A » du gène fatty acid amide hydrolase (FAAH), qui correspond à la mutation rs324420, sont plus heureuses. Ce variant génétique réduit la sensation de la douleur et accroît le plaisir. Il existe une corrélation troublante entre la proportion d’individus qui se décrivent comme heureux dans un pays et la fréquence de la mutation génétique « A ». La neurogénétique ouvre des perspectives inédites qui font bouger les lignes philosophiques même si, bien sûr, la génétique n’est pas le seul déterminant du bonheur. Les sciences du cerveau bouleversent notre vision de la politique : dans quelle mesure les peuples sont-ils prisonniers de leurs caractéristiques neurogénétiques ? Les études internationales montrent d’ailleurs que le bonheur national n’est pas corrélé aux conditions objectives : les Français sont plus pessimistes que les Afghans et les Irakiens ! On retrouve une forte proportion de la mutation « A » favorable au bonheur dans les pays où les conditions sont dures. Comme si l’évolution darwinienne avait compensé le stress environnemental par des mutations favorables au bonheur. Le marketing politique va donc dépasser Twitter et Facebook : une adaptation du discours politique aux caractéristiques neurogénétiques de la population aurait du sens. L’impuissance des politiques à augmenter le bonheur national aurait donc aussi des causes génétiques. Aux Etats-Unis, certains prévenus se défendent en invoquant des arguments neurobiologiques : « Ce n’est pas moi qui ai tué, c’est mon cerveau ; ce n’est pas ma faute, c’est la faute de mes gènes .» François Hollande dira-t-il un jour : « Les Français sont mécontents, ce n’est pas de ma faute mais celle de leur ADN » ? p 2| 0123 Mercredi 3 février 2016 | SCIENCE & MÉDECINE | AC T UA L I T É Devenir adulte avec une maladie chronique | Préparer la transition des adolescents suivis dans un service de pédiatrie vers un service hospitalier adulte constitue un enjeu sanitaire important pour éviter les ruptures de soins médecine florence rosier I ls sont au moins 1 million de jeunes, entre 13 et 25 ans, à être atteints d’une maladie rare ou chronique en France. Depuis l’enfance, beaucoup sont suivis dans un service de pédiatrie à l’hôpital. « C’est un peu leur deuxième famille : ils connaissent très bien les médecins, les infirmières et le personnel soignant, qui les cocoonent », témoigne la professeure Agnès Hartemann, chef du service de diabétologie à l’hôpital de la PitiéSalpêtrière, à Paris. Mais ces enfants grandissent. Et vient le moment où ils doivent quitter cet univers rassurant pour rejoindre l’inconnu : le secteur adulte d’un autre hôpital, le plus souvent. « C’est un changement de famille », dit Agnès Hartemann. « On estime que 60 % de ces transferts posent problème », relève le docteur Nizar Mahlaoui, du service d’immunologie pédiatrique de l’hôpital Necker-Enfants malades, à Paris. Le 18 janvier, un séminaire était organisé sur ce thème par Necker et l’Hôpital européen Georges-Pompidou (HEGP), deux fleurons de l’Assistance publiqueHôpitaux de Paris (AP-HP). Comment, lors de ce transfert, éviter les ruptures de soins ? Comment favoriser l’autonomie de ces jeunes vis-à-vis de leur maladie et les aider à se projeter dans une vie personnelle d’adulte ? Ce moment charnière est jugé « très sensible », d’autant que l’adolescence est propice à un déni de la maladie et à des comportements à risque. « Les hôpitaux pédiatriques ont du mal à passer la main, et les jeunes patients ont du mal à s’imaginer dans un hôpital pour adultes », résume le professeur Eric Thervet, de l’HEGP. Premier constat : ces transitions, dont le nombre augmente, sont dues aux remarquables progrès de la prise en charge de ces enfants. « Entre 1982 et 2007, la proportion de jeunes atteints de mucoviscidose atteignant l’âge Pour les jeunes ayant reçu une transplantation rénale, le suivi des traitements chute après le transfert en secteur adulte. D’où un pic de rejets du greffon dans l’année qui suit de 18 ans est passée de 27 % à 56 % », selon une analyse du centre Cochrane. Pour autant, « ce n’est pas l’âge de 18 ans qui fait qu’on bascule vers une prise en charge dans le secteur adulte. C’est la maturation psychologique ou physique », souligne Nizar Mahlaoui. « Le problème de la transition est ancien pour le diabète de type 1. Mais il est plus récent pour les infections à VIH, les cardiopathies congénitales, la drépanocytose ou la mucoviscidose », note Antoine Rachas, médecin de santé publique à Deux jeunes patients dans la salle de jeux réservée aux adolescents atteints de cancer, à l’Institut Gustave-Roussy (Villejuif). JULIE BALAGUÉ POUR « LE MONDE » l’hôpital Bicêtre. Quid du devenir de ces enfants à l’âge adulte ? Peu d’études sont disponibles. Pour les jeunes ayant reçu une transplantation rénale, par exemple, le suivi (« observance ») des traitements chute après le transfert en secteur adulte. D’où un pic de rejets du greffon dans l’année qui suit. Atteint de mucoviscidose, Maxime, 15 ans, est pris en charge à Necker. Il y a un an, il a reçu une greffe pulmonaire à l’HEGP. « Depuis, je me sens mieux : je ne suis plus essoufflé quand je monte les escaliers, par exemple. » Maxime a moins de soins qu’avant, mais ses traitements médicamenteux restent lourds. « A l’HEGP, ils m’ont appris à faire mon semainier, à respecter les horaires. » Une responsabilisation cruciale pour la maman. « A Necker, j’étais la principale interlocutrice des équipes soignantes. C’est très différent à l’HEGP : après la greffe, on a demandé à Maxime de se prendre en charge. » Il est désormais bien plus investi dans son parcours de soins. Audrey, 41 ans, témoigne du « flottement » qu’elle a vécu à l’adolescence dans la prise en charge de sa maladie cardiaque congénitale. A l’âge de 7 ans, elle subit sa première intervention chirurgicale, suivie d’une deuxième opération à 14 ans, dans deux hôpitaux parisiens différents. A 17 ans, elle fait un arrêt cardiaque, pris en charge dans un troisième hôpital. « J’étais alors trop âgée pour être suivie en secteur pédiatrique, mais très jeune par rapport aux patients des services adultes », résume-t-elle. Le suivi de sa malformation cardiaque se délite. Pour ses études, elle part en province trois ans. « Je n’ai pas eu de réponse adaptée à ma situation. » A 36 ans, on lui diagnostique une fibrillation atriale avec une insuffisance cardiaque, qui nécessite plusieurs hospitalisations en urgence. « Ce n’est qu’à l’HEGP que j’ai finalement trouvé une réponse pluridisciplinaire. » Elle aura une troisième intervention chirurgicale à Necker dans un service… pédiatrique. La jeune femme propose plusieurs pistes d’amélioration : par exemple, identifier un référent médical unique ; mieux informer les médecins de ville ; délivrer très tôt un message aux parents et aux patients sur les modalités et la durée du suivi ; assurer une prise en charge psychosociale… Les « perdus de vue » sont la hantise des équipes médicales. « Ils viennent de l’absence d’un référent médical unique, estiment Magalie Ladouceur et Laurence Iserin, cardiologues à Necker et à l’HEGP, respectivement. Pour ces cardiomyopathies congénitales complexes, le suivi doit se faire dans un centre de référence. » Le 25 janvier, David, 18 ans, atteint de drépanocytose, s’est rendu pour la première fois à la consultation adulte du docteur Jean-Benoît Arlet, à l’HEGP. « J’étais un peu angoissé à l’idée de rencontrer un nouveau médecin qui ne savait En cancérologie, le maintien du lien L a cancérologie a ouvert la voie : dès 2002, une première unité adolescents et jeunes adultes (AJA) était créée à l’Institut Gustave-Roussy (IGR), à Villejuif. « Dans de nombreux hôpitaux, la prise en charge des 13-25 ans atteints de cancers n’est pas scindée entre les enfants et les adultes », se réjouit la docteure Nathalie Gaspar, pédiatre à l’IGR. Car ici plus qu’ailleurs la double expertise est cruciale : celle des oncologues des adultes et celle de leurs collègues spécialistes de l’enfant. A cela, une raison propre aux maladies cancéreuses. Les cancers qui frappent les enfants sont très différents de ceux qui touchent les adultes : ce sont des tumeurs du sang (des leucémies), des tumeurs cérébrales ou encore des cancers qui miment des tissus fœtaux, comme les néphroblastomes. Les cancers de l’adulte, eux, sont le plus souvent des carcinomes : des tumeurs du côlon, du poumon, du sein… quasi absentes chez l’enfant. Mais chez l’adolescent ? Les jeunes de 13-25 ans ont le triste privilège de pouvoir être affectés des cancers de l’enfant ou de l’adulte et de cancers qui leur sont propres (des sarcomes osseux, des lymphomes et des tumeurs du testicule ou de l’ovaire). « Nous avons besoin d’une collaboration très étroite entre les pédiatres et les oncologues de l’adulte. C’est pourquoi nous réfléchissons depuis longtemps à cette question de la transition », explique Nathalie Gaspar. Cette transition sera modulée selon le type de cancer. Un jeune de 23 ans atteint d’une tumeur pédiatrique sera plutôt traité en pédiatrie. A l’inverse, un adolescent de 17 ans ayant un carcinome tirera plus de bénéfices d’une expertise en oncologie de l’adulte et d’une prise en charge en pédiatrie. Grâce au deuxième plan Cancer, les 13-25 ans suivis à Gustave-Roussy bénéficient d’un autre appui : une unité mobile pour faire le lien entre la pédiatrie et les services adultes. Elle comprend deux médecins (un pédiatre et un oncologue pour adulte), une infirmière coordinatrice, deux psychologues, un éducateur spécialisé et une assistante sociale. « Nous assurons ainsi une meilleure continuité des soins, puisque ce sont les mêmes personnes que les jeunes retrouvent dans leur parcours de soins, dit Nathalie Gaspar. L’unité offre aussi un soutien global, important pour la transition. Cet axe devrait être développé avec le dernier plan Cancer. » Ici aussi, un programme d’éducation thérapeutique est proposé aux jeunes. Parmi les thèmes abordés : la douleur, l’image corporelle, l’alimentation, les addictions, la fertilité, la sexualité… L’infirmier, référent du jeune Quid des « perdus de vue » ou des arrêts de traitement ? « Ces problèmes existent en cancérologie, admet Nathalie Gaspar. Mais les jeunes disposent d’une multitude d’intervenants : ils peuvent choisir celui qui leur convient le mieux. En cas de rupture avec le milieu médical, on peut les “raccrocher” ainsi. L’infirmier coordinateur est essentiel : c’est le référent du jeune. » En fait, trois situations de transition sont à distinguer. Les deux premières posent généralement peu de difficultés. Les patients guéris devenus majeurs, tout d’abord : ils entrent dans un protocole de suivi à long terme des éventuelles séquelles de leur cancer ou de ses traitements, avec des consultations spécialisées. Les patients non guéris qui nécessitent un traitement au long cours, ensuite : le moment de la transition est décidé avec chaque jeune, selon ses souhaits, sa maturité, son type de cancer… Mais « une troisième situation n’est pas résolue, dit Nathalie Gaspar, celle des jeunes dont le cancer récidive de façon aiguë, à un âge où il ne peut plus être suivi en pédiatrie ». Dans ces situations délicates, les décisions doivent être très rapides. Pour autant, d’importants progrès ont été accomplis dans la prise en charge des cancers de l’enfant : dans les années 1960, seul un enfant sur cinq survivait cinq ans après un diagnostic de cancer. Aujourd’hui quatre enfants sur cinq survivent. « Mais les adolescents n’ont pas bénéficié des mêmes progrès, en raison de leur répartition entre services pédiatriques et adultes. » Un préjudice qui devrait s’effacer, grâce à cette continuité des soins. p f. r. rien de moi, mais il m’a tout expliqué, calmement. Depuis l’enfance, mes parents sont beaucoup derrière moi et, à Necker, j’ai été préparé à devenir autonome : je n’ai pas de problème pour suivre mes traitements. » Rencontrer des pairs ? « Petit, je me posais plein de questions ! Cela m’aurait intéressé de savoir comment les autres enfants vivaient avec cette maladie. » D’ailleurs, selon la professeure Marianne de Montalembert, pédiatre à Necker, la transition, pour ces jeunes atteints de drépanocytose, doit se préparer dès l’enfance, il faut se projeter dans l’avenir. « Dès l’annonce du diagnostic, je dis aux parents : “Quand votre enfant aura des enfants, un travail…” » A Necker, des programmes d’éducation thérapeutique pour les parents et les enfants ont été mis en place ; et à l’HEGP pour les jeunes adultes. D’une autre ampleur est le défi posé par les maladies génétiques rares. « Plus de 25 000 enfants sont suivis pour une de ces maladies à l’Institut Imagine, à Necker, relève le professeur Arnold Munnich, pédiatre et généticien. L’affection dont souffre chacun d’entre eux est unique. » Dans 70 % des cas, aucun diagnostic précis n’est posé. Ces enfants ont souvent un polyhandicap, et leur prise en charge est complexe, mobilisant plusieurs spécialistes. « Ce sont des enfants qui dérangent, souligne Arnold Munnich. Faut-il les maintenir dans un univers pédiatrique ? Nous suivons des jeunes de 25, 30 ou 35 ans qui ne veulent pas nous quitter ! Le projet médico-social est souvent au centre du projet thérapeutique, mais, pour les adultes, les structures médico-sociales font souvent défaut. » Depuis 2015, la Fondation Hôpitaux de ParisHôpitaux de France développe un programme « Transition adolescents jeunes adultes ». « Les directeurs de CHU ont été très motivés pour répondre à notre appel d’offres national », se réjouit Danuta Pieter, déléguée générale de la Fondation. Neuf projets ont été retenus, à hauteur de 1 million d’euros. Parmi eux, le projet phare de Necker : « Il a pour ambition de fédérer les ressources existantes au sein de l’AP-HP et de répondre aux besoins identifiés », note le docteur Mahlaoui, coordinateur de ce projet. Trois axes seront développés. Pour les équipes médicales, il s’agira notamment de créer des outils qui manquent : un annuaire recensant les partenaires labellisés ou encore les dossiers numérisés des jeunes patients. Pour les adolescents, le projet prévoit un espace réel et virtuel. Les outils numériques comprendront un site Internet avec des ressources vidéo, des applications smartphones… Quant au lieu de vie, ce sera un espace indépendant au cœur de l’hôpital Necker, qui devrait être prêt en septembre. Il proposera un accueil par un coordinateur qualifié, des consultations individuelles de socio-esthétique, de dermatologie, de gynécologie… Des groupes de parole et des ateliers-débats sont aussi prévus, par exemple sur le thème : « Sport et maladie chronique, c’est possible ! » Pour faire de ce moment sensible un passage réussi vers l’âge adulte. p AC T UA L I T É | SCIENCE & MÉDECINE | Calculs astronomiques à Babylone | Des tablettes montrent que les Babyloniens possédaient déjà une maîtrise suffisante de la géométrie pour calculer la course de Jupiter, quatorze siècles avant les Européens archéologie denis delbecq N e jamais jeter de vieilles images, surtout quand elles représentent des objets très anciens. C’est grâce à des photographies de tablettes babyloniennes qu’un historien de l’astronomie, Mathieu Ossendrijver, vient de découvrir à quel point les mathématiciens de l’époque pratiquaient l’abstraction. Des travaux qui ont eu les honneurs de la couverture du magazine Science le 29 janvier. Au XIXe siècle, époque majeure pour les fouilles archéologiques – officielles et sauvages –, quantité d’objets sont venus enrichir les collections des musées. C’est ainsi que le British Museum, à Londres, possède plus de 130 000 tablettes d’argile provenant des cités de Babylone et d’Uruk. Gravées de lignes serrées en écriture cunéiforme – et vierges de représentations graphiques –, elles nous ont beaucoup appris sur la vie quotidienne, l’économie, les mathématiques ou le droit mésopotamiens. Parmi ces tablettes plus ou moins bien conservées, quelques centaines seulement démontrent l’intérêt des mathématiciens de Babylone pour l’astronomie. « En 2014, l’assyriologue Hermann Hunger, de l’université de Vienne, est venu passer deux semaines dans mon laboratoire de l’université Humboldt à Berlin, raconte Mathieu Ossendrijver, Les Babyloniens avaient observé que les planètes et le Soleil se déplacent suivant une ligne, que nous appelons écliptique astrophysicien converti à l’histoire de sa discipline. Il avait apporté un jeu de photos vieilles d’une cinquantaine d’années, qu’il m’a laissé, estimant ne rien pouvoir en faire. » Le chercheur a découvert que l’une d’entre elles portait des nombres identiques à ceux qu’il avait observés sur un lot de quatre tablettes fabriquées entre 350 et 50 ans avant J.-C., qui l’occupait depuis quatorze ans : quatre plaques gravées de calculs évoquant la méthode des trapèzes, une technique géométrique qui permet de calculer des surfaces. De leur 0123 Mercredi 3 février 2016 |3 télescope Recherche Une médaille d’or retirée au biologiste Olivier Voinnet L’Organisation européenne de biologie moléculaire (EMBO) a décidé de retirer au biologiste Olivier Voinnet sa médaille d’or attribuée en 2009. Le Français, détaché du CNRS à l’ETH Zurich, a dû rétracter à ce jour sept articles et procéder à vingt et une corrections en raison de manipulations de données et de figures qui ont conduit à des sanctions du CNRS et un avertissement de l’ETH. L’EMBO a, de son côté, examiné les publications soumises pour l’obtention de la médaille d’or, et y a découvert d’autres manipulations, qu’elle a jugé « inacceptables ». La Fondation nationale suisse des sciences a récemment annoncé qu’elle suspendait pour trois ans les financements octroyés à Olivier Voinnet. Immunité Le fluide vaginal maternel restitue la flore de bébés nés par césarienne En tamponnant la bouche, le visage et le corps de bébés nés par césarienne avec le fluide vaginal de leurs mères lors de l’accouchement, il est possible de restaurer partiellement leue microbiote. C’est ce que montre une étude menée par une équipe américaine, qui a suivi pendant trente jours l’évolution des communautés microbiennes dans la bouche, les intestins et sur la peau des nouveau-nés. Cette expérience était motivée par le fait que le microbiote des enfants nés par césarienne est différent de celui de ceux nés par voie basse, et que la césarienne est associée à un risque accru de troubles immunitaires ou métaboliques. > Dominguez-Bello et al., « Nature Medicine », 1er février. Tablette babylonienne (entre 350 et 50 av. J.-C.). TRUSTEES OF THE BRITISH MUSEUM/ MATHIEU OSSENDRIJVER contexte, M. Ossendrijver n’avait qu’une certitude : elles mentionnaient Jupiter. La cinquième tablette lui a permis de résoudre l’énigme. Elle décrit en détail la procédure de calcul appliquée dans les quatre autres, l’algorithme mis en œuvre pour déduire la distance parcourue par Jupiter sur l’écliptique, à partir de l’évolution de sa vitesse angulaire au fil du temps. Des calculs qui portent sur les soixante premiers jours du cycle de la planète, qui démarre quand elle commence à être visible dans le ciel, juste avant l’aube. Les Babyloniens n’avaient aucune idée de la géométrie de notre Système solaire, et encore moins des lois qui gouvernent le mouvement des astres ou de la notion de plan de l’écliptique, celui dans lequel la Terre tourne autour du Soleil. Mais ils avaient observé que, vus de la Terre, les planètes et le Soleil se déplacent suivant une ligne dans le ciel, que nous appelons écliptique. Leurs calculs astronomiques se bornaient donc à prévoir quand une planète apparaît ou disparaît et à estimer la vitesse angulaire de son déplacement sur cette ligne. Une trajectoire qui forme une boucle, suivant l’illusion optique liée au mouvement relatif de la planète et de la Terre : l’astre commence par suivre une ligne droite, puis ralentit et repart dans l’autre sens, en accélérant, tout en dessinant une boucle – c’est le mouvement rétrograde –, avant de ralentir et d’achever son mouvement rétrograde en accélérant à nouveau dans la direction de départ. « Ces tablettes montrent comment les Babyloniens calculaient le déplacement de Jupiter, en supposant que sa vitesse varie de manière linéaire dans le temps », explique le Danois Jens Horup, l’un des meilleurs spécialistes des mathématiques babyloniennes, qui salue « le travail remarquable de Mathieu Ossendrijver ». « Cela revient à tracer la courbe qui représente la variation de vitesse en fonction du temps, puis à calculer la surface sous cette courbe qui correspond à la distance parcourue. » Ce que les mathématiciens appellent un calcul intégral, pour lequel le découpage de cette surface en trapèzes est un outil simple, mais efficace en première approximation. « Mais attention, cela ne signifie pas que les mathématiciens de l’époque faisaient des schémas, on n’en a jamais retrouvé. C’est simplement une astuce de calcul », souligne de son côté Jim Ritter, de l’Institut de mathématiques de Jussieu, à Paris. A dire vrai, personne n’est capable de dire s’il s’agissait bien de calculs à vocation astronomique ou de la simple application de la méthode des trapèzes à l’exemple de la trajectoire de Jupiter, planète qui symbolise Mardouk, le plus important des dieux babyloniens. « Dans les tablettes, il s’agit de déterminer en combien de jours Jupiter parcourt la moitié de la distance qu’elle accomplit en soixante jours, ce qui revient à déterminer deux trapèzes de même surface. La réponse est d’un peu plus de vingt-huit jours, puisque la vitesse n’est pas constante, mais elle n’a pas d’intérêt en astronomie », souligne Mathieu Ossendrijver. Pour autant, ces tablettes montrent que les Babyloniens, s’ils ne maîtrisaient pas la géométrie comme les Grecs le feront plus tard, possédaient déjà une capacité à l’abstraction suffisante pour effectuer des calculs dans un espace mathématique abstrait dont l’une des dimensions est le temps. « C’est le plus ancien exemple de lien entre un raisonnement géométrique et l’astronomie mathématique. Et, même si on ne sait pas s’il s’agit simplement d’un algorithme, le vocabulaire employé dans les tablettes est bien géométrique », se réjouit Jim Ritter. Après l’abandon de l’écriture cunéiforme, vers l’an 100 de l’ère chrétienne, qui signa l’oubli du savoir babylonien, un tel lien ne réapparaîtra qu’au XIVe siècle, chez les philosophes mathématiciens d’Oxford et de Paris. p Génétique Des souris mâles fertiles sans chromosome Y Une équipe franco-américaine a produit des souris mâles dépourvues de chromosome Y, en faisant s’exprimer deux gènes-clés de la masculinisation sur d’autres chromosomes. Monika Ward (université d’Hawaï) et ses collègues avaient déjà montré que seuls deux gènes du chromosome Y, Sry et Eif2s3, étaient nécessaires pour produire des souris mâles capables d’avoir une descendance par procréation assistée. Cette fois, les souris ont été génétiquement modifiées pour être dépourvues de chromosome Y, tandis que les gènes de masculinisation étaient surexprimés sur les chromosomes X et 9. Les souris mâles obtenues produisaient des gamètes incomplètement formées, qui par implantation ont permis la naissance de souriceaux eux aussi fertiles. (PHOTO : YASUHIRO YAMAUCHI.) > Yamauchi et al., « Science », 29 janvier. L’embryon humain dans la mire de Crispr Le Royaume-Uni autorise cette technique d’ingénierie du gène sur un œuf fécondé U ne équipe de l’Institut Francis-Crick, à Londres, a reçu le 1er février de l’Autorité pour l’embryologie et la fertilisation humaine britannique (HFEA) l’autorisation de procéder à des manipulations sur des embryons humains, à l’aide de la technique d’ingénierie du gène CrisprCas9. En avril, une équipe chinoise avait annoncé l’avoir utilisée sur des embryons humains non viables, pour voir si elle permettrait d’enrayer une maladie génétique du sang, la bêta-thalassémie. Cette annonce avait suscité des débats sur la possibilité de créer des bébés génétiquement modifiés et d’altérer la lignée humaine en modifiant les cellules germinales. L’autorisation donnée par la HFEA va sans nul doute relancer les discussions sur le spectre d’une forme d’eugénisme. Il s’agit en l’espèce de permettre à l’équipe de Kathy Niakan de désactiver de façon sélective certains gènes qui, chez les modèles animaux, sont considérés comme cruciaux dans le développement de l’embryon et la différenciation de ses premières cellules en divers tissus – l’individu à naître d’un côté, le placenta de l’autre. CrisprCas9 serait mis en œuvre sur l’embryon au stade de la première cellule (premier jour), et sa croissance serait stoppée au bout d’une semaine, quand il compte 250 cellules. Il n’est pas question d’implanter ces embryons dans un utérus, mais d’observer les anomalies induites par le « knock-out », l’inactivation des gènes ciblés, dans le but de mieux comprendre certaines formes d’infertilité. Les embryons utilisés seraient issus de dons effectués par des couples ayant dû avoir recours à des fécondations in vitro (FIV). Il faudrait de 20 à 30 embryons par gène étudié, estime l’équipe de l’institut Crick. Générations futures Le Royaume-Uni autorise depuis 2009 les recherches fondamentales sur des embryons humains. Il a aussi autorisé début 2015 la fécondation in vitro « à trois parents » : l’ADN mitochondrial d’une donneuse serait introduit dans l’œuf pour éviter des maladies métaboliques. Le pays n’est pas signataire de la convention d’Oviedo (1997), ratifiée par la plupart des Etats européens, dont la France, qui interdit « toute modification génique sur des embryons qui serait transmise aux générations futures ». En décembre 2015, une réunion internationale convoquée à Washington à l’initiative de sociétés savantes américaine, britannique et chinoise, s’était conclue par un appel à un moratoire sur les manipulations de l’ADN des cellules sexuelles et de l’embryon, jugeant qu’aujourd’hui, pour des raisons techniques et éthiques, « il serait irresponsable de poursuivre tout usage clinique de l’édition de cellules germinales ». En l’occurrence, les travaux envisagés par Kathy Niakan s’inscrivent dans un cadre de recherches fondamentales auxquelles cette déclaration n’était pas opposée. Cette réunion avait montré qu’au sein même des promoteurs de Crispr-Cas9, certains étaient favorables à son utilisation sur l’embryon, quand d’autres étaient fermement contre. L’autorisation donnée par la HFEA ne vaut pas feu vert définitif. Un comité d’éthique doit encore se prononcer avant que l’expérimentation puisse commencer, en principe d’ici quelques mois. En France, plusieurs sociétés savantes préparent des avis sur l’utilisation de Crispr-Cas9 sur les cellules germinales et l’embryon humains. p hervé morin Dans l’ êt de la science mathieu vidard arré la tête au c 14 :00 -15 :00 avec, tous les mardis, la chronique de Pierre Barthélémy 4| 0123 Mercredi 3 février 2016 | SCIENCE & MÉDECINE | ÉVÉNEMENT Zika Aedes albopictus L’épidémie en 10 questions virologie Ce virus, transmis par les moustiques du genre «Aedes», envahit les Amériques et les Caraïbes. A l’heure où des cas sont importés en Europe, éclairage sur la provenance, les symptômes et les risques L’ sandrine cabut et pascale santi inquiétude monte face au virus Zika. Se propageant de manière explosive, il est fortement soupçonné de causer des troubles neurologiques, le syndrome de Guillain-Barré, et des malformations congénitales, les microcéphalies. Lundi 1er février, à l’issue d’une réunion d’experts, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a décrété que l’épidémie constitue « une urgence de santé publique de portée mondiale ». Transmis par des moustiques, comme la dengue ou le chikungunya, ce virus a déjà touché 1,5 million de personnes au Brésil, et 3 à 4 millions de cas sont attendus sur le continent américain en 2016. Des cas importés ont été identifiés en Europe, dont cinq en France métropolitaine. Accusée d’avoir réagi trop faiblement lors de l’épidémie d’Ebola, l’OMS a annoncé des recommandations pour mieux lutter contre cette nouvelle menace. L’une des priorités est d’accroître la surveillance des cas de syndromes de Guillain-Barré et des microcéphalies dans les zones touchées par le Zika, afin de déterminer si celui-ci est directement en cause, ou s’il existe d’autres facteurs. L’OMS prône une intensification des recherches pour mettre au point des traitements, un vaccin et de nouveaux tests de diagnostic. Aucune mesure de restriction des voyages et des échanges commerciaux n’est en revanche envisagée. En dix questions, tour d’horizon sur un virus qui pose de nouveaux défis. elle aurait touché les trois quarts de la population. D’autres ont suivi, en Polynésie française d’octobre 2013 à avril 2014, et au Brésil, depuis mai 2015. Les premiers cas brésiliens ont été décrits dans deux articles publiés en mai et juin 2015. Depuis octobre 2015, le virus s’est propagé dans des pays d’Amérique centrale. La Guyane et la Martinique sont à leur tour en phase épidémique. « C’est la troisième épidémie d’arbovirose après la dengue et le chikungunya, et probablement pas la dernière. La diffusion du Zika a été extrêmement rapide à l’échelle planétaire », souligne François Bourdillon, directeur général de l’Institut national de veille sanitaire (InVS). Le recueil de données se poursuit pour affiner les modèles visant à décrire l’évolution de l’épidémie et évaluer les moyens pour la juguler et prendre en charge les malades. Mais, note Simon Cauchemez, spécialiste de la modélisation à l’Institut Pasteur, il faudra encore « quelques semaines » pour proposer des scénarios étayés. Est-ce un virus mutant ? C’est ce qui pourrait expliquer l’explosion récente des cas, selon des experts cités dans New Scientist. L’hypothèse semble cependant peu probable aux yeux d’autres spécialistes. L’analyse du génome entier du virus Zika qui circule au Brésil montre une similitude « quasi complète » avec les souches à l’origine de l’épidémie qui a sévi en 2013 et 2014 dans le Pacifique, selon une étude parue dans The Lancet le 16 janvier, menée par les chercheurs de l’Institut Pasteur de Guyane. D’où vient Zika, et jusqu’où ira-t-il ? Comment reconnaître la maladie ? Le Zika est un arbovirus transmis par la piqûre de moustiques du genre Aedes aegypti (ou albopictus). De la famille des flavivirus, comme ceux de la dengue ou de la fièvre jaune, le Zika a été identifié pour la première fois chez un singe macaque rhésus dans une forêt ougandaise en 1947. Il a ensuite été isolé chez l’homme en 1952, en Ouganda et en Tanzanie. La première épidémie s’est déclarée dans les îles Yap (Micronésie) en 2007, où L’infection est asymptomatique dans les trois quarts des cas. Les symptômes, quand ils existent, apparaissent trois à douze jours après la piqûre, sous forme d’éruption cutanée avec ou sans fièvre. A cela peuvent s’ajouter fatigue, maux de tête et courbatures, laissant penser à un syndrome grippal. Le virus peut aussi se manifester par une conjonctivite, un œdème des mains ou des pieds. Ces symptômes disparaissent généralement en deux à sept jours, précise l’OMS. A priori, l’infection est immunisante, ce qui signifie qu’on ne peut pas contracter deux fois le virus. Zika et ses conséquences chez l’homme restent toutefois mal connus, concèdent les spécialistes. Comment la détecter ? Les gènes du virus peuvent être repérés par des analyses sanguines, d’urine ou de salive. Mais la fenêtre est étroite. « Le virus est présent dans le sang entre trois à cinq jours, dans les urines pendant environ dix jours, dans la salive entre trois à cinq jours. Il n’y a pas de données sur le lait maternel », explique Isabelle Leparc-Goffart, coordinatrice du Centre national des arbovirus (CNR-IRBA). Le CNR devrait fournir prochainement des données plus précises. En cas de résultat négatif malgré des symptômes évocateurs d’une infection à virus Zika, un diagnostic sérologique (recherche d’anticorps) est effectué par les seuls CNR (1 en Guyane et 1 en France métropolitaine, à Marseille, qui en a déjà réalisé plus de 1 000). La circulation concomitante de la dengue et du chikungunya (proches du Zika) complique le diagnostic, tant clinique que biologique. Quels sont les risques pour une femme enceinte ? C’est l’un des principaux sujets de préoccupation. Même si la preuve n’est pas encore formellement établie, il est désormais hautement probable qu’une infection par le virus Zika pendant la grossesse peut entraîner de graves anomalies du développement cérébral, comme les microcéphalies (trop petite taille du cerveau et du périmètre crânien, souvent associée à des lésions cérébrales). Les atteintes les plus sévères peuvent conduire à une mort in utero ou dans les premiers jours de vie. Début 2016, parallèlement à la flambée épidémique du Zika, les autorités sanitaires locales du Brésil ont recensé plus de 4 000 cas suspects de microcéphalie, soit une multiplication par 20 à 30 par rapport aux années précédentes. « Les microcéphalies peuvent relever de plusieurs causes, notamment toxiques, génétiques ou infectieuses. Mais au Brésil, la corrélation de l’excès de cas avec l’épidémie d’infection à Zika, dans le temps et dans l’espace, est très suggestive d’un lien de cause à effet, souligne Jet De Valk, responsable de l’unité zoonoses et maladies à transmission vectorielle à l’InVS. Dans plusieurs cas, du virus Zika a été mis en évidence dans le liquide amniotique, ce qui est un argument supplémentaire. » Des études sont en cours pour établir formellement le lien. « Pour d’autres virus, comme le cytomégalovirus, le placenta joue un rôle de barrière. Une infection de la femme enceinte n’est donc pas toujours transmise à son fœtus. Il est établi que les atteintes pour l’enfant à naître dépendent du moment où le virus atteint le fœtus, dit le professeur Yves Ville, chef de la maternité de l’hôpital Necker (AP-HP), à Paris. Quand l’infection est précoce, au premier trimestre, c’est souvent la loi du tout ou rien : soit aucune lésion, soit une atteinte majeure, qui aboutit souvent à une fausse couche. Un passage plus tardif peut avoir des conséquences plus modestes (retard de croissance intra-utérin) et réversibles. Il en va sans doute de même pour Zika. » Que faire pendant la grossesse ? Le message est clair : en France, la ministre de la santé, Marisol Touraine, déconseille aux femmes enceintes de se rendre dans les zones touchées. Le Haut Conseil de santé publique (HCSP) a actualisé ses recommandations sur ce virus le 22 janvier. Celles-ci comprennent l’organisation « d’une information, d’un suivi et d’une prise en charge renforcés de toutes les femmes enceintes dans les zones d’épidémie du virus Zika, que ces femmes soient ou non suspectes d’infection par le virus Zika ». Le HCSP préconise la mise en place « d’un système de surveillance et d’alerte spécifique à la détection d’anomalies congénitales neurologiques ou non ». La microcéphalie peut être suspectée en échographie au deuxième semestre de grossesse. Il existe un test diagnostique de l’infection fœtale par l’isolement du virus dans le liquide amniotique après amniocentèse. En Martinique, où les premiers cas autochtones de Zika ont été détectés en décembre 2015, six femmes enceintes in- Les « Aedes », moustiques à haut risque A edes aegypti, Aedes albopictus… Ces deux noms latins cachent des bestioles aussi inquiétantes que mystérieuses. Imaginez : la Terre compte quelque 3 500 espèces de moustiques. Parmi elles, seule une centaine sont « anthropophiles », autrement dit se gavent de sang humain. Et, au sein de cette minorité, deux espèces véhiculent la fièvre jaune, la dengue, le chikungunya et le Zika, tuant environ 60 000 personnes chaque année. En termes de mortalité humaine, on reste loin de l’hécatombe provoquée par les moustiques du genre anophèle, vecteurs du paludisme et responsables de 435 000 morts en 2015. Mais la plasticité de ces insectes, le nombre de virus dangereux qu’ils transportent et leur expansion à travers le monde à la faveur du réchauffement climatique et de la mondialisation des échanges rendent urgente la compréhension du phénomène. Au commencement était la forêt. La canopée africaine pour aegypti, la jungle asiatique pour albopictus (le moustique-tigre). Comme d’autres espèces du genre Aedes, les deux cousins se nourrissaient de sucs de plantes, sauf qu’avant la ponte les femelles allaient se gorger de sang animal, essentiellement les singes, pour disposer des protéines nécessaires. Quand sont apparus les terribles virus ? On l’ignore, mais il est clair qu’ils ont trouvé avec Aedes un hôte de choix. « C’est ce qu’on appelle une coévolution », explique Anna-Bella Failloux, responsable du groupe arbovirus et insectes vecteurs à l’Institut Pasteur. Ingéré lors du repas sanguin par le moustique, le virus doit, pour prospérer, franchir une double barrière en principe hermétique. Sauf à disposer de la bonne clé. « Les deux se sont trouvés, le virus a pu passer de l’estomac au sang du moustique, l’infecter sans le tuer, puis dans les glandes salivaires, prêt à contaminer une prochaine victime », poursuit la chercheuse. Quand les hommes sont entrés dans la forêt, « certains moustiques en ont profité, se sont spécialisés, raconte Frédéric Simard, entomologiste à l’IRD de Montpellier. Avec la destruction forestière, ils ont gagné la ville et trouvé là un supermarché à portée de la trompe. Une source de nourriture inépuisable, pas ou peu de prédateurs et des gîtes larvaires à profusion. » En effet, les moustiques pondent dans de petites réserves d’eau où les larves se développeront. En forêt, ce sont les trous d’arbre, où des prédateurs les menacent. En ville, les pots de fleurs, les gouttières ou l’intérieur des vieux pneus… « Ils se jouent des insecticides » Encore fallait-il s’adapter à ce nouveau milieu. « Les Aedes sont très forts. Ils ont vaincu les polluants comme ils se jouent aujourd’hui des insecticides », souligne Frédéric Simard. Ne s’éloignant pas de plus de 300 mètres de leur base, ils ont su profiter des échanges internationaux pour se répandre. Partis d’Afrique, les aegypti, ou plutôt leurs œufs (capables de rester au sec de longs mois avant d’éclore en milieu humide), ont gagné l’Asie par la route du commerce et l’Amérique du Sud dans les bateaux chargés d’esclaves, tandis que les albopictus quittaient l’Asie pour l’Afrique, l’Amérique, puis l’Europe. « Ils seraient arrivés des Etats- Unis à Gênes dans un stock de pneus », assure Anna-Bella Failloux. Si la chercheuse emploie un conditionnel, c’est que la connaissance reste parcellaire. Réalisée en 2005, la synthèse du génome d’aegypti a laissé de nombreux points obscurs. Celle d’albopictus n’est toujours pas achevée. Parcellaire et évolutive. Il y a encore vingt ans, aegypti, identifié dès 1900 comme vecteur de la fièvre jaune, puis de la dengue, semblait la menace la plus sérieuse. « On s’est aperçu que pour la dengue et le chikungunya albopictus était au moins aussi performant pour la transmission et qu’en plus il était capable de s’adapter aux climats tempérés, ajoute Frédéric Simard. Avec Zika, c’est la même chose. On l’a d’abord retrouvé chez aegypti. Mais nos travaux de 2014 montrent que lors de l’épidémie de dengue de 2007, au Gabon, il y avait du Zika, et que le coupable était albopictus. » Entre les deux moustiques, le match est donc ouvert. Il a déjà fait exploser l’épidémie de dengue. Avec Zika, ils ont trouvé un nouveau terrain de jeu. p nathaniel herzberg TAÏWAN 1 ILE DE YAP, MICRONÉSIE 2007 Première épidémie recensée 5 000 infections 6 AUSTRALIE CONCEPTION ET RÉALISATION : EUGÉNIE DUMAS ET SYLVIE GITTUS-POURRIAS SOURCES : OMS ; PAN AMERICAN HEALTH ORGANIZATION ; CELLULE INTERRÉGIONALE D’ÉPIDÉMIOLOGIE ANTILLES-GUYANE ; EUROPEAN CENTRE FOR DISEASE PREVENTION AND CONTROL ; EUROSURVEILLANCE.ORG ; TAIWAN CENTERS FOR DISEASE CONTROL ; BULLETIN EPIDEMIO, RÉSEAU DES MÉDECINS SENTINELLES DE NOUVELLE-CALÉDONIE ; THE LANCET ; THE ROYAL SOCIETY PUBLISHING ; INSTITUT PASTEUR ; LE MONDE fectées par le virus ont déjà été repérées, qui vont bénéficier de ce suivi renforcé, précise Martine Ledrans, responsable de la cellule de l’InVS Antilles-Guyane. Face aux nombreux appels de femmes enceintes revenant d’une zone épidémique, Yves Ville a ouvert une consultation spécialisée Zika à Necker, le 1er février. Quelles sont les autres complications de l’infection ? La survenue d’un syndrome de Guillain-Barré (SGB) est l’autre motif de préoccupation. Dû à une atteinte des racines nerveuses, ce syndrome associe des douleurs – musculaires et sur des trajets de nerfs –, des troubles sensitifs (picotements…) et surtout des paralysies d’intensité variable. Après une phase d’extension et de plateau, qui peut durer plusieurs semaines, les signes disparaissent dans 80 % des cas. L’atteinte des muscles respiratoires est la plus redoutée : elle conduit à une assistance respiratoire chez environ 20 % des malades. Le SGB est rare, sa prévalence est de l’ordre de 1 à 2 cas pour 100 000 personnes en Europe. Il est précédé dans plus de la moitié des cas par des symptômes infectieux, et de nombreux germes, bactéries ou virus se trouvent à son origine : grippe, cytomégalovirus… C’est aussi une complication de certaines vaccinations. Des dizaines de cas de SGB possiblement liés à une infection par Zika sont en cours d’investigation. « Aux Antilles, les agences régionales de santé ont évalué les capacités des services de réanimation et les CHU se préparent pour faire face. Par exemple, en Martinique, une soixantaine de cas de syndrome de Guillain-Barré pourraient survenir, si l’on se fonde sur la fréquence des cas survenus en Polynésie », indique Jet De Valk. Ces données, concernant 42 patients, ont été analysées par l’équipe du professeur Arnaud Fontanet (unité d’épidémiologie des maladies émergentes, Institut Pasteur) pour mieux caractériser les SGB liés au virus Zika. Les résultats devraient être publiés dans les prochaines semaines. ÉVÉNEMENT | SCIENCE & MÉDECINE | 0123 Mercredi 3 février 2016 |5 La mondialisation d’un virus identifié en Ouganda dès 1947 SUÈDE 1 DANEMARK 1 ROYAUME-UNI 2,8 millions de voyageurs 3 FRANCE 5 Océan Atlantique ETATS-UNIS Janvier 2016 Océan Pacifique 4 SUISSE 1 ITALIE 2 ESPAGNE 2,8 millions de voyageurs 12 10 PAYS-BAS 2 ALLEMAGNE x EGYPTE RÉP. DOMINICAINE PORTO RICO SAINT-MARTIN CAP-VERT HAÏTI 5 10 1 GUADELOUPE 1 2 1 10 GUATEMALA x SÉNÉGAL 17 1 MARTINIQUE HONDURAS SALVADOR 3 BARBADE x SIERRA LEONE VENEZUELA GUYANE 4 PANAMA 4 10 Seuil épidémiologique En état d’alerte, COLOMBIE près de 11 000 GUYANA 6 59 atteint sur le littoral MEXIQUE 3 cas déclarés EQUATEUR 6 1,5 million BOLIVIE 1 POLYNÉSIE FRANÇAISE 2013-2014 6 32 000 cas suspects, 383 cas confirmés OUGANDA 1947 x TANZANIE Depuis mai 2015 600 cas suspects x GABON Cas recensés aussi en 2007 BRÉSIL ILES COOK 2014 NOUVELLE-CALÉDONIE 82 000 voyageurs SURINAM x RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE Découverte du virus chez un macaque rhésus vivant dans la forêt Zika de cas suspectés 4 180 cas de microcéphalie (27 janvier) Océan Indien PARAGUAY ILE DE PÂQUES 2014 1 cas 2014-2015 138 cas confirmés 1,9 million de voyageurs Une épidémie majeure en Amérique du Sud Nombre de cas confirmés (fin janvier 2016) Un virus transmis par des moustiques «Aedes» d’origine tropicale Lieu où le virus a été identifié pour la première fois Epidémie déclarée BRÉSIL Pays à risque de contamination (fin janvier 2016) Principaux flux de voyageurs en provenance du Brésil pouvant favoriser la propagation du virus x Zone d’implantation des moustiques : Aedes aegypti Aedes albopictus dit « moustique-tigre » (septembre 2014-août 2015) La transmission est-elle possible entre humains ? « La transmission est presque exclusivement vectorielle », note le rapport du HCSP. Un cas de transmission par voie sexuelle a été rapporté dans la littérature. Six jours après son retour d’un voyage au Sénégal en 2008 pour des travaux sur le paludisme, un chercheur américain présente des signes cliniques préoccupants. Quatre jours plus tard, c’est au tour de son épouse restée aux Etats-Unis. Tous deux sont infectés. Une autre étude mentionne la présence du virus dans le sperme d’un homme de 44 ans vivant à Tahiti, quinze jours après le début des symptômes. Des arguments insuffisants, selon les autorités, pour prouver une transmission par contact sexuel. Des cas d’infection lors d’accouchements ont été rapportés, sans conséquences pour le nouveau-né. Quant à la transmission par transfusion sanguine, jamais mise en évidence, le risque ne peut être écarté. « L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) met en place des mesures qui prennent en compte ce risque », dit Jet De Valk. Des traitements ou vaccins sont-ils disponibles ? Non. Dans une interview à l’agence Reuters, Gary Kobinger, un chercheur de l’université Laval (Québec) a indiqué qu’un vaccin contre le Zika pourrait être testé chez l’homme à partir de septembre, et mis à disposition avant la fin de l’année. Il s’agit d’un vaccin à ADN, issu d’une collaboration entre l’université de Pennsylvanie, le groupe pharmaceutique Inovio et le sudcoréen GeneOne Life Science. Sanofi Pasteur, la division vaccins de Sanofi, a annoncé le 2 février qu’il se lançait dans la recherche d’un vaccin contre le virus. « Il n’y aura probablement pas de vaccin sûr et efficace contre le virus Zika avant plusieurs années », a toutefois déclaré Anthony Fauci, directeur de l’Institut américain des allergies et maladies infectieuses (Niaid). Le Niaid explore plusieurs approches, l’une avec un vaccin à ADN, fondé sur son expérience d’un vaccin pour le vi- Apparition des premiers cas humains dans les années 1970 L’installation des « Aedes » en Europe à la faveur du réchauffement climatique Premiers repérages du moustique-tigre en Europe dans les années 2000 Projection de la zone d’implantation du moustique-tigre en 2050 (scénario A2 du GIEC, + 4 °C) Localisation des premiers foyers épidémiques Trajets ayant favorisé la propagation du virus rus West Nile, une autre avec un virus atténué. Dans un article publié le 13 janvier dans le New England Journal of Medicine, Anthony Fauci souligne que la recherche d’un vaccin protégeant contre le Zika pourrait bénéficier des technologies utilisées pour d’autres flavivirus. De tels vaccins risquent cependant d’être confrontés aux mêmes écueils, poursuit le patron du Niaid. « Comme ces épidémies sont sporadiques et imprévisibles, une vaccination élargie en prévention d’une flambée serait d’un coût prohibitif avec un rapport coût/ efficacité faible. Quant à l’option de constituer des stocks, elle ne pourrait probablement pas permettre de répondre assez rapidement à une épidémie explosive. » En l’absence de traitement, les recommandations sont d’éliminer les gîtes potentiels de moustiques (vider, nettoyer ou couvrir tous les contenants susceptibles de retenir l’eau, comme les seaux, les pots de fleurs, pneus, afin d’éliminer les endroits où les moustiques peuvent se reproduire). Les habitants sont invités à privilégier les vêtements longs, clairs, et à utiliser répulsifs et moustiquaires. « Les Martiniquais, qui connaissent bien ces moustiques et ont vécu une épidémie de chikungunya en 2014, savent comment empêcher leur prolifération. Mais il faut une prise de conscience des populations de la nécessité impérieuse de lutter contre les Aedes », martèle Martine Ledrans. D’autant que ces moustiques deviennent de plus en plus résistants aux insecticides. La métropole doit-elle s’inquiéter ? Pour l’heure, cinq cas importés ont été recensés, mais des transmissions autochtones sont actuellement exclues, le moustique tigre présent dans le sud de la France n’étant actif que de mai à novembre. Il est alors possible que de petits foyers s’y déclarent, comme pour le chikungunya et la dengue, soulignent plusieurs spécialistes. Mais une véritable épidémie leur semble peu probable, car les concentrations de moustiques sont bien plus faibles en France que sous les tropiques, de même que les concentrations humaines. p La Polynésie française, un avant-poste d’observation du virus L’ épidémie de Zika s’est achevée en Polynésie française un an avant l’apparition du virus au Brésil. Une antériorité qui place le territoire français du Pacifique à l’avant-poste de la lutte contre l’arbovirus. Entre octobre 2013 et avril 2014, les médecins locaux ont été les premiers à décrire les complications neurologiques d’un virus alors considéré comme bénin. « C’était une curiosité, il y avait très peu de données », raconte le docteur Didier Musso, directeur du laboratoire de biologie de l’Institut Louis-Malardé à Papeete. Début octobre 2013, son équipe analyse le sang des patients ayant consulté notamment à Tahiti, Moorea et dans l’archipel des Marquises pour des éruptions cutanées accompagnées de fièvre. Quel virus provoque ce que les médecins signalent alors comme une sorte d’épidémie d’allergie ? Plus de 600 cas sont relevés en trois semaines. « On a d’abord pensé à la dengue », se souvient le biologiste. Les types 1 et 3 du virus sont alors diagnostiqués sur le territoire. Dans cette zone subtropicale, les moustiques Aedes, principaux vecteurs des arbovirus, prolifèrent. Le 29 octobre 2013, le Zika est identifié. « Le séquençage génétique nous a permis de comparer ce que nous observions à des souches plus anciennes, précise Didier Musso. En 2007, la première épidémie depuis l’isolement du virus avait été décrite sur l’île de Yap en Micronésie. » En deux mois, les cinq archipels de Polynésie française sont touchés. En six mois, 383 cas seront confirmés, et le bureau de veille sanitaire relève 32 000 cas suspects sur une population de 268 000 habitants. Cet épisode épidémique ne suscite guère d’inquiétude. Les symptômes disparaissent rapidement. La maladie devient même un sujet de plaisanterie tant on sait que l’un ou l’autre collègue sera arrêté quelques jours avec les pieds gonflés, mais qu’il reviendra rapidement avant qu’un autre ne s’absente à son tour. Alerte déclenchée Mais, début novembre 2013, l’augmentation des hospitalisations en neurologie et en réanimation alarme le corps médical. L’alerte est déclenchée auprès des autorités sanitaires. Sur quatre mois, les médecins vont dénombrer 42 patients atteints du syndrome de GuillainBarré. « En général, nous avons 2 à 4 patients hospitalisés par an en réanimation et environ 20 à 25 patients en neurologie pour cette maladie, expliquent Sandrine Mons et Laure Baudouin, médecins au service réanimation de l’hôpital territorial. Cependant, quand le nombre de cas est devenu totalement anormal, nous avons suspecté une susceptibilité génétique particulière des Polynésiens, ou le rôle d’une exposition préalable au virus de la dengue. Tout ceci reste de l’ordre des hypothèses à l’heure actuelle. » Chez 88 % des malades, un épisode viral avait été diagnostiqué une quinzaine de jours avant l’apparition des complications neurologiques. Par ailleurs, les microcéphalies (trop petites tailles du périmètre crânien et du cerveau), signalées sur les enfants nés au Brésil depuis le début de l’épidémie alertent les pédiatres du Centre hospitalier de Polynésie française. Au dernier trimestre 2014 et au premier trimestre 2015, ils avaient constaté la naissance de 5 enfants présentant un dysfonctionnement néonatal du tronc cérébral, des symptômes observés, en temps ordinaire, une fois par décennie. En reprenant, a posteriori, l’ensemble des naissances, ils ont identifié, entre mars 2014 et mai 2015, 18 enfants ou fœtus avec des malformations du système nerveux central – bien plus que la fréquence habituelle. Dix interruptions médicales de grossesse ont été réalisées sur cette période. Trois nourrissons sont nés avec des microcéphalies. Des explorations complémentaires sont nécessaires pour affirmer la corrélation entre ces déformations graves et le virus. « Nos homologues qui découvrent le Zika nous interpellent. Nous sommes un peu plus avancés dans la recherche du fait de l’ancienneté de l’épidémie ici. Pour autant, le nombre limité de notre population restreint notre capacité d’extrapolation statistique », observe le docteur Henri-Pierre Mallet, responsable du bureau de veille sanitaire auprès de la direction territoriale de la santé. Le docteur Musso est sollicité pour fournir les protocoles des tests salivaires et biologiques qu’il avait établis en 2013 durant l’épidémie. L’expérience polynésienne permet, selon lui, de comprendre combien était trompeuse l’image du virus « que l’on pouvait soi-disant soigner avec du repos et de l’eau ». Le Zika induit des conséquences graves et « il faut s’attendre à tout », ajoute-t-il. p christine chaumeau (papeete, correspondance) 6| 0123 Mercredi 3 février 2016 | SCIENCE & MÉDECINE | Récits d’aventures extrêmes La mort habite en haut d’un gratte-ciel la revue Le premier numéro de « Reliefs » explore les abysses, mais aussi le Moyen-Orient, l’Everest, Mars… david larousserie D epuis quelques années, plusieurs ouvrages au contenu intermédiaire entre le livre, le magazine ou la revue littéraire sont apparus en librairie, comme XXI, Feuilleton, Books, Muze, Eléphant, Alibi ou Ulyces (en ligne seulement)… Reliefs est un nouveau venu parmi ces « mooks », avec un premier numéro réussi mêlant entretiens, récits historiques ou d’actualité, infographies et iconographies soignées. Si le thème choisi est celui des abysses, ceux qui n’aiment pas l’eau ne seront pas déçus. Il y est en effet question aussi de la planète Mars, d’escapade géologique sur l’Everest, d’archéologie au Moyen-Orient ou d’expéditions polaires. En fait, le point commun de la douzaine de thèmes abordés est l’exploration souvent extrême de nouvelles frontières pour l’être humain. L’aventure étant toujours présente dans les sujets choisis, les lectures sont captivantes et enrichissantes, qu’elles soient racontées par les acteurs eux-mêmes ou de seconde main. Le glaciologue Claude Lorius et l’architecte Jacques Rougerie reviennent ainsi sur leurs propres expériences extrêmes. Pour le premier, son départ à 23 ans pour La Terre-Adélie et la station polaire Charcot (dont le plan est d’ailleurs reproduit). Pour le second, ses nombreuses « plongées » de plusieurs jours sous la mer dans des bâtiments étonnants. Il évoque évidemment son projet actuel, « Seaorbiter », un navire plus grand sous l’eau qu’au-dessus. Des éclairages pédagogiques L’astrophysicienne Violaine Sautter narre également son expérience sur Mars – forcément par procuration –, grâce au robot Curiosity et ses instruments ; une aventure toujours en cours. Chacun de ces récits est ponctué par des éclairages pédagogiques, selon un principe déjà éprouvé par ces nouvelles revues : histoire des sous-marins, parcours de Curiosity, carte des sites visités en Antarctique… D’autres chapitres, rapportés mais tout aussi passionnants, reviennent sur les périples étonnants du Christophe Colomb chinois, Zheng He, au XIVe siècle, ou la conquête controversée, mi-scientifique mi-sportive, de l’Everest par Georges Mallory et Andrew Irvine en 1924. Ou encore le portrait de l’aristocrate anglaise Gertrude Bell à la fin du XIXe siècle, qui, surdouée et sportive, se pique d’archéologie et d’histoire au Moyen-Orient, avant de finir tragiquement. Tous ces longs textes sont entrecoupés de respirations convenues (un extrait de Vingt mille lieues sous les mers, de Jules Verne), mais plus souvent surprenantes, comme cette série de photos de carrières de marbre au Portugal, signées Tito Mouraz. L’ensemble est particulièrement riche et varié, à picorer sans souci de la continuité. Un deuxième numéro de la revue, conçue comme se situant au « carrefour des sciences et des lettres », est annoncé sur le thème des tropiques, avec Philippe Descola, Jean Malaurie, Mathias Enard… p Reliefs, « Abysses », numéro 1, 200 p., 19 €. Livraison Parasites « La Vie rêvée des morpions » Voici un petit livre fort sympathique à propos de bestioles plutôt irritantes : poux, ténias, morpions, tiques, puces… Tous ces parasites et bien d’autres pas forcément microscopiques ont droit à leurs dessins humoristiques, anecdotes pertinentes, textes pédagogiques et jeux de mots distrayants. Vous saurez donc tout sur ces organismes qui partagent, pour le pire et parfois le meilleur, la vie des humains, des animaux ou même des végétaux. Amusant et très instructif. > De Marc Giraud et Roland Garrigue (Delachaux et Niestlé, 130 p., 12,90 €). RENDEZ-VOUS improbablologie Pierre Barthélémy Journaliste et blogueur Passeurdesciences.blog.lemonde.fr V ous venez de faire un arrêt cardiaque, heureusement en présence d’une âme charitable qui a eu le réflexe de prévenir aussitôt les secours. Même si, a priori, vous n’êtes plus en état de vous remémorer les dernières statistiques à ce sujet, voici deux éléments importants qui vont vous aider à évaluer la probabilité que vous revoyiez du monde ailleurs qu’à vos funérailles. Primo, comme le rappelle une étude canadienne publiée le 18 janvier dans le Canadian Medical Association Journal (CAMJ), cette probabilité n’est pas fantastique : sur les quelque 400 000 arrêts cardiaques qui surviennent chaque année en Amérique du Nord en dehors de l’hôpital, le taux de survie est faible, inférieur à 10 %. Secundo, comme votre état nécessite une réanimation cardio-pulmonaire destinée à oxygéner le sang et à le faire circuler artificiellement ainsi qu’une défibrillation pour relancer votre palpitant, vos chances de poursuivre votre chemin dans l’existence autrement que dans un corbillard diminuent de 7 % à 10 % à chaque minute qui passe… Le facteur temps est donc essentiel. Or, comme le souligne l’étude du CAMJ, un nombre croissant de personnes s’éloignent du SAMU ou des pompiers non pas parce qu’elles décident d’aller vivre dans une oasis uniquement accessible à dos de chameau, mais tout simplement parce qu’elles résident… à un étage élevé. Et autant on connaît bien le délai dit « horizontal », c’est-à-dire le temps mis par les secours pour arriver, gyrophares hurlants, à la bonne adresse, autant on ignore la valeur moyenne du délai « vertical », le temps qu’il faudra aux réanimateurs pour parvenir à l’étage où vous vous mourez – il ne vous reste plus qu’à espérer que madame Michu ne soit pas en train de retenir la porte de l’ascenseur pour finir son importante discussion sur la météo ou sur le nouveau petit ami de la demoiselle du 9e. Délai « vertical » Pour évaluer ce délai « vertical » et son éventuelle influence sur votre survie, nos chercheurs ont exploité une base de données de la ville de Toronto, remplie par l’équivalent canadien du SAMU, ainsi que par les pompiers et 44 hôpitaux. Cette base recense les détails horaires de toutes les interventions d’urgence et presque toujours les étages où elles ont eu lieu. On avait ainsi les statistiques complètes pour 7 842 arrêts cardiaques survenus entre le 1er janvier 2007 et le 31 décembre 2012. Premier enseignement : il fallait en moyenne 6 minutes et 12 secondes aux secours pour arriver au pied de l’immeuble où se trouvait la victime, qu’elle soit dans une maison ou dans un gratte-ciel. C’est ensuite que les choses variaient. Si l’intervention s’était produite au rez-de-chaussée, au 1er ou au 2e étage, le délai « vertical » était de 3 minutes en moyenne et 4,2 % des personnes atteintes par un arrêt cardiaque survivaient. Si le SAMU ou les pompiers devaient accéder à tous les étages supérieurs au 2e, ce délai s’élevait avec l’altitude : 4 minutes et 54 secondes en moyenne – et le taux de survie moyen, lui, chutait à 2,6 %. Il ne s’agit que de moyennes et il faut entrer dans les détails pour comprendre à quel point ceux qui choisissent de vivre à un étage très élevé, en espérant tutoyer les cieux dans une version moderniste du « Plus près de Toi, mon Dieu », risquent aussi de se retrouver plus vite au paradis. L’étude révèle ainsi que le taux de survie tombe à 0,9 % au-delà du 16e étage… et qu’au-delà du 25e aucune personne ayant eu un arrêt cardiaque n’a survécu. Un nouvel argument dans l’arsenal des opposants à la construction de gratte-ciel ? p KENNET G. LIBBRECHT/CALTECH Cristaux jumeaux, le jeu des sept erreurs affaire de logique L’adage veut qu’il n’existe pas deux flocons identiques. Le physicien américain Kenneth Libbrecht (Caltech, Etats-Unis) le fait mentir en produisant des cristaux de glace jumeaux. Ce designer de flocons a appris à contrôler très précisément la température et l’humidité de l’air insufflé sur une surface de saphir froide où il a déposé préalablement des germes de cristaux à six branches. Ceux-ci grossissent de manière identique en « aspirant » la vapeur d’eau disponible. Kenneth Libbrecht a aussi produit des triplés ainsi que des cristaux asymétriques dont les différences sont quasiment indiscernables. p RENDEZ-VOUS | SCIENCE & MÉDECINE | La chercheuse, au laboratoire de physique du solide d’Orsay, en janvier. 0123 Mercredi 3 février 2016 |7 Les rayures des zèbres, fin d’un mythe TINA MERANDON/SIGNATURES POUR « LE MONDE » david larousserie L orsque le service photo du Monde lui a demandé si elle avait un objet fétiche pour enrichir le portrait qu’on allait lui consacrer, Wiebke Drenckhan n’a pas hésité : « Mon équipe ! » Cette physicienne a en effet le souci du collectif, malgré les succès personnels engrangés à moins de 40 ans : entrée au CNRS en 2007, bourse de 1,5 million d’euros du Conseil européen de la recherche (ERC) en 2012, prix Irène-Joliot-Curie de la « jeune femme scientifique » en 2013, et médaille de bronze du CNRS décernée en décembre 2015. A ce palmarès s’ajoute une récompense plus collective avec le prix du magazine La Recherche, également en 2015. Lors de la remise de sa médaille, elle a fait quelque chose de « mal vu » : inviter à la tribune son étudiante et une ingénieure de recherche pour présenter son travail avec elles. Normalement, la scène ne se partage pas… « Une secrétaire ou une gestionnaire, c’est important pour mener un projet. Autant que moi ! Chacun apporte sa contribution », justifie Wiebke Drenckhan, qui n’hésite pas à envoyer ses collègues ingénieurs aux congrès scientifiques. Pour réfléchir à valoriser l’action de ceux qu’on appelle « IT » pour ingénieurs et techniciens, elle a rejoint un groupe de travail au CNRS. « Il faut faire quelque chose pour les rendre plus visibles ! », insiste-t-elle, à quelques semaines de la remise de propositions. « Mon succès vient du fait que je sais travailler avec les gens. Je suis la colle entre les experts ! », glisse dans un sourire cette spécialiste des… mousses. « On mousse tout ici ! », poursuit-elle en montrant son petit musée personnel : mousse de béton, mousse de métal, mousse de verre, reproduction agrandie de mousse en trois dimensions… Du liquide, de l’air et du savon, le tour est joué pour faire une mousse. Pourtant, ces objets recèlent bien des mystères. « Comment stabiliser une mousse ? Comment prévoir son comportement mécanique, acoustique… ? Comment contrôler sa fabrication ? », égrène la chercheuse pour souligner l’étendue de ce qu’il reste à découvrir. « Une grande curiosité la caractérise », estime Isabelle Cantat, professeure de l’université Rennes-I qui a figuré dans son jury de thèse. « Elle part dans des directions inattendues. Par exemple, elle s’est intéressée au fonctionnement d’une machine à mousse que tout le monde utilise depuis des années », rappelle la chercheuse rennaise. Devant cette fameuse machine, faite de deux grosses seringues et de quelques tuyaux, Wiebke Drenckhan justifie son intérêt : « Personne ne s’est demandé ce qu’il se passe à l’intérieur. Or il y a un mécanisme qui fixe la taille des bulles dans une mousse, mais on ignore encore lequel. » De retour dans son bureau, sur les étagères de son musée personnel, des ouvrages témoignent d’une autre passion de la chercheuse : le dessin. Elle a en effet illustré deux ouvrages réussis de vulgarisation, en français, sur la chimie chez EDP Sciences mais aussi un autre, en anglais, sur la physique du quotidien, traduit en japonais et en italien. Sur les murs sont accrochés des clichés encadrés de bulles qu’elle a elle-même photographiées. L’art a-t-il un lien avec sa façon de travailler ? « Dans sa manière de faire de la physique, elle Dans son parcours initial, elle a été actrice et décoratrice au théâtre, documentaliste à la télé, stagiaire dans un labo de physique… est très intuitive. Elle construit très vite des images, alors que moi, par exemple, je raisonne mieux à partir d’équations », explique Frédéric Restagno, du même laboratoire de physique du solide d’Orsay (Essonne). Au fil de la discussion, telle une mousse qui grossit, on découvre un parcours initial foisonnant, loin d’être linéaire. Bac en poche, en 1995, en Allemagne, elle hésite entre l’art et la science. Elle tâte du théâtre, comme comédienne mais aussi comme décoratrice. Elle travaille à la télé en tant que documentaliste. Puis devient stagiaire dans un laboratoire de physique. Après une année, elle s’inscrit finalement en licence de physique, sentant bien que le théâtre ne serait pas un bon choix professionnel de long terme. « Mais j’étais zoologie nathaniel herzberg C Wiebke Drenckhan, chercheuse pétillante | Cette jeune physicienne expérimente les propriétés de toutes sortes de mousses, avec un enthousiasme contagieux portrait malheureuse tous les matins en me levant. Ce qu’on apprenait, c’était juste résoudre des équations, ça n’avait rien à voir avec la recherche où l’on se pose des questions, on essaie de résoudre des problèmes, on rencontre des gens… » Elle opte alors pour le métier d’enseignante et part deux mois aux Etats-Unis pour un stage. Là, elle tombe sur une méthode d’enseignement qui lui convient, le Future Problem Solving Program International, qui regroupe les élèves en équipes pour résoudre des problèmes inattendus comme « Libérer la princesse prisonnière dans la tour ». « Les enfants avaient plein d’idées ! Plus que moi-même. Il faut leur donner le pouvoir », s’amuse-t-elle. Mais il lui manquait toujours quelque chose. Retour en Allemagne pour quelques travaux d’édition avant de s’inscrire en NouvelleZélande en cursus de « physique et philosophie ». Une fois sur place, faute d’étudiants, le cursus est annulé ; elle opte donc pour la physique. Là, déclic, elle découvre les simulations numériques. « C’était concret ! Tu te prends pour Dieu en fixant les règles du jeu et en observant des choses non prédictibles intuitivement », se souvient-elle. Elle poursuit avec un master en Irlande sur les mousses – enfin ! –, après avoir rencontré son mentor, le physicien irlandais Denis Weaire, qui confie aujourd’hui : « Elle ne se prend pas au sérieux mais fait les choses sérieusement. C’est une bonne ambassadrice de la science, en particulier pour les jeunes filles. » Et Wiebke Drenckham d’affirmer : « A partir de là, j’ai trouvé ma voie et ça n’a pas arrêté ! » Mais, devant un tel parcours, on peine à la croire lorsqu’elle déclare savoir ce qu’elle va faire « dans cinq ans ». De bulles en bulles, elle postule à Paris après sa thèse et rentre au CNRS à Orsay. Elle y développe notamment un savoir-faire reconnu dans la fabrication de mousses solides et dans les théories faisant le lien entre propriétés physiques et arrangement géométrique des bulles. « Wiebke est le produit d’un rapprochement de deux communautés longtemps séparées : les physico-chimistes et les physico-mathématiciens. Son succès vient de là », résume Isabelle Cantat. En réalité, Wiebke Drenckham n’aime rien tant que les interfaces. La mousse d’ailleurs n’est qu’une histoire de contact entre un liquide et un gaz. Mais elle tient aussi les deux bouts, de la théorie comme de l’expérience, de la physique comme de la chimie, des mousses liquides comme des solides. Et, de la recherche privée et publique, caractéristique toujours un peu atypique dans les laboratoires français. « J’adore quand on met deux choses ensemble. Je comprends ce que l’industrie veut et réciproquement », souligne la chercheuse qui, dès sa thèse en Irlande, a travaillé en collaboration avec des industriels. Il est vrai que les mousses sont partout : détergents, amortisseurs de sons ou de chocs, cosmétique, agroalimentaire… Depuis, les collaborations n’ont pas cessé avec des industriels de la cosmétique, de la chimie ou de l’instrumentation. Et même avec la défense, qui cherchait à fabriquer une mousse pouvant tenir toute seule afin d’amortir des explosions. Elle rêverait d’une équipe mixte pouvant répondre à des questions industrielles tout en étant libre de poursuivre dans la recherche fondamentale. « Il faut de la proximité sans séparer les deux. Mélanger est important », dit-elle, sans qu’on sache si elle parle de ses collaborateurs ou de ses mousses adorées. Elle espère y parvenir dans son nouveau laboratoire. Car la bougeotte l’a reprise ; elle s’apprête à rejoindre l’Institut Charles-Sadron du CNRS à Strasbourg. Finalement, on finit par la croire lorsqu’elle dit avoir sa petite idée sur ce qu’elle fera dans dix ans… p e n’est certes pas un grand mystère de la science. Mais assurément une question que bien des enfants, et quelques adultes, se posent depuis longtemps : pourquoi le zèbre a-t-il des rayures ? Des réponses de tous ordres ont été données depuis cent cinquante ans : une forme de camouflage, un cryptage visuel qui troublerait les prédateurs, un mécanisme de contrôle thermique, un code social interne à la tribu, un répulsif contre les insectes… Et l’on ne compte pas ici les hypothèses avancées par le dessinateur Gotlib dans l’inoubliable « Rubrique-à-brac » (l’animal n’est ni noir avec des rayures blanches, ni blanc avec des rayures noires mais… vert avec des rayures noires et blanches), par les supporteurs de la Juventus de Turin les soirs de victoire ou par l’artiste Daniel Buren les jours d’exaltation. Mais restons dans l’univers des sciences et concentrons-nous sur l’hypothèse la plus répandue : le camouflage. A la fin du XIXe siècle, les deux pionniers de la théorie de l’évolution, Alfred Wallace et Charles Darwin, s’opposent sur le sujet. Le premier en est convaincu : dans les forêts africaines, les rayures dissimulent l’animal aux yeux de ses prédateurs. Son maître est plus dubitatif, faisant remarquer que les terres d’élection de l’équidé sont les plaines, et que les rares arbres n’offrent que peu de justification à pareille spécificité. « Cette hypothèse était quand même étrange, affirme Tim Caro, biologiste à l’université de Californie-Davis. Ce que nous voyions si bien, qui distinguait le zèbre, servait en réalité à le camoufler… » Si le scientifique anglais, installé aux EtatsUnis, parle de cette théorie au passé, c’est qu’il pense bien l’avoir « tuée » dans un article publié le 22 janvier dans la revue PLoS One. Lui et sa collègue Amanda Melin, de l’université d’Alberta, au Canada, ont étudié l’œil des deux principaux prédateurs du zèbre, le lion et la hyène, leur taille, la densité de cônes et de bâtonnets qui les composent. Et simulé ainsi la vision dépourvue de couleur que les deux chasseurs ont de leur proie. Leur conclusion est sans appel : au grand jour, quand l’homme perçoit les rayures du zèbre des plaines à 180 mètres, le lion ne les distingue qu’à 80 mètres, la hyène à 48 mètres. Dans la pénombre, ces chiffres passent, respectivement, à 45 mètres et 27 mètres pour les deux fauves. La nuit, tous les zèbres sont « gris » à partir de 11 mètres. « Or, à ces distances, les prédateurs ont déjà entendu et surtout senti l’animal ; le camouflage est donc inopérant », précise Amanda Melin. « Quant au brouillage, il ne tient pas la route, renchérit Tim Caro, dans la nature, quand un lion saute sur un zèbre, il ne le rate jamais. » Le biologiste anglais ne s’arrête pas là. Il écarte l’hypothèse d’un code entre pairs. « La plupart des autres équidés ont la même organisation sociale sans disposer de rayures. Les zèbres seraient plus bêtes que les autres ? » Et ne croit pas au contrôle thermique issu des courants de convexion entre bandes noires et blanches. « C’est très faible et ça ne marcherait qu’à l’arrêt et sans vent. » Zèbres de Burchell au Botswana. H. M. Pour lui, une seule hypothèse reste solide : le dispositif antiparasitaire. En enduisant de glu des chevaux de bois peints de différents motifs, des expériences ont montré que les surfaces rayées opéraient comme des répulsifs. En avril 2015, dans Nature Communications, Tim Caro a renforcé ces résultats par une étude multifactorielle de répartition géographique des différents ongulés et insectes. « Mais, comme toujours en science, les réponses ouvrent de nouvelles questions », plaisante le biologiste. Il entend s’attaquer très vite aux deux premières : « Pourquoi les mouches détestent-elles les rayures ? Et qu’ont-elles de si terrible pour avoir poussé les zèbres à changer de robe ? » Deux énigmes au lieu d’une. p 8| 0123 Mercredi 3 février 2016 | SCIENCE & MÉDECINE | Un coléoptère inspire la lutte contre le givre C’est une de ces « erreurs fécondes » qui irriguent la science. En 2001, un article de Nature décrivait la façon dont un coléoptère du désert namibien récupère l’eau transportée par la brume : pattes arrières tendues, il présente au vent ses élytres recouverts de picots supposément hydrophiles sur lesquelles les minuscules gouttelettes s’accumulent avant de couler vers sa bouche. Les chercheurs proposaient de s’en inspirer pour piéger, grâce à des surfaces microstructurées, l’eau dans les zones arides, ou dans des condensateurs, ouvrant la voie à de nombreux travaux. Les derniers en date, publiés dans Scientific Reports le 22 janvier, veulent tirer parti de ces mécanismes pour retarder la formation du givre sur les parebrise ou les ailes d’avion, coûteuse en manutention et en produits chimiques. Pourtant, en 2014, de nouveaux travaux conduits sous la direction de Daniel Beysens (ESPCI) ont montré que les picots n’étaient pas nécessaires, et que la rosée avait plutôt tendance à se former dans les vallées couvertes de cire hydrophobe de la carapace. « Qu’importe, les microstructures inspirées de ce coléoptère présentent effectivement des caractéristiques intéressantes pour retarder la formation du givre », relativise Daniel Beysens. p hervé morin Goutte d’eau Un piège à brume On a longtemps cru que des picots hydrophiles recouvrant les élytres du coléoptère namibien Stenocara favorisaient la collecte d’eau contenue dans la brume. Mais d’autres insectes à la carapace rainurée ou lisse y parviennent tout aussi bien. Ce qui compte, c’est que l’animal présente la surface de son dos avec un angle de 23° par rapport au vent brumeux porteur de gouttelettes d’eau. Surface hydrophobe De la rosée dans des vallées cireuses Un article publié en 2014 dans The European Physical Journal E a montré que chez le coléoptère Physasterna cribripes la rosée (différente de la brume) se dépose par condensation dans les vallées, entre les picots de la carapace, recouvertes d’une cire hydrophobe et constituées d’un pavage hexagonal microscopique. Picot Goutte d’eau Des picots contre le givre Ecoulement d’eau Carapace Brume ambiante Recouvrir une surface de petits plots hydrophiles disposés de façon aléatoire retarde la formation du givre : les ponts gelés entre les gouttelettes qui favorisent habituellement sa diffusion ont plus de mal à se former, tandis que l’eau peut plus facilement se sublimer. Reste à vérifier qu’un tel traitement de surface pourrait être efficace sur une aile d’avion, par exemple, et pas seulement en laboratoire. Evaporation d’eau Angle optimal de 23° Surface régulière Surface irrégulière Picot hydrophile Formation de givre INFOGRAPHIE : HENRI-OLIVIER SOURCES : NATURE ; SCIENTIFIC REPORTS La médecin Anne-Claire de Crouy et la juriste Valérie Depadt estiment que le don d’organe pâtit d’une mauvaise information du public sur la mort encéphalique, dont témoignent certains titres dans la presse après l’accident de Rennes La mort cérébrale, notion trop mal comprise | L e patient en état de mort cérébrale est décédé en milieu de journée au CHU de Rennes ». Ce titre de dépêche de l’Agence France Presse (AFP), tombé le 17 janvier et repris par la quasi-totalité des quotidiens, ne manque pas d’interpeller. Pris à la lettre, il signifie que la mort cérébrale ne marque pas le décès, qu’être en état de mort encéphalique n’est pas être mort. Or, tant du point de vue de la médecine que du droit, la mort encéphalique marque l’arrêt de la vie, la fin de l’état de personne. Elle est la mort. Ainsi, le titre de l’AFP interroge la compréhension publique de l’état de mort encéphalique, connu depuis les années 1950, objet d’une circulaire relative au prélèvement d’organes dès 1968 et repris par la loi il y a déjà vingt ans. Pourquoi cette notion reste-t-elle si difficile à saisir ? Comment expliquer que l’importance des moyens mis au service de l’information sur le don d’organes n’ait pas permis d’éclairer cette donnée pourtant fondamentale du sujet ? A la fin des années 1950, les progrès de la réanimation cardio-pulmonaire et la création du Service médical d’urgence (SAMU), auxquels s’est ajoutée l’amélioration des modes de prise en charge des grands accidentés, ont rendu possible le maintien de la fonction respiratoire chez des personnes qui, souffrant d’un dommage cérébral sévère, se trouvaient dans l’impossibilité de respirer spontanément. L’état de ces « nouveaux vivants » ne tenait plus qu’à la respiration, poursuivie au moyen de l’assistance respiratoire récemment mise au point. Dès lors, les médecins ont pu commencer à observer une situation clinique décrite comme « mort du système nerveux » ou « coma dépassé », caractérisée par la cessation de toute activité cérébrale. La question s’est alors posée de savoir si ces patients étaient morts ou vivants. En parallèle de cette évolution, le développement des techniques de transplantation, qui figure parmi les grandes avancées médicales de l’époque, ouvrait des horizons nouveaux dans le traitement des patients atteints de graves dysfonctionnements des reins, du foie, du cœur ou des poumons. En 1952, la première greffe de rein au monde fut réalisée à l’hôpital Necker par le professeur Jean Hamburger et son équipe, avec un organe prélevé sur un donneur vivant. A partir de 1960, ce type de prélèvements eut lieu sur des personnes décédées par arrêt cardiaque. Les greffes du foie, appelées transplantations hépatiques, furent initiées en 1963, à Denver (Etats-Unis), par le professeur Thomas Starzl sur donneur cadavérique ; et, en 1968, le tribune | professeur Christiaan Barnard pratiqua la première greffe de cœur au Cap (Afrique du Sud). La même année, le rapport de l’Ecole de médecine de Harvard, à Boston, considéré comme fondamental en matière de transplantations, reconnaissait que la notion de « coma dépassé » répondait aux deux objectifs de permettre le débranchement des respirateurs artificiels et de faciliter les prélèvements d’organes. Et Laura Bossi, neurologue et historienne des sciences, d’interroger : « Sans le développement des technologies permettant les greffes d’organes, se serait-on posé la question de savoir si ces patients étaient morts ou vivants ? Aurait-on parlé de “mort encéphalique” à leur propos ? » En France, c’est à la veille de la première transplantation cardiaque que le rapport américain a trouvé un écho retentissant à travers la publication de la circulaire Jeanneney du 24 avril 1968. Celle-ci, reprenant la conférence des médecins Mollaret et « Personne, pas même le médecin qui, prenant son service, pénètre dans la salle de réanimation, n’est en mesure de discerner d’un regard, si attentif fût-il, le patient décédé en mort encéphalique d’un patient en cours de réanimation » Goulon de 1959, précisait que « c’est la mort cérébrale qui définit la mort de l’homme. Cette mort doit être confirmée par la démonstration de l’arrêt circulatoire cérébral et un électroencéphalogramme plat. On peut donc respirer encore et être mort… ». Depuis, la mort encéphalique s’est imposée comme désignant la fin de la vie, au même titre que le décès survenant par arrêt cardiaque. Actuellement, le code de la santé publique, dans ses dispositions issues du décret du 2 décembre 1996 relatif au constat de la mort préalable au prélèvement d’organes, reconnaît deux circonstances de décès. A côté de l’arrêt cardiaque et respiratoire, il précise les examens qui permettent de prononcer l’état de mort encéphalique, alors que la ventilation est assurée artificiellement et que le cœur est battant. Il doit être procédé à un examen clinique approfondi, suivi d’une épreuve d’hypercapnie, test pour contrôler l’absence de respiration spontanée, puis, soit à deux électroencéphalogrammes nuls et aréactifs effectués à un intervalle de quatre heures, soit à une angiographie objectivant l’arrêt de la circulation encéphalique. Ces protocoles, exigés par la loi, attestent non seulement que l’état neurologique du patient ne permet plus aucune respiration spontanée, mais aussi du caractère irréversible de la situation. Le don d’organes a été déclaré priorité nationale par la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique. Il reste donc à agir afin que cette disposition, prometteuse s’il en est, ne se limite pas au stade incantatoire. Et, dans cet objectif, il apparaît essentiel que l’ensemble des citoyens comprenne les données du sujet, au premier rang desquelles la notion de mort encéphalique. L’adhésion au don d’organes implique de comprendre, ensemble et dans un même temps, qu’un état de mort encéphalique est un état de mort, car c’est au moment du diagnostic de mort encéphalique, avant l’arrêt du cœur, que le prélèvement d’organes est le plus adéquat. Or, la mort encéphalique est d’apparence discrète. C’est face à un défunt ayant encore l’aspect du vivant que la famille sera consultée. Pour se prononcer, il lui faudra dépasser sa propre représentation afin de croire sur parole le médecin qui annonce la mort. Un acte de confiance absolue, prélude indispensable du don. Personne, pas même le médecin qui, prenant son service, pénètre dans la salle de réanimation, n’est en mesure de discerner d’un regard, si attentif soit-il, le patient décédé en mort encéphalique d’un patient en cours de réanimation. Ce n’est qu’une fois le matériel de réanimation débranché, l’assistance respiratoire arrêtée, que le cadavre prend l’apparence que chacun reconnaît même s’il n’y a encore jamais été confronté, parce que décrite depuis des millénaires. Lorsque le cœur est arrêté, le corps progressivement se rigidifie, la température baisse et le teint devient cireux. Le décès devient « visible ». Que s’est-il passé à Rennes pour que l’Agence France Presse annonce le décès d’une personne en état de mort encéphalique ? A-t-il fallu attendre l’arrêt de toute assistance vitale pour qu’on puisse admettre, comme aux temps passés, que la personne était décédée ? p Le supplément « Science & médecine » publie chaque semaine une tribune libre ouverte au monde de la recherche. Si vous souhaitez soumettre un texte, prière de l’adresser à [email protected] ¶ Anne-Claire de Crouy, médecin à l’hôpital Bicêtre. Valérie Depadt, maître de conférences en droit privé. Des donations irrévocables, vraiment ? Heureux bénéficiaires, sachez que, dans certaines conditions, votre généreux donateur peut faire machine arrière. FA M I L L E | PA G E 2 Tarifs bancaires : l’écart se creuse Evincer son syndic de « copro » Etes-vous choyé ou « plumé » par votre banquier ? La réponse dans notre palmarès. D’un établissement à l’autre, les différences sont considérables. B A N Q U E S | PA G E S 8 - 9 Face à un professionnel incorrect, il est possible de passer en force lors de l’assemblée générale pour le remercier. Mode d’emploi. I M M O B I L I E R | PA G E 1 0 Queues de cerises Epargne éditorial La tentation du risque Les placements sûrs ne rapportant guère, certains particuliers s’orientent vers des produits davantage rémunérateurs. Mais gare : ils sont aussi plus contraignants et… non garantis. PAGES 4 à 7 C’ est un signe qui ne trompe pas. En 2015, les Français ont préféré laisser dormir leurs économies sur leur compte en banque plutôt que de les placer. Sur les 94,5 milliards d’euros de nouveaux flux d’épargne, 30 milliards se sont dirigés vers les comptes courants, soit quasiment autant que sur la sacro-sainte assurance-vie, selon les calculs du cabinet Pair Conseil. Or, est-il nécessaire de rappeler que de tels dépôts ne rapportent rien ? Constat identique pour l’épargne salariale et ses 11 millions de bénéficiaires. En 2015, une étude réalisée par Amundi, portant sur un million de salariés, montrait que plus de 43 % des avoirs étaient investis sur des produits de trésorerie à court terme, c’est-à-dire des supports dont le rendement avoisine zéro. Cette mauvaise gestion ne s’explique pas seulement par un manque de connaissance. Les particuliers ont jeté l’éponge. Entre l’érosion du rendement de l’assurance-vie, le niveau historiquement faible du taux du Livret A, la baisse de celui du plan d’épargne-logement… « A quoi bon ? », se disent-ils, résignés. Plongeon des indices Pourtant, ces produits ne sont pas de si mauvais placements. Car l’inflation est nulle. Les années passées, leurs taux étaient certes plus élevés, mais la hausse des prix en grignotait une part. Le fonds en euros de l’assurancevie a ainsi rapporté plus en 2015 qu’au cours de chacune des cinq dernières années. Oui, mais le rendement du placement vedette des Français va continuer de s’effriter. Dès lors, ceux qui ne se contentent pas de ces rémunérations sont dos au mur : ils doivent prendre des risques, martèlent les experts. Comprendre, investir en Bourse. Plus facile à dire qu’à faire pour des épargnants historiquement allergiques au risque. Et, vu le récent plongeon des indices, on peut aisément comprendre leurs hésitations. D’ailleurs, la société de gestion Carmignac, qui gère 52 milliards d’euros, n’at-elle pas réduit son exposition aux actions à quasiment zéro ? Heureusement, il existe de nombreux produits permettant de mettre un pied sur les marchés sans risques inconsidérés, et la Bourse n’est pas la seule alternative pour les épargnants en quête de rendement. D’autres placements émergent, comme la très en vogue finance participative. La pierre devrait aussi, malgré ses contraintes, briller de nouveau, en raison d’un crédit bon marché, des avantages fiscaux que peut procurer l’investissement locatif et, bien sûr, de son statut de valeur refuge, ce qui, dans le contexte chaotique actuel, n’est pas à négliger. p ILLUSTRATIONS : JULIEN GRATALOUP Cahier du « Monde » No 22099 daté Mercredi 3 février 2016 - Ne peut être vendu séparément frédéric cazenave 2| 0123 Mercredi 3 février 2016 | ARGENT & PLACEMENTS | Je vais quitter ma société. Puis-je garder mon plan d’épargne entreprise si mon nouvel employeur n’en propose pas ? La rupture du contrat de travail est un motif de déblocage anticipé du plan d’épargne entreprise (PEE), ce qui signifie que vous pouvez clôturer votre compte. Mais ce n’est pas obligatoire : il est tout à fait possible de conserver son plan et d’y effectuer des versements, sauf clause contraire. Evidemment, votre ex-employeur n’y versera plus d’abondements. Sachez aussi que les frais de tenue de compte seront alors à votre charge. En cas de clôture du compte, les plus-values et intérêts seront exonérés d’impôt sur le revenu mais ils seront soumis aux prélèvements sociaux, au taux de 15,5 %. Etant donné cette fiscalité avantageuse du PEE, il peut s’avérer intéressant de le conserver si vous n’avez pas un projet particulier qui nécessiterait d’utiliser les fonds. p Peut-on utiliser un plan d’épargne-logement pour acheter un bien immobilier à l’étranger, dans l’Union européenne ? Non, le plan d’épargne logement (PEL) ne peut être utilisé que pour le financement de l’acquisition ou de l’aménagement de logements situés en France métropolitaine ou dans les départements d’outre-mer. Divorcé, je souhaite donner à ma fille unique ma résidence principale, estimée à 250 000 euros, tout en gardant l’usufruit. Quels sont les frais à prévoir ? D’un point de vue fiscal, cette donation entraînera le paiement de droits d’enregistrement et de droits de mutation sur la valeur de la nue-propriété. En effet, celle-ci sera déterminée en tenant compte de l’âge de l’usufruitier, donc le vôtre. Plus l’âge de l’usufruitier est avancé, moins l’usufruit a de valeur et plus la nue-propriété en a. Si vous avez 50 ans, par exemple, la nue-propriété équivaut à 40 % de la valeur du bien. Une fois la valeur de la nue-propriété calculée (100 000 euros dans notre cas) s’applique, comme pour toute donation entre parent et enfant, un abattement de 100 000 euros renouvelable tous les quinze ans. Dans notre exemple, donc, vous ne paierez aucune taxe. A l’extinction de l’usufruit, c’est-à-dire à votre décès, aucun droit de succession ne sera dû. Côté frais, il faudra payer des droits d’enregistrement au moment de la donation et aussi lors de l’extinction de l’usufruit, sans oublier les émoluments du notaire, la donation d’un bien immobilier ne pouvant être faite que devant notaire. Changeant souvent de région, je suis locataire. En revanche, je dispose de deux appartements que je loue. Puis-je déduire de mes revenus fonciers le loyer que je paye actuellement ? Il n’existe pas de liste exhaustive des dépenses déductibles du revenu foncier. Cependant, pour qu’une charge soit déductible, elle doit notamment avoir été engagée en vue de la conservation ou de l’acquisition du revenu généré par votre bien immobilier. Il est difficile de justifier la déduction de votre loyer de vos revenus fonciers puisque ce loyer ne concerne pas le même appartement. FORUM annuités de remboursement. Il est toujours possible de bénéficier de ce dispositif en 2016, si le prêt a été souscrit avant le 1er janvier 2011. Célibataire de 40 ans et quasi-propriétaire, je paye 6 000 euros d’impôts. Quels sont les placements les plus efficaces pour alléger la note ? Il existe plusieurs mécanismes. D’abord, diminuer votre revenu imposable grâce au plan d’épargne-retraite populaire (Perp) ou au contrat Madelin, par exemple. Les sommes qui y sont versées sont déductibles (dans certaines limites) de votre revenu imposable. Dans ce cas, l’économie d’impôt est proportionnelle à votre tranche marginale d’imposition. Le deuxième mécanisme comprend les réductions et les crédits d’impôt. Ces derniers viennent réduire le montant de l’impôt à payer. Le champ est plus vaste. Vous obtiendrez des réductions si vous investissez au capital de PME, dans des fonds communs de placement dans l’innovation (FCPI), des Sofica (société pour le financement du cinéma et de l’audiovisuel)… De même, certains investissements immobiliers, comme le Pinel, ouvrent droit à une réduction d’impôt sur plusieurs années. Mais ces avantages ne sont pas « gratuits » : ces produits ont des contraintes fortes, peuvent sig né être risqués (FCPI…) et nécessitent une longue durée de détention. Si la « carotte fiscale » est incitative, de tels investissements doivent s’inscrire dans un but patrimonial (constitution d’un capital retraite par exemple). Notre fille nous doit beaucoup d’argent. Ne pouvant pas nous rembourser, elle propose de se désister de sa part d’héritage à hauteur de sa dette au profit de son frère. Est-ce possible ? Votre fille est un héritier réservataire présomptif : une partie de votre succession lui est réservée. Toutefois, l’article 929 du code civil permet aux héritiers de renoncer de façon anticipée à leur action en réduction, c’est-à-dire qu’ils peuvent renoncer à leur héritage. Cette renonciation au profit de personnes déterminées peut être totale ou partielle, voire porter sur un bien déterminé. Vous pouvez donc prévoir par testament que votre fils héritera d’une somme correspondant au montant de la dette de votre fille envers vous et que votre fille renonce à son action en réduction sur ce legs, au profit de son frère. If faut faire enregistrer cet acte authentique par deux notaires. p frédéric cazenave, avec la société cyrus conseil > Sur Lemonde.fr Plus de réponses à la rubrique « Forum » cag nat Du peer-to-peer au « pire tout pire » conseils de famille Patrick Lelong Journaliste, spécialiste des questions d’argent et du droit de la famille C’ est cela, la French touch : l’art de l’alchimie des mots, de changer du tout au tout. En politique, en économie et même en valeurs… Hier, le slogan martelé, c’était « Travailler plus pour gagner plus ». Aujourd’hui, c’est « Travailler plus pour gagner autant ». Et, demain, ce sera « Travailler plus pour gagner moins ». Pas de quoi mobiliser la jeunesse. Seulement, peut-être, le Medef. A condition que les chefs d’entreprise n’aient pas d’enfants… La question shakespearienne « Etre ou ne pas être » est remplacée par « Ubériser ou se faire ubériser ». La dernière insulte à la mode pour beaucoup. La pauvre solution pour certains, surtout portée par ceux qui ne sont pas concernés. Ubériser, c’est précariser Qu’importe la tempête. Les heures sup, par exemple : compensées ? Pas compensées ? Dès lors que l’on affirme qu’« un entrepreneur a souvent la vie plus dure que celle d’un salarié » et que l’on oublie que de nombreux salariés qui vivent d’un smic insolent n’ont pas la vie dure… Que dire ? « L’ubérisation », c’est la souplesse ? La déréglementation, c’est l’accès à l’activité économique des jeunes, la voie vers l’entrepreneuriat ? Et des perspectives de mobilité. Rien à dire sur ce dernier point. La précarité reste effectivement la sœur jumelle de la mobilité. L’ubérisation, c’est la traduction du désarroi des plus fragiles. Et créer de la mobilité sociale plutôt que des emplois est une vue à court terme. Un autre Uber, cette fois-ci Hubert Reeves, l’astrophysicien, a développé des théories de progrès sur le monde et le cosmos en lisant L’Encyclopédie de la jeunesse. Ne remplaçons pas les rêves ambitieux par des visions low cost. Pour l’avenir de nos enfants, il faut choisir entre Uber et Hubert. Autrement dit, ajouter deux lettres de noblesse à un nom. Ce qui change tout… p Peut-on en 2016 bénéficier des crédits d’impôt liés aux intérêts payés dans le cadre d’un emprunt contracté pour l’achat de l’habitation principale ? Attention, ce dispositif concerne seulement les prêts obtenus avant le 1er janvier 2011. Dans ce cas, les personnes ayant souscrit un emprunt immobilier pour acheter ou construire leur résidence principale peuvent, en effet, obtenir des crédits d’impôt liés aux intérêts payés au titre des cinq (dans l’ancien) ou sept (dans le neuf) premières Donner, c’est donner. Reprendre, c’est… possible En théorie, la donation d’un bien ou d’une somme d’argent est irrévocable. Mais dans la pratique, la loi prévoit quelques cas permettant de faire machine arrière J e me souviens de cet homme qui, souhaitant divorcer, était venu nous demander s’il pouvait revenir sur la donation d’une somme d’argent qu’il avait faite à son épouse au début de leur idylle. Somme qui lui avait permis d’acquérir un petit appartement », raconte Murielle Gamet, notaire au sein de l’étude Cheuvreux. Un cas assez fréquent, selon elle. « Comme cet acte avait été réalisé avant le 1er janvier 2005, il a pu récupérer son bien », poursuit-elle. Une donation entre époux conclue avant cette date est en effet annulable librement et à tout moment. « Une telle décision peut engendrer des situations très délicates si le bien, objet de la donation, a été depuis revendu. Car sa révocation entraîne l’annulation de la vente », prévient Charles Demay, notaire à Amiens. En revanche, cette volte-face est irréalisable pour les donations consenties depuis le 1er janvier 2005 : elles sont irrévocables, même en cas de divorce. Seule exception : il est encore possible de faire machine arrière après une donation dite au « dernier vivant ». De quoi s’agit-il ? D’une disposition permettant d’améliorer la protection du conjoint survivant en augmentant sa part d’héritage. En présence d’enfant(s), ce dernier dispose au décès de son conjoint de trois options. Soit il décide de recueillir l’usufruit de la totalité des biens (droit d’y vivre ou d’en toucher les revenus), soit un quart en pleine propriété et trois quarts en usufruit, soit la pleine propriété de la quotité disponible (la part qui n’est pas automatiquement réservée aux enfants) de la succession. Surtout, cela lui laisse la possibilité de choisir le ou les biens qu’il souhaite conserver. Ainsi, le conjoint survivant peut garder l’usufruit de certains biens immobiliers. Il pourra en profiter tant qu’il est en vie avant que, à son décès, ils ne reviennent aux enfants. Intéressante, la donation au dernier vivant est donc révocable à tout instant, quel que soit le régime matrimonial du couple. « Il suffit de se rendre chez le notaire ou de le faire par testament. La personne n’a pas à se justifier et n’est pas obligée de prévenir l’autre », ajoute Charles Demay. En outre, depuis le 1er janvier 2005, le divorce entraîne la révocation automatique de cette donation, à moins que l’un des époux désire la maintenir. En dehors du couple, est-il possible de revenir sur cette décision ? A priori non, « celui qui donne un bien ou de l’argent s’en sépare définitivement », explique « Tout don peut être assorti d’une obligation comme celle de prendre soin du donateur » murielle gamet notaire au sein de l’étude Cheuvreux. Murielle Gamet. Mais la loi prévoit tout de même quelques exceptions. Une donation peut en effet être annulée si la personne qui l’a réalisée a ensuite un premier enfant ou en adopte un. Mais cette possibilité doit, depuis le 1er janvier 2007, avoir été prévue dans l’acte et il faut en faire la demande devant le juge dans les cinq ans suivant la naissance de l’enfant. Autre révocation possible : lorsque la personne qui a reçu le don se montre ingrate envers le donateur, par exemple, s’il lui refuse un secours alimentaire. « Un parent qui se retrouverait dans le besoin après avoir donné un bien immobilier à son enfant est en droit de le récupérer si son rejeton ne veut pas l’aider », relève Mme Gamet. Dans ce cas, la révocation n’est pas automatique. Le donateur doit saisir la justice dans un délai de un an. Enfin, une donation peut être annulée lorsque le bénéficiaire ne respecte pas les conditions du donateur. « Tout don peut être assorti d’une obligation, comme prendre soin du donateur, investir les fonds transmis dans un bien immobilier, ou ne pas dépenser les sommes avant un certain âge », précise Mme Gamet. Il est ainsi fréquent que des grands-parents donnent de l’argent à leurs petits-enfants, sous réserve que ces derniers ne l’utilisent pas avant un âge défini. Si l’un d‘eux ne respecte pas cet engagement, le donateur peut recouvrer les sommes transmises. Il devra là encore saisir le tribunal. p pauline janicot Repères Donation entre époux de biens à venir Elle concerne les biens ou les droits (parts d’entreprise…) que le donateur laissera à son époux à son décès. Réalisée lors d’une donation « au dernier vivant », elle améliore la part d’héritage du conjoint survivant sans nuire aux enfants. Mais elle n’est pas autorisée aux pacsés ou aux concubins. Cette donation ne prend effet qu’au décès de l’un des époux et peut être révoquée. Elle s’effectue par acte notarié ou par testament et a pour avantage d’être exonérée d’impôt. Donation entre époux de biens présents Il s’agit d’une donation entre conjoints qui prend effet immédiatement. Une telle donation est exonérée à hauteur de 80 724 euros, puis taxée à un barème de 5 % à 45 % selon son montant. Cet acte est soumis à des règles différentes selon la date à laquelle il a été consenti (avant ou après le 1er janvier 2005). | ARGENT & PLACEMENTS | 0123 Mercredi 3 février 2016 |3 – Boursorama, SA au capital de 35 548 451,20 € – RCS Nanterre 351 058 151 – TVA FR 69 351 058 151 – 18, quai du Point-du-Jour 92100 Boulogne-Billancourt. IMMOBILIER boursorama-banque.com 0 € pourvoscartesVISAClassicetPremier (2) ettoujoursaucunsfraisdetenuedecompte. (1) Classée banque en ligne la moins chère sur le profil « Classique » selon le palmarès 2016 réalisé par Choisir-ma-banque.com et publié en septembre 2015. Détail de l’étude et des résultats sur boursorama-banque.com. (2) Délivrance sous réserve d’acceptation de Boursorama Banque. Gratuité sous réserve de changement de politique tarifaire effectué conformément à l’article 11 des Conditions Générales Boursorama Banque. 4| 0123 Mercredi 3 février 2016 | ARGENT & PLACEMENTS | DOSSIER La rémunération des produits vedettes des Français est au plancher. Pour stimuler leur épargne, les particuliers n’ont plus le choix : ils doivent accepter une dose de risque A la recherche du rendement perdu T empête boursière, érosion continue des rendements de l’assurance-vie, nouvelle baisse du taux du plan d’épargne-logement… L’année 2016 commence mal pour les particuliers soucieux de placer au mieux leur épargne. Non seulement les vents sont contraires, mais aucun retournement ne s’annonce. L’inquiétude émanant de la maigre croissance mondiale, de l’état de santé de la Chine ou de la chute des prix du pétrole va continuer de ballotter les places financières. En Europe, la Banque centrale européenne, qui tente de soutenir l’économie en rachetant quelque 60 milliards d’euros d’actifs chaque mois sur les marchés, écrase les rendements obligataires. Or, les obligations sont justement le principal carburant des fonds en euros de l’assurance-vie, placement vedette des Français. « Leurs rendements devraient reculer de 25 points en moyenne en 2015 pour atteindre 2,25 %. Et cette glissade n’est pas terminée. En 2016, nous passerons au-dessous de la barre des 2 % », anticipe Cyrille Chartier-Kastler, le fondateur du cabinet Fact & Figures. Quant aux classiques livrets – Livret A en tête –, jamais leurs taux n’ont été aussi faibles. « La glissade du taux de l’assurance-vie n’est pas terminée. En 2016, nous passerons au-dessous de la barre des 2 % » cyrille chartier-kastler fondateur du cabinet Fact & Figures Les rendements sont à tel point déprimés que bon nombre de particuliers ont tout simplement jeté l’éponge. Plutôt que de placer leurs économies, ils les laissent dormir sur leur compte en banque. « Sur les 94,5 milliards d’euros de nouveaux flux d’épargne en 2015, 30 milliards se sont dirigés sur les comptes courants, soit quasiment autant que sur l’assurance-vie. Mais faut-il rappeler qu’ils ne sont pas rémunérés ? », relève Cyril Blesson, associé au cabinet PAIR Conseil. Or, dans le même temps, les banques ne vous font pas de cadeaux, comme l’illustre la hausse des frais bancaires en 2016, ou de ceux qui sont ponctionnés à chaque versement réalisé sur la grande majorité des contrats d’assurance-vie. En période de rémunération anémique, l’épargnant à encore plus intérêt à sélectionner des produits qui ne sont pas gourmands en la matière. « Aujourd’hui, les frais d’entrée des contrats d’assurancevie pèsent encore entre 1,5 % et 3 % de la somme que vous déposez sur un fonds en euros. Conséquence, il faut au moins deux ans avant que votre placement commence à vous rapporter quelque chose », prévient M. Chartier-Kastler. Alors, que faire ? Première question à se poser : êtes-vous capable d’immobiliser une partie de votre épargne ? Si ce n’est pas le cas, il faudra se contenter de placements liquides, sans risque, et donc faiblement rémunérateurs, mais qui permettent tout de même de préserver son pécule de la faible inflation. Si vous disposez d’au moins deux ans, la palette d’options commence à s’élargir. Bien que tombé à 1,5 %, le PEL permet de dégager un rendement net de 1,27 %. Le fonds en euros de l’assurance-vie n’est pas non plus un si mauvais placement : une fois déduite l’inflation, sa rémunération a atteint, en moyenne, 2,05 % en 2015 (hors prélèvements sociaux), soit sa meilleure performance depuis 2009. Pas mal pour un produit sans risque. La deuxième étape consiste justement à évaluer votre aversion au risque. Pour des Français historiquement frileux, il a fallu se faire violence. Mais ils se sont fait une raison, comme en témoigne la part croissante de la collecte de l’assurancevie sur les unités de compte, ces supports qui permettent d’investir sur différentes classes d’actifs (action, immobilier…). « Cela reste trop timide. En raison d’une mauvaise culture financière, les particuliers privilégient massivement le fonds en euros. Or, dans la durée, ils réaliseraient des performances bien supérieures s’ils allouaient leurs actifs autrement. Quelqu’un disposant de huit ans devant lui devrait en théorie panacher 60 % à 70 % de son contrat d’assurance-vie dans des unités de compte, une répartition qui passe à 20 % ou 30 % si sa durée d’investissement est de quatre ans », explique M. Chartier-Kastler. Meyer Azogui, président de Cyrus Conseil, est moins sévère : « Nos clients ont certes bien intégré qu’ils devaient diversifier leurs placements, mais ils cherchent des produits au risque maîtrisé, car leur objectif consiste bien souvent à se préparer un revenu en prévision de leur retraite. » Et celui-ci de promouvoir sous certaines conditions le plan d’épargneretraite populaire (PERP), malgré ses contraintes évidentes : seulement 20 % de l’épargne accumulée est disponible une fois à la retraite, le reste étant versé sous forme de rente. « Oui, mais l’avantage fiscal à l’entrée est tel qu’il dope le rendement de ce placement. Un contribuable imposé à 30 % qui investit chaque année 5 000 euros sur le support en euros d’un PERP pendant dix ans obtient un taux de rendement interne de 9 % par an, le tout sans prendre de risques », argumente-t-il. Si les Français ont du mal à diversifier davantage leur épargne – sous-entendu à investir en Bourse –, c’est que les krachs à répétition depuis 2000 ont refroidi les ardeurs. Inutile d’ailleurs de vous y aventurer cette année, si vous n’avez pas le cœur bien accroché. « Deux phénomènes se télescopent. D’un côté, le ralentissement économique de la Chine et des Etats-Unis rend l’Europe vulnérable. De l’autre, les montagnes de liquidités déversées dans l’économie, qui avaient artificiellement alimenté la hausse des marchés, se tarissent. Lorsque les investisseurs en auront pleinement pris conscience, les indices pourraient encore chuter. Cette “capitulation” sera l’occasion de revenir en Bourse mais, en attendant, l’exposition de nos portefeuilles aux actions est très faible », explique Didier Saint-Georges, membre du comité d’investissement de Carmignac. Dans cette quête de rendement, une autre piste consiste à s’intéresser au financement participatif et notamment à l’une de ses facettes, le prêt. Non seulement PATRIMOINE DES MÉNAGES (EN MILLIARDS D’EUROS) PATRIMOINE FINANCIER 1 197 Dépôts à vue, livrets, PEL... Actions non cotées* 844 597 PATRIMOINE IMMOBILIER 6 815 Actions cotées** 4 754 1 300 Assurance-vie : fonds en euros 293 *Et autres participations **Et obligations, épargne salariale, organismes de placement collectif vous pourrez espérer des rendements compris entre 4 % et 8 %, mais vous aurez la satisfaction de soutenir des PME. « En deux ans, nous avons financé 206 entreprises pour 16 millions d’euros, ce qui leur a permis de créer ou de préserver une centaine d’emplois », indique Nicolas Lesur, le fondateur du site Unilend. Mais là encore, ne vous y méprenez pas. Si ces entreprises ne sont pas passées par le classique circuit bancaire, ce n’est pas seulement pour des raisons pratiques ou pour participer à la mode du crowdfunding : la plupart des platesformes ont déjà enregistré au moins une faillite d’une entreprise créditrice. Dans cet environnement agité, la pierre, symbole du placement refuge, pourrait de nouveau briller. « La rentabilité de l’immobilier résidentiel en France devrait rester stable cette année à 4,1 %. Par rapport aux autres actifs et à condition d’investir dans une ville dynamique, qui enregistre une forte pression démographique, l’investisseur ne prend pas trop 523 Autres Assurance-vie en unités de compte SOURCE : PAIR CONSEIL de risques », explique Guy Marty, directeur général de l’Institut de l’épargne immobilière et foncière. Bien sûr, les règles d’or doivent être respectées : étudier le quartier pour appréhender la réalité du marché locatif, intégrer les charges annexes qui grèvent le rendement… Ceux qui souhaitent éviter les tracas de gestion se tourneront vers les sociétés civiles de placement immobilier (SCPI). « Nos clients en raffolent car le fait d’investir dans des commerces ou dans l’immobilier d’entreprise les rassure », relève le créateur du site Netinvestissement.fr, Stephane van Huffel. La performance de ces produits – attendue aux alentours de 4,7 % en 2016 – a il est vrai de quoi séduire. Mais là encore, les frais élevés à l’entrée, la longue durée de détention, l’impact de la crise économique sur l’activité des commerces sont autant d’éléments à bien appréhender. Ils rappellent que pour espérer un peu de rendement, il faut accepter une dose de contraintes et de risque. p frédéric cazenave DOSSIER | ARGENT & PLACEMENTS | |5 0123 Mercredi 3 février 2016 Des livrets plutôt que rien Au lieu de laisser vos économies végéter sur un compte bancaire, faites le tour de ces produits. Certains battent nettement le Livret A P our les petits épargnants, ceux dont l’univers des placements se résume bien souvent aux classiques livrets réglementés, voire au plan d’épargne logement (PEL), le coup est rude. Depuis le 1er février, le taux du PEL est descendu à 1,5 %. Cette baisse intervient après celle du Livret A, le 1er août 2015, tombé à 0,75 %. Devant des rémunérations aussi faibles, beaucoup de particuliers laissent leur épargne végéter sur leurs comptes courants. Dommage, car malgré des taux au plancher, ces produits d’épargne continuent de rapporter. « La hausse des prix a été quasi nulle en 2015 et va rester très faible en 2016, la rémunération faciale du Livret A peut donc être considérée comme nette », précise Philippe Crevel, directeur du Cercle de l’épargne. Cela peut sembler contreintuitif, mais même à 0,75 %, il demeure l’un des meilleurs rendements depuis cinq ans, une fois l’inflation déduite. C’est pourquoi ce livret et son « cousin », le livret de développement durable (LDD), restent les produits de base à détenir afin d’y loger son épargne de précaution. Il est conseillé de ne pas y placer plus de trois à six mois de revenus, ou le montant nécessaire à financer un projet déjà défini (achat d’un nouveau véhicule…). Ensuite, il faut orienter son épargne sur d’autres produits plus rémunérateurs. 2,25 % chez BNP Paribas et 2 % au CIC, au Crédit mutuel et à la Société générale. Le Livret d’épargne populaire (LEP) rapporte également davantage que le Livret A : 1,25 % net de tout impôt et prélèvement. Vous pouvez ainsi y investir jusqu’à 7 700 euros, à condition de ne pas dépasser un plafond de ressources, qui dépend de votre situation familiale. Pour une ouverture en 2016, le montant de votre revenu fiscal de référence de 2014 (indiqué sur l’avis d’imposition 2015) ne doit pas, par exemple, dépasser 19 255 euros si vous êtes célibataire. Si vous avez une somme importante à placer en attente de réinvestissement pour un délai de deux à quatre mois, les super-livrets des banques sur Internet offrent une alternative, car les plafonds de versements y sont très élevés. Attention, le taux de rémunération s’entend brut, les gains sont soumis aux prélèvements sociaux de 15,5 % et imposés. Pour booster vos intérêts, investissez-y pendant les périodes promotionnelles. A titre d’exemple, BforBank propose aujourd’hui la meilleure offre : 3 % pendant trois mois jusqu’à 75 000 euros, puis 0,85 % au-delà. Si vous investissez ce montant pendant Booster vos intérêts Certains livrets – eux aussi sans aucun risque – rapportent plus que le Livret A, c’est le cas du Livret jeune. Réservé aux 12-25 ans, il est plafonné à 1 600 euros d’épargne et rapporte au minimum 0,75 % net. « Bien que le montant des versements y soit limité, le taux de ce produit est généralement plus intéressant que celui des autres livrets réglementés, et il n’est pas fiscalisé », souligne Isabelle Fauvel, chargée de l’animation épargne pour la clientèle particuliers chez LCL. Car pour fidéliser leur jeune clientèle, beaucoup de banques dopent le taux de ce produit. Il peut atteindre jusqu’à 2,75 % net aux Banques populaires, 2,50 % aux Caisses d’épargne, cette période, vous gagnerez 409 euros d’intérêts si vous êtes imposé à 14 %. En plaçant cette même somme hors période promotionnelle, vos gains nets s’élèveront à seulement 116 euros. Si votre durée d’investissement est plus longue, et plutôt que de jongler d’une promotion à une autre, direction le livret qui offre la meilleure rémunération du moment. Actuellement, il s’agit de celui de RSI qui propose 1,70 % pour son livret Zesto, soit 1,20 % net pour une personne imposée à 14 %. Un taux nettement supérieur à celui du Livret A. Enfin, si vous pouvez bloquer vos fonds au moins deux ans : ouvrez un PEL. Il rapporte 1,5 %, soit 1,27 % net après prélèvements sociaux, les intérêts étant soumis à l’impôt sur le revenu à partir de son douzième anniversaire. Cette rémunération correspond à la moitié de celle d’un fonds en euros d’une assurance-vie, mais est plus élevée que l’inflation. Le tout avec une sécurité absolue. Avantage supplémentaire : si vous prévoyez d’acheter votre résidence principale ou d’y faire des travaux, vous bénéficierez, après quatre ans, d’un crédit au taux de 2,70 %. p marie pellefigue Les produits à proscrire Vu le niveau abyssal des taux d’intérêt, quelques produits de trésorerie sont à fuir. Si vous en détenez certains, vendez-les pour réinvestir ailleurs. Premier sur la liste : les fonds monétaires, dont la performance est calquée sur le taux d’intérêt interbancaire européen qui est… négatif depuis plus d’un an. Et encore, cela n’intègre pas les frais de gestion annuels ponctionnés sur l’encours de l’épargne investie. Les comptes à terme sont également à proscrire, car leur rentabilité nette à moins d’un an est inférieure à celle du Livret A, plus faible que celle du PEL à moins de deux ans, le tout avec une moindre liquidité et des intérêts fiscalisés qui sont soumis aux prélèvements sociaux. Les parts sociales des banques mutualistes font aussi grise mine, car les banques ne peuvent pas les rémunérer au-dessus du taux moyen de rendement des obligations des entreprises privées (TMO). Ce dernier, qui était de 1,89 % en 2014, est passé à 1,07 % l’an dernier. Comme les intérêts de ces placements sont soumis à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux de 15,5 %, cette année la rentabilité maximale nette d’une part sociale sera de 0,75 % pour une personne imposée à 14 % et de 0,58 % pour un contribuable à 30 %. Assurance-vie, viser au-delà du fonds en euros Pour améliorer la performance, le salut passe par des fonds de nouvelles générations et une nécessaire diversification P lacement préféré des Français, avec près de 1 600 milliards d’euros qui y fructifient, l’assurance-vie offre de multiples possibilités de trouver du rendement grâce aux compartiments financiers qu’elle renferme. Et permet de choisir un niveau de risque adapté à votre sensibilité et votre horizon, une flexibilité qui n’est pas offerte par tous les placements. Le compartiment star de l’assurance-vie, c’est le fonds en euros. Un ovni dans l’univers financier, puisqu’il offre une garantie totale sur le capital investi et les intérêts accumulés au fil du temps, mais aussi une parfaite liquidité, car il permet de retirer de l’argent en quelques jours ou semaines. Le tout, saupoudré de précieux avantages fiscaux sur les revenus et lors des successions. Investi très majoritairement en obligations pour parvenir à offrir cette sécurité, ce fonds souffre toutefois de la baisse des taux d’intérêt obligataires. Ainsi, ses performances ne cessent de diminuer : elles ont atteint en moyenne 2,2 % l’an dernier (avant prélèvements sociaux de 15,5 %, soit un taux crédité de 1,85 %). Au regard d’une inflation très faible, à 0,2 %, le bilan en reste toutefois très positif, puisque l’épargne investie a vu son pouvoir d’achat progresser largement, de plus de 1,6 % en moyenne. Le fonds en euros continue donc à remplir sa mission, mais avec des écarts qui demeurent importants selon les assureurs et les types de fonds. Si les Confier la gestion à des tiers Pour faciliter la diversification de l’épargne investie en assurance-vie, les professionnels proposent une solution attractive : la gestion déléguée, ou pilotée. Elle consiste pour le particulier à confier la gestion à un professionnel, qui se charge de répartir l’épargne entre les différents supports du contrat, puis fait évoluer cette répartition dans le temps, au gré de tous les aléas économiques et conjoncturels. En général, plusieurs styles de gestion sont proposés, allant d’une relative prudence à l’audace ; des mots qui cachent une part plus ou moins importante d’actions dans les portefeuilles. Les résultats sont plutôt encourageants. Dommage que cette option soit souvent l’apanage des clientèles fortunées, nombre d’établissements fixant un ticket d’entrée élevé pour y accéder. Pour les épargnants modestes, le salut passe par les contrats en ligne vendus sur Internet, dont certains proposent cette gestion clés en main à partir de 1 000 euros. moins rémunérateurs ont rapporté aux alentours de 1,5 % l’an dernier (1,6 % pour le Crédit mutuel Nord Europe), les plus rentables ont dégagé un rendement supérieur à 3 % (3,30 % pour la discrète Mutuelle d’Ivry-La Fraternelle – MIF) et certains, investis en immobilier, ont fait encore mieux. Avec un taux de 4 % en 2015, le record est détenu par le fonds Sécurité Pierre Euro de Primonial et Suravenir, même si pour accéder à ce type de fonds en euros alternatifs, il faut accepter de placer une partie de son épargne sur d’autres supports. Pas de miracles La preuve donc qu’il est possible de trouver du rendement en toute sécurité, à condition de choisir des assureurs performants qui distribuent des contrats avec des frais d’entrée et de gestion légers. Pour autant, il ne faut pas s’attendre à des miracles : les taux de rendement vont continuer à diminuer, car les portefeuilles des assureurs sont aujourd’hui remplis d’obligations faiblement rémunératrices. En 2016, les taux moyens devraient tourner autour de 2 %, puis continuer à reculer à un rythme de 20 à 30 points de base (de 0,20 % à 0,30 %) par an. Seule une remontée des taux d’intérêt obligataires pourrait inverser cette tendance, mais ce scénario ne figure dans aucun programme, du moins tant que la Banque centrale européenne continue de mener sa politique accommodante et que la croissance est atone. En prévision de cette baisse à venir, et parce que les fonds en euros sont aujourd’hui trop peu rentables, la plupart des assureurs incitent leurs clients à se tourner vers d’autres compartiments financiers pour y placer une partie de leurs économies. Le courtier en ligne Altaprofits, par exemple, propose un « pack diversifié » qui repose à 60 % sur le fonds en euros, et à 40 % sur deux fonds investis en partie en actions. « Ce panachage vise à préserver le capital dans le temps, tout en permettant d’espérer des performances supérieures à celles du seul fonds en euros, explique Hervé Tisserand, dirigeant d’Altaprofits. Les épargnants aiment bien ces solutions, car elles sont simples et facilitent la diversification. » Les particuliers à la recherche d’une alternative se voient aussi proposer d’autres types de placements. On trouve ainsi de plus en plus de supports immobiliers, comme les OPCI (organismes de placement collectif immobilier) ou les SCPI (sociétés civiles de placement immobilier). Investis sur des biens tangibles, ils offrent, en outre, un caractère rassurant pour les investisseurs, en panne de confiance au regard des marchés financiers traditionnels. Mais attention : tous ces fonds ne bénéficient cependant d’au- Une érosion continue RENDEMENT NET (HORS PRÉLÈVEMENTS SOCIAUX) APRÈS INFLATION, EN % 5,6 5,45 3,6 2,05 2,4 1990 1995 2000 *ESTIMATION cune garantie. Leur valeur peut donc diminuer à tout moment, même s’ils affichent depuis maintenant plusieurs années des performances régulières et flatteuses. De nombreux assureurs proposent également de souscrire à des fonds appelés « patrimoniaux » ou encore « flexibles », dans lesquels une gestion diversifiée est menée tout en laissant d’assez larges marges de manœuvre aux gérants. Ces produits ont pour ambition de rapporter 5 % à 6 % par an et ont 2005 1,8 2010 2015* SOURCES : INSEE, FFSA pour objectif de ne pas perdre d’argent sur des durées de trois ans. S’ils parviennent ainsi à tenir durablement cette double promesse, ils pourraient représenter une porte de sortie honorable aux fonds en euros pour tous les épargnants prudents acceptant une légère prise de risque à court terme. p éric leroux > Sur Lemonde.fr Retrouver les rendements 2015 des fonds en euros des principaux contrats d’assurance-vie. 6| 0123 Mercredi 3 février 2016 | ARGENT & PLACEMENTS | DOSSIER Le solide avenir des SCPI Les performances des sociétés civiles de placement immobilier devraient être un peu moins bonnes cette année. Mais elles restent un bon investissement D epuis vingt-cinq ans, les SCPI (sociétés civiles de placement immobilier), apparemment insensibles aux cycles des marchés de bureaux et de commerces, délivrent une performance annuelle moyenne supérieure à 5 %. Leur marché « pèse » environ 35 milliards d’euros et la collecte progresse vite. Elle a bondi de 47,5 % au premier semestre 2015, à 1,86 milliard d’euros, selon l’Association françaises des sociétés de placement immobilier (Aspim). « Par les temps qui courent, aucun autre produit financier accessible au grand public n’offre un tel rendement avec si peu de risques », affirme Laurent Fléchet, directeur général délégué du groupe Primonial. Si le capital n’est pas protégé, la diversification des investissements réalisés par le gérant est censée sécuriser l’épargne. Même dans les périodes difficiles pour l’immobilier d’entreprise, qui peut entraîner une baisse de la valeur des actifs détenus en portefeuille, la solidité des baux (de six ou neuf ans) conclus par une SCPI la protège. La dernière crise qui a frappé le secteur, celle de 2008, a permis de le vérifier. L’Institut de l’épargne immobilière et foncière recense 166 SCPI. Toutes n’ont pas annoncé leurs performances pour 2015, mais on sait déjà que ce sera aussi un bon millésime. « Le rendement moyen devrait ressortir entre 4,7 % et 4,8 %, en légère baisse après la performance de 5,08 % observée en 2014 », annonce Julien Vrignaud, fondateur du site SCPI-8. Ces produits offrent en effet une excellente visibilité. Leur mécanique est bien rodée : les SCPI achètent des immeubles ou des commerces (rarement des logements) pour percevoir des loyers qu’elles redistribuent à leurs porteurs de parts, sous la forme de généreux dividendes. Fiscalement, les contribuables les déclarent comme s’ils percevaient des loyers, mais ils échappent aux contraintes de la gestion d’une location. Sauf accident, l’appréciation du patrimoine des SCPI entraîne une revalorisation des parts sur le long terme, ce qui les rend doublement intéressantes pour un investisseur. Cerise sur le gâteau : il est possible de les acheter à crédit en déduisant les intérêts de l’emprunt des revenus perçus. Et de les placer dans un contrat d’assurance-vie, même si les compagnies d’assurances ont une fâcheuse tendance à limiter leur offre aux SCPI maison. Est-ce pour autant un produit sans défaut ? Non, car les frais d’entrée élevés (environ 10 %) imposent un horizon d’investissement d’au moins dix ans. Sur le long terme, leur principal ennemi est l’inflation, mais les baux qu’elles signent prévoient une indexation des loyers en fonction de la hausse des prix. En outre, le rachat des parts n’est pas garanti. Dans les années 1990, le retournement brutal du marché immobilier avait provoqué une crise de liquidité sur le marché des SCPI et de nombreux épargnants étaient restés longtemps sans pouvoir vendre leurs parts. « Mais la situation est différente, car le rendement des emprunts d’Etat est au plus bas, ce qui n’était pas le cas à l’époque », se souvient Jean-Marc Peter, directeur général de Sofidy. « Beaucoup a été fait pour améliorer la liquidité du marché des SCPI, constate Eric Cosserat, président du directoire de Perial. Il y a aujourd’hui un vrai marché secondaire. » Lors de la crise de 1996-1998, le taux de parts en attente de cession était monté à 4 %. Lors de la crise de 2008, il n’a pas dépassé 1,15 %. Pour 2016, une nouvelle érosion des rendements paraît inéluctable. La hausse de la collecte est un défi pour les gérants de SCPI, car ils doivent trouver des actifs aussi rentables que ceux qu’ils ont en portefeuille. « En 2016, la performance moyenne devrait se situer aux alentours de 4,5 %, 4,6 % », estime le fondateur du site Meilleurescpi.com, Jonathan Dhiver. Une vision partagée par Marc Bertrand, directeur général de La Française REM : « Le tassement des performances observé en 2015 va se reproduire en 2016, mais le marché de la location de bureaux a fini de baisser. Il n’y a aucune raison que l’effritement des rendements se prolonge ensuite. » Les secteurs des bureaux et des commerces pâtissent de la molesse de la reprise économique en France. C’est pourquoi les gérants de SCPI explorent de nouveaux territoires en multipliant les investissements à l’étranger, en particulier en Allemagne, et dans le secteur de la santé. Primonial a ainsi collecté 450 millions d’euros à travers Primovie, qui investit dans des crèches, écoles, cliniques. Autre acteur de poids, La Française REM a investi 200 millions d’euros outre-Rhin en 2015, et compte en faire autant en 2016. Alors, comment choisir ? Il est recommandé de « panacher » ses investissements. Les SCPI « anciennes » sont considérées comme les plus sûres car leur portefeuille est très diversifié. Plus concentrés, les produits créés récemment, davantage tournés vers l’international, « Par les temps qui courent, aucun produit financier accessible au grand public n’offre un tel rendement avec si peu de risques » laurent fléchet directeur général délégué du groupe Primonial. présentent un profil plus risqué. « Il faut faire surtout attention à ceux qui sont spécialisés dans le commerce, met en garde M. Dhiver. L’essor du commerce électronique pèse sur le chiffre d’affaires des boutiques, qui tentent de renégocier leur loyer à la baisse. » Si leurs performances paraissent homogènes dans un cycle haussier, toutes les SCPI ne se valent pas. « Je conseille d’éviter celles qui possèdent des immeubles menacés d’obsolescence. Elles auront des difficultés à attirer de nouveaux locataires à la fin des baux en cours », poursuit M. Dhiver. Un risque réel, sachant que 75 % des bureaux en Ile-deFrance ont été construits il y a plus de quinze ans. Pour les repérer, la lecture des rapports annuels des SCPI, qui détaille la composition de leur portefeuille, constitue une source d’informations précieuse. p jérôme porier Les sirènes du financement participatif Cette nouvelle façon d’épargner permet d’espérer des taux très attrayants I l y a trois ans, le financement participatif déboulait dans l’univers figé des placements financiers. Depuis, cette nouvelle forme d’investissement, accessible aux particuliers pour quelques dizaines d’euros, a donné un sérieux coup de vieux aux autres classes d’actifs. En cette période de faible rémunération, ce placement les surclasse avec des rendements annuels compris entre 4 % et 12 %. Pour mémoire, le crowdfunding consiste en une levée de fonds sur Internet, orchestrée par une plateforme, auprès de particuliers séduits par le projet d’une société. Pour les start-up ou les très petites entreprises (TPE), cela constitue un complément, voire une alternative au financement bancaire traditionnel. Pour le particulier, « c’est une bonne façon d’investir dans l’économie réelle en fonction de ses moyens financiers », explique Benoît Bazzocchi, président de l’Association française de l’investissement participatif (AFIP). Déboires Le crowdfunding offre trois visages : le don, le prêt, et l’investissement en capital. Pour le prêt, le taux est généralement fixé par la plate-forme, la durée du crédit varie de douze à trente-six mois et la somme prêtée démarre à 10 euros. La rémunération varie selon le profil de risque de la société qui emprunte, mais les plates-formes (les plus actives se nomment Unilend, Lendix et Lendopolis) proposent des intérêts compris entre 4 % et 8 %. Le remboursement, qui est le plus souvent mensuel, comprend une fraction du capital et des intérêts. Dans le cadre de l’investissement en capital (les principaux sites sont Smartangels, Anaxago, Wiseed), l’épargnant endosse le costume du business angel. Il entre dans le capital de start-up avec des tickets d’entrée faibles (de 50 à 500 euros) en achetant des titres en direct ou à travers un holding. Cet investissement, peu liquide, implique une immobilisation des fonds plus longue (cinq à huit ans). Certaines entreprises, du fait de leurs caractéristiques, permettent aux investisseurs de loger les titres acquis dans un plan d’épargne en actions ou un PEAPME – destiné au financement des petites et moyennes entreprises et des entreprises de taille intermédiaire – ou d’obtenir une baisse d’impôt sur le revenu ou sur l’impôt de solidarité sur la fortune. Attrayants, ces placements n’en sont pas moins risqués. Les performances annoncées ne sont jamais garanties. Le capital placé peut, à terme, ne pas être récupéré si la société emprunteuse ou celle dans laquelle on a investi connaît des déboires. « Tout va dépendre de la réussite de la société : on peut multiplier sa mise par deux, trois, voire plus, ou dans le pire des cas tout perdre », explique M. Bazzocchi. Les sites ont beau affirmer être sélectifs dans les dossiers mis en ligne, ils ne savent pas si l’entreprise sera une pépite, végétera, ou mettra la clef sous la porte. Plusieurs sites de prêts ont ainsi dû faire face à une défaillance ces derniers mois. Précaution avant d’investir : vérifier que la plate-forme qui fait office d’intermédiaire a obtenu l’agrément officiel de l’Autorité des marchés financiers, soit celui de Conseillers en investissement participatif, soit celui d’Intermédiaires en finance participative. Ensuite, épluchez les dossiers et, surtout, diversifiez au maximum. « Dans la mesure du possible, il faut multiplier les prêts et en avoir jusqu’à 50. Cela permet de mutualiser le taux de défaillance qui avoisine 3 % à 5 % », explique le PDG de Bolden.fr, Tristan Grué. Même stratégie dans l’investissement en capital, où la multiplication des participations (au moins 10) est conseillée. Sachant que ce type de placement, du fait de ses contraintes, ne doit jamais dépasser 5 % à 10 % de votre patrimoine financier. D’autant que, côté performances, on manque encore d’historique, peu de projets dans l’investissement en actions ayant été débouclés. Et les avis ne sont pas unanimes. Dans une étude récente, la Banque privée 1818 alertait sur le mirage du crowdfunding, en soulignant que ce secteur « est lui-même une start-up » avec tous les risques que cela comporte. p laurence boccara L’immobilier s’y met aussi Le secteur de l’immobilier a flairé les atouts du crowdfunding. Pour les promoteurs locaux de taille moyenne, c’est une bonne façon de compléter le financement de leur opération. La majorité des platesformes propose aux particuliers d’investir dans des programmes neufs (logements, bureaux) et affiche des rendements compris entre 5 % et 10 % par an. Là encore, rien n’est garanti. « Pour ces opérations de promotion d’une durée de dix-huit à vingt-quatre mois, le risque de perte existe », reconnaît le cofondateur de Crowdfundingimmo.fr, Vincent Sillègue. Un retard de livraison de l’immeuble ou une non-commercialisation du programme repousse le remboursement et peut même mettre en péril l’opération, et par conséquent le capital injecté. Pour le moment, seule une demi-douzaine d’opérations ont été débouclées sur la centaine en cours. Encore plus risqué, d’autres sites proposent de financer des marchands de biens ou de réaliser un investissement locatif à plusieurs. A éviter, surtout si le montage est une société civile immobilière, car, dans ce cas, l’épargnant peut perdre plus que sa mise initiale. DOSSIER | ARGENT & PLACEMENTS | En Bourse, sensations fortes garanties R Le choix de la société de gestion est crucial, car plus d’un fonds sur deux termine sa course dans le mur ÉVOLUTION, EN % Société de gestion Cinq ans Un an 17,51 BSF European Opps Extension BlackRock 140,13 UBS ES Eurp Opp Uncons UBS FM 110,11 7,15 Comgest Growth Mid-Caps Europe Comgest AM 95,43 9,03 MFS Meridian Europ Sm Cos MFS 92,16 6,05 F&C European Small Cap F&C 91,64 1,23 Mandarine Unique S&M Caps Europe Mandarine Gestion 88,04 9,96 SOURCE : MORNINGSTAR avec un intérêt pour les valeurs dites « en retournement ». « Il s’agit de trouver des entreprises qui ont réalisé, ou mènent actuellement, des réorganisations susceptibles d’améliorer leurs résultats, et ce même sans intégrer la croissance de l’économie, explique Didier Bouvignies, associé gérant. Des groupes comme Peugeot, que nous détenons déjà en portefeuille, ou Saint-Gobain et Mediaset, en Italie, sont de bons exemples. » Sur les chapeaux de roues Autre thème préféré des gérants cette année, les fusions-acquisitions. Les acquisitions se multiplient en raison de la chute des taux d’intérêt, qui permet de financer à moindre coût des opérations de croissance externe. En 2015, la barre des 5 000 milliards de dollars de transactions dans le monde a été franchie, selon le cabinet d’études Dealogics. Et 2016 a commencé sur les chapeaux de roues, avec des annonces dans la pharmacie (le laboratoire Shire veut racheter l’américain Baxalta) ou dans les télécoms (Orange cherche à croquer Bouygues Telecom). « Tous les secteurs sont concernés, mais nous nous attendons à une forte concentration dans les services informatiques », dit Louis Bert. La digitalisation de l’économie constitue une autre tendance durablement porteuse, du moins pour les entreprises qui savent surfer sur cette vague. La société de gestion Legg Mason mise sur le développement du commerce en ligne. Les analystes de Credit Suisse recommandent, eux, les géants de l’Internet, estimant que leur capitalisation boursière, qui pèse aujourd’hui 1 400 milliards de dollars devrait pouvoir atteindre, en 2020, 3 000 milliards. Ils privilégient notamment Alibaba, Alphabet (Google) ou Facebook. Plus près de chez nous, « nous avons investi dans Ingenico, un leader des moyens de paiement, ou Solutions 30, un installateur de box et de compteurs ERDF intelligents », souligne Louis Bert. « L’avantage de se positionner sur le secteur du digital, c’est qu’il bénéficie d’une demande émanant tant des entreprises que des consommateurs, poursuit-il. Avec ce secteur, nous sommes loin des problèmes chinois, ou des fluctuations des prix des matières premières. » p propos recueillis par f. pa. les sociétés choisies ne devront pas avoir plus de sept ans pour les FIP, dix ans pour les FCPI », résume Jean-David Haas, directeur général de NextStage. C’est pourquoi, il est essentiel de vérifier l’historique de la société de gestion. « Nos quatre fonds maison clôturés signent des gains de 1 % à 127 %, nets de frais et hors avantage fiscal », fait ainsi valoir Xavier Anthonioz, président du directoire de 123Venture. Bonne note aussi pour Alto Invest, par exemple : sur les quatre fonds remboursés aux souscripteurs, trois affichent des gains. Autre type de produit, les fonds communs de placement à risques (FCPR). Mais leur ticket d’entrée reste très élevé, l’épargne est bloquée sept à dix ans, et les performances font aussi le grand écart. Plutôt que de passer par un fonds, l’alternative consiste à investir en direct au capital des PME. Quels sont les atouts de cette formule ? La réduction d’ISF maximale grimpe à 45 000 euros (50 % de la mise, à condition de conserver les titres cinq ans), et la ristourne d’impôt sur le revenu (18 % du montant investi, maximum 50 000 euros pour un célibataire) est plafonnée à 9 000 euros. Bien entendu, la solution la plus simple est d’entrer au capital de la PME d’un proche. Mais attention, à partir de 2016, les actionnaires familiaux ne bénéficient plus de la réduction d’impôt lorsqu’ils investissent dans leur propre société. Ceux qui ne connaissent pas d’entrepreneur ont intérêt à se faire aider pour sélectionner les dossiers. Chez Audacia, dès 5 000 euros, on investit dans cinquante PME, en un seul versement. « Le but n’est pas de doubler la mise, mais de la retrouver à la sortie, relève Charles-Henri Waquet, directeur commercial. Avec l’avantage fiscal, le particulier reste largement gagnant. » p caroline racapé NOUVE AU “AVEC LA SCPI CORUM CONVICTIONS JE TOUCHE DES REVENUS MENSUELS” LA 1re SOLUTION D’ÉPARGNE IMMOBILIÈRE AVEC UN VERSEMENT MENSUEL DES DIVIDENDES 6,30% DISTRIBUÉ EN 2015(1) 4,32% TAUX DE RENDEMENT INTERNE 4 ANS(2) Accessible à partir de 1045 €, CORUM Convictions est la solution de complément de revenus idéale avec des dividendes potentiels perçus tous les mois. CORUM Convictions vous permet ainsi de bénéficier de tous les avantages de l’investissement immobilier locatif en direct, sans ses contraintes. Comme tout placement immobilier, la SCPI est un investissement long terme dont la liquidité est limitée. Ainsi, le capital et les revenus ne sont pas garantis et peuvent varier à la hausse comme à la baisse. Bien entendu, les performances passées ne sont pas un indicateur fiable des performances futures. JE VEUX EN SAVOIR PLUS SANS ENGAGEMENT 01 71 25 15 15 www.scpi-corum-convictions.com (1) Distribution sur Valeur de Marché (DVM) : rapport entre le dividende brut distribué par part et le prix moyen annuel de la part. (2) Taux de Rendement Interne (TRI) : calcul de la rentabilité de l’investissement qui tient compte de l’évolution du prix de la part et des revenus distribués sur la période. Avant tout investissement, le souscripteur doit prendre connaissance de la note d’information présentant l’ensemble des caractéristiques, des risques et des frais afférents à l’investissement, disponible sur www.scpi-corum-convictions. com et doit vérifier qu’il est adapté à sa situation patrimoniale. CORUM Convictions, visa SCPI n°12-17 de l’AMF du 24/07/2012, gérée par CORUM Asset Management agrément AMF GP-11000012 du 14/04/2011. JE SOUHAITE RECEVOIR UNE DOCUMENTATION À L’ADRESSE INDIQUÉE CI-DESSOUS. J’envoie mon bulletin à CORUM Convictions - 6 rue Lamennais 75008 Paris. Nom : Adresse : Prénom : LM0216 Je vois au moins trois raisons de s’intéresser à Mediaset : l’économie italienne s’améliore ; le groupe bénéficie d’un potentiel de réduction de coûts important, ce qui compenserait un retour plus tardif de la croissance du marché publicitaire ; enfin, Mediaset devrait participer à la consolidation du secteur en Europe. C’est, en Bourse, la chaîne TV la moins chère d’Europe. » Louis Bert : « Les investisseurs n’ont pas intégré l’impact positif de la fusion entre la Fnac et Darty, qui permettra à chacune des entreprises de doubler sa puissance d’achats pour atteindre 4 milliards d’euros en France. Lessynergies sont estimées à 1 % du chiffre d’affaires pour le nouveau groupe, qui bénéficiera d’une solide structure financière. Madeuxième valeur est Sara. Ce raffineur indépendant, créé en 1962 et coté sur le marché italien, est fortement décoté par rapport à ses concurrents. Or, le bilan est bon, et la société prévoit de verser un dividende générant un rendement de plus de 10 % en 2016. » p Performances contrastées Cette carotte fiscale se mérite, car ce type de placement n’est pas sans inconvénient. Tout d’abord les frais sont élevés : 5 % à l’entrée, en moyenne, puis 4 % annuels durant la durée du fonds (soit 20 à 40 % des versements au total). Pour les FCPI et FIP estampillés « ISF », un décret plafonnera les frais, mais ceux qui sont proposés aux particuliers en 2016, agréés à la hâte fin 2015, ne sont pas concernés. Autre réserve, les performances sont contrastées. Plus d’un fonds sur deux termine sa course dans le rouge. D’où l’importance du choix de la société de gestion. D’autant que pour les supports agréés à compter de 2016 – qui seront accessibles en 2017 –, les performances devraient devenir plus volatiles. « Les conditions d’investissement ont été resserrées : franck pauly Pronostics de gérants Nous avons demandé à Didier Bouvignies, associé chez Rothschild & Cie Gestion, et à Louis Bert, directeur général délégué de Dorval Finance, une maison spécialisée dans la gestion flexible, de sélectionner deux valeurs qui, selon eux, réaliseront un beau parcours boursier en 2016. Nous ne manquerons pas, en fin d’année, de revenir sur ces choix. Didier Bouvignies : « Si vous croyez au redémarrage de l’économie européenne, SaintGobain est un très bon dossier pour profiter de la reprise de la construction en Europe, ce secteur représentant près de 70 % de son chiffre d’affaires. Depuis des années, le groupe travaille à réduire sa base de coûts. Les inquiétudes liées à son exposition à l’industrie américaine ou à la conjoncture brésilienne sont désormais prises en compte par les investisseurs : la valorisation du titre se situe en dessous de sa moyenne historique et affiche une décote de 20 % par rapport à ses concurrents. D iversifier son patrimoine, tout en réduisant ses impôts. L’investissement dans les petites et moyennes entreprises (PME) a de quoi séduire. En 2014, 97 000 personnes se sont laissées tenter par les fonds communs de placement dans l’innovation (FCPI) et les fonds d’investissement de proximité (FIP), ces structures qui réunissent l’épargne des particuliers pour investir dans des PME, selon les derniers chiffres de l’AFIC (Association française des investisseurs pour la croissance) et de l’AFG (Association française de la gestion financière). En contrepartie des risques de ce placement et du blocage de leur épargne (sept à dix ans), les investisseurs décrochent une réduction d’impôt sur le revenu de 18 % du montant investi (plafonnée à 2 160 euros pour un célibataire, le double pour un couple) ou, selon le type de fonds, un rabais d’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). LES FONDS EUROPE LES PLUS PERFORMANTS SUR CINQ ANS Nom du fonds |7 Investir dans les PME, un pari tentant mais osé La faible reprise de l’économie en Europe et la BCE peuvent-elles soutenir les actions ? Les professionnels croisent les doigts alentissement en Chine, plongeon du pétrole, risques géopolitiques… L’incertitude hante les marchés. Une chose est sûre : si vous n’êtes pas prêt à affronter le yo-yo des indices, passez votre chemin. Car après le plongeon de janvier – le CAC 40 a perdu 7 % depuis le début de l’année, le Dow Jones 8 %, le DAX 10 %… –, l’année sera mouvementée, tant les classes d’actifs et les régions du monde se situent à des points différents de leur cycle. D’un côté, les banques centrales en Europe et au Japon continuent d’inonder les marchés de liquidités, de l’autre, la Réserve fédérale américaine relève ses taux. D’un côté, l’économie européenne est sur le chemin d’une timide reprise, de l’autre, la conjoncture s’essouffle outre-Atlantique… Résultat : les experts sont partagés. Certains estiment que nous sommes à l’aube d’un violent décrochage, Albert Edwards, stratège de la Société générale, estimait, mi-janvier, que l’indice S&P de Wall Street pourrait chuter de 70 %, d’autres pensent qu’il est temps de profiter des « soldes » de ce début d’année… Les actions européennes pourraient gagner 10 %, avance la société de Bourse Cholet Dupont. Un optimisme qui tranche avec le climat ambiant. Malgré les avis divergents, un consensus se dégage sur les thèmes à privilégier cette année : les professionnels visent les sociétés sensibles à la conjoncture européenne, celles menant la digitalisation de l’économie, ou participant aux fusions-acquisitions. En Europe, les valeurs liées à la consommation des ménages sont préférées car elles bénéficient « des effets positifs de l’augmentation du pouvoir d’achat résultant de la chute des cours du pétrole », résume Frédéric Rollin, conseiller en stratégie d’investissement chez Pictet. « Nous nous intéressons aux sociétés les plus sensibles à la conjoncture en Europe, car les chiffres sont malgré tout positifs : la consommation, le marché automobile et l’immobilier repartent », ajoute Louis Bert, directeur général délégué de Dorval Finance. Chez Rothschild & Cie Gestion, on privilégie aussi la zone euro, 0123 Mercredi 3 février 2016 Tel : Code postal : E-mail : Ville : Les destinataires des informations demandées dans ce document sont les seuls services internes de CORUM Asset Management. Ces informations sont nécessaires pour prendre en compte votre demande. En application de la loi 78-17 du 06.01.78, vous disposez, d’un droit d’accès, de rectification et d’opposition sur les informations vous concernant auprès de CORUM Asset Management, 6 rue Lamennais, 75008 Paris. Sauf opposition de votre part, ces informations pourront être utilisées par CORUM Asset Management à des fins de prospection. 8| 0123 Mercredi 3 février 2016 | ARGENT & PLACEMENTS | BANQUES La grande loterie des tarifs bancaires En moyenne quatre fois plus chères que leurs concurrentes en ligne, les banques de réseau affichent pour les mêmes prestations des prix très hétérogènes… et en hausse L es banques en ligne ne pouvaient pas rêver mieux. En décidant d’augmenter leurs tarifs en 2016, les réseaux bancaires traditionnels n’ont pas seulement créé une polémique, ils ont également renforcé un peu plus l’avantage compétitif de leurs concurrents du Net. Les acteurs 100 % Web n’ont-ils pas fait de la gratuité des principaux services (carte bancaire, accès Internet, virements, etc.) leur marque de fabrique ? L’étude annuelle des tarifs bancaires réalisée par Choisir-ma-banque.com pour Le Monde, qui analyse pour six profils types les prix de 134 établissements, est sans appel. « En moyenne, nos six clients règlent 41 euros dans les banques en ligne, contre 166 euros dans les réseaux bancaires, soit un rapport de 1 à 4 pour des prestations identiques ! », calcule ainsi le fondateur de Choisir-mabanque.com, Ludovic Herschlikovitz. Soucieux de permettre au consommateur de s’y retrouver dans la jungle des prix, le ministère des finances a d’ailleurs lancé le 1er février un comparateur public des onze tarifs de base. Cet outil confirmera le grand écart entre les banques Web et les autres. 1,4 % C’est le taux d’augmentation des tarifs bancaires en 2015, d’après le baromètre annuel du Monde, en partenariat avec choisir-ma-banque.com, publié le 12 janvier. Pour parvenir à ce résultat, ce comparateur a passé au crible les plaquettes tarifaires de 134 établissements (hors offres de produits et services groupés) et les a appliquées à six clients types. Carte bancaire classique ou haut de gamme, paiement à l’étranger, découvert, assurance moyens de paiement, perte du code secret… les profils ont été établis au plus près des consommations réelles. A l’arrivée, la hausse, certes limitée, est largement supérieure à l’inflation (0,2 %). Si les banques de réseau sont sensiblement plus chères, leurs tarifs sont par ailleurs très hétérogènes. Ainsi, notre profil « employé » (1 600 euros de revenu mensuel net) règle 176,48 euros en moyenne au Crédit mutuel, soit 40 % de plus que le réseau le moins cher (124,99 euros au Crédit agricole). Idem pour notre profil « cadre supérieur » (3 500 euros de revenu mensuel net), avec une différence de 20 % entre l’établissement le plus coûteux (BNP Paribas) et le moins cher (Crédit agricole). Cette année encore, les banques Internet trustent donc les premières places de nos classements. Du moins pour les particuliers qui peuvent y prétendre. Car il faut pouvoir justifier d’un minimum de revenu pour être éligible à leurs services (1 600 euros net par mois par exemple chez BforBank) ou pour obtenir une carte bancaire gratuite (1 000 euros net par mois pour une carte standard chez Boursorama). Cette sélectivité explique que notre profil jeune actif (pour lequel nous avons fixé un revenu de 1 100 euros) n’ait accès qu’à certaines banques en ligne. Les établissements traditionnels, eux, restent à la traîne. Désormais, 82 % des banques de notre panel font payer des frais de tenue de compte (16,42 euros par an en moyenne), contre 43 % seulement en 2013. BNP Paribas (30 euros) et la Société générale (24 euros) ont ainsi rejoint, depuis le 1er janvier, la longue liste des banques les facturant. Précisons que, dans la très grande majorité des cas, la facturation de ces frais n’est appliquée qu’en dehors des packages, ces offres groupées de produits et services. Parmi les autres hausses, notons celle de l’assurance moyens de paiement, dont le prix continue de grimper (+ 1,29 %, à 27,70 euros) alors que son utilité est plus que discutable, ou celle des cartes standard à débit immédiat (+ 2,05 %, à 38,72 euros). « Ces dernières années, les pouvoirs publics se sont attaqués à des lignes de frais bancaires en plafonnant, par exemple, les commissions d’intervention prélevées en cas de découvert non autorisé. Les banques ont trouvé un moyen, avec les frais de tenue de compte, de se rattraper », décrypte M. Herschlikovitz. L’existence de ces frais est justifiée selon Baudoin Choppin de Janvry, directeur conseil industrie financière secteur banque de détail chez Deloitte : « Le modèle des banques en ligne a pu laisser penser que les services bancaires étaient gratuits. Mais, en réalité, c’est une fausse idée, il n’y a aucune raison à cela. Il n’est pas anormal de régler quelques euros par mois à sa banque, c’est largement inférieur à ce que l’on débourse pour un accès Internet/téléphone. » Pas sûr que les consommateurs l’entendent de cette oreille. « Les banques Internet ont certes gagné des parts de marché ces dernières années, mais il n’y a pas eu de raz de marée » baudoin choppin de janvry directeur conseil industrie financière secteur banque de détail chez Deloitte Point important : nous avons effectué des moyennes nationales pour ceux qui sont mutualistes (Banque populaire, Caisse d’épargne, Crédit agricole et Crédit mutuel), mais dans ces réseaux, chaque région fixe librement sa politique tarifaire, ce qui conduit à des différences significatives. « Cet écart grandissant des tarifs peut servir de déclencheur en incitant les particuliers à quitter les réseaux classiques pour rejoindre une banque en ligne », estime M. Herschlikovitz. D’autant que pour les attirer, elles déroulent le tapis rouge : toutes offrent régulièrement la somme de 80 euros à leurs nouveaux clients. « La prime sert d’accélérateur : elle donne envie aux futurs clients d’ouvrir un compte », constate André Coisne, le directeur général de BforBank. Combien de comptes courants les banques en ligne gèrent-elles ? Pour l’heure, difficile d’obtenir une indication fiable : la plupart de ces établissements ne donnent que le nombre total de leurs clients, incluant ceux qui n’ont souscrit qu’à leurs produits d’épargne. Ainsi, Fortuneo en annonce 365 000. « Au total, 40 % de nos clients détenant un compte courant utilisent Fortuneo comme banque principale en 2015, contre 30 % en 2014, et 10 % il y a cinq ans », consent à préciser Grégory Guermonprez, son directeur. Idem pour BforBank, qui vise 250 000 clients en 2020. De son côté, ING Direct a dépassé le million, y compris sur ses activités d’épargne ; pour sa part, Boursorama en revendiquait 750 000 fin 2015. En fait, selon Bain & Company, les banques en ligne détenaient, fin 2014, 2 % de part de marché en tant que banque principale, c’est-à-dire dans laquelle on domicilie ses revenus. Pour séduire, elles vont devoir continuer à étoffer leur palette de services : il ne suffit pas de proposer un compte courant et des produits d’épargne pour concurrencer sérieusement les réseaux. Boursorama et ING Direct, qui disposent d’une offre de crédit immobilier, l’ont bien compris. Hello bank ! aussi, qui met à disposition l’ensemble de la gamme de produits et de services de BNP Paribas. « Les banques en ligne font aussi la différence sur leurs placements financiers : l’absence de frais sur un contrat d’assurance-vie se traduit par un gain de performance très important sur la durée du contrat », rappelle ainsi Grégory Guermonprez. « Les banques Internet ont certes gagné des parts de marché ces dernières années, mais il n’y a pas eu de raz de marée », tempère cependant Baudoin Choppin de Janvry, chez Deloitte. La tendance pourrait s’accélérer. Tout d’abord, l’arrivée d’Orange en 2017 sur ce secteur déjà encombré va donner un nouveau coup de projecteur. « C’est la première fois qu’un opérateur télécoms entre sur le marché. Or, entre sa base de clients, son réseau de boutiques et, bien sûr, sa connaissance du mobile, Orange devrait être un sérieux concurrent », explique M. Herschlikovitz. Surtout, à partir du mois de février 2017, il sera nettement plus facile de changer de banque, puisque c’est le nouvel établissement qui entrera directement en contact avec l’ancien pour gérer le transfert des prélèvements, des virements… Le client n’aura plus aucune démarche à faire, sinon trouver la meilleure banque. p agnès lambert Des différences de coût considérables quel que soit le profil des clients COÛT ANNUEL DES SERVICES CORRESPONDANT À CHAQUE PROFIL. LE DÉTAIL DES PROFILS ET L’INTÉGRALITÉ DU CLASSEMENT SONT DISPONIBLES SUR LEMONDE.FR, RUBRIQUE ARGENT & PLACEMENTS JEUN E IN AC T IF ACTI F D E MOI NS D E 2 5 AN S COÛT COÛT MAXIMUM 213,33 € MOYEN E M P LOY É COÛT MAXIMUM MAXIMUM 221,45 € 86,29 MOYEN 101,38 MOYEN 1 600 € 268,18 € 139,46 1 100 € 600 € MINIMUM MINIMUM 17,91 REVENU MENSUEL REVENU MENSUEL LES TROIS BANQUES LES MOINS CHÈRES CAISSE D'EPARGNE LOIRE DROME ARDECHE CRÉDIT AGRICOLE ALSACE VOSGES CRÉDIT AGRICOLE PROV. CÔTE D'AZUR 17,91 € 31,84 37,88 MINIMUM 21,38 REVENU MENSUEL LES TROIS BANQUES LES MOINS CHÈRES BOURSORAMA BANQUE LES TROIS BANQUES LES MOINS CHÈRES BFORBANK 21,38 € SOON BY AXA BANQUE CRÉDIT AGRICOLE FRANC-COMTOISE 50,4 56,13 BOURSORAMA BANQUE FORTUNEO ING DIRECT LES TARIFS DES PRINCIPALES BANQUES SOCIÉTÉ GÉNÉRALE CRÉDIT AGRICOLE** CAISSE D'EPARGNE** BNP PARIBAS LA BANQUE POSTALE BANQUE POPULAIRE** CRÉDIT MUTUEL** LCL ** MOYENNE DES CAISSES RÉGIONALES. 42,01 € 65,76 69,55 77,89 78,84 79,23 84,78 89,59 3,16 LES TARIFS DES PRINCIPALES BANQUES LA BANQUE POSTALE CRÉDIT AGRICOLE** BANQUE POPULAIRE** CAISSE D'EPARGNE** CRÉDIT MUTUEL** SOCIÉTÉ GÉNÉRALE BNP PARIBAS LCL 3,16 € 3,16 3,16 3,16 LES TARIFS DES PRINCIPALES BANQUES 89,93 € 91,55 99,51 101,27 104,05 108,07 109,13 126,86 CRÉDIT AGRICOLE ** BANQUE POPULAIRE** LCL LA BANQUE POSTALE SOCIÉTÉ GÉNÉRALE BNP PARIBAS CAISSE D’EPARGNE** CRÉDIT MUTUEL** 124,99 € 127,72 127,89 129,01 135,12 139,27 166,45 176,48 BANQUES | ARGENT & PLACEMENTS | Les « fintech » rajeunissent le secteur E nouvelle : il force les banques à se creuser la tête pour améliorer leurs services. « Les fintech sont bien moins chères que les acteurs traditionnels, car leurs coûts fixes sont très inférieurs. Les banques ne peuvent plus se reposer sur leurs acquis », souligne Julien Maldonato, directeur conseil industrie financière chez Deloitte. Le segment le plus développé est celui des paiements, avec des solutions de paiement sur mobile par carte bancaire (Lydia), des « cagnottes en ligne » (Leetchi, Le Pot commun), ou encore le transfert d’argent à l’étranger (PayTop). Gros succès également pour les applis de gestion de budget comme Linxo ou Bankin. Côté compte courant, le CompteNickel, un compte sans banque distribué par les buralistes, a déjà séduit plus de 200 000 Français depuis son lancement en 2014. « D’autres acteurs viendront sur le segment de la banque sans agence, c’est le sens de l’histoire. C’est déjà le cas au Royaume-Uni avec Atom Bank et Tandem Bank, ou en Allemagne avec Number 26 », explique ainsi Guillaume-Olivier Doré. « Conseillers robots » Les banques sont aussi concurrencées sur leurs produits d’épargne. Le financement participatif devient peu à peu une alternative aux placements classiques, puisqu’il permet aux particuliers de prêter de l’argent à des PME ou d’y investir en capital en échange de rendements attrayants… et d’une prise de risque. Toujours dans l’épargne, des robot advisors (« conseillers robots ») commencent à émerger. Advize, Yomoni, Fundshop ou encore Marie Quantier ont pour objectif d’aider le particulier à Pour fidéliser leur clientèle, les établissements mettent les bouchées doubles sur les applis mobiles tout en jouant la carte du conseil et des services L es banques en ligne n’ont pas le monopole de la banque à distance. Les grands réseaux, de la Société générale aux Caisses d’épargne en passant par LCL, se sont eux aussi lancés dans la course au numérique. Avec succès. En novembre 2015, les sites Internet des banques ont accueilli 23,7 millions de visiteurs uniques pour une durée moyenne de quarantetrois minutes sur le mois, selon la dernière étude de Médiamétrie-NetRatings. Cela signifie que 50 % des internautes ont visité le site d’une banque au cours de ce mois. « Au total, 85 % de nos clients consultent leur compte par Internet. Et, pour la première fois en 2015, les connexions mobiles dépassent celles de l’Internet fixe », indique Denis Mancosu, réaliser son allocation d’actifs grâce à des algorithmes, basés notamment sur les historiques des marchés financiers. L’avenir dira si les allocations qui ont été proposées étaient pertinentes. « Le secteur le moins développé est l’assurance. C’est aujourd’hui le plus prometteur car l’hyperconnectivité permettra de mieux mesurer les risques et de les prévenir », estime Julien Maldonato chez Deloitte. Quelques acteurs se sont déjà lancés, à l’instar d’InsPeer, qui permet de partager avec les autres inscrits les montants non couverts (franchises) par son assureur en cas de sinistre, et de Fluo, qui vérifie précisément de quelles assurances vous disposez déjà grâce à votre carte bancaire afin d’éviter les doublons. Les établissements financiers sont donc attaqués de toute part. « Evidemment, cela ne va pas faire disparaître les banques. Mais elles sont mises sous pression, car les nouveaux entrants, comme les fintech, mais aussi les opérateurs de télécoms, les bancassureurs, les géants de l’Internet, vont peu à peu rogner leurs marges en leur prenant certains services et en leur laissant les produits les moins rentables », souligne Alain Clot. Les banques ont bien compris le danger. Et à défaut de pouvoir arrêter les fintech, elles les rachètent. Certaines ont déjà commencé à prendre des participations : Crédit mutuel Arkéa a ainsi investi dans Prêt d’union et Linxo, et mis la main sur Leetchi ; la Banque populaire Caisses d’épargne a racheté Le Pot commun. Objectif : garder un œil sur le développement de ces nouveaux usages et ne pas se faire grignoter une part du gâteau. p A l’étranger, les nouveaux modèles d’agences bancaires ressemblent à des magasins de design ou à des halls d’hôtels dernier cri directeur de la distribution multicanal des Caisses d’épargne, dont l’appli a été téléchargée par 5,4 millions de clients. A défaut de pouvoir vraiment concurrencer les banques 100 % Internet sur leurs tarifs, les établissements traditionnels se sont clairement mis au diapason en matière d’accessibilité à distance. « Les fonctionnalités des applis et des sites des banques de réseau sont à peu près identiques à celles de leurs concurrentes du Web », confirme Guillaume Alméras, consultant indépendant et animateur du site Score Advisor sur les évolutions bancaires. Parallèlement, les réseaux planchent sur de nouveaux concepts d’agences bancaires, dans un contexte global de réduction de la voilure dans le nombre de succursales. « L’erreur serait de simplement les relooker en a. la. C A DR E C AD RE SUPÉRI EUR COÛT MAXIMUM |9 La contre-attaque des réseaux traditionnels En inventant de nouveaux services financiers, ces start-up bousculent les acteurs traditionnels et les obligent à évoluer n France, elles sont une centaine. Certaines n’en sont qu’au stade de l’idée, d’autres, comme l’appli mobile de gestion de budget Bankin, affichent plus d’un million d’utilisateurs. Point commun de ces « fintech » (une contraction de finance et de technologie), start-up adeptes du big data, des réseaux sociaux et, plus globalement, des nouvelles technologies : elles s’attaquent aux banques en inventant des services financiers ou en rendant plus simples et ludiques ceux qui existent. « Leur poids économique est encore infinitésimal, mais elles se développent très rapidement. Elles vont progressivement s’installer dans le paysage bancaire », explique Guillaume-Olivier Doré, fondateur de la holding d’investissement FinTech Invest. Le phénomène est à la fois mondial et récent : l’investissement dans ce secteur a triplé en 2014 pour atteindre un montant de 12,2 milliards de dollars dans le monde, d’après une étude publiée par Accenture en mars 2015. La France en est aux prémices de ce mouvement : le consommateur commence à changer de comportement, et semble désormais prêt à faire quelques infidélités à sa banque. « Le client est devenu un consommateur-utilisateur : il compare, vérifie les prix, veut connaître les opinions des autres et n’hésite pas à aller voir ailleurs. C’est vrai dans la téléphonie, le tourisme, l’automobile… Ce le sera dans les services financiers », analyse Alain Clot, le président de l’association France FinTech, lancée en juin 2015 pour promouvoir les champions français du secteur. Pour les particuliers, l’essor de ces start-up est une bonne 0123 Mercredi 3 février 2016 les équipant d’écrans pour faire moderne ! Il faut au contraire les redéfinir autour du rôle du conseiller », préconise Guillaume Alméras. A terme, le particulier réalisera la quasi-totalité de ses opérations à distance, de façon autonome, et ne se déplacera en agence que pour obtenir un conseil à forte valeur ajoutée. Dans les nouvelles agences de la Caisse d’épargne, par exemple, les conseillers sont équipés de casques, écrans, etc. pour dialoguer avec leurs clients à distance, mais ils peuvent également les recevoir dans un lieu davantage convivial, en face à face. Objectif : réconcilier le numérique et l’humain. L’agence devrait donc devenir une boutique comme les autres, conviviale et accueillante. A l’étranger, les nouveaux modèles ressemblent d’ailleurs davantage à des magasins de design ou encore à des halls d’hôtel dernier cri. Aux Etats-Unis, Umpqua Bank ne propose-t-elle pas des cours de yoga dans certaines de ses succursales ? « Les agences vont devenir des lieux de vie : on viendra y rencontrer des experts pour un conseil sur le crédit ou les placements, mais on pourra aussi, pourquoi pas, louer une salle de réunion », avance Baudoin Choppin de Janvry, directeur conseil industrie financière secteur banque de détail chez Deloitte. Reste le point crucial : les conseillers doivent s’adapter à leur nouveau rôle. Et il y a du pain sur la planche, les clients se plaignant en effet régulièrement des rotations trop rapides de leur conseiller, qui changent, en moyenne, tous les trois ans. L’une des pistes consiste à faire circuler des conseillers spécialisés (épargne, crédit, etc.) dans plusieurs agences. Le personnel « fixe » aura pour mission, dans ce cas, de nouer une relation de proximité avec le client. « Le conseiller constitue le point différenciant les réseaux bancaires des banques en ligne, c’est un véritable atout. Toutes les banques traditionnelles ont une carte à jouer pour fidéliser leurs clients », indique Baudoin Choppin de Janvry. Même si, par définition, ces conseillers restent des commerciaux chargés de distribuer les produits maison. p a. la. S E N IO R SAN S IN TE R N E T COÛT 3 500 € MAXIMUM 449,22 € COÛT MAXIMUM 506,07 € 277,13 € 2 400 € MOYEN MINIMUM 234,79 MOYEN MINIMUM 55,89 REVENU MENSUEL 242,04 BOURSORAMA BANQUE FORTUNEO BFORBANK FORTUNEO BFORBANK 68,21 LA BANQUE POSTALE CRÉDIT AGRICOLE** CAISSE D’EPARGNE** LCL CRÉDIT MUTUEL ** SOCIÉTÉ GÉNÉRALE BNP PARIBAS 92,96 LES TROIS BANQUES LES MOINS CHÈRES BANQUE POPULAIRE MASSIF CENTRAL 51,48 € 57,60 CRÉDIT AGRICOLE PROV. CÔTE D'AZUR BANQUE POP. PROVENÇALE ET CORSE 64 LES TARIFS DES PRINCIPALES BANQUES 221,3 € 224,94 228,94 237,75 243,49 252,25 262,67 263,09 159,30 REVENU MENSUEL BOURSORAMA BANQUE LES TARIFS DES PRINCIPALES BANQUES BANQUE POPULAIRE ** MINIMUM LES TROIS BANQUES LES MOINS CHÈRES 55,89 € 62,01 MOYEN 51,48 REVENU MENSUEL LES TROIS BANQUES LES MOINS CHÈRES 1 600 € CRÉDIT AGRICOLE** BANQUE POPULAIRE** LA BANQUE POSTALE SOCIÉTÉ GÉNÉRALE CRÉDIT MUTUEL** LCL CAISSE D’EPARGNE** BNP PARIBAS 92,96 € 106,28 124,87 LES TARIFS DES PRINCIPALES BANQUES 225,14 € 235,82 241,13 251,4 252,86 263,77 268,99 281,67 LA BANQUE POSTALE BANQUE POPULAIRE** INFOGRAPHIE : MARIANNE BOYER CRÉDIT AGRICOLE** CAISSE D'EPARGNE** BNP PARIBAS CRÉDIT MUTUEL** LCL SOCIÉTÉ GÉNÉRALE 136,5 € 144,55 144,56 156,43 160,69 171,64 176,65 178,61 SOURCES : CHOISIR-MA-BANQUE.COM ; « LE MONDE ARGENT & PLACEMENTS » 10 | | ARGENT & PLACEMENTS | 0123 Mercredi 3 février 2016 IMMOBILIER e n Une procédure d’urgence pour changer de syndic Davantage de bailleurs hors la loi à l’est de Paris Il faut parfois utiliser la méthode forte pour se débarrasser d’un prestataire indélicat F in novembre 2015, mon syndic m’a annoncé qu’il comptait augmenter ses honoraires de 30 % en 2016 en raison de l’entrée en vigueur de la loi Alur, déclare Jérémie P., président du conseil syndical des copropriétaires d’un immeuble situé dans le 17e arrondissement de Paris. Il s’était arrangé pour que l’assemblée générale de notre immeuble se déroule très tardivement, en décembre, alors que les comptes doivent être approuvés avant le 31 décembre. Nous étions piégés, car il est difficile de mobiliser les copropriétaires pour changer de syndic dans un délai aussi court ! » Depuis un an, les associations de consommateurs disent recueillir un grand nombre de témoignages similaires. « La loi Alur n’induit pas de surcoût pour les syndics, c’est un mensonge. Ils utilisent ce prétexte pour imposer de fortes hausses de tarifs », s’énerve Emile Hagège, directeur de l’Association des responsables de copropriétés (ARC), qui publiera, en mars, un guide afin d’aider les copropriétaires à répondre aux arguties des syndics. Changer de prestataire est compliqué car le cadre législatif est très contraignant. « La loi est précise : il faut envoyer au syndic en place un nouveau contrat négocié avec un concurrent en lui demandant, par l e c a s lettre recommandée, de mettre à l’ordre du jour de la prochaine assemblée générale une résolution proposant le changement de syndic », détaille le fondateur de Syndicexperts.com, Sylvain Elkouby. Les copropriétaires doivent être informés des résolutions de l’assemblée générale au moins vingt et un jours ouvrés avant le vote. Il est donc recommandé d’envoyer le contrat du nouveau syndic deux mois avant la date fatidique. En effet, il arrive fréquemment que le syndic en place traîne les pieds, espérant gagner suffisamment de temps pour être reconduit une année supplémentaire. Jurisprudence Heureusement, il existe une possibilité pour changer de syndic en urgence, même si les délais sont dépassés. Elle consiste à passer en force lors de l’assemblée générale en votant contre le renouvellement du syndic en place, puis en demandant à l’un des copropriétaires de se dévouer pour exercer la fonction de syndic bénévole à titre provisoire. Une procédure illégale en l’absence de tout contrat ? « La jurisprudence reconnaît la légalité de l’élection à condition que le nouveau syndic n’exige aucune rémunération, précise M. Hagège. Le professionnel évincé ne peut rien p r a t i q u e Mon acheteur se défausse au dernier moment J e ne suis pas près d’oublier ce 17 juin 2015. Au moment où le camion de déménagement démarre avec mes meubles pour libérer l’appartement que je m’apprête à céder, je reçois un coup de fil affolé de mon notaire, raconte Anne-Claire. C’est la catastrophe : il m’annonce que la signature de l’acte de vente est définitivement annulée. Le futur acheteur n’a pas obtenu l’assurance emprunteur en lien avec son crédit immobilier. En quelques secondes, tout s’écroule, mon logement est vide et je suis dans l’incapacité d’acheter mon nouvel appartement dont la signature est programmée le même jour dans l’après-midi. » Cette quadra parisienne n’a alors d’autres choix que de reporter le rendez-vous et de trouver en urgence un garde-meubles. Dossier incomplet Ce coup de théâtre aurait-il pu être évité ? L’avis des professionnels est partagé. Il semble y avoir eu une négligence du côté du notaire chargé de la transaction. Un suivi plus attentif, notamment à l’approche du jour J, aurait permis de détecter que le dossier de prêt du futur acheteur était incomplet et commençait à poser un sérieux problème. Anne-Claire aurait donc pu être alertée plus tôt. Toutefois, « lorsque le compromis ou la promesse de vente est signé, rien n’est complètement scellé. Une transaction immobilière n’est jamais sûre, elle peut toujours capoter jusqu’au jour de la signature de l’acte officiel », indique Jean-Michel Boisset, notaire en Normandie. Tout d’abord, l’acquéreur bénéficie de dix jours à compter du lendemain de la notification de l’avant-contrat (promesse ou compromis de vente) ou de la remise en main propre de l’acte de vente pour se rétracter. Ensuite, l’exercice d’un droit de préemption de la collectivité locale ou encore un refus de crédit ou d’assurance sont des événements susceptibles de remettre en cause l’engagement entre les deux parties. « Ces scénarios sont souvent prévus par les conditions suspensives intégrées dans l’avant-contrat », précise Jean-Michel Boisset. Dans le cas d’Anne-Claire, justement, une condition prévoyait l’annulation de la vente si l’acquéreur essuyait un refus d’assurance lié à son crédit. L’ex-acheteur a ainsi pu récupérer l’intégralité de la somme versée le jour du compromis. Pour mémoire, lors de la signature d’un avant-contrat, il est d’usage que l’acheteur dispose d’un délai de trente à quarantecinq jours pour pouvoir trouver un crédit et avertir (le vendeur, l’agent immobilier ou le notaire) qu’il a reçu l’offre ferme de la banque. « C’est seulement à partir de ce moment que l’on fixe une date de signature, souvent programmée deux à trois semaines plus tard », explique Jean-Michel Boisset. Pourquoi ce délai ? « A partir du lendemain de la confirmation de l’offre de prêt, le futur emprunteur dispose, selon la loi, d’un délai de réflexion de dix jours calendaires », rappelle David Rodrigues, juriste à l’association de consommateurs CLCV. Autant de délais à intégrer de préférence avant de faire ses cartons. p laurence boccara faire car il faut avoir le statut de copropriétaire pour contester le vote : il est coincé ! » Pour que l’opération réussisse, il est impératif que tous les copropriétaires soient sur la même longueur d’onde. Ce qui implique de les mobiliser suffisamment en amont. La recherche d’un professionnel compétent pouvant prendre plusieurs mois, il faut démarrer le plus tôt possible. Le bouche-à-oreille est généralement la méthode la plus efficace. Si certains copropriétaires s’abstiennent lors de l’assemblée générale, aucune conséquence fâcheuse n’est à redouter, tant que le quorum est atteint. En revanche, si l’un d’eux s’oppose au changement de syndic et saisit le tribunal de grande instance, ce dernier b r e f peut estimer que l’immeuble n’est plus géré et le placer sous administration judiciaire. « C’est pourquoi cette stratégie est déconseillée pour les grandes copropriétés, car il est rare que tous les copropriétaires de l’immeuble parviennent à se mettre d’accord », recommande Rachid Laaraj, créateur de Syneval, un courtier en syndic. Un conseil : au début de l’assemblée générale, veillez à nommer l’un des copropriétaires comme secrétaire de séance, et non le syndic, et n’oubliez pas d’emmener avec vous le PV de la réunion s’il vous expulse de ses locaux. « Dans ce cas, il ne faut pas se laisser démonter et poursuivre l’assemblée ailleurs, par exemple dans un café proche », poursuit M. Laaraj. p jérôme porier Entré en vigueur à Paris le 1er août 2015, l’encadrement des loyers est peu respecté. Meilleursagents. com, qui a épluché 14 114 références de locations non meublées publiées sur les sites d’annonces pour professionnels entre le 1er août et le 31 décembre 2015, estime que 29 % des biens sont proposés au-dessus du loyer de référence majoré. Autre information, la part de propriétaires-bailleurs hors la loi est nettement plus élevée dans l’Est parisien. Dans le nord du 19e arrondissement ou dans le sud du 13e arrondissement, 50 % des annonces ne respectent pas la loi. « Ces propriétaires sont majoritaires dans les zones où le découpage réalisé par l’OLAP [l’Observatoire des loyers de l’agglomération parisienne] juxtapose des quartiers populaires et d’autres, plus huppés, explique le président de Meilleursagents. com, Sébastien de Lafond. Ceux qui possèdent un appartement bien situé tentent d’imposer un loyer élevé, mais comme leur zone englobe des endroits beaucoup moins favorisés, leur loyer de référence est tiré vers le bas. C’est pourquoi les dépassements sont aussi fréquents à l’est. » Une reprise sans emballement La Fnaim a dressé, le 28 janvier, un bilan optimiste du marché immobilier. Le premier syndicat professionnel du secteur a constaté une forte accélération des ventes au second semestre 2015. Sur l’année, il table sur un volume de transactions supérieur à 800 000 ventes dans l’ancien (+ 15,6 %), un niveau proche du record de 2006-2007. Les prix semblent aussi repartir à la hausse. Un retournement de tendance a été enregistré au quatrième trimestre 2015, avec une hausse de 1,9 % en France et de 0,7 % en Ile-de-France. Moins optimistes, les experts du Crédit agricole prévoient un total de 795 000 ventes (+ 15 %), dans l’ancien, en 2015. Pour 2016, ils estiment que le marché restera bien orienté, « mais risque de baisser légèrement, surtout dans l’ancien, avec des ventes en recul de 5 % et des prix en repli de 1 % à 2 % en moyenne sur l’ensemble du territoire ».