Le Monde - entree

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Le Monde - entree
SCIENCE & MÉDECINE
ARGENT &
PLACEMENTS
ZIKA : L’ÉPIDÉMIE
EN 10 QUESTIONS
SUPPLÉMENT
SUPPLÉMENT →
Mercredi 3 février 2016 ­ 72e année ­ No 22099 ­ 2,40 € ­ France métropolitaine ­ www.lemonde.fr ―
Fondateur : Hubert Beuve­Méry ­ Directeur : Jérôme Fenoglio
Google, nouveau roi de Wall Street
▶ Alphabet, la maison
▶ La capitalisation de
▶ La croissance est portée
mère de Google, a an­
noncé des résultats record,
qui ont fait grimper sa
valeur en Bourse
à 555 milliards de dollars
l’entreprise américaine dé­
passe désormais celle d’Ap­
ple. Son bénéfice a atteint,
en 2015, 23 milliards de
dollars, en hausse de 23 %
par ses métiers historiques
– le moteur de recherche,
YouTube, Android – qui
génèrent toujours plus
de publicité
▶ Mais la société perd
de l’argent dans les
nouvelles technologies,
comme la santé, les
voitures sans conducteur,
la domotique
▶ Cinq des neuf plus im­
portantes valeurs de la
Bourse américaine sont
désormais des entreprises
issues du high­tech
→ LIR E
LE C A HIE R É CO PAGE S 1 ET 6
SANTÉ
CANCER : DES TAUX
DE GUÉRISON
DE PLUS EN PLUS
ENCOURAGEANTS
→ LIR E
Ted Cruz,
la surenchère
populiste
EMPLOI
LES RÉGIONS
ENRÔLÉES DANS
LA LUTTE CONTRE
LE CHÔMAGE
→ LIR E
▶ Le sénateur du Texas
a nettement devancé Donald
Trump dans l’Iowa
LA GRANDE MISÈRE
DES PROSTITUÉES
CHINOISES
DE BELLEVILLE
comme le candidat modéré
des républicains
▶ Chez les démocrates,
Bernie Sanders fait presque
jeu égal avec Hillary Clinton
→ LIR E
▶ Le vote de l’Iowa ne préjuge
SYRIE
pas du résultat national et est
une victoire des « antisystème »
Ted Cruz
à l’annonce
des résultats.
PAGE 2 E T L’ É DITOR IA L PAGE 2 2
JIM YOUNG/REUTERS
CINÉMA
« ANOMALISA »,
UN FILM SOMBRE,
DRÔLE, OUVERT
C’
est l’histoire étonnante
d’une pièce de théâtre
qui se transforme en
film d’animation. Anomalisa, le
film de Charlie Kaufman et Duke
Johnson, est une œuvre singulière,
fascinante et innovante. Il se passe
à l’Hôtel Fregoli : « J’avais lu des
choses sur le syndrome de Fregoli,
dit Charlie Kaufman. Ceux qui
souffrent de ce délire pensent que
PAGE 7
SOCIÉTÉ
▶ Marco Rubio s’impose
→ LIR E
PAGE 9
POLITIQUE
leur entourage n’est qu’une seule et
même personne », illustration de
cette impossibilité d’entrer en con­
tact avec les autres.
La semaine s’ouvre encore avec
La Marcheuse, de Naël Maran­
din, la vie d’une clandestine
prostituée, ou Chocolat, l’his­
toire du clown afro­cubain, de
Roschdy Zem.
CHRISTIANE
TAUBIRA
S’EXPLIQUE
SUR SON DÉPART
par jean-baptiste jacquin
et thomas wieder
→ LIRE P. 16 À 19
E
lle avait quitté son minis­
tère en enfourchant son
vélo jaune, le 27 janvier.
Cinq jours plus tard, c’est avec
une rose rouge à la main que
Christiane Taubira débarque chez
son éditeur, où viennent tout
juste d’arriver les premiers exem­
plaires de son livre, Murmures à
la jeunesse (éd. Philippe Rey, 94 p.,
7 euros), imprimé dans le plus
PAGE 1 1
LES CIVILS,
VICTIMES DES
VILLES ASSIÉGÉES
→ LIR E
PAGE 4
grand secret en Espagne alors
qu’elle était encore garde des
sceaux. Une rose : le symbole se
passe de mots, et il suffit de voir
son sourire malicieux pour com­
prendre qu’elle se plaît assez dans
le rôle que certains lui prêtent, ce­
lui d’icône d’une gauche en quête
de visages pour incarner l’espé­
rance.
→ LIR E
L A S U IT E PAGE 8
LE REGARD DE PLANTU
« UN FILM PUISSANT
ET AMBITIEUX »
MARIANNE
TÉLÉRAMA
COUP DE CŒUR
Julie Bertuccelli dans ELLE
CRÉATION
PHOTOS © FOLAMOUR - CRÉDITS NON CONTRACTUELS
UN FILM DE NAËL MARANDIN
QIU LAN
YA N N I C K C H O I R AT
LO U I S E C H E N
P H I L I P P E L AU D E N B AC H
LE 3 FÉVRIER AU CINÉMA
/LaMarcheuse
REZOFILMS.COM
Algérie 200 DA, Allemagne 2,80 €, Andorre 2,60 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,40 €, Cameroun 2 000 F CFA, Canada 4,75 $, Côte d'Ivoire 2 000 F CFA, Danemark 32 KRD, Espagne 2,70 €, Espagne Canaries 2,90 €, Gabon 2 000 F CFA, Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,60 €, Guyane 3,00 €, Hongrie 990 HUF,
Irlande 2,70 €, Italie 2,70 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,40 €, Malte 2,70 €, Maroc 15 DH, Pays-Bas 2,80 €, Portugal cont. 2,70 €, La Réunion 2,60 €, Sénégal 2 000 F CFA, Slovénie 2,70 €, Saint-Martin 3,00 €, Suisse 3,60 CHF, TOM Avion 480 XPF, Tunisie 2,80 DT, Turquie 11,50 TL, Afrique CFA autres 2 000 F CFA
2 | international
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MERCREDI 3 FÉVRIER 2016
De gauche à droite et de haut en bas. La déception de Donal Trump, la joie des partisans de Bernie Sanders et Ted Cruz ; le discours d’Hillary Clinton, le 31 janvier à Des Moines.
DARCY PADILLA/VU POUR « LE MONDE » ; ALEX WONG/GETTY IMAGES/AFP ; CHARLIE NEIBERGALL/AP
Dans l’Iowa, Trump chute et Clinton piétine
Les caucus de lundi marquent la percée du républicain Ted Cruz et la résistance du démocrate Bernie Sanders
des moines (iowa) - envoyé spécial
E
n prenant congé, lundi après-midi
1er février, du public venu l’entendre
dans la petite ville de Jefferson,
avant-dernière étape de sa campagne de l’Iowa, le sénateur républicain du
Texas Ted Cruz avait formulé trois requêtes :
« voter », « faire voter » et « prier ». Sur les deux
premiers points, on peut assurer qu’il a été
entendu, confirmant l’aversion des électeurs
de l’Iowa pour les victoires annoncées par les
sondages. Profitant d’une mobilisation exceptionnelle de l’électorat conservateur,
M. Cruz, 45 ans, l’a en effet emporté avec 28 %
des voix sur celui qui faisait figure de favori,
Donald Trump (24 %), dans la course à l’investiture républicaine pour l’élection présidentielle du 8 novembre.
Un autre sénateur, cette fois-ci du Vermont,
l’indépendant Bernie Sanders, avait demandé
la même chose à ses soutiens au cours des
dernières semaines, à l’exception du troisième point. Il a lui aussi créé la surprise en
obtenant, selon sa propre expression, « un
quasi-match nul » avec une autre favorite, l’ancienne secrétaire d’Etat Hillary Clinton, pour
l’investiture démocrate. Un résultat longtemps trop serré pour qu’un vainqueur ait pu
être proclamé lundi soir à Des Moines. Dans la
nuit de lundi à mardi, l’équipe de campagne
de Mme Clinton a annoncé sa courte victoire.
Après avoir imposé pendant sept mois ses
foucades et ses thèmes de campagne à un
camp républicain souvent tétanisé, impressionné par sa capacité d’attraction vis-à-vis
d’un public majoritairement conservateur
en rupture de ban avec la politique,
M. Trump, 69 ans, affrontait pour la première
fois le jugement des électeurs. Sa deuxième
place, dont il s’est dit « honoré », lundi soir, au
cours d’un discours marqué par une inhabituelle humilité, est pourtant doublement décevante. M. Trump a tenté de masquer la déception en multipliant les traits d’humour,
envisageant ainsi l’achat d’une ferme dans
cet Etat rural. Mais il n’est pas parvenu à contenir M. Cruz, après avoir pourtant alimenté
les doutes sur son éligibilité – M. Cruz est né
au Canada –, une tactique douteuse qu’il
avait déjà utilisée il y a quatre ans, lors de la
campagne contre le président démocrate
sortant, Barack Obama.
M. Trump est également talonné par un
autre sénateur, Marco Rubio (23 %), élu de
Floride. Ce dernier, 44 ans, a prononcé pour
sa part un véritable discours de victoire
lundi, convaincu d’avoir fait un grand pas
pour s’imposer comme le candidat modéré
de son camp par rapport à d’autres prétendants. Tout d’abord, l’ancien gouverneur de
Floride Jeb Bush (3 %), son ancien mentor,
mais aussi les gouverneurs du New Jersey et
de l’Ohio Chris Christie (2 %) et John Kasich
(2 %), qui ont été complètement laminés
dans cet Etat rural. M. Rubio avait emprunté à
M. Cruz et à M. Trump leur rhétorique catastrophiste ces dernières semaines. Il a immédiatement renoué avec une tonalité plus optimiste, développant, lundi soir, devant ses
partisans, le thème d’un « nouveau siècle
américain », son slogan initial de campagne.
COURSE PAR ÉLIMINATIONS
Le sénateur de Floride s’est également empressé de se présenter comme le meilleur rassembleur d’un camp divisé. Il aura fort à faire
pour convaincre M. Cruz, qui a analysé au
contraire sa victoire comme celle d’une base
conservatrice peu disposée à en rabattre sur
ses convictions. Après avoir remercié Dieu,
sous l’œil attentif de son père, pasteur baptiste, M. Cruz a assuré que sa victoire était la
preuve que le choix du candidat républicain
pour la présidentielle « ne sera pas décidé par
les médias, ni par Washington, ni par les lobbys ». Le sénateur du Texas peut d’autant plus
se réjouir de son succès qu’il a subi la concurrence du neurochirurgien Ben Carson, très apprécié par les conservateurs religieux bien implantés dans cet Etat rural. Ce dernier est parvenu à rassembler près de 10 % des voix en dépit d’une campagne en chute libre.
Le trio de tête républicain va en découdre
désormais dans le New Hampshire, premier
Etat à organiser des primaires (le 9 février)
après le premier caucus de l’Iowa. M. Rubio y
a d’ailleurs atterri en famille peu après minuit. Après avoir concentré ses attaques contre M. Cruz, M. Trump, donné favori, pourrait
se tourner contre M. Rubio, compte tenu de la
sociologie de cet Etat, qui est plus favorable à
ce dernier que l’Iowa. S’il a félicité lundi soir le
vainqueur après l’avoir agoni pendant un
RÉSULTATS DU CAUCUS DE L’IOWA, LE 1ER FÉVRIER, EN %
CAUCUS RÉPUBLICAIN
27,7
Ted Cruz
24,3
Donald J. Trump
23,1
Marco Rubio
9,3
Ben Carson
Rand Paul
4,5
2,8
Jeb Bush
CAUCUS DÉMOCRATE
Hillary Clinton
49,9
Bernie Sanders
49,6
Martin O’Malley
0,6
99 % des bulletins dépouillés
Marco Rubio
a prononcé
un discours de
victoire lundi,
convaincu
d’avoir fait
un grand pas
pour s’imposer
comme
le candidat
modéré
du camp
républicain
SOU RCE : « THE NEW YORK TIMES »
mois, le magnat de l’immobilier n’a d’ailleurs
pas eu un mot pour le sénateur de Floride.
Donald Trump dispose à cet effet d’arguments vis-à-vis d’un candidat qu’il avait jusqu’à présent ménagé. Il peut en effet dénoncer la présence du sénateur au sein du « Gang
des huit », les élus républicains qui avaient
accepté en 2013 de s’associer aux sénateurs
démocrates pour rédiger une réforme de
l’immigration. M. Trump, qui se targue de
son indépendance financière, condition selon lui de son autonomie politique, peut également mettre en cause la dépendance de
M. Rubio à l’égard de ses donateurs.
La course par éliminations que constituent
les primaires et les caucus a produit à nouveau ses effets lundi avec la décision du vainqueur républicain de 2008, Mike Huckabee,
ancien gouverneur de l’Arkansas, de « suspendre » sa candidature après un revers cuisant (2 %). Il pourrait en aller rapidement de
même avec le vainqueur républicain de
l’Iowa en 2012, Rick Santorum (1 %), du sénateur du Kentucky Rand Paul (4 %), dont le
siège au Sénat est remis en jeu en novembre,
ou de la seule républicaine en lice, Carly
Fiorina (2 %), ancienne responsable de
Hewlett-Packard. Côté démocrate, l’ancien
gouverneur du Maryland Martin O’Malley a
également tiré les leçons d’un résultat particulièrement piteux (0,6 %).
Ce retrait officialise le duel inattendu qui
domine la course à l’investiture démocrate et
qui oppose Hillary Clinton à Bernie Sanders.
Les deux candidats, qui défendent des positions identiques s’agissant de la suppression
des inégalités salariales entre hommes et
femmes, ou la nécessité de la lutte contre le
réchauffement climatique, s’opposent cependant sur l’ampleur et les modalités des
réformes qu’ils souhaitent mettre en œuvre.
M. Sanders, qui a dénoncé lundi soir, après
M. Cruz, le poids des médias et des lobbys, a
plaidé une nouvelle fois pour une « révolution politique ». Mme Clinton, qui a tenu à se
définir lundi soir comme « progressiste »,
plaide au contraire pour un changement graduel et pour une approche pragmatique qui
ne convainc pas le sénateur du Vermont.
L’ancienne secrétaire d’Etat, qui a évité
lundi soir l’humiliation d’une nouvelle
déroute, après l’échec essuyé en 2008 face à
Barack Obama, est cependant condamnée à
une guerre d’usure contre M. Sanders. Le très
bon résultat obtenu par ce dernier dans
l’Iowa, où il a longtemps été donné battu à
plates coutures, va en effet décupler l’énergie
de ses militants tout en lui garantissant les
rentrées financières dont il va avoir besoin.
Le calendrier immédiat lui est également favorable puisqu’il domine pour l’instant dans
le New Hampshire, Etat voisin de son
Vermont d’élection.
M. Sanders a limité jusqu’à présent ses attaques contre Mme Clinton à ses liens supposés
avec Wall Street. Le 29 janvier, il a refusé une
nouvelle fois d’utiliser la polémique sur
l’usage par Mme Clinton d’un serveur et d’une
adresse électronique privée pendant ses années au département d’Etat (2009-2013),
alors que cette administration avait annoncé
avoir découvert que des courriers classés top
secret avaient transité par cette messagerie.
L’équipe de campagne de la candidate, qui
avait assuré le contraire, a fait valoir que cette
classification avait été introduite a posteriori.
De son côté, Hillary Clinton peut difficilement s’en prendre au sénateur du Vermont
sans risquer de s’aliéner l’électorat jeune
dont elle aura besoin, si elle parvient à remporter l’investiture démocrate, face au candidat républicain qui se sera imposé de son
côté. L’engouement que suscite celui qui se
définit comme un social-démocrate à la scandinave et qui galvanise ses troupes avec ses tirades frappées de son accent de Brooklyn lui
garantit la meilleure des protections. p
gilles paris
international | 3
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MERCREDI 3 FÉVRIER 2016
La Birmanie s’engage dans une cohabitation inédite
L’assemblée élue en novembre 2015, dominée par les partisans d’Aung San Suu Kyi, est entrée en fonctions
L
e parti d’Aung San Suu Kyi
aura dû patienter un
quart de siècle depuis les
élections de 1990 qui lui
furent volées par la junte. Lundi
1er février, un Parlement dominé
par la Ligue nationale pour la démocratie (LND) a enfin tenu sa
session inaugurale.
Bon nombre de ses nouveaux
députés entraient pour la première fois à l’assemblée de
Naypyidaw, capitale du Myanmar. « C’est comme entrer à l’université », a confié Htoot May, qui
compte parmi ces nouveaux parlementaires, au site d’information The Irrawaddy. Aung San Suu
Kyi, de son côté, évitant les flashs
des photographes, est entrée par
une porte dérobée.
Avec 77 % des suffrages, la LND
avait emporté une victoire écrasante lors des élections du 8 novembre 2015. Toutefois, la Constitution, taillée sur mesure par la
junte en 2008, garantit qu’un
quart des sièges revient aux mili-
taires : lundi, dans l’hémicycle, on
pouvait d’ailleurs clairement
identifier ces derniers par leurs
chemises vertes.
Malgré ses 255 sièges sur 440, le
parti majoritaire a donc dû se préparer à cette étrange cohabitation, entre des parlementaires incarnant l’autoritarisme du passé
et de nouveaux visages associés à
la très populaire fille du général
Aung San, fondateur de l’Union
de Birmanie.
Les élus de la LND ont dû se former à l’exercice du pouvoir. Le
parti avait organisé des séminaires sur le fonctionnement des
institutions, une tâche pédagogique confiée à Myo Yan Naung
Thein, un ancien des manifestations en faveur de la démocratie
réprimées en 1988, qui fut emprisonné à deux reprises par la suite.
« Ils voulaient savoir comment
fonctionne la Constitution, les
procédures, ce qu’ils ont le droit de
faire et les problèmes qu’ils peuvent évoquer », résume, par télé-
Les Cubains de Paris
hésitent à se rapatrier
Les salaires restent extrêmement faibles
dans l’île en dépit de l’ouverture économique
J’
espère retourner à Cuba
dans quelques mois », confie Alexis (tous les prénoms
ont été modifiés), debout
derrière le bar du café parisien où
il travaille. Comme 2 800 autres
natifs de l’île – selon le Quai d’Orsay –, il a choisi de vivre en France,
où le président cubain Raul Castro
est en visite officielle lundi 1er et
mardi 2 février. A cette occasion,
François Hollande a soutenu fermement, lundi, la levée de l’embargo américain qui frappe l’île
depuis 1962.
« Je n’ai pas changé d’avis : je suis
toujours en désaccord avec le système cubain », assure Alexis. Et
pour cause : enfant, il a vu sa
mère, une intellectuelle révolutionnaire déçue, quitter l’île, puis
son père perdre son emploi à
cause de ses critiques contre le régime. A 20 ans environ, il a saisi ce
qu’il pense être l’opportunité
d’une vie : « Je me suis marié à une
Française… par amour ». Un ticket
aller, supposé sans retour.
Mais un vent d’ouverture souffle sur le pays communiste depuis
l’arrivée de Raul Castro à la tête de
l’Etat, en 2008. Des changements
transforment l’économie, étatisée dans sa quasi-totalité. Les Cubains peuvent désormais travailler à leur compte. Alexis le
sait. Malgré son héritage politique anticastriste, il rêve d’un avenir à Cuba. « J’ai essayé beaucoup
de choses à Paris, j’ai même pris
des cours de théâtre, mais c’est dur
d’avancer », lâche-t-il. Entre crise
de la quarantaine et mal du pays,
il se projette : « J’ai suivi des formations pour ouvrir un magasin de
glaces à La Havane. »
Cet horizon d’opportunités
n’attire pas Andy, Jorge et Juan,
trois autres Havanais vivant à Paris. « Il y a un avant et un après la
chute du mur de Berlin. Avant, on
Juan apprécie
trop sa situation
d’enseignant pour
la risquer contre
les 18 euros de
salaire mensuel
moyen cubain
pouvait vivre de son salaire à
Cuba », se souvient Jorge, la quarantaine. Après, la Russie a cessé
d’approvisionner son ex-partenaire en pétrole, céréales, médicaments, et le pays, sous l’embargo des Etats-Unis, a sombré
dans une crise provoquant une
chute du PIB de 38 % en 1990. Ce
sont les prémisses de la « période
spéciale », le nom donné par Fidel
Castro à des années de restrictions économiques. Entre 1990 et
2000, Jorge et Andy, tous deux
musiciens, s’expatrient.
« Peur d’être coincé »
En 2015, Juan a voulu montrer ses
racines à sa conjointe, malgré la
désapprobation de ses parents.
C’était la première fois qu’il revenait sur l’île. « Les Cubains arrivent
à mieux vivre, admet-il. Il y a toujours eu de l’argent à Cuba, mais
nulle part pour le dépenser.
Aujourd’hui, des commerces, des
restaurants poussent comme des
champignons. Ça fait plaisir. » Mais
pas assez pour qu’il s’y voie, lui. Il
juge sa situation d’enseignant trop
précieuse pour la risquer contre
les 20 dollars par mois (18 euros)
du salaire moyen cubain.
Pourtant, Cuba tente de faire revenir ses exilés qualifiés. Début
septembre 2015, les autorités ont
fait une annonce historique : les
médecins ayant choisi l’étranger
pourraient rentrer sans risquer de
sanction et retrouver un poste
équivalent à leur dernière affectation, avec un salaire mensuel augmenté à 50 dollars. Juan rit de bon
cœur : « Mon père, qui est médecin
à Miami, gagnera toujours plus en
Floride. Et il ne veut même pas revenir une semaine à Cuba de peur
d’être coincé. »
Surtout, ces Cubains redoutent
une volte-face du gouvernement.
Jorge confie : « Mes gosses étudient. Je ne veux pas les emmener
là-bas pour de bon. Maintenant, ça
va, mais on ne sait pas comment ça
peut tourner. » Selon les autorités
américaines, le nombre de migrants rejoignant les côtes des
Etats-Unis a même augmenté,
malgré l’annonce du dégel diplomatique. Ils craignent que le régime spécial d’immigration qui
leur est réservé aux Etats-Unis disparaisse avec la normalisation. p
clara wright
« Ces nouveaux
élus n’ont d’autre
choix que
de se résoudre
au compromis »
MYO THEIN
Burma Democratic Concern
phone, Myo Yan Naung Thein.
Une question centrale a dominé
ces sessions d’apprentissage parlementaire : « Savoir comment on
partage le pouvoir. »
Signe que le parti s’est éloigné
de son purisme idéologique pour
un pragmatisme très politique, la
LND a fait financer ces formations par Asia Green Development Bank, détenue par Tay Za.
Ce tycoon en quête de respectabilité, propriétaire de la compagnie Air Bagan, fut longtemps
vendeur d’armes pour la junte et
fait toujours l’objet de sanctions
occidentales.
Il faudra désormais trouver un
équilibre entre les fortes attentes
qu’a suscitées le raz-de-marée en
faveur de la LND à l’automne 2015
et la réalité de la coexistence avec
une armée protégeant ses privilèges. « Ces nouveaux élus disposent
de la légitimité populaire et veulent
répondre aux demandes des électeurs, mais ils n’ont d’autre choix
que de se résoudre au compromis,
afin d’assurer une transition pacifique », constate Myo Thein, directeur du Burma Democratic
Concern, qui suit la transition.
Unité nationale
Un premier compromis a ainsi
consisté, lundi, à élire un nouveau
président de la chambre basse affilié à la LND, l’avocat Win Myint,
tout en confiant la vice-présidence à Ti Khun Myat, un membre
du Parti de l’union, de la solidarité
et du développement, formation
politique des anciens dictateurs.
Depuis la victoire écrasante de
son parti, la Dame de Rangoun a
été avare de paroles publiques. Elle
entend ne pas brusquer le régime
sortant et a déjà fait savoir qu’elle
préfère préparer l’avenir par
l’unité nationale, plutôt que régler
les comptes du passé. Le 2 décembre 2015, Aung San Suu Kyi a ainsi
rencontré le chef des armées, Min
Aung Hlain, qui, au lendemain des
élections, l’avait félicitée tout en
appelant les militaires à l’obéissance dans un espoir : « La confiance du public peut se gagner. »
Les questions concrètes se présenteront rapidement. Le mandat
du président sortant, Thein Sein,
ex-général qui a porté les réformes, arrive à échéance en mars.
Aung San Suu Kyi ne peut pas prétendre au poste, car un article rédigé sur mesure par l’armée et intégré à la Constitution écarte de la
plus haute fonction les citoyens
mariés à un étranger. Or, elle a
épousé en 1972 le Britannique
Michael Aris, décédé en 1999.
Les plus expérimentés savent
que la route est encore longue. « Il
faut amender la Constitution, pas
seulement pour le fauteuil présidentiel, mais simplement parce
qu’elle n’est pas démocratique. Il
est trop tôt pour dire si nous parviendrons à résoudre ce problème,
mais nos dirigeants font de leur
mieux », juge Phyo Zeya Thaw, un
parlementaire de la LND qui entame son deuxième mandat.
Sauf concession de dernière minute de la part des militaires, la
LND devra donc choisir une autre
figure. Plusieurs noms circulent,
dont celui d’un des pères fondateurs de la LND, Tin Oo, ainsi que
celui du médecin de la Dame de
Rangoun, Tin Myo Win, qui a pris
part à de récentes négociations
avec l’armée. Aung San Suu Kyi a
d’ores et déjà fait savoir que les attributions du futur chef d’Etat seront symboliques, elle-même se
voyant « au-dessus du président »
dans le futur organigramme. p
harold thibault
4 | international
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MERCREDI 3 FÉVRIER 2016
L’ONU cherche un accord humanitaire sur la Syrie
De fragiles discussions indirectes entre Damas et les mouvements rebelles se sont ouvertes lundi à Genève
S
taffan de Mistura a donné,
lundi 1er février, le coup
d’envoi officiel des pour­
parlers de Genève entre le
régime syrien et son opposition.
L’émissaire spécial des Nations
unies pour la Syrie a saisi l’occa­
sion d’une première réunion avec
la délégation du Haut Comité des
négociations (HCN), l’organe re­
présentatif de l’opposition politi­
que et militaire, au palais des
Nations, pour mettre fin à quatre
jours de tergiversations. Mais
l’amorce des discussions est fragile, et l’objectif de former un gouvernement de transition dans les
six mois avant de nouvelles élections mi-2017 paraît très incertain. Le diplomate italo-suédois
doit obtenir des « mesures de confiance » humanitaires du régime
de Damas pour espérer engager
l’opposition dans des négociations sur une transition politique.
L’opposition réclame la mise en
œuvre des mesures prévues par
la résolution 2254 votée au Conseil de sécurité des Nations unies,
le 18 décembre 2015. « Trois questions sont importantes pour nous :
la levée des sièges, la libération de
détenus et l’arrêt des attaques contre les civils par les bombardiers
russes [alliés de Damas] et par le
régime », a réitéré lundi Salem AlMouslat, porte-parole du HCN, disant désormais attendre la réponse du régime. « Ils insistent sur
le fait que la population civile syrienne mérite de voir une réduction concrète de la violence sur le
terrain pendant que des discussions politiques se déroulent. C’est
un argument très fort, car c’est la
voix du peuple syrien qui demande cela », a répondu Staffan
de Mistura.
Ce n’est qu’après avoir reçu des
« assurances » de l’émissaire onusien et de ses parrains internationaux – dont un engagement écrit
du secrétaire d’Etat américain,
John Kerry, selon un membre du
HCN – que la délégation avait
rejoint Genève, samedi soir. Des
propositions pourraient déjà être
sur la table. Dimanche, le chef de
la délégation du gouvernement,
Bachar Al-Jaafari, s’était dit prêt à
Sur les lieux
du triple
attentat dans
le quartier
de Sayyida
Zeinab,
à Damas,
qui a fait plus
de 60 morts,
dimanche
31 janvier. AP
discuter de mesures humanitaires, telles que la libération des prisonniers. « Pour justifier l’engagement dans le processus politique,
(…) tout le monde est d’accord pour
dire que la libération des femmes
et des enfants est une mesure qui
aurait une valeur symbolique et
émotionnelle forte. Ce serait un
tournant important qui renforcerait notre légitimité », a indiqué
une source au sein du HCN. Selon
l’opposition, 3 800 femmes, ainsi
que des enfants, sont actuellement détenues par le régime.
Pressions internationales
Lundi soir, l’ONU a indiqué que le
régime syrien avait donné son accord de principe à l’envoi de convois humanitaires dans la ville assiégée de Madaya, près de Damas.
Quelques « mesures de confiance »
ne devraient pas clore pour autant
le volet humanitaire. Au sein de
l’opposition, deux approches se
dessinent entre les « politiques »,
plus disposés à envisager une
mise en œuvre graduelle des mesures humanitaires, et les « militaires », qui soulignent le danger
d’en faire ainsi un sujet de négociation et donc de discussions
sans fin avec le régime. Au risque
de revivre « la mascarade et le désaveu » de Genève 2, le dernier
round de négociations intrasyriennes qui avait achoppé en 2014.
Staffan de Mistura devait évoquer ces questions mardi matin
avec la délégation du régime,
avant une nouvelle réunion avec
l’opposition, cette fois en la présence de son négociateur en chef,
Mohamed Allouche, arrivé lundi
soir à Genève. Mais l’émissaire
onusien a d’ores et déjà reconnu
que l’implication des grandes
puissances est indispensable
pour obtenir des concessions. Il a
La remise en selle
du président
Bachar Al-Assad,
avec le soutien
militaire russe
et iranien, a durci
les positions
rappelé l’engagement pris à
Vienne, à l’automne 2015, par le
Groupe de soutien international
sur la Syrie (ISSG) – qui comprend
notamment les Etats-Unis, la
Russie, l’Arabie saoudite et l’Iran,
ainsi que la France – à mettre en
œuvre un cessez-le-feu en parallèle au début des pourparlers.
Rendez-vous est pris à Munich,
le 11 février, pour une nouvelle
réunion de l’ISSG. Mais, en coulis-
ses, les acteurs internationaux de
la crise syrienne s’activent déjà.
Lundi, la secrétaire d’Etat adjointe
américaine pour le Moyen-Orient,
Anne Patterson, et l’émissaire des
Etats-Unis pour la Syrie, Michael
Ratney, ont rencontré le vice-ministre des affaires étrangères
russe, Guennadi Gatilov. Le secrétaire d’Etat américain pourrait venir en personne donner une impulsion aux pourparlers. « John
Kerry a pris l’engagement auprès
de l’opposition de venir », note une
source diplomatique.
Sans ces pressions internationales, la tâche de M. de Mistura semble impossible. La remise en selle
du président Bachar Al-Assad,
avec le soutien militaire russe et
iranien, et la multiplication des
violences sur le terrain, ont durci
les positions. « Le régime russe va
créer un nouvel Hitler (…), nous
souffrons d’un Hitler en Syrie », a
déclaré lundi Salem Al-Mouslat,
tandis que le HCN a dénoncé,
dans un communiqué, « la politique de la terre brûlée russe ».
Dimanche, le chef de la délégation du régime, Bachar Al-Jafaari,
invoquait le triple attentat terroriste revendiqué par l’organisation
Etat islamique dans le quartier de
Sayyida Zeinab, à Damas, qui a fait
plus de 60 morts, pour faire de
nouveau l’amalgame entre terrorisme et opposition. « Nous ne discutons pas avec des terroristes », at-il martelé, un qualificatif employé par Damas à l’usage de tous
ses opposants. L’arrivée de Mohamed Allouche, membre politique
du groupe armé d’obédience salafiste Jaïch Al-Islam (« Armée de l’islam »), que Damas et Moscou exigent de voir classé « organisation
terroriste », ne devrait pas aider à
créer la confiance. p
hélène sallon
En Syrie, les sièges de civils se multiplient
L’ONU estime le nombre de civils encerclés par des troupes armées à 480 000.
Pour les organisations humanitaires, ils seraient deux fois plus nombreux
beyrouth - correspondance
U
ne « tactique barbare »,
un « crime de guerre » :
les condamnations par
les Nations unies de la pratique
des sièges imposés aux civils en
Syrie sont allées crescendo depuis
le tollé suscité par le calvaire de
Madaya, cette localité proche de la
frontière syro-libanaise verrouillée par l’armée et le Hezbollah et frappée par la malnutrition.
Mais dans la petite ville, malgré
l’entrée de trois convois en janvier, la faim continue de faucher
des vies. Et les avancées vers une
levée des sièges en Syrie, espérées
par les acteurs humanitaires internationaux basés à Damas,
après le scandale de Madaya,
n’ont pas eu lieu.
Dans le pays ravagé par la guerre,
plus de 480 000 Syriens vivent encerclés selon l’ONU ; ils sont au
moins deux fois plus nombreux,
affirment des militants et des humanitaires. Au-delà du danger à
opérer dans ces zones, le blocage
des autorités syriennes empêche
l’acheminement de l’aide. En 2015,
seules une dizaine d’opérations
des Nations unies ont été autorisées dans les zones assiégées ou
difficiles d’accès. L’armée et ses alliés tiennent la plupart des sièges.
Mais, pour convoyer de l’assis-
tance dans les zones encerclées
par les rebelles – qui tiennent en
étau entre 10 000 et 20 000 habitants dans la province d’Idlib –,
Damas doit aussi donner son accord. Son feu vert va être encore
nécessaire, si les Nations unies décident que les conditions de sécurité sont réunies pour mener
l’opération, à l’envoi d’aide par
voie aérienne afin de secourir les
180 000 habitants de Deir ez-Zor
réfugiés dans les quartiers sous
contrôle de l’armée et assiégés par
les djihadistes de l’organisation
Etat islamique (EI).
Etau implacable
Dans les zones verrouillées, où les
habitants, civils et combattants,
vivent sans électricité et sans eau,
et souvent au rythme des bombardements ou des affrontements, les mêmes scènes de privation se répètent. A Deir ez-Zor, « où
la population vit dans la terreur
des avancées de l’EI et les hommes
essaient d’échapper au recrutement forcé du régime, rapporte Karam Al-Hamad, militant originaire de la ville, des disputes éclatent pour un morceau de pain. De
la nourriture a été récemment larguée par les avions russes, mais la
plus grande partie a été délivrée
aux forces militaires. Seuls quelques civils ont reçu de cette aide ;
« La population
vit dans la terreur
de l’EI et des
disputes éclatent
pour un morceau
de pain »
KARAM AL-HAMAD
militant de Deir ez-Zor
pour les autres, ils doivent l’acquérir à prix d’or sur le marché, où une
partie de ces denrées sont vendues ». A Mouadamiya Al-Cham,
une localité de 45 000 habitants
proche de Damas où l’étau du régime est devenu implacable depuis décembre, « huit personnes
sont mortes de faim et de manque
de soins en janvier, et près de
3 500 enfants souffrent de malnutrition », assure Dani Qappani, étudiant et militant joint sur place.
Les humanitaires font le même
constat d’impuissance. Ceux accrédités à Damas voient toute initiative conditionnée par le régime. Et, pour ceux qui opèrent
clandestinement, l’acheminement de l’aide est un casse-tête :
« Quand un siège atteint un certain
niveau, ce n’est plus le peu de nourriture qu’on peut faire entrer en
contrebande, à un prix exorbitant,
qui va faire la différence », témoigne un membre d’une ONG internationale. A Mouadamiya AlCham comme à Deir ez-Zor, les
humanitaires s’alarment d’un risque de famine dans les prochaines semaines.
Parmi les habitants assiégés, la
frustration grandit à l’encontre
des bureaux de l’ONU à Damas, accusés de faire trop peu pour ne pas
froisser le régime. Lors d’une réunion fin janvier en Jordanie, des
ONG ont appelé les Nations unies
à réviser leurs critères pour définir les régions encerclées, jugées
sous-estimées. « Il faut des pressions pour que les routes s’ouvrent,
et pas uniquement lorsque la faim
fait des ravages », plaide en outre
Dani Qappani, à Moudamiya AlCham. On est loin d’une entente,
même si la levée des sièges et l’accès de l’aide doivent en théorie
être discutés à Genève.
Sur le terrain, les observateurs
constatent plutôt une escalade :
depuis 2014, les rares fins ou allégements de sièges ont été obtenus, comme à Homs, par des accords politiques, et non pas humanitaires. Et la tactique des sièges est en train de devenir un
dangereux outil de négociations,
aux dépens des civils. p
laure stephan
international | 5
0123
MERCREDI 3 FÉVRIER 2016
« Brexit » : Bruxelles fait des concessions
R USS I E
Les prestations sociales aux travailleurs intra-européens pourraient être limitées
Les Etats-Unis ont sanctionné, lundi 1er février, quatre
Russes et un Ukrainien en
vertu de la loi votée en mémoire de Sergueï Magnitski,
juriste mort en prison à Moscou fin 2009. Le département
d’Etat et le Trésor ont ajouté à
la « liste Magnitski » Alexis
Anichin, Evgueni Antonov,
Boris Kibis, Pavel Laptchov et
Oleg Ourzhoumtchev. Ces
derniers sont interdits d’entrée sur le territoire américain
et leurs éventuels avoirs dans
le pays sont gelés. – (AFP.)
londres - correspondant
bruxelles - bureau européen
L
a voie vers l’organisation
du référendum sur le
maintien ou la sortie du
Royaume­Uni de l’Union
européenne, promis par David
Cameron, devait s’ouvrir, mardi
2 février, avec l’annonce, prévue à
midi, d’un préaccord entre
Bruxelles et Londres sur les réformes demandées par le premier
ministre britannique.
Le texte, destiné à répondre aux
quatre projets de réformes demandées par M. Cameron, est
censé permettre à ce dernier de se
lancer dans la campagne en faveur du maintien de son pays
dans l’Union en vue d’un vote le
23 juin, si la date favorite de Downing Street est retenue. Avant
d’être définitif, ce compromis
doit encore être débattu par l’ensemble des chefs d’Etats et de
gouvernement lors du Conseil
européen des 18 et 19 février. Une
réunion supplémentaire du Conseil pourrait même être organisée à la fin février si des désaccords devaient persister.
Sur les quatre séries de revendications britanniques, deux
– l’amélioration de la compétitivité de l’économie européenne et
les questions de souveraineté –
ne semblent plus poser de problème aux négociateurs. Tout
projet législatif européen pourra
ainsi être bloqué si une majorité
de 55 % des Parlements nationaux le demande, et ce sans aller
vers une modification des traités
européens. Un projet de déclaration est par ailleurs proposé, précisant que « le Royaume-Uni n’est
pas obligé de participer à une intégration politique supplémentaire ». Mais les discussions ne
sont pas encore closes sur l’immigration et sur la défense de la City.
Initialement, M. Cameron réclamait le droit pour son pays de priver d’allocations sociales les ressortissants des autres pays européens s’installant au RoyaumeUni pendant les quatre premières
années de leur séjour. Cette revendication a été récusée par les
autres pays comme étant « discriminatoire ». Elle a laissé la place à
une contre-proposition de JeanClaude Juncker, le président de la
Commission : permettre au
Royaume-Uni, mais aussi aux 27
autres pays, d’actionner un « frein
d’urgence » dans le cas où ils prouveraient que leurs services publics subissent une pression exceptionnelle du fait des arrivées.
« Pression exceptionnelle »
Londres a accepté cette proposition alternative, mais M. Cameron voudrait pouvoir la mettre en
œuvre immédiatement pour une
durée pouvant atteindre sept ans,
et il souhaite éviter que d’autres
pays puissent exercer leur veto.
La Pologne, dont au moins
700 000 ressortissants vivent au
Royaume-Uni, est particulièrement sensible sur ce dossier.
L’UE reconnaîtrait que Londres
subit déjà une « pression exceptionnelle », ce qui permettrait à
M. Cameron d’actionner le « frein
d’urgence » sans délai pour bloquer l’accès aux prestations sociales. Reste encore à fixer la durée pendant laquelle la mesure
pourrait s’appliquer et quelle instance décidera d’accorder le recours au « frein ». Veto ? Simple
avis ? « Il faudra de toute façon que
la Commission européenne donne
un avis avant que la procédure ne
s’enclenche », croit savoir une
source proche des discussions.
L’HISTOIRE DU JOUR
Après le 13 novembre, les ventes
d’armes s’envolent en Suisse
genève - correspondance
E
n un an, leur nombre a augmenté de 20 % en moyenne
dans douze cantons du pays. Les armuriers évoquent un
pic des commandes après les attentats du 13 novembre à
Paris et Saint-Denis. En 2015, plusieurs cantons suisses ont reçu
nettement plus de demandes de citoyens désirant obtenir
l’autorisation d’acheter une arme à feu. Les chiffres, révélés par
l’émission de la télévision alémanique « 10vor10 », mentionnent une augmentation de 20 % des demandes dans les douze
cantons qui ont accepté de communiquer. C’est dans le canton
de Vaud, autour de Lausanne, que cette envolée est la plus forte,
avec un accroissement de 73 %.
Obtenir un permis d’acquisition ne veut pas forcément dire
sauter le pas immédiatement et acheter un 9 millimètres. Mais,
dans le reportage diffusé sur la chaîne SRF, Pierre-Olivier Gaudard, responsable de la prévention contre la criminalité à la
police cantonale vaudoise, relève que ce phénomène est lié à un
climat d’insécurité croissant en terre
helvétique, qui incite la population à
vouloir se protéger.
ICI, LA DENSITÉ
Un armurier romand a, lui, ressenti
D’ARMES EST
chez ses clients une « psychose » liée
aux attentats de Paris. En décembre,
LA QUATRIÈME
il a battu ses records de ventes, a-t-il
déclaré à la Radio télévision suisse.
DU MONDE APRÈS
Selon des chiffres révélés par cette
LES ÉTATS-UNIS, LA
chaîne publique francophone, la
remonte déjà à plusieurs
SERBIE ET LE YÉMEN tendance
années. En cinq ans, les cantons
romands ont enregistré beaucoup
plus de demandes de permis d’acquisition d’armes. L’augmentation est, par exemple, de 39 % à Genève entre 2010 et 2015.
Une fois le pistolet ou le fusil acheté, son détenteur doit
cependant le garder à son domicile, car, pour pouvoir se promener avec, il devra obtenir un permis de port d’arme. Les Suisses
auront-ils bientôt tous un revolver dans leur placard ? Les
experts se montrent prudents et estiment que cette explosion
statistique pourrait être en partie due à l’essor du tir sportif ou à
un changement réglementaire instauré en 2008, qui oblige les
propriétaires d’armes à feu à déclarer tout nouvel achat. Les
armes achetées avant cette date, elles, ne sont pas recensées. Au
total, le pays de Guillaume Tell compterait quelque 2 millions
d’armes en circulation, pour plus de 8 millions d’habitants. La
densité d’armes en Suisse est la quatrième au monde après les
Etats-Unis, la Serbie et le Yémen. p
marie maurisse
Les discussions
ne sont pas
encore closes
sur l’immigration
et sur la défense
de la City
L’autre point sensible concerne
la demande de David Cameron
d’avoir son mot à dire dans toute
décision des pays de la zone euro
ayant un impact sur les nonmembres comme le RoyaumeUni. Londres veut s’assurer
qu’aucune décision des 19 Etats
ayant adopté l’euro ne nuise à l’activité de la City, première place financière européenne. Les Britanniques n’ont pas apprécié d’avoir
été mis à contribution l’été 2015
pour abonder des prêts en faveur
de la Grèce menacée de faillite.
Au début des négociations, Londres demandait un droit de re-
gard sur les décisions prises par
l’eurozone. Pas question d’accéder à cette demande qui risquerait d’entraver le fonctionnement
des pays utilisant l’euro, ont répondu la France et l’Allemagne. En
guise de compromis, le Conseil
propose une clause d’urgence qui
permettrait à un certain nombre
de pays de demander une discussion au niveau du Conseil sur des
décisions dont ils estiment qu’elles violent les principes de nondiscrimination entre les Etats de
l’euro et leurs voisins.
Fermeté française
Mais il est exclu que cela constitue un droit de veto ou que cela
freine les décisions du Conseil.
Berlin et Paris soulignent que les
Britanniques peuvent faire valoir
leurs droits devant la Cour de justice européenne.
La fermeté française est mise en
exergue par certains médias britanniques toujours friands de
« french bashing ». L’Evening
Standard annonçait ainsi lundi
soir « Cameron contre Hollande »
dans la rubrique « match du
jour ». La dramatisation par la
presse n’est pas pour déplaire à
M. Cameron, qui veut montrer à
ses électeurs qu’il se bat avec
acharnement. Pourtant, certains
conservateurs voteront pour sortir de l’UE quoiqu’il obtienne.
Steve Baker, le député qui mène le
groupe pro- « Brexit » du Parlement, a qualifié de « mauvaise
blague » la proposition de « frein
d’urgence ». A l’extrême droite, le
Parti pour l’indépendance du
Royaume-Uni (UKIP) accuse le
premier ministre de « se moquer »
des Britanniques. Les électeurs ne
semblent pas rester sourds à ces
sirènes : publié le 28 janvier, le
dernier sondage donne le vote
« out » (pour la sortie de l’UE) gagnant avec 42 %, contre 38 % pour
le maintien. Mais 20 % des électeurs se disent encore indécis. p
philippe bernard
et cécile ducourtieux
Liste Magnitski : quatre
Russes et un Ukrainien
visés par Washington
ÉTATS - U N I S
Enquête sur la police
de San Francisco
Le département américain de
la justice a annoncé, lundi
1er février, l’ouverture d’une
enquête sur la police de San
Francisco, après le scandale
causé par la mort d’un Noir
tué, le 2 décembre 2015, par
des policiers californiens.
Cette enquête fédérale intervient après l’ouverture de procédures similaires visant les
forces de l’ordre de Chicago et
celles de Baltimore. – (AFP.)
6 | planète
0123
MERCREDI 3 FÉVRIER 2016
Le port de Bilbao va accueillir le « Modern-Express »
Le cargo en perdition, qui menaçait les côtes landaises, a pu être remorqué au terme d’une opération risquée
« Les Etats sont
souverains pour
accepter ou pas
l’accès d’un
navire à un port »
bordeaux - correspondante
A
près une semaine d’inquiétude et de rebondissements, le naufrage du Modern-Express, ce navire commercial à la
dérive depuis le 26 janvier, devrait
connaître un dénouement favorable : depuis lundi 1er février à
midi, ce roulier de 164 mètres de
long, toujours à moitié couché
dans l’océan Atlantique et dont on
craignait l’échouement sur les côtes landaises, est finalement
tracté par un remorqueur espagnol, le Centaurus, en direction du
port de Bilbao, dans le nord de
l’Espagne. A une vitesse de
3 nœuds (environ 5 km/h), le navire devait arriver à proximité de
ce port du Pays basque dans la
nuit de mardi à mercredi. Avant
de pouvoir entrer dans le port, il
doit être mis au mouillage à
proximité, dans une zone dite refuge, à l’abri du vent et des vagues,
afin d’effectuer les premiers travaux de redressement.
Lundi midi, après un premier
échec, la tentative de remorquage
a fonctionné. Le Modern-Express,
appartenant à l’armateur Cido
Shipping (Hongkong), affrété par
la compagnie belge European
Roro Lines et naviguant sous pavillon panaméen, se trouvait
alors à 42 kilomètres des côtes
landaises et gîtait à tribord à plus
de 40 degrés. Le pont était devenu
un mur d’escalade d’acier. Quatre
techniciens de Smit Salvage, une
société néerlandaise spécialisée
dans le sauvetage des navires et
engagée par l’armateur du cargo,
ont été hélitreuillés sur le pont. Ils
ont réussi à amarrer un gros câble
au niveau d’une bitte d’amarrage
située à l’intérieur du plateau
avant du navire. Un véritable exploit technique. Le remorqueur a
ensuite mis le cargo dans le bon
sens sans casser le câble. Une
autre prouesse. Toute la réussite
de l’opération devait dépendre de
la solidité de ce filin.
Au total, cinq navires ont été
engagés dans l’opération : la frégate de lutte anti-sous-marine
Primauguet, avec à son bord un
hélicoptère, deux remorqueurs
GWENDOLINE GONSAELES
université d’Anvers
espagnols, un remorqueur français, l’Abeille-Bourbon, affrété par
la Marine nationale, ainsi qu’un
bâtiment de dépollution et des
moyens aériens.
Bilbao était le port le plus proche, avec des équipements adaptés pour ce type de situation, mais
l’armateur a dû attendre l’accord
des autorités portuaires et de la
ville. « Sur la base du droit international, les Etats sont souverains
pour accepter ou refuser l’accès
d’un navire à un port territorial,
explique Gwendoline Gonsaeles,
professeure de droit de la mer à
l’université d’Anvers. Mais depuis
le naufrage de l’Erika, en 1999, la
directive européenne 2009/17/CE
oblige les Etats à proposer un plan
de refuge pour les navires en détresse et à faire une analyse de la situation avant d’accepter ou… de
refuser une demande. »
Temps des investigations
Le Modern-Express n’est pas l’Erika
ni le pétrolier Prestige refoulé des
côtes espagnoles : le cargo sous
pavillon panaméen est en bon
état général (construit en 2001) et
le risque de pollution est quasiment nul, d’où l’autorisation de
l’Espagne. Utilisé pour transporter des voitures et des autocars
d’occasion de l’Europe vers l’Afrique, il faisait généralement le retour en emportant du bois.
Une fois que le navire sera arrivé
dans cette zone refuge, il faudra
d’abord le redresser pour supprimer sa forte inclinaison due au
détachement de sa cargaison de
3 600 tonnes de bois et d’engins
de travaux. Plusieurs possibilités
sont envisagées : « Dans un premier temps, il est prévu de mettre
du liquide – de l’eau de mer ou/et le
gasoil de propulsion des réservoirs
POLLU T I ON
Report de l’interdiction
des sacs en plastique
L’interdiction des sacs
plastique à usage unique,
qui devait à l’origine entrer
en vigueur en France le
1er janvier, s’appliquera finalement à partir du 1er juillet.
La ministre de l’écologie,
Ségolène Royal, a expliqué
lundi 1er février avoir « écouté
le besoin de transition » exprimé par les professionnels.
Le projet de décret d’application a été mis en ligne lundi
sur le site du ministère, « afin
que les fabricants et les distributeurs puissent s’adapter au
plus tôt et qu’ils puissent utiliser leurs stocks jusqu’à
cette date ». Mais il ne devrait
être publié au Journal officiel
qu’à la fin mars. – (AFP.)
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avec
Le « Modern-Express » tracté par un remorqueur espagnol, le « Centaurus », vers le port de Bilbao, lundi 1er février. LOIC BERNARDIN/AFP
– dans les ballasts à bâbord via les
tuyaux collecteurs prévus à cet effet », explique le capitaine de frégate Louis-Xavier Renaux.
Le fioul peut aussi être retiré par
mesure de précaution. Autre possibilité : une partie de la cargaison
peut être déplacée d’un bord à
l’autre. « Ça serait plus complexe,
car cela supposerait de faire venir
une grue et d’ouvrir le bateau »,
tempère le porte-parole de la préfecture maritime. Plus complexe
et plus coûteux aussi. A l’armateur, en concertation avec le port,
de décider. Ce n’est qu’après ces
mesures de sécurisation que le
roulier pourra entrer dans le port
espagnol.
Ensuite s’ouvrira le temps des investigations : enquête du propriétaire de la marchandise, expertise
du ou des assureurs du navire. « Il
y aura aussi l’expertise de l’assureur de la responsabilité civile de
l’armateur pour contrer ou contester les réclamations qui lui seront
faites », explique Franck Dollfus,
avocat parisien spécialisé dans le
droit maritime et des transports.
En revanche, des poursuites judiciaires sont peu probables si
aucune pollution ou dégradation
matérielle n’est constatée : « Il faudrait un préjudice côtier de l’Etat
pour engager une enquête judiciaire, souligne l’avocat. Dans le
cas contraire, seuls les préjudices
financiers et les frais engagés pour
le sauvetage devraient être demandés à l’armateur. » La Marine
nationale française, qui a mobilisé trois navires militaires pendant presque une semaine, fera
partie des premiers créanciers. p
claudia courtois
Dérive du roulier
Brest
Zone d’intervention
de la préfecture
maritime
de l’Atlantique
Limite de la zone
économique
exclusive française
28 janvier
29 janvier
FRANCE
26 janvier
Appel de détresse
lancé par le ModernExpress
27 janvier
30 janvier
Bordeaux
Golfe
de Gascogne
er
Gijon
La Corogne
ESPAGNE
50 km
1 février
Début de
l’opération
de remorquage
par le Centaurus
Bilbao
Port de destination. Arrivée
prévue à proximité le 2 ou 3 février
« Demain », road movie écologique à succès
Le film de Cyril Dion et Mélanie Laurent, axé sur les solutions, a déjà attiré 500 000 spectateurs
REPORTAGE
A
la fin du film, après de
longs
applaudissements, une personne
s’est levée dans la salle comble du
cinéma. « Je repars plein d’espérance. Et en espérance, je m’y connais un peu. » C’était monsieur le
curé. A Dreux (Eure-et-Loir)
comme partout où il est projeté,
le documentaire Demain attire
les foules. Déjà 500 000 spectateurs depuis la sortie, le 2 décembre 2015, du manifeste de Cyril
Dion, militant écologiste, et de
l’actrice Mélanie Laurent qui, ensemble, ont parcouru la planète
pour recenser les initiatives susceptibles de la sauver.
Le père Jean-Marie Lioult, à la
tête de la paroisse Saint-Etienne
en Drouais, n’oubliera pas cette
fin d’année 2015, au cinéma de sa
ville. « J’ai dit : “Sur les 400 personnes présentes, il y a au moins
une moitié de Drouais. Qu’est-ce
qu’on attend pour se mettre en
route ?” On s’est parlé, puis on a
organisé une marche pour le climat, avec 250 personnes, on a
monté des comités qui travaillent
sur une monnaie locale, des ruchers, des jardins partagés, sur les
pistes cyclables et le bio dans les
cantines… »
C’est l’histoire d’un petit documentaire, sur lequel aucun professionnel n’entendait miser un
euro, qui se transforme en succès.
Il a d’abord fallu la réussite d’une
campagne de financement participatif, sur le site Kisskissbankbank, durant l’été 2014, pour que
les chaînes de télévision s’y intéressent. Quasiment 450 000 euros
récoltés en deux mois, auprès de
plus de 10 000 donateurs.
Le documentaire déjoue les lois
classiques du cinéma. Son
audience grimpe de semaine en
semaine, et avec elle, la joie du
distributeur, Stéphane Célérier,
président de Mars Films. « Nous
avons multiplié par dix la fréquentation de la première semaine, comme l’avait fait le film
Intouchables. C’est totalement
exceptionnel pour un documentaire sur l’écologie. »
« Une bouffée d’oxygène »
On vient en famille, on revient
avec les amis, on griffonne même
des notes dans le noir. On s’extasie sur les réseaux sociaux, qui
font caisse de résonance
(100 000 amis du film sur Facebook). Avec, dans les messages,
des soleils, des cœurs, des smileys
et des « Merci ! » à en écœurer les
moroses. « Une bouffée d’oxy-
gène », lit-on. Et plus loin : « Rentrée avec l’envie d’acheter un vélo
et de créer un potager de quartier », « Adressez une copie à nos
politiques de tout poil ! » ou « Ce
film devrait être projeté dans tous
les collèges et lycées ». Sur le site
Internet du film, des Français qui
se découvrent écologistes racontent les groupes créés pour mette
en œuvre les solutions exposées.
Bien mené, joliment réalisé, raconté comme une histoire, un
road movie planétaire, Demain
ressemble davantage à un film de
cinéma qu’à une vidéo pour soirée
militante. Il vient d’être sélectionné aux Césars, et a bénéficié de
la meilleure note moyenne attribuée, en 2015, par les spectateurs
sur le site Allociné. Ni ennuyeux,
ni technique, ni anxiogène, il
capte l’attention des plus rétifs à la
cause verte en jouant l’humain
(les pionniers charismatiques) et
le concret (les initiatives locales).
La transition écologique s’incarne.
Elle devient possible. Etonnamment souhaitable, même.
Cyril Dion, le réalisateur du
film, par ailleurs cofondateur
en 2007 du mouvement Colibris
avec Pierre Rabhi, savoure l’engouement. « L’annonce de catastrophes déclenche peur, déni, repli, tandis que là, nous donnons
légitimité et courage à ceux qui
agissent, ou veulent le faire. » Côté
associations de défense de l’environnement, la vulgarisation
réussie des solutions promues
depuis si longtemps ne peut que
réjouir. Le succès inattendu de
Demain, veut-on croire, pourrait
même être le signe d’un moment
de bascule. D’une « maturité », selon Cyril Cornier, de Greenpeace
France. « Les énergies renouvelables, les monnaies locales, les entreprises coopératives, le fait de
manger moins de viande et seulement bio, tout cela n’est plus le
fantasme de quelques fous. »
Dans une France qu’assombrissent crise et terrorisme, ce documentaire est un « souffle d’espoir », « espoir qui ne relève pas de
la méthode Coué mais qu’étayent
des réalisations concrètes »,
ajoute Nicolas Hulot. « Ce film présente aux spectateurs des gens qui
ne sont pas dans la lumière mais
qui créent, inventent, préparent
l’avenir. Il les sort de l’impasse. »
Cyril Dion compte bien les guider plus loin. Un « Après-demain » est en réflexion, qui appellera à une sorte de « révolution
d’un nouveau genre ». Il y aurait,
perçoit-il, comme un vide de projet politique à combler. p
pascale krémer
france | 7
0123
MERCREDI 3 FÉVRIER 2016
Emploi : ce que réclament les régions
Reçus à Matignon et à l’Elysée mardi, les présidents de région veulent piloter la formation des chômeurs
A
lors qu’il se révèle impuissant à inverser la
courbe du chômage,
François Hollande veut
enrôler les régions, majoritairement à droite depuis le scrutin de
décembre 2015, dans sa « bataille
pour l’emploi ». Les présidents des
treize exécutifs régionaux en métropole et de cinq collectivités
d’outre-mer étaient conviés,
mardi 2 février, à Matignon, à un
séminaire où ce sujet devait occuper une place centrale. Une rencontre inédite en présence de plusieurs ministres, suivie d’un déjeuner à l’Elysée. Le président de la
République compte sur les élus régionaux pour la mise en œuvre de
l’une des principales annonces faites le 31 décembre 2015, lors de ses
vœux aux Français.
M. Hollande s’était engagé à ce
que 500 000 formations supplémentaires soient proposées à des
demandeurs d’emploi en 2016.
Soit presque deux fois plus qu’à
l’heure actuelle. « L’idée est de contractualiser avec les régions pour
que ça aille vite, explique une
source gouvernementale, en rappelant que celles-ci jouent un rôleclé dans le système de la formation
professionnelle. Si les demandeurs
d’emploi entrent en formation en
septembre, cela ne peut pas aller. »
Les patrons de région, qui, pour
la plupart, ont mené campagne
sur le thème de l’emploi, semblent plutôt disposés à jouer le
jeu. Y compris ceux de droite,
même s’ils y mettent des bémols
et posent leurs conditions. « On
n’a pas envie d’être la roue de secours de Hollande mais quand on
est aux responsabilités, on se doit
de tout faire pour que ça marche »,
affirme Philippe Richert, président (LR) de la région AlsaceChampagne-Ardenne-Lorraine et
tout nouveau patron de l’Association des régions de France.
« Il n’est pas question de se soustraire à cet exercice d’échanges avec
le gouvernement. Mais c’est à lui
d’aider les régions », renchérit
Christian Estrosi (LR), élu en décembre 2015 à la tête de ProvenceAlpes-Côte d’Azur (PACA). Dans un
entretien aux Echos, Xavier
Bertrand, président (LR) de la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie,
était allé encore plus loin dans
cette intention de coopérer avec
l’exécutif : « Si l’Etat peut nous aider,
je me moque de la couleur politique
du gouvernement », assurait l’ancien ministre du travail, d’autant
plus enclin au dialogue avec l’exécutif que sa victoire est due, en partie, aux électeurs de gauche.
Seul Laurent Wauquiez, qui ne
participe pas aux rencontres de
mardi, émet de fortes dissonances : « Les Français en ont assez des
grand-messes hypocrites dont il ne
sort jamais rien », a déclaré le président (LR) de Rhône-Alpes-Auvergne, lundi à l’AFP. Mais la région devait néanmoins être représentée,
mardi, au séminaire par le premier
vice-président, Etienne Blanc.
tion » attribue aux régions les
pleins pouvoirs sur le dispositif
d’orientation. M. Estrosi, lui, défend l’idée consistant à fusionner
les lycées professionnels et les centres de formation d’apprentis.
Disposées à participer à l’effort
de formation supplémentaire en
faveur des chômeurs, les régions
espèrent obtenir en contrepartie
ce qu’elles réclament en vain, depuis longtemps, droite et gauche
confondues : le pilotage de la totalité des formations sur leur territoire. « Aujourd’hui, ce ne sont pas
les régions qui orientent les demandeurs d’emplois dans les formations. C’est Pôle emploi, rappelle
Alain Rousset, patron (PS) de la région Aquitaine-Limousin- PoitouCharentes. Du coup, nous avons
des stages qui ne sont pas remplis.
Et des emplois non pourvus, faute
de candidats. Seules les régions ont
une connaissance fine des besoins
des entreprises. »
« Seules les
régions ont une
connaissance
fine des besoins
des entreprises »
ALAIN ROUSSET
président (PS) d’AquitaineLimousin- Poitou-Charentes
Les régions attendent du gouvernement qu’il instaure enfin
« la régionalisation du service public d’accompagnement vers l’emploi ». Promulguée en août 2015,
la loi sur la Nouvelle organisation
territoriale de la République (NOTRe) prévoit la possibilité pour les
régions de demander la délégation de la coordination des acteurs de la formation - à l’exception de Pôle emploi. L’opérateur
public a conservé la faculté
d’orienter des demandeurs d’emploi vers les formations et d’affecter les crédits de l’Etat aux organismes de formation.
Pour les régions, la loi NOTRe ne
va pas assez loin. Lors de l’examen
du texte au Parlement, « le gouvernement a détricoté ce que nous avions voté au Sénat pour imposer un
dispositif purement formel », regrette M. Retailleau. Lui et plusieurs présidents de région de
droite, dont MM. Bertrand, Richert et Estrosi, mais aussi de gauche, tel M. Rousset, se sont déclarés candidats à l’expérimentation
de la régionalisation de la politique de l’emploi.
Leur motivation est d’autant
plus grande que le 18 janvier, lors
de ses vœux aux acteurs de l’entreprise et de l’emploi, M. Hollande
s’est dit prêt à « prêt à modifier la loi
si nécessaire » pour étendre les
compétences régionales en matière de formation. Mais il risque
de se heurter à des résistances. Les
syndicats sont, en effet, vent debout contre la perspective d’une
« régionalisation de Pôle emploi qui
ferait courir des risques de rupture
d’égalité au regard des moyens,
voire des objectifs politiques des régions », selon la CFDT.
Une autre cause fédère aussi les
régions : la régionalisation de la
Banque publique d’investissement (BPI). Créée par le gouvernement Ayrault pour – entre autres –
prêter de l’argent aux petites et
moyennes entreprises (PME), la
BPI « décide de Paris sans vision des
vrais gisements de création d’emplois sur le terrain », estime
M. Rousset. « Si les régions pilotaient la BPI, poursuit-il, l’argent
irait davantage aux PME qui sont
les premières à créer de l’emploi en
France. » Jusqu’ici, le ministre de
l’économie, Emmanuel Macron, a
fait la sourde oreille sur ce sujet. p
béatrice jérôme
Contreparties
Si une relative bonne volonté est
de mise parmi les régions, toutes
obédiences confondues, il n’y a
pas pour autant d’« union sacrée
droite-gauche » sur l’emploi, souligne Bruno Retailleau, président
(LR) des Pays de la Loire. Son homologue de Normandie, Hervé
Morin (UDI), le dit en des termes
très directs : que l’on ne compte
pas sur « sa » collectivité s’il s’agit
de « financer des stages parking de
quelques semaines pour les demandeurs d’emploi ». Bon nombre
d’élus comptaient bien profiter
des débats avec Manuel Valls et
avec le chef de l’Etat, mardi, pour
faire valoir leurs propres propositions. M. Morin souhaite par
exemple qu’une « expérimenta-
L’HISTOIRE DU JOUR
Sarkozy enchaîne les dédicaces
et esquisse ses propositions
P
uisque la primaire de la droite a commencé chez les libraires, Nicolas Sarkozy n’a pas l’intention de lâcher le stylo.
Lundi 1er février, l’ancien président de la République a
passé plus de deux heures à signer son livre, La France pour la vie
(Plon, 264 p., 18,90 euros), dans un magasin Cultura à Saint-Maximin (Oise). Pour cette troisième séance de dédicaces en huit
jours, des centaines de personnes se sont pressées, obligeant les
responsables de l’enseigne à fermer les autres parties du magasin. Bilan : 626 livres signés, « trois stylos usés » et l’ego de l’ancien
président revigoré. « Un lien, ça se distend, ça se retend. Mais au
moins, il y a toujours un lien », explique-t-il.
Que représente ce livre pour M. Sarkozy ? Calinothérapie éditoriale auprès d’une base d’inconditionnels ou pièce maîtresse de
la reconquête de l’Elysée ? Seul l’avenir le dira. En attendant, l’ancien chef de l’Etat ne veut pas se contenter d’animer les fins
d’après-midi des librairies. Il espère que la tournée médiatique
que lui offre ses 264 pages de confession lui permettra aussi d’entretenir le débat à droite. « Dans ces pages, j’ai voulu expliquer la
complexité de certaines décisions, mais je
vais aussi passer à une partie program« UN LIEN, ÇA
matique », dit-il.
Dans les jours à venir, le président du
SE DISTEND, ÇA SE parti Les Républicains va développer
certaines idées de son livre. Le 4 février,
RETEND. MAIS, AU
il participe à l’émission « Des paroles et
MOINS, IL Y A TOU- des actes », sur France 2. Même si Emmanuel Macron ne sera pas son principal
JOURS UN LIEN »
débatteur, comme cela avait été envisagé, M. Sarkozy compte profiter de l’ocNICOLAS SARKOZY
casion pour s’exprimer sur l’assurancechômage. Lundi, lors d’une visite au Pôle
emploi de Saint-Maximin, il a longuement interrogé les agents
sur « les secteurs qui recrutent le plus » et sur la part de « gens de
mauvaise volonté qui ne veulent pas retrouver un travail ».
« L’idée n’est pas de diviser, l’idée est de résoudre la bombe atomique que représentent les 6 millions de chômeurs dans notre pays »,
a déclaré l’ancien chef de l’Etat. Dans son livre, M. Sarkozy propose une dégressivité de 20 % des indemnités au bout de douze
mois puis de 20 % supplémentaires au bout de dix-huit mois.
Une façon de ne pas laisser François Fillon et Alain Juppé occuper
seuls les thématiques libérales. Ses deux principaux rivaux se
sont prononcés eux aussi pour mise en place de la dégressivité. A
droite, la compétition ne se jouera pas que dans les librairies. p
matthieu goar (saint-maximin, oise - envoyé spécial)
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des équipements de série ou en option en fonction de la inition.
8 | france
0123
MERCREDI 3 FÉVRIER 2016
« La gauche, ce n’est pas
un chef bonapartiste »
Six jours après sa démission, l’ex-garde des sceaux
explique au « Monde » les circonstances de son départ
suite de la première page
Mais jusqu’où Christiane Taubira
est-elle prête à aller pour cela ? Ce
lundi 1er février, après une nuit
passée dans l’avion de retour de
New York à « lire de la poésie », elle
semble surtout bien décidée à ne
pas presser le cours des choses.
Car pour l’heure, elle jure n’être
habitée que par un seul combat :
la déchéance de la nationalité.
A quatre jours de l’examen par
les députés du projet de loi constitutionnelle qui doit inscrire celle-ci dans la Loi fondamentale,
l’ex-garde des sceaux veut manifestement peser dans les débats :
« J’espère que la déchéance de nationalité ne sera pas inscrite dans
la Constitution. Oui, j’espère très
sincèrement que la gauche n’aura
pas à assumer une telle décision. »
Y croit-elle ? « Je ne suis pas seule à
l’œuvre, assure-t-elle. Il y a une dynamique. J’ai vu des députés pourtant archi-loyaux à l’égard de la
majorité avoir le courage d’écrire
des tribunes en ce sens dans la
presse de leur circonscription. La
gauche, ce n’est pas un chef bonapartiste ! C’est un mouvement et le
sens de la délibération collective. »
Intarissable sur cette mesure
qui, selon elle, touche « au cœur
même de l’idée républicaine du
droit de la nationalité », Christiane
Taubira se montre en revanche
plus réservée quand on l’interroge sur le moment qu’elle a
choisi pour claquer la porte. Pourquoi, par exemple, ne pas l’avoir
fait dès le 23 décembre, quand a
été présenté en conseil des ministres le projet de loi inscrivant la
déchéance dans la Constitution ?
Réponse un brin agacée : « Parce
que j’estime qu’on ne part pas dans
le vacarme. Je ne voulais pas que le
tumulte des événements brouille
la lecture de mon départ, et notamment qu’on le lie aux pressions
de la droite.
– Conserviez-vous l’espoir d’un
abandon ou d’une réécriture du
texte après le 23 décembre ?
– Il y a une part de ça. Je pense
qu’il y a eu une courte fenêtre pendant laquelle il était possible de
prendre de la distance par rapport
à ce que le président de la République a dit au Congrès. C’est ainsi
que j’ai entendu et compris ses
vœux du 31 décembre lorsqu’il a affirmé que le débat était “légitime”
et qu’il revenait au Parlement de
“prendre ses responsabilités”. Mais
j’ai très vite compris que, sur l’essentiel, il n’y aurait pas de retour
en arrière et que [donc] ma place
n’était plus au gouvernement. »
Quelle fut la teneur précise des
discussions qu’elle a eues avec
François Hollande et Manuel Valls
pendant ces semaines de haute
tension ? Le chef de l’Etat, comme
cela a été dit, a-t-il tenté de la retenir ? A ces questions, Christiane
Taubira se mure dans le silence.
On lui fait alors remarquer que,
sur la quatrième de couverture de
son livre, dont le bon à tirer a été
signé neuf jours avant sa démission, figure encore la mention
« garde des sceaux ». Est-ce à dire
qu’elle l’a écrit en pensant pou-
Nouveau cri d’alarme des magistrats
Le premier président de la Cour de cassation et les premiers présidents de cour d’appel ont profité de leur réunion annuelle le
1er février pour s’alarmer des projets du gouvernement. « Le rôle
constitutionnel de l’Autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, est affaibli par des réformes et projets législatifs en
cours », lancent-ils dans une délibération. Alors que le gouvernement va examiner un projet de loi de lutte contre le crime organisé, les plus hauts magistrats rappellent que le rôle de la justice
ne doit pas se limiter à « la seule protection contre la détention arbitraire ». Au-delà de la question des moyens, ils appellent à une
« réforme d’envergure de nature à garantir (…) que l’autorité judiciaire soit soustraite à toute forme d’influence ».
« J’espère que
la déchéance
de nationalité
ne sera pas
inscrite dans
la Constitution »
CHRISTIANE TAUBIRA
voir rester en fonctions après sa
parution ? Sur ce point, elle veut
bien répondre. « Ma décision formelle de partir est très antérieure à
la publication du livre, même si je
ne vous dirai pas la date précise.
Mais dans mon rapport de loyauté
totale à l’égard du président de la
République, j’ai choisi de tenir mon
éditeur dans l’ignorance en ne le
prévenant pas que je ne serais plus
garde des sceaux au moment de la
parution du livre. »
Prolixe, lapidaire et énigmatique
Au cours de l’heure que durera
l’entretien, ponctué d’innombrables SMS de journalistes auxquels
elle dit ne pas vouloir donner
suite (« Si je voulais, je serais matin, midi et soir sur les plateaux,
mais ce n’est pas mon genre », juret-elle), c’est une Christiane
Taubira tour à tour prolixe, lapidaire et énigmatique qui répondra à nos questions ou au contraire tentera d’y échapper.
Prolixe, elle l’est quand on
pointe les limites de son bilan et
qu’elle se met alors à citer de mémoire le nombre de magistrats recrutés chaque année depuis 2012,
avant de vous tendre une plaquette en papier glacée vantant
ses « Quarante mois d’action et
d’engagements » place Vendôme.
Lapidaire, elle le devient quand
on l’interroge sur son successeur,
Jean-Jacques Urvoas, l’ancien président de la commission des lois
de l’Assemblée nationale, contre
lequel elle a notamment ferraillé
au moment du débat sur la loi
renseignement. Craint-elle, par
exemple, qu’il se montre peu soucieux des libertés ? « Il n’y a pas
Christiane Taubira, le 1er février, à Paris. MATHIEU ZAZZO /PASCO POUR « LE MONDE »
d’antagonisme entre la sécurité et
la préservation des libertés. Le ministère de la justice est le garant
des libertés. Je n’ai aucun commentaire à faire sur M. Urvoas. Vous le
jugerez sur ses actes », se contente
de répondre Christiane Taubira,
rappelant à cette occasion qu’elle
a autant de talent pour manier la
langue de bois que pour ourler ses
discours de citations d’Aimé Césaire ou René Char.
Et puis il y a la Christiane
Taubira énigmatique. Celle qui se
dérobe quand on l’interroge sur
ses ambitions politiques. Sur ce
point, elle prend un soin particulier à ménager François Hollande,
jure qu’elle est « très respectueuse
de la fonction présidentielle » et
ajoute que, « quand une société est
dans un moment de doute et de
fragilité, il faut que les institutions
soient fortes et puissantes ». Même
chose avec Manuel Valls, avec lequel elle se contente d’admettre
des « désaccords incontestables »,
mais sans s’étendre davantage.
Restent quelques phrases sibyllines, que l’on interprétera
comme on l’entend, sur son attachement aux « principes qui ne dépendent pas des gens qui passent »
et sur « l’action qui doit être ancrée
et durable », alors que « le reste est
éphémère, même la durée d’un
quinquennat ». Et puis cette nonréponse, quand on lui demande
Comptes de campagne : la défense du FN contredite
Devant les juges, François Logerot, le président de la commission de contrôle des comptes de campagne, a indiqué
que le microparti Jeanne était « un écran et une construction juridique artificielle »
L’
argument est répété en
boucle par les dirigeants
du Front national pour
tenter de dégonfler l’affaire du
financement de ses campagnes
électorales en 2012 : le parti d’extrême droite n’aurait rien à se reprocher, car la Commission nationale des comptes de campagne et
des financements politiques
(CNCCFP) a validé « quatre fois » les
comptes de ses candidats. « Tout ce
système de financement, qui est
parfaitement transparent et qui a
été validé quatre fois par la Commission nationale des comptes de
campagne (…) est parfaitement
légal », a encore assuré le vice-président du FN Florian Philippot,
début janvier. L’audition comme
témoin de François Logerot, président de la CNCCFP, devant les juges
chargés de l’enquête, le 3 décembre 2015, vient sérieusement battre en brèche cet argument.
Lors de son audition, que Le
Monde a pu consulter, M. Logerot a
expliqué les raisons qui ont conduit son institution à valider dans
un premier temps les comptes de
campagne des candidats frontistes
aux législatives de juin 2012. « La
période d’examen des comptes
était extrêmement réduite, notet-il à propos des circonscriptions
qui faisaient l’objet d’un contentieux électoral et nécessitaient un
examen plus rapide de leur situation. A partir du moment où nous
n’avions pas fait de réformation car
nous n’avions pas constaté d’irrégularité manifeste pour ces comptes, examinés en priorité, il nous
était impossible de procéder autrement pour les autres comptes, sauf
à rompre l’égalité de traitement entre les différents candidats. »
La tâche de la CNCCFP est
d’autant plus ardue qu’elle n’a pas
accès au détail des comptes des
partis. L’institution n’a pas pu se
pencher sur les sommes transitant par Jeanne, le microparti de
Marine Le Pen qui accordait des
prêts avec intérêts aux candidats
du FN et leur vendait des kits de
campagne confectionnés par
Riwal, une société dirigée par
Frédéric Chatillon, un ami de la
présidente du FN.
Alertée par un candidat frontiste,
surpris d’avoir touché le rembour-
sement de l’Etat alors qu’il n’avait
signé aucun papier, la commission
a signalé l’affaire à la justice
en 2013, provoquant l’ouverture,
en avril 2014, d’une enquête, sous
la direction d’Aude Buresi et de Renaud Van Ruymbeke. Cette dernière s’est achevée le 13 janvier.
« Habillage »
Les magistrats soupçonnent la
mise en place d’un système frauduleux qui aurait visé à se constituer un trésor de guerre par la
grâce des remboursements de
l’Etat. Plusieurs millions d’euros
sont concernés. Les juges ont ainsi
découvert que Riwal a sous-traité
au FN la fabrication de milliers de
tracts, qui ont été facturés
412 000 euros à Riwal alors que la
prestation réalisée n’a coûté que
83 000 euros.
Les magistrats du pôle financier
doivent dire dans les mois à venir
s’ils comptent renvoyer l’affaire
devant un tribunal. D’ici là, la
chambre de l’instruction doit se
prononcer sur la régularité du
réquisitoire supplétif délivré aux
juges par le parquet de Paris. Ce
dernier avait élargi les chefs de
poursuite après que le trésorier du
Front national eut soulevé la disparition de l’une des infractions
poursuivies.
Durant son audition, François
Logerot, magistrat expérimenté,
qui siège depuis plus de dix ans à la
tête de la CNCCFP, s’est livré à un réquisitoire virulent contre Jeanne.
La réalité des prêts accordés par le
microparti de Mme Le Pen est remise en cause : Riwal aurait simplement avancé les fonds dans l’attente que Jeanne lui verse les remboursements de l’Etat perçus par
les candidats.
« Les comptes de Jeanne sont
d’une part artificiels, car ils ne représentent pas l’activité propre du
parti, et d’autre part un habillage
d’opérations financières qui en réalité mettent en présence d’une part
les candidats, d’autre part la société Riwal », dénonce M. Logerot.
Et de poursuivre : « Jeanne est un
écran et une construction juridique
artificielle. (…) La présidente du
parti, Mme Florence Lagarde, ne
connaissait pratiquement rien des
montages financiers en cause (…).
Seuls M. Chatillon et M. [Nicolas]
Bay [secrétaire général du FN]
étaient capables de répondre aux
questions du service juridique. »
Lors de son audition devant les
juges, Axel Loustau, conseiller régional FN d’Ile-de-France, et ami
de M. Chatillon, a reconnu n’être
qu’un trésorier de « paille » pour
Jeanne, destiné à suppléer son
prédécesseur à ce poste Olivier
Duguet, qui faisait l’objet d’une
condamnation pénale.
Depuis 2012, la CNCCFP a approfondi ses contrôles. Elle s’est penchée en particulier sur les kits de
campagne fournis par Riwal dans
le cadre des élections municipales
et départementales de 2014 et
2015. Des dépenses de « personnalisation » de documents dans le cadre des départementales, manifestement surfacturées, ont, par
exemple, été réformées, à hauteur
de 10 % à 15 % de la facture totale, a
expliqué aux juges le président de
la CNCCFP. De quoi écarter l’argument mis en avant par le Front national selon lequel l’institution lui
accorderait un blanc-seing. p
olivier faye et simon piel
pour finir si elle envisage d’être
candidate en 2017 et ne craint pas
de regretter son départ du gouvernement ? Une question qu’elle
préfère là encore esquiver, ce qui
tombe d’ailleurs très bien car il est
déjà l’heure pour elle de rejoindre
la cantatrice Barbara Hendricks
pour déjeuner. « Ne vous en faites
pas pour moi, je n’aurai aucun
blues, même s’il est forcément difficile de quitter un ministère au moment où vient la récolte des fruits
du travail fourni. Mais je n’ai pas
été seule à le faire et cette frustration peut être partagée par mes
équipes. » p
jean-baptiste jacquin
et thomas wieder
POLI T I QU E
Pascal Durand quitte
Europe Ecologie-Les Verts
Nouveau coup dur pour Europe Ecologie-Les Verts. Son
ancien secrétaire national
(2012-2013), Pascal Durand, a
annoncé, lundi 1er février au
Parisien.fr, son départ de la
formation. « Je ne suis pas
contre EELV. Mais je laisse le
parti gérer ses problèmes. Ça
ne m’intéresse plus, je veux me
focaliser sur autre chose », indique le député européen.
M. Durand dit avoir revu Nicolas Hulot et être « dans le
même état d’esprit » que lui.
« Il faut redynamiser le débat
et l’écologie, et cela ne peut
pas se faire à l’intérieur des
partis ou dans une primaire. »
EXT R ÊME D R OI T E
Jean-Marie Le Pen au
« banquet » de « Rivarol »
Selon les informations du
Monde, le « grand banquet
des amis de Rivarol », qui doit
se tenir, samedi 9 avril, à Paris, pour les 65 ans de l’hebdomadaire pétainiste et antisémite, recevra Jean-Marie Le
Pen. Il y célébrera l’anniversaire de son entretien à Rivarol dans lequel il réitéra ses
propos sur les chambres à
gaz, « détail » de l’histoire, le
9 avril 2015, et déclencha le
conflit avec Marine Le Pen.
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MERCREDI 3 FÉVRIER 2016
Les malades du cancer vivent plus longtemps
Selon une étude menée entre 1989 et 2010 sur 535 000 cas, davantage de cancéreux passent le cap des cinq ans
C’
est une nouvelle plutôt rassurante. De
plus en plus de personnes
atteintes
d’un cancer sont toujours en vie
cinq ans après le diagnostic de la
maladie. C’est ce que révèle la troisième édition d’une vaste enquête
publiée mardi 2 février par l’Institut de veille sanitaire (InVS) et
l’Institut national du cancer
(INCa). Selon cette étude menée
entre 1989 et 2010 sur plus de
535 000 cas et portant sur 53 types
de cancer, les tendances sont jugées globalement « encourageantes ». Même si ces survies restent
très « hétérogènes » et ces pronostics doivent être lus avec « prudence ».
Certaines tumeurs laissent en effet toujours peu d’espoir (mésothéliome pleural, pancréas, œsophage, foie, poumon) quand
d’autres affichent des taux de survie proches de la guérison (prostate et testicule chez les hommes,
thyroïde chez les femmes). Des différences de pronostic qui varient
également selon le sexe et l’âge des
malades au moment du diagnostic. De fait, les cancers de mauvais
pronostics – survie inférieure à
cinq ans – représentent 31 % des
cancers chez les hommes et seulement 17 % chez les femmes.
Trois des quatre « tumeurs solides » – sur les organes – les plus fréquentes (prostate, sein et côlonrectum) affichent des évolutions
de leur survie à cinq ans « extrêmement significatives » et « positives »,
se félicite François Bourdillon, le
directeur général de l’InVS. Alors
que 72 % des hommes à qui un cancer de la prostate a été diagnostiqué entre 1989 et 1993 étaient encore en vie cinq ans plus tard, cette
proportion passe à 94 % pour ceux
dont le diagnostic a été posé entre
2005 et 2010. Cette hausse spectaculaire de 22 points en quinze ans
La durée de survie s’améliore pour trois des quatre cancers les plus fréquents
SURVIE NETTE STANDARDISÉE À 5 ANS, EN %, DES CAS DE CANCER DIAGNOSTIQUÉS
ENTRE 2005 ET 2015
ENTRE 1989 ET 1993
PROSTATE
SEIN
94 % des cas
72 % des cas
diagnostiqués
entre 1989
et 1993 étaient
toujours en vie
5 ans après
diagnostiqués
entre 2005
et 2015 étaient
toujours en vie
5 ans après
CÔLON-RECTUM
87
56 841
8 876
80
SEIN
63
54
48 763
11 886
42 152
CÔLON-RECTUM
17 722
13
17
39 495
POUMON
29 949
* EN 2011
s’explique par une amélioration de
la prise en charge thérapeutique et
du dépistage de ce cancer à l’origine de 8 900 décès en 2012.
Entre ces deux mêmes périodes,
le pourcentage de survie après un
diagnostic de cancer du sein est en
hausse de 7 points. Si 80 % des
femmes à qui cette tumeur a été
diagnostiquée entre 1989 et 1993
étaient toujours en vie cinq ans
plus tard, elles sont 87 % parmi celles diagnostiquées entre 2005 et
2010. « Mais du fait de sa fréquence,
le cancer du sein reste la première
cause de décès par cancer chez la
femme », tempèrent l’InVS et
l’INCa. En 2012, pour 48 800 nouveaux cas diagnostiqués, ce cancer
a causé 11 900 décès.
« Prévention »
La survie au cancer du côlon-rectum affiche de bons résultats, avec
une hausse de 9 points (de 54 % à
63 %) de la survie à cinq ans. « Il y a
là des marges de progression, juge
cependant le docteur Jérôme Vi-
guier, le directeur du pôle santé
publique et soins de l’INCa. On arrive encore trop tard dans la maladie. Le programme de dépistage,
pourtant efficace, ne rencontre que
35 % à 40 % des personnes visées. »
Malgré une légère amélioration,
les chiffres du cancer du poumon
restent alarmants, avec un taux de
survie à cinq ans particulièrement
faible. En quinze ans, il est passé de
13 % à 17 %. « C’est un cancer qui
garde un pronostic effroyable »,
constate le docteur Viguier. « Il n’y
a pas à ce jour de traitement optimum de ce cancer. L’amélioration
ne passera donc que par la prévention et la réduction du tabagisme »,
ajoute François Bourdillon. Cette
tumeur est la première cause de
décès par cancer chez l’homme
(21 300 estimés en 2012).
La baisse de la survie au cancer
du col de l’utérus, de 68 % à 62 %, se
présente comme une exception.
Cette évolution s’explique paradoxalement par la montée en puissance du dépistage par frottis de-
Depuis une semaine, des établissements prestigieux sont la cible
d’alertes à la bombe et de menaces de mort. Une enquête est ouverte
P
POUMON
PROSTATE*
Des lycées parisiens et lyonnais sous
la menace de messages mystérieux
our la troisième fois en une
semaine, des établissements scolaires ont été perturbés par des appels téléphoniques menaçants. Lundi 1er février,
vers 9 heures, les élèves de trois
lycées parisiens (Condorcet,
Henri-IV et Louis-le-Grand) ont été
mis à l’abri à la suite d’un appel
anonyme. « Vous allez tous mourir », aurait lancé l’interlocuteur au
bout du fil. Ce même lundi matin,
à Lyon cette fois, six collèges et
lycées ont reçu des appels faisant
état de la présence d’une bombe.
Dans deux d’entre eux, les élèves
ont été évacués, le temps que la
police inspecte les lieux.
Dans la capitale, le scénario se
répète. Mardi 26 et jeudi 28 janvier, plusieurs lycées réputés ont
été contactés dans la matinée. A
chaque fois, un message préenregistré, provenant d’un numéro
anonyme. Mardi, le message parvenu au standard de six lycées
évoquait un colis piégé à l’intérieur de l’établissement et les alertes à la bombe n’ont été levées
qu’à la mi-journée. Jeudi, cinq
lycées ont été pris pour cible ;
cette fois, « le message indiquait
que le lycée allait être bombardé,
que les élèves allaient être mitraillés dans une demi-heure »,
témoigne un proviseur.
Ni le rectorat de Paris ni les
autres chefs d’établissement contactés n’ont souhaité donner plus
de détails. Côté police, une enquête est en cours, menée par la direction de la sécurité de proximité
INCIDENCE ET MORTALITÉ DES QUATRE PRINCIPAUX CANCERS EN 2012
NOMBRE DE DÉCÈS
NOMBRE DE NOUVEAUX CAS
de l’agglomération parisienne
(DSPAP) avec un soutien technique de la PJ parisienne. Elle progresse lentement en raison de la
difficulté à remonter à l’origine
des appels. « Le numéro de téléphone est anonymisé. Le travail est
assez lourd techniquement, explique une source policière. Nous tentons de remonter le cheminement
des appels, qui transitent peut-être
par une plate-forme ou via Skype. »
Evacués ou confinés
En cas d’alerte, les lycées appliquent une procédure définie à
l’avance dans leur « plan particulier de mise en sécurité ». Selon la
situation, les élèves peuvent être
soit évacués soit confinés dans
l’établissement, regroupés dans
certaines pièces ou dans la cour.
« Dans ces cas-là, on ne se pose pas
la question de savoir si la menace
est sérieuse ou non. On déclenche le
dispositif prévu, raconte un proviseur dont le lycée a été menacé
jeudi. J’ai immédiatement appelé le
rectorat et les services de police. La
police est arrivée et a bloqué les rues
adjacentes. Les cours ont continué
mais les élèves n’ont pas été autorisés à sortir avant midi. »
A Louis-le-Grand, lundi matin,
l’appel malveillant « n’a absolument pas perturbé mes cours », raconte une enseignante sous couvert d’anonymat. « Je ne me suis
rendue compte de rien. Ce n’est qu’à
midi que j’ai eu vent de cette nouvelle menace. » L’enseignante rapporte que les cours ont également
eu lieu normalement jeudi, alors
que les élèves avaient dû évacuer
leur salle de classe mardi. « A part
une surveillance accrue des sacs à
l’entrée depuis quelques jours,
notre quotidien n’est pas bouleversé. » « Ce n’est pas la panique,
confirme un de ses collègues. Je
sens les élèves plus agacés de voir
les cours perturbés qu’inquiets. »
Outre-Manche, un scénario similaire s’est produit ces derniers jours
dans plusieurs établissements scolaires d’Angleterre et d’Ecosse. Les
enquêteurs français tentent d’établir un lien avec ce qui se passe en
France, selon une source policière
citée par l’Agence France Presse
(AFP). Vendredi, en Australie, des
écoles ont été évacuées ou fermées
à la suite d’alertes à la bombe qualifiées finalement de « canulars » par
la police. Des menaces qui se sont
répétées mardi.
En France, les consignes de sécurité ont été revues à la hausse depuis les attentats du 13 novembre
2015 : vérification d’identité, contrôle des sacs, interdiction de s’attarder devant les établissements,
sensibilisation aux premiers secours, constitution de « cellules de
crise » dans les rectorats, diagnostic de protection des espaces… En
outre, tous les établissements scolaires étaient tenus d’organiser,
avant les vacances de Noël, deux
exercices de sécurité (évacuation
et confinement), que les lycées
menacés ont, depuis, pratiqué…
grandeur nature. p
aurélie collas
L’étude a servi
à élaborer
une grille pour
le « droit à
l’oubli » lors de la
souscription d’un
crédit bancaire
puis vingt-cinq ans. Malgré tout
encore insuffisant. Les cancers
« diagnostiqués au stade invasif »
ayant échappé à ce dépistage sont
certes moins nombreux mais
« comportent une proportion plus
importante de cancers de mauvais
pronostic, d’où la diminution de la
survie au cours de la période
d’étude », fait valoir l’enquête.
C’est sur la base de toutes ces
nouvelles données qu’a été élaborée ces derniers mois entre l’INCa
et les sociétés d’assurances une
nouvelle « grille de référence » affinant le « droit à l’oubli » prévu par
la loi santé pour les anciens malades du cancer. Pour leur éviter
d’avoir à payer des surprimes d’un
montant parfois exorbitant lors de
la souscription d’un crédit bancaire, le texte définitivement
adopté en décembre prévoit que
les anciens malades ne sont plus
tenus de déclarer leur cancer dix
ans après la fin de leur traitement.
Selon nos informations, la mi-
SOURCE : INVS
nistre de la santé, Marisol Touraine, devrait dévoiler jeudi 4 février, lors de la clôture des sixièmes rencontres de l’INCa, une
grille – évolutive – qui détaillera
quels cancers ne donneront plus
lieu à une déclaration obligatoire.
Au vu de l’enquête publiée mardi,
les cancers avec un bon pronostic,
comme celui du testicule (96 % de
survie à cinq ans) devraient figurer
en bonne place. « A 95 % de survie,
on peut considérer qu’on est sur un
cancer qui se guérit », souligne le
docteur Viguier. « Même si c’est assez difficile de mettre le pancréas ou
le poumon dans un premier temps,
ajoute-t-il, cette liste est quand
même une petite révolution. » p
Le nouveau
nom de l’énergie.
www.uniper-energy.fr
françois béguin
10 | france
0123
MERCREDI 3 FÉVRIER 2016
La « jungle » calaisienne se resserre
Deux lieux de culte ont été détruits lundi 1er février. La préfecture veut créer une zone tampon avec l’autoroute
REPORTAGE
La petite école
qui était au bord
de la bande
à déblayer
a été épargnée
calais - envoyée spéciale
U
ne main sur le front en
guise de visière, deux
jeunes Africains regardent au loin. Depuis la
butte de terre où ils sont juchés, au
cœur de la « jungle » calaisienne,
ils scrutent la tractopelle qui nivelle le lieu où tous deux ont vécu
durant trois mois. Derrière eux, le
bruit des marteaux rythme la fixation des bâches sur les murs de
planches des cabanes remontées
en urgence. Lundi 1er février, ils
sont une quinzaine à reconstruire
un semblant de quartier éthiopien
et érythréen, à quelques pas de
leur village détruit.
Dans l’immense bidonville de
Calais, où se côtoient une vingtaine de nationalités, chacun aime
à se retrouver entouré des siens.
« On va être serrés mais ça va aller »,
lance Fantiou, un jeune Ethiopien
d’une vingtaine d’années, avant de
se saisir du sac-poubelle dans lequel il traîne ses affaires.
Village englouti
Victime de l’opération de « resserrement » du bidonville, son quartier a été rayé de la « jungle », lundi
matin à 9 heures. Le lieu où vivaient Fantiou l’Ethiopien et Mithias l’Erythréen a été rendu à la
nature. C’est désormais un no
man’s land entre le bidonville et
les pavillons des riverains. La création de cette bande de terre nue
était un des buts de l’opération. Le
19 janvier, la préfète du Pas-de-Calais, Fabienne Buccio, avait pris un
arrêté d’expulsion concernant
tous les migrants installés en lisière du bidonville. Elle souhaitait
éloigner les Afghans de l’autoroute
et les Africains des riverains. Les
Afghans ont migré il y a une semaine, et un à un, leurs cafés et
épiceries rouvrent à quelques pas
de ceux que le bulldozer a anéantis. Restait à bouger les Africains.
Leur église évangélique et leur
mosquée ont été rayées de la carte.
Des femmes ont pleuré, des humanitaires ont crié à la provocation, avant qu’un calme d’impuissance ne reprenne le dessus. « Ils
avaient promis qu’ils ne toucheraient pas les lieux de culte. Que
cherchent-ils ? », s’interroge Christian Salomé, de l’Auberge des migrants. Une bénévole calaisienne,
hors association, mais très présente, s’inquiète de « l’effet sur les
communautés de ces destructions
hautement symboliques ».
Interrogé par le journal Nord Littoral, Etienne Lhermenault, le président du Conseil national des
évangéliques de France estime que
« dans le climat général d’hystérie
antireligieuse, ces destructions sonnent comme un aveu : faute de pouvoir s’en prendre aux réfugiés, la République essaie de les priver de ce
qui nourrit leur espérance ». En fin
de journée, Ethiopiens et
Erythréens étaient peu loquaces
sur l’événement, trop affairés à reconstruire des abris avant la nuit et
la tempête. Mais Fantiou avait un
sourire triste, comme s’il avait
laissé un peu de lui-même dans
son village englouti.
Lundi soir, Mme Buccio rappelait
qu’associations et responsables
des communautés étaient prévenus que l’église et la mosquée ne
pourraient rester puisqu’elles
étaient au milieu de la bande des
100 mètres. « Lorsque nous sommes arrivés ce matin, nous avons
laissé au pasteur le temps de déménager l’intérieur de l’église évangélique ; aux migrants et à leurs sou-
PR OST I T U T I ON
I SL AM
Démantèlement
d’un réseau à Belleville
Polémique avant un
rassemblement de l’UOIF
Huit personnes ont été mises
en examen dans le cadre du
démantèlement d’un réseau
de prostitution qui opérait
dans le quartier de Belleville
à Paris, a annoncé, lundi 1er février, la police judiciaire parisienne. Sept ont été placées
en détention provisoire et
une sous contrôle judiciaire,
a-t-on appris de source judiciaire. L’enquête, menée par
la Brigade de répression du
proxénétisme de la police judiciaire parisienne, a débuté
au printemps 2015. – (AFP.)
Des responsables politiques
– dont le président de Debout
la France, Nicolas DupontAignan, et le député PS Jérôme
Guedj – ont dénoncé l’invitation d’orateurs « prêchant la
haine » ou « la négation même
du pacte républicain » à une
rencontre organisée dimanche 7 février à Lille par l’Union
des organisations islamiques
de France. Mohamed Rateb
Al-Nabulsi, Abouzaïd Al-Mokri
et Abdallah Salah Sana’an
seront au côté de l’islamologue suisse Tariq Ramadan.
Jean-Christophe CAMBADÉLIS
Invité de
Mercredi 3 février à 20h30
Emission politique présentée par Frédéric HAZIZA
Avec :
Françoise FRESSOZ, Frédéric DUMOULIN et Yaël GOOSZ
sur le canal 13 de la TNT, le câble, le satellite, l’ADSL, la téléphonie mobile, sur iPhone
et iPad. En vidéo à la demande sur www.lcpan.fr et sur Free TV Replay.
www.lcpan.fr
Destruction
de la
mosquée
et de l’église
évangélique,
dans la
« jungle »,
à Calais,
le 1er février.
PHILIPPE
HUGUEN/AFP
tiens, le temps nécessaire pour enlever la cabane qui servait de presbytère et récupérer les structures des
autres constructions de bois », précise-t-elle. L’école qui était au bord
de la bande à déblayer a, elle, été
épargnée alors que dans cet espace
de non-droit, plus de 300 enfants
(selon France Terre d’asile), parfois
là depuis des mois, ne bénéficient
d’aucune scolarisation.
La mise en place de cette bande
de terre dépourvue de végétation
réduit la taille du bidonville et en
contient les limites. Elle permet
aussi aux autorités de répondre à
la demande pressante des riverains qui déploraient des intrusions dans leur jardin. La préfète y
voit par ailleurs une zone tampon
entre la « jungle » et l’autoroute.
« C’est une protection pour nos policiers qui sont en poste. Son dégagement leur permet de mieux suivre
les groupes de migrants qui se dirigent vers l’autoroute », rappelle
Mme Buccio. Or l’autoroute est un
point stratégique puisqu’elle conduit vers le port.
La préfète se félicite que son dispositif ait déjà permis d’éviter une
interruption du trafic dimanche
après-midi. Le 31 janvier, quelque
500 migrants selon la préfecture
– bien plus, selon l’association A
fond de Calais – se sont opposés
aux forces de l’ordre et le conflit a
été contenu dans cet espace.
Alors que personne ne sait
aujourd’hui combien de migrants
vivent là, Mme Buccio poursuit sa
stratégie de transformation du
camp en peau de chagrin. La destruction du quartier éthiopien
après celle du quartier afghan procède de ce dessein. Au même titre
que les 2 375 personnes convaincues de partir dans ces centres
d’accueil ailleurs en France, les
3 000 converties à une demande
d’asile ici, ou les quelque 700 qui
viennent de quitter leur tente
pour le camp de conteneurs
chauffés, juste à côté.
Frédéric Van Gansbeke est dubitatif face à cette stratégie. Le président de la fédération du com-
merce de Calais estime que le printemps et ses arrivées risquent fort
de chambouler les plans étatiques.
Lundi, il a rendu publique une lettre au chef de l’Etat écrite au nom
du Grand rassemblement du Calaisis. Commerçants, travailleurs
du port et autres signataires y demandent « qu’on construise un vrai
camp, afin d’accueillir dignement
ces gens. Ensuite qu’on nous aide
pour que nos entreprises ne meurent pas chacune à son tour ». Si
l’énervement monte dans le bidonville à l’heure où les passages
vers la Grande-Bretagne se font rares, il s’exacerbe aussi chez les
commerçants calaisiens. p
maryline baumard
Une association de locataires dénonce
les pratiques du plus gros bailleur de France
La SNI, filiale de la Caisse des dépôts, est épinglée dans un rapport sur les organismes HLM
L’
Agence nationale de contrôle du logement social
(Ancols), sorte de Cour des
comptes pour les 700 organismes
HLM de France, produit des rapports très confidentiels. Mais depuis 2014, la CLCV, une association
de locataires, se fait un plaisir de
les divulguer. Le 27 janvier, elle en
a rendu publics 45 simultanément. Ceux-ci visent notamment
trois filiales de la Société nationale immobilière (SNI) : les franciliennes Efidis et Osica et la nantaise Société anonyme des marchés de l’Ouest (SAMO).
La SNI, qui dépend de la Caisse
des dépôts, contrôle, à travers
treize filiales, 184 000 logements
sociaux (sans compter 90 000 logements à loyer intermédiaire).
Elle est dirigée par André Yché, un
ancien militaire, qui mène ses
6 500 salariés avec autorité. Sur-
tout, il laisse fort peu de marge de
manœuvre à ses bailleurs sociaux, au grand dam de leurs administrateurs, notamment les représentants des locataires, dûment élus, et des collectivités locales. « Ce n’est pas une tutelle, c’est
une tyrannie ! », s’insurge Maryse
Offredi, élue CLCV au conseil d’administration d’Osica. C’est aussi ce
qui ressort des rapports de l’Ancols. Celui concernant la SAMO est
sans doute le plus critique. Son directeur est choisi et salarié par la
SNI, et mis à disposition de la
SAMO priée d’assurer sa rémunération. « Le directeur général ne
dispose pas, de fait, de la liberté
d’action nécessaire au plein exercice de son mandat social », estiment les inspecteurs qui voient là
« un lien de subordination ».
La SNI puise, en outre, largement, par différents moyens, dans
Salaire mirobolant chez Paris Habitat
Le directeur général de l’office HLM Paris Habitat, Stéphane Dambrine, est rémunéré 14 000 euros net par mois sur treize mois
– dans la norme si l’on compare avec d’autres établissements publics – mais il bénéficie aussi, comme l’a révélé Le Parisien du
30 janvier, d’un parachute doré de 500 000 euros en cas de départ.
Le quotidien a également précisé que le directeur général adjoint,
Gilles Romano, dont le salaire est de 9 000 euros net par mois,
s’est vu attribuer un logement trois pièces à loyer intermédiaire,
dans le 12e arrondissement, pour 1 000 euros par mois. « Ce n’est
pas illégal mais il faut éviter ce type de conflit d’intérêt », estime
Ian Brossat, adjoint au logement à la Mairie de Paris. Cette question sera examinée lors d’un prochain conseil d’administration.
la trésorerie de ses filiales. Jusqu’en 2015, elle exigeait ainsi une
curieuse « redevance d’image de
marque » pouvant aller jusqu’à 1 %
du chiffre d’affaires. A ce titre, par
exemple, Efidis a été ponctionnée
de près de 875 000 euros en 2012.
Une situation à « caractère strictement commercial incompatible
avec le service de l’intérêt général »,
dénoncée par l’Ancols. Cette pratique a été abandonnée.
Un autre biais pour tirer parti
des filiales est de leur imposer de
recourir exclusivement aux services proposés, donc imposés, par la
SNI, à son prix, via divers « groupements d’intérêt économique ».
C’est le cas des services informatiques, financiers, de maîtrise
d’ouvrage pour toutes les actions
de construction et de rénovation
mais aussi d’expertise et de vente
des logements. « Les prestations
facturées ne reposent pas sur un
calcul du coût réel », relève l’Ancols
à propos de la SAMO.
La stratégie même de chaque organisme HLM est décidée à la SNI
sans toujours tenir compte des
réalités locales. Les loyers, par
exemple, sont systématiquement
fixés à leur niveau maximum
autorisé, voire plus : « Une réflexion mériterait d’être engagée
sur la politique des loyers dont les
niveaux apparaissent globalement
élevés », notent les inspecteurs à
propos de la SAMO. « La SNI [lui]
impose une politique ambitieuse
de vente de logements, près de
500 actuellement, quitte à abandonner certains territoires, comme
le littoral vendéen ou le Maine-etLoire, alors que les besoins en logements sociaux y sont toujours avérés », dénonce, de son côté, Daniel
Gonzalez, administrateur locataire, élu CLCV.
« Mutualisation des moyens »
Toutes les opérations de développement, de construction et de renouvellement urbain des franciliennes Osica et Efidis sont désormais confiées à un GIE Grand Paris Habitat. « Les organismes HLM
se voient cantonnés au rôle de gestion des locataires, dont ils reçoivent directement les plaintes dans
des procédures, notamment celles
de rénovation, qu’ils ne maîtrisent
pourtant pas, et les élus locaux
sont tenus à distance », regrette Edward Watteeuw, de l’Union régionale Ile-de-France CLCV. « Nous
sommes l’actionnaire principal, je
revendique cette stratégie et la mutualisation des moyens », maintient André Yché.
Enfin, la gestion financière imposée par la SNI, notamment de
coûteuses couvertures de risques
pour des emprunts à taux variable, a entraîné pour Efidis une
lourde perte de 23 millions
d’euros, entre 2008 et 2012. « Ce
n’est pas une perte mais une assurance », se défend M. Yché. p
isabelle rey-lefebvre
enquête | 11
0123
MERCREDI 3 FÉVRIER 2016
Belleville,
extérieur nuit
Elles ont entre 40 et 60 ans et ont quitté la
Chine dans l’espoir d’une vie meilleure. Alors
que la loi sur la prostitution doit être votée
à l’Assemblée, les « marcheuses » de Belleville
revendiquent de n’être « l’esclave de personne »
florence aubenas
E
n voyant un attroupement sur le
boulevard de La Villette, à Paris,
les femmes ont d’abord cru à
une opération de police. Il y en a
régulièrement ici. Deux se sont
engouffrées dans un supermarché chinois, d’autres ont dévalé les rues qui
descendent vers le canal. Une seule s’est approchée, discrète. En fait, on tournait un film,
ce jour-là, dans le Belleville asiatique. La
même femme s’est risquée à demander un
rôle. Après tout, le scénario raconte la vie
d’une prostituée chinoise. Comme elle. Une
femme sans papiers. Comme elle, ou plutôt
comme elles toutes. Avec le recul, des mois
plus tard, la femme frissonne encore de sa
« folie » : imaginer son visage sur écran géant,
projetée partout, peut-être même jusqu’en
Mandchourie, chez elle. Là-bas, les gens
auraient compris alors : en fait, elle n’est pas
secrétaire à Paris.
Mercredi 3 février, La Marcheuse, premier
film de Naël Marandin, sort au cinéma. Le
même jour, l’Assemblée nationale examine
en dernière lecture une proposition de loi –
controversée – de lutte contre la prostitution.
Un peu en recul du boulevard, quelques
femmes se sont réfugiées dans un café, zinc à
la parisienne version chinoise, où des dragons caracolent sur les théières autour du
percolateur. Il s’est remis à pleuvoir. De
l’autre côté de la vitrine, des lycéennes rient
sous l’averse, bien plus pomponnées qu’elles.
Elles ? Elles ont entre 40 et 60 ans, allure de
tantes de province, fagotées dans des anoraks
sombres, jeans bon marché. Le quartier en
compte 300, un bon tiers de la prostitution
chinoise à Paris, regroupées dans le huis clos
minuscule et terrible du carrefour de Belleville. D’habitude, les passes tournent ici de
20 euros à 60 euros. Ces temps-ci, certaines
acceptent à 10. Janvier a toujours été un mois
de misère. Dans le café, on se bat à qui paiera
les expressos ; surtout garder la face.
« ON N’AVAIT PLUS RIEN »
« En partant, on ne peut pas imaginer qu’on va
travailler avec notre corps, dit une petite
blonde. Ton direct, pas de plainte. Chez nous,
à 40 ans, une femme ne vaut plus rien. » A Paris, d’autres filles – les Françaises surtout – les
ont surnommées « les prolétaires ». Presque
toutes viennent de la Chine du Nord-Est, là
où les immenses complexes d’Etat, industriels ou sidérurgiques, « rendent la neige
noire comme le charbon ». Vers la fin des années 1990 s’y abat un tsunami appelé « restructuration ». Tout ferme, en quelques mois.
« Les usines logeaient, éduquaient, soignaient : on n’avait plus rien », constate la petite blonde. Dans une fabrique de chaussettes, on conseille aux employés : « Prenez quelque chose, vendez-le sur le trottoir, vous ne reviendrez plus. » Dans le même temps, à l’autre
bout du pays, une nouvelle économie se
construit, textile, électronique, enrôlant des
bataillons de jeunes ruraux, une classe
ouvrière remplaçant l’autre, sacrifiée.
Dans le café, une femme avec des lunettes
d’institutrice raconte avoir été vendeuse, artisan, entrepreneur, rien du tout. Les départs
pour l’Occident ont commencé à ce moment-là. Les filières varient peu : un vrai visa
pour un faux colloque dans un pays aux confins de l’espace Schengen, 11 000 euros environ, cash. Les vols transitent par Londres,
Francfort, Paris. Peu importe, elles y restent,
avec l’adresse d’un appartement-dortoir.
« C’est là qu’on comprend la réalité », dit « Petite Blonde ». Toutes hésitent des semaines.
Le faire ou pas ? « L’émigration, pour nous, c’est
comme un homme qui va à la guerre. On espère rentrer vite avec la victoire. Pour nous,
l’argent », dit une femme. Sa première passe
ne lui a laissé aucun souvenir. « Comment
peux-tu l’oublier ? Mon cœur est devenu un hérisson », s’exclame « Petite Blonde ».
En face, sur le même carrefour, Naël Marandin, 35 ans, réalisateur, s’installe dans une
brasserie. Il habite le quartier, un garçon pas
facile à classer. S’il ne l’avait déjà obtenu, on
commencerait par lui donner le diplôme de
Sciences Po rien que sur son allure sage, très
fils de profs, parlant délicatement du film
Happy Together, de Wong Kar-wai, qui lui a
donné l’envie de tourner. Enfant, Marandin
faisait du théâtre, il a même eu son grand
rôle, le gamin-héros des Allumettes suédoises, le best-seller de Robert Sabatier adapté à
la télévision en 1995. « Graine de star », titre
Sud-Ouest en mars 1996. « Il me semblait
qu’on attendait de moi des choses extraordinaires, je me faisais l’effet d’être une déception
permanente. » A 19 ans, il part en Chine. Il
veut l’aventure, l’absolue différence, peutêtre ne jamais revenir. Marandin apprend la
langue, devient barman, présentateur télé,
s’engage dans une ONG au Tibet, puis joue
dans une pièce de théâtre.
Au retour, presque deux ans plus tard, il se
branche sur des associations en prise avec
l’émigration chinoise, manière de garder un
lien. Le Lotus Bus est l’une d’elles, un programme de Médecins du monde (MDM) pour
« l’accès aux droits et à la santé des travailleuses du sexe ». Une nuit par semaine, le minibus de l’ONG se gare au carrefour de Belleville.
« Le projet a grandi face à l’afflux de femmes
chinoises très vulnérables, qu’on a vu arriver
après les lois Sarkozy de 2003, raconte Nathalie
Simonnot, l’une des pionnières du Lotus Bus.
Avant, elles arrivaient à cumuler les boulots
clandestins, mais le durcissement des sanctions contre les employeurs pour “travail dissimulé” a réduit leurs possibilités. » Parallèlement, une loi instaurait le délit de racolage
passif. « Une énorme erreur, selon Nathalie Simonnot. Les femmes se réfugient dans des endroits de plus en plus reculés, augmentant leurs
risques. » 55 % d’entre elles ont subi des violences physiques, 38 % des viols, 28 % des séquestrations, relève Jean-François Corty, directeur
France de MDM, citant une enquête de l’ONG
sur la prostitution chinoise.
Au café, « Petite Blonde » parle de sa fille qui
étudie en Mandchourie. « Du design, préciset-elle, paupières baissées pour voiler l’orgueil. Un parent doit tout donner pour ses enfants. Tout, tout, tout. Chez nous, on ne vit pas
pour soi. » « Moi, je n’ai pas d’enfants », lance
une autre, aux cheveux ondulés. « Petite
Blonde » se braque : « Pour faire ce que nous
faisons, il faut une raison impérieuse. Quelle
est la tienne ? » Tout le monde s’est tu et des
visages soudain sans pitié mettent en joue
« Cheveux Ondulés ». Elle hésite. Même entre
elles, toutes évitent de donner des détails,
chérissant chacune son projet en secret, plus
que sa propre vie. Là-bas, les proches ne soupçonnent rien, loin de tout ça, trop pauvres,
pas d’informatique. Personne ne doit pouvoir remonter jusqu’à eux, sinon « toute la famille part en enfer ». « Petite Blonde » insiste :
« Alors, quelle est ta raison ? » « Cheveux Ondulés », tête basse : « Nous vivons dans un village de montagne, nous possédons une table,
un lit, un peu de riz. Nous avons dû emprunter
pour soigner mon père, puis acheter un cochon, avec l’espoir de rembourser plus vite. Le
cochon est mort. J’étais la seule chance de sauver l’honneur de la famille. »
D’un coup, ça crie dehors. « La police ! La police ! » On se demande laquelle. Le carrefour
de Belleville, c’est le rio Grande, la jonction de
quatre arrondissements, donc quatre com-
ALE+ALE
« L’ÉMIGRATION,
POUR NOUS, C’EST
COMME UN HOMME
QUI VA À LA
GUERRE. ON ESPÈRE
RENTRER VITE
AVEC LA VICTOIRE.
POUR NOUS,
C’EST L’ARGENT »
une prostituée
de Belleville
missariats, sans compter la brigade de répression du proxénétisme, la police judiciaire (PJ),
la brigade spécialisée de terrain. Parfois, les
uniformes font des descentes – huit personnes ont été arrêtées lundi 1er février. Pour harceler ou pour protéger. En dix ans, cinq prostituées chinoises ont été tuées. La dernière
est devenue une icône. Les autres l’ont vue
partir avec un homme que toutes savaient
violent. Elle aussi. Rien n’a pu la retenir, il lui
fallait de l’argent, elle venait de faire venir sa
fille. Trente euros, 24 coups de couteau. La petite est restée ; plutôt mourir ici comme sa
mère que raconter à la famille les circonstances du meurtre.
Dans ce contexte, une centaine de femmes
ont créé Les Roses d’acier, en 2015, à Belleville,
portant des masques pour leurs apparitions
publiques. Comme d’autres associations, elles
ont été auditionnées par les parlementaires
pour la préparation de la loi. Elles ont bien vu
qu’on ne les croyait pas quand elles ont expliqué n’être « l’esclave de personne ». « Les gens
ne perçoivent pas qu’on peut parfois effectuer
un travail sexuel sans avoir un flingue sur la
tempe, dit de son côté Morgane Merteuil, une
porte-parole du Strass, le Syndicat du travail
sexuel. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de
grosses contraintes économiques, les logeurs
par exemple. C’est moins spectaculaire, mais
pas forcément plus facile. » La présidente des
Roses d’acier sourit : « Notre exploiteur, c’est la
famille, mais on est d’accord… »
LA GUERRE DES ASSOCIATIONS
Pour la première fois en France, la nouvelle
loi proposera un « parcours de sortie de la
prostitution », assorti de droits, logement, allocations, formation, y compris un titre de séjour provisoire pour les personnes sans papiers (la majorité en Europe). Mais, au-delà
des moyens, à quelles conditions s’ouvrirait
ce parcours d’insertion ? En décembre 2015, le
Défenseur des droits, Jacques Toubon, avait
souligné – comme d’autres – qu’il n’existe pas
« une » mais « des » prostitutions, et s’inquiétait que l’entrée dans le dispositif soit soumis
à l’arrêt de toute activité, ce qui ne serait ni
réaliste sur le terrain « ni compatible avec une
égalité d’accès aux droits ». Premier tollé dans
la vieille guerre qui déchire les associations.
Mais à l’Assemblée, ce 3 février, la bataille de
la pénalisation risque d’être la plus violente.
Si la loi supprime le fameux « délit de racolage » institué en 2003, elle prévoit aussi la pénalisation des clients. La mesure protégera-telle davantage les prostituées, comme le soutient le mouvement Le Nid, par exemple ? Ou
au contraire les maintiendra-t-elle dans une
clandestinité de tous les dangers, selon Amnesty International ?
En général, Qiu Lan évite Belleville. Elle
s’est posée à Paris voilà quinze ans, sur la rive
ensoleillée de l’émigration, coup de foudre
en Chine avec un homme d’affaires français.
Ici, elle a appris la langue et le théâtre. Ancienne danseuse de l’Opéra de Pékin, fille
d’un compositeur de renom, Qiu Lan a essayé « de se mettre le plus bas possible »,
quand Naël Marandin l’a amenée au carrefour de Belleville. La Marcheuse est son premier vrai rôle, elle était « enthousiaste » de
jouer une prostituée ; « un défi, c’est mon caractère ». Elle se souvient que, en face, les
femmes avaient honte, « surtout devant
d’autres Chinois ». Ceux de Paris ne les
aiment pas, elles le savent, surtout l’immigration traditionnelle du Sud. Certains commerçants de Belleville, installés depuis des
générations, proposent régulièrement de
leur payer un billet retour pour « rétablir une
bonne image de la communauté ».
Au bout de deux ans, « Petite Blonde » vient
de rembourser les dettes pour le passeur. Encore trois et elle aura tout payé. Elle pourra repartir comme la plupart des femmes. Un
Français a proposé de l’épouser. Elle ne
l’aimait pas. « Est-ce que c’est correct de le faire
seulement pour les papiers ? » Et « Petite
Blonde » a refusé. p
12 | débats
0123
MERCREDI 3 FÉVRIER 2016
Gauche : refonder
une vision et non un projet
Faute d’avoir mieux
préparé les mutations
du monde
contemporain,
le socialisme risque
d’être soumis au même
sort que celui du « vieux
monde » qu’il voulait
remplacer
par gaël brustier
L
a démission de Christiane
Taubira a relancé le débat : le
gouvernement est-il de gauche ? Malgré les vicissitudes de l’actualité, malgré le caractère symbo­
lique évident du départ d’une mi­
nistre honnie par l’opposition de
droite et d’extrême droite et qui
avait porté la grande mesure symbolique du quinquennat Hollande
– le « mariage pour tous » –, on ne
saurait dater de ce 27 janvier une
quelconque rupture dans l’exercice
gouvernemental de François Hollande et de Manuel Valls.
Il faut resituer l’action de François
Hollande et de ses gouvernements
– ceux de Jean-Marc Ayrault et de
Manuel Valls – dans le contexte
plus vaste de l’après­2008 et de l’ef­
fondrement d’un modèle auquel le
socialisme français avait fini par
s’identifier. Le contexte né de 2008
est celui du renforcement des pouvoirs économiques de certaines
institutions européennes, dont on
vit les effets en Italie et en Grèce dès
2011.
Le consensus européen autour
des questions économiques n’a ja­
mais été véritablement remis en
cause par François Hollande. Le
traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) n’a
pas été renégocié et, au fil des mois
et des années, les marges de
manœuvre économique du gouvernement se sont réduites à mesure que les mois passaient. Contraints sur le plan budgétaire et
monétaire, faisant face à la montée
en puissance de la BCE et de la direction générale à la concurrence
de la Commission, les gouvernements européens ont vu leurs marges de manœuvre considérablement réduites.
LA COMPÉTITIVITÉ, LE GRAAL
Les gouvernements français n’ont
pas fait exception. Certes, à plusieurs reprises, Paris a tenté de faire
entendre une voix dissonante par
rapport à Berlin. Cependant, c’est la
« compétitivité » qui est devenue le
Graal d’une action publique très
éloignée de ce que fut l’action de la
gauche dans le passé. Les Etats sont
mis au défi par la mondialisation,
par la formidable accélération des
interdépendances entre Etats et individus. La réforme constitutionnelle sert d’ailleurs à restaurer
l’idée d’un Etat ayant prise sur le
cours des événements alors que les
attentats de 2015 ont rendu plus urgente l’adaptation de nos appareils
étatiques à une configuration sociale porteuse de périls.
La contestation du « pacte de stabilité » au nom d’un « pacte de sécurité » est symptomatique de cette
volonté d’affirmation de l’autorité
de l’Etat. Ce qui trouble une partie
de la gauche n’est pas tant l’affirmation d’une ferme volonté dans
la lutte contre des groupes qui ont
décidé d’activer au sein de nos sociétés des germes de guerre civile
que ce qui est perçu comme l’adoption par nos gouvernants d’une vision du monde comparable à celle
des néoconservateurs américains
après le 11 septembre 2001.
Soumise à une « demande d’autorité », en vérité coproduite par les
stratégies discursives du premier
ministre et par la quête d’une action publique compréhensible par
le plus grand nombre, la recherche
de « l’ordre » se pare du vocabulaire
de la République. Les solutions
autoritaires prospèrent dans nombre de pays. La social-démocratie
européenne est en crise. Le Parti socialiste n’est certes lui-même pas le
plus atteint des partis sociaux-démocrates européens, mais ses importantes défaites électorales rendent spectaculaires son recul et la
dénationalisation qui la frappe. Les
« grandes coalitions » (SPD/CDUCSU en Allemagne au premier chef)
ont vocation à préserver le consensus économique et social dans
l’Union européenne, elles sont
pour l’heure une sorte de pis-aller
stratégique.
Les socialistes n’étaient sans
doute pas préparés au monde tel
qu’il est. Le basculement du centre
de gravité du monde de l’Atlantique
au Pacifique, l’entrée de la Chine
dans l’OMC, les mutations géopolitiques qui en sont la conséquence,
la montée en puissance du salafisme djihadiste, l’accélération des
flux migratoires et la difficulté de
trouver une réponse européenne
adaptée contribuent, parmi
d’autres facteurs, à donner l’avantage aux idéologies et aux discours
portés par des droites radicalisées.
L’idée de « déclin » domine le débat public depuis fort longtemps.
Elle fait écho à l’expérience que
nombre de nos concitoyens font de
la désindustrialisation du déclassement. Les longs mois de débats relatifs au « mariage pour tous » ont,
en outre, laissé un important mouvement social conservateur se
constituer. Celui-ci pèse sur le destin de la droite parlementaire
autant que sur celui du Front national, mais contribue aussi à inhiber
une gauche désormais tétanisée à
l’idée qu’on l’accuse de substituer le
« sociétal » au social.
Le premier ministre développe
une vision politique cohérente :
changement de culture du Parti socialiste, mutation de son projet,
changement d’alliance. Il entend
abandonner les références au mouvement ouvrier, c’est ce qui explique d’ailleurs ses assauts fréquents
contre le mot « socialisme ». Le projet de Manuel Valls est à la fois empreint d’une volonté de rester dans
le consensus européen et animé
par une vision du monde assez similaire à celle des néoconservateurs américains. Enfin, il ne fait
pas de doute qu’il recherche, à
terme, des alliances avec le centredroit.
Ailleurs en Europe, en Espagne ou
au Portugal, les partis socialistes ou
sociaux-démocrates sont soumis à
la pression des nouvelles gauches
radicales. Ces dernières, en mettant
au cœur de leur discours la question démocratique, contribuent
progressivement à redéfinir un
sens commun favorable à des politiques alternatives en Europe. Figure emblématique de la social-démocratie européenne, Felipe Gonzalez n’a-t-il finalement pas livré le
fond de la pensée de certains de ses
camarades européens en souhaitant publiquement une alliance du
PSOE et du Parti populaire plutôt
qu’une alliance avec Podemos ?
L’attachement au clivage gauchedroite, qui est assurément l’un des
clivages explicatifs de notre vie po­
litique, ne saurait à lui seul camoufler l’ampleur de la mutation à
l’œuvre. La gauche française, une
fois arrivée au pouvoir, a été prise
dans un véritable maelström. Pour
la social-démocratie et la gauche ra­
dicale, il s’agit moins de trouver des
« marqueurs » de gauche que de re­
fonder totalement leur projet et de
redéfinir leur vision du monde. Le
vieux monde, quant à lui, est bien
en train de mourir… p
¶
Gaël Brustier est politologue.
L’un de ses derniers ouvrages est
A demain Gramsci , (Cerf, 2015)
La justice est une femme | par serguei
Non à l’ingérence des lobbys dans
la concertation publique sur le vaccin
La confiance du public
dans les vaccins et
les médicaments s’érode.
Pour la reconstruire,
il faut davantage associer
les citoyens à la politique
de santé
collectif
L
a ministre de la santé, Marisol Tou­
raine, a présenté mi­janvier son
plan d’action de rénovation de la
politique des vaccins en France à la suite
de la remise du rapport de l’ancienne députée Sandrine Hurel et a promis le lancement d’une grande concertation publique
au sujet de la vaccination en France que
nous réclamions depuis des années.
Toutefois, aucune garantie n’est posée
pour assurer une parfaite transparence et
la neutralité du débat public qui doit
s’ouvrir. Accoler un jury de professionnels
de santé et un jury d’experts scientifiques
est une méthode bien éloignée de la conférence citoyenne mise en place dans un
grand nombre de pays sur les sujets majeurs de société. Le risque est grand de voir
le jury citoyen servir d’alibi aux décisions
prises sous l’influence de l’industrie pharmaceutique via les jurys d’« experts ».
Dans le même temps, pour des raisons
de transparence évidentes, nous nous
opposons à la directive « secret » des affaires que s’apprête à voter le Parlement
européen.
De manière plus globale, si l’on veut
vraiment restaurer la confiance des Français vis-à-vis de l’ensemble des produits
de santé, il convient de ne pas limiter le
débat public à la seule question vaccinale.
La politique de santé publique pose en effet une exigence de maîtrise démocratique en associant les citoyens aux décisions et au contrôle.
Les fondements de notre République
sont sapés par la généralisation de la cor­
ruption, la banalisation des conflits d’inté­
rêts, le lobbying institutionnel des multinationales et la faiblesse des moyens de
contrôle démocratique dans l’exécution
des politiques publiques. Ces dernières
années, les scandales sanitaires ont fleuri,
du scandale des 94 millions de doses de
vaccins commandés pour rien contre la
grippe H1N1 à l’affaire du Mediator (plus
de 1 300 morts).
A cela s’ajoutent les scandaleux profits
des « majors » pharmaceutiques. Le secteur pharmaceutique est même de très
loin la première industrie mondiale en
termes de bénéfices (120 milliards d’euros
en 2014) exprimés en pourcentage du chiffre d’affaires, avec une moyenne de 20 %.
Ce domaine possède un atout considérable par rapport aux autres secteurs marchands : celui d’agir sur notre santé par
des traitements efficaces mais de plus en
plus onéreux et aussi de jouer sur les
peurs pour vendre coûte que coûte.
Face aux dérives financières de l’indus­
trie pharmaceutique et au détournement
massif de l’argent public dans les poches
des actionnaires de la « big pharma », il
est indispensable de revoir les pouvoirs
tant au niveau de notre système de santé
que de celui de la Sécurité sociale ou du
lobby pharmaceutique. La cause princi­
pale de cette dérive tient à l’avidité dévorante des actionnaires associée à une volonté de rentabiliser le moindre traitement. Cela tient également à une panne
d’innovation réelle, en lien, entre autres,
avec les restructurations massives de leur
secteur de recherche ces quinze dernières
années et la focalisation sur les maladies
les plus rentables.
Dans un rapport paru en 2012, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estimait que, sur les 700 nouveaux médicaments mis en vente par les grands groupes pharmaceutiques sur la décennie
2001-2011, seuls 4 % présentaient un intérêt essentiel. De même, en ce qui concerne
les vaccins, le chiffre d’affaires mondial est
passé de 6 milliards d’euros en 2006 à
20 milliards en 2012, et 42 milliards sont
attendus cette année.
LA TRISTE SINGULARITÉ FRANÇAISE
Les causes de cette inflation du coût du
médicament sont connues : opacité des
instances de fixation du prix ; surprescription médicamenteuse ; foisonnement de
conflits d’intérêts entre l’industrie pharmaceutique, les médecins, les politiques
et les hauts fonctionnaires. En luttant contre cette surconsommation et cette surfacturation par une meilleure prescription, l’Assurance-maladie pourrait réaliser
au moins 10 milliards d’euros d’économies, c’est-à-dire annuler son déficit chronique, et ce, sans dommage pour la santé
publique.
En Italie, on constate en effet que le coût
des médicaments en ville et à l’hôpital
s’élève pour 2013 à 18 milliards d’euros,
contre 34 milliards pour la France, soit
70 % de plus à population égale pour les
mêmes résultats sanitaires (avec une espérance de vie de sept mois supérieure en
Italie). Les prix hors taxes des génériques
sont supérieurs en France de 30 % en
moyenne à ceux pratiqués en Italie.
La perte de confiance envers les produits
de santé (médicament et vaccins) marque
la fin d’une époque : celle de la sacralisation de la parole des « sachants ». L’époque
où les Français déléguaient aveuglément
leur santé à leur médecin est bel et bien révolue. La relation entre le médecin et son
patient est à présent plus égalitaire, ce dernier ayant accès plus facilement à l’information scientifique. L’échange que cela
permet est la garantie d’un choix éclairé
auquel on est peu habitué dans le domaine de la santé.
Pour répondre à cet état d’urgence sanitaire et afin de garantir la pérennisation
de notre système de solidarité et d’égalité
d’accès aux soins, les solutions existent.
Il faut renforcer l’encadrement du médicament par la mise en place d’un corps
d’experts indépendants, la prohibition
des conflits d’intérêts, la réorientation de
la recherche vers les besoins thérapeutiques et non le profit exclusif, la purge du
marché et le déremboursement des médicaments inutiles en améliorant aussi la
pharmacovigilance.
Il faut aussi modifier les usages des
prescripteurs et des patients en garantissant une formation indépendante aux
médecins, en transformant le pharmacien en conseil thérapeutique et le patient en consommateur éclairé et en reconnaissant les actions collectives et le
statut de lanceur d’alerte.
Il convient enfin de refuser les brevets
abusifs, de créer une justice sanitaire digne de ce nom et de reconnaître les victimes d’accidents liés à des produits de
santé (20 000 morts par an en France).
Au XXe siècle, les médicaments et les vaccins ont permis, avec l’amélioration des
conditions de vie et d’hygiène, de fortement diminuer la mortalité infantile et
d’éradiquer certaines maladies infectieuses. L’adhésion populaire a été immédiate, car le produit de santé était reconnu
comme un bien commun. Malheureusement la pression financière, notamment
du lobbying pharmaceutique, génère de
nombreuses dérives qui alimentent la
méfiance de nos concitoyens : mise sur le
marché de « médicaments » dangereux,
adjuvants générant des effets secondaires,
ruptures de stocks permettant d’agir sur
les prix, imposition des polyvaccinations,
conditions de travail dégradées portant
atteintes à la qualité. Pourtant, les besoins
en recherche sont grands, notamment
pour de nouveaux traitements et vaccins
adaptés aux besoins des populations tant
des pays du Sud que des pays développés.
Il ne faut pas craindre le débat sur la politique des produits de santé, mais au contraire faire confiance à l’intelligence collective et à l’expertise citoyenne affranchie de l’influence des lobbys, loin des oukases de l’ancien temps. Voilà l’urgence,
c’est à cette condition que la confiance reviendra dans la population française. p
¶
Marie-Odile Bertella-Geffroy,
ex-magistrate, responsable du pôle santé
du tribunal de grande instance de Paris,
avocate spécialisée dans les questions
sanitaires ; Thierry Bodin, représentant
syndical, CGT Sanofi ; Dominique Bourg,
philosophe ; Philippe Even, ancien doyen
de la faculté de médecine de Paris et président de l’Institut Necker ; Estelle Kleffert,
représentante de Génération Cobayes ;
Didier Lambert, président de l’association
E3M ; Michèle Rivasi, députée européenne
EELV ; Séverine Tessier, ex-présidente
de l’association Anticor ; Patrick Viveret,
philosophe et essayiste
éclairages | 13
0123
MERCREDI 3 FÉVRIER 2016
La Grèce « mise en quarantaine » pour endiguer la vague migratoire
ANALYSE
cécile ducourtieux
bruxelles – bureau européen
BRUXELLES
VEUT DÉPLACER
PLUS AU NORD
LA FRONTIÈRE
EXTÉRIEURE
DE SCHENGEN,
À UN ENDROIT
PLUS FACILE
À CONTRÔLER
QUE LES ÎLES
DE LA MER EGÉE
L’
Europe risque de payer cher ce qui a
été décidé à Bruxelles, mercredi
27 janvier, en ce qui concerne la
Grèce. Ce pays, sous la coupe réglée
de ses créanciers et de ses partenaires euro­
péens depuis plus de cinq ans, vient de nou­
veau de se faire humilier. Et pour de mauvai­
ses raisons. La Commission, mandatée par les
ministres de l’intérieur européens, a validé un
rapport de Frontex – l’agence de gardes­côtes
et gardes-frontières de l’Union –, établi sur
des informations récoltées, mi­novem­
bre 2015, dans les îles de Chios et de Samos, en
mer Egée. Ce rapport conclut que « la Grèce néglige gravement ses obligations et qu’il existe
des manquements graves dans l’exécution des
contrôles aux frontières extérieures ».
Sur la foi de ce rapport de novembre 2015, et
alors que, dans l’intervalle, Athènes a accepté
de solliciter une aide supplémentaire de Frontex, Bruxelles a néanmoins décidé de déclencher une complexe – mais redoutable – procédure, qui, si elle est menée à son terme, permettra de prolonger de deux ans le rétablissement des frontières intérieures de Schengen.
Même si la Commission s’en défend avec véhémence, cela aboutit à une « mise en quarantaine » de la Grèce, pays par lequel sont entrés,
en Europe, en 2015, l’essentiel des migrants ve-
nus de Turquie (900 000). Quelque 60 000 les
ont rejoints depuis le 1er janvier. La procédure
bruxelloise permettra à l’Allemagne de continuer à contrôler, voire de fermer, sa frontière
avec l’Autriche. Idem pour l’Autriche, pour ce
qui concerne sa frontière avec la Slovénie.
Cela aura pour conséquence de bloquer la
« route des Balkans ». Et ce, d’autant plus que,
dans le même temps, la Commission a accepté
d’aider la Macédoine, passage le plus emprunté par les migrants en transit vers l’Allemagne, à mieux contrôler ses frontières. Certes il n’est pas question de « sortir » la Grèce de
Schengen – le traité de libre circulation ne le
permet pas. Mais il s’agit de déplacer plus au
nord, entre la Slovénie et la Croatie, la frontière
extérieure de Schengen, à un endroit bien plus
facile à contrôler que les îles de la mer Egée.
UNE AIDE AU COMPTE-GOUTTES
A Bruxelles, on fait aussi un calcul cynique :
isoler la Grèce, ne laisser entrouverte la route
des Balkans que pour les seuls Syriens et Irakiens, c’est envoyer un message à tous les
autres, Marocains, Algériens et autres migrants du centre et de l’est de l’Afrique. Inutile
pour eux de risquer la noyade en Méditerranée : ils vont se retrouver coincés dans un pays
où le taux de chômage frôle les 25 %. Les Grecs
redoutaient la tentation d’autres Européens de
transformer leur pays en vaste « camp de rétention », et ils le ressentent comme une injustice. « Les flux de réfugiés dépendent surtout de
la Turquie, et de la manière dont elle applique
les accords [avec les Européens, signés en novembre 2015]. S’ils n’avancent pas, ce n’est pas la
faute de la Grèce », souligne ainsi la porte-parole du gouvernement, Olga Gerovassili.
Surtout, les Grecs se plaignent que l’aide promise par les autres Européens arrive au compte-gouttes. Selon Athènes, le pays a réclamé 26
ambulances, qu’il n’a toujours pas reçues. Il
lui a été livré 580 lits, au lieu de 4 000, et 9 300
couvertures sur les 90 000 attendues…
Certes, la Grèce a perdu de précieux mois
avant de réclamer une aide d’urgence en
bonne et due forme des Européens. Elle est
très loin d’avoir fourni les 20 000 places d’accueil promises en octobre 2015. Et les conditions dans les centres existants sont sévèrement jugées par les ONG. Mais tout le monde,
à Bruxelles, sait qu’il est impossible de demander à ce pays d’étanchéiser sa frontière
maritime avec la Turquie, alors que son administration est notoirement défaillante, sa géographie particulièrement difficile et son économie à terre, après des années de récession.
Le premier ministre, Alexis Tsipras, qui avait
dû accepter, en juillet 2015, un plan d’austérité
supplémentaire, n’a aucune marge de
manœuvre financière. Son pays est toujours
menacé de faillite, s’il ne met pas sur les rails
les réformes très dures réclamées par ses
créanciers. La Grèce paie pour le manque
complet d’anticipation des autres pays européens. Car, avec cette mise en quarantaine,
c’est surtout l’Allemagne que Bruxelles veut
préserver, en lui ménageant la possibilité, à la
mi-mai, de rester dans la légalité en continuant à contrôler sa frontière autrichienne.
Pourquoi n’avoir pas pris de décision à
l’automne 2015, quand il était déjà évident –
après le formidable appel d’air déclenché par
Angela Merkel avec sa Wilkommen Politik –
que Berlin aurait besoin de plus que les huit
mois permis dans le cadre habituel de Schengen pour maintenir le contrôle à ses frontières ? Bruxelles et Berlin comptaient sur des résultats rapides de l’accord turc. Mais ils se font
attendre, et la chancelière est déstabilisée,
après le scandale des agressions sexuelles de
Cologne lors de la nuit de la Saint-Sylvestre.
Elle doit d’urgence obtenir une baisse du nombre de migrants qui arrivent en Allemagne.
Il aurait fallu déployer bien plus de moyens –
politiques, financiers et humains – pour les
« hot spots » (les centres de regroupement)
dans les îles grecques. Accélérer le mouvement
du côté des « relocalisations », ce mécanisme
pour distribuer, en Europe, 160 000 migrants
depuis la Grèce et l’Italie. Il n’a, à ce jour, bénéficié qu’à 400 réfugiés. Les Etats membres « n’ont
pas tenu leurs engagements », a dénoncé JeanClaude Juncker, le président de la Commission.
Au lieu de quoi, le message envoyé aujourd’hui
par l’Union est redoutable : au lieu d’aider la
Grèce, on tente de se débarrasser d’elle. En pure
perte. Cela ne résoudra pas la crise des migrants. Les passeurs auront tôt fait de trouver
un moyen pour contourner l’obstacle… p
[email protected]
LETTRE DE NEW DELHI | par jul ien b ouissou
La caricature des divinités hindoues n’est plus en odeur de sainteté
P
eut-on caricaturer une divinité hindoue ? Le célèbre magazine américain Fortune, dont la ligne éditoriale
flirte peu avec la satire, vient de faire
une amère expérience. En janvier, celui-ci a
publié sur sa couverture un dessin de Jeff
Bezos, le patron d’Amazon, sous les traits de la
divinité Vishnou pour illustrer un long reportage sur la conquête de l’Inde par le site marchand américain. Jeff Bezos est représenté
avec un teint bleu, un point rouge sur le front,
portant une fleur de lotus à sa main gauche,
un tatouage de son enseigne sur l’autre.
Déguisé dans cet apparat, on lui offrirait
sans sourciller une prière et quelques offrandes. Mais, quoi qu’en pense Fortune, le dieu du
commerce électronique, et encore moins Jeff
Bezos, n’a pas encore sa place dans le panthéon hindou. « Le Seigneur Vishnou est une
divinité majeure et vénérée de l’hindouisme,
qui peut être révérée dans les temples et les
autels, et non pas utilisée de façon inconvenante », s’est emporté Rajan Zed, le directeur
de la Société universelle de l’hindouisme située au Nevada, aux Etats-Unis, précisant que
« l’usage inapproprié de concepts et de symboles hindous à des fins mercantiles n’était pas
acceptable ». A la suite de cette polémique, le
directeur du magazine s’est excusé auprès de
fidèles hindous, par le biais d’un communi-
LES INDÉGIVRABLES PAR GORCE
qué : « Il est clair que nous nous sommes trompés et nous nous excusons. »
Le joueur star de cricket Mahendra Singh
Dhoni, qui bénéficie pourtant d’un statut de
demi-dieu en Inde, n’a pas eu droit à plus de
clémence. Il a été représenté il y a quelques années en couverture d’un magazine indien
sous les traits de Vishnou portant au bout de
ses nombreux bras les différentes marques
qu’il sponsorise, et notamment celle d’une
chaussure de sport. Sacrilège ! Les pieds sont
considérés en Inde comme impurs. Le joueur
a été visé par une plainte, alors qu’il n’était
pour rien dans ce choix éditorial. Le seul à
avoir été épargné, étrangement, est le premier
ministre indien, Narendra Modi. Il avait été représenté, au lendemain des élections de
mai 2014, sous les traits du dieu Brahma dans
le quotidien Mumbai Mirror.
On savait la liberté d’expression menacée en
Inde par les conservateurs hindous, mais
aussi chrétiens, musulmans ou sikhs. Plusieurs livres ont été retirés de la vente sous
leur pression, des salles de cinéma projetant
des films « hérétiques » ont même été saccagées. Même la France n’est pas épargnée. Le fabricant de chaussures Minelli avait dû retirer
des ventes une paire d’escarpins où était imprimée une image du dieu Ram. Le film Les
Bronzés 3, dans lequel une image du dieu Shiva
est déchirée, avait été vilipendé. En 2006, l’organe de presse des nationalistes hindous, Organiser, avait trouvé un argument étonnant
pour réclamer l’interdiction du film : Shiva est
« le prophète le plus vénéré des hindous ». Un
prophète, Shiva ? Ce qualificatif avait surpris
de nombreux spécialistes de l’hindouisme.
Faut-il penser, comme le journaliste indien
Abhijit Majumder, que « l’extrême droite hindoue finit souvent par incarner l’ennemi qu’elle
prétend combattre : l’islam radical » ?
DIFFICILE DE RÉSISTER À LA TENTATION
L’hindouisme n’est pas une religion au même
titre que l’islam ou le christianisme : elle n’a ni
dogme ni clergé, à savoir aucune autorité spirituelle reconnue comme telle par tous les fidèles. L’intolérance dont se disent victimes les radicaux hindous, « au nom du respect de leurs
croyances », n’est donc pas partagée par tous,
loin de là. La tradition de la caricature en Inde
est ancienne. Charles Dickens, qui pariait sur
son échec au prétexte que « le tempérament
asiatique est grave et qu’il ne trouve aucun plaisir à l’amusement en tant que tel », s’est trompé.
Le Mahatma Gandhi avait eu l’idée de reproduire dans son journal Indian Opinion, publié
en Afrique du Sud, les caricatures de journaux
satiriques britanniques qui s’en prenaient à
l’empire colonial. On y trouvait déjà des divini-
tés hindoues, allègrement caricaturées. Qu’il
est difficile pour un dessinateur indien de résister à la tentation de caricaturer les divinités
hindoues ! Le célèbre dessinateur Kaak était
bien obligé de le reconnaître : « Toutes nos divinités hindoues sont des caricatures. »
Il suffit de regarder la richesse et la variété de
l’iconographie hindoue dans la culture populaire. Pas une représentation de Vishnou qui
ne ressemble à une autre. Toutes sont déformées, différentes, en fonction du contexte culturel et de l’histoire de chaque région. Les représentations de divinités saturent même l’espace public : elles sont sur les calendriers, dans
la publicité. On les a même placardées le long
des murs dans les villes pour dissuader les piétons d’uriner sur place. « Les caricaturistes ramènent Dieu sur terre », explique Ritu Gairola
Khanduri, professeure à l’université du Texas,
aux Etats-Unis, auteure d’un passionnant
ouvrage sur « la culture de la caricature en
Inde » (Caricaturing Culture in India, Cambridge University Press, non traduit). « La caricature indienne peut retourner les esprits et
montrer au reste du monde à quel point les
dieux peuvent nous faire rire et grimacer sur
nos situations politiques, ajoute l’universitaire.
Les dieux sont tout-puissants, n’est-ce pas ? » p
[email protected]
« VISHNOU EST
UNE DIVINITÉ
MAJEURE QUI NE
DOIT PAS ÊTRE
UTILISÉE DE
FAÇON
INCONVENANTE »
RAJAN ZED
directeur de la Société
universelle de
l’hindouisme
Les juifs entre départ et repli ?
LIVRE DU JOUR
par matthias cure
S
alomon et Victor Malka, écrivains et
journalistes, rappellent un constat
alarmant dans leur ouvrage Le Grand
Désarroi : en France, en 2015, des juifs
ont été assassinés non pas pour ce qu’ils ont
fait – exercer leur citoyenneté française –,
mais à cause de ce qu’ils sont. Ils donnent la
parole à des juifs et à des musulmans en allant
à leur rencontre à Toulouse, Strasbourg, Bordeaux, Lyon, Marseille, Nice, Paris… Les juifs
de France sont-ils voués à choisir entre l’alya –
le départ pour Israël – et le repli communautaire ? C’est la question qui guide cette Enquête
sur les juifs de France, cet état des lieux.
« Qu’avons-nous fait pour être ainsi, génération après génération, pris pour cible ? », se demande Gérard Marthan, cardiologue toulousain. L’antisémitisme est le point de départ de
l’ouvrage, après des tragédies telles que les
meurtres d’enfants perpétrés par Mohamed
Merah, à Toulouse, en 2012, la tuerie du Musée
juif de Belgique, à Bruxelles, en 2014, la prise
d’otages de l’Hyper Cacher, à la porte de Vincennes, à Paris, en 2015. Pour les auteurs, les
juifs en France connaîtront encore des heures
sombres, mais il est nécessaire de ne jamais
céder à la peur, car le judaïsme français se
trouve aujourd’hui à une intersection – oscillant entre repli sur soi, départ de France ou
engagement politique ou social.
UNE COMMUNAUTÉ BLESSÉE
Le Grand Désarroi reprend les mots de Manuel
Valls lors de ses hommages aux victimes des attentats de janvier 2015 : « La France sans les juifs
de France ne serait pas la France, et le judaïsme
sans la France ne serait pas le judaïsme. » Mais, à
l’heure où ce 1 % de la population française est
victime de la moitié des actes racistes, on peut
comprendre, estiment les auteurs, qu’une partie de cette communauté blessée veuille préparer son départ. Mais, pour ceux qui restent,
comment être juif en France ? Le fondateur de
SOS Racisme, Julien Dray, appelle alors les juifs
français à rester et à s’investir politiquement.
La parole est également donnée à des musulmans, comme le rappeur et poète Abd Al Malik, qui prône un islam ouvert à ses « frères et
sœurs juifs », car la Shoah « concerne tous les
hommes sans exception et au même degré ». Si
Abd Al Malik s’inscrit dans un courant particulier de l’islam, le soufisme, ce défenseur
d’une nouvelle pédagogie pluraliste ne représente malheureusement pas l’ensemble de la
France et de ses communautés religieuses.
Quant à Jean-Jacques Zenou, ancien militant à
l’Union des étudiants juifs de France, il affirme
qu’il faut « créer un islam de France, comme il y
a un judaïsme français ».
Enquête sur le sens étymologique de la religion – ce qui relie –, Le Grand Désarroi cherche
à mettre en évidence le lien entre appartenance religieuse et implication dans la ville,
entre des idées et des lieux où l’on pense.
L’ouvrage fait aussi dialoguer des intellectuels,
des imams, des rabbins. Et les auteurs affirment leur passion pour une vérité à plusieurs
facettes. Car toute pensée unique du réel, cela
se nomme du fanatisme. p
Le Grand Désarroi.
Enquête sur les juifs de France
de Salomon Malka et Victor Malka
Albin Michel, 238 p., 18 €.
14 | disparitions
0123
MERCREDI 3 FÉVRIER 2016
Benoît Violier
Chef cuisinier
L
e restaurant de l’Hôtel de
Ville à Crissier (Suisse) serait-il « une maison maudite » ? s’est interrogé Joël
Robuchon en apprenant dimanche 31 janvier le suicide de Benoît
Violier, le chef franco-suisse de
44 ans. Il venait de succéder à
Philippe Rochat – lui-même
mort subitement en juillet 2015 à
la suite d’un malaise à vélo –,
auquel Frédy Girardet, le père de
ce restaurant triplement étoilé
de la banlieue de Lausanne, avait
confié les clés en prenant sa retraite en novembre 1996.
« Il y a un an, nous avons mangé
dans la cuisine de l’Hôtel de Ville
avec Frédy, Philippe et Benoît. Il ne
reste que Frédy », constate
aujourd’hui Joël Robuchon, très
affecté. Il fut le premier maître de
Benoît et l’avait envoyé parfaire
sa formation chez Girardet.
« C’est un élève que j’ai beaucoup
aimé, a déclaré Frédy, qui fêtera
ses 80 ans cette année, depuis sa
demeure de Féchy. Je suis complètement abasourdi. Je ne sais plus
que dire. Je ne vois aucun motif à
un tel acte. C’était un garçon
brillant. Il présentait bien, il cuisinait bien. Il donnait l’impression
d’être parfait. Je vous le dis, cette
nouvelle, c’est le malheur. »
Les hommages de la profession
– sidérée à l’annonce de sa mort –
sont unanimes sur les réseaux
sociaux. « Grand chef, grand
homme, gigantesque talent »,
tweete Paul Bocuse. « Terriblement attristée par sa disparition
brutale », Anne-Sophie Pic, qui
travaille au Beau-Rivage, à Lausanne, « n’a plus les mots pour le
dire ». Marc Veyrat, « anéanti »,
déclare que « la planète [est] orpheline d’un chef d’exception ».
« Une bien triste nouvelle pour un
chef extrêmement talentueux »,
selon Pierre Gagnaire. « Un immense chef, une immense tristesse », écrit Jean-François Piège.
« Bouleversés »
Les institutions ne sont pas en
reste. « A l’image de sa cuisine,
Benoît Violier faisait l’unanimité.
Son humilité, sa générosité et son
immense talent lui valaient l’estime de ses pairs et la reconnaissance de ses équipes », déclare
dans un communiqué Philippe
Faure, fondateur de La Liste, le
classement des classements gastronomiques qui, dans sa première édition en 2015, l’avait sacré « meilleur restaurant du
monde ».
« Bouleversés par la disparition
de Benoît Violier », Michael Ellis,
directeur des Guides Michelin, et
Claire Dorland-Clauzel, directrice
des marques et des relations ex-
térieures, ont fait observer une
minute de silence à sa mémoire,
au début de la conférence de
presse annonçant, à Paris, lundi
1er février, le palmarès du guide
France 2016. En novembre 2015,
le Michelin Suisse lui avait
d’ailleurs renouvelé sa confiance
en le maintenant à trois étoiles.
Meilleur ouvrier de France
(MOF) en 2000, Compagnon du
Tour de France sous le nom de
Saintonge Cœur Vaillant, couvert
de titres, à la tête d’une brigade
de compétition et affichant complet à chaque service, ce chasseur
hors pair – auteur de deux magnifiques anthologies sur le gibier à poil et à plume – a retourné
son fusil contre lui, un aprèsmidi d’hiver, à son domicile de
Crissier, où la police a découvert
son corps. Une enquête a été
ouverte sur les circonstances et
les motifs de ce geste fatal et incompréhensible aux yeux de
tous.
Avec lui, le meilleur du gibier
s’est enfui des assiettes et des
tourbières d’Ecosse. Au sautoir
comme au bout du fusil, cet
homme au regard tendre montrait la même passion, le même
respect du produit, le même goût
du travail parfait.
Un déjeuner à sa table ne
s’oublie pas. Perdrix rochassière
Benoît Violier
(au premier
plan),
en 2012.
MAURICE ROUGEMONT
/ EPICUREANS
du Tyrol en délicat consommé
aux bolets et girolles ; vitellus
(veau) aux pousses d’épinards en
papillote tiède aux truffes blanches d’Alba ; lagopède alpin (perdrix des neiges) du Valais poêlé
aux baies sauvages, nappé d’une
réduction de vin rouge, crapaudines aux oignons de Roscoff ; selle
de mouflon rôtie aux aromates
sauce poivrade relevée ; soufflé
Jean-Louis Steinberg
aux fruits de la passion. Nous en
étions ressortis fort ému cet
automne (Le Monde du 23 octobre 2015). Au-delà de l’excellence
des mets et du service, il régnait
dans cette maison une atmosphère paisible et sérieuse – suisse
pourrait-on dire – à l’abri des convulsions et des drames. Un coup
de feu y a mis fin. p
jp géné
22 AOÛT 1971 Naissance
à Saintes (Charente-Maritime)
1996 Entre au restaurant
de l’Hôtel de Ville (3 étoiles),
à Crissier (Suisse)
2000 Meilleur ouvrier de France
2012 Reprend l’Hôtel de Ville
2013 Sacré cuisinier de l’année
par le Gault & Millau (éd. suisse)
2015 Publie « La Cuisine
du gibier à plume d’Europe »
31 JANVIER 2016 Mort
à Crissier
Paul Kantner
Astronome
Cofondateur
de Jefferson Airplane
J
I
ean-Louis Steinberg, astronome de l’Observatoire de Paris, est mort jeudi 21 janvier, à
l’âge de 93 ans. Il fut un des
pionniers de la radioastronomie en France, cofondateur de la
station de radioastronomie de
l’Observatoire de Paris à Nançay
(Cher), et également initiateur de
la recherche spatiale à l’Observatoire.
Jean-Louis Steinberg est né le
7 juin 1922 à Paris. Après des études
d’ingénieur, il entra au laboratoire
de physique de l’Ecole normale supérieure. Ses parents et leurs trois
fils, juifs non pratiquants, furent
dénoncés et arrêtés en juin 1944,
sauf le plus jeune enfant. Puis déportés au camp d’Auschwitz-Birkenau, où Jean-Louis fut actif dans la
résistance interne. Il était le seul
survivant des quatre lorsque,
après un terrible transfert à pied à
Buchenwald, les déportés furent libérés par l’armée américaine. Il
consacra après son départ à la retraite beaucoup de son temps à la
mémoire des déportés, allant dans
les écoles et faisant des conférences. Il insistait toujours sur l’origine de cette horreur, car, répétait-il, « les Allemands sont des gens
comme nous ». Il évoquait d’autres
génocides, avec toujours la volonté de responsabiliser les jeunes.
A son retour en France en 1945,
Jean-Louis Steinberg et son collègue Jean-François Denisse (19152014) entreprirent de développer
en France une nouvelle branche de
l’astronomie, l’étude de l’univers
en ondes radio. Ils fondèrent au laboratoire de physique de l’Ecole
normale supérieure un groupe de
radioastronomie, avec le soutien
très actif de son directeur, Yves Rocard (1903-1992). Le succès fut tel
qu’ils purent créer en 1953 la station de radioastronomie de l’Observatoire de Paris, à Nançay. JeanLouis Steinberg joua un rôle majeur dans l’organisation de la station, puis dans la construction du
grand radiotélescope, inauguré
en 1965 par le général de Gaulle,
qui fut complètement opérationnel en 1967 et fonctionne toujours.
A partir des années 1960, la
France développa un système de
fusées et créa, en 1961, le Centre national d’études spatiales. Et,
en 1963, Jean-Louis Steinberg
fonda le service d’astronomie spatiale de l’Observatoire de Paris, situé à Meudon, dans les Hauts-deSeine. Deux fusées françaises Rubis, équipées de récepteurs radio et
de très longues antennes, furent
lancées en 1965 et 1967. Le rayonnement radio de la Voie lactée à
très basse fréquence fut ainsi détecté pour la première fois. JeanLouis Steinberg s’intéressait aussi
à l’émission radio du Soleil, qui est
très variable en raison de l’activité
de l’astre. Les sursauts radio du Soleil sont-ils émis dans toutes les directions ou sont-ils directifs ? Pour
le savoir, cela conduisit au lancement le 28 mai 1971, à bord de la
sonde soviétique Mars 3, de l’expérience Stereo I, comportant une
antenne radio pointée vers le Soleil et qui observait les sursauts en
même temps que les instruments
radio solaires de Nançay. La directivité de certains types de sursauts
solaires fut ainsi mise en évidence
pour la première fois.
Vision à long terme
L’activité du laboratoire où se déroulaient ces recherches était très
complète, depuis la construction
des instruments jusqu’à la théorie
des phénomènes observés. L’un
des grands mérites de Jean-Louis
Steinberg fut d’élargir cette activité à d’autres longueurs d’onde,
notamment l’infrarouge, et à des
domaines comme l’étude des planètes et des étoiles. Le département de recherche spatiale qui lui
doit tant est devenu, sous différentes désignations, l’une des composantes les plus importantes de
l’Observatoire de Paris.
Jean-Louis Steinberg s’intéressait beaucoup aux publications
En 2000. AGNÈS FAVE
scientifiques, si bien qu’il accepta
en 1962 le poste de rédacteur en
chef d’une revue astronomique
française, les Annales d’astrophysique. Pour mieux faire connaître la
revue à l’étranger, et les résultats
obtenus par les astronomes français, l’astronome néerlandais Jan
Hendrik Oort et Jean-Louis Steinberg réussirent à fusionner les différents journaux professionnels
européens en une revue unique.
Le résultat fut la publication
en 1969 du journal européen Astronomy & Astrophysics, qui réunissait initialement les contributions de six pays, bientôt suivis par
d’autres. Jean-Louis, toujours aidé
par Madeleine, son épouse, en fut
pendant cinq ans un des deux rédacteurs en chef. Le succès actuel
de cette publication, l’une des quatre plus importantes du monde en
astronomie, témoigne de la valeur
de sa vision à long terme.
Jean-Louis Steinberg était un leader charismatique, accessible et attentif aux problèmes humains, et
un scientifique aussi brillant que
visionnaire. p
michel combes et james lequeux,
astronomes
de l’observatoire de paris
7 JUIN 1922 Naissance
à Paris
1944 Arrêté et déporté
à Auschwitz-Birkenau
1953 Cofonde la station
de radioastronomie de
l’Observatoire de Paris,
à Nançay
1962 Devient rédacteur
et chef de la revue « Annales
d’astrophysique », puis
d’« Astronomy & Astrophysics »
1963 Crée le service
d’astronomie spatiale
de l’Observatoire de Paris
21 JANVIER 2016 Mort
l avait cofondé, à l’été 1965,
avec le chanteur et guitariste
Marty Balin, le groupe Jefferson Airplane, l’un des plus connus,
avec The Grateful Dead et Quicksilver Messenger Service, de la scène
de San Francisco des années 1960.
Le guitariste, chanteur et auteurcompositeur Paul Kantner, par
ailleurs fondateur du groupe Jefferson Starship en 1974, est mort,
jeudi 28 janvier, dans la ville californienne. Il avait été victime
d’une crise cardiaque au début de
la semaine. Sa mort est due à une
défaillance multiviscérale. Il était
âgé de 74 ans.
Né le 17 mars 1941 à Sans Francisco, Kantner avait manifesté un
intérêt précoce pour la science-fiction et les utopies, des thèmes que
l’on retrouvera dans ses compositions. Il fait ses premiers pas de
musicien vers l’âge de 20 ans dans
le circuit folk-rock local, plutôt
tourné vers un répertoire à tendance politique et contestataire.
Voyage psychédélique sous acide
En août 1966 est publié un premier
album, Jefferson Airplane Takes
Off, avec Kantner, Balin, le guitariste soliste Jorma Kaukonen, la
chanteuse Signe Anderson (19412016), le bassiste Jack Casady et le
batteur Alexander Lee « Skip »
Spence (1946-1999). Il baigne dans
une ambiance folk-rock et pop, sur
fond d’appels aux plaisirs de
l’amour libre, de l’usage récréatif
des drogues douces – Kantner sera
un actif militant de la dépénalisation du cannabis – et du voyage
psychédélique sous acide. Spence
a quitté le groupe avant cette sortie, remplacé par Spencer Dryden
(1938-2005). Anderson cède sa
place à Grace Slick à l’automne.
Jefferson Airplane va alors connaître son plein essor. L’album
Surrealistic Pillow paraît en février 1967 et devient l’une des références du rock psychédélique
américain avec le suivant, After Bathing at Baxter’s.
17 MARS 1941 Naissance
à San Francisco
1965 Fonde Jefferson
Airplane, avec le chanteur
et guitariste Marty Balin
1969 Album « Volunteers »
1972 Séparation du groupe
Jefferson Airplane
1974 « Dragon Fly », premier
album de Jefferson Starship
28 JANVIER 2016 Mort
à San Francisco
L’Airplane, ce sont les voix mêlées de Balin, Slick et Kantner, le développement soliste de Kaukonen,
un lien rythmique entre Casady,
Dryden et Kantner. Un équilibre
aussi entre le format chanson, une
volonté de rigueur, l’improvisation et des développements solistes. Les disques Crown of Creation
(1968) et Volunteers (1969), le plus
marqué politiquement, seront les
derniers enregistrements en studio du groupe historique.
Fin 1970, Dryden et Balin sont
partis. Kantner a enregistré avec
Grace Slick, désormais sa compagne, Blows Against the Empire. Jefferson Airplane perdure jusqu’à
l’hiver 1972, sous la direction de
Kantner et Slick, tandis que Kaukonen et Casady fondent en parallèle
le groupe de blues psyché Hot
Tuna.
En 1974, Jefferson Starship, mené
par Slick et Kantner, prend le relais
avec Marty Balin, de retour, et le
bassiste et claviériste David Freiberg. Le propos, d’abord plus resserré et pop – Ride the Tiger et Caroline dans Dragonfly (1974), Miracles
dans Red Octopus (1975)… – dans
l’esprit des débuts, virera, au début
des années 1980, à une bouillie
pop-rock sans personnalité. Kantner s’en va. Il fera revivre l’Airplane en 1989, avant de remettre
en route un Starship de meilleure
tenue, rejoint au cours des ans par
différents membres historiques
des deux formations. p
sylvain siclier
disparitions & carnet | 15
0123
MERCREDI 3 FÉVRIER 2016
Jean-Louis
Martinoty
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Metteur en scène
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JFT
ont la grande tristesse de faire part
de la mort de
Mme Simone BUFFET,
survenue à Paris,
dans sa quatre-vingt-seizième année.
L
Une messe sera dite en l’église SaintSulpice, le jeudi 4 février 2016,
à 11 heures, suivie d’une inhumation
au cimetière de Châlo-Saint-Mars
(Essonne), sa ville natale où elle rejoindra
son mari,
Erudit éclectique
En 1975, Jean-Louis Martinoty fait
ses débuts à Strasbourg dans Le
Songe d’une nuit d’été, de Benjamin Britten. Il enchaîne avec La Périchole, d’Offenbach. Deux univers
aux antipodes l’un de l’autre. Mais
c’est l’opéra baroque qui lui offre
son premier succès avec le rare Ercole amante, de Cavalli, monté à
l’Opéra de Lyon en 1979 et repris au
Châtelet en 1981.
A une époque où Haendel n’est
pas encore la coqueluche des scènes lyriques, Martinoty entame
une imposante série de productions dans le cadre du Festival
Haendel de Karlsruhe (Allemagne)
– Semele, Rinaldo, Giulio Cesare…
Un travail de défricheur éclairé,
comme avec L’Argia de Cesti, recréé
avec René Jacobs à Innsbruck
en 1996, Lausanne en 1997, à Paris
en 1999 ; après Lully – Alceste
(1992) et Thésée (2008) au Théâtre
des Champs-Elysées. Sans parler
de Rameau – il aura été l’un des
Claude BUFFET,
libraire,
décédé en 1990.
Mme Irène Dally,
sa mère,
M. Charles et Antoine Dally,
ses ils,
Mme Catherine Ballay, née Dally,
sa sœur,
M. Alexandre Dally,
son frère,
Ses amis,
ont la tristesse de faire part du décès de
Philippe DALLY,
glorieux artisans de la renaissance
de ses fameuses Boréades au Festival d’Aix-en-Provence en 1982, avec
John Eliot Gardiner. Deux productions baroques lui vaudront
d’ailleurs le plébiscite du Grand
Prix de la critique : Le Couronnement de Poppée, de Monteverdi,
avec Jean-Claude Malgoire, et David et Jonathas, de Charpentier,
avec Michel Corboz.
Fidèle à son idéal, Martinoty récuse que l’opéra baroque se doive
d’être traité de manière patrimoniale, à l’instar d’une pièce de musée. Il en arguera brillamment
dans Voyages à l’intérieur de
l’opéra baroque (Fayard, 1990),
œuvrant en érudit éclectique qui
aime à enchâsser les styles et les
époques. Une rhétorique qui n’exclut pas les œuvres du grand répertoire. Que ce soit sur les scènes
européennes (Ariane à Naxos, de
Richard Strauss, à Londres, Carmen, de Bizet, à Bonn et Tokyo) ou
dans les théâtres lyriques de la capitale (Le Chevalier à la rose, de Richard Strauss, Le Vaisseau fantôme, de Wagner, La Bohème et Le
Triptyque, de Puccini), et de l’Hexagone : sa dernière mise en scène
en 2012, Macbeth, de Verdi, aura
été pour l’Opéra de Bordeaux.
Passionné par le mythe de Faust,
il l’aura exploré du Faust de Gounod au Doktor Faust de Busoni, en
passant par La Damnation de
Faust, de Berlioz, et le Mefistofele,
de Boito. Il crée en 1989 à l’Opéra de
Paris la mise en scène du Maître et
Marguerite, de York Höller, adapté
de Boulgakov.
Propulsé administrateur général de l’Opéra national de Paris de
1986 à 1989 (une période turbulente liée à l’ouverture de l’Opéra
Bastille), ce fondu d’art contemporain crée alors des « Cartes
blanches » pour les plasticiens,
ainsi Karel Appel, Bernar Venet,
Arman ou Paul Jenkins.
Jean-Louis Martinoty n’aura
sans doute pas été le plus grand de
nos metteurs en scène d’opéra,
mais cet intellectuel émérite doublé d’un conceptuel lyrique restera comme un grand dramaturge, soucieux de la musique
avant toute chose. p
marie-aude roux
Elle a rejoint son époux,
Les obsèques auront lieu le jeudi
4 février, à 14 heures, au cimetière parisien
de Bagneux, 45, avenue Marx-Dormoy,
à Bagneux (Hauts-de-Seine).
M Blanche Buffet,
M. Pierre Bergé,
20 JANVIER 1946 Naissance
à Etampes (Essonne)
1979 Premier succès
avec « Ercole amante »,
de Cavalli, à l’Opéra de Lyon
1986-1989 Administrateur
général de l’Opéra de Paris
2001 « Les Noces de Figaro »,
de Mozart, au Théâtre
des Champs-Elysées, à Paris
27 JANVIER 2016 Mort
à Neuilly-sur-Seine
survenu le 30 janvier 2016,
dans sa quatre-vingt-douzième année.
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23 79 4: 43 58
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Décès
e metteur en scène
d’opéra, écrivain et essayiste Jean-Louis Martinoty est mort le 27 janvier
à Neuilly-sur-Seine (Hauts-deSeine) des suites d’une opération
du cœur. Il avait 70 ans. Il aura consacré toute sa vie à la musique et
notamment à l’opéra. Intellectuel
et artisan, penseur et metteur en
scène, sa prolixité ne sera pas sans
lui valoir des fortunes diverses. En
septembre 2011, son Faust de Gounod à l’Opéra Bastille, censé mettre
fin au règne de la version de 1975
de Jorge Lavelli, avait été un ratage
cruel. Mais ses Noces de Figaro, de
Mozart, au Théâtre des ChampsElysées en 2001, maintes fois reprises (et notamment à Vienne), resteront l’une des plus grandes réussites de ce mozartien grand teint,
qui s’employa aussi à Don Giovanni, La Flûte enchantée, La Clémence de Titus et Idoménée.
Né le 20 janvier 1946 à Etampes
(Essonne), Jean-Louis Martinoty
avait passé son enfance en Algérie
avant de revenir en France, adolescent, pour suivre des études de lettres classiques et de violoncelle. Il
débutera d’ailleurs comme professeur de lettres et journaliste (à
L’Humanité notamment). Il commence la mise en scène d’opéras,
d’abord comme assistant de JeanPierre Ponnelle, puis en arpentant
les théâtres lyriques de répertoire,
entre Rhin et Danube, apprenant
sur le tas, au contact de la scène et
de la fosse. Pour l’homme de convictions passé par le marxisme,
une mise en scène consiste à décrypter une dramaturgie et des codes narratifs à force d’investigation historique, idéologique, philologique, émotionnelle.
Cécile EPSZTEIN,
Gzrqukvkqpu. xgtpkuucigu
me
MICHEL CLÉMENT/AFP
ont la douleur de faire part du décès de
Roland,
(28 janvier 1997 †).
AU CARNET DU «MONDE»
En 1986.
Michel,
son ils,
Et Françoise,
sa belle-ille,
Sara, Judith et Olivier Bedel, David,
ses petits-enfants,
Quentin,
son arrière-petit-ils,
chevalier de la Légion d’honneur,
chevalier de l’ordre national du Mérite,
survenu à la clinique Hartmann à Neuillysur-Seine, le 31 janvier 2016,
dans sa soixante-huitième année.
Une cérémonie religieuse sera célébrée
en l’église Saint-Médard, Paris 5e, le jeudi
4 février, à 14 h 30.
Une inhumation aura lieu le lendemain
dans la stricte intimité familiale.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Henri DEJOUX,
angliciste,
ENS Saint-Cloud 57,
agrégé de l’université,
est mort d’un cancer généralisé,
le 30 janvier 2016,
à l’âge de soixante-dix-huit ans.
« One short sleepe past,
wee wake eternally,
And death shall be no more;
death, thou shalt die. »
John Donne.
« Après un court sommeil,
nous nous éveillons pour l’Eternité,
et la mort sera vaincue;
Mort, c’est toi qui mourra. »
Marie-Louise Bernard,
son épouse,
Alexis Dejoux, Ludivine
et leur petit Valérian,
Perrine Dejoux, Vivien Dejoux,
ses enfants,
Sa famille,
Ses amis,
vous invitent à lui dire adieu au
crématorium du cimetière du PèreLachaise, salle Mauméjean, Paris 20 e,
le jeudi 4 février, à 16 heures.
Ni leurs ni couronnes.
Famille Dejoux,
137, rue de Belleville,
75019 Paris.
17 Patriots Drive,
Lexington, MA 02420,
USA.
2, rue du Port,
37270 Azay-sur-Cher.
Mme Isabelle Flouquet,
sa ille,
M. Jérôme Fagart,
son ils,
Anne Garnier et Vincent Flouquet,
sa belle-ille et son gendre,
Marine, Romain, Mathis et Lucas,
ses petits-enfants,
ont la tristesse d’annoncer le décès de
Mme Suzette FAGART,
née MULLOT,
survenu le 28 janvier 2016.
Les obsèques auront lieu le jeudi
4 février, à 9 h 30, en l’église de
Villevieille (Gard).
M. Dominique FRANÇOIS,
professeur émérite
et directeur
du Laboratoire des matériaux
de l’Ecole Centrale Paris,
cofondateur
de l’université de Technologie
de Compiègne,
président
de l’International Congress of Fracture,
coauteur avec A. Pineau et A. Zaoui
de « Comportement mécanique
des matériaux »,
conseiller en recherche et technologie
du ministre de la Recherche
Hubert Curien,
chevalier de la Légion d’honneur,
membre
de l’Académie des sciences d’Ukraine,
commissaire international
des Eclaireurs et Eclaireuses de France,
nous a quittés, le mercredi 27 janvier 2016,
à l’âge de quatre-vingt-trois ans.
Condoléances :
[email protected]
On nous prie d’annoncer le décès du
docteur
Mathias GOLDSCHILD,
survenu à Dinan, le 27 janvier 2016.
Mlle Adèle Guiloineau,
sa ille
Et Mme Dominique Rist,
sa compagne,
ont la douleur d’annoncer la disparition de
Mme Catherine GUILOINEAU.
La crémation aura lieu au cimetière
du Père-Lachaise, Paris 20 e, le jeudi
4 février 2016, à 13 heures.
Anne Battiaz-Laubreaux,
Sa famille,
Ses proches,
ont la grande tristesse de se séparer de
M. Raymond LAUBREAUX,
décédé le 31 janvier 2016, à Paris,
dans sa quatre-vingt-dix-neuvième année.
L’inhumation aura lieu le jeudi
4 février, à 15 heures, au cimetière
du Montparnasse, Paris 14e.
Ni leurs ni couronnes.
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Le docteur François Ménard
et Mme Joanne Ménard,
son ils et sa belle-ille,
Matthieu, Alexandra
et Vincent Ménard,
ses petits-enfants
Et toute sa famille
ont la tristesse de faire part du décès de
Mme Michèle MÉNARD,
professeur honoraire des Universités,
survenu au Mans, le 29 janvier 2016,
à l’âge de quatre-vingt-six ans.
La cérémonie religieuse sera célébrée
à Paris, le jeudi 4 février, à 10 h 30,
en l’église Saint-Germain-des-Prés, suivie
de l’inhumation au cimetière du
Montparnasse, Paris 14e.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Bernard Monjardet,
son époux,
Sylvain, Jeanne, Ulysse,
son ils, sa belle-ille, son petit-ils,
Sabine,
sa sœur,
Claire, Elisabeth, Adeline, Antoinette,
Anna,
ses belles-sœurs,
Valérie, Véronique, Emmanuelle,
Sabine, Nathalie,
ses nièces,
Tobias, Jonathan, Lucas, Yves,
Benjamin, Olivier,
ses neveux
Sa famille,
Ses amis,
ont la douleur de faire part du décès de
Cornelia MONJARDET,
née MÜHLENWEG,
survenu le 29 janvier 2016,
dans sa soixante-seizième année.
Elle a lutté avec un admirable courage
contre de multiples affections.
La levée de corps aura lieu le 4 février,
à 10 heures, à la chambre mortuaire
de l’hôpital du Kremlin-Bicêtre.
Les obsèques auront lieu le 4 février,
à 14 heures, en l’église d’Arçay (Cher).
Marc Pussemier,
son compagnon de vie,
Michel Paramythioti,
son frère,
Nicole Paramythioti,
sa sœur
et Jean Granoux,
Astrid Granoux,
sa nièce
et Olivier Agnus,
Diane Granoux,
sa nièce
et Youssouf Sokhna,
Laure Agnus,
sa petite-nièce,
Aurélien Agnus,
son petit-neveu,
Valentina de sa Soares,
Nathalie Lejbowicz,
son épouse,
Romain, Maïa, Amanda et Tania,
ses enfants,
ont la tristesse de faire part de la mort de
Max LEJBOWICZ,
le 30 janvier 2016.
Sa famille et ses amis se réuniront
le jeudi 4 février, à 16 h 30, au crématorium
du cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e.
Le 22 janvier 2016,
Janine PONS,
née CORBEAU,
nous a quittés dans sa soixante-dixneuvième année.
Physicienne, maître de conférences,
chercheuse au Collège de France puis
professeure à l’université de Reims et
responsable d’un département industriel
d’IUT, elle était très appréciée de ses
proches et amis pour sa générosité et sa
modestie. Profondément humaniste et
amoureuse de la nature, elle s’est consacrée
à plusieurs œuvres humanitaires et à la
défense de la cause animale. Ayant donné
beaucoup de son temps au soutien bénévole
d’élèves en difficulté et en manque de
repères sociaux, elle avait terminé en 2012
un ouvrage intitulé « Un siècle de morale
dans les manuels scolaires ».
Elle restera à jamais présente dans nos
cœurs.
[email protected]
La Goutelle (Puy-de-Dôme).
Mme Irène Prugne,
son épouse,
Toute la famille
Et ses amis
font part du décès de
Pierre PRUGNE,
ingénieur physicien,
ancien chef de service du STIPE au CEA,
oficier
dans l’ordre des Palmes académiques,
chevalier de l’ordre national du Mérite
docteur es sciences,
honoris causa de l’Académie
des sciences de Russie,
à l’âge de quatre-vingt-douze ans.
Ses obsèques auront lieu le mercredi
3 février 2016, à 15 heures, en l’église
de La Goutelle.
Anniversaire de décès
Le 3 février 1999,
Raymond, Louis VEYRUNES,
« Mallarmé » dans la Résistance,
s’en est allé.
Colette,
sa ille.
Souvenir
ont la tristesse de faire part du décès de
M. Dominique
PARAMYTHIOTI,
artiste peintre,
survenu le 29 janvier 2016,
dans sa soixante-quatorzième année.
La cérémonie du souvenir aura lieu
le jeudi 4 février, à 11 h 30 précises,
au crématorium du cimetière du PèreLachaise, 71, rue des Rondeaux, Paris 20e.
La dispersion des cendres aura lieu
au jardin du souvenir du cimetière du PèreLachaise, le vendredi 5 février, à 10 h 15.
Les cendres de Dominique Paramythioti
y rejoindront celles de ses parents,
Jean et Philiberte PARAMYTHIOTI.
31 janvier 2014.
Bubi.
« Toujours dans mon cœur
et mes pensées.
Je te porte dans moi
comme un oiseau blessé ».
Communication diverse
L’Espace culturel et universitaire juif
d’Europe : Hommage autour du grand
rabbin, Claude Maman, le jeudi 4 février
2016, à 19 heures. Témoignages : Haïm
Korsia, Edmond Elalouf, Gilles Bernheim,
Hervé Rehby.
www.centrecomparis.com
119, rue La Fayette,
75010 Paris.
16 | culture
0123
MERCREDI 3 FÉVRIER 2016
pppp CHEF-D'ŒUVRE
pppv À NE PAS MANQUER
ppvv À VOIR
pvvv POURQUOI PAS
vvvv ON PEUT ÉVITER
Charlie Kaufman et ses drôles de drames
Le scénariste-star des années 2000 retrouve l’inspiration dans « Anomalisa », un « film cerveau » sombre
RENCONTRE
Charlie Kaufman
et Duke Johnson,
en janvier, à Paris.
S
cénariste surdoué, Charlie
Kaufman a connu la gloire
entre la fin des années
1990 et le début des an­
nées 2000, décennie bénie durant
laquelle le succès critique s’est accompagné d’une pluie de récom­
penses.
Associé aux premières réalisa­
tions des deux petits génies du
clip qu’étaient Spike Jonze et Mi­
chel Gondry, ce juif new­yorkais,
né en 1958, a fourni au premier le
matériau fictionnel de Dans la
peau de John Malkovich et d’Adaptation. Au second, il a livré le cane­
vas de Human Nature et d’Eternal
Sunshine of the Spotless Mind.
Autant de films conceptuels qui
allient gracieusement un fond de
noirceur et une forme pop, avec
lesquels il a établi sa signature.
Biberonné aux écrits de Kafka, à
l’humour anar des Marx Brothers
et des Monty Python, il réalise son
premier long­métrage, Synecdoche, New York, en 2008. Evocation
abstraite, foisonnante et claustro­
phobe de la dépression d’un
auteur de théâtre angoissé à l’idée
de passer à côté de sa vie, le film est
présenté à Cannes en sélection of­
ficielle. Mais il fait un flop, qui
tombe au plus mauvais moment,
celui où les studios américains,
pris à la gorge par les effets de la
crise des subprimes, se détournent
de tout projet qui ne promet pas de
remplir les salles de hordes d’adolescents. Et le voilà propulsé dans
le désert, dont il sillonnera les dunes quatre ans durant à enchaîner
les projets mort-nés – pilotes de sé­
rie télé restés sans suite, scénarios
de fiction orphelins… Jusqu’au
coup de théâtre Anomalisa.
Un projet auquel il ne croyait pas
Ce film, qu’il a coréalisé avec Duke
Johnson, réalisateur d’animation
associé au jeune studio Starburns
Industries, s’est fait indépendam­
ment de sa volonté, alors même
qu’il ne croyait plus en sa bonne
étoile. Le personnage de Michael,
auteur d’un best­seller sur l’opti­
misation des relations clients,
mais incapable d’établir le moin­
dre lien affectif avec ses sembla­
bles, est né en 2005, au théâtre.
Les frères Coen et le compositeur Carter Burwell, à qui l’on doit
la musique de Dans la peau de
John Malkovich, l’avaient approché pour concevoir une soirée
musicale dans laquelle ils souhai­
taient « incorporer du texte ». Ils
ont imaginé ensemble un prin­
cipe de pièces sonores dans lesquelles les acteurs liraient leur
texte sur scène. « L’idée qu’il y avait
une déconnexion entre ce que vous
ANTOINE DOYEN
POUR « LE MONDE »
pouviez voir et ce que vous entendiez, que l’image devait, idéalement du moins, se créer dans l’esprit des spectateurs, faisait partie
intégrante de l’histoire », explique
Kaufman. Le spectacle fut d’abord
monté à New York et à Londres.
Puis à Los Angeles, pour deux
autres représentations, mais les
Coen n’étaient plus disponibles.
Anomalisa a été écrit pour rem­
placer leur pièce. « J’avais lu des
choses sur le syndrome de Fregoli.
Ceux qui souffrent de ce délire paranoïaque pensent que tout leur entourage n’est qu’une seule et même
personne. Cela m’a semblé une métaphore intéressante pour ce per-
sonnage qui ne parvient pas à entrer en contact avec les autres. J’ai
imaginé que deux des acteurs joueraient les deux personnages principaux, et que le troisième jouerait
tous les autres. » Dino Stamato-
Durant quatre
ans, le réalisateur
va enchaîner
les projets mortnés, jusqu’au
coup de théâtre
« Anomalisa »
poulos, l’un des fondateurs de
Starburns Industries, était dans
l’assistance. Sept ans plus tard,
en 2012, il propose à Charlie Kaufman de faire de cette pièce un
long-métrage d’animation. Le scé­
nariste­cinéaste au chômage lui
donne son feu vert, sans nourrir le
moindre espoir sur les chances de
voir le projet aboutir : « Un film
d’animation en stop-motion, ça ne
s’était jamais fait aux Etats-Unis,
sans parler du sujet… »
Mais l’argent afflue, amorcé par
une campagne de crowdfunding
qui permet de lancer la production
avec une indépendance artistique
totale. La suite, quoi qu’en dise ce
grand sceptique de Kaufman, res­
semble à un conte de fées. Une fois
enregistrées les voix des person­
nages – celles des acteurs de la
pièce d’origine, David Thewlis, Jennifer Jason Leigh et Tom Noonan –,
les réalisateurs imaginent l’aspect
visuel des décors et des deux per­
sonnages principaux. Pour le troi­
sième visage – celui de tous les personnages, homme, femme ou enfant, qui ne sont ni Michael ni Lisa
–, ils photographient tous les employés du studio, et en font « une
sorte de morphing », combinant
ces éléments hétéroclites.
Fidèles à l’esprit conceptuel de
l’auteur, ils assument l’aspect
composite, un peu Frankenstein,
des visages des marionnettes. « Il
nous semblait que cela apportait
un supplément d’âme et une forme
de fragilité à l’animation, explique
Duke Johnson. Une fois ce parti
pris, on s’en est servis pour la narration. » Des choix que valideront les
festivals de Telluride, Venise et Toronto, où Anomalisa est acclamé, à
l’automne. Paramount en fait
alors l’acquisition et le portera jusqu’aux Oscars, puisque le film
concourt aujourd’hui pour le prix
du meilleur film d’animation.
Kaufman et Johnson revendiquent d’avoir fait une œuvre
ouverte à l’interprétation. Sombre
peut-être, mais aussi drôle, chargée d’émotion, et même d’espoir,
s’ils en croient certains de leurs
spectateurs. Elle est certes triste au
début, et triste à la fin. « Mais ça, ré­
pond Charlie Kaufman, c’est
comme la vie. » p
isabelle regnier
Est-ce ainsi que les marionnettes vivent?
Film d’animation admirable sur nos civilisations sans âme, « Anomalisa » pose un masque mabusien sur les clients d’un hôtel standard
ANOMALISA
pppv
A
nomalisa, c’est l’histoire
d’une pièce de théâtre sonore qui se transforme de
manière un peu hasardeuse en
film d’animation de marionnettes
image par image. Le hasard faisant
parfois bien les choses, le résultat
est une très grande réussite. Anomalisa est une œuvre à la fois singulière et fascinante, formellement innovante, intellectuellement stimulante, dont on acquiert
vite la certitude, en la découvrant,
qu’elle s’inscrira – à l’instar de
Valse avec Bachir (Ari Folman) ou
de Fantastic Mr. Fox (Wes Anderson) – dans l’histoire du cinéma
d’animation.
On entre dans le film comme
dans une matière un peu cotonneuse, qui dissimule un univers à
la fois familier et étrange, assez ty­
pique du scénariste et réalisateur
Charlie Kaufman, concepteur de
films cerveaux. Un endroit à la lisière du réalisme et du fantasti­
que, de l’angoisse métaphysique et
de l’humour noir, de la trivialité
absolue et de l’ornement baroque.
Quasiment toute l’action du film
se déroule, entre chambres, bar et
couloirs, à l’Hôtel Fregoli de Cincinnati. Ce nom est à la fois le pseudonyme qu’avait pris Charlie Kaufman pour signer la pièce originale,
celui d’un transformiste italien cé­
lèbre, enfin, celui d’un syndrome
psychiatrique qui consiste à se
croire victime d’une persécution
menée par un seul et même individu supposé prendre pour ce
faire une multitude de visages.
Au centre de ce huis clos, qui
tient du no man’s land mabusien,
se tient l’Anglais Michael Stone, un
spécialiste des relations clientèle,
venant donner une conférence
aux Etats­Unis. L’homme a, selon
toute apparence, partie liée avec la
grisaille. Cheveux poivre et sel,
tempérament maussade, vêtements lavasse, posture tassée,
voix exténuée. Il fuit, de surcroît,
une situation familiale délabrée.
Rêverie apocalyptique
Il convient de préciser que Michael
Stone n’est à ce titre que l’élément
central d’un monde que le film
s’ingénie à représenter sous l’an­
goissant étendard de l’asthénie et
de l’uniformisation. Dans cet uni­
vers tirant vers le brun, organisé
selon les codes sans âme du standing international, tout le monde
a une silhouette flapie, tout le
monde parle avec la même voix
masculine, tout le monde porte
sur son visage une nette incision
visible, qui évoque la présence
d’un masque.
Est­ce le regard de son héros qui
confère au monde cet aspect si navrant ? C’est probable. Il est en tout
cas certain que c’est à travers sa pathétique tentative d’échapper à
cette misère (la rencontre inespé­
rée d’une vraie femme, la pro­
messe d’une nouvelle vie) que le
film invite le spectateur à se considérer lui­même. Ce chauffeur de
taxi à l’aéroport qui débite des ba­
nalités, cette chambre d’hôtel qui
n’évoque rien, ces programmes de
télévision qui moulinent les heu­
res de cerveaux disponibles, cet
ancien flirt qui nous renvoie impi­
toyablement à notre faillite, cette
sensation de la répétition des ex­
périences, ce constat de la ressem­
blance de tout avec tout, cette nau­
sée absurde qui émane de notre
mode d’existence hautement civi­
lisé : n’est­ce pas là, en même
temps que l’expression du système qui le produit, le terme de
l’homme occidental moderne ?
La question de la marionnette se
pose d’une part comme qualité
des personnages de ce film d’ani­
mation. Hyperréalistes, et en
même temps décalés, affichant
dans leurs gestes saccadés, sur
leurs visages morcelés, le signe de
l’illusion dont ils procèdent.
D’autre part, comme expression
poétique de l’inquiétude contem­
poraine. Toute une rêverie biomé­
canique occidentale, à la fois futuriste et terminale, émancipatrice
et apocalyptique, tourne autour de
l’imperfection du vivant et de sa
possible modélisation sur la dyna­
mique de la marionnette. L’affaire
commence au titre de la réforme
théâtrale (Heinrich von Kleist, Vsevolod Meyerhold, Gordon Craig),
elle s’assombrit farouchement
dans les univers fantasmagoriques de Franz Kafka et Bruno
Schulz, avant que Tadeusz Kantor,
dans son théâtre de la mort, ne cé­
lèbre le triomphe du « bio-objet »,
mi-homme, mi-mannequin, à
l’ombre d’Auschwitz.
Charlie Kaufman et son Anomalisa – au même titre que Paul Verhoeven et son Robocop – viennent en droite ligne de ce fonds
européen. Ils nous racontent l’his­
toire tragique de cette créature
maudite qu’est le Golem, masque
de vie plaqué sur une mécanique
de mort, mais réduite à l’échelle de
tout un chacun, dans un monde
que le clientélisme résume. p
jacques mandelbaum
Film d’animation américain
de Charlie Kaufman et Duke
Johnson (1 h 30).
culture | 17
0123
MERCREDI 3 FÉVRIER 2016
La croissance d’Apple, une i-tragédie en trois actes
Danny Boyle dessine le portrait du magnat californien, sur un scénario virtuose et théâtral d’Aaron Sorkin
Il s’agit de faire
réagir le même
personnage aux
mêmes stimuli,
à un moment
différent
de sa vie
STEVE JOBS
ppvv
L
e théâtre, vous vous souvenez ? Les acteurs sont
physiquement présents,
l’organisation de l’espace
et du temps n’a rien à voir avec la
vie qui passe, et – souvent – on y
parle beaucoup. Vous vous en souvenez forcément si vous suivez le
cinéma pop américain. Son enfant
terrible, Quentin Tarantino, louche de plus en plus du côté de la
scène. Ce n’est qu’une question de
mois (et de copyright) : Les 8 Salopards vont prendre la place du Père
Noël est une ordure au répertoire
des troupes amateurs. Et voici
qu’Aaron Sorkin, scénariste extraordinaire (« A la Maison Blanche »,
The Social Network), propose, en
guise de biopic de Steve Jobs, une
pièce en trois actes, interprétée par
Michael Fassbender, mise en scène
par Danny Boyle.
Bien sûr, ce n’est pas tout à fait du
théâtre, et une part non négligeable de l’excitation réelle que l’on
ressent à un spectacle qui ne devrait guère en susciter (le lancement d’un nouveau produit) tient
aux armes du cinéma. Danny
Boyle n’est pas du genre à s’attarder sur un plan, et le montage de
Steve Jobs propulse le récit à une vitesse qui cache presque sa nature.
Grand amateur de procédés, il a
filmé chaque acte sur un support
différent – 16 mm, 35 mm et numérique.
Un espace confiné
Les comédiens aussi, stars ou quasi-stars, tirent le spectacle du côté
de l’illusion cinématographique.
Autour de Fassbender (à qui le rôle
a échu après la défection de Christian Bale) sont réunis Kate Winslet
(Joanna Hoffman, la collaboratrice
haute résistance), Seth Rogen
(Steve Wozniak, l’ami trahi), Jeff
Daniels (John Sculley, l’ex-patron
de Pepsi Cola, recruté pour faire
d’Apple une vraie compagnie), Michael Stuhlbarg (l’ex-A Serious
Man, des frères Coen, incarne
Michael
Fassbender
dans le rôle
de Steve Jobs.
FRANÇOIS DUHAMEL
Andy Herzfeld, concepteur de logiciels), Kate Waterston (Chrisann
Brennan, la mère de l’enfant reniée) et trois jeunes actrices qui
jouent, à des âges différents, cette
fille que Steve Jobs mit des années
à reconnaître.
On aurait pu suivre le chef et sa
bande du garage où naquit le premier ordinateur jusqu’aux lieux
saints du culte Apple, à Encino. Aaron Sorkin a préféré parquer la
troupe dans un espace confiné, qui
n’est jamais tout à fait le même,
sans vraiment changer.
Steve Jobs est divisé en trois actes,
qui correspondent chacun au lancement d’un produit : le Macintosh en 1984, le NeXT en 1988 et
l’iMac en 1998. A chaque fois, le
lancement est précédé d’un psy-
LA REPRISE DU JOUR
Et les sables hollywoodiens
brûlèrent pour Marlene Dietrich
chodrame, qui fait entrer en jeu
tous les personnages énumérés
plus haut, au mépris de la chronologie des faits.
Pour Sorkin, l’enjeu n’est pas de
faire œuvre d’historien. Il s’agit de
faire réagir le même personnage
aux mêmes stimuli, à chaque fois à
un moment différent de sa vie. Le
lancement du Macintosh est dominé par l’affrontement avec
Steve Wozniak, l’enfant prodige
qui voit ses aspirations à la démocratisation de l’informatique coupées dans leur élan par un homme
qui raisonne en termes de part de
marché, de lignes de produits.
Comme dans The Social Network,
qu’il avait écrit pour David Fincher,
le scénariste excelle à clarifier les
enjeux, à injecter des affects inat-
jean-françois rauger
Film américain de Josef von Sternberg. Avec Marlene Dietrich,
Gary Cooper, Adolphe Menjou (1 h 38)
son côté, Kate Winslet fait de
Joanna Hoffman une présence
maternelle et madrée, la seule en
mesure de manipuler un homme
qui consacre toute son énergie à
manipuler non pas les individus,
mais la vie quotidienne des foules.
Arrivé au troisième lancement,
celui de l’iMac, qui devait ouvrir
le processus par lequel Apple est
passé du statut de challenger à celui de force dominante, le spectateur a compris que les faits sont
ici arrangés à la fois pour servir le
dessin d’un caractère et pour figurer une façon d’exercer le pouvoir. Cet exercice reste l’objet de
toutes les fictions de Sorkin, y
compris son imparfaite, mais
passionnante
série,
« The
Newsroom », consacrée à une
thomas sotinel
Film américain de Danny Boyle.
Avec Michael Fassbender, Kate
Winslet, Seth Rogen (2 h 02).
La geste noire de l’Auguste
Roschdy Zem met en scène rigoureusement, mais sagement, le destin du clown afro-cubain,
vedette parisienne du début du XXe siècle
T
rès bonne nouvelle: on ressort Morocco (Cœurs brûlés).
C’est le genre de films qui pourrait faire justice d’un grand
nombre de clichés, fréquemment énoncés sur le cinéma
hollywoodien par ceux qui ne prendraient pas la peine de bien
regarder ce qu’on leur montre. Morocco est le second film que Josef von Sternberg réalise, après L’Ange bleu, avec Marlene Dietrich, et son premier film hollywoodien avec elle. Tourné en 1930,
il devait lancer l’actrice allemande en Amérique, et y parvint.
Dans un Maroc de pacotille, reconstitué dans les studios de la
Paramount et la vallée de San Fernando, substitut approximatif
du désert saharien, le cinéaste décrit la rencontre entre une chanteuse de cabaret fuyant ce que l’on devine être une désillusion
sentimentale dans un demi-luxueux bouge cosmopolite d’une
petite ville marocaine, et d’un légionnaire, bourreau des cœurs
(Gary Cooper), viscéralement attaché à son indépendance. Les
deux êtres se jaugent, se méfient l’un de l’autre et craignent surtout, peut-être, l’amour lui-même.
Un milliardaire incarné par le suave
et élégant Adolphe Menjou propose
LE CINÉASTE DÉCRIT
un riche mariage à la femme, qui devra choisir entre une vie confortable
LA RENCONTRE ENTRE ou la soumission à une passion dévastatrice. La simplicité d’une mise en
UNE CHANTEUSE
scène tout en plans fixes et en recadrages, descriptifs et sensuels, cache le
DE CABARET ET UN
baroque d’une peinture tortueuse, ou
LÉGIONNAIRE, BOUR- plutôt inusitée, des affects. L’univers
est celui d’une libre circulation du déREAU DES CŒURS
sir, d’une sorte de capharnaüm de la
pulsion sexuelle masquée par les afféteries d’un univers social faisandé.
Le triangle amoureux s’émancipe de tout sentiment de jalousie, mais l’intensité des émotions y est portée à son plus haut degré d’incandescence. Une femme abandonne un destin rédempteur pour suivre en courant, pieds nus sur le sable brûlant, la colonne de légionnaires emportant l’homme qu’elle aime. p
tendus dans des concepts abstraits, comme – ici – technologie
captive.
Contrairement à ce qui se passait
dans le film consacré au fondateur
de Facebook Mark Zuckerberg,
c’est le metteur en scène qui se met
au service du scénariste. Le scénario a beau sortir, le temps de quelques retours en arrière, des coulisses des théâtres de San Francisco
où se préparent les lancements
des produits conçus par Steve Jobs,
il s’agit surtout de dégager une
dramaturgie. Par trois fois, Seth
Rogen incarne le fantôme de
l’idéalisme juvénile pendant que
Jeff Daniels forme la figure paternelle qui, manifestement, trouble
encore plus Steve Jobs que le vieil
Hamlet ne dérangeait le jeune. De
chaîne d’information en continu.
Il a trouvé en Michael Fassbender
l’incarnation idéale de cette soif
et de son assouvissement.
Le scénariste, en prise avec les
tendances de la culture contemporaine, fait du milliardaire d’Encino
le cousin californien de Sherlock
Holmes – figure dont le regain de
faveur actuel dit beaucoup de la
terreur qui habite nos contemporains d’être incapables de déchiffrer le monde. Steve Jobs, selon
Fassbender, Sorkin et Boyle, est un
homme capable de voir ce que les
autres ne voient pas. De déterminer des besoins dont ceux qui les
ressentent n’avaient même pas
idée. Cette lucidité se paie en absence d’empathie, en une indifférence à la souffrance et aux sentiments des autres qui servent, bien
sûr, les nécessités de la gestion
d’une multinationale, mais aussi à
protéger un ego fragile, torturé par
la question de la paternité.
Il arrive que le scénario insiste un
peu lourdement sur tel trait de caractère, comme dans la scène où
Steve Jobs emmène son père spirituel, John Sculley, dans un restaurant tenu par son père biologique :
Aaron Sorkin est soucieux de lever
tous les malentendus. Reste le portrait d’un entrepreneur en action,
critique et admiratif, l’équivalent
cinématographique de ces grandes toiles de la peinture classique
qui aidaient aussi bien à l’histoire
qu’à la légende de leurs sujets. p
CHOCOLAT
pvvv
I
gnorée pendant presque un
siècle, la figure de Chocolat
est revenue dans la conscience collective, à travers le travail de l’historien Gérard Noiriel
(Chocolat, clown nègre), qui s’est
fait aussi dramaturge en écrivant
le spectacle mis en scène par Marcel Bozonnet aux Bouffes-duNord en 2012. Le clown, fils d’esclaves cubains, devenu la vedette
des cirques parisiens à la veille de
la première guerre mondiale, fut
à la fois l’une des premières célébrités noires du show-business
français et une figure tragique,
morte dans l’oubli après deux décennies de célébrité.
Il n’était pas assuré que le cinéma français s’emparerait de
cet Auguste afro-cubain, tant
cette industrie s’est révélée allergique à la question noire en
France au fil des siècles. Voici
pourtant Chocolat, grosse production, soutenue par un studio
– Gaumont – vigoureusement
promue, avec en figure de proue
Omar Sy, qui tient le rôle-titre.
C’est beaucoup, et le film, réalisé
par Roschdy Zem, tient en partie
les promesses de son projet. Il affronte directement la question
du racisme qui était un des constituants de ce pays colonial. Et
pour mettre en scène ce déchirement, il a constitué un duo dramatique parfaitement fonctionnel, qui ajoute à la présence solaire et tourmentée d’Omar Sy la
sombre rectitude de James Thierrée, qui incarne Footit, le clown
blanc avec lequel Chocolat forma
pendant quinze ans le duo qui le
porta au summum de la gloire.
Une tension permanente
La réaction chimique que produisent les deux acteurs alimente
une tension permanente. James
Thierrée incarne un être rationnel, qui calcule le rire comme
d’autres la résistance du tablier
d’un pont, pendant qu’Omar Sy,
intuitif et fragile, n’arrive pas à
fixer la course de son destin. Footit et Chocolat instaurèrent un
numéro de clown blanc et
d’Auguste qui redoublait le conflit entre les personnages : en
plus de l’affrontement entre la
raison et la fantaisie, on devinait
l’affirmation de la supériorité de
celui qui donnait les claques
(Footit) sur celui qui les recevait
(Chocolat).
Tout cela, le scénario de Cyril
Gely (d’après l’ouvrage de Gérard
Noiriel) et la mise en scène de
Roschdy Zem l’établissent clairement. Ce que le film peine à faire
vivre, tout en le montrant consciencieusement, c’est l’inscrip-
tion de cette anecdote dans l’histoire. Pourtant, le récit prend de
grandes libertés avec ce que l’on
sait du destin de Chocolat – ce
n’est pas, par exemple, Footit, qui
a découvert son comparse dans
un cirque de province –, ce qui devrait lui permettre de dessiner à
loisir ce moment de l’histoire du
divertissement où les moyens de
communication de masse commencent à fabriquer des célébrités, où un nouvel art, le cinéma,
vient menacer les vieilles manières de se distraire – jolie séquence, d’ailleurs, qui voit les frères Podalydès, grimés en frères
Lumière, demander aux clowns
de ne pas sortir du cadre.
Le scénario peuple le film de figures emblématiques, du révolutionnaire haïtien et opiomane
(Alex Descas) qui semble avoir
déjà lu Frantz Fanon, au policier
tortionnaire et raciste, en passant par l’intellectuel parisien
compréhensif mais pas bien courageux (Olivier Rabourdin, dans
le rôle de Firmin Gémier).
Roschdy Zem s’en empare pour
les insérer dans un Paris reconstitué avec trop de soin pour faire
toute la place qu’elles méritent
aux folies de Chocolat, à la scène
comme à la ville. Cette volonté de
clarté, cette minutie entravent
une histoire qui pouvait aussi
bien s’envoler sur les ailes de la
colère que se rouler dans le burlesque. p
t.s.
Film français de Roschdy Zem.
Avec Omar Sy, James Thierrée,
Clotilde Hesme (1 h 50).
18 | culture
0123
S E M A I N E
MERCREDI 3 FÉVRIER 2016
Dix-sept après
avoir quitté sa
famille, un
homme tente de
sauver les siens.
L A
PYRAMIDE DISTRIBUTION
K Retrouvez l’intégralité des critiques sur Lemonde.fr
(édition abonnés)
ppvv À VOIR
Préjudice
Film belge d’Antoine Cuypers (1 h 45).
Après quelques courts-métrages remarqués, le réalisateur
belge Antoine Cuypers s’attaque au format long en huis clos,
en faisant tourner des réjouissances familiales au vinaigre.
Ses dialogues remarquablement ciselés avec Antoine Wauters, sa mise en scène minutieuse et l’interprétation formidable de Nathalie Baye et Thomas Blanchard, dans les rôles
principaux d’une mère et de son fils, lui permettent de franchir ce cap décisif haut la main. p n. lu.
F I L M S
D E
pvvv POURQUOI PAS
S
i besoin était, deux signes
préalables devraient re­
commander ce film de
César Acevedo à l’attention des spectateurs. Le premier
est son couronnement, en
mai 2015, par la Caméra d’or du
Festival de Cannes, prix du pre­
mier long­métrage fort convoité
par les jeunes cinéastes, et qui ré­
compense souvent des œuvres
fortes et originales.
Le second, après la sortie, le
23 décembre 2015, du magnifique
L’Etreinte du serpent, de Ciro
Guerra, également présenté au
Festival de Cannes, est que ces
deux auteurs particulièrement
bien exposés signalent, parmi
d’autres (Oscar Ruiz Navia,
William Vega…), l’incontestable
frémissement du cinéma colom­
bien, qui a été, depuis sa nais­
Tableaux expressifs, prégnants
Le film naît du croisement entre
la recomposition intime de cette
famille et la décomposition des
liens entre celle­ci et l’industrie
sucrière, qui lui vole son espace
vital, la réduit et l’étouffe à petit
feu. Le « comment revivre ensemble familial » – avec ce père
qui revient d’on ne sait où pour
sauver ce qui peut l’être, et sa
femme qui s’accroche comme
une damnée, jusque dans
l’étreinte à son fils mourant, à son
lopin de terre – se combine ainsi
avec le « survivre ensemble » face
à la ruine financière et à l’empoisonnement qui menacent.
Ce que réussit brillamment Cé­
sar Acevedo dans ce film est de
A U T R E S
transfuser ces problématiques
psychologiques et sociales en ta­
bleaux visuels inspirés, expres­
sifs, prégnants. Le couple appari­
tion­disparition, dans une succes­
sion de plans­séquences compo­
sés et frontaux, y commande les
cadres et les affects.
Apparition du père, en « revenant », dans l’embrasure de la
porte. Disparition du même dans
un nuage de fumée blanche pro­
voqué par un poids lourd qui le
frôle. Irruption onirique, magique, angoissante, d’un cheval
dans la maison. Noircissement
duveteux de l’image sous la pluie
de cendres qui engloutit décors et
personnages.
De cette tragédie immobile, op­
pressive, un mouvement, une libé­
ration devaient naître. Ils n’en
trancheront pas moins la famille
en deux. Ainsi l’a dit, croisée dans
une taverne, la magnifique chan­
son du film : « Amour, ton nom
s’écrit avec des larmes ». p
jacques mandelbaum
Nombre
d’entrées (1)
Nombre
d’écrans
Evolution
par rapport
à la semaine
précédente
Total
depuis
la sortie
La 5e Vague
1
378 805
409
378 805
Les Saisons
1
292 090
488
292 090
Creed : L'Héritage de...
3
244 825
456
Encore heureux
1
185 292
301
Star Wars : Le Réveil de la
Force
7
163 993
519
Spotlight
1
160 764
208
The Boy
1
152 636
152
Les 8 Salopards
4
148 663
604
Tout schuss
3
101 506
354
Jane Got a Gun
1
88 994
301
AP : avant-première
Source : Ecran total
Film américain de Dan Mazer (1 h 42).
Un jeune homme (Zac Efron) voué à un avenir brillant d’avocat
accompagne son grand-père (Robert De Niro), veuf depuis peu,
mais surtout priapique et érotomane, dans un périple vers la
Floride. A l’image de ce que l’on voit avec de nombreuses productions hollywoodiennes récentes, les bons sentiments côtoient ici une débauche de situations honteuses et humiliantes. Le comique scabreux semble ici trop forcé et trop artificiel
pour qu’on y croie. p j.-f. r.
Le Temps des rêves
Film franco allemand d’Andreas Dresen (1 h 57).
Ils ont passé leur enfance dans les groupes de pionniers de l’exRDA, ils franchissent l’adolescence à la chute du Mur, dans une
Allemagne réunifiée, qui sera fatale à leur rêve de réussite sociale. Ce groupe d’antihéros perdus sans la jungle occidentale
est au centre du nouveau film d’Andreas Dresen, qui ne laisse
pas un brin d’air ni l’ombre d’un doute pénétrer dans sa démonstration en béton. p j. ma.
Alvin et les Chipmunks : à fond la caisse
Film d’animation américain de Walt Becker (1 h 32).
Attention, les épouvantables petites bêtes à poil ras sont de retour, et leur voix de crécelles reste l’instrument de torture
auditive le plus cruel qu’on ait inventé depuis le crissement de
la craie sur le tableau noir. Le succès de cette franchise a beau
être mystérieux, il ne se dément pas. Ce quatrième volet en est
la preuve déroutante. p i. r.
Mini et les voleurs de miel
Film d’animation danois de Jannik Hastrup
et Flemming Quist Moller (1 h 15).
Adapté d’un livre d’illustrations de l’artiste Fleming Quist Moller, ce dessin animé déroule une fable gentillette sur l’affirmation de soi et la tolérance. L’univers graphique n’a rien de déplaisant, mais l’animation et la narration, rudimentaires,
accentuent le sentiment de platitude. p m. ma.
NOUS N’AVONS PAS PU VOIR
Les Tuche 2
Film français d’Olivier Baroux (1 h 34).
Film colombien de
César Acevedo. Avec Haimer Leal,
Hilda Ruiz, Edison Raigosa (1 h 37).
LES MEILLEURES ENTRÉES EN FRANCE
Nombre
de semaines
d’exploitation
Dirty Papy
↓
– 35 %
Point Break
Film américain d’Ericson Core (1 h 53).
!# !"
Théâtre de l’Europe
1 318 953
185 292
↓
– 33 %
jusqu’au 25 mars 2016
Berthier 17e
10 128 093
160 764
TARTUFFE
152 636
↓
↓
– 34 %
1 590 983
– 31 %
470 263
MolIère
luc Bondy
88 994
* Estimation
Période du 27 au 31 janvier inclus
Les adolescents goûtent toujours autant le spectacle de leurs pairs en
lutte armée contre le monde des adultes. La dernière dystopie postpubère en date, La 5e Vague, prend sans peine la tête du classement.
Sur un mode plus bucolique, mais tout aussi apocalyptique, le poème
écologique de Jacques Perrin, Les Saisons, fait sortir les spectateurs du
bois, avec une moyenne par salle néanmoins plus modeste (599, con­
tre 926 pour La 5e Vague). Spotlight, sorti dans une combinaison plus
réduite, se situe entre les deux, avec 773 entrées par écran.
George Miller présidera le jury du Festival de Cannes
Le cinéaste australien George Miller présidera le jury du 69e Festival de Cannes, ont annoncé les organisateurs le 2 février. Le
réalisateur de la saga Mad Max, dont le quatrième volet avait
ouvert le Festival en 2015, succédera aux frères Joel et Ethan
Coen. (AFP.)
THeATre-odeon.eu
01 44 85 40 40
@Theatreodeon
#Tartuffe
christiane cohendy
Victoire du Bois
Audrey Fleurot
laurent Grévill
nathalie Kousnetzoff
Samuel labarthe
yannik landrein
Micha lescot
Sylvain levitte
yasmine nadii
chantal neuwirth
Fred ulysse
Pierre yvon
© Thierry Depagne / Licence d’entrepreneur de spectacles 1064582
ppvv
de famille revient au foyer conjugal pour tenter de sortir sa famille
d’un désastre annoncé. Sa femme,
vieillie et hostile, ne veut pas quit­
ter sa maison. Leur fils, fidèle à sa
mère, se meurt du fait des émana­
tions régulières de cendres produites par l’incendie des cannes à
sucre. La femme de ce dernier
aimerait partir pour sauver leur
enfant de ce désastre.
L E S
Un premier long-métrage prometteur du Colombien César Acevedo
sance tardive (le premier long­
métrage date de 1922), régulièrement empêché par les vicissitu­
des et les violences historiques.
César Acevedo, qui est né à Cali,
en 1987, signe son premier long
avec La Terre et l’Ombre. Son film,
par surcroît, se défend très bien
tout seul. Ancré dans la terre, il
lutte avec l’ombre. Un film de terri­
toire, de fidélité, de résistance, ter­
riblement concret, et cependant
quasiment abstrait à force de subordonner intrigue, décors et per­
sonnages à cette sorte de fatalité
sourde, qui relie une famille de
paysans au lieu qui l’a vu naître.
Cet enjeu est exprimé par un dé­
pouillement figuratif qui confine
à la métaphore visuelle : une mai­
sonnette et un arbre, comme écra­
sés par leur isolement, encerclés
par des champs de canne à sucre à
perte de vue. La ligne narrative est
elle-même assez minimaliste : absent depuis dix-sept ans, un père
Film d’animation français d’Anthony Roux
et Jean-Jacques Denis (1 h 47).
Premier long-métrage de cinéma des studios français Ankama, spécialisés dans les jeux vidéo, ce film poursuit sur
grand écran l’histoire du monde magique du Krosmoz, commencée au début des années 2000, avec le célèbre jeu en ligne
Dofus. Malin et rythmé, ce Julith, qui slalome entre épopée
d’heroic fantasy et bouffonneries manga, fait honneur à ses
racines : il est sans aucun doute le rendez-vous ludique de la
semaine. p n. lu.
vvvv ON PEUT ÉVITER
Dans la solitude des champs
de canne à sucre
LA TERRE ET L’OMBRE
Dofus, livre 1 : Julith
culture | 19
0123
MERCREDI 3 FÉVRIER 2016
Un rêve échoué sur les trottoirs de Belleville
Naël Marandin conte, comme dans un thriller, le quotidien d’une clandestine qui se prostitue pour survivre
LA MARCHEUSE
Le rapport au
monde se négocie
sans états d’âme,
à coups de petits
arrangements
avec la vie
ppvv
C
es femmes chinoises au
regard las, qui usent
leurs semelles sur les
trottoirs de Belleville,
entre les supermarchés exoti­
ques et les restaurants de soupes
phô, qui sont-elles ? Quelle était
leur vie avant d’arriver en
France ? Comment leurs rêves
sont-ils venus s’échouer sur le bitume parisien ?
Comédien à l’origine, Naël Marandin a passé du temps en Chine.
De retour à Paris, il s’est fondu
dans la communauté chinoise de
Belleville en s’engageant, notamment, dans des associations de
quartier, en venant en aide, plus
particulièrement, au sein de Médecins du monde, aux prostituées
tout juste débarquées. Les histoires que ces femmes lui ont racontées lui ont fourni la matière, dure
et sensible, de ce premier long-métrage, un thriller en mode mineur,
tout en nuance, au fil duquel se
dessine le portrait romanesque de
l’une d’entre elles.
Immigrée clandestine venue du
Dongbei, au nord-est de la Chine,
région sinistrée qui fournit l’essentiel du contingent de la dernière vague d’immigration arrivée
en France – la moins bien intégrée
–, Lin a laissé son mari après un divorce. Au fil des ans, elle s’est bricolé une économie de survie qui
lui a permis de financer la venue
de sa fille, Cerise, aujourd’hui adolescente, et continue d’assurer
leur subsistance à toutes les deux.
Logée dans le grand appartement d’un vieil homme grabataire, pour qui elle fait la cuisine, le
ménage, qu’elle assiste dans sa toilette et dans ses moindres mouvements, elle complète les maigres
émoluments qu’elle reçoit en faisant des passes. Rythmée par le
Lin (Qiu Lan) et Daniel (Yannick Choirat) dans « La Marcheuse », de Naël Marandin. FOLAMOUR/VITO FILMS/REZO FILMS
travail, tendue par l’espoir de voir
sa situation régularisée, la volonté
de sa fille de réussir ses études, et
la peur, au moindre faux pas,
d’être renvoyée en Chine, sa vie se
déroule sans vagues, en sourdine…
Mais l’intrusion qu’y fait un
homme violent, traqué par des
prêteurs sur gages, qui s’impose
chez elle par la menace et décide
de rester le temps de trouver une
meilleure idée, met d’un coup en
péril ce fragile édifice. Si le propriétaire découvre sa présence, elle et
sa fille seront jetées à la rue. Si les
prêteurs sur gages retrouvent la
trace de leur débiteur, les conséquences seront plus graves encore.
Ambivalence des sentiments
Ce grand appartement sombre,
décrépi, devient dès lors un petit
théâtre, où les rapports entre les
trois personnages – la mère, la fille,
et cet homme à la fois inquiétant
et attirant – se reconfigurent au fil
de l’eau, au gré de la circulation du
désir et des multiples possibles
que cette présence nouvelle fait
naître pour les deux femmes. Pour
la prolétaire transfrontalière
qu’est Lin, le rapport au monde se
négocie sans état d’âme, le pragmatisme chevillé au corps, à coups
de petits arrangements avec les
gens, avec la vie.
Aussi ne tarde-t-elle pas à renverser la situation à son avantage en
proposant au nouveau venu d’endosser ses dettes en échange d’un
mariage blanc, ouvrant du même
coup sur l’inconnu une situation
qui semblait totalement verrouillée. C’est la grande qualité de
ce film que de rendre sensible l’ambivalence des sentiments qui lient
ces personnages, contraints dans
leur liberté d’individus, pris dans
un nœud de forces contraires, et
pourtant perméables au désir,
auquel ils finissent par s’abandonner, et même à la tendresse qui,
discrètement, s’invite dans la partie… Cerise n’est pas en reste, à qui
la promiscuité avec ce « bad boy »
inspire ses premiers émois éroti-
ques et des pulsions transgressives
qui ne seront pas sans effet.
Sèche, sans ostentation, la mise
en scène maintient cette intrigue
sous cloche et dans un état de
tension permanente qui donne
sa texture vibrante à la peinture
du quotidien de Lin. Magnétisée
par son actrice, Qiu Lan, par sa
beauté singulière, par son jeu farouche, rentré et intense, la caméra saisit attentivement aussi
les vibrations de la ville, l’âme de
l’appartement, les émotions des
personnages. Sensible aux mouvements de la rue, à la moindre
expression des regards, aux frémissements des peaux, elle rend
superflue toute forme de commentaire, toute effusion, qui,
dans un tel contexte, serait nécessairement déplacée.
La violence symbolique des
vexations que Lin subit au quotidien – de la part des clients, des
grands bourgeois qui l’hébergent,
des commerçants du quartier… –
explose d’autant plus fort qu’elles
sont à peine suggérées. Et qu’entre
elles s’insèrent des moments de
paix, de joie, d’érotisme qui arrachent le personnage au déterminisme de sa fiche sociologique
pour lui donner une épaisseur humaine profondément émouvante. p
isabelle reignier
Film français de Naël Marandin.
Avec Qiu Lan, Yannick Choirat,
Louise Chen (1 h 20).
Plans serrés sur les garrots de marginaux new-yorkais
Les frères Josh et Benny Safdie adaptent l’autobiographie d’une jeune sans-abri américaine, entre amours incandescentes et addictions
MAD LOVE IN NEW YORK
ppvv
M
ine de rien, la jeune
scène indépendante
new-yorkaise, comme
on a pris l’habitude de la nommer,
est en train de créer, film après
film, une nouvelle forme de subjectivité.
Les frères Josh et Benny Safdie,
ses figures de proue, ont cultivé,
en à peine quatre longs-métrages, un rapport unique, à la fois
psychique et organique, entêté et
farouche, avec leurs personnages : une petite voleuse de tout et
n’importe quoi dans The Pleasure
of Being Robbed (2008), un papa
foutraque dans Lenny and the
Kids (2010), ou un espoir fugace
du basket-ball, dans leur documentaire Lenny Cooke (2013) encore inédit en France.
Cette fois, ils se penchent sur
une jeune vagabonde, Harley, qui
erre sur les trottoirs de New York
et titube dangereusement entre
deux amours incandescentes. Le
premier, c’est le bel Ilya (Caleb
Landry Jones, repéré dans Antiviral de Brandon Cronenberg), le
prince noir des rues, maître hautain au visage exsangue, dont le
mépris affiché pour Harley la
pousse à se mutiler. Le second,
c’est la drogue, maîtresse exigeante, qu’on s’injecte dans les
toilettes des fast-foods, pour laquelle Harley s’accroche aux basques de n’importe quel pourvoyeur de passage, que ce soit le
dealer Mike (Buddy Duress), qui la
prend sous son aile, ou l’essaim
des junkies qu’il saupoudre.
Comment filmer, sans sombrer
dans le social-glauque, ce monde
des sans-abri, si rare à l’écran, et
d’une telle rugosité qu’il semble
devoir ne tolérer aucun artifice ?
Le film est, avant tout, né d’une
rencontre, celle d’Arielle Holmes,
Un romantisme
brutal et halluciné,
qui peut rouler
dans le caniveau,
brûler d’une
fièvre intense
et s’évanouir
dans la douceur
d’une caresse
une véritable SDF qui, à la demande des frères Safdie, écrivit
un livre sur sa propre vie. C’est ce
texte qu’ils ont adapté (avec leur
complice Ronald Bronstein, réalisateur du curieux Frownland
en 2007), faisant jouer à Arielle
son propre rôle, et l’entourant
d’un casting de non-professionnels piochés dans la rue (à l’excep-
tion d’Ilya). Ainsi, la frontière entre la fiction et le documentaire,
bien que clairement délimitée,
reste mince et assure au récit un
champ perméable à l’expérience
de ses interprètes.
Béton, bitume et crasse
A la caméra, le prodige Sean Price
Williams, chef opérateur clé de
cette génération artisanale
(Queen of Earth, d’Alex Ross Perry,
2015), signe une image fluente,
d’une incroyable mobilité.
L’usage du téléobjectif écrase les
perspectives, brouille les lieux et
plonge les êtres dans un amalgame indifférencié de béton, de
bitume et de crasse. Les cadres
serrés sur les gestes, surtout sur
les visages, dessinent une symphonie de faciès abîmés, de passions et de stigmates, substituant
à l’urbanité réelle un espace strictement subjectif, voire égotiste,
dont on ne sort quasiment pas.
Cette focalisation, à la fois étouffante et envoûtante, estompe l’environnement, le réduit à ses
échos lointains, ou a d’importunes irruptions dans le parcours
chancelant de son héroïne.
A ce titre, le film ne s’intéresse
pas tant à la marginalisation en
elle-même, qu’à la modalité essentiellement addictive selon laquelle la jeunesse fait l’expérience
du monde. Expérience faite de cycles, de boucles obsédantes
(qu’amplifient les plages électroniques du compositeur japonais
Isao Tomita), et donc acculée à un
pur présent, sans autre mémoire
ni destin qu’une éternelle répétition. Ce présent, c’est avant tout
celui de conversations heurtées,
emphatiques, qui peuplent le
film : les paroles se télescopent,
buttent sur des difficultés, des résistances, des incompréhensions,
des points de détail qui gonflent,
gonflent et deviennent infran-
D OWNTON A BBEY
L’ U LT I M E S A I S O N
DÉCO UVREZ LA SAISON 6
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TM
chissables. Si les personnages des
frères Safdie parlent autant, et se
comprennent si peu, c’est parce
qu’il est de leur nature de « se faire
des montagnes d’un rien ».
Harley ment, négocie, réclame,
contourne, brode, parce qu’elle a
besoin de se réchauffer, parce
qu’elle a besoin de brûler. A travers elle, et le ressac passionnel
qui la ramène toujours vers l’orageux Ilya, le cinéma des frères
Safdie résonne d’une tonalité
nouvelle : celle d’un romantisme
brutal et halluciné, qui peut rouler dans le caniveau, brûler d’une
fièvre intense et, la seconde
d’après, s’évanouir dans la douceur d’une caresse. p
mathieu macheret
Film américain et français
de Josh et Benny Safdie. Avec
Arielle Holmes, Caleb Landry
Jones, Buddy Duress, Necro,
Eleonore Hendricks (1 h 37).
20 | télévisions
0123
MERCREDI 3 FÉVRIER 2016
Toi, l’enfant que je ne reconnais plus
VOTRE
SOIRÉE
TÉLÉ
Le terrible combat d’un père et d’une mère face à la radicalisation de leur fille
M E RCR E D I 3 F É VR IE R
TF1
20.55 Les Experts : Cyber
Série créée par Carol Mendelsohn,
Ann Donahue et Anthony E. Zuiker
(EU, saison 1, ép. 8, 11 et 12/13).
23.20 Les Experts
Série créée par Anthony E. Zuiker
(EU, S12, ép. 22 et 1/22 ;
S9, ép. 19 et 18/24).
France 2
21.00 Ne m’abandonne pas
Téléfilm de Xavier Durringer.
Avec Lina Elarabi, Samia Sassi,
Sami Bouajila, Marc Lavoine
(Fr., 2016, 85 min). Suivi d’un débat
23.30 Les Français,
c’est les autres
Documentaire de Mohamed Ulad
et Isabelle Wekstein-Steig
(Fr., 2016, 60 min).
France 3
20.55 Des racines et des ailes
Passion patrimoine : Terres
de Bretagne, du pays rennais
à la presqu’île de Crozon. Magazine
présenté par Carole Gaessler.
23.15 In situ
Magazine présenté
par Marie-Sophie Lacarrau.
Inès (Samia Sassi), Chama (Lina Elarabi) et Sami (Sami Bouajila). ARTHUR FARACHE SAUVEGRAIN / SCARELETT PRODUCTION
FRANCE 2
MERCREDI 3 – 21 H 00
TÉLÉFILM
C
hama, 17 ans, vient de
passer
brillamment
l’oral du concours d’entrée à Sciences Po. En
sortant, elle appelle sa mère pour
la rassurer. Puis retrouve une
amie qui la prévient : « Tu vas faire
la pire connerie de ta vie. » Chama
s’en moque, aussi déterminée à
réussir face à ses professeurs qu’à
épouser quelques instants plus
tard, via Internet, dans un cyber­
café, le garçon qu’elle aime et qui
l’attend en Syrie, où il combat
dans les rangs de l’EI.
Cette première séquence détermine la forme que reproduit de
bout en bout le téléfilm de Xavier
Durringer : la mise en scène à répétition d’un basculement – et
donc de ruptures – qui secoue le
récit en même temps que les personnages et le téléspectateur. Le
climat de violence auquel nous
soumet Ne m’abandonne pas
vient de là. Et de nulle part ailleurs.
Ainsi la réunion de famille organisée pour fêter l’admission de
Chama à Sciences Po où les rires
vont s’étrangler au détour d’une
phrase. La jeune fille, radieuse,
doit soudain faire face à l’interrogation de ses parents qui la soupçonnent de s’être radicalisée. Elle
nie. Puis, en une fraction de seconde, sort : « Je ne supporte plus
vos gueules de mécréants ! » La
mère et le père vacillent. A peine
conscients encore du combat
qu’ils vont devoir mener pour empêcher leur fille de partir en Syrie.
Les scénaristes Aude Marcle et
Françoise Charpiat se sont beaucoup documentées pour tenter de
rendre compte du cataclysme
auquel sont soumis les parents de
jeunes qui partent au djihad. Et de
cerner aussi les motivations qui
pouvaient pousser des adolescents à se radicaliser. L’idée d’écrire
sur le sujet est partie d’un fait divers découvert il y a deux ans dans
un article consacré au départ en
Syrie d’une gamine de 15 ans originaire d’Avignon. « Nous étions tristement fascinées par le fait qu’une
jeune fille puisse basculer aussi rapidement et devenir une étrangère
sous les yeux de ses proches, sans
que personne ne s’en rende
compte », explique Aude Marcle.
Entre le point de départ de leur
projet et la fin, l’actualité a rattrapé les deux auteures, qui ont
intégré, sous la forme d’allusion,
les attentats de janvier 2015. Ceux
du 13 novembre ont eu lieu quelques semaines après le dernier
clap du tournage. Pour autant, elles n’ont pas dérogé au parti pris
qu’elles s’étaient presque instinctivement fixé aux prémices de
l’aventure : concentrer l’histoire
sur la relation mère-fille. « Nous
nous sommes immédiatement
identifiées à la mère et sur ce que
nous serions capables de faire par
amour pour protéger notre enfant », précise Françoise Charpiat.
Extrême brutalité
Dans Ne m’abandonne pas, Inès
choisit d’emmener sa fille dans
une maison isolée à la campagne
où elles vont vivre séquestrées,
autant de temps qu’il le faudra,
autant de semaines, de mois, que
nécessitera le retour de Chama
parmi les siens. Ce huis clos où se
joue un affrontement d’une extrême brutalité – qui amène irrémédiablement à établir le parallèle avec une cure de désintoxication – permet, en le resserrant, de
préserver le propos des débordements auxquels il pourrait prêter.
« Le scénario déstigmatise la
communauté musulmane et
prend à contre-pied les poncifs sur
les jeunes de banlieue, souligne
Xavier Durringer. La mère de
« Le scénario
prend à contrepied les poncifs
sur les jeunes
de banlieue »
XAVIER DURRINGER
réalisateur
de « Ne m’abandonne pas »
Chama est de culture musulmane
mais athée. Elle est médecin, divorcée, elle fume, elle boit. Son père
fréquente la mosquée mais sans
plus, il est informaticien et remarié. Sa grand-mère est plus dans la
tradition… Chacun a un rapport
différent à la religion. A partir de là,
le film s’attache essentiellement
aux sentiments et aux émotions,
aux réactions presque animales
des parents – et principalement de
la mère – vis-à-vis de leur fille, mais
aussi au désespoir total du père du
petit ami de la jeune fille qui tente
par tous les moyens de faire revenir son fils de Syrie. »
Pour tenter d’appréhender les
mécanismes de la radicalisation
chez les jeunes filles, Aude Marcle
et Françoise Charpiat ont fait appel à l’anthropologue Dounia Bou-
zar, engagée dans la lutte contre
l’embrigadement djihadiste. De
cette matière, les scénaristes n’ont
tiré aucune démonstration, préférant se servir des éléments recueillis pour construire, en creux,
la personnalité et le parcours de
Chama. Adolescente amoureuse
et butée, en colère contre l’injustice et en quête d’un idéal.
Malgré ses qualités, ce téléfilm
n’aurait pas la puissance qu’il dégage sans les acteurs qui incarnent les figures de cette histoire
singulière. Lina Elarabi (Chama),
Samia Sassi (Inès, la mère), Sami
Bouajila (Sami, le père) délivrent
un jeu d’une justesse inouïe, travaillé en amont du tournage et
capté ensuite par un réalisateur
qui sait user des plans-séquences
pour saisir une scène dans son entier. Comme au théâtre dont Xavier Durringer est issu. p
véronique cauhapé
Ne m’abandonne pas, de Xavier
Durringer. Avec Lina Elarabi,
Samia Sassi, Sami Bouajila, Marc
Lavoine (Fr., 2016, 85 min). Le
téléfilm sera suivi d’un débat puis
d’un documentaire saisissant,
« Les Français, c’est les autres »,
de Mohamed Ulad et Isabelle
Wekstein-Steg (Fr., 2016, 60 min).
Canal+
21.00 Coach
Documentaire de Manuel Herrero
(Fr., 2015, 90 min).
22.30 Foxcatcher
Drame de Bennett Miller
(EU, 2014, 130 min).
France 5
20.40 Comment fabriquer
une planète ?
Documentaire de Mike Slee, Nigel
Simpkiss et Nick Shoologin-Jordan
(GB-EU, 2013, 85 min).
23.35 Dangers dans le ciel
Documentaire de Su Rynard
(Can., 2008, 50 min).
Arte
20.55 Minuit à Paris
Comédie de Woody Allen.
Avec Owen Wilson, Rachel McAdams
et Marion Cotillard
(EU-Esp., 2011, 90 min).
23.20 Paradis : amour
Comédie dramatique d’Ulrich Seidl
(Autr.-All.-Fr., 2012, 115 min).
M6
20.55 Patron incognito
Magazine avec Christel Jaffres
(Bureau Vallée).
22.30 Patron incognito
Magazine avec Alain Brière (Balladins).
0123 est édité par la Société éditrice
HORIZONTALEMENT
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
I
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 16 - 027
HORIZONTALEMENT I. Malversation. II. Obéirais. ONU. III. Tarer. Lion.
IV. ISO. Ecolière. V. Votera. Essor. VI. Au. Tofus. CIO. VII. Trauner. Do.
VIII. Idrisi. Li. OE. IX. Oie. Exécuté. X. Nectarivores.
VERTICALEMENT 1. Motivation. 2. Abasourdie. 3. Lérot. Arec. 4. Vie. Etui.
5. Errerons. 6. Râ. Caféier. 7. Silo. Ur. Xi. 8. Asiles. Lev. 9. Ois. Dico.
10. Ionesco. Ur. 11. On. Roi. Oté. 12. Numérotées.
I. Une étourderie qui peut avoir de
graves conséquences. II. Saisi et enregistré pour être repris. Atome. III. Facilite le soulèvement. Emile créa le
dessin animé, Paul it de la politique.
IV. Se retrouvent sous inluence. Dans
la gamme. V. Monument funéraire.
Sort la tête à marée basse. VI. A fait la
guerre chez les Romains. Creuse
comme une bête. VII. Possessif. Prépara le gigot. Supporte la coque pendant la construction. VIII. Fabrique de
cadres. Travailla sur l’œil. IX. Rendront des services. Hérétique
condamné à Nicée. X. Se retrouve
avec un nouveau découpage.
VERTICALEMENT
1. Pousse à l’action. 2. Se fait entendre du bout des lèvres. 3. Font
tourner notre économie. Enjoué mais
désordonné. 4. Reprit la conversation. Ouvre le livre. 5. Dans l’erreur.
Le chlore. Lac lombard. 6. Ne fait que
simuler la réalité. Points opposés.
7. Un peu trop salées. Article. 8. A fait
danser dans les années 1960. Lumière
de la nuit. 9. Ensemble des cardinaux.
Sélection. 10. Fit l’innocent. Consolidais le forage. 11. Passe au plus près.
Assure la liaison. 12. Fait passer ses
idées.
La reproduction de tout article est interdite
sans l’accord de l’administration. Commission
paritaire des publications et agences de presse
n° 0717 C 81975 ISSN 0395-2037
0123
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L’investiture
de Barack
Nouvelle édition
Tome 2-Histoire
---
Jeudi 22 janvier
Uniquement
2009
Fondateur
Premières mesures
Le nouveau président
américain a demandé
la suspension
: Hubert Beuve-Méry
En plus du «
en France
- Directeur
Monde »
métropolitaine
: Eric Fottorino
Obama
des audiences
à Guantanam
o
Barack et
Michelle Obama,
à pied sur
Pennsylvania
WASHINGTON
Avenue, mardi
20 janvier,
CORRESPONDANTE
se dirigent
montré. Une
vers la Maison
evant la foule
nouvelle génération
Blanche. DOUG
tallée à la tête
s’est insqui ait jamais la plus considérable
MILLS/POOL/REUTERS
a Les carnets
transformationde l’Amérique. Une ère
d’une chanteuse.
national de été réunie sur le Mall
de Angélique
a
Washington,
Des rives du commencé.
Kidjo, née au
Obama a prononcé,
a Le grand
Barack lantique,
Pacifique à
jour. Les cérémonies
celles de l’At- aux Etats-Unis pendant Bénin, a chanté
discours d’investituremardi 20 janvier,
toute l’Amérique
la liesse ; les
la campagne
de Barack Obama
;
ambitions d’un
presque modeste.un sur le moment
s’est arrêtée
a Feuille
force d’invoquer
en 2008,
la première
rassembleur
qu’elle était
pendant les
A vivre :
décision de
; n’est jamaisde route. « La grandeur
Abraham
en train de
festivités de et de nouveau administration:
Martin Luther
l’accession
la nouvelle
Lincoln,
un
l’investiture,
au poste
du 18 au
dant en chef
Avec espoir et dû. Elle doit se mériter.
avait lui même King ou John Kennedy,
pendant cent la suspension
des armées, de comman- raconte 20 janvier. Pour Le Monde,
(…)
vertu,
il
placé la barre
responsable
vingt
: les cérémonies,
elle
de plus les courants bravons une fois
discours ne
très haut. Le l’arme nucléaire, d’un
de Guantanamo. jours des audiences
passera probablement
les rencontres
jeune sénateur de – elle a croisé l’actrice
glacials et endurons
cain-américain
Pages 6-7
les tempêtes à
postérité, mais
afri- le chanteur
page 2
et l’éditorial
Lauren
de 47 ans.
venir. » Traduction
il fera date pour pas à la
Harry Belafonte… Bacall,
du discours
ce qu’il a
inaugural du e intégrale
miste Alan Greenspan.
Lire la suite
et l’écono- a It’s the economy...
des Etats-Unis.
44 président
page 6 la
Il faudra à la
velle équipe
taraude : qu’est-ce Une question
nou- a Bourbier Page 18
beaucoup d’imagination
Corine Lesnes
pour sortir de
que cet événement
va changer pour
irakien. Barack
a promis de
l’Afrique ? Page
Obama
et économiquela tourmente financière
retirer toutes
3
qui secoue la
de combat américaines
les troupes
Breakingviews
planète.
page 13
d’Irak d’ici
à mai 2010.
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Collection : Le Monde sur CD-ROM :
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Le Monde sur microilms : 03-88-04-28-60
SUDOKU
N°16-028
L’avenir de
Xavier Darcos
Ruines, pleurs
et deuil :
dans Gaza dévastée
« Mission terminée
»:
le ministre
de
REPORTAGE
ne cache pas l’éducation
considérera qu’il se
GAZA
bientôt en
ENVOYÉ SPÉCIAL
disponibilité
pour
ans les rues
tâches. L’historien d’autres
de Jabaliya,
les
enfants ont
de l’éducation
trouvé
veau divertissement.un nouClaude
Lelièvre explique
lectionnent
les éclats d’obusIls colmissiles. Ils
comment la
et de
déterrent du
rupture s’est
sable des
morceaux d’une
faite entre les
enseignants
qui s’enflamment fibre compacte
et Xavier Darcos.
immédiatement
au contact de
Page 10
l’air
Bonus
Les banquiers
ont cédé
Enquête page
Nicolas Sarkozy
des dirigeants a obtenu
françaises qu’ilsdes banques
renoncent
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de leur rémunération
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En contrepartie,
les banques
pourront
bénéficier d’une
D
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aide
difficilement
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Regarbrûle.
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celle accordée
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fin 2008. Page
cesnoirâtres
tra- boutique.
14
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âgée de 16 ans,
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ne décolèa incendié une
pas. « Dites
fabrique de
bien aux dirigeants
Au bord de
papier. « C’est petite des nations occidentales
la
mière foisque
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je voiscela après la pre- innocents sont
il y a quelquesfaillite
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trentemorts pour
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l’Américain
israélienne », Qu’ici, il n’y a jamais
s’exclame Mohammed
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cette figure
constructeur
nous en don- La parution
du quartier pièces, nent la preuve,
italien Fiat
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puisqu’ils sur- de deux
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de sa famille veillent tout depuis le ciel
ont été fauchés
», enrage de Roland
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de 35 %. L’Italie à hauteur devant
par
Barthes,
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il tient une Entre ses mort en 1980,
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Ils étaient venus
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son côté, aura tre aux Gazaouis
permet- reprises,
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Le cratère de de souffler.
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17
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MERCREDI 3 FÉVRIER 2016
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kittilä (laponie)
L
orsque l’avion se pose en
douceur sur la piste d’at­
terrissage enneigée de
Kittilä, municipalité du
nord de la Finlande, il est difficile
d’imaginer qu’à peine trois heures se sont écoulées depuis Paris.
Mais le froid mordant est là pour
rappeler au voyageur, une fois
sorti sur le tarmac, qu’il a dépassé
le cercle polaire depuis près de
200 kilomètres. Depuis le parking
de l’aéroport tapissé de blanc, les
pistes de ski, ou du moins les in­
nombrables spots lumineux qui
les éclairent du matin au soir,
sont déjà visibles.
Les sapins prennent vie
Car à cette période de l’année, dans
la région, l’obscurité est reine. Ce
n’est qu’entre 11 heures et 14 heu­
res, quand le soleil atteint son zé­
nith, qu’un semblant de jour
émerge. Pour quitter Kittilä et rejoindre l’une des communes avoisinantes, mieux vaut être un habitué de la conduite sur glace ; la plupart des routes sont larges mais
périlleuses la moitié de l’année.
Bien souvent d’ailleurs, ce sont des
conducteurs locaux qui font la navette jusqu’aux hébergements.
On l’imagine lointaine. Pourtant, la région
la plus septentrionale d’Europe n’est qu’à trois
heures d’avion de Paris. Un paradis blanc
où l’on se laisse glisser, à ski ou en traîneau
Le mont Ÿllastunturi, qui domine la vallée de Kolari du haut de
ses 719 mètres, se situe, lui, à une
vingtaine de minutes de route de
Kittilä. A son pied s’est établie Ylläs, station de ski chérie des Finlandais. Avec ses quelques hôtels
et sa poignée de commerces, difficile pourtant de croire qu’elle est
la plus importante du pays. « C’est
parce qu’ici, les chalets sont cachés
dans les bois », explique Sébastien, un Français installé dans la
région depuis quinze ans,
aujourd’hui organisateur d’activi­
tés chez Lapland Safaris. « Je ne
veux pas dire par là qu’il y a du
monde, seulement un peu plus
qu’on peut le croire. N’oublions pas
qu’on trouve ici plus de rennes que
d’habitants », plaisante­t­il… sans
mentir.
Sur les pistes de ski, on pourrait
d’ailleurs croire que les touristes
aussi sont cachés dans les bois
tant ils se font rares. Dans la lu­
mière rose de la fin de matinée ou
dans la nuit précoce, l’amateur de
pentes douces et de calme s’en
donne à cœur joie. On peut même
profiter de la glisse jusqu’à
19 heures passées, avantage non
négligeable d’une station dotée
d’un dispositif d’éclairage. Pour
une escapade en motoneige,
moyen de locomotion optimum
dans la région, il faudra, en revan­
che, se lever de bonne heure. Sur
À TRAVERS LES BOIS
OU SUR LES LACS GELÉS,
DANS LE PLUS ABSOLU
DES SILENCES,
LES RENNES TRACTENT
LEURS PASSAGERS
BLOTTIS SOUS D’ÉPAISSES
COUVERTURES
Le soir, à Ylläs, les skieurs peuvent profiter de la glisse sur des pistes éclairées. AKU HÄYRYNEN/LEHTIKUVA/SIPA
des routes réservées à ce type
d’engin, phares allumés, la balade
n’en sera que plus mystique.
Avec leurs branches ployant
sous le poids de la neige, les sa­
pins prennent vie, devenant tour
à tour des visages ou d’inquiétan­
tes silhouettes. Et malgré le bruit
des moteurs, il n’est pas improba­
ble que le passager ou le conduc­
teur – qui devra forcément être titulaire du permis de conduire –
puisse entrevoir un renne. Une
apparition magique.
Légendes de Sames
Si la plupart de ces bêtes placides
vivent en liberté, chacune a un
propriétaire, identifiable grâce à
un petit poinçon à la forme spéci­
fique appliqué sur l’une de ses
oreilles. On raconte que ce sont
les Sames, que l’on nomme
aujourd’hui les Lapons, qui
auraient été les premiers à les domestiquer pour leur viande et
leur fourrure, il y a plus de trois
mille ans. Encore nombreux dans
la région, les éleveurs proposent
parfois aux visiteurs de s’en ap­
procher au plus près en organi­
sant des promenades en traîneau,
comme le fait une famille implantée à quelques centaines de mè­
tres du village de glace de Lainio.
A travers les bois ou sur les lacs
gelés, dans le plus absolu des si­
lences, les cervidés tractent leurs
passagers blottis sous d’épaisses
couvertures. L’escapade achevée,
la maîtresse de troupeau sert à ses
hôtes un jus de baies, boisson typique de Laponie, au coin du feu.
Moins feutrée mais tout aussi
marquante, la conduite d’un
autre traîneau, cette fois tiré par
des huskys sibériens. L’activité
« carte postale » de Laponie s’il en
est. A quelques kilomètres d’Ylläs,
une ferme propose des parcours
de plusieurs kilomètres en com­
pagnie de ces chiens résistant aux
températures les plus basses. Dès
l’entrée de la propriété, ils se font
d’ailleurs entendre, hurlant d’im­
patience. Les huskys sentent venir le signal de départ. S’amorce
alors une véritable traversée fan­
tastique, effectuée dans la pé­
nombre, à la lueur des lampes torches qui éclairent la route à l’attelage. L’impression d’être ailleurs,
sur une planète non identifiée.
On aimerait que la balade ne
s’arrête jamais. Comme ce séjour
hors du temps, au cœur des plaines laponnes, blanches et silencieuses. p
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0123
MERCREDI 3 FÉVRIER 2016
FRANCE | CHRONIQUE
par gé r ar d co urtois
Primaire : la foire
d’empoigne
L
e constat est assez rare, à
gauche, pour être souligné. Des responsables de
partis aux intellectuels, de
Jean-Luc Mélenchon (Parti de gauche) à Jean-Christophe Cambadélis (PS), de l’écologiste Cécile Duflot aux frondeurs socialistes, du
communiste Pierre Laurent à
l’économiste Thomas Piketty, de
Daniel Cohn-Bendit au sociologue
Michel Wieviorka, tout le monde
est d’accord sur un point : si la gauche ne prend pas rapidement le
taureau par les cornes, si elle ne
trouve pas le moyen de se ressourcer et de se rassembler, elle court à
la catastrophe en 2017. Quant au
président de la République, pour
l’heure silencieux, il n’est pas le
dernier à savoir que le candidat
d’une gauche fracturée et en
guerre contre elle-même n’aurait
aucune chance face à la présidente
d’un Front national conquérant et
au candidat des Républicains, si
toutefois celui-ci est porté par une
primaire réussie.
Mais c’est bien le seul point d’accord entre tous les partis, toutes
les familles, tous les courants de la
gauche. Dès que sont posées les
questions du pourquoi et du comment, du bilan et du projet, et plus
encore de la désignation du ou de
la candidat(e) susceptible de fédérer et de mobiliser tout ce beau
monde, c’est la foire d’empoigne,
la suspicion généralisée, la division assurée.
Prenez cette grande primaire
des gauches et des écologistes à laquelle ont appelé, début janvier,
une cinquantaine d’intellectuels
engagés dans la vie des idées, de la
culture ou dans l’action politique.
Qui, à gauche, pourrait récuser
une démarche qui avait si bien
réussi aux socialistes en 2011 ?
L’ambition n’est-elle pas de combattre la passivité face au vote
Front national et à la droitisation
de la société, de refuser les renoncements face aux inégalités sociales, à la dégradation environnementale, aux discriminations et à
l’affaissement démocratique, de
débloquer le système politique, de
réanimer le débat et de construire
un projet positif sur la base
d’idées et d’échanges exigeants,
bref de se réapproprier l’élection
présidentielle ?
Réquisitoire
Mais les refondateurs autoproclamés de la gauche ne s’arrêtent pas
là. Leur initiative repose sur un réquisitoire implacable de la politique menée depuis bientôt quatre
ans par François Hollande : injustifiable projet de déchéance de la nationalité, mise en œuvre de modè­
les économiques et sociaux destructeurs ou obsolètes, absence de
perspectives claires et de résultats
tangibles, impuissance à enrayer
la progression de l’extrême droite,
personnel politique devenu synonyme de caste et d’oligarchie… Dès
lors, sans même parler du chef de
l’Etat, on imagine mal comment
quiconque – responsable ou électeur – ayant soutenu son action ou
y ayant participé pourrait accepter
de se jeter dans une telle fosse aux
lions, sauf à pousser l’autocritique
jusqu’au masochisme.
C’est d’ailleurs ce que l’on observe depuis que cet appel a été
lancé. Seules des mouvances de la
QUI POURRAIT
RÉCUSER
UNE DÉMARCHE QUI
AVAIT SI BIEN RÉUSSI
AUX SOCIALISTES
EN 2011 ?
ENSEMBLE, LES
GAUCHES PEUVENT
S’IMPOSER ; EN
ORDRE DISPERSÉ,
ELLES SONT SÛRES
D’ÉCHOUER
gauche la plus critique envisagent
d’y répondre. Chacune avec ses
préoccupations tactiques particulières, mais toutes avec le même
ressort : récuser François Hollande, l’écarter ou le dissuader.
Planche de salut
C’est le cas de l’ancienne « patronne » des écologistes, Cécile
Duflot, tentée de se présenter
en 2017 : alors que son parti est un
champ de ruines, dévasté par les
guerres picrocholines et les règle­
ments de comptes fratricides, une
telle primaire peut constituer une
planche de salut. De même, le
communiste Pierre Laurent se dit
ouvert aux échanges et aux débats, mais c’est pour mieux tenter
de différer le moment où son partenaire du Front de gauche, JeanLuc Mélenchon, imposera sa candidature de façon solitaire et péremptoire. Car l’ancien candidat
de 2012, convaincu d’incarner la
« vraie » gauche et la seule alternative à François Hollande, n’entend
nullement se soumettre à une primaire qui ne serait, à ses yeux, que
perte de temps et source de controverses inutiles.
Enfin, pour les frondeurs socialistes, qui viennent d’approuver
vigoureusement la perspective
d’une primaire, c’est l’occasion de
reprendre l’initiative. Depuis
deux ans, ils ont échoué à infléchir la politique économique du
gouvernement ; une telle consultation citoyenne leur permettrait,
espèrent­ils, d’élargir leur contestation à l’ensemble des choix du
chef de l’Etat, en particulier à l’actuel « repli défensif, sécuritaire et
identitaire ». La réponse aux uns et
aux autres du premier secrétaire
du PS, Jean-Christophe Cambadélis, dans un entretien à L’Opinion,
est donc logique : « Participer à
une primaire qui fixe comme périmètre le “Tout sauf Hollande”, ça
pose un problème ! C’est graver
dans le marbre la division des gauches », alors qu’elles ne peuvent espérer se qualifier pour le second
tour de la présidentielle qu’en
étant rassemblées.
Les initiateurs de la primaire des
gauches sont parfaitement fondés
à objecter que leur démarche est
précisément destinée à dépasser
ces jeux d’appareils et qu’il est
donc urgent d’engager un débat de
fond avant de s’occuper de la désignation d’un candidat. Ils s’y emploieront, mercredi 3 février, lors
d’une première réunion publique
à Paris. Mais cela ne lève pas quel­
ques questions décisives. Qui, par
exemple, est capable d’organiser
une large consultation, crédible et
convaincante, sinon les partis politiques ? D’autre part, quelle que
soit la force des idées, on peine à
imaginer qu’elle peut bouleverser,
en quelques mois, le rapport des
forces attesté par toutes les élections récentes : le PS recueille plus
de 20 % des suffrages quand le
reste des gauches plafonne, au
mieux, à 10 %.
L’on en revient au constat initial.
Ensemble, les gauches peuvent
s’imposer ; en ordre dispersé, elles
sont sûres d’échouer. Or, le débat
sur la primaire le démontre cruellement : elles sont plus divisées
que jamais. p
[email protected]
Tirage du Monde daté mardi 2 février : 241 323 exemplaires
LES PRIMAIRES
DE L’IOWA :
LA CHARGE DES
« ANTISYSTÈME »
C
e n’est pas dire du mal de l’Iowa, ni
de la grande prairie du Midwest, que
de constater ceci : ce petit Etat n’est
aucunement représentatif des Etats-Unis.
Avec trois millions d’habitants, une population blanche à 99 %, essentiellement occupée dans l’agriculture, l’Iowa n’a rien de
l’échantillon électoral national. Pour autant,
il a le privilège, exorbitant, d’ouvrir la cam­
pagne des primaires présidentielles. Et, au
minimum, il donne l’air du temps politique.
Pas de surprise à cet égard : la météo est
orageuse. Chez les républicains comme chez
les démocrates, cette première étape de la
longue course à la désignation des deux
candidats au scrutin présidentiel de novembre 2016 a mis en valeur l’humeur antiélitiste de l’électorat. Côté républicain,
l’homme du Tea Party, l’archiconservateur
Ted Cruz, chef des « insurgés » de l’ultradroite, devance Donald Trump, roi de l’immobilier et prince de la démagogie la plus
vulgaire. Ils défendent les mêmes idées.
Chez les démocrates, Hillary Clinton a bien
du mal à distancer le rebelle du parti, Bernie
Sanders, 74 ans, sénateur du Vermont, pourfendeur d’une élite politique qu’il juge
« corrompue » et peu courageuse. Elle ne
l’emporterait que de quelques voix.
Dans un cas comme dans l’autre, les bons
scores des « antisystème » témoignent de la
défiance d’une opinion au moral pessimiste.
Elle n’est pas convaincue par une reprise
molle, qui paraît sans impact sur le niveau
des salaires et l’accroissement des inégalités.
Elle éprouve un sentiment de déclin stratégique, devant la persistance du terrorisme islamiste et des engagements peu concluants
des Etats-Unis à l’étranger, notamment au
Moyen-Orient. républicains et démocrates
n’en tirent pas les mêmes leçons.
Comme l’indiquaient la plupart des sondages, Cruz, 46 ans, sénateur du Texas, baptiste, bénéficie du vote « évangélique » dans
l’électorat républicain. Il s’est aligné sur
Trump pour stigmatiser l’immigration, dénoncer la mollesse de la direction républicaine, préconiser des bombardements à
outrance en Syrie et en Irak, promettre la fin
de la lutte contre le réchauffement climatique, réduire « l’obésité » de l’Etat fédéral et
autoriser tout Américain à acheter librement son fusil d’assaut.
Sanders, idole des jeunes démocrates,
tonne contre une élite politique otage des
groupes d’intérêts qui financent les campagnes électorales. Il n’accepte que des donations individuelles. Il dénonce la corrution
exercée par l’argent sur la démocratie américaine. Il dit douter de l’indépendance
d’Hillary Clinton vis-à-vis de Wall Street,
dont elle accepte les contributions. Sur l’assurance-santé, le contrôle des banques, l’accès à l’éducation supérieure, il double
Hillary Clinton sur sa gauche.
La bonne tenue des « insurgés » est-elle
durable ? Dans les deux camps, « l’establishment » est bien décidé à soutenir massivement « ses » candidats : Mme Clinton pour
les démocrates, Mario Rubio pour les républicains. Celui-ci, 44 ans, sénateur de Floride,
reste solidement dans la course, avec une
troisième position juste derrière Donald
Trump. Il faut compter avec lui. Sur la durée,
Hillary Clinton, 68 ans, cumule nombre
d’atouts : expérience, soutien du populaire
Bill Clinton, financement assuré, punch à revendre, enfin cette motivation en forme de
défi à relever – être la première femme à la
Maison Blanche.
Au terme de ce galop d’essai dans la prairie
du Midwest, les candidats de l’élite traditionnelle tiennent le coup face à ceux de
« l’insurrection » antisystème. p
Bataille des taxis : les plates-formes
de VTC organisent leur riposte
La mue de BT,
opérateur
historique du
Royaume-Uni
▶ Les sociétés de véhicules
▶ Les VTC réfutent
▶ Les plates-formes
▶ En Espagne, le français
de tourisme avec chauffeur
(VTC) – dont Uber et
SnapCar – manifesteront
mercredi 3 février
au nom de l’emploi
la volonté de l’exécutif
de durcir l’usage du statut
« Loti » réservé aux chauffeurs qui transportent
moins de neuf personnes
incitent les candidats
chauffeurs VTC à choisir
le statut « Loti » pour
utiliser leur service et faire
grossir ainsi leur flotte
Blablacar est accusé de
concurrence déloyale par
la Confédération espagnole
de transport en autobus
I
→ LIR E PAGE 3
Google détrône Apple à Wall Street
▶ La firme
de Mountain View
a annoncé
des résultats
en forte hausse
▶ Sa capitalisation
boursière dépasse
désormais
celle de sa rivale
▶ La recherche
sur mobile
devrait doper
la profitabilité
du groupe
→ LIR E
PAGE 6
l est né en 1846, mais veut
s’offrir une seconde jeunesse.
L’opérateur télécoms historique du Royaume-Uni, BT (ex-British Telecom), qui a perdu jusqu’à
1 million d’abonnés par an à ses
lignes fixes, il y a quelques années, a opéré un virage stratégique pour inverser la tendance.
Sous la houlette de Gavin Patterson, BT s’est « reconstruit », affirme le directeur général dans
un entretien au Monde. Il a
d’abord lancé, en 2013, quatre chaînes de télévision consacrées au sport, regroupées sous
l’appellation BT Sport. Pari risqué : le bouquet Sky de Rupert
Murdoch écrase le marché outreManche.
Seconde décision : le rachat, effectif depuis vendredi 29 janvier,
du réseau de téléphonie mobile
EE, pour 16,5 milliards d’euros.
C’est un retour sur ce marché
pour BT, qui avait vendu son réseau mobile, O2, en 2002.
La plus vieille entreprise de télécommunications au monde incarne désormais la « convergence » entre réseaux et contenus : elle propose des chaînes de
télévision, de la téléphonie fixe,
de l’Internet haut débit et un réseau mobile.
Pour mettre en œuvre cette diversification, le groupe s’appuie
sur la fibre optique. Un investissement coûteux, mais indispensable, selon M. Patterson. p
→ LIR E PAGE 8
16,5
La cotation
d’Alphabet (Google)
au Nasdaq,
lundi 1er février.
C’EST, EN MILLIARDS D’EUROS,
LA SOMME DÉPENSÉE PAR BT
POUR ACQUÉRIR LE RÉSEAU
DE TÉLÉPHONIE MOBILE EE
MARK LENNIHAN/AP
FINANCES
UN « MADOFF » CHINOIS
ESCROQUE PRÈS D’UN
MILLION DE PERSONNES
→ LIR E
PAGE 4
EUROPE
LE PLAN DE BRUXELLES
CONTRE
LE FINANCEMENT
DU TERRORISME
→ LIR E
PAGE 5
J CAC 40 | 4 363 PTS – 0,66 %
J DOW JONES | 16 449 PTS – 0,10 %
j EURO-DOLLAR | 1,0908
J PÉTROLE | 33,94 $ LE BARIL
j TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,65 %
VALEURS AU 02/02 – 9 H 30
PERTES & PROFITS | GOOGLE-APPLE
Le prix du rêve
L
es investisseurs aiment s’endormir en
écoutant de belles histoires. Leur préférée en ce moment de grande incertitude, c’est celle de Google. Deux petits
gars qui, en 1998, ont réinventé l’Internet et gardent intacte leur capacité à innover. Ils ont donc
applaudi aux résultats financiers du groupe californien en propulsant sa valeur boursière audelà des 550 milliards de dollars (504 milliards
d’euros). La firme de Mountain View est désormais la société la plus chère du monde.
Il faut dire que ces résultats (pour 2015) ont de
quoi remplir d’optimisme analystes et investisseurs. Un chiffre d’affaires qui dépasse les
75 milliards de dollars et dont la croissance s’accélère, tout comme la rentabilité, avec plus de
23 milliards de dollars de profit opérationnel.
Un enthousiasme néanmoins surprenant au
regard des pertes colossales de sa division
« nouveaux paris », qui rassemble les efforts de
diversification de l’entreprise au-delà du revenu publicitaire généré par son moteur de recherche et par sa filiale YouTube. Pour la première fois, Google a en effet chiffré les coûts de
développement de sa voiture sans chauffeur,
de ses recherches sur la santé ou l’intelligence
artificielle : 3,5 milliards de dollars de pertes,
soit le double de celles de 2014.
En face, Apple ressuscite quelques vieux cauchemars. Celui d’un marché chinois qui pourrait s’effondrer, d’une saturation du monde en
téléphones mobiles et de la promesse envolée
des tablettes tactiles. Et, derrière, pas grandchose pour faire rêver, si ce n’est une montre-
Cahier du « Monde » No 22099 daté Mercredi 3 février 2016 - Ne peut être vendu séparément
bracelet qui ne promet pas de changer la face
du globe comme les voitures autonomes ou la
quête de l’immortalité.
Mais, à y regarder de près, Apple est en train de
devenir une vraie bonne affaire financière. La
société est trois fois plus grosse que Google en
termes de revenus comme de profits. Elle vaut
en Bourse à peine dix fois ses résultats opérationnels, contre plus de quarante fois pour sa rivale. Ses très chers smartphones font toujours
fureur et la croissance de son activité services
est tout aussi prometteuse que celle de Google.
Passage de témoin
Mais voilà, les marchés apprennent à vivre au
rythme des technologies. Toujours plus rapide, toujours en quête de nouveaux rêves. La
bascule s’est produite en 2011, lorsque Apple a
détrôné le pétrolier Exxon comme première
capitalisation mondiale. Un passage de témoin d’une économie à l’autre. Désormais
une entreprise de services grimpe en haut du
podium. Et, en dépit du marasme sur les marchés actions, qui n’épargne pas les valeurs high-tech, cinq des neuf plus importantes capitalisations boursières américaines sont issues
de ce secteur, Microsoft, Facebook et Amazon
rejoignant le duo de tête.
Plus que jamais, les investisseurs ont besoin
de raisons d’espérer dans l’avenir et d’imaginer des arbres qui rejoignent le ciel. On connaît désormais le prix qu’ils sont prêts à payer
pour aimer le futur. p
philippe escande
220 PAGES
12 €
ANALYSEZ 2015 // DÉCHIFFREZ 2016
2 | plein cadre
0123
MERCREDI 3 FÉVRIER 2016
La favela
de Paraisopolis,
à Sao Paulo,
dominée par
le luxueux
quartier
de Morumbi.
JOAO MARCOS ROSA/
NITRO-REA
« Les Misérables » do Brasil
De 2003 à 2010, 25 millions de Brésiliens sont sortis
de la pauvreté. Mais, avec la récession qui étrangle le pays,
la réduction des inégalités n’est plus une priorité du pouvoir
REPORTAGE
E
sao paulo - correspondante
lle a le fatalisme de ceux que la
vie n’a jamais épargnés et se réjouit que les rats ne rôdent pas
autour de sa baraque de bois.
« Grâce à Dieu. » Eugenia Oliveira a 35 ans, six enfants, bientôt sept, vit dans deux pièces à l’architecture
approximative et dangereuse dans le bas de
Paraisopolis, un bidonville du sud de Sao
Paulo, la mégapole brésilienne. Un rideau
poisseux sépare la cuisine d’environ quatre mètres carrés d’une chambre à coucher à
peine plus grande où s’entasse la famille
dans la crasse et l’humidité, la télévision
branchée sur TV Globo, la chaîne la plus populaire du pays. « L’hiver on gèle, l’été on
cuit », plaisante-t-elle.
Quand sa petite dernière est née avec un
problème cérébral, Eugenia a dû quitter son
emploi de femme de ménage et la maison en
dur qu’elle occupait un peu plus haut sur la
colline, incapable de payer le loyer exorbitant
(300 reais, soit 67 euros) que le propriétaire lui
réclamait. Elle tient avec la Bolsa familia (littéralement la « bourse famille »), offerte par
l’Etat aux plus miséreux en échange de la scolarisation des enfants, et attend une subvention pour sa fille.
Ce soir de janvier, l’eau de pluie mêlée aux
égouts ruisselle le long d’une rue boueuse.
L’odeur d’urine se mêle à celle de la friture
des cuisines alentour dans le bruit incessant
que génère la promiscuité. A quelques centaines de mètres, on aperçoit les immeubles
luxueux de Morumbi. Des appartements de
plusieurs millions de reais, avec piscine, terrasse et sauna, où travaillent comme domestiques certains habitants de la favela.
Contraste choquant, témoin des inégalités
vertigineuses, Paraisopolis ne fait pas mentir
les statistiques qui évoquent une distorsion
des richesses équivalente à celle du début du
XIXe siècle en France ou au Royaume-Uni.
L’époque des Misérables de Victor Hugo et des
romans de Charles Dickens, rappelait le 5 janvier l’hebdomadaire brésilien CartaCapital.
Selon l’organisation non gouvernementale
Oxfam, 62 milliardaires détiennent autant de
richesses que la moitié de la population mondiale, soit 3,6 milliards de personnes. Parmi
eux, deux Brésiliens : l’homme d’affaires et
ex-champion de tennis Jorge Paulo Lemann
et le banquier Joseph Safra.
Au Brésil, les données ne permettent pas de
mesurer les inégalités de patrimoine, mais
l’écart des seuls revenus donne une idée du
problème : selon l’Institut brésilien de géographie et de statistiques, les 1 % des plus riches, en 2014, gagnaient en moyenne
14 548 reais par mois (3 332 euros), contre
155 reais pour les 10 % les plus pauvres. Près
de cent fois moins. « C’est assez alarmant »,
observe Marc Morgan Mila, élève de Thomas
Piketty, qui rédige une thèse sur les inégalités
brésiliennes à l’Ecole d’économie de Paris.
LA CRAINTE D’UN RETOUR EN ARRIÈRE
En cause, accuse-t-il, une fiscalité qui, à certains égards, donne au Brésil des allures de
paradis fiscal. Les revenus tirés des dividendes des entreprises et touchés par les personnes physiques ne sont pas taxés, la fiscalisation du patrimoine est quasi absente, celle
des héritages est légère et l’impôt sur le revenu est peu progressif, avec une tranche
marginale maximale de 27,5 % (contre plus
de 40 % en France). L’essentiel des recettes
fiscales vient des impôts indirects tirés de la
consommation comme la TVA, dont riches
et pauvres s’acquittent de manière identique
et inéquitable. Au final, un millionnaire paie
« APRÈS L’ABOLITION
DE L’ESCLAVAGE
EN 1888, LE BRÉSIL
(...) A FOSSILISÉ
LES INÉGALITÉS DE
RICHESSES QUI SONT
AUSSI DES
INÉGALITÉS DE GENRE
ET DE RACE »
ANDRÉ CALIXTRE
directeur d’études à l’IPEA
(Brasilia)
proportionnellement 25 % de moins qu’un
travailleur de la classe moyenne.
« Après l’abolition de l’esclavage, en 1888, le
Brésil n’a pas eu de véritable réforme
agraire. On a fossilisé les inégalités de richesses qui sont aussi des inégalités de genre et de
race », commente André Calixtre, directeur
d’études à l’Institut de recherche économique appliquée (IPEA), à Brasilia. Les grands
propriétaires terriens, ex-colons, Blancs, ont
transformé leur fortune agraire en patrimoine industriel, financier ou immobilier,
quand les descendant(e) s d’esclaves se sont
maintenu(e) s dans la pauvreté. En 2014, un
homme blanc gagnait en moyenne
2 393 reais, contre 956 reais pour une femme
noire, souligne M. Calixtre.
Pourtant, le Brésil, ex-star des pays émergents, s’est engagé au début des années 2000
sur la voie du développement qui a bénéficié
d’abord aux plus modestes. Aidés par le
boom du prix des matières premières et la
politique sociale du gouvernement de Luiz
Inacio Lula da Silva, du Parti des travailleurs
(PT, gauche), au pouvoir de 2003 à 2010,
25 millions de Brésiliens sont sortis de la
pauvreté. De 2002 à 2014, le salaire minimum a augmenté en termes réels de 77 %,
soit bien plus que le revenu moyen (+ 40 %).
Entre 2004 et 2014, le taux de Brésiliens vivant dans l’extrême pauvreté – avec moins
de 1,25 dollar par jour (1,14 euro) – a été divisé
par trois (de 9,37 % à 3,09 %).
« Les inégalités se sont réduites, mais pas assez », commente Katia Maia, directrice d’Oxfam Brésil. Pour aller plus loin, il aura manqué la réforme fiscale que certains espéraient d’un gouvernement de gauche. Pragmatique, l’ancien président a veillé à ne pas
affoler le « mur de l’argent » : « Lula a concen-
tré son action pour aider les plus pauvres, sans
gêner les plus riches », résume Morgan Mila.
Une tactique que certains ont mise au jour
dès son arrivée au pouvoir en 2003, lorsqu’il
s’est rendu à la fois au sommet économique
de Davos, symbole du capitalisme, et à son
contrepoint, le forum social de Porto Alegre.
Aujourd’hui, la récession, l’inflation à deux
chiffres et la montée du chômage font craindre un retour en arrière. En 2015, le pays a
perdu 1,5 million d’emplois et l’économie informelle progresse. Or, « le meilleur programme social, c’est l’emploi », estime Heloisa
Oliveira, de la fondation Abrinq, qui vise à
protéger les enfants et les adolescents. « La
crise peut aggraver la vulnérabilité des plus jeunes », s’inquiète-t-elle, rappelant qu’en 2010
19 % des mères brésiliennes avaient moins de
19 ans et que, dans le Nordeste, plus d’un tiers
de la population a entre 0 et 18 ans et vit dans
les favelas. Dans certains Etats comme l’Acre,
en Amazonie, le plus pauvre du pays, le coefficient de Gini, qui mesure les inégalités, a recommencé à s’aggraver en 2015. Pour préserver l’avenir, Mme Oliveira regrette que l’accent
ne soit pas mis davantage sur l’éducation.
Mais le temps n’est plus à la dépense. La présidente Dilma Rousseff (PT), menacée de destitution, a cessé depuis 2014 de mener une politique sociale sur le modèle de son prédécesseur, prenant le tournant de la rigueur. Même
les dépenses sacrées du carnaval, début février, ont été revues à la baisse. Cette austérité
peut se révéler positive si Brasilia réforme un
Etat dépensier et peu efficace, mais aussi négative si les coupes budgétaires sont faites à la
va-vite et affectent les programmes sociaux
au point de compromettre l’ambition brésilienne de fonder une société plus égalitaire. p
claire gatinois
La valse des étiquettes pousse la population dans la rue
en revenant du marché, Claudia, mère de
trois enfants, n’en a pas cru ses yeux. Ses 30 reais
(6,75 euros) ne lui ont permis d’acheter que des
fruits. Pas de légumes. « L’inflation, on la sent directement dans le porte-monnaie », se plaint la jeune
femme, employée de banque.
Comme Claudia, les plus modestes sont les premières victimes de l’inflation galopante. Fin 2015, la
hausse des prix a atteint 10,7 %, bien au-delà de la limite de 4,5 % jugée acceptable par la banque centrale
du Brésil. Du jamais-vu depuis 2002. En dépit de la récession et du chômage, les prix s’envolent du fait de
la dévaluation vertigineuse du real, la monnaie brésilienne (– 30 % en un an face au dollar). A cela s’ajoute
le réajustement explosif du prix de l’eau (+ 14,75 %), de
l’électricité (+ 51 %) ou de l’essence (+ 20 %), maintenus artificiellement bas en 2014 par l’Etat.
L’adage veut qu’inflation rime avec révolution. Si
le Brésil est aujourd’hui loin du cauchemar des années 1990 où les étiquettes valsaient à plus de
2 000 % l’an, la population gronde.
Un pays pris en étau
Depuis l’annonce, début janvier, de la hausse de
30 centavos du ticket de bus, passé de 3,50 à
3,80 reais, les manifestations orchestrées par le Movimento Passe Livre se multiplient et dégénèrent à
Sao Paulo. La police réprime, mais l’exaspération ne
disparaît pas. De fait, la glissade des prix n’en finit
pas. En janvier, l’Institut brésilien de géographie et
de statistiques relevait une hausse de 24 % du prix de
la carotte. Entre autres. Selon les experts, la hausse
des prix devrait encore avoisiner 7 % en 2016.
Juguler ce fléau est une gageure. Le pays est pris en
étau. Lutter contre l’inflation risque d’accentuer la
récession et de laisser les prix déraper et appauvrir
encore la population. Face à ce choix cornélien,
Alexandre Tombini, président de la banque centrale,
a décidé, le 20 janvier, de ne pas relever les taux directeurs, aujourd’hui à 14,25 %. Renchérir le coût du crédit aurait pénalisé la consommation et l’investissement, et donc la croissance. Un choix étrange pour
un banquier central censé être le gardien des prix.
La rumeur prétend que M. Tombini aurait été influencé par la présidente, Dilma Rousseff, affolée par
la chute du PIB brésilien, avec qui il avait rendez-vous
deux jours plus tôt. En 2015, le PIB se serait contracté
de 3,8 %, selon le FMI. L’institution internationale ne
prévoit pas d’amélioration rapide cette année puisque le PIB devrait diminuer d’encore 3,5 %. p
c. g. (sao paulo, correspondante)
économie & entreprise | 3
0123
MERCREDI 3 FÉVRIER 2016
Les plateformes
de VTC entrent
en résistance
Uber, SnapCar et les autres
« VTcistes » défileront mercredi
3 février à Paris
C’
est au tour des plates-formes de véhicules de tourisme
avec chauffeur (VTC)
de manifester. Une semaine après
la mobilisation des taxis, l’association Alternative mobilité
transport (AMT) appelle les chauffeurs dits « Loti » à manifester
mercredi 3 février à Paris. SnapCar
invite aussi ses conducteurs à descendre dans la rue. « La manifestation sera silencieuse, calme, en
rupture totale avec la manière
dont les taxis manifestent », assure
le président de cette start-up, Yves
Weisselberger, en faisant allusion
au blocus anti-VTC monté par les
taxis fin janvier à Paris, aux aéroports d’Orly et de Roissy.
Instauré par la loi d’orientation
territoriale (Loti) en 1982, ce statut
est réservé aux chauffeurs professionnels qui transportent des
groupes inférieurs à neuf personnes. « En 2014, un décret en a précisé la définition, en l’accordant au
transport d’au moins deux personnes », précise M. Weisselberger.
Tous les opérateurs, à commencer par Uber, s’inquiètent du sort
que l’Etat va réserver à l’emploi de
ces chauffeurs professionnels.
Vendredi 29 janvier, le secrétaire
d’Etat aux transports, Alain Vidalies, a mis en demeure vingt plates-formes de se « mettre en conformité avec la loi », précise son cabinet. « Vingt ! Vous vous rendez
compte ? Moi, je suis incapable de
citer vingt sociétés de VTC en
France », persifle M. Weisselberger.
Rassurer les syndicats de taxis
Depuis la loi Thévenoud qui,
en 2014, a rendu obligatoire une
formation de 250 heures (soit
3 mois et moyennant 3 000 euros
environ) pour devenir chauffeur
VTC, les plates-formes ont recommandé aux candidats VTC de
prendre le statut Loti pour utiliser
leurs services de réservation.
Pourquoi ? La formation est
moins chère et plus courte que
celle des VTC. Et, immédiatement
après enregistrement, le titulaire
peut monter une société Loti, se
mettre au volant d’un véhicule ou
employer des chauffeurs qui, eux
aussi, opéreront sous ce statut.
Très vite, les plates-formes, dont
l’américain Uber, leur ont ouvert
l’usage de leur application. Chez
Les taxis reçus à Matignon
Le député Laurent Grandguillaume (Parti socialiste, Côte-d’Or),
nommé médiateur par le premier ministre, Manuel Valls, devait recevoir à Matignon, mardi 2 février dans l’après-midi, les dix-sept
organisations de taxis pour évoquer les « contrôles » des véhicules
de tourisme avec chauffeur (VTC) et les « coûts » à la charge des
chauffeurs de taxi. Sera notamment évoqué l’envoi des mises en
demeure aux VTC. La teneur de ces lettres ne sera pas révélée.
Celle que doit recevoir Heetch, la plate-forme de transport entre
particuliers, était, lundi 1er février, « toujours en cours de validation »
auprès des conseils juridiques de Matignon. M. Grandguillaume recevra, jeudi 4 février, les représentants des VTC.
Les
chauffeurs
de VTC
avaient
déjà
manifesté le
18 décembre
2015,
porte Maillot,
à Paris. NICOLAS
MESSYASZ/SIPA
SnapCar, les « Loti » représentent
de 15 % à 20 % des voitures. Uber
reconnaît en utiliser mais refuse
d’en révéler le nombre. « A Paris,
environ 15 000 VTC circulent, dont
5 000 sous Loti », estime M. Weisselberger.
La méthode du gouvernement a
des vertus. Par son ampleur, elle
doit rassurer les syndicats de taxis
et leurs adhérents qui exigent
séance tenante contrôles et répression. Son objet est aussi d’affoler les plates-formes, en les frappant au cœur. Le ministère des
transports exige d’ici à fin février
la liste de tous les chauffeurs connectés aux plates-formes de VTC
quand la loi prévoit uniquement
une transmission annuelle de ces
données sans fixer de calendrier.
« Il s’agit de vérifier si ces platesformes détournent le statut Loti »,
explique le ministère.
L’ampleur du recours aux chauffeurs Loti par les applications de
VTC agacent les taxis. Tous y
voient une concurrence déloyale,
notamment parce que ces chauffeurs transportent des personnes
seules, et non des groupes. Les
taxis avaient déjà ferraillé contre
« tous les particuliers qui font taxi »,
note un observateur. C’était
Blablacar obtient un répit en Espagne
Accusée de concurrence déloyale, l’entreprise française de covoiturage
peut continuer son activité en attendant un jugement sur le fond
madrid - correspondance
L’
entreprise française de
covoiturage
Blablacar
pourra continuer, pour le
moment, son activité en Espagne.
Ainsi en a décidé, lundi 1er février,
le tribunal de commerce de Madrid qui avait admis, en mai 2015,
une plainte de la Confédération
espagnole de transport en autobus (Confebus) pour « concurrence déloyale. »
Ce n’est cependant qu’un répit
pour la start-up tricolore. Si les
mesures conservatoires exigées
par le patronat du secteur de
transport en autobus et en autocar ont été rejetées, la justice n’a
pas encore tranché sur le fond. A
savoir si Blablacar est, comme l’affirme la société, « une entreprise
de commerce électronique », voire
un réseau social qui ne fait que
mettre en relation des particuliers pour partager les frais de leur
voyage, ou si elle est, comme le
dénonce Confebus, un service de
transport professionnel dépourvu de la licence adéquat qui
« recommande les prix, gère le
paiement du service via carte de
crédit, prélève une commission de
10 % comme intermédiaire et paie
le conducteur plus de quinze jours
après la réalisation du service ».
Blablacar, qui compte vingt millions d’usagers sur dix-neuf marchés, est installée depuis 2009 en
Espagne, où la plateforme compte
2,5 millions d’inscrits. Jusqu’en 2013, ses services étaient gratuits et n’avaient pas suscité de
réactions du secteur des transports. En les rendant payants, Confebus estime qu’elle a changé de
registre et qu’elle enfreint depuis
la réglementation en vigueur sur
le transport professionnel.
« Tendance imparable »
« La crise économique a favorisé
l’apparition de plateformes technologiques qui jouent les intermédiaires dans de nombreux marchés,
comme celui des appartements
touristiques, des repas ou du transport, qui opèrent en dehors du cadre régulateur et hors du système,
faisant concurrence avec des coûts
inférieurs et de manière déloyale »,
résume Confebus, qui accuse Blablacar d’être responsable d’une
chute de 20 % de son activité.
Sur certains trajets comme celui
entre Madrid et Valence, les offres
des utilisateurs de Blablacar représentent presque la moitié des
places disponibles en autocar. De
quoi « porter gravement préjudice
à un secteur qui génère 88 000 emplois directs », ajoute le patronat.
De son côté, la société Blablacar
s’est dite « satisfaite » de la décision judiciaire, tout en admettant
que ce n’est qu’un « premier pas »
dans « un processus légal » qui posera d’autres « défis ». L’Espagne
est le seul pays où une plainte a
été déposée contre la plateforme
française et celle-ci se montre
confiante car elle estime répondre « à une tendance imparable
dans le monde entier, non seulement dans [son] champ mais dans
d’autres ».
A Madrid, plusieurs procédures
judiciaires visent cependant
d’autres services dits de « l’économie collaborative ». Les associations de taxi ne sont pas parvenues à obtenir la suspension provisoire de l’activité de Cabify,
l’équivalent espagnol d’Uber mais
en revanche, UberPop a été suspendu provisoirement en décembre 2014.
Quant à Airbnb, le site de location touristique entre particuliers, il est sur la sellette à Barcelone où la mairie lui a imposé, en
décembre 2015, une amende de
60 000 euros pour avoir fait la publicité de logements qui n’étaient
pas inscrits au registre du tourisme de Catalogne et ne pas avoir
fourni la liste de ceux-ci. p
sandrine morel
en 2014 lors du débat sur la légalité
d’UberPop, application qui mettait en relation particuliers et passagers. Deux ans plus tard, le débat
porte donc sur les chauffeurs professionnels mais l’objectif est similaire. Les taxis œuvrent pour les
priver de ce réservoir, limiter l’augmentation de leur flotte et, in fine,
comprimer la croissance des VTC.
Matignon a promis de « réprimer tout détournement ». Les pouvoirs publics pourraient exiger de
déconnecter tout chauffeur Loti,
sous peine de fermeture. « Or, une
application VTC peut représenter
jusqu’à 80 % du chiffre d’affaires
d’un chauffeur Loti », prétend Za-
karia Benjelloun, porte-parole
d’Alternative mobilité transport.
Fondée il y a quelques semaines
seulement, l’association, qui dit
représenter une dizaine de sociétés Loti, joue de la carte sensible et
dénonce la mise en danger « de
milliers d’emplois ». « Cela revient
à tuer les entreprises françaises
d’applications VTC », ajoute un observateur du marché.
L’argument est censé faire mouche auprès de certains membres
du gouvernement. A commencer
par Emmanuel Macron. « Les demandes des taxis, c’est de fermer
certaines plates-formes, c’est d’empêcher d’autres de travailler : ça
n’est pas acceptable », a dit jeudi
28 janvier le ministre de l’économie, alors que se tenait une réunion à Matignon. Celui qui, début
janvier, est allé à Las Vegas, au
Consumer Electronics Show,
grand-messe du high-tech, pour
soutenir les start-up françaises
« ne veut pas de mesures propres à
briser une dynamique d’emplois »,
observe un entrepreneur français.
Mais le locataire de Bercy n’a
pour l’instant pas été entendu par
le premier ministre, Manuel Valls,
ancien numéro un du ministère
de l’intérieur, autorité de tutelle
des taxis. p
juliette garnier
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4 | économie & entreprise
0123
MERCREDI 3 FÉVRIER 2016
Le « Madoff chinois » fait 900 000 victimes
Vingt et une personnes ont été arrêtées en Chine, soupçonnées d’avoir détourné 7 milliards d’euros
shanghaï - correspondance
M
adoff dans l’empire
du Milieu. Les autorités chinoises ont
mis au jour une escroquerie à plus de 50 milliards de
yuans (7 milliards d’euros). Ezubao, un des leaders du crédit en ligne, avait attiré 900 000 clients
en leur proposant des rendements à des taux d’intérêt alléchants, allant de 9 % à 14,6 %. Mais
les investissements étaient fictifs.
Ce secteur en plein essor en
Chine, qui met en relation des investisseurs en quête de retours élevés et des entreprises qui peinent à
se financer auprès des grandes
banques, est aussi peu régulé. « A
ma connaissance, 95 % des projets
présentés étaient faux », a avoué,
cité par l’agence Chine nouvelle,
un contrôleur de risque de la société, qui figure parmi les 21 dirigeants et employés d’Ezubao arrêtés.
Ezubao utilisait les nouveaux
dépôts pour financer les intérêts
des précédents investissements :
comme dans le cas de l’escroquerie de Bernard Madoff, révélée
en 2008, c’était un parfait système de Ponzi, a reconnu l’un des
dirigeants de l’entreprise. Le succès de l’entreprise avait fini par attirer l’attention. Le 10 décembre
2015, une partie des fonds de l’entreprise ont été gelés et son fondateur, Ding Ning, arrêté. La nouvelle n’avait pas manqué de provoquer des manifestations d’investisseurs
inquiets
dans
plusieurs grandes villes chinoises, malgré l’interdiction faite aux
médias de couvrir l’affaire.
Dimanche 31 janvier, Ding Ning
est apparu sur la chaîne nationale
CCTV en tenue de prisonnier, reconnaissant les charges qui pèsent lui. Les aveux publics, avant
que le verdict ne condamne les
suspects, sont une pratique courante en Chine. Ses principaux collaborateurs apparaissaient également, dont Zhang Min, le visage
public de la firme. D’après Chine
nouvelle, Ding Ning, le cerveau de
l’opération, lui offrait de somp-
Les épargnants
chinois sont
de plus en plus
nombreux
à se tourner vers
les plates-formes
en ligne pour
placer leurs
bas de laine
tueux cadeaux, dont une villa à
Singapour estimée à 130 millions
de yuans, et 550 millions de yuans
en cash. Le reportage montre
aussi des valises pleines de billets
dans les locaux de l’entreprise.
La mise en scène de CCTV doit
avoir un goût amer pour les
900 000 victimes présumées
d’Ezubao : l’entreprise s’était offert plusieurs spots publicitaires
sur la chaîne nationale, vue
comme la voix du pouvoir, pour
gagner la confiance des investisseurs. Lesquels, disposant d’une
culture économique limitée, sont
à la merci des escrocs comme de
la forte volatilité des marchés
boursiers.
Une « dangereuse jungle »
Mais les Chinois qui cherchent à
placer leur argent n’ont guère le
choix. Les grandes banques d’Etat
rémunèrent aujourd’hui les dépôts entre 0,3 % et 0,35 %, jusqu’à
4,5 % pour les placements à long
terme les plus avantageux. En face,
les plates-formes de finance en ligne proposent en moyenne 12 %.
« Le marché des produits financiers
n’est pas très développé en Chine,
explique Jiazhuo Wang, professeur de finance à la City University
de New York et coauteur de Financing the Underfinanced. Online
Lending in China (Springer, 2014,
non traduit). Pour l’instant, on en
est aux fondamentaux : faibles risques, faibles rendements, risques
élevés, rendements élevés. »
Alors que l’immobilier est incertain et que les Bourses chinoises
Rassemblement d’investisseurs lésés par Ezubao, le 31 janvier, à Pékin. MARK SCHIEFELBEIN/AP
ont chuté, les épargnants sont de
plus en plus nombreux à se tourner vers les plates-formes en ligne
pour placer leurs bas de laine. Depuis ses débuts en 2011, ce marché
a explosé. En 2014, le nombre de
plates-formes a progressé de 50 %
par rapport à 2013, selon Wangdaizhijia, un site d’analyse spécialisé.
Ezubao, fondé en juillet 2014, est
l’un de ces nouveaux venus.
En 2015, elles ont prêté 982 milliards de yuans (136 milliards
d’euros). Soit un quart des sommes prêtées par les banques chinoise, d’après Bloomberg.
Ce nouveau marché vient répondre à une demande de financement des PME chinoises, bou-
dées par les banques d’Etat, qui
préfèrent prêter aux grandes entreprises étatiques présentant
peu de risques. Une alternative
coûteuse mais souvent indispensable. « Si vous comparez aux taux
des banques chinoises, les taux sont
élevés, mais par rapport aux taux
de la finance de l’ombre – le shadow
banking –, qui peuvent aller jusqu’à 40 %, ce n’est rien ! », tempère
le professeur Wang.
Aujourd’hui, environ 3 600 plates-formes de prêts sont enregistrées, mais près d’un tiers sont en
difficulté, d’après le site d’analyse
Yingcan group. « Ce ne sont pas
forcément tous des systèmes de
Ponzi, indique Jiazhuo Wang. Ce
La BCE et son homologue du Japon utilisent cet outil, qui revient à taxer les dépôts
des banques qui dorment dans leurs coffres. Elles pourraient faire des émules
E
taire au-delà d’un certain montant. « Il y a dix ans encore, une
telle pratique était inimaginable »,
rappelle Ben May, spécialiste du
sujet chez Oxford Economics.
Mais depuis la crise, les banques
centrales sont de plus en plus
nombreuses à l’adopter. Après
celles de Suède, du Danemark et
de Suisse, la BCE s’y est mise en
juin 2014, suivie, désormais, par la
BoJ. « Plus les membres de ce club
augmentent, plus il devient difficile pour celles qui ne l’ont pas encore rejoint de résister », confie un
investisseur parisien.
Effets secondaires
L’intérêt du taux de dépôt négatif ? On dit parfois qu’en taxant les
liquidités que les banques laissent
dormir au sein des établissements centraux, on les incite à
prêter plutôt ces sommes aux ménages et aux entreprises. C’est
une explication que les économistes jugent néanmoins peu
convaincante. « Le véritable but
[de cette stratégie] est d’agir sur le
taux de change », explique Frederik Ducrozet, économiste chez
Pictet. En taxant les réserves, la
BoJ incite les institutions financières à aller placer leurs liquidités
hors du Japon, dans un pays où elles seront mieux rémunérées. Ce
Cette stratégie
monétaire n’est
en vérité qu’une
nouvelle facette
de la guerre
des monnaies
qui entraîne une baisse de la demande internationale de yen, et
donc, du cours de la monnaie nippone. De fait, la devise japonaise
s’est dépréciée de 2 % depuis le
29 janvier. « Or, la baisse du yen
fait mécaniquement augmenter le
prix des produits importés, et donc
l’inflation, tout en soutenant la
compétitivité des exportations de
l’Archipel », explique M. May.
Voilà pourquoi les banques centrales qui sont en guerre contre la
déflation ont de plus en plus recours à cet outil. Il n’est pourtant
pas dénué d’effets secondaires.
D’après les calculs de M. Ducrozet,
les taux négatifs représentent un
coût de 2 à 3 milliards d’euros par
an pour les établissements bancaires de la zone euro. Ces derniers « pourraient décider de le répercuter sur leurs clients d’une façon ou d’une autre, ce qui ne serait
pas très bon pour la reprise », ana-
au ralentissement de l’économie
chinoise, le nombre de défauts devrait augmenter.
Mi-décembre, la Commission de
régulation bancaire chinoise a présenté un projet de loi ouvert aux
commentaires publics. Le texte,
qui n’entrera pas en vigueur avant
plusieurs mois, prévoit d’interdire
aux institutions financières d’offrir des garanties aux clients, et de
n’autoriser que la mise en relation
entre prêteur et emprunteur. Les
plates-formes devront soumettre
leurs comptes aux régulateurs financiers locaux après avoir obtenu
leur licence. Un plafond d’endettement sera aussi mis en place pour
limiter les risques. – (Intérim.) p
L’HISTOIRE DU JOUR
Des Brics aux Ticks, le concours
Lépine des émergents
Taux de dépôt négatif, à qui le tour ?
t maintenant, quelle institution monétaire va sortir
du bois ? De nouveau la
Banque centrale européenne
(BCE) ? La Banque de Corée ? La
Banque du Canada ? Depuis quelques jours, les spéculations vont
bon train parmi les investisseurs
et les économistes spécialistes de
la politique monétaire. Sur le réseau social Twitter, dans les notes
envoyées à leurs clients, tous y
vont de leur petite hypothèse,
pressés de savoir quel sera le prochain banquier central à adopter, à
son tour, l’outil du taux de dépôt
négatif – ou à le renforcer encore.
Ces paris ont d’ailleurs fait chuter les taux souverains de plusieurs pays ces derniers jours. A
commencer par ceux à dix ans de
l’Allemagne, passés de 0,404 % à
0,307 % entre le 28 janvier et le
1er février, retrouvant ainsi leur niveau d’avril 2015.
Cela n’a l’air de rien, mais le sujet
est déterminant pour l’économie
mondiale. Surtout depuis que,
vendredi 29 janvier, la Banque du
Japon (BoJ) a surpris la planète finance en baissant son propre
taux de dépôt à – 0,1 %. Cette mesure revient à taxer les établissements bancaires pour les nouvelles liquidités qu’ils déposent dans
les coffres de l’institution moné-
sont aussi des débiteurs en difficulté qui peuvent couler une plateforme. » Face au ralentissement de
la croissance chinoise, le nombre
de défauts ne devrait qu’augmenter. Pour le seul mois de décembre, 106 entreprises étaient en difficulté, en augmentation par rapport à la moyenne de l’année.
Les patrons disparus avec les économies de leurs clients ne sont pas
rares. Sur les réseaux sociaux, des
photos de locaux vidés accompagnés de messages dénonçant des
escrocs se sont multipliés en 2015.
Le manque de règles est patent. En
octobre, la China Merchants Bank
Co. évoquait une « dangereuse jungle en pleine expansion ». Et, face
L
lyse Jean-Louis Mourier, économiste chez Aurel BGC.
Ce n’est pas tout : plus les institutions monétaires sont nombreuses à utiliser les taux négatifs pour
tenter de faire baisser le cours de
leur devise, moins cette technique
fonctionne. Et ce, pour une raison
bien simple : il est impossible que
toutes les monnaies se déprécient
en même temps ! Le système actuel des taux de change flottants
fonctionne en effet selon le principe des vases communicants :
une devise ne peut baisser que si
une autre monte…
Ce qui fait dire à certains économistes que les taux négatifs ne
sont, en vérité, qu’une nouvelle
facette de la guerre des monnaies.
« Disons plutôt qu’ils sont le symptôme de l’absence totale de coordination des politiques monétaires
au niveau mondial », jugent Eric
Chaney et Maxime Alimi, économistes chez AXA IM, dans une
note sur le sujet.
Dans tous les cas, une chose est
sûre : selon les analystes, la BCE,
qui a promis de réévaluer sa politique lors de sa réunion du
10 mars, a de fortes chances de
baisser encore son taux de dépôt,
de – 0,3 % à – 0,4 %. Voire à – 0,5 %.
Les paris sont déjà ouverts… p
es Brics sont morts. Faut-il les remplacer ? Le Financial Times le pense qui, dans son édition du 28 janvier, a souhaité longue vie aux Ticks (Taïwan, Inde, Chine, Corée du
Sud). A elles seules, ces économies tirées par les services, la technologie et la consommation et non par le boom des matières
premières illustreraient la sophistication économique croissante des émergents.
Jim O’Neill, alors chez Goldman Sachs, imagina en 2001 l’acronyme Bric pour désigner les pays qui paraissaient les plus à
même de rattraper les économies avancées.
Pendant la décennie qui suivit, le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine ont connu croissance éleLES TICKS
vée, décollage économique, émergence des clasAURONT-ILS UN ses moyennes… La mondialisation souriait à ces
puissances régionales, rejointes par l’Afrique du
DESTIN MOINS Sud. Leur résilience après 2008 frappa les esprits.
ÉPHÉMÈRE ?
Las ! Depuis 2010, le vent a tourné. La Russie,
qui n’a pas su se diversifier, et le Brésil, handicapé
PAS SÛR !
par ses blocages politiques et structurels, sont en
récession. L’Afrique du Sud semble abonnée à
une croissance molle. L’économie chinoise n’en finit pas d’atterrir. Seuls les 7,5 % de croissance indienne sortent du lot. Tirant les
conséquences de cette évolution, la banque d’investissement
américaine a fermé en 2015 son fonds Bric, passé de 800 millions
à 100 millions de dollars. Les économistes, eux, ont ouvert une
sorte de concours Lépine : HSBC a parié sur les « Civets » (Colombie, Indonésie, Vietnam, Egypte, Turquie, Afrique du Sud), Coface
sur les « CIPP » (Colombie, Indonésie, Pérou, Philippines).
Les Ticks auront-ils un destin moins éphémère ? Pas sûr !
Taïwan et la Corée du Sud, ces ex-dragons asiatiques, sont des
économies avancées. L’Inde et la Chine n’en sont pas là même si
la rapidité d’adaptation de leurs consommateurs aux changements technologiques impressionne les investisseurs. Plutôt
que d’inventer un acronyme pas très heureux, pourquoi ne pas
admettre que les émergents sont trop divers pour qu’on puisse
les ranger derrière une même bannière. p
marie charrel
claire guélaud
économie & entreprise | 5
0123
MERCREDI 3 FÉVRIER 2016
Terrorisme : Bruxelles
a entendu Paris
Le « plan d’action » de la Commission propose de
lever l’anonymat des utilisateurs de cartes prépayées
C’
était une demande
pressante de la
France à Bruxelles,
après les attentats de
janvier 2015. L’électrochoc des tueries du 13 novembre lui aura permis d’être entendue de ses partenaires européens.
Mardi 2 février, Frans Timmermans, le premier vice-président de
la Commission européenne, a présenté un « plan d’action » contre le
financement du terrorisme, en
tout point conforme aux demandes françaises.
Ce plan s’organise autour de
trois grands axes : le contrôle des
plates-formes d’échange de monnaies virtuelles sur Internet ; la
fin du tout-anonymat pour les
cartes prépayées, des moyens de
paiement prisés par les réseaux
criminels et utilisés lors des récentes attaques ; et la mise en
place d’une coopération efficace
entre les différentes cellules de
renseignement financier. Ces mesures, précise-t-on à Bruxelles,
« devraient pouvoir être adoptées
en urgence, d’ici à la fin du
deuxième trimestre 2016 ». Toutes
entrent dans le cadre d’une nouvelle révision de la directive européenne antiblanchiment, la précédente mouture ne datant que
de mai 2015.
Bruxelles propose donc de réguler les plates-formes d’échange de
monnaies virtuelles (bitcoin et
autres) sur Internet, pour l’instant
largement sous le radar des autori-
tés européennes. L’idée est d’assujettir aux règles de vigilance en
matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme l’acte de conversion de ces
monnaies électroniques immatérielles en monnaies ayant cours légal. Ce qui n’est pas le cas
aujourd’hui, cet angle mort de la
régulation financière laissant le
champ libre aux fraudeurs.
La Commission européenne
propose aussi de lever, autant que
faire se peut, l’anonymat des utilisateurs de cartes prépayées. C’est
un point sur lequel le gouvernement français insistait particulièrement. De fait, comme le révèlent
des rapports du GAFI parus en 2015
– l’organisme intergouvernemental antiblanchiment créé en 1989 –,
les cartes sont susceptibles d’être
utilisées massivement par des
groupes criminels (criminalité organisée, trafics de migrants…) et
terroristes, pour blanchir leurs trafics et se financer.
Vendues par certaines banques,
dans leurs réseaux ou en ligne,
mais aussi par des sociétés de paiement sur Internet ou par des commerçants (buralistes, grande distribution…), ces cartes anonymes,
créditées d’un montant qui peut
atteindre plusieurs dizaines de
milliers d’euros, permettent notamment de procéder à des achats
en toute discrétion (armes, billets
d’avion, caches diverses, etc.).
Les attentats du 13 novembre
l’ont montré. Des cartes prépayées
Un système financier vulnérable
Pour le Groupe d’action financière (GAFI), cet organisme intergouvernemental anti-blanchiment, le système financier international
est « vulnérable » face à l’argent du terrorisme. Dans un rapport
publié en octobre 2015, le GAFI exhorte les Etats à « suivre la piste
financière des organisations terroristes », afin de pouvoir les sanctionner. L’organisation Etat islamique (EI) est devenue l’organisation terroriste la plus riche du monde depuis sa razzia sur les réserves d’or de la banque centrale d’Irak à Mossoul, en 2014
(423 millions d’euros). Si l’essentiel de ses ressources reste en Syrie, l’EI en fait sortir une part substantielle pour financer sa guerre.
Selon Bruxelles,
ces mesures
« devraient
pouvoir être
adoptées
en urgence »
ont été retrouvées lors des perquisitions des services de police judiciaire sur les lieux de cache d’individus mis en cause. Une note de la
France à ce sujet a été envoyée à
Bruxelles le 2 décembre.
La Commission veut mettre en
place un système de seuils de retraits ou de transferts d’argent audelà desquels une identification
de l’utilisateur de la carte serait requise. Le contrôle d’identité pourrait intervenir au moment où la
carte est activée.
Fichier centralisé des comptes
Le calibrage de cette mesure n’est
pas achevé, les fonctionnaires
européens ayant en tête de ne pas
pénaliser les publics « fragiles ou
sensibles » consommateurs de ces
cartes (interdits bancaires, population immigrée envoyant de l’argent dans leur pays d’origine…). Il
s’agit de ne pas créer d’abus par
rapport aux droits fondamentaux.
Une dernière mesure devrait
être rapidement mise en musique : l’élaboration d’un cadre de
coopération efficace et précis entre les différentes unités européennes de renseignement financier, équivalents du Tracfin français, pour sa part rattaché à Bercy.
Bruxelles devrait exiger que tous
les Etats membres disposent d’un
fichier centralisé des comptes bancaires, comme il en existe, par
exemple, en France avec le Ficoba.
Celui-ci recense les comptes de
toute nature (bancaires, postaux,
d’épargne…) détenus par les personnes et les sociétés.
D’autres dispositions devraient
ISABELLE ROZENBAUM/
ALTOPRESS/MAXPPP
suivre et compléter ce plan d’action censé entraver les réseaux terroristes, en les empêchant de faire
circuler de l’argent et de se financer. Si la Commission suit sa feuille
de route sans faiblir, d’ici à fin
2016, deux textes législatifs, pour
leur part complètement nouveaux, devraient être présentés :
l’un, pour harmoniser en Europe
la définition des infractions en
matière de blanchiment et lever
certains obstacles à la coopération
judiciaire et policière.
L’autre texte s’attachera à mieux
surveiller les mouvements d’espèces. Bruxelles réfléchit en effet à
Les seniors, une génération connectée
Les plus de 50 ans passent plus de temps sur Internet que leurs cadets, selon une étude
E
tre vieux ne veut pas dire
être sur la touche. Contrairement aux idées reçues,
les
seniors
représentent
aujourd’hui une « génération sociable et connectée », selon l’étude
annuelle sur la consommation de
l’Observatoire Cetelem, publiée
mardi 2 février. Les plus de 50 ans
représentaient 38,5 % de la population européenne sur les 13 pays
où a été menée l’étude, soit
164 millions d’individus, selon
l’institut de statistiques Eurostat,
qui prévoit que ce chiffre devrait
atteindre 44,1 % en 2030.
« Les 50-75 ans ne sont pas du tout
une génération égoïste, qui profite
de son argent pour se faire plaisir.
Elle est extrêmement solidaire avec
les générations qui l’entourent,
constate Flavien Neuvy, responsable de l’observatoire Cetelem. C’est
une génération qui se retrouve souvent avec un ou deux parents dans
le grand âge. Donc avec des questions de dépendance et des conséquences financières importantes,
comme dans le cas d’un placement
en maison de retraite. » Trenteneuf pour cent des seniors en Europe déclarent ainsi aider un ascendant. Cette aide concerne en
premier lieu les dépenses courantes et l’achat de nouveaux équipements, souligne l’étude.
Mais les seniors s’occupent
aussi de leurs enfants, voire de
leurs petits-enfants : 32 % des
Européens de plus de 50 ans déclarent héberger encore un enfant chez eux et 78 % disent aider
financièrement, de manière régulière ou occasionnelle, leurs
descendants. « Cela peut être pour
avancer les frais de notaire pour
un achat immobilier, être caution
pour un logement, ou un apport
personnel pour l’achat d’une voiture, avance M. Neuvy. C’est une
génération qui est un peu prise en
étau et qui dépense beaucoup
pour les autres. »
Réticents aux achats en ligne
Les résultats sont un peu plus
marqués dans les pays du sud de
l’Europe, en Espagne ou au Portugal, où l’aide intergénérationnelle
a permis d’amortir les cinq années de crise. « Quand les parents
et les grands-parents aident financièrement, cela contribue à la consommation des ménages », précise M. Neuvy.
La solidarité des seniors se ressent sur leur pouvoir d’achat :
80 % de ceux qui ont renoncé à
partir ou ont reporté un voyage
mettent en avant des motifs financiers, seulement 18 % l’expliquent par des problèmes de santé.
Les 50-75 ans
passent 27 heures
par semaine
devant leurs
écrans, contre
6 h 30 à lire,
bricoler, jardiner…
Même si 40 % des seniors déclarent être partis en vacances ou en
week-end au moins trois fois au
cours des douze derniers mois.
Autre élément saillant de
l’étude : les seniors sont plus connectés que leurs cadets. Ils passent vingt-sept heures par semaine devant leurs écrans (Internet et télévision), soit 20 % de
plus que les moins de 50 ans, contre 6 h 30 consacrées aux activités à domicile comme le jardinage, le bricolage, la lecture. Les
plus de 50 ans sont connectés à
Internet en moyenne 13 h 15 par
semaine (une heure de plus que
leurs cadets), soit près de deux
heures par jour. « Les jeunes poussent leurs parents et grands-parents à être connectés, notamment pour partager des photos »,
constate M. Neuvy.
De même, les aînés ne sont pas
en reste quand il s’agit d’utiliser
Facebook ou Twitter. En France,
plus d’un sexagénaire sur quatre
est membre d’un réseau social,
soit deux fois plus qu’il y a cinq
ans, relève l’étude Cetelem. « Dans
le cas de la France, cela répond à
une nécessité de garder le contact,
car la mobilité géographique, que
ce soit pour des contraintes
d’emploi ou d’études supérieures,
est de plus en plus forte », analyse
M. Neuvy.
A l’inverse, les seniors sont encore réticents à acheter sur le Web.
Pour eux, il s’agit davantage d’une
source d’informations pour préparer leurs achats (consultation
des avis, utilisation des comparateurs de prix). Plus d’un senior sur
deux préfère encore effectuer ses
emplettes dans les magasins :
65 % d’entre eux le justifient par le
besoin de toucher les produits,
41 % pour le plaisir de sortir.
Au total, 26 % des seniors n’achètent pas en ligne, car ils n’ont pas
confiance dans les moyens de
paiement. Sur Internet, les plus de
50 ans recherchent surtout des informations sur « les sujets liés à la
santé et à la beauté ». Mais « ils affichent aussi un goût prononcé pour
les jeux en ligne », relève l’étude. p
cécile prudhomme
abaisser le seuil au-delà duquel les
contrôles douaniers peuvent devenir systématiques – il est actuellement de 10 000 euros.
L’usage des billets de 500 euros
– importants vecteurs de fraude,
qui prennent peu de place et permettent de transporter discrètement d’énormes montants – pourrait aussi se trouver limité. Depuis
plusieurs années, Tracfin en
France ainsi que les douanes mettent en garde contre le trafic de ces
très grosses coupures.
Devraient aussi être mises sur les
rails des mesures pour améliorer
la coopération entre pays tiers
contre le trafic d’œuvres d’art, une
source de revenus significative
pour les groupes terroristes, dont
l’organisation Etat islamique. Cela
ne pourra toutefois pas se faire
avant 2017, dit-on à Bruxelles.
In fine, l’ensemble du dispositif
devra être validé par le Conseil
européen et le Parlement européen. Les premiers textes présentés par la Commission, ce semestre, ne seront probablement pas
adoptés avant la fin de l’année. Au
bas mot. p
cécile ducourtieux
(bruxelles, bureau européen)
et anne michel
1 MILLIARD
C’est le nombre d’utilisateurs revendiqués, lundi 1er février, par
l’application de messagerie WhatsApp : « C’est presque une personne
sur sept sur la Terre qui utilisent WhatsApp chaque mois pour rester
en contact avec ses proches, ses amis et sa famille », indique le groupe
sur son blog. L’application a plus que doublé son audience depuis
son rachat par Facebook, début octobre 2014, pour plus de
20 milliards de dollars (18,3 milliards d’euros).
Le groupe pétrolier britannique BP a annoncé, mardi
2 février, une perte nette
de 6,48 milliards de dollars
(5,9 milliards d’euros) pour
son exercice 2015, contre un
bénéfice de 3,78 milliards de
dollars un an plus tôt. La
compagnie a aussi annoncé
une charge de 2,6 milliards
au quatrième trimestre,
essentiellement pour des
dépréciations dans l’exploration-production et des frais
de restructuration.
bientôt de nouveau disponibles en pharmacie. Pour les
allergènes préparés spécialement pour un seul individu
(APSI), « Stallergenes Greer
continue de collaborer avec
l’Agence nationale de sécurité
du médicament [ANSM] en
vue de reprendre rapidement
la production et la distribution », a précisé le groupe.
Une inspection de l’ANSM,
menée les 18 et 19 novembre,
avait révélé que des « traitements inadaptés » avaient été
envoyés à des patients après
un problème informatique.
PHAR MAC I E
AÉR ON AU T I QU E
Stallergenes reprend
sa production
Iran Air commande
des ATR
Le laboratoire Stallergenes
Greer a annoncé, lundi 1er février, « la reprise imminente »
de la production sur son site
d’Antony (Hauts-de-Seine),
suspendue depuis le 2 décembre. Les médicaments de
désensibilisation Oralair, Actair et Alyostal Venin seront
Le numéro un mondial des
avions régionaux à turbopropulseur ATR a annoncé, lundi
1er février, la signature avec la
compagnie Iran Air d’un contrat d’« 1 milliard d’euros »,
portant sur la commande
ferme de 20 appareils ATR
72-600 et 20 options. – (AFP.)
EN ER GI E
BP dans le rouge en 2015
6 | économie & entreprise
0123
MERCREDI 3 FÉVRIER 2016
Google pèse plus lourd qu’Apple à Wall Street
La capitalisation de la firme de Mountain View a dépassé celle de sa rivale après l’annonce de résultats record
new york - correspondant
L
a maison mère de Google,
Alphabet, n’a pas commis
de faute pour ses premiers résultats annuels
sous cette nouvelle dénomination. Le groupe a publié, lundi
1er février, des résultats largement
supérieurs aux attentes des analystes, ce qui a fait bondir son action de plus de 6 %, à 796 dollars
(730 euros), au cours des échanges
après Bourse. Une progression qui
permet à l’entreprise de Mountain
View (Californie) de devenir la première capitalisation mondiale devant Apple, une première depuis
2007. Lundi soir, Alphabet, dont le
titre a gagné plus de 45 % en un an,
valait 555 milliards de dollars, contre 534 milliards pour le fabricant
de l’iPhone, dont les ventes commencent à plafonner.
Cette publication était très attendue dans la mesure où, pour la première fois, la société communiquait de façon séparée sur les ré-
sultats de ses activités principales
(son moteur de recherche, le site
de vidéos YouTube et le système
d’exploitation pour téléphone
mobile Android) et ceux de sa galaxie de filiales qui investissent sur
les technologies du futur. Une initiative censée donner une vision
plus claire à la fois de la rentabilité
de son métier historique, focalisé
sur la publicité sur Internet, et du
poids des investissements consacrés à des activités qui vont de la
santé (Calico) à la voiture autonome sans chauffeur (Google X),
en passant par la domotique (Nest)
ou le capital-risque (Google Ventures), regroupés en interne sous
l’intitulé « Autres paris ».
Rentabilité astronomique
Le chiffre d’affaires des activités
principales réalisé en 2015 est en
hausse de 13,5 %, à 74,54 milliards
de dollars, pour un bénéfice opérationnel en hausse de 23 %, à
23,4 milliards. Ces résultats, dopés
par un quatrième trimestre très
Les « paid to
click », les clics
rémunérés,
ont bondi
de 31 % en 2015
dynamique, montrent que le
groupe arrive à accélérer sur son
métier historique, ce qui permet
de compenser les coûts engendrés
par ses autres activités.
Ainsi les « paid to click », les clicks
rémunérés, c’est-à-dire le nombre
de fois où les gens cliquent sur des
annonces publiées sur les sites utilisant la technologie Google, ont
bondi de 31 % en 2015. Le défi,
maintenant, consiste à améliorer
la rentabilité sur téléphone mobile. Pour le moment, le groupe n’a
pas encore réussi à amener les annonceurs à payer les mêmes tarifs
que sur ordinateur, ceux-ci considérant que les messages diffusés
sur de plus petits écrans ont
moins de valeur.
C’est l’une des raisons qui expliquent que le « coût par clic » est en
baisse depuis quatre ans. Au quatrième trimestre, celui-ci a encore
chuté de 13 % par rapport à la
même période de 2014. Mais,
comme l’a souligné la nouvelle directrice financière du groupe,
Ruth Porat, au cours d’une conférence téléphonique, ce recul est
largement compensé par la croissance exponentielle des recherches sur téléphone mobile. Cela
explique les 18 % de progression
du chiffre d’affaires entre octobre
et décembre 2015. Le groupe espère que l’accélération de cette
mutation va tôt ou tard convaincre ses clients annonceurs de consentir à payer plus sur mobile.
Dans le même temps, Gmail a
dépassé au quatrième trimestre le
milliard d’utilisateurs. Après Android, Chrome (le navigateur sur
Internet), YouTube ou encore Google Play (la boutique en ligne), la
CETTE SEMAINE
MASTERS, MASTÈRES, MSC : CHOISIR
DANS UNE OFFRE RENOUVELÉE
P Un mastère ou un « master of science » :
pour quoi faire ?
P Numérique, big data, cybersécurité, environnement :
l’ofre dans les secteurs de pointe
P Les nouveaux cursus sur les robots, les drones,
la transition énergétique, l’analyse de vidéos…
Dans « Le Monde » du mercredi 3 daté jeudi 4 février
CHAQUE MERCREDI, LES ÉTUDIANTS
ONT RENDEZ-VOUS DANS « LE MONDE »
Retrouvez aussi
toute l’actualité lycéenne et étudiante
sur Lemonde.fr/campus
RÉSULTATS DE GOOGLE-ALPHABET, EN MILLIARDS DE DOLLARS
Chiffre d’affaires
Résultat opérationnel
ACTIVITÉS TRADITIONNELLES
Moteur de recherche, YouTube...
NOUVELLES ACTIVITÉS
Google Car, fibre,
domotique...
74,54
65,67
19,01
2014
23,43
0,33
2015
– 1,94
2014
0,45
– 3,57
2015
SOURCE : GOOGLE-ALPHABET
messagerie de Google est ainsi le
septième service à avoir franchi ce
seuil psychologique.
Le fait de séparer la publication
des différentes activités permet de
cerner la rentabilité astronomique
dégagée par Google, qui, au quatrième trimestre, a publié une
marge opérationnelle de 25 %, sur
les talons d’Apple, dont les 32 % de
profitabilité restent la référence à
Wall Street.
En marge de ces activités, très rémunératrices, Alphabet mise sur
le futur pour prendre peu à peu
leur relais. La division « Autres paris » a ainsi dégagé un chiffre d’affaires en forte hausse, de 37 %,
en 2015, mais, dans le même
temps, les pertes se sont creusées,
à 3,57 milliards de dollars, contre
1,94 milliard l’année précédente.
Rien que sur le quatrième trimestre, la perte s’élève à 1,2 milliard.
Ces chiffres ont réclamé un peu
de pédagogie auprès des investisseurs, qui, pour la première fois,
ont pu jauger la consommation de
capital exigée par ces activités.
C’est le rôle qui incombe désormais à Mme Porat, une ancienne de
Morgan Stanley, débauchée à prix
d’or pour donner plus de lisibilité à
ce maquis d’investissements prometteurs. Elle a souligné que l’objectif était d’optimiser les ressources de ce portefeuille, dont le chiffre d’affaires a été essentiellement
porté par Nest, Google Fiber (fibre)
et Verily, une filiale spécialisée
dans les sciences de la vie. « Nous
effectuons un périple et c’est encore
le début », a prévenu Mme Porat.
A ceux qui s’inquiéteraient de
l’envolée des dépenses de cette division, le patron de Google, Sundar Pichai, a expliqué que le succès
de son moteur de recherche a été
aussi le fruit de lourds investissements. Il a notamment vanté les
progrès faits par le groupe dans le
domaine de l’intelligence artificielle, rappelant qu’une de ses machines avait réussi à battre pour la
première fois un maître du jeu de
go. C’est aussi une sorte de jeu de
stratégie dans lequel Google est
engagé avec les marchés financiers. Son but : entretenir leur patience vis-à-vis des projets futuristes, en continuant à dégager une
solide rentabilité dans son métier
historique. p
stéphane lauer
Les chantiers navals de
Saint-Nazaire respirent
L’italo-suisse MSC Croisières a commandé
deux nouveaux paquebots à STX France
S
atisfaction à Saint-Nazaire
(Loire-Atlantique). Les chantiers navals STX France ont
engrangé, lundi 1er février, une
nouvelle commande de deux paquebots par MSC Croisières, portant à quatre le nombre de navires
achetés depuis 2004 par le croisiériste italo-suisse. Ce nouveau contrat, d’environ 1,6 milliard d’euros,
garantit cinq années de travail, jusqu’à fin 2020, à ce chantier. L’Etat
en est actionnaire à hauteur de
33,34 %, aux côtés du groupe sudcoréen STX, propriétaire à 66,66 %.
MSC Croisières a levé l’option
prise sur ces deux bâtiments lors
de la première commande, a souligné son président exécutif, Pierfrancesco Vago, lors d’une visite
du chantier en compagnie d’Emmanuel Macron, le ministre de
l’économie. Les deux nouveaux
navires, longs de 331 mètres, soit
15 mètres de plus que les deux premiers, seront dotés de 2 444 cabines et pourront accueillir près de
7 750 personnes à leur bord, dont
6 000 passagers.
Il s’agit des plus gros paquebots
du monde après ceux de la classe
Oasis, comme le Harmony-of-theSeas, également construit à SaintNazaire et devant être livré en avril
à une filiale de l’armateur américain Royal Caribbean Cruises Ltd.
Ces nouveaux bateaux seront remis à MSC en novembre 2019 et en
avril 2020, « ce qui anticipe de deux
ans la livraison du dernier des quatre navires » par rapport au calendrier initial, a précisé M. Vago.
Avec ces nouvelles commandes,
le chantier français a désormais
huit bâtiments à construire
jusqu’en 2020. « Actuellement,
6 000 personnes travaillent sur le
site », dont 2 500 salariés de STX, a
précisé Laurent Castaing, directeur général de STX France. De son
côté, M. Macron s’est félicité d’une
commande qui se traduit par
« 500 emplois directs chez STX et
1 500 emplois indirects chez ses
sous-traitants ».
Repreneurs potentiels
Reste la question-clé de l’actionnariat des ex-Chantiers de l’Atlantique. STX en a hérité en 2008 en reprenant leur propriétaire, le norvégien Aker, qui les avait lui-même
achetés à Alstom. Or, le conglomérat sud-coréen est en difficulté.
Son principal créancier, la banque
Korea Development Bank, qui en a
pris le contrôle en 2013, a décidé de
céder les activités européennes,
française et finlandaise de STX,
pour alléger sa dette. Le processus
a été lancé voici bientôt deux ans,
en avril 2014, sans aboutir jusqu’à
présent pour STX France.
Interrogé sur des repreneurs potentiels, M. Macron a évoqué
« beaucoup de rumeurs ». « Ça peut
être des Français, des étrangers,
mais l’Etat restera à une part significative de capital et avec la volonté d’accompagner véritablement le développement du
groupe », a promis le ministre.
« Nous avons des discussions constantes avec les actionnaires coréens », a-t-il ajouté, affirmant
vouloir trouver de partenaires industriels « de long terme ». p
dominique gallois
idées | 7
0123
MERCREDI 3 FÉVRIER 2016
LETTRE DE WALL STREET | st ép hane l auer
L’opération séduction des banques américaines
C
e n’est pas encore les 35 heures, mais
les banques de Wall Street ont décidé de se pencher sur la délicate
question du temps de travail. Dernière initiative en date, l’opération « Posez les
crayons ! », lancée chez JPMorgan, fin janvier.
Derrière ce slogan assez peu 2.0, il faut bien le
dire, une directive à destination des salariés
qui travaillent dans la banque d’investissement. Celle-ci leur demande de prendre leurs
week-ends, sauf cas exceptionnel.
Les unes après les autres, les grandes banques d’affaires de Wall Street tentent de canaliser les ardeurs de leurs collaborateurs, obnubilés par leurs carrières et leurs bonus. Citigroup, Bank of America Merrill Lynch, Morgan Stanley ou Goldman Sachs, toutes
cherchent à les inciter à retrouver, autant que
faire se peut, une vie plus équilibrée.
Le déclic s’est, sans doute, produit en 2013,
lorsque Moritz Erhardt, un jeune stagiaire de
21 ans affecté au département fusions-acquisitions de Bank of America Merrill Lynch, s’est
écroulé à son bureau londonien, après soixante-douze heures de travail sans interruption.
L’autopsie avait révélé que son décès avait pu
être causé par un surmenage. L’association
d’aide aux stagiaires Intern Aware avait prudemment demandé que ces derniers soient
jugés sur la qualité de leur travail et non sur le
nombre d’heures passées au bureau. Une supplique qui ne mangeait pas de pain.
Mais, au-delà de la subite compassion qui
s’est emparée de Wall Street au lendemain du
décès du jeune stagiaire, il y a également, parallèlement, une préoccupation grandissante au
sein des banques sur leur capacité à attirer les
meilleurs. Non seulement les excès de la crise
ont écorné leur réputation, mais, entre-temps,
le secteur du high-tech est devenu de plus en
plus glamour pour les jeunes diplômés.
DES PRATIQUES QUI ONT DU MAL À ÉVOLUER
Ainsi, au prestigieux Massachusetts Institute
of Technology, en 2014 (derniers chiffres disponibles), seuls 10 % des étudiants ont choisi
une carrière dans la finance, contre 31 %
en 2006, avant la crise financière. Même tendance à Harvard, où le taux est passé de 42 % à
33 %. Dans le même temps, le high-tech est
passé de 7 % à 17 %. A la Wharton School (Pennsylvanie), considérée comme la plus prestigieuse école américaine de finance, le taux est
également en chute libre.
Certes le salaire de départ d’un analyste, l’un
des plus bas échelons de la hiérarchie, atteint,
en moyenne, les 70 000 dollars (64 500 euros)
par an, qui, avec les bonus, peuvent être doublés. Mais les firmes technologiques peuvent
elles aussi se montrer généreuses. En outre,
L’ÉCLAIRAGE
A Bruxelles,
une bureaucratie libérale
par paul jorion
S
ociologue à l’Ecole des hautes
études en sciences sociales,
Sylvain Laurens a consacré au
fonctionnement des institutions européennes un livre intitulé
Les Courtiers du capitalisme. Milieux
d’affaires et bureaucrates à Bruxelles
(éditions Agone, 2015).
La thèse principale de cet ouvrage à
la fois sociologique et historique est
que la représentation commune de
milieux d’affaires imposant leur
point de vue à la Commission européenne au moyen d’une armée de lobbyistes est essentiellement une illusion d’optique. Ce que nous interprétons de cette manière est en réalité le
mode de collaboration entre les milieux d’affaires et une bureaucratie en
vue d’élaborer les normes de fabrication et de distribution des produits au
sein de l’espace économique européen, dans le double but de faciliter
les échanges au sein de la zone, mais
aussi de délégitimer toute concurrence en provenance de l’extérieur.
A ces représentants de firmes et ces
bureaucrates se sont joints des scientifiques d’un type un peu spécial,
conscients des contraintes auxquelles
sont soumises les deux autres parties.
Face à une pratique, un produit ou
une substance problématique, ils
mettent alors au point ensemble l’une
ou l’autre de deux stratégies possibles : soit une gestion optimale du risque existant, soit une « substitution »,
c’est-à-dire une interdiction progressive de la pratique, du produit ou de la
substance jugés nocifs.
SOLUTION TECHNIQUE OPTIMALE
L’apparence d’une politique délibérément ultralibérale résulte du fait que,
dans une telle configuration, toute
question possède nécessairement
une solution purement technique
qu’il suffit de mettre au jour : rien
n’apparaît jamais soulever de problème de fond, et a fortiori n’apparaît
¶
Paul Jorion
est économiste
et anthropologue
à l’Université libre
de Bruxelles
avoir un enjeu politique. C’est sans
surprise que l’on débouche alors dans
chaque cas de figure sur un « TINA » –
« There is no alternative », selon la formule du premier ministre britannique Margaret Thatcher –, puisqu’il
existe à chaque problème une solution technique optimale.
Pour les eurocrates, il n’y a donc nul
intérêt en jeu, nul rapport de force entre les parties en présence. Il n’existe
que deux sortes de gens : ceux qui
comprennent la solution optimale à
laquelle eux-mêmes sont parvenus, et
ceux à qui elle échappe et qui constituent de ce fait un obstacle et une
gêne. C’est ce qui explique la réponse
désarmante du bureaucrate quand sa
proposition est rejetée parce qu’intolérable sur un plan social ou politique : « J’ai dû mal m’expliquer, donc je
recommence ! » Réponse jugée dans le
camp adverse comme stupide ou de
mauvaise foi.
SYMBIOSE
On accordera à Laurens qu’une part
de la philosophie des institutions
européennes résulte en effet d’une
telle symbiose entre bureaucrates,
milieux d’affaires et experts formés
aux logiques bruxelloises, et que la
combinaison des contraintes, légitimes à leurs yeux, leur enfonce la tête
dans le guidon au point qu’ils ne
voient plus que les arbres et ignorent
la forêt.
Cela dit, si la partie sociologique de
l’explication de Laurens conforte sa
thèse de l’illusion d’une scène bruxelloise où se rencontreraient une bureaucratie passive et des lobbies les
manipulant, la partie historique jette
un autre éclairage.
N’est-ce pas l’auteur lui-même qui
affirme que « [d]es liens intimes (…)
existent entre la bureaucratie de l’UE et
les premières organisations patronales
à taille européenne » ? Car il nous
montre aussi que les institutions
européennes – alors qu’elles n’ont encore qu’une forme embryonnaire –
adoptent en 1947 les catégories normatives américaines lors des accords
du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade) sur la libéralisation du
commerce mondial, et se coulent l’année suivante dans les nomenclatures
comptables imposées pour rendre
compte de l’utilisation des fonds dispensés par le plan Marshall.
Le virus de l’ultralibéralisme était
déjà là avant d’être transfusé à l’Europe naissante par le biais du GATT et
du plan Marshall. Elle a grandi ensuite
avec ce virus dans le sang. p
celles-ci ont fait d’un environnement de travail
« cool » un argument de recrutement. Les banques, qui, pendant des années, ne se sont guère
préoccupées du sort d’employés corvéables à
merci, se doivent de reprendre la main.
En octobre 2013, Goldman Sachs avait annoncé la mise en place d’une équipe chargée
de réfléchir à l’amélioration de l’équilibre de
vie de ses jeunes banquiers. Morgan Stanley y
était aussitôt allée de sa commission, pilotée
par un ponte de l’établissement. Mais c’est
Bank of America qui a concrètement tenté
d’instiller le changement. Depuis 2014, chacun est prié de prendre au moins quatre jours
de repos par mois. Byzance !
JPMorgan veut aller plus loin, en demandant
à ses salariés de rentrer chez eux le week-end,
sauf cas exceptionnel, comme le bouclage
d’une opération de fusion-acquisition. Sur le
papier, l’initiative est louable. Mais qu’en serat-il dans la pratique ? Car, dans des métiers où
faire des semaines de cent heures est considéré
comme une routine, il n’est pas évident de
faire évoluer les pratiques et les esprits.
Ainsi, contrairement à ce que laisse entendre
le slogan de l’opération, il ne suffira pas de « poser les crayons ». Si la banque voulait pousser la
logique jusqu’au bout, elle demanderait
d’éteindre téléphones et ordinateurs portables
pendant quarante-huit heures. Sinon, com-
ment lutter contre la tentation d’emporter
chez soi tous les dossiers qu’on n’a pas pu boucler à temps le vendredi soir ? Après tout, la
banque d’investissement n’est-elle pas un métier de service, dans lequel les longues heures
de travail sont nécessaires pour répondre aux
exigences de clients qui réclament une disponibilité vingt-quatre heures sur vingt-quatre ?
Carlos Hernandez, le patron de l’activité
banque d’investissement chez JPMorgan, se
montre néanmoins optimiste sur l’efficacité
du dispositif, dans la mesure où l’impulsion
vient du sommet. Par ailleurs, dans un entretien accordé au Wall Street Journal, fin janvier,
il soulignait qu’un certain nombre de tâches
ingrates, réservées traditionnellement aux
plus jeunes, avaient été automatisées.
Pour améliorer un peu plus le quotidien des
salariés, un effort sera entrepris au niveau des
congés parentaux payés, qui vont être portés
de douze à seize semaines. Enfin, JPMorgan a
décidé d’accélérer les promotions. L’établissement imite Goldman Sachs, qui a pris une initiative similaire en novembre 2015. Une jeune
recrue pourra devenir « directeur » en huit ans,
au lieu de douze aujourd’hui. Mais, pour y parvenir, il va certainement falloir renoncer – tout
de même – à quelques week-ends. p
CHEZ JPMORGAN,
UNE DIRECTIVE
DEMANDE
AUX SALARIÉS DE
PRENDRE LEURS
WEEK-ENDS,
SAUF CAS
EXCEPTIONNEL
[email protected]
Oui, au référendum dans l’entreprise,
pour régénérer la démocratie sociale
Malgré la méfiance pour ce mode de
consultation, les syndicats auraient tort
de se priver d’un outil propre à mobiliser
des salariés de plus en plus individualistes
par jacques le goff
L
e 10 juin 1982, au cours
de la discussion parlementaire des lois qui porteraient
son nom, Jean Auroux,
le ministre du travail, lançait une
mise en garde : « Tout processus qui
tendrait à établir un rapport direct
avec les salariés en laissant la seule
initiative à l’une des parties, se traduirait fatalement par un affaiblissement, voire une disparition, du fait
syndical. » En cause, l’idée avancée
par certains d’introduire dans le code
du travail un possible recours au référendum. Un quart de siècle après les
débats constitutionnels de 1958 soulignant ses accointances avec le pouvoir personnel, ce mode de consultation populaire suscitait la méfiance.
Aujourd’hui encore, malgré
l’indéniable évolution des esprits
et des pratiques (référendum d’initiative populaire, lois Aubry, participation…), son image demeure souvent
négative. On y voit une machination
contre la démocratie représentative
dans l’entreprise, d’autant plus
insidieuse que défendue au nom
d’une démocratie directe certes
vertueuse, mais dangereusement
exposée aux pires dérives de la personnalisation, du chantage et de
l’intérêt à courte vue. Son usage
marquerait la mise en court-circuit
des institutions représentatives,
à commencer par la section syndicale, et la rétraction de l’entreprise
sur son pré carré sous couvert
de « citoyenneté d’entreprise ».
Si l’inquiétude se comprend, il n’est
pas sûr qu’elle se justifie. Le point
de vue inverse, celui d’une activation
démocratique par le référendum, se
défend tout autant. Jean Auroux le
partageait d’ailleurs ! Son vrai souci
LE RÉFÉRENDUM EST
ENCORE PERÇU COMME
UNE MACHINATION
CONTRE LA DÉMOCRATIE
DANS L’ENTREPRISE
était d’éviter que l’initiative n’en
revienne aux « parties » en présence,
patronale ou salariée. Non seulement
il laissait la porte ouverte à l’action
syndicale en la matière, mais cette
perspective s’inscrivait dans la droite
ligne de sa réforme visant à donner,
pour la première fois dans l’histoire
du droit du travail, la parole aux salariés à titre individuel. C’est le sens du
droit d’expression « directe et collective » de la grande loi du 4 août 1982.
Or, quoi de plus « direct » et « collectif » que la technique référendaire ?
Le sociologue Emile Durkheim
(1858-1917) voyait dans la société
une « machine à fabriquer des dieux ».
Et le syndicat en constituait l’une
des figurations les plus typiques
avec, comme le parti ou la religion,
son eschatologie, ses masses, ses
militants disciplinés… L’individu
n’y existait qu’à titre de particule
élémentaire d’un collectif seul revêtu
de sens. Avant 1982, le code du travail
ne connaissait dans l’entreprise
que l’acteur collectif.
UN MODÈLE QUI RELÈVE DU PASSÉ
Ce modèle d’organisation relève
désormais du passé. Autonome dans
sa vie personnelle et, de plus en plus,
dans le travail lui-même, le salarié
ne supporte plus ce type de mobilisation et d’enrégimentement. On a
assisté depuis les années 1980
à une rapide montée en puissance
de l’ego social et du rêve très libéral
d’une société composée d’atomes
très mobiles dans un milieu liquide
ou gazeux. Ce rêve demeure actif
dans bien des stratégies managériales
d’accompagnement et d’amplification de la tendance individualisante.
Mais là comme ailleurs, et spécialement du côté des salariés, les limites
de ce modèle n’ont pas tardé à apparaître au grand jour. Mais sans espoir
de retour à ce qui prévalait avant.
D’où la question à laquelle nul
syndicat ne peut plus échapper
aujourd’hui : comment penser le
social à l’heure de l’individu accompli, farouchement jaloux de ses prérogatives ? Comment réarticuler
la production d’action collective et
l’intervention personnelle de chaque
salarié ? Comment être à la fois soimême et ensemble ? Le sociologue
Georges Gurvitch (1894-1965) avait
une formule pour désigner cette
quadrature qui fut l’horizon de pensée du socialisme libertaire d’inspiration proudhonienne : il parlait d’un
social « transpersonnel », encore à
construire, mais déjà à l’œuvre aussi
bien dans les groupes de projet très
divers dont bruissent bien des entreprises que dans la démarche « qualité
de vie au travail » (QVT) impulsée par
l’accord national interprofessionnel
de juin 2013, qui reconnaît à l’expression individuelle toute sa place.
« Replacer l’individu au centre de nos
préoccupations, considérer qu’il est
la raison ultime de toute organisation
sociale, ce n’est pas cheminer à contrecourant de nos conceptions solidaires » : c’est ce à quoi appelait Edmond
Maire, secrétaire général de la CFDT,
en juin 1986. Tout juste trente ans
après, la préoccupation anime plus
que jamais le questionnement
cédétiste autour du « syndicalisme
collaboratif » de type bottom up et
non plus top down.
La CGT n’y échappe pas, depuis
un certain temps déjà. Souvenonsnous de ce que disait Maryse Dumas,
du bureau confédéral, au lendemain
des référendums consultatifs chez
Fleury-Michon et Air France en 1994,
qui avaient désavoué les syndicats :
« Il y a quelques mois encore, beaucoup d’entre nous craignaient que
la consultation des salariés n’affaiblisse le rôle propre de notre syndicat.
Aujourd’hui, la consultation devient
un élément presque incontournable
de notre pratique syndicale. Le syndicalisme y trouvera une nouvelle légitimité et la négociation plus de vitalité
et d’efficacité. »
C’était bien vu. Au fond, le référendum ne serait-il pas une manière
appropriée de lancer des ponts entre
les salariés et leurs syndicats, par
le débat, la prise au sérieux de leur
parole et l’action collective sans sacrifice de l’individu ? Entre démocratie
directe et démocratie représentative,
un nouveau point d’équilibre est
à découvrir au profit des deux modes
d’expression dans une synergie
qui pourrait se révéler régénératrice
d’une démocratie sociale au bord
de la panne. p
¶
Jacques Le Goff est professeur émérite
de droit public, ancien inspecteur du travail et auteur de Du silence à la parole.
Une histoire du droit du travail (Presses
universitaires de Rennes, 2004)
8 | MÉDIAS&PIXELS
0123
MERCREDI 3 FÉVRIER 2016
Au Royaume-Uni, le dinosaure BT change d’ère
L’opérateur historique a créé des chaînes de télévision et racheté un réseau de téléphonie mobile
londres - correspondance
C’
est la fin d’un long
déclin. Pour la première fois depuis
plus d’une décennie,
au Royaume-Uni, le nombre
d’abonnés aux lignes téléphoniques fixes de BT a augmenté au
troisième trimestre de son exercice (octobre-décembre 2015). La
progression, annoncée lundi
1er février, est infime : 6 000
clients gagnés sur un total de
9,5 millions, mais c’est un symbole. L’ancien monopole qu’était
British Telecom, qui a perdu jusqu’à un million d’abonnés par an
il y a quelques années, s’est « reconstruit », affirme Gavin Patterson, son directeur général, dans
un entretien au Monde.
Les résultats du groupe témoignent de ce retour en grâce : sur
les neuf premiers mois de l’exercice en cours, l’opérateur a enregistré un chiffre d’affaires stable à
13,2 milliards de livres (17,3 milliards d’euros) et un bénéfice
avant impôt en hausse de 9 % par
rapport à l’année précédente, à
2,3 milliards de livres. Sa dette
s’élève à 5 milliards de livres, en
baisse de 20 % sur un an.
Offres « quadruple play »
Sous la houlette de ce patron aux
cheveux mi-longs et toujours
sans cravate, aux manettes du
groupe depuis 2013, BT a pris deux
décisions spectaculaires. La première a été le lancement, en 2013,
de chaînes de télévision de sport,
centrées sur le football. La seconde est le rachat d’un réseau de
téléphonie mobile : l’acquisition,
pour 16,5 milliards d’euros d’EE,
qui appartenait à Orange et
Deutsche Telekom, est effective
depuis vendredi 29 janvier.
La plus vieille
entreprise
de télécoms
au monde incarne
désormais la
« convergence »
entre réseaux
et contenus
La plus vieille entreprise de télécommunications au monde, dont
les racines remontent à 1846, incarne désormais la « convergence » entre réseaux et contenus.
Avec ses chaînes de télévision, sa
téléphonie fixe, son Internet haut
débit et son réseau mobile, BT va
prochainement offrir des offres
dites « quadruple play ».
Cette convergence redessine
complètement le paysage des télécoms britanniques. Alors qu’il y
a une quinzaine d’années le bouquet satellite Sky faisait de la télévision et BT de la téléphonie, les
groupes sont aujourd’hui deux titans en concurrence directe. Sky
fournit désormais de l’Internet
haut débit et de la téléphonie fixe,
et il a prévu de lancer sa propre offre mobile d’ici à la fin de l’année.
La reconstruction de BT remonte à 2008, selon M. Patterson.
« Le conseil d’administration [dont
il faisait alors partie, en tant que
directeur de la division grand public] a pris la décision d’investir
dans la fibre optique. A l’époque,
c’était courageux, parce que ce
sont des investissements lourds, et
on était en pleine crise financière.
Mais ça a permis de mettre en
place notre réseau actuel, qui est la
base de notre entreprise. »
Cette colonne vertébrale en
Gavin Patterson,
directeur général
de BT, en 2015.
BLOOMBERG/GETTY IMAGES
place, M. Patterson, supporteur
passionné de Liverpool, prend la
décision, en 2012, d’acheter une
partie des droits de retransmission du championnat anglais de
football, la Premier League, et de
créer ses propres chaînes pour retransmettre les matchs. Le pari
est risqué : Sky domine le secteur,
et les précédents concurrents ont
tous échoué.
Mais BT ne cherche pas la rentabilité directe de ses télévisions. Son
offre vise à attirer les clients vers
d’autres produits de sa gamme : un
abonnement à BT Sport coûte
25 euros par mois pour un téléspectateur qui veut regarder les
matchs sur Sky ou Virgin Media,
les deux réseaux concurrents,
mais seulement 7 euros pour ceux
qui sont abonnés à l’Internet haut
débit de BT. C’est même gratuit
pour ceux qui s’abonnent à l’offre
de télévision du groupe, qui comprend 80 chaînes.
Le problème est que cela coûte
cher : 1,6 milliard d’euros pour
acheter les droits de la Ligue des
champions et d’une partie de la
Premier League pour trois ans. Selon les calculs du consultant Enders Analysis, BT Sport perd environ 600 millions d’euros par an.
« C’est une erreur de regarder cela
de façon isolée, rétorque M. Patterson. Désormais, tous les chiffres de
notre division grand public sont
positifs. »
Le deuxième pari de BT est son
grand retour dans la téléphonie
mobile. En 2002, l’opérateur avait
vendu son réseau, désormais devenu O2 (en cours d’acquisition
par le hongkongais Hutchison).
Duel pour le football contre Sky, le mastodonte de Rupert Murdoch
tout au fond de l’ancien parc olympique, encore à moitié en travaux, se trouvent les locaux qui abritent le grand pari
de BT (autrefois British Telecom). C’est là,
dans l’est de Londres, que l’opérateur britannique de téléphonie a installé, il y a
trois ans, ses chaînes de télévision.
L’immense bâtiment caverneux, qui
avait servi de centre de presse lors des
Jeux olympiques de 2012, dispose notamment d’un studio de 1 400 mètres carrés,
l’un des plus grands disponibles au
Royaume-Uni. Lors des soirées de Ligue
des champions – BT a les droits exclusifs
de cette compétition qui rassemble les
meilleurs clubs européens – jusqu’à huit
matchs y sont diffusés en direct, présentés par le très populaire Gary Lineker, ancien footballeur et star de la BBC.
« Les gens ont compris que BT comptait
dans le football », estime Simon Green, le
directeur de BT Sport. Outre-Manche, le
ballon rond est pourtant dominé par
Sky. Depuis 1992, le bouquet satellite du
magnat Rupert Murdoch en achète les
droits, ce qui explique son emprise sur le
marché de la télévision payante.
Des matchs à prix cassés
Plusieurs concurrents ont bien tenté de
s’attaquer au mastodonte, dont l’américain ESPN et l’irlandais Setanta. Mais à
chaque fois, ils se sont cassé les dents. BT
est le dernier à tenter l’aventure, avec une
évidente détermination. Le groupe a
aussi acheté les droits d’une partie de la
Premier League, le championnat anglais
– même si Sky en conserve la majorité.
BT propose quatre chaînes de sport,
dont l’une est entièrement consacrée au
football européen (championnats de
France, d’Italie, du Portugal…) et à la Ligue
des champions. « Cette compétition est
très importante, même si elle propose
moins de matchs que la Premier League.
Certaines rencontres sont de véritables
événements
nationaux,
explique
M. Green. Comme on possède les droits exclusifs, BT Sport devient incontournable. »
Désormais, les quatre chaînes sont reçues dans 5,4 millions de foyers, contre
12 millions pour celles de Sky – un tiers
sont des clients directs de BT ; les autres
les regardent sur l’une des plates-formes
rivales (Virgin Media, Sky…).
Si BT Sport s’est bien installé dans le
paysage – l’entité va entrer dans sa qua-
trième saison –, c’est grâce à son modèle
économique différent : ses chaînes ne
servent pas vraiment à gagner de l’argent,
mais à attirer les clients. Ceux qui s’abonnent à son Internet à haut débit ou à son
offre de télévision peuvent regarder les
matchs à prix cassé.
Le groupe pourra-il un jour surclasser
Sky et devenir l’acteur dominant dans le
football anglais ? « Ici, à BT Sport, nous
sommes prêts à passer à la vitesse supérieure, assure M. Green. Mais la direction
générale en est moins sûre. Elle a une approche plus prudente, de long terme. » Selon lui, le combat de titans entre Sky et BT
va durer : « Dans dix ans, les deux seront
encore là. Chacun gagnera des batailles ;
ce ne sera pas une lutte à mort. » p
é. a.
Une erreur historique ? « L’entreprise n’avait pas le choix. Elle avait
énormément dépensé dans les années 1990, et elle avait accumulé
une dette qu’elle ne pouvait pas financer. »
Une stratégie coûteuse
Aujourd’hui, l’opérateur rachète
EE. Et, là aussi, la fibre optique est
le socle de sa stratégie. « Notre vision est d’avoir un seul réseau, qui
puisse servir tout le monde où que
vous soyez, que ce soit fixe ou mobile, entreprises ou individus. Seul
le bout de la connexion, la dernière
partie, change. »
Il s’agit d’une stratégie coûteuse,
de très long terme. « Les investissements qu’on a faits dans la fibre
optique en 2009 n’ont pas encore
été rentabilisés et, pourtant, il faut
déjà qu’on recommence à investir
juste pour rester concurrentiels.
C’est un défi permanent », résume
M. Patterson.
Cette année, BT prévoit d’investir
4 milliards d’euros. « Un bon paquet d’argent… », reconnaît Gavin
Patterson. Indispensable, selon le
directeur général, qui prend pour
preuve l’explosion de l’utilisation
d’Internet par les clients particuliers de BT, qui a quasiment doublé
sur la période de Noël. « Cette tendance va continuer à long
terme. Tant qu’on investit là-dessus,
on sera dans un bon business. » p
éric albert
La future chaîne d’information publique cherche sa place sur la TNT
France Télévisions veut diffuser sa chaîne d’info sur le réseau hertzien, comme ses concurrentes. Mais les solutions sont limitées
P
armi les nombreux défis
que devra surmonter la future chaîne d’information
publique, l’obtention d’un canal
TNT pour la diffuser n’est pas le
moindre. La présidente de France
Télévisions, Delphine Ernotte, a
reconnu en janvier qu’elle souhaitait, pour ce projet-phare, une diffusion hertzienne classique,
comme pour les autres chaînes de
l’entreprise.
Mais elle est restée prudente sur
le moyen d’y parvenir. En plus des
options déjà connues, toutes difficiles à mettre en œuvre, une autre
hypothèse, technique, est étudiée
en interne, a appris Le Monde : il
s’agit d’utiliser les espaces vacants
sur les émetteurs hertziens pour
tenter d’y placer la chaîne, grâce au
passage à la TNT « haute définition », prévu en avril.
« Les autres solutions posent certains problèmes », dit Eric Vial, délégué du syndicat FO de France Télévisions, favorable à cette diffusion « technique ». Supprimer une
chaîne de l’entreprise publique
pour la remplacer par la chaîne
d’information est en effet délicat :
renoncer à France 4 pose un problème économique, car son offre
jeunesse finance la production
française de l’animation. Zapper
France Ô, la chaîne des outre-mer
et de la diversité, pose un problème politique, renforcé par la
perspective de la présidentielle.
Mme Ernotte a d’ailleurs écarté
ces deux solutions, dans un entretien au Monde.fr, le 21 janvier, tout
en précisant : « Pour l’instant, je ne
choisis rien, ce sont des discussions
que nous allons avoir avec notre actionnaire, l’Etat. »
L’hypothèse la moins compliquée semblait jusqu’ici être l’utilisation du canal de Numéro 23, la
chaîne privée consacrée à la diversité : celle-ci a vu son autorisation
d’émettre abrogée mi-octobre par
le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), pour une revente jugée
frauduleuse. « Mais il y a une incertitude juridique », pointe M. Vial.
En effet, l’actionnaire principal de
la chaîne, Pascal Houzelot (également membre du conseil de surveillance du Monde), a déposé fin
décembre 2015 un recours devant
le Conseil d’Etat, dont la réponse
est attendue d’ici à fin mars.
Meilleure compression
Privilégier une solution interne et
technique éviterait certains aléas,
pense un autre syndicaliste. Concrètement, il s’agirait de profiter de
L’utilisation
d’espaces
vacants sur
les émetteurs
hertziens, grâce
au passage
à la TNT « haute
définition »,
est à l’étude
la meilleure compression des images permise par le nouveau standard MPEG4, qui sera généralisé le
5 avril, lors du passage à la TNT
« haute définition ». L’idée serait de
placer la chaîne d’information publique sur l’un des six « multi-
plexes » qui diffuseront les chaînes
de la TNT : celui consacré à France
Télévisions accueillera France 2,
France 3, France 4 et France Ô, ainsi
que des décrochages régionaux.
Au sein de ces derniers, tout l’espace n’est pas occupé aujourd’hui,
explique ce syndicaliste, car si
France 3 a partout une présence régionale, il n’y a pas de chaîne locale
privée dans toutes les zones de
France. Ce salarié estime possible
« à 95 % » la faisabilité technique
d’une diffusion de la chaîne d’information sur le multiplexe de
France Télévisions. Mais une autre
source doute qu’il soit possible de
réellement couvrir ainsi la totalité
du territoire. Un observateur estime qu’il est certes possible de dégrader le signal de façon sélective,
en fonction des zones et des chaînes, pour « gagner de la place » sur
le spectre de la TNT, mais qu’il faut
conserver une qualité d’image satisfaisante pour le téléspectateur.
Mme Ernotte a été informée de
cette piste « technique » lors du comité central extraordinaire du
15 décembre 2015, assure M. Vial de
FO, qui l’a alertée. A la direction de
France Télévisions, on ne commente pas mais l’hypothèse est
bien à l’étude. Mis au courant mijanvier, le CSA se penche sur la
question, sans avoir été officiellement saisi. En attendant, les équipes de France Télévisions travaillent sur le contenu et l’organisation, délicate, de la chaîne. Son
lancement a été promis pour septembre. Au minimum sur support
numérique, pour les smartphones, tablettes et ordinateurs. Sur
un canal TNT, si possible. p
alexandre piquard
MALADIES CHRONIQUES
ASTRONOMIE
PORTRAIT
LE DÉLICAT PASSAGE
À L’ÂGE ADULTE
BABYLONE, BERCEAU DE
L’ABSTRACTION MATHÉMATIQUE
WIEBKE DRENCKHAN ÉTEND
LE DOMAINE DES MOUSSES
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→ PAGE 7
Zika, une «urgence de portée mondiale»
L’Organisation mondiale de la santé tire le signal d’alarme contre le virus, qui pourrait toucher 4 millions de personnes sur le continent américain en 2016.
Mais les autorités sanitaires s’interrogent encore sur l’étendue des atteintes neurologiques qu’il pourrait engendrer. Le point en dix questions.
PAGES 4-5
A Caracas, le 28 janvier, un employé de la capitale vénézuélienne pulvérise de l’insecticide sur des foyers potentiels d’« Aedes ». FAUSTO TORREALBA/AVN/XINHUA-REA
L’ADN, agent d’un bonheur national
L
carte blanche
Laurent
Alexandre
Chirurgien urologue,
président de DNAVision
[email protected]
(PHOTO: MARC CHAUMEIL)
es neurosciences révèlent la complexité du
fonctionnement cérébral. Le plan précis
du câblage cérébral – nous avons 85 milliards
de neurones, dont chacun est porteur de milliers de connexions – n’existe pas dans nos chromosomes. Notre ADN a une action plus subtile : il donne
à nos neurones une boîte à outils, plus ou moins
performante, leur permettant de bâtir un réseau de
connexions plastiques et dynamiques. Le cerveau se
bâtit grâce à un mélange de déterminisme génétique,
de réponse à l’environnement et de hasard. Notre
quotient intellectuel, in fine, n’est déterminé par
notre ADN qu’à hauteur d’un peu moins des deux
tiers ; le tiers restant étant lié à l’école, la stimulation
familiale, l’environnement et l’alimentation.
Les scientifiques commencent à étudier les bases
biologiques de nos émotions : des facteurs génétiques
ont été identifiés qui favorisent les addictions à l’alcool,
à la drogue, au jeu ou au sexe, et les liens entre génétique, foi et cerveau commencent à être étudiés. Notre
rapport aux autres et notre propension au bonheur
eux-mêmes ont des origines génétiques. Publiée par
Cahier du « Monde » No 22099 daté Mercredi 3 février 2016 - Ne peut être vendu séparément
Alexander Kogan en 2011 dans PNAS, une étude montre
qu’une base chimique, sur les 3 milliards que comportent nos chromosomes, module notre niveau de sociabilité : un changement minime du gène du récepteur
de l’hormone ocytocine modifie notre empathie.
Le variant « A » accroît le plaisir
Ce désespérant déterminisme génétique se transpose
également à l’échelle d’un pays. Une étude publiée en
janvier dans Journal of Happiness Studies montre que
les nations où une forte proportion de la population
possède un variant génétique dit « A » du gène fatty
acid amide hydrolase (FAAH), qui correspond à la mutation rs324420, sont plus heureuses. Ce variant génétique réduit la sensation de la douleur et accroît le plaisir.
Il existe une corrélation troublante entre la proportion
d’individus qui se décrivent comme heureux dans un
pays et la fréquence de la mutation génétique « A ».
La neurogénétique ouvre des perspectives inédites
qui font bouger les lignes philosophiques même si,
bien sûr, la génétique n’est pas le seul déterminant du
bonheur. Les sciences du cerveau bouleversent notre
vision de la politique : dans quelle mesure les peuples
sont-ils prisonniers de leurs caractéristiques neurogénétiques ? Les études internationales montrent
d’ailleurs que le bonheur national n’est pas corrélé
aux conditions objectives : les Français sont plus
pessimistes que les Afghans et les Irakiens ! On
retrouve une forte proportion de la mutation « A »
favorable au bonheur dans les pays où les conditions
sont dures. Comme si l’évolution darwinienne avait
compensé le stress environnemental par des mutations favorables au bonheur.
Le marketing politique va donc dépasser Twitter et
Facebook : une adaptation du discours politique aux caractéristiques neurogénétiques de la population aurait
du sens. L’impuissance des politiques à augmenter le
bonheur national aurait donc aussi des causes
génétiques. Aux Etats-Unis, certains prévenus se défendent en invoquant des arguments neurobiologiques :
« Ce n’est pas moi qui ai tué, c’est mon cerveau ; ce n’est
pas ma faute, c’est la faute de mes gènes .» François
Hollande dira-t-il un jour : « Les Français sont mécontents, ce n’est pas de ma faute mais celle de leur ADN » ? p
2|
0123
Mercredi 3 février 2016
| SCIENCE & MÉDECINE |
AC T UA L I T É
Devenir adulte avec une maladie chronique
| Préparer la transition des adolescents suivis dans un service de pédiatrie
vers un service hospitalier adulte constitue un enjeu sanitaire important pour éviter les ruptures de soins
médecine
florence rosier
I
ls sont au moins 1 million de jeunes, entre 13 et 25 ans, à être atteints d’une maladie rare ou chronique en France. Depuis
l’enfance, beaucoup sont suivis dans un
service de pédiatrie à l’hôpital. « C’est un
peu leur deuxième famille : ils connaissent très bien les médecins, les infirmières et le
personnel soignant, qui les cocoonent », témoigne la professeure Agnès Hartemann, chef du
service de diabétologie à l’hôpital de la PitiéSalpêtrière, à Paris. Mais ces enfants grandissent. Et vient le moment où ils doivent quitter
cet univers rassurant pour rejoindre l’inconnu :
le secteur adulte d’un autre hôpital, le plus
souvent. « C’est un changement de famille », dit
Agnès Hartemann.
« On estime que 60 % de ces transferts posent
problème », relève le docteur Nizar Mahlaoui, du
service d’immunologie pédiatrique de l’hôpital
Necker-Enfants malades, à Paris. Le 18 janvier, un
séminaire était organisé sur ce thème par Necker et l’Hôpital européen Georges-Pompidou
(HEGP), deux fleurons de l’Assistance publiqueHôpitaux de Paris (AP-HP).
Comment, lors de ce transfert, éviter les ruptures de soins ? Comment favoriser l’autonomie
de ces jeunes vis-à-vis de leur maladie et les
aider à se projeter dans une vie personnelle
d’adulte ? Ce moment charnière est jugé « très
sensible », d’autant que l’adolescence est propice
à un déni de la maladie et à des comportements
à risque. « Les hôpitaux pédiatriques ont du mal
à passer la main, et les jeunes patients ont du mal
à s’imaginer dans un hôpital pour adultes »,
résume le professeur Eric Thervet, de l’HEGP.
Premier constat : ces transitions, dont le
nombre augmente, sont dues aux remarquables progrès de la prise en charge de ces enfants. « Entre 1982 et 2007, la proportion de jeunes atteints de mucoviscidose atteignant l’âge
Pour les jeunes ayant reçu une
transplantation rénale, le suivi
des traitements chute après
le transfert en secteur adulte.
D’où un pic de rejets du greffon
dans l’année qui suit
de 18 ans est passée de 27 % à 56 % », selon une
analyse du centre Cochrane. Pour autant, « ce
n’est pas l’âge de 18 ans qui fait qu’on bascule vers
une prise en charge dans le secteur adulte. C’est
la maturation psychologique ou physique »,
souligne Nizar Mahlaoui.
« Le problème de la transition est ancien pour
le diabète de type 1. Mais il est plus récent pour
les infections à VIH, les cardiopathies congénitales, la drépanocytose ou la mucoviscidose », note
Antoine Rachas, médecin de santé publique à
Deux jeunes patients dans la salle de jeux réservée aux adolescents atteints de cancer, à l’Institut Gustave-Roussy (Villejuif). JULIE BALAGUÉ POUR « LE
MONDE »
l’hôpital Bicêtre. Quid du devenir de ces enfants
à l’âge adulte ? Peu d’études sont disponibles.
Pour les jeunes ayant reçu une transplantation
rénale, par exemple, le suivi (« observance »)
des traitements chute après le transfert en secteur adulte. D’où un pic de rejets du greffon
dans l’année qui suit.
Atteint de mucoviscidose, Maxime, 15 ans, est
pris en charge à Necker. Il y a un an, il a reçu une
greffe pulmonaire à l’HEGP. « Depuis, je me sens
mieux : je ne suis plus essoufflé quand je monte
les escaliers, par exemple. » Maxime a moins de
soins qu’avant, mais ses traitements médicamenteux restent lourds. « A l’HEGP, ils m’ont appris à faire mon semainier, à respecter les horaires. » Une responsabilisation cruciale pour la
maman. « A Necker, j’étais la principale interlocutrice des équipes soignantes. C’est très différent à
l’HEGP : après la greffe, on a demandé à Maxime
de se prendre en charge. » Il est désormais bien
plus investi dans son parcours de soins.
Audrey, 41 ans, témoigne du « flottement »
qu’elle a vécu à l’adolescence dans la prise en
charge de sa maladie cardiaque congénitale. A
l’âge de 7 ans, elle subit sa première intervention
chirurgicale, suivie d’une deuxième opération à
14 ans, dans deux hôpitaux parisiens différents.
A 17 ans, elle fait un arrêt cardiaque, pris en
charge dans un troisième hôpital. « J’étais alors
trop âgée pour être suivie en secteur pédiatrique,
mais très jeune par rapport aux patients des services adultes », résume-t-elle. Le suivi de sa malformation cardiaque se délite. Pour ses études,
elle part en province trois ans. « Je n’ai pas eu de
réponse adaptée à ma situation. » A 36 ans, on
lui diagnostique une fibrillation atriale avec
une insuffisance cardiaque, qui nécessite plusieurs hospitalisations en urgence. « Ce n’est
qu’à l’HEGP que j’ai finalement trouvé une réponse pluridisciplinaire. » Elle aura une troisième intervention chirurgicale à Necker dans
un service… pédiatrique.
La jeune femme propose plusieurs pistes
d’amélioration : par exemple, identifier un référent médical unique ; mieux informer les médecins de ville ; délivrer très tôt un message aux
parents et aux patients sur les modalités et la
durée du suivi ; assurer une prise en charge psychosociale… Les « perdus de vue » sont la hantise des équipes médicales. « Ils viennent de l’absence d’un référent médical unique, estiment
Magalie Ladouceur et Laurence Iserin, cardiologues à Necker et à l’HEGP, respectivement. Pour
ces cardiomyopathies congénitales complexes, le
suivi doit se faire dans un centre de référence. »
Le 25 janvier, David, 18 ans, atteint de drépanocytose, s’est rendu pour la première fois à la
consultation adulte du docteur Jean-Benoît
Arlet, à l’HEGP. « J’étais un peu angoissé à l’idée
de rencontrer un nouveau médecin qui ne savait
En cancérologie, le maintien du lien
L
a cancérologie a ouvert la
voie : dès 2002, une première
unité adolescents et jeunes
adultes (AJA) était créée à l’Institut
Gustave-Roussy (IGR), à Villejuif.
« Dans de nombreux hôpitaux,
la prise en charge des 13-25 ans
atteints de cancers n’est pas scindée
entre les enfants et les adultes », se
réjouit la docteure Nathalie Gaspar,
pédiatre à l’IGR. Car ici plus
qu’ailleurs la double expertise est
cruciale : celle des oncologues des
adultes et celle de leurs collègues
spécialistes de l’enfant.
A cela, une raison propre aux maladies cancéreuses. Les cancers
qui frappent les enfants sont très
différents de ceux qui touchent
les adultes : ce sont des tumeurs du
sang (des leucémies), des tumeurs
cérébrales ou encore des cancers
qui miment des tissus fœtaux,
comme les néphroblastomes.
Les cancers de l’adulte, eux, sont le
plus souvent des carcinomes : des
tumeurs du côlon, du poumon, du
sein… quasi absentes chez l’enfant.
Mais chez l’adolescent ? Les jeunes
de 13-25 ans ont le triste privilège de
pouvoir être affectés des cancers de
l’enfant ou de l’adulte et de cancers
qui leur sont propres (des sarcomes
osseux, des lymphomes et des tumeurs du testicule ou de l’ovaire).
« Nous avons besoin d’une collaboration très étroite entre les pédiatres
et les oncologues de l’adulte. C’est
pourquoi nous réfléchissons depuis
longtemps à cette question de la transition », explique Nathalie Gaspar.
Cette transition sera modulée
selon le type de cancer. Un jeune de
23 ans atteint d’une tumeur pédiatrique sera plutôt traité en pédiatrie.
A l’inverse, un adolescent de 17 ans
ayant un carcinome tirera plus
de bénéfices d’une expertise en
oncologie de l’adulte et d’une prise
en charge en pédiatrie.
Grâce au deuxième plan Cancer, les
13-25 ans suivis à Gustave-Roussy bénéficient d’un autre appui : une unité
mobile pour faire le lien entre la pédiatrie et les services adultes. Elle
comprend deux médecins (un pédiatre et un oncologue pour adulte),
une infirmière coordinatrice, deux
psychologues, un éducateur spécialisé et une assistante sociale. « Nous
assurons ainsi une meilleure continuité des soins, puisque ce sont les mêmes personnes que les jeunes retrouvent dans leur parcours de soins, dit
Nathalie Gaspar. L’unité offre aussi un
soutien global, important pour la transition. Cet axe devrait être développé
avec le dernier plan Cancer. » Ici aussi,
un programme d’éducation thérapeutique est proposé aux jeunes. Parmi
les thèmes abordés : la douleur,
l’image corporelle, l’alimentation, les
addictions, la fertilité, la sexualité…
L’infirmier, référent du jeune
Quid des « perdus de vue » ou des
arrêts de traitement ? « Ces problèmes existent en cancérologie, admet
Nathalie Gaspar. Mais les jeunes
disposent d’une multitude d’intervenants : ils peuvent choisir celui
qui leur convient le mieux. En cas
de rupture avec le milieu médical,
on peut les “raccrocher” ainsi.
L’infirmier coordinateur est essentiel :
c’est le référent du jeune. »
En fait, trois situations de transition
sont à distinguer. Les deux premières
posent généralement peu de difficultés. Les patients guéris devenus
majeurs, tout d’abord : ils entrent
dans un protocole de suivi à long
terme des éventuelles séquelles
de leur cancer ou de ses traitements,
avec des consultations spécialisées.
Les patients non guéris qui nécessitent un traitement au long cours,
ensuite : le moment de la transition
est décidé avec chaque jeune, selon
ses souhaits, sa maturité, son type
de cancer… Mais « une troisième situation n’est pas résolue, dit Nathalie
Gaspar, celle des jeunes dont le cancer
récidive de façon aiguë, à un âge où il
ne peut plus être suivi en pédiatrie ».
Dans ces situations délicates, les
décisions doivent être très rapides.
Pour autant, d’importants progrès
ont été accomplis dans la prise
en charge des cancers de l’enfant :
dans les années 1960, seul un enfant
sur cinq survivait cinq ans après
un diagnostic de cancer. Aujourd’hui
quatre enfants sur cinq survivent.
« Mais les adolescents n’ont pas bénéficié des mêmes progrès, en raison
de leur répartition entre services
pédiatriques et adultes. » Un préjudice qui devrait s’effacer, grâce
à cette continuité des soins. p f. r.
rien de moi, mais il m’a tout expliqué, calmement. Depuis l’enfance, mes parents sont beaucoup derrière moi et, à Necker, j’ai été préparé à
devenir autonome : je n’ai pas de problème pour
suivre mes traitements. » Rencontrer des pairs ?
« Petit, je me posais plein de questions ! Cela
m’aurait intéressé de savoir comment les autres
enfants vivaient avec cette maladie. »
D’ailleurs, selon la professeure Marianne de
Montalembert, pédiatre à Necker, la transition,
pour ces jeunes atteints de drépanocytose, doit
se préparer dès l’enfance, il faut se projeter
dans l’avenir. « Dès l’annonce du diagnostic, je
dis aux parents : “Quand votre enfant aura des
enfants, un travail…” » A Necker, des programmes d’éducation thérapeutique pour les parents et les enfants ont été mis en place ; et à
l’HEGP pour les jeunes adultes.
D’une autre ampleur est le défi posé par les
maladies génétiques rares. « Plus de 25 000 enfants sont suivis pour une de ces maladies à
l’Institut Imagine, à Necker, relève le professeur
Arnold Munnich, pédiatre et généticien. L’affection dont souffre chacun d’entre eux est unique. »
Dans 70 % des cas, aucun diagnostic précis n’est
posé. Ces enfants ont souvent un polyhandicap,
et leur prise en charge est complexe, mobilisant
plusieurs spécialistes. « Ce sont des enfants qui
dérangent, souligne Arnold Munnich. Faut-il les
maintenir dans un univers pédiatrique ? Nous
suivons des jeunes de 25, 30 ou 35 ans qui ne veulent pas nous quitter ! Le projet médico-social est
souvent au centre du projet thérapeutique, mais,
pour les adultes, les structures médico-sociales
font souvent défaut. »
Depuis 2015, la Fondation Hôpitaux de ParisHôpitaux de France développe un programme
« Transition adolescents jeunes adultes ». « Les
directeurs de CHU ont été très motivés pour
répondre à notre appel d’offres national », se réjouit Danuta Pieter, déléguée générale de la Fondation. Neuf projets ont été retenus, à hauteur
de 1 million d’euros.
Parmi eux, le projet phare de Necker : « Il a
pour ambition de fédérer les ressources existantes au sein de l’AP-HP et de répondre aux besoins
identifiés », note le docteur Mahlaoui, coordinateur de ce projet. Trois axes seront développés.
Pour les équipes médicales, il s’agira notamment de créer des outils qui manquent : un annuaire recensant les partenaires labellisés ou
encore les dossiers numérisés des jeunes patients. Pour les adolescents, le projet prévoit un
espace réel et virtuel. Les outils numériques
comprendront un site Internet avec des ressources vidéo, des applications smartphones…
Quant au lieu de vie, ce sera un espace indépendant au cœur de l’hôpital Necker, qui devrait
être prêt en septembre. Il proposera un accueil
par un coordinateur qualifié, des consultations
individuelles de socio-esthétique, de dermatologie, de gynécologie… Des groupes de parole et
des ateliers-débats sont aussi prévus, par exemple sur le thème : « Sport et maladie chronique,
c’est possible ! » Pour faire de ce moment sensible un passage réussi vers l’âge adulte. p
AC T UA L I T É
| SCIENCE & MÉDECINE |
Calculs astronomiques à Babylone
| Des tablettes montrent que les Babyloniens possédaient déjà une maîtrise
suffisante de la géométrie pour calculer la course de Jupiter, quatorze siècles avant les Européens
archéologie
denis delbecq
N
e jamais jeter de
vieilles images, surtout quand elles représentent des objets très anciens.
C’est grâce à des
photographies de tablettes babyloniennes qu’un historien de l’astronomie, Mathieu Ossendrijver, vient
de découvrir à quel point les mathématiciens de l’époque pratiquaient
l’abstraction. Des travaux qui ont eu
les honneurs de la couverture du
magazine Science le 29 janvier.
Au XIXe siècle, époque majeure
pour les fouilles archéologiques
– officielles et sauvages –, quantité
d’objets sont venus enrichir les collections des musées. C’est ainsi que
le British Museum, à Londres, possède plus de 130 000 tablettes d’argile provenant des cités de Babylone
et d’Uruk. Gravées de lignes serrées
en écriture cunéiforme – et vierges
de représentations graphiques –, elles nous ont beaucoup appris sur la
vie quotidienne, l’économie, les mathématiques ou le droit mésopotamiens. Parmi ces tablettes plus ou
moins bien conservées, quelques
centaines seulement démontrent
l’intérêt des mathématiciens de
Babylone pour l’astronomie.
« En 2014, l’assyriologue Hermann
Hunger, de l’université de Vienne, est
venu passer deux semaines dans mon
laboratoire de l’université Humboldt à
Berlin, raconte Mathieu Ossendrijver,
Les Babyloniens avaient
observé que les planètes
et le Soleil se déplacent
suivant une ligne, que
nous appelons écliptique
astrophysicien converti à l’histoire
de sa discipline. Il avait apporté un
jeu de photos vieilles d’une cinquantaine d’années, qu’il m’a laissé, estimant ne rien pouvoir en faire. » Le
chercheur a découvert que l’une
d’entre elles portait des nombres
identiques à ceux qu’il avait observés
sur un lot de quatre tablettes fabriquées entre 350 et 50 ans avant J.-C.,
qui l’occupait depuis quatorze ans :
quatre plaques gravées de calculs
évoquant la méthode des trapèzes,
une technique géométrique qui permet de calculer des surfaces. De leur
0123
Mercredi 3 février 2016
|3
télescope
Recherche
Une médaille d’or retirée
au biologiste Olivier Voinnet
L’Organisation européenne de biologie
moléculaire (EMBO) a décidé de retirer
au biologiste Olivier Voinnet sa médaille
d’or attribuée en 2009. Le Français,
détaché du CNRS à l’ETH Zurich, a dû
rétracter à ce jour sept articles et procéder à vingt et une corrections en raison
de manipulations de données et de
figures qui ont conduit à des sanctions
du CNRS et un avertissement de l’ETH.
L’EMBO a, de son côté, examiné les publications soumises pour l’obtention de
la médaille d’or, et y a découvert d’autres
manipulations, qu’elle a jugé « inacceptables ». La Fondation nationale suisse
des sciences a récemment annoncé
qu’elle suspendait pour trois ans les financements octroyés à Olivier Voinnet.
Immunité
Le fluide vaginal maternel restitue
la flore de bébés nés par césarienne
En tamponnant la bouche, le visage et le
corps de bébés nés par césarienne avec le
fluide vaginal de leurs mères lors de l’accouchement, il est possible de restaurer
partiellement leue microbiote. C’est ce
que montre une étude menée par une
équipe américaine, qui a suivi pendant
trente jours l’évolution des communautés microbiennes dans la bouche, les
intestins et sur la peau des nouveau-nés.
Cette expérience était motivée par le fait
que le microbiote des enfants nés par césarienne est différent de celui de ceux
nés par voie basse, et que la césarienne
est associée à un risque accru de troubles
immunitaires ou métaboliques.
> Dominguez-Bello et al., « Nature
Medicine », 1er février.
Tablette
babylonienne
(entre 350
et 50 av. J.-C.).
TRUSTEES OF THE
BRITISH MUSEUM/
MATHIEU
OSSENDRIJVER
contexte, M. Ossendrijver n’avait
qu’une certitude : elles mentionnaient Jupiter. La cinquième tablette
lui a permis de résoudre l’énigme.
Elle décrit en détail la procédure de
calcul appliquée dans les quatre
autres, l’algorithme mis en œuvre
pour déduire la distance parcourue
par Jupiter sur l’écliptique, à partir de
l’évolution de sa vitesse angulaire au
fil du temps. Des calculs qui portent
sur les soixante premiers jours du cycle de la planète, qui démarre quand
elle commence à être visible dans le
ciel, juste avant l’aube.
Les Babyloniens n’avaient aucune
idée de la géométrie de notre Système solaire, et encore moins des
lois qui gouvernent le mouvement
des astres ou de la notion de plan de
l’écliptique, celui dans lequel la Terre
tourne autour du Soleil. Mais ils
avaient observé que, vus de la Terre,
les planètes et le Soleil se déplacent
suivant une ligne dans le ciel, que
nous appelons écliptique. Leurs calculs astronomiques se bornaient
donc à prévoir quand une planète
apparaît ou disparaît et à estimer la
vitesse angulaire de son déplacement sur cette ligne. Une trajectoire
qui forme une boucle, suivant l’illusion optique liée au mouvement relatif de la planète et de la Terre : l’astre commence par suivre une ligne
droite, puis ralentit et repart dans
l’autre sens, en accélérant, tout en
dessinant une boucle – c’est le mouvement rétrograde –, avant de ralentir et d’achever son mouvement rétrograde en accélérant à nouveau
dans la direction de départ.
« Ces tablettes montrent comment
les Babyloniens calculaient le déplacement de Jupiter, en supposant que
sa vitesse varie de manière linéaire
dans le temps », explique le Danois
Jens Horup, l’un des meilleurs spécialistes des mathématiques babyloniennes, qui salue « le travail remarquable de Mathieu Ossendrijver ».
« Cela revient à tracer la courbe qui
représente la variation de vitesse en
fonction du temps, puis à calculer la
surface sous cette courbe qui correspond à la distance parcourue. » Ce
que les mathématiciens appellent
un calcul intégral, pour lequel le découpage de cette surface en trapèzes
est un outil simple, mais efficace en
première approximation. « Mais attention, cela ne signifie pas que les
mathématiciens de l’époque faisaient
des schémas, on n’en a jamais retrouvé. C’est simplement une astuce
de calcul », souligne de son côté Jim
Ritter, de l’Institut de mathématiques de Jussieu, à Paris.
A dire vrai, personne n’est capable
de dire s’il s’agissait bien de calculs à
vocation astronomique ou de la simple application de la méthode des
trapèzes à l’exemple de la trajectoire
de Jupiter, planète qui symbolise
Mardouk, le plus important des
dieux babyloniens. « Dans les tablettes, il s’agit de déterminer en combien de jours Jupiter parcourt la moitié de la distance qu’elle accomplit en
soixante jours, ce qui revient à déterminer deux trapèzes de même surface. La réponse est d’un peu plus de
vingt-huit jours, puisque la vitesse
n’est pas constante, mais elle n’a pas
d’intérêt en astronomie », souligne
Mathieu Ossendrijver.
Pour autant, ces tablettes montrent
que les Babyloniens, s’ils ne maîtrisaient pas la géométrie comme les
Grecs le feront plus tard, possédaient
déjà une capacité à l’abstraction suffisante pour effectuer des calculs
dans un espace mathématique abstrait dont l’une des dimensions est le
temps. « C’est le plus ancien exemple
de lien entre un raisonnement géométrique et l’astronomie mathématique. Et, même si on ne sait pas s’il
s’agit simplement d’un algorithme, le
vocabulaire employé dans les tablettes est bien géométrique », se réjouit
Jim Ritter. Après l’abandon de l’écriture cunéiforme, vers l’an 100 de
l’ère chrétienne, qui signa l’oubli du
savoir babylonien, un tel lien ne
réapparaîtra qu’au XIVe siècle, chez
les philosophes mathématiciens
d’Oxford et de Paris. p
Génétique
Des souris mâles fertiles
sans chromosome Y
Une équipe franco-américaine a produit
des souris mâles dépourvues de chromosome Y, en faisant s’exprimer deux
gènes-clés de la masculinisation sur
d’autres chromosomes. Monika Ward
(université d’Hawaï) et ses collègues
avaient déjà montré que seuls deux gènes
du chromosome Y, Sry et Eif2s3, étaient
nécessaires pour produire des souris
mâles capables d’avoir une descendance
par procréation assistée. Cette fois, les
souris ont été génétiquement modifiées
pour être dépourvues de chromosome Y,
tandis que les gènes de masculinisation
étaient surexprimés sur les chromosomes X et 9. Les souris mâles obtenues
produisaient des gamètes incomplètement formées, qui par implantation ont
permis la naissance de souriceaux eux
aussi fertiles. (PHOTO : YASUHIRO YAMAUCHI.)
> Yamauchi et al., « Science »,
29 janvier.
L’embryon humain dans la mire de Crispr
Le Royaume-Uni autorise cette technique d’ingénierie du gène sur un œuf fécondé
U
ne équipe de l’Institut Francis-Crick,
à Londres, a reçu le 1er février de
l’Autorité pour l’embryologie et la
fertilisation humaine britannique
(HFEA) l’autorisation de procéder à des manipulations sur des embryons humains, à l’aide
de la technique d’ingénierie du gène CrisprCas9. En avril, une équipe chinoise avait annoncé l’avoir utilisée sur des embryons humains non viables, pour voir si elle permettrait
d’enrayer une maladie génétique du sang, la
bêta-thalassémie. Cette annonce avait suscité
des débats sur la possibilité de créer des bébés
génétiquement modifiés et d’altérer la lignée
humaine en modifiant les cellules germinales.
L’autorisation donnée par la HFEA va sans
nul doute relancer les discussions sur le spectre d’une forme d’eugénisme. Il s’agit en l’espèce de permettre à l’équipe de Kathy Niakan
de désactiver de façon sélective certains gènes
qui, chez les modèles animaux, sont considérés comme cruciaux dans le développement
de l’embryon et la différenciation de ses premières cellules en divers tissus – l’individu à
naître d’un côté, le placenta de l’autre. CrisprCas9 serait mis en œuvre sur l’embryon au
stade de la première cellule (premier jour), et sa
croissance serait stoppée au bout d’une semaine, quand il compte 250 cellules. Il n’est pas
question d’implanter ces embryons dans un
utérus, mais d’observer les anomalies induites
par le « knock-out », l’inactivation des gènes
ciblés, dans le but de mieux comprendre certaines formes d’infertilité.
Les embryons utilisés seraient issus de dons
effectués par des couples ayant dû avoir recours à des fécondations in vitro (FIV). Il faudrait de 20 à 30 embryons par gène étudié,
estime l’équipe de l’institut Crick.
Générations futures
Le Royaume-Uni autorise depuis 2009 les recherches fondamentales sur des embryons
humains. Il a aussi autorisé début 2015 la fécondation in vitro « à trois parents » : l’ADN mitochondrial d’une donneuse serait introduit
dans l’œuf pour éviter des maladies métaboliques. Le pays n’est pas signataire de la convention d’Oviedo (1997), ratifiée par la plupart des
Etats européens, dont la France, qui interdit
« toute modification génique sur des embryons
qui serait transmise aux générations futures ».
En décembre 2015, une réunion internationale convoquée à Washington à l’initiative de
sociétés savantes américaine, britannique et
chinoise, s’était conclue par un appel à un moratoire sur les manipulations de l’ADN des cellules sexuelles et de l’embryon, jugeant
qu’aujourd’hui, pour des raisons techniques et
éthiques, « il serait irresponsable de poursuivre
tout usage clinique de l’édition de cellules germinales ». En l’occurrence, les travaux envisagés
par Kathy Niakan s’inscrivent dans un cadre de
recherches fondamentales auxquelles cette
déclaration n’était pas opposée. Cette réunion
avait montré qu’au sein même des promoteurs de Crispr-Cas9, certains étaient favorables à son utilisation sur l’embryon, quand
d’autres étaient fermement contre.
L’autorisation donnée par la HFEA ne vaut
pas feu vert définitif. Un comité d’éthique
doit encore se prononcer avant que l’expérimentation puisse commencer, en principe
d’ici quelques mois. En France, plusieurs sociétés savantes préparent des avis sur l’utilisation de Crispr-Cas9 sur les cellules germinales
et l’embryon humains. p
hervé morin
Dans l’
êt de
la science
mathieu vidard
arré
la tête au c
14 :00 -15 :00
avec, tous les mardis,
la chronique de Pierre Barthélémy
4|
0123
Mercredi 3 février 2016
| SCIENCE & MÉDECINE |
ÉVÉNEMENT
Zika
Aedes albopictus
L’épidémie en 10 questions
virologie
Ce virus, transmis par les moustiques du genre «Aedes», envahit les Amériques et les Caraïbes.
A l’heure où des cas sont importés en Europe, éclairage sur la provenance, les symptômes et les risques
L’
sandrine cabut et pascale santi
inquiétude monte face
au virus Zika. Se propageant de manière explosive, il est fortement
soupçonné de causer
des troubles neurologiques, le syndrome de
Guillain-Barré, et des
malformations congénitales, les microcéphalies. Lundi 1er février, à l’issue
d’une réunion d’experts, l’Organisation
mondiale de la santé (OMS) a décrété que
l’épidémie constitue « une urgence de
santé publique de portée mondiale ».
Transmis par des moustiques, comme la
dengue ou le chikungunya, ce virus a déjà
touché 1,5 million de personnes au Brésil,
et 3 à 4 millions de cas sont attendus sur le
continent américain en 2016. Des cas importés ont été identifiés en Europe, dont
cinq en France métropolitaine. Accusée
d’avoir réagi trop faiblement lors de l’épidémie d’Ebola, l’OMS a annoncé des recommandations pour mieux lutter contre
cette nouvelle menace. L’une des priorités
est d’accroître la surveillance des cas de
syndromes de Guillain-Barré et des microcéphalies dans les zones touchées par
le Zika, afin de déterminer si celui-ci est directement en cause, ou s’il existe d’autres
facteurs. L’OMS prône une intensification
des recherches pour mettre au point des
traitements, un vaccin et de nouveaux
tests de diagnostic. Aucune mesure de restriction des voyages et des échanges commerciaux n’est en revanche envisagée.
En dix questions, tour d’horizon sur un
virus qui pose de nouveaux défis.
elle aurait touché les trois quarts de la population. D’autres ont suivi, en Polynésie
française d’octobre 2013 à avril 2014, et au
Brésil, depuis mai 2015. Les premiers cas
brésiliens ont été décrits dans deux articles publiés en mai et juin 2015. Depuis octobre 2015, le virus s’est propagé dans des
pays d’Amérique centrale.
La Guyane et la Martinique sont à leur
tour en phase épidémique. « C’est la troisième épidémie d’arbovirose après la dengue et le chikungunya, et probablement
pas la dernière. La diffusion du Zika a été
extrêmement rapide à l’échelle planétaire », souligne François Bourdillon, directeur général de l’Institut national de
veille sanitaire (InVS).
Le recueil de données se poursuit pour
affiner les modèles visant à décrire l’évolution de l’épidémie et évaluer les moyens
pour la juguler et prendre en charge les
malades. Mais, note Simon Cauchemez,
spécialiste de la modélisation à l’Institut
Pasteur, il faudra encore « quelques semaines » pour proposer des scénarios étayés.
Est-ce un virus mutant ?
C’est ce qui pourrait expliquer l’explosion récente des cas, selon des experts cités dans New Scientist. L’hypothèse semble cependant peu probable aux yeux
d’autres spécialistes. L’analyse du génome
entier du virus Zika qui circule au Brésil
montre une similitude « quasi complète »
avec les souches à l’origine de l’épidémie
qui a sévi en 2013 et 2014 dans le Pacifique,
selon une étude parue dans The Lancet le
16 janvier, menée par les chercheurs de
l’Institut Pasteur de Guyane.
D’où vient Zika,
et jusqu’où ira-t-il ?
Comment reconnaître
la maladie ?
Le Zika est un arbovirus transmis par la
piqûre de moustiques du genre Aedes aegypti (ou albopictus). De la famille des flavivirus, comme ceux de la dengue ou de la
fièvre jaune, le Zika a été identifié pour la
première fois chez un singe macaque rhésus dans une forêt ougandaise en 1947. Il a
ensuite été isolé chez l’homme en 1952, en
Ouganda et en Tanzanie.
La première épidémie s’est déclarée
dans les îles Yap (Micronésie) en 2007, où
L’infection est asymptomatique dans les
trois quarts des cas. Les symptômes,
quand ils existent, apparaissent trois à
douze jours après la piqûre, sous forme
d’éruption cutanée avec ou sans fièvre. A
cela peuvent s’ajouter fatigue, maux de
tête et courbatures, laissant penser à un
syndrome grippal. Le virus peut aussi se
manifester par une conjonctivite, un
œdème des mains ou des pieds. Ces symptômes disparaissent généralement en
deux à sept jours, précise l’OMS. A priori,
l’infection est immunisante, ce qui signifie qu’on ne peut pas contracter deux fois
le virus. Zika et ses conséquences chez
l’homme restent toutefois mal connus,
concèdent les spécialistes.
Comment la détecter ?
Les gènes du virus peuvent être repérés
par des analyses sanguines, d’urine ou de
salive. Mais la fenêtre est étroite. « Le virus
est présent dans le sang entre trois à cinq
jours, dans les urines pendant environ dix
jours, dans la salive entre trois à cinq jours.
Il n’y a pas de données sur le lait maternel »,
explique Isabelle Leparc-Goffart, coordinatrice du Centre national des arbovirus
(CNR-IRBA). Le CNR devrait fournir prochainement des données plus précises.
En cas de résultat négatif malgré des
symptômes évocateurs d’une infection à
virus Zika, un diagnostic sérologique (recherche d’anticorps) est effectué par les
seuls CNR (1 en Guyane et 1 en France métropolitaine, à Marseille, qui en a déjà réalisé plus de 1 000). La circulation concomitante de la dengue et du chikungunya
(proches du Zika) complique le diagnostic,
tant clinique que biologique.
Quels sont les risques pour
une femme enceinte ?
C’est l’un des principaux sujets de préoccupation. Même si la preuve n’est pas encore formellement établie, il est désormais hautement probable qu’une infection par le virus Zika pendant la grossesse
peut entraîner de graves anomalies du développement cérébral, comme les microcéphalies (trop petite taille du cerveau
et du périmètre crânien, souvent associée
à des lésions cérébrales). Les atteintes les
plus sévères peuvent conduire à une mort
in utero ou dans les premiers jours de vie.
Début 2016, parallèlement à la flambée
épidémique du Zika, les autorités sanitaires locales du Brésil ont recensé plus de
4 000 cas suspects de microcéphalie, soit
une multiplication par 20 à 30 par rapport
aux années précédentes.
« Les microcéphalies peuvent relever de
plusieurs causes, notamment toxiques, génétiques ou infectieuses. Mais au Brésil, la
corrélation de l’excès de cas avec l’épidémie
d’infection à Zika, dans le temps et dans
l’espace, est très suggestive d’un lien de
cause à effet, souligne Jet De Valk, responsable de l’unité zoonoses et maladies à
transmission vectorielle à l’InVS. Dans
plusieurs cas, du virus Zika a été mis en évidence dans le liquide amniotique, ce qui est
un argument supplémentaire. »
Des études sont en cours pour établir
formellement le lien. « Pour d’autres virus,
comme le cytomégalovirus, le placenta
joue un rôle de barrière. Une infection de la
femme enceinte n’est donc pas toujours
transmise à son fœtus. Il est établi que les
atteintes pour l’enfant à naître dépendent
du moment où le virus atteint le fœtus, dit
le professeur Yves Ville, chef de la maternité de l’hôpital Necker (AP-HP), à Paris.
Quand l’infection est précoce, au premier
trimestre, c’est souvent la loi du tout ou
rien : soit aucune lésion, soit une atteinte
majeure, qui aboutit souvent à une fausse
couche. Un passage plus tardif peut avoir
des conséquences plus modestes (retard de
croissance intra-utérin) et réversibles. Il en
va sans doute de même pour Zika. »
Que faire pendant
la grossesse ?
Le message est clair : en France, la ministre de la santé, Marisol Touraine, déconseille aux femmes enceintes de se rendre
dans les zones touchées. Le Haut Conseil
de santé publique (HCSP) a actualisé ses
recommandations sur ce virus le 22 janvier. Celles-ci comprennent l’organisation
« d’une information, d’un suivi et d’une
prise en charge renforcés de toutes les femmes enceintes dans les zones d’épidémie du
virus Zika, que ces femmes soient ou non
suspectes d’infection par le virus Zika ». Le
HCSP préconise la mise en place « d’un système de surveillance et d’alerte spécifique à
la détection d’anomalies congénitales neurologiques ou non ». La microcéphalie
peut être suspectée en échographie au
deuxième semestre de grossesse. Il existe
un test diagnostique de l’infection fœtale
par l’isolement du virus dans le liquide
amniotique après amniocentèse.
En Martinique, où les premiers cas
autochtones de Zika ont été détectés en
décembre 2015, six femmes enceintes in-
Les « Aedes », moustiques à haut risque
A
edes aegypti, Aedes albopictus… Ces deux noms latins
cachent des bestioles aussi
inquiétantes que mystérieuses.
Imaginez : la Terre compte quelque
3 500 espèces de moustiques.
Parmi elles, seule une centaine sont
« anthropophiles », autrement dit se
gavent de sang humain. Et, au sein
de cette minorité, deux espèces véhiculent la fièvre jaune, la dengue, le
chikungunya et le Zika, tuant environ 60 000 personnes chaque année.
En termes de mortalité humaine, on
reste loin de l’hécatombe provoquée
par les moustiques du genre anophèle, vecteurs du paludisme et responsables de 435 000 morts en 2015.
Mais la plasticité de ces insectes, le
nombre de virus dangereux qu’ils
transportent et leur expansion à travers le monde à la faveur du réchauffement climatique et de la mondialisation des échanges rendent urgente
la compréhension du phénomène.
Au commencement était la forêt.
La canopée africaine pour aegypti, la
jungle asiatique pour albopictus (le
moustique-tigre). Comme d’autres
espèces du genre Aedes, les deux cousins se nourrissaient de sucs de plantes, sauf qu’avant la ponte les femelles
allaient se gorger de sang animal,
essentiellement les singes, pour disposer des protéines nécessaires. Quand
sont apparus les terribles virus ?
On l’ignore, mais il est clair qu’ils ont
trouvé avec Aedes un hôte de choix.
« C’est ce qu’on appelle une coévolution », explique Anna-Bella Failloux,
responsable du groupe arbovirus et
insectes vecteurs à l’Institut Pasteur.
Ingéré lors du repas sanguin par le
moustique, le virus doit, pour prospérer, franchir une double barrière en
principe hermétique. Sauf à disposer
de la bonne clé. « Les deux se sont trouvés, le virus a pu passer de l’estomac
au sang du moustique, l’infecter sans
le tuer, puis dans les glandes salivaires,
prêt à contaminer une prochaine
victime », poursuit la chercheuse.
Quand les hommes sont entrés dans
la forêt, « certains moustiques en ont
profité, se sont spécialisés, raconte Frédéric Simard, entomologiste à l’IRD de
Montpellier. Avec la destruction forestière, ils ont gagné la ville et trouvé là
un supermarché à portée de la trompe.
Une source de nourriture inépuisable,
pas ou peu de prédateurs et des gîtes
larvaires à profusion. » En effet, les
moustiques pondent dans de petites
réserves d’eau où les larves se développeront. En forêt, ce sont les trous d’arbre, où des prédateurs les menacent.
En ville, les pots de fleurs, les gouttières ou l’intérieur des vieux pneus…
« Ils se jouent des insecticides »
Encore fallait-il s’adapter à ce nouveau milieu. « Les Aedes sont très forts.
Ils ont vaincu les polluants comme ils
se jouent aujourd’hui des insecticides »,
souligne Frédéric Simard. Ne s’éloignant pas de plus de 300 mètres de
leur base, ils ont su profiter des échanges internationaux pour se répandre.
Partis d’Afrique, les aegypti, ou plutôt
leurs œufs (capables de rester au sec
de longs mois avant d’éclore en milieu
humide), ont gagné l’Asie par la route
du commerce et l’Amérique du Sud
dans les bateaux chargés d’esclaves,
tandis que les albopictus quittaient
l’Asie pour l’Afrique, l’Amérique, puis
l’Europe. « Ils seraient arrivés des Etats-
Unis à Gênes dans un stock de pneus »,
assure Anna-Bella Failloux.
Si la chercheuse emploie un conditionnel, c’est que la connaissance reste
parcellaire. Réalisée en 2005, la synthèse du génome d’aegypti a laissé
de nombreux points obscurs. Celle
d’albopictus n’est toujours pas achevée. Parcellaire et évolutive. Il y a encore vingt ans, aegypti, identifié dès
1900 comme vecteur de la fièvre
jaune, puis de la dengue, semblait la
menace la plus sérieuse. « On s’est
aperçu que pour la dengue et le chikungunya albopictus était au moins aussi
performant pour la transmission et
qu’en plus il était capable de s’adapter
aux climats tempérés, ajoute Frédéric
Simard. Avec Zika, c’est la même chose.
On l’a d’abord retrouvé chez aegypti.
Mais nos travaux de 2014 montrent que
lors de l’épidémie de dengue de 2007,
au Gabon, il y avait du Zika, et que
le coupable était albopictus. » Entre les
deux moustiques, le match est donc
ouvert. Il a déjà fait exploser l’épidémie de dengue. Avec Zika, ils ont
trouvé un nouveau terrain de jeu. p
nathaniel herzberg
TAÏWAN
1
ILE DE YAP, MICRONÉSIE 2007
Première épidémie recensée
5 000 infections
6
AUSTRALIE
CONCEPTION ET RÉALISATION :
EUGÉNIE DUMAS ET SYLVIE GITTUS-POURRIAS
SOURCES : OMS ; PAN AMERICAN HEALTH
ORGANIZATION ; CELLULE INTERRÉGIONALE
D’ÉPIDÉMIOLOGIE ANTILLES-GUYANE ; EUROPEAN
CENTRE FOR DISEASE PREVENTION AND CONTROL ;
EUROSURVEILLANCE.ORG ;
TAIWAN CENTERS FOR DISEASE CONTROL ; BULLETIN
EPIDEMIO, RÉSEAU DES MÉDECINS SENTINELLES
DE NOUVELLE-CALÉDONIE ; THE LANCET ; THE ROYAL
SOCIETY PUBLISHING ; INSTITUT PASTEUR ; LE MONDE
fectées par le virus ont déjà été repérées,
qui vont bénéficier de ce suivi renforcé,
précise Martine Ledrans, responsable de
la cellule de l’InVS Antilles-Guyane.
Face aux nombreux appels de femmes
enceintes revenant d’une zone épidémique, Yves Ville a ouvert une consultation
spécialisée Zika à Necker, le 1er février.
Quelles sont les autres
complications de l’infection ?
La survenue d’un syndrome de
Guillain-Barré (SGB) est l’autre motif de
préoccupation. Dû à une atteinte des racines nerveuses, ce syndrome associe
des douleurs – musculaires et sur des
trajets de nerfs –, des troubles sensitifs
(picotements…) et surtout des paralysies
d’intensité variable. Après une phase
d’extension et de plateau, qui peut durer
plusieurs semaines, les signes disparaissent dans 80 % des cas. L’atteinte des
muscles respiratoires est la plus redoutée : elle conduit à une assistance respiratoire chez environ 20 % des malades.
Le SGB est rare, sa prévalence est de
l’ordre de 1 à 2 cas pour 100 000 personnes en Europe. Il est précédé dans plus de
la moitié des cas par des symptômes infectieux, et de nombreux germes, bactéries ou virus se trouvent à son origine :
grippe, cytomégalovirus… C’est aussi
une complication de certaines vaccinations. Des dizaines de cas de SGB possiblement liés à une infection par Zika
sont en cours d’investigation.
« Aux Antilles, les agences régionales de
santé ont évalué les capacités des services
de réanimation et les CHU se préparent
pour faire face. Par exemple, en Martinique, une soixantaine de cas de syndrome
de Guillain-Barré pourraient survenir, si
l’on se fonde sur la fréquence des cas survenus en Polynésie », indique Jet De Valk.
Ces données, concernant 42 patients,
ont été analysées par l’équipe du professeur Arnaud Fontanet (unité d’épidémiologie des maladies émergentes, Institut Pasteur) pour mieux caractériser
les SGB liés au virus Zika. Les résultats
devraient être publiés dans les prochaines semaines.
ÉVÉNEMENT
| SCIENCE & MÉDECINE |
0123
Mercredi 3 février 2016
|5
La mondialisation d’un virus identifié en Ouganda dès 1947
SUÈDE 1
DANEMARK
1
ROYAUME-UNI
2,8 millions
de voyageurs
3
FRANCE 5
Océan
Atlantique
ETATS-UNIS
Janvier 2016
Océan
Pacifique
4 SUISSE
1
ITALIE
2
ESPAGNE
2,8 millions
de voyageurs
12
10 PAYS-BAS
2 ALLEMAGNE
x EGYPTE
RÉP. DOMINICAINE
PORTO RICO
SAINT-MARTIN
CAP-VERT
HAÏTI 5 10 1
GUADELOUPE
1 2
1 10
GUATEMALA
x SÉNÉGAL
17
1
MARTINIQUE
HONDURAS
SALVADOR
3 BARBADE
x SIERRA LEONE
VENEZUELA
GUYANE
4
PANAMA
4 10
Seuil épidémiologique
En
état
d’alerte,
COLOMBIE
près de 11 000 GUYANA 6 59 atteint sur le littoral
MEXIQUE
3
cas déclarés
EQUATEUR 6
1,5 million
BOLIVIE
1
POLYNÉSIE FRANÇAISE
2013-2014
6
32 000 cas suspects,
383 cas confirmés
OUGANDA 1947
x
TANZANIE
Depuis mai 2015
600 cas suspects
x GABON
Cas recensés
aussi en 2007
BRÉSIL
ILES COOK 2014
NOUVELLE-CALÉDONIE
82 000
voyageurs
SURINAM
x RÉPUBLIQUE
CENTRAFRICAINE
Découverte du virus
chez un macaque rhésus
vivant dans la forêt Zika
de cas suspectés
4 180 cas de microcéphalie
(27 janvier)
Océan
Indien
PARAGUAY
ILE DE PÂQUES 2014
1 cas
2014-2015
138 cas confirmés
1,9 million
de voyageurs
Une épidémie majeure en Amérique du Sud
Nombre de cas confirmés (fin janvier 2016)
Un virus transmis par des moustiques «Aedes»
d’origine tropicale
Lieu où le virus a été identifié pour la première fois
Epidémie déclarée
BRÉSIL Pays à risque de contamination (fin janvier 2016)
Principaux flux de voyageurs en provenance du Brésil
pouvant favoriser la propagation du virus
x
Zone d’implantation des moustiques :
Aedes aegypti
Aedes albopictus dit « moustique-tigre »
(septembre 2014-août 2015)
La transmission est-elle
possible entre humains ?
« La transmission est presque exclusivement vectorielle », note le rapport du HCSP.
Un cas de transmission par voie sexuelle a
été rapporté dans la littérature. Six jours
après son retour d’un voyage au Sénégal
en 2008 pour des travaux sur le paludisme, un chercheur américain présente
des signes cliniques préoccupants. Quatre
jours plus tard, c’est au tour de son épouse
restée aux Etats-Unis. Tous deux sont infectés. Une autre étude mentionne la présence du virus dans le sperme d’un
homme de 44 ans vivant à Tahiti, quinze
jours après le début des symptômes. Des
arguments insuffisants, selon les autorités, pour prouver une transmission par
contact sexuel. Des cas d’infection lors
d’accouchements ont été rapportés, sans
conséquences pour le nouveau-né. Quant
à la transmission par transfusion sanguine, jamais mise en évidence, le risque
ne peut être écarté. « L’Agence nationale de
sécurité du médicament (ANSM) met en
place des mesures qui prennent en compte
ce risque », dit Jet De Valk.
Des traitements ou vaccins
sont-ils disponibles ?
Non. Dans une interview à l’agence Reuters, Gary Kobinger, un chercheur de l’université Laval (Québec) a indiqué qu’un vaccin contre le Zika pourrait être testé chez
l’homme à partir de septembre, et mis à
disposition avant la fin de l’année. Il s’agit
d’un vaccin à ADN, issu d’une collaboration entre l’université de Pennsylvanie, le
groupe pharmaceutique Inovio et le sudcoréen GeneOne Life Science. Sanofi Pasteur, la division vaccins de Sanofi, a annoncé le 2 février qu’il se lançait dans la recherche d’un vaccin contre le virus.
« Il n’y aura probablement pas de vaccin
sûr et efficace contre le virus Zika avant plusieurs années », a toutefois déclaré Anthony Fauci, directeur de l’Institut américain des allergies et maladies infectieuses
(Niaid). Le Niaid explore plusieurs approches, l’une avec un vaccin à ADN, fondé
sur son expérience d’un vaccin pour le vi-
Apparition des premiers cas humains dans les années 1970
L’installation des « Aedes » en Europe
à la faveur du réchauffement climatique
Premiers repérages du moustique-tigre
en Europe dans les années 2000
Projection de la zone d’implantation
du moustique-tigre en 2050
(scénario A2 du GIEC, + 4 °C)
Localisation des premiers foyers épidémiques
Trajets ayant favorisé la propagation du virus
rus West Nile, une autre avec un virus atténué. Dans un article publié le 13 janvier
dans le New England Journal of Medicine,
Anthony Fauci souligne que la recherche
d’un vaccin protégeant contre le Zika
pourrait bénéficier des technologies utilisées pour d’autres flavivirus. De tels vaccins risquent cependant d’être confrontés
aux mêmes écueils, poursuit le patron du
Niaid. « Comme ces épidémies sont sporadiques et imprévisibles, une vaccination
élargie en prévention d’une flambée serait
d’un coût prohibitif avec un rapport coût/
efficacité faible. Quant à l’option de constituer des stocks, elle ne pourrait probablement pas permettre de répondre assez rapidement à une épidémie explosive. »
En l’absence de traitement, les recommandations sont d’éliminer les gîtes potentiels de moustiques (vider, nettoyer ou
couvrir tous les contenants susceptibles
de retenir l’eau, comme les seaux, les pots
de fleurs, pneus, afin d’éliminer les endroits où les moustiques peuvent se reproduire). Les habitants sont invités à privilégier les vêtements longs, clairs, et à
utiliser répulsifs et moustiquaires.
« Les Martiniquais, qui connaissent bien
ces moustiques et ont vécu une épidémie
de chikungunya en 2014, savent comment
empêcher leur prolifération. Mais il faut
une prise de conscience des populations de
la nécessité impérieuse de lutter contre les
Aedes », martèle Martine Ledrans.
D’autant que ces moustiques deviennent
de plus en plus résistants aux insecticides.
La métropole
doit-elle s’inquiéter ?
Pour l’heure, cinq cas importés ont été
recensés, mais des transmissions autochtones sont actuellement exclues, le moustique tigre présent dans le sud de la France
n’étant actif que de mai à novembre. Il est
alors possible que de petits foyers s’y déclarent, comme pour le chikungunya et la
dengue, soulignent plusieurs spécialistes.
Mais une véritable épidémie leur semble
peu probable, car les concentrations de
moustiques sont bien plus faibles en
France que sous les tropiques, de même
que les concentrations humaines. p
La Polynésie française, un avant-poste
d’observation du virus
L’
épidémie de Zika s’est achevée en Polynésie française
un an avant l’apparition du
virus au Brésil. Une antériorité qui
place le territoire français du Pacifique à l’avant-poste de la lutte contre l’arbovirus. Entre octobre 2013
et avril 2014, les médecins locaux
ont été les premiers à décrire les
complications neurologiques d’un
virus alors considéré comme bénin. « C’était une curiosité, il y avait
très peu de données », raconte le
docteur Didier Musso, directeur du
laboratoire de biologie de l’Institut
Louis-Malardé à Papeete.
Début octobre 2013, son équipe
analyse le sang des patients ayant
consulté notamment à Tahiti,
Moorea et dans l’archipel des Marquises pour des éruptions cutanées accompagnées de fièvre. Quel
virus provoque ce que les médecins signalent alors comme une
sorte d’épidémie d’allergie ? Plus de
600 cas sont relevés en trois semaines. « On a d’abord pensé à la dengue », se souvient le biologiste.
Les types 1 et 3 du virus sont alors
diagnostiqués sur le territoire.
Dans cette zone subtropicale, les
moustiques Aedes, principaux vecteurs des arbovirus, prolifèrent. Le
29 octobre 2013, le Zika est identifié.
« Le séquençage génétique nous a
permis de comparer ce que nous observions à des souches plus anciennes, précise Didier Musso. En 2007,
la première épidémie depuis l’isolement du virus avait été décrite
sur l’île de Yap en Micronésie. »
En deux mois, les cinq archipels
de Polynésie française sont touchés. En six mois, 383 cas seront
confirmés, et le bureau de veille
sanitaire relève 32 000 cas suspects
sur une population de 268 000 habitants. Cet épisode épidémique
ne suscite guère d’inquiétude. Les
symptômes disparaissent rapidement. La maladie devient même
un sujet de plaisanterie tant on sait
que l’un ou l’autre collègue sera
arrêté quelques jours avec les pieds
gonflés, mais qu’il reviendra
rapidement avant qu’un autre ne
s’absente à son tour.
Alerte déclenchée
Mais, début novembre 2013, l’augmentation des hospitalisations
en neurologie et en réanimation
alarme le corps médical. L’alerte
est déclenchée auprès des autorités
sanitaires. Sur quatre mois, les médecins vont dénombrer 42 patients
atteints du syndrome de GuillainBarré. « En général, nous avons 2
à 4 patients hospitalisés par an en
réanimation et environ 20 à 25 patients en neurologie pour cette maladie, expliquent Sandrine Mons et
Laure Baudouin, médecins au service réanimation de l’hôpital territorial. Cependant, quand le nombre
de cas est devenu totalement anormal, nous avons suspecté une susceptibilité génétique particulière des
Polynésiens, ou le rôle d’une exposition préalable au virus de la dengue.
Tout ceci reste de l’ordre des hypothèses à l’heure actuelle. » Chez
88 % des malades, un épisode viral
avait été diagnostiqué une quinzaine de jours avant l’apparition
des complications neurologiques.
Par ailleurs, les microcéphalies
(trop petites tailles du périmètre
crânien et du cerveau), signalées
sur les enfants nés au Brésil depuis
le début de l’épidémie alertent les
pédiatres du Centre hospitalier de
Polynésie française. Au dernier trimestre 2014 et au premier trimestre 2015, ils avaient constaté la naissance de 5 enfants présentant un
dysfonctionnement néonatal du
tronc cérébral, des symptômes observés, en temps ordinaire, une fois
par décennie. En reprenant, a posteriori, l’ensemble des naissances,
ils ont identifié, entre mars 2014 et
mai 2015, 18 enfants ou fœtus avec
des malformations du système
nerveux central – bien plus que la
fréquence habituelle. Dix interruptions médicales de grossesse ont
été réalisées sur cette période. Trois
nourrissons sont nés avec des
microcéphalies. Des explorations
complémentaires sont nécessaires
pour affirmer la corrélation entre
ces déformations graves et le virus.
« Nos homologues qui découvrent
le Zika nous interpellent. Nous
sommes un peu plus avancés dans
la recherche du fait de l’ancienneté
de l’épidémie ici. Pour autant, le
nombre limité de notre population
restreint notre capacité d’extrapolation statistique », observe le docteur Henri-Pierre Mallet, responsable du bureau de veille sanitaire
auprès de la direction territoriale
de la santé. Le docteur Musso est
sollicité pour fournir les protocoles
des tests salivaires et biologiques
qu’il avait établis en 2013 durant
l’épidémie. L’expérience polynésienne permet, selon lui, de comprendre combien était trompeuse
l’image du virus « que l’on pouvait
soi-disant soigner avec du repos
et de l’eau ». Le Zika induit des
conséquences graves et « il faut
s’attendre à tout », ajoute-t-il. p
christine chaumeau
(papeete, correspondance)
6|
0123
Mercredi 3 février 2016
| SCIENCE & MÉDECINE |
Récits
d’aventures
extrêmes
La mort habite en haut d’un gratte-ciel
la revue
Le premier numéro de « Reliefs »
explore les abysses, mais aussi le
Moyen-Orient, l’Everest, Mars…
david larousserie
D
epuis quelques années, plusieurs
ouvrages au contenu intermédiaire
entre le livre, le magazine ou
la revue littéraire sont apparus en
librairie, comme XXI, Feuilleton, Books, Muze,
Eléphant, Alibi ou Ulyces (en ligne seulement)…
Reliefs est un nouveau venu parmi ces
« mooks », avec un premier numéro réussi mêlant entretiens, récits historiques ou d’actualité, infographies et iconographies soignées.
Si le thème choisi est celui des abysses,
ceux qui n’aiment pas l’eau ne seront pas
déçus. Il y est en effet question aussi de
la planète Mars, d’escapade géologique sur
l’Everest, d’archéologie au Moyen-Orient
ou d’expéditions polaires. En fait, le point
commun de la douzaine de thèmes abordés
est l’exploration souvent extrême
de nouvelles frontières pour l’être humain.
L’aventure étant toujours présente dans les
sujets choisis, les lectures sont captivantes et
enrichissantes, qu’elles soient racontées par
les acteurs eux-mêmes ou de seconde main.
Le glaciologue Claude Lorius et l’architecte
Jacques Rougerie reviennent ainsi sur leurs
propres expériences extrêmes. Pour le premier, son départ à 23 ans pour La Terre-Adélie
et la station polaire Charcot (dont le plan est
d’ailleurs reproduit). Pour le second, ses nombreuses « plongées » de plusieurs jours sous la
mer dans des bâtiments étonnants. Il évoque
évidemment son projet actuel, « Seaorbiter »,
un navire plus grand sous l’eau qu’au-dessus.
Des éclairages pédagogiques
L’astrophysicienne Violaine Sautter narre
également son expérience sur Mars – forcément par procuration –, grâce au robot Curiosity et ses instruments ; une aventure toujours
en cours. Chacun de ces récits est ponctué par
des éclairages pédagogiques, selon un principe déjà éprouvé par ces nouvelles revues :
histoire des sous-marins, parcours de Curiosity, carte des sites visités en Antarctique…
D’autres chapitres, rapportés mais tout aussi
passionnants, reviennent sur les périples étonnants du Christophe Colomb chinois, Zheng
He, au XIVe siècle, ou la conquête controversée,
mi-scientifique mi-sportive, de l’Everest par
Georges Mallory et Andrew Irvine en 1924. Ou
encore le portrait de l’aristocrate anglaise Gertrude Bell à la fin du XIXe siècle, qui, surdouée
et sportive, se pique d’archéologie et d’histoire
au Moyen-Orient, avant de finir tragiquement.
Tous ces longs textes sont entrecoupés
de respirations convenues (un extrait
de Vingt mille lieues sous les mers, de Jules
Verne), mais plus souvent surprenantes,
comme cette série de photos de carrières
de marbre au Portugal, signées Tito Mouraz.
L’ensemble est particulièrement riche et
varié, à picorer sans souci de la continuité.
Un deuxième numéro de la revue, conçue
comme se situant au « carrefour des sciences
et des lettres », est annoncé sur le thème
des tropiques, avec Philippe Descola,
Jean Malaurie, Mathias Enard… p
Reliefs, « Abysses », numéro 1, 200 p., 19 €.
Livraison
Parasites
« La Vie rêvée des morpions »
Voici un petit livre fort sympathique à propos
de bestioles plutôt irritantes : poux, ténias,
morpions, tiques, puces… Tous ces parasites
et bien d’autres pas forcément microscopiques ont droit à leurs dessins humoristiques,
anecdotes pertinentes, textes pédagogiques
et jeux de mots distrayants. Vous saurez
donc tout sur ces organismes qui partagent,
pour le pire et parfois le meilleur, la vie
des humains, des animaux ou même des
végétaux. Amusant et très instructif.
> De Marc Giraud et Roland Garrigue
(Delachaux et Niestlé, 130 p., 12,90 €).
RENDEZ-VOUS
improbablologie
Pierre
Barthélémy
Journaliste et blogueur
Passeurdesciences.blog.lemonde.fr
V
ous venez de faire un arrêt
cardiaque, heureusement
en présence d’une âme charitable qui a eu le réflexe
de prévenir aussitôt les secours. Même
si, a priori, vous n’êtes plus en état de
vous remémorer les dernières statistiques à ce sujet, voici deux éléments
importants qui vont vous aider à évaluer la probabilité que vous revoyiez
du monde ailleurs qu’à vos funérailles.
Primo, comme le rappelle une étude
canadienne publiée le 18 janvier dans
le Canadian Medical Association
Journal (CAMJ), cette probabilité n’est
pas fantastique : sur les quelque
400 000 arrêts cardiaques qui surviennent chaque année en Amérique
du Nord en dehors de l’hôpital, le taux
de survie est faible, inférieur à 10 %.
Secundo, comme votre état nécessite
une réanimation cardio-pulmonaire
destinée à oxygéner le sang et à le faire
circuler artificiellement ainsi qu’une
défibrillation pour relancer votre palpitant, vos chances de poursuivre votre chemin dans l’existence autrement
que dans un corbillard diminuent de
7 % à 10 % à chaque minute qui passe…
Le facteur temps est donc essentiel.
Or, comme le souligne l’étude du
CAMJ, un nombre croissant de
personnes s’éloignent du SAMU ou
des pompiers non pas parce qu’elles
décident d’aller vivre dans une oasis
uniquement accessible à dos de chameau, mais tout simplement parce
qu’elles résident… à un étage élevé.
Et autant on connaît bien le délai dit
« horizontal », c’est-à-dire le temps
mis par les secours pour arriver,
gyrophares hurlants, à la bonne
adresse, autant on ignore la valeur
moyenne du délai « vertical », le
temps qu’il faudra aux réanimateurs
pour parvenir à l’étage où vous vous
mourez – il ne vous reste plus qu’à
espérer que madame Michu ne soit
pas en train de retenir la porte de
l’ascenseur pour finir son importante
discussion sur la météo ou sur le nouveau petit ami de la demoiselle du 9e.
Délai « vertical »
Pour évaluer ce délai « vertical »
et son éventuelle influence sur votre
survie, nos chercheurs ont exploité
une base de données de la ville
de Toronto, remplie par l’équivalent
canadien du SAMU, ainsi que par les
pompiers et 44 hôpitaux. Cette base
recense les détails horaires de toutes
les interventions d’urgence et presque toujours les étages où elles ont
eu lieu. On avait ainsi les statistiques
complètes pour 7 842 arrêts cardiaques survenus entre le 1er janvier 2007
et le 31 décembre 2012.
Premier enseignement : il fallait en
moyenne 6 minutes et 12 secondes
aux secours pour arriver au pied de
l’immeuble où se trouvait la victime,
qu’elle soit dans une maison ou dans
un gratte-ciel. C’est ensuite que les
choses variaient. Si l’intervention
s’était produite au rez-de-chaussée, au
1er ou au 2e étage, le délai « vertical »
était de 3 minutes en moyenne
et 4,2 % des personnes atteintes par
un arrêt cardiaque survivaient. Si
le SAMU ou les pompiers devaient
accéder à tous les étages supérieurs
au 2e, ce délai s’élevait avec l’altitude :
4 minutes et 54 secondes en
moyenne – et le taux de survie
moyen, lui, chutait à 2,6 %.
Il ne s’agit que de moyennes et il
faut entrer dans les détails pour
comprendre à quel point ceux qui
choisissent de vivre à un étage très
élevé, en espérant tutoyer les cieux
dans une version moderniste du
« Plus près de Toi, mon Dieu », risquent
aussi de se retrouver plus vite au
paradis. L’étude révèle ainsi que le
taux de survie tombe à 0,9 % au-delà
du 16e étage… et qu’au-delà du 25e
aucune personne ayant eu un arrêt
cardiaque n’a survécu. Un nouvel argument dans l’arsenal des opposants
à la construction de gratte-ciel ? p
KENNET G.
LIBBRECHT/CALTECH
Cristaux jumeaux,
le jeu des sept erreurs
affaire de logique
L’adage veut qu’il n’existe pas deux flocons identiques. Le physicien américain Kenneth Libbrecht (Caltech, Etats-Unis) le fait mentir en produisant des cristaux de glace jumeaux. Ce
designer de flocons a appris à contrôler très précisément la température et l’humidité de l’air insufflé sur une surface de saphir froide où il a déposé préalablement des germes de cristaux à six
branches. Ceux-ci grossissent de manière identique en « aspirant » la vapeur d’eau disponible.
Kenneth Libbrecht a aussi produit des triplés
ainsi que des cristaux asymétriques dont les différences sont quasiment indiscernables. p
RENDEZ-VOUS
| SCIENCE & MÉDECINE |
La chercheuse,
au laboratoire
de physique du solide
d’Orsay, en janvier.
0123
Mercredi 3 février 2016
|7
Les rayures
des zèbres,
fin d’un mythe
TINA MERANDON/SIGNATURES
POUR « LE MONDE »
david larousserie
L
orsque le service photo du Monde
lui a demandé si elle avait un objet fétiche pour enrichir le portrait qu’on allait lui consacrer,
Wiebke Drenckhan n’a pas hésité :
« Mon équipe ! » Cette physicienne
a en effet le souci du collectif, malgré les succès personnels engrangés à moins de 40 ans :
entrée au CNRS en 2007, bourse de 1,5 million d’euros du Conseil européen de la recherche (ERC) en 2012, prix Irène-Joliot-Curie
de la « jeune femme scientifique » en 2013, et
médaille de bronze du CNRS décernée en décembre 2015. A ce palmarès s’ajoute une récompense plus collective avec le prix du magazine La Recherche, également en 2015. Lors
de la remise de sa médaille, elle a fait quelque chose de « mal vu » : inviter à la tribune
son étudiante et une ingénieure de recherche pour présenter son travail avec elles.
Normalement, la scène ne se partage pas…
« Une secrétaire ou une gestionnaire, c’est important pour mener un projet. Autant que moi !
Chacun apporte sa contribution », justifie
Wiebke Drenckhan, qui n’hésite pas à envoyer
ses collègues ingénieurs aux congrès scientifiques. Pour réfléchir à valoriser l’action de
ceux qu’on appelle « IT » pour ingénieurs et
techniciens, elle a rejoint un groupe de travail
au CNRS. « Il faut faire quelque chose pour les
rendre plus visibles ! », insiste-t-elle, à quelques
semaines de la remise de propositions.
« Mon succès vient du fait que je sais travailler avec les gens. Je suis la colle entre les experts ! », glisse dans un sourire cette spécialiste des… mousses. « On mousse tout ici ! »,
poursuit-elle en montrant son petit musée
personnel : mousse de béton, mousse de métal, mousse de verre, reproduction agrandie
de mousse en trois dimensions…
Du liquide, de l’air et du savon, le tour est
joué pour faire une mousse. Pourtant, ces
objets recèlent bien des mystères. « Comment
stabiliser une mousse ? Comment prévoir son
comportement mécanique, acoustique… ? Comment contrôler sa fabrication ? », égrène la chercheuse pour souligner l’étendue de ce qu’il
reste à découvrir. « Une grande curiosité la caractérise », estime Isabelle Cantat, professeure
de l’université Rennes-I qui a figuré dans son
jury de thèse. « Elle part dans des directions
inattendues. Par exemple, elle s’est intéressée au
fonctionnement d’une machine à mousse que
tout le monde utilise depuis des années », rappelle la chercheuse rennaise. Devant cette fameuse machine, faite de deux grosses seringues et de quelques tuyaux, Wiebke Drenckhan justifie son intérêt : « Personne ne s’est
demandé ce qu’il se passe à l’intérieur. Or il y a
un mécanisme qui fixe la taille des bulles dans
une mousse, mais on ignore encore lequel. »
De retour dans son bureau, sur les étagères
de son musée personnel, des ouvrages témoignent d’une autre passion de la chercheuse :
le dessin. Elle a en effet illustré deux ouvrages
réussis de vulgarisation, en français, sur la
chimie chez EDP Sciences mais aussi un
autre, en anglais, sur la physique du quotidien, traduit en japonais et en italien. Sur les
murs sont accrochés des clichés encadrés de
bulles qu’elle a elle-même photographiées.
L’art a-t-il un lien avec sa façon de travailler ?
« Dans sa manière de faire de la physique, elle
Dans son parcours initial,
elle a été actrice
et décoratrice au théâtre,
documentaliste à la télé,
stagiaire
dans un labo de physique…
est très intuitive. Elle construit très vite des
images, alors que moi, par exemple, je raisonne mieux à partir d’équations », explique
Frédéric Restagno, du même laboratoire de
physique du solide d’Orsay (Essonne).
Au fil de la discussion, telle une mousse qui
grossit, on découvre un parcours initial foisonnant, loin d’être linéaire. Bac en poche,
en 1995, en Allemagne, elle hésite entre l’art et
la science. Elle tâte du théâtre, comme comédienne mais aussi comme décoratrice. Elle
travaille à la télé en tant que documentaliste.
Puis devient stagiaire dans un laboratoire de
physique. Après une année, elle s’inscrit finalement en licence de physique, sentant bien
que le théâtre ne serait pas un bon choix
professionnel de long terme. « Mais j’étais
zoologie
nathaniel herzberg
C
Wiebke Drenckhan,
chercheuse pétillante
| Cette jeune physicienne expérimente les propriétés
de toutes sortes de mousses, avec un enthousiasme contagieux
portrait
malheureuse tous les matins en me levant. Ce
qu’on apprenait, c’était juste résoudre des équations, ça n’avait rien à voir avec la recherche où
l’on se pose des questions, on essaie de résoudre
des problèmes, on rencontre des gens… »
Elle opte alors pour le métier d’enseignante
et part deux mois aux Etats-Unis pour un
stage. Là, elle tombe sur une méthode d’enseignement qui lui convient, le Future Problem
Solving Program International, qui regroupe
les élèves en équipes pour résoudre des problèmes inattendus comme « Libérer la princesse prisonnière dans la tour ». « Les enfants
avaient plein d’idées ! Plus que moi-même. Il
faut leur donner le pouvoir », s’amuse-t-elle.
Mais il lui manquait toujours quelque chose.
Retour en Allemagne pour quelques travaux
d’édition avant de s’inscrire en NouvelleZélande en cursus de « physique et philosophie ». Une fois sur place, faute d’étudiants, le
cursus est annulé ; elle opte donc pour la physique. Là, déclic, elle découvre les simulations
numériques. « C’était concret ! Tu te prends
pour Dieu en fixant les règles du jeu et en observant des choses non prédictibles intuitivement », se souvient-elle. Elle poursuit avec un
master en Irlande sur les mousses – enfin ! –,
après avoir rencontré son mentor, le physicien
irlandais Denis Weaire, qui confie aujourd’hui : « Elle ne se prend pas au sérieux mais fait
les choses sérieusement. C’est une bonne ambassadrice de la science, en particulier pour les
jeunes filles. » Et Wiebke Drenckham d’affirmer : « A partir de là, j’ai trouvé ma voie et ça n’a
pas arrêté ! » Mais, devant un tel parcours, on
peine à la croire lorsqu’elle déclare savoir ce
qu’elle va faire « dans cinq ans ».
De bulles en bulles, elle postule à Paris
après sa thèse et rentre au CNRS à Orsay. Elle
y développe notamment un savoir-faire
reconnu dans la fabrication de mousses solides et dans les théories faisant le lien entre
propriétés physiques et arrangement géométrique des bulles. « Wiebke est le produit
d’un rapprochement de deux communautés
longtemps séparées : les physico-chimistes et
les physico-mathématiciens. Son succès vient
de là », résume Isabelle Cantat.
En réalité, Wiebke Drenckham n’aime rien
tant que les interfaces. La mousse d’ailleurs
n’est qu’une histoire de contact entre un liquide et un gaz. Mais elle tient aussi les deux
bouts, de la théorie comme de l’expérience,
de la physique comme de la chimie, des
mousses liquides comme des solides. Et, de
la recherche privée et publique, caractéristique toujours un peu atypique dans les laboratoires français. « J’adore quand on met deux
choses ensemble. Je comprends ce que l’industrie veut et réciproquement », souligne la
chercheuse qui, dès sa thèse en Irlande, a travaillé en collaboration avec des industriels. Il
est vrai que les mousses sont partout : détergents, amortisseurs de sons ou de chocs,
cosmétique, agroalimentaire…
Depuis, les collaborations n’ont pas cessé
avec des industriels de la cosmétique, de la
chimie ou de l’instrumentation. Et même
avec la défense, qui cherchait à fabriquer
une mousse pouvant tenir toute seule afin
d’amortir des explosions. Elle rêverait d’une
équipe mixte pouvant répondre à des questions industrielles tout en étant libre de
poursuivre dans la recherche fondamentale.
« Il faut de la proximité sans séparer les deux.
Mélanger est important », dit-elle, sans
qu’on sache si elle parle de ses collaborateurs ou de ses mousses adorées. Elle espère
y parvenir dans son nouveau laboratoire.
Car la bougeotte l’a reprise ; elle s’apprête à
rejoindre l’Institut Charles-Sadron du CNRS
à Strasbourg. Finalement, on finit par la
croire lorsqu’elle dit avoir sa petite idée sur
ce qu’elle fera dans dix ans… p
e n’est certes pas un grand mystère de
la science. Mais assurément une question que bien des enfants, et quelques
adultes, se posent depuis longtemps :
pourquoi le zèbre a-t-il des rayures ? Des réponses de tous ordres ont été données depuis cent
cinquante ans : une forme de camouflage, un
cryptage visuel qui troublerait les prédateurs,
un mécanisme de contrôle thermique, un code
social interne à la tribu, un répulsif contre
les insectes… Et l’on ne compte pas ici les hypothèses avancées par le dessinateur Gotlib dans
l’inoubliable « Rubrique-à-brac » (l’animal n’est
ni noir avec des rayures blanches, ni blanc avec
des rayures noires mais… vert avec des rayures
noires et blanches), par les supporteurs
de la Juventus de Turin les soirs de victoire ou
par l’artiste Daniel Buren les jours d’exaltation.
Mais restons dans l’univers des sciences
et concentrons-nous sur l’hypothèse la plus répandue : le camouflage. A la fin du XIXe siècle,
les deux pionniers de la théorie de l’évolution,
Alfred Wallace et Charles Darwin, s’opposent
sur le sujet. Le premier en est convaincu : dans
les forêts africaines, les rayures dissimulent
l’animal aux yeux de ses prédateurs. Son maître est plus dubitatif, faisant remarquer que les
terres d’élection de l’équidé sont les plaines, et
que les rares arbres n’offrent que peu de justification à pareille spécificité. « Cette hypothèse
était quand même étrange, affirme Tim Caro,
biologiste à l’université de Californie-Davis.
Ce que nous voyions si bien, qui distinguait
le zèbre, servait en réalité à le camoufler… »
Si le scientifique anglais, installé aux EtatsUnis, parle de cette théorie au passé, c’est
qu’il pense bien l’avoir « tuée » dans un article
publié le 22 janvier dans la revue PLoS One. Lui
et sa collègue Amanda Melin, de l’université
d’Alberta, au Canada, ont étudié l’œil des deux
principaux prédateurs du zèbre, le lion et
la hyène, leur taille, la densité de cônes et de
bâtonnets qui les composent. Et simulé ainsi
la vision dépourvue de couleur que les deux
chasseurs ont de leur proie. Leur conclusion
est sans appel : au grand jour, quand l’homme
perçoit les rayures du zèbre des plaines à
180 mètres, le lion ne les distingue qu’à 80 mètres, la hyène à 48 mètres. Dans la pénombre,
ces chiffres passent, respectivement, à 45 mètres et 27 mètres pour les deux fauves. La nuit,
tous les zèbres sont « gris » à partir de 11 mètres. « Or, à ces distances, les prédateurs ont déjà
entendu et surtout senti l’animal ; le camouflage
est donc inopérant », précise Amanda Melin.
« Quant au brouillage, il ne tient pas la route,
renchérit Tim Caro, dans la nature, quand
un lion saute sur un zèbre, il ne le rate jamais. »
Le biologiste anglais ne s’arrête pas là. Il
écarte l’hypothèse d’un code entre pairs.
« La plupart des autres équidés ont la même
organisation sociale sans disposer de rayures.
Les zèbres seraient plus bêtes que les autres ? »
Et ne croit pas au contrôle thermique issu
des courants de convexion entre bandes
noires et blanches. « C’est très faible et ça ne
marcherait qu’à l’arrêt et sans vent. »
Zèbres de Burchell au Botswana.
H. M.
Pour lui, une seule hypothèse reste solide :
le dispositif antiparasitaire. En enduisant
de glu des chevaux de bois peints de différents
motifs, des expériences ont montré que les
surfaces rayées opéraient comme des répulsifs.
En avril 2015, dans Nature Communications,
Tim Caro a renforcé ces résultats par une étude
multifactorielle de répartition géographique
des différents ongulés et insectes.
« Mais, comme toujours en science, les réponses ouvrent de nouvelles questions », plaisante
le biologiste. Il entend s’attaquer très vite
aux deux premières : « Pourquoi les mouches
détestent-elles les rayures ? Et qu’ont-elles de
si terrible pour avoir poussé les zèbres à changer
de robe ? » Deux énigmes au lieu d’une. p
8|
0123
Mercredi 3 février 2016
| SCIENCE & MÉDECINE |
Un coléoptère inspire la lutte contre le givre
C’est une de ces « erreurs
fécondes » qui irriguent la
science. En 2001, un article de
Nature décrivait la façon dont un
coléoptère du désert namibien
récupère l’eau transportée
par la brume : pattes arrières
tendues, il présente au vent ses
élytres recouverts de picots
supposément hydrophiles sur
lesquelles les minuscules
gouttelettes s’accumulent avant
de couler vers sa bouche. Les
chercheurs proposaient de s’en
inspirer pour piéger, grâce à des
surfaces microstructurées, l’eau
dans les zones arides, ou dans
des condensateurs, ouvrant la
voie à de nombreux travaux.
Les derniers en date, publiés dans
Scientific Reports le 22 janvier,
veulent tirer parti de ces
mécanismes pour retarder
la formation du givre sur les parebrise ou les ailes d’avion,
coûteuse en manutention et en
produits chimiques. Pourtant,
en 2014, de nouveaux travaux
conduits sous la direction de
Daniel Beysens (ESPCI) ont
montré que les picots n’étaient
pas nécessaires, et que la rosée
avait plutôt tendance à se former
dans les vallées couvertes de cire
hydrophobe de la carapace.
« Qu’importe, les microstructures
inspirées de ce coléoptère
présentent effectivement des
caractéristiques intéressantes pour
retarder la formation du givre »,
relativise Daniel Beysens. p
hervé morin
Goutte d’eau
Un piège à brume
On a longtemps cru que des picots hydrophiles
recouvrant les élytres du coléoptère namibien
Stenocara favorisaient la collecte d’eau contenue dans
la brume. Mais d’autres insectes à la carapace rainurée
ou lisse y parviennent tout aussi bien. Ce qui compte,
c’est que l’animal présente la surface de son dos avec
un angle de 23° par rapport au vent brumeux porteur
de gouttelettes d’eau.
Surface
hydrophobe
De la rosée dans des vallées cireuses
Un article publié en 2014 dans The European Physical
Journal E a montré que chez le coléoptère Physasterna
cribripes la rosée (différente de la brume) se dépose
par condensation dans les vallées, entre les picots
de la carapace, recouvertes d’une cire hydrophobe
et constituées d’un pavage hexagonal microscopique.
Picot
Goutte d’eau
Des picots contre le givre
Ecoulement d’eau
Carapace
Brume ambiante
Recouvrir une surface de petits plots hydrophiles
disposés de façon aléatoire retarde la formation
du givre : les ponts gelés entre les gouttelettes qui
favorisent habituellement sa diffusion ont plus de mal
à se former, tandis que l’eau peut plus facilement
se sublimer. Reste à vérifier qu’un tel traitement
de surface pourrait être efficace sur une aile d’avion,
par exemple, et pas seulement en laboratoire.
Evaporation d’eau
Angle optimal
de 23°
Surface régulière
Surface irrégulière
Picot
hydrophile
Formation
de givre
INFOGRAPHIE : HENRI-OLIVIER
SOURCES : NATURE ; SCIENTIFIC REPORTS
La médecin Anne-Claire de Crouy et la juriste Valérie Depadt estiment que le don d’organe pâtit d’une mauvaise
information du public sur la mort encéphalique, dont témoignent certains titres dans la presse après l’accident de Rennes
La mort cérébrale, notion trop mal comprise
|
L
e patient en état de mort cérébrale est
décédé en milieu de journée au CHU de
Rennes ». Ce titre de dépêche de
l’Agence France Presse (AFP), tombé le
17 janvier et repris par la quasi-totalité
des quotidiens, ne manque pas d’interpeller. Pris à la lettre, il signifie que la mort cérébrale ne marque pas le décès, qu’être en état de
mort encéphalique n’est pas être mort. Or, tant du
point de vue de la médecine que du droit, la mort
encéphalique marque l’arrêt de la vie, la fin de
l’état de personne. Elle est la mort.
Ainsi, le titre de l’AFP interroge la compréhension publique de l’état de mort encéphalique,
connu depuis les années 1950, objet d’une circulaire relative au prélèvement d’organes dès 1968
et repris par la loi il y a déjà vingt ans. Pourquoi
cette notion reste-t-elle si difficile à saisir ? Comment expliquer que l’importance des moyens mis
au service de l’information sur le don d’organes
n’ait pas permis d’éclairer cette donnée pourtant
fondamentale du sujet ?
A la fin des années 1950, les progrès de la réanimation cardio-pulmonaire et la création du Service médical d’urgence (SAMU), auxquels s’est
ajoutée l’amélioration des modes de prise en
charge des grands accidentés, ont rendu possible le
maintien de la fonction respiratoire chez des personnes qui, souffrant d’un dommage cérébral sévère, se trouvaient dans l’impossibilité de respirer
spontanément. L’état de ces « nouveaux vivants »
ne tenait plus qu’à la respiration, poursuivie au
moyen de l’assistance respiratoire récemment
mise au point. Dès lors, les médecins ont pu commencer à observer une situation clinique décrite
comme « mort du système nerveux » ou « coma
dépassé », caractérisée par la cessation de toute
activité cérébrale. La question s’est alors posée de
savoir si ces patients étaient morts ou vivants.
En parallèle de cette évolution, le développement
des techniques de transplantation, qui figure parmi
les grandes avancées médicales de l’époque, ouvrait
des horizons nouveaux dans le traitement des
patients atteints de graves dysfonctionnements
des reins, du foie, du cœur ou des poumons.
En 1952, la première greffe de rein au monde fut
réalisée à l’hôpital Necker par le professeur Jean
Hamburger et son équipe, avec un organe prélevé
sur un donneur vivant. A partir de 1960, ce type de
prélèvements eut lieu sur des personnes décédées
par arrêt cardiaque. Les greffes du foie, appelées
transplantations hépatiques, furent initiées en
1963, à Denver (Etats-Unis), par le professeur Thomas Starzl sur donneur cadavérique ; et, en 1968, le
tribune
|
professeur Christiaan Barnard pratiqua la première
greffe de cœur au Cap (Afrique du Sud).
La même année, le rapport de l’Ecole de médecine
de Harvard, à Boston, considéré comme fondamental en matière de transplantations, reconnaissait
que la notion de « coma dépassé » répondait aux
deux objectifs de permettre le débranchement des
respirateurs artificiels et de faciliter les prélèvements d’organes. Et Laura Bossi, neurologue et historienne des sciences, d’interroger : « Sans le développement des technologies permettant les greffes
d’organes, se serait-on posé la question de savoir si
ces patients étaient morts ou vivants ? Aurait-on
parlé de “mort encéphalique” à leur propos ? »
En France, c’est à la veille de la première transplantation cardiaque que le rapport américain a
trouvé un écho retentissant à travers la publication
de la circulaire Jeanneney du 24 avril 1968. Celle-ci,
reprenant la conférence des médecins Mollaret et
« Personne, pas même le médecin
qui, prenant son service, pénètre dans
la salle de réanimation, n’est en mesure
de discerner d’un regard, si attentif
fût-il, le patient décédé en mort
encéphalique d’un patient en cours
de réanimation »
Goulon de 1959, précisait que « c’est la mort cérébrale qui définit la mort de l’homme. Cette mort
doit être confirmée par la démonstration de l’arrêt
circulatoire cérébral et un électroencéphalogramme
plat. On peut donc respirer encore et être mort… ».
Depuis, la mort encéphalique s’est imposée
comme désignant la fin de la vie, au même titre
que le décès survenant par arrêt cardiaque.
Actuellement, le code de la santé publique, dans
ses dispositions issues du décret du 2 décembre 1996 relatif au constat de la mort préalable au
prélèvement d’organes, reconnaît deux circonstances de décès. A côté de l’arrêt cardiaque et respiratoire, il précise les examens qui permettent de
prononcer l’état de mort encéphalique, alors que la
ventilation est assurée artificiellement et que le
cœur est battant. Il doit être procédé à un examen
clinique approfondi, suivi d’une épreuve d’hypercapnie, test pour contrôler l’absence de respiration
spontanée, puis, soit à deux électroencéphalogrammes nuls et aréactifs effectués à un intervalle
de quatre heures, soit à une angiographie objectivant l’arrêt de la circulation encéphalique. Ces
protocoles, exigés par la loi, attestent non seulement que l’état neurologique du patient ne permet plus aucune respiration spontanée, mais
aussi du caractère irréversible de la situation.
Le don d’organes a été déclaré priorité nationale
par la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique. Il
reste donc à agir afin que cette disposition, prometteuse s’il en est, ne se limite pas au stade incantatoire. Et, dans cet objectif, il apparaît essentiel
que l’ensemble des citoyens comprenne les données du sujet, au premier rang desquelles la notion
de mort encéphalique. L’adhésion au don d’organes implique de comprendre, ensemble et dans un
même temps, qu’un état de mort encéphalique est
un état de mort, car c’est au moment du diagnostic
de mort encéphalique, avant l’arrêt du cœur, que le
prélèvement d’organes est le plus adéquat.
Or, la mort encéphalique est d’apparence discrète. C’est face à un défunt ayant encore l’aspect
du vivant que la famille sera consultée. Pour se prononcer, il lui faudra dépasser sa propre représentation afin de croire sur parole le médecin qui annonce la mort. Un acte de confiance absolue, prélude indispensable du don. Personne, pas même le
médecin qui, prenant son service, pénètre dans la
salle de réanimation, n’est en mesure de discerner
d’un regard, si attentif soit-il, le patient décédé en
mort encéphalique d’un patient en cours de réanimation. Ce n’est qu’une fois le matériel de réanimation débranché, l’assistance respiratoire arrêtée,
que le cadavre prend l’apparence que chacun reconnaît même s’il n’y a encore jamais été confronté, parce que décrite depuis des millénaires.
Lorsque le cœur est arrêté, le corps progressivement se rigidifie, la température baisse et le teint
devient cireux. Le décès devient « visible ».
Que s’est-il passé à Rennes pour que l’Agence
France Presse annonce le décès d’une personne
en état de mort encéphalique ? A-t-il fallu attendre l’arrêt de toute assistance vitale pour qu’on
puisse admettre, comme aux temps passés, que la
personne était décédée ? p
Le supplément « Science & médecine » publie
chaque semaine une tribune libre ouverte
au monde de la recherche. Si vous souhaitez
soumettre un texte, prière de l’adresser
à [email protected]
¶
Anne-Claire de Crouy,
médecin
à l’hôpital Bicêtre.
Valérie Depadt, maître
de conférences
en droit privé.
Des donations irrévocables,
vraiment ? Heureux bénéficiaires,
sachez que, dans certaines conditions,
votre généreux donateur peut faire
machine arrière. FA M I L L E | PA G E 2
Tarifs bancaires : l’écart se creuse
Evincer son syndic de « copro »
Etes-vous choyé ou « plumé » par votre banquier ? La
réponse dans notre palmarès. D’un établissement à l’autre,
les différences sont considérables. B A N Q U E S | PA G E S 8 - 9
Face à un professionnel incorrect, il est possible
de passer en force lors de l’assemblée générale pour
le remercier. Mode d’emploi. I M M O B I L I E R | PA G E 1 0
Queues
de cerises
Epargne
éditorial
La tentation du risque
Les placements sûrs ne rapportant
guère, certains particuliers
s’orientent vers des produits
davantage rémunérateurs.
Mais gare : ils sont aussi plus
contraignants et… non garantis.
PAGES 4 à 7
C’
est un signe qui ne
trompe pas. En 2015,
les Français ont préféré
laisser dormir leurs économies
sur leur compte en banque plutôt
que de les placer. Sur les 94,5 milliards d’euros de nouveaux flux
d’épargne, 30 milliards se sont
dirigés vers les comptes courants,
soit quasiment autant que sur
la sacro-sainte assurance-vie,
selon les calculs du cabinet Pair
Conseil. Or, est-il nécessaire
de rappeler que de tels dépôts ne
rapportent rien ? Constat identique pour l’épargne salariale
et ses 11 millions de bénéficiaires.
En 2015, une étude réalisée par
Amundi, portant sur un million
de salariés, montrait que plus
de 43 % des avoirs étaient investis
sur des produits de trésorerie
à court terme, c’est-à-dire des
supports dont le rendement avoisine zéro. Cette mauvaise gestion
ne s’explique pas seulement
par un manque de connaissance.
Les particuliers ont jeté l’éponge.
Entre l’érosion du rendement
de l’assurance-vie, le niveau
historiquement faible du taux du
Livret A, la baisse de celui du plan
d’épargne-logement… « A quoi
bon ? », se disent-ils, résignés.
Plongeon des indices
Pourtant, ces produits ne sont
pas de si mauvais placements. Car
l’inflation est nulle. Les années
passées, leurs taux étaient certes
plus élevés, mais la hausse
des prix en grignotait une part.
Le fonds en euros de l’assurancevie a ainsi rapporté plus en 2015
qu’au cours de chacune des cinq
dernières années.
Oui, mais le rendement du
placement vedette des Français va
continuer de s’effriter. Dès lors,
ceux qui ne se contentent pas
de ces rémunérations sont dos
au mur : ils doivent prendre
des risques, martèlent les experts.
Comprendre, investir en Bourse.
Plus facile à dire qu’à faire pour
des épargnants historiquement
allergiques au risque. Et, vu
le récent plongeon des indices,
on peut aisément comprendre
leurs hésitations. D’ailleurs,
la société de gestion Carmignac,
qui gère 52 milliards d’euros, n’at-elle pas réduit son exposition
aux actions à quasiment zéro ?
Heureusement, il existe de
nombreux produits permettant
de mettre un pied sur les marchés
sans risques inconsidérés,
et la Bourse n’est pas la seule
alternative pour les épargnants
en quête de rendement.
D’autres placements émergent,
comme la très en vogue finance
participative. La pierre devrait
aussi, malgré ses contraintes,
briller de nouveau, en raison d’un
crédit bon marché, des avantages
fiscaux que peut procurer l’investissement locatif et, bien sûr,
de son statut de valeur refuge,
ce qui, dans le contexte chaotique
actuel, n’est pas à négliger. p
ILLUSTRATIONS : JULIEN GRATALOUP
Cahier du « Monde » No 22099 daté Mercredi 3 février 2016 - Ne peut être vendu séparément
frédéric cazenave
2|
0123
Mercredi 3 février 2016
| ARGENT & PLACEMENTS |
Je vais quitter ma société. Puis-je
garder mon plan d’épargne
entreprise si mon nouvel
employeur n’en propose pas ?
La rupture du contrat de travail est un motif de déblocage anticipé
du plan d’épargne entreprise (PEE), ce qui signifie que vous pouvez
clôturer votre compte. Mais ce n’est pas obligatoire : il est tout à fait
possible de conserver son plan et d’y effectuer des versements,
sauf clause contraire. Evidemment, votre ex-employeur n’y versera
plus d’abondements. Sachez aussi que les frais de tenue de compte
seront alors à votre charge.
En cas de clôture du compte, les plus-values et intérêts seront
exonérés d’impôt sur le revenu mais ils seront soumis aux
prélèvements sociaux, au taux de 15,5 %. Etant donné cette fiscalité
avantageuse du PEE, il peut s’avérer intéressant de le conserver si vous
n’avez pas un projet particulier qui nécessiterait d’utiliser les fonds. p
Peut-on utiliser un plan d’épargne-logement pour acheter un
bien immobilier à l’étranger,
dans l’Union européenne ?
Non, le plan d’épargne logement
(PEL) ne peut être utilisé que
pour le financement de l’acquisition ou de l’aménagement de
logements situés en France
métropolitaine ou dans les
départements d’outre-mer.
Divorcé, je souhaite donner
à ma fille unique ma résidence principale, estimée à
250 000 euros, tout en gardant
l’usufruit. Quels sont les frais
à prévoir ?
D’un point de vue fiscal, cette
donation entraînera le paiement
de droits d’enregistrement et de
droits de mutation sur la valeur
de la nue-propriété. En effet,
celle-ci sera déterminée
en tenant compte de l’âge de
l’usufruitier, donc le vôtre. Plus
l’âge de l’usufruitier est avancé,
moins l’usufruit a de valeur et
plus la nue-propriété en a. Si
vous avez 50 ans, par exemple,
la nue-propriété équivaut à 40 %
de la valeur du bien. Une fois
la valeur de la nue-propriété
calculée (100 000 euros dans
notre cas) s’applique, comme
pour toute donation entre
parent et enfant, un abattement
de 100 000 euros renouvelable
tous les quinze ans. Dans notre
exemple, donc, vous ne paierez
aucune taxe. A l’extinction de
l’usufruit, c’est-à-dire à votre
décès, aucun droit de succession
ne sera dû. Côté frais, il faudra
payer des droits d’enregistrement
au moment de la donation
et aussi lors de l’extinction de
l’usufruit, sans oublier les
émoluments du notaire, la
donation d’un bien immobilier
ne pouvant être faite que devant
notaire.
Changeant souvent de région,
je suis locataire. En revanche,
je dispose de deux appartements que je loue. Puis-je
déduire de mes revenus
fonciers le loyer que je paye
actuellement ?
Il n’existe pas de liste exhaustive
des dépenses déductibles du
revenu foncier. Cependant, pour
qu’une charge soit déductible,
elle doit notamment avoir
été engagée en vue de la
conservation ou de l’acquisition
du revenu généré par votre bien
immobilier. Il est difficile de
justifier la déduction de votre
loyer de vos revenus fonciers
puisque ce loyer ne concerne
pas le même appartement.
FORUM
annuités de remboursement.
Il est toujours possible de
bénéficier de ce dispositif
en 2016, si le prêt a été souscrit
avant le 1er janvier 2011.
Célibataire de 40 ans et
quasi-propriétaire, je paye
6 000 euros d’impôts. Quels
sont les placements les plus
efficaces pour alléger la note ?
Il existe plusieurs mécanismes.
D’abord, diminuer votre revenu
imposable grâce au plan
d’épargne-retraite populaire
(Perp) ou au contrat Madelin, par
exemple. Les sommes qui y sont
versées sont déductibles (dans
certaines limites) de votre revenu
imposable. Dans ce cas, l’économie d’impôt est proportionnelle
à votre tranche marginale d’imposition. Le deuxième mécanisme comprend les réductions
et les crédits d’impôt. Ces derniers viennent réduire le montant de l’impôt à payer. Le champ
est plus vaste. Vous obtiendrez
des réductions si vous investissez au capital de PME, dans des
fonds communs de placement
dans l’innovation (FCPI), des Sofica (société pour le financement
du cinéma et de l’audiovisuel)…
De même, certains investissements immobiliers, comme le
Pinel, ouvrent droit à une réduction d’impôt sur plusieurs années. Mais ces avantages ne sont
pas « gratuits » : ces produits ont
des contraintes fortes, peuvent
sig né
être risqués (FCPI…) et nécessitent une longue durée de détention. Si la « carotte fiscale » est incitative, de tels investissements
doivent s’inscrire dans un but
patrimonial (constitution d’un
capital retraite par exemple).
Notre fille nous doit beaucoup
d’argent. Ne pouvant pas nous
rembourser, elle propose de se
désister de sa part d’héritage
à hauteur de sa dette au profit
de son frère. Est-ce possible ?
Votre fille est un héritier réservataire présomptif : une partie de
votre succession lui est réservée.
Toutefois, l’article 929 du code
civil permet aux héritiers de
renoncer de façon anticipée à leur
action en réduction, c’est-à-dire
qu’ils peuvent renoncer à leur
héritage. Cette renonciation au
profit de personnes déterminées
peut être totale ou partielle, voire
porter sur un bien déterminé.
Vous pouvez donc prévoir par testament que votre fils héritera
d’une somme correspondant au
montant de la dette de votre fille
envers vous et que votre fille
renonce à son action en réduction
sur ce legs, au profit de son frère.
If faut faire enregistrer cet acte
authentique par deux notaires. p
frédéric cazenave, avec
la société cyrus conseil
> Sur Lemonde.fr
Plus de réponses à la rubrique
« Forum »
cag nat
Du peer-to-peer
au « pire
tout pire »
conseils de famille
Patrick Lelong
Journaliste,
spécialiste des questions d’argent
et du droit de la famille
C’
est cela, la French touch : l’art
de l’alchimie des mots, de
changer du tout au tout. En
politique, en économie et
même en valeurs… Hier, le slogan martelé, c’était « Travailler plus pour gagner
plus ». Aujourd’hui, c’est « Travailler plus
pour gagner autant ». Et, demain, ce sera
« Travailler plus pour gagner moins ». Pas
de quoi mobiliser la jeunesse. Seulement,
peut-être, le Medef. A condition que les
chefs d’entreprise n’aient pas d’enfants…
La question shakespearienne « Etre ou ne
pas être » est remplacée par « Ubériser ou
se faire ubériser ». La dernière insulte à la
mode pour beaucoup. La pauvre solution
pour certains, surtout portée par ceux
qui ne sont pas concernés.
Ubériser, c’est précariser
Qu’importe la tempête. Les heures sup,
par exemple : compensées ? Pas compensées ? Dès lors que l’on affirme qu’« un
entrepreneur a souvent la vie plus dure que
celle d’un salarié » et que l’on oublie que
de nombreux salariés qui vivent d’un
smic insolent n’ont pas la vie dure… Que
dire ? « L’ubérisation », c’est la souplesse ?
La déréglementation, c’est l’accès à l’activité économique des jeunes, la voie vers
l’entrepreneuriat ? Et des perspectives de
mobilité. Rien à dire sur ce dernier point.
La précarité reste effectivement la sœur
jumelle de la mobilité. L’ubérisation, c’est
la traduction du désarroi des plus fragiles.
Et créer de la mobilité sociale plutôt que
des emplois est une vue à court terme.
Un autre Uber, cette fois-ci Hubert
Reeves, l’astrophysicien, a développé
des théories de progrès sur le monde et
le cosmos en lisant L’Encyclopédie de
la jeunesse. Ne remplaçons pas les rêves
ambitieux par des visions low cost. Pour
l’avenir de nos enfants, il faut choisir
entre Uber et Hubert. Autrement
dit, ajouter deux lettres de noblesse
à un nom. Ce qui change tout… p
Peut-on en 2016 bénéficier
des crédits d’impôt liés aux
intérêts payés dans le cadre
d’un emprunt contracté pour
l’achat de l’habitation
principale ?
Attention, ce dispositif concerne
seulement les prêts obtenus
avant le 1er janvier 2011. Dans ce
cas, les personnes ayant souscrit
un emprunt immobilier pour
acheter ou construire leur
résidence principale peuvent, en
effet, obtenir des crédits d’impôt
liés aux intérêts payés au titre
des cinq (dans l’ancien) ou sept
(dans le neuf) premières
Donner, c’est donner. Reprendre, c’est… possible
En théorie, la donation d’un bien ou d’une somme d’argent est irrévocable.
Mais dans la pratique, la loi prévoit quelques cas permettant de faire machine arrière
J
e me souviens de cet homme qui,
souhaitant divorcer, était venu
nous demander s’il pouvait revenir
sur la donation d’une somme d’argent qu’il avait faite à son épouse
au début de leur idylle. Somme qui lui
avait permis d’acquérir un petit appartement », raconte Murielle Gamet,
notaire au sein de l’étude Cheuvreux.
Un cas assez fréquent, selon elle.
« Comme cet acte avait été réalisé
avant le 1er janvier 2005, il a pu récupérer son bien », poursuit-elle. Une donation entre époux conclue avant cette
date est en effet annulable librement
et à tout moment. « Une telle décision
peut engendrer des situations très délicates si le bien, objet de la donation, a
été depuis revendu. Car sa révocation
entraîne l’annulation de la vente »,
prévient Charles Demay, notaire à
Amiens. En revanche, cette volte-face
est irréalisable pour les donations
consenties depuis le 1er janvier 2005 :
elles sont irrévocables, même en cas
de divorce.
Seule exception : il est encore
possible de faire machine arrière
après une donation dite au « dernier
vivant ». De quoi s’agit-il ? D’une
disposition permettant d’améliorer la
protection du conjoint survivant en
augmentant sa part d’héritage. En présence d’enfant(s), ce dernier dispose au
décès de son conjoint de trois options.
Soit il décide de recueillir l’usufruit de
la totalité des biens (droit d’y vivre ou
d’en toucher les revenus), soit un quart
en pleine propriété et trois quarts en
usufruit, soit la pleine propriété de
la quotité disponible (la part qui n’est
pas automatiquement réservée aux
enfants) de la succession. Surtout, cela
lui laisse la possibilité de choisir le ou
les biens qu’il souhaite conserver.
Ainsi, le conjoint survivant peut garder
l’usufruit de certains biens immobiliers. Il pourra en profiter tant qu’il est
en vie avant que, à son décès, ils ne
reviennent aux enfants.
Intéressante, la donation au dernier
vivant est donc révocable à tout instant, quel que soit le régime matrimonial du couple. « Il suffit de se rendre
chez le notaire ou de le faire par testament. La personne n’a pas à se justifier
et n’est pas obligée de prévenir l’autre »,
ajoute Charles Demay. En outre,
depuis le 1er janvier 2005, le divorce
entraîne la révocation automatique de
cette donation, à moins que l’un des
époux désire la maintenir.
En dehors du couple, est-il possible de
revenir sur cette décision ? A priori non,
« celui qui donne un bien ou de l’argent
s’en sépare définitivement », explique
« Tout don peut
être assorti d’une
obligation comme
celle de prendre soin
du donateur »
murielle gamet
notaire au sein de l’étude Cheuvreux.
Murielle Gamet. Mais la loi prévoit tout
de même quelques exceptions.
Une donation peut en effet être annulée si la personne qui l’a réalisée a
ensuite un premier enfant ou en adopte
un. Mais cette possibilité doit, depuis le
1er janvier 2007, avoir été prévue dans
l’acte et il faut en faire la demande
devant le juge dans les cinq ans suivant
la naissance de l’enfant.
Autre révocation possible : lorsque la
personne qui a reçu le don se montre
ingrate envers le donateur, par exemple, s’il lui refuse un secours alimentaire. « Un parent qui se retrouverait
dans le besoin après avoir donné un bien
immobilier à son enfant est en droit de le
récupérer si son rejeton ne veut pas
l’aider », relève Mme Gamet. Dans ce cas,
la révocation n’est pas automatique. Le
donateur doit saisir la justice dans un
délai de un an. Enfin, une donation peut
être annulée lorsque le bénéficiaire ne
respecte pas les conditions du donateur. « Tout don peut être assorti d’une
obligation, comme prendre soin du donateur, investir les fonds transmis dans
un bien immobilier, ou ne pas dépenser
les sommes avant un certain âge », précise Mme Gamet. Il est ainsi fréquent que
des grands-parents donnent de l’argent
à leurs petits-enfants, sous réserve que
ces derniers ne l’utilisent pas avant un
âge défini. Si l’un d‘eux ne respecte pas
cet engagement, le donateur peut
recouvrer les sommes transmises. Il
devra là encore saisir le tribunal. p
pauline janicot
Repères
Donation entre époux de biens
à venir Elle concerne les biens ou les
droits (parts d’entreprise…) que le
donateur laissera à son époux à son
décès. Réalisée lors d’une donation « au
dernier vivant », elle améliore la part
d’héritage du conjoint survivant sans
nuire aux enfants. Mais elle n’est pas
autorisée aux pacsés ou aux concubins.
Cette donation ne prend effet qu’au
décès de l’un des époux et peut être
révoquée. Elle s’effectue par acte
notarié ou par testament et a pour
avantage d’être exonérée d’impôt.
Donation entre époux de biens
présents Il s’agit d’une donation
entre conjoints qui prend effet
immédiatement. Une telle
donation est exonérée à hauteur
de 80 724 euros, puis taxée à un
barème de 5 % à 45 % selon son
montant. Cet acte est soumis à des
règles différentes selon la date
à laquelle il a été consenti (avant
ou après le 1er janvier 2005).
| ARGENT & PLACEMENTS |
0123
Mercredi 3 février 2016
|3
– Boursorama, SA au capital de 35 548 451,20 € – RCS Nanterre 351 058 151 – TVA FR 69 351 058 151 – 18, quai du Point-du-Jour 92100 Boulogne-Billancourt.
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(2) Délivrance sous réserve d’acceptation de Boursorama Banque. Gratuité sous réserve de changement de politique tarifaire effectué conformément à l’article 11 des Conditions Générales Boursorama Banque.
4|
0123
Mercredi 3 février 2016
| ARGENT & PLACEMENTS |
DOSSIER
La rémunération des produits vedettes des Français est
au plancher. Pour stimuler leur épargne, les particuliers n’ont plus
le choix : ils doivent accepter une dose de risque
A la recherche
du rendement
perdu
T
empête boursière, érosion
continue des rendements
de l’assurance-vie, nouvelle
baisse du taux du plan
d’épargne-logement… L’année 2016 commence mal
pour les particuliers soucieux de placer
au mieux leur épargne. Non seulement
les vents sont contraires, mais aucun
retournement ne s’annonce. L’inquiétude émanant de la maigre croissance
mondiale, de l’état de santé de la Chine ou
de la chute des prix du pétrole va continuer de ballotter les places financières. En
Europe, la Banque centrale européenne,
qui tente de soutenir l’économie en
rachetant quelque 60 milliards d’euros
d’actifs chaque mois sur les marchés,
écrase les rendements obligataires.
Or, les obligations sont justement le
principal carburant des fonds en euros de
l’assurance-vie, placement vedette des
Français. « Leurs rendements devraient
reculer de 25 points en moyenne en 2015
pour atteindre 2,25 %. Et cette glissade n’est
pas terminée. En 2016, nous passerons
au-dessous de la barre des 2 % », anticipe
Cyrille Chartier-Kastler, le fondateur du
cabinet Fact & Figures. Quant aux classiques livrets – Livret A en tête –, jamais
leurs taux n’ont été aussi faibles.
« La glissade du taux
de l’assurance-vie n’est pas
terminée. En 2016, nous
passerons au-dessous
de la barre des 2 % »
cyrille chartier-kastler
fondateur du cabinet Fact & Figures
Les rendements sont à tel point déprimés que bon nombre de particuliers ont
tout simplement jeté l’éponge. Plutôt que
de placer leurs économies, ils les laissent
dormir sur leur compte en banque. « Sur
les 94,5 milliards d’euros de nouveaux flux
d’épargne en 2015, 30 milliards se sont dirigés sur les comptes courants, soit quasiment autant que sur l’assurance-vie. Mais
faut-il rappeler qu’ils ne sont pas rémunérés ? », relève Cyril Blesson, associé au
cabinet PAIR Conseil.
Or, dans le même temps, les banques
ne vous font pas de cadeaux, comme
l’illustre la hausse des frais bancaires
en 2016, ou de ceux qui sont ponctionnés
à chaque versement réalisé sur la grande
majorité des contrats d’assurance-vie. En
période de rémunération anémique,
l’épargnant à encore plus intérêt à sélectionner des produits qui ne sont pas
gourmands en la matière. « Aujourd’hui,
les frais d’entrée des contrats d’assurancevie pèsent encore entre 1,5 % et 3 % de la
somme que vous déposez sur un fonds en
euros. Conséquence, il faut au moins deux
ans avant que votre placement commence
à vous rapporter quelque chose », prévient
M. Chartier-Kastler.
Alors, que faire ? Première question à
se poser : êtes-vous capable d’immobiliser une partie de votre épargne ? Si ce
n’est pas le cas, il faudra se contenter de
placements liquides, sans risque, et donc
faiblement rémunérateurs, mais qui
permettent tout de même de préserver
son pécule de la faible inflation. Si vous
disposez d’au moins deux ans, la palette
d’options commence à s’élargir. Bien que
tombé à 1,5 %, le PEL permet de dégager
un rendement net de 1,27 %. Le fonds en
euros de l’assurance-vie n’est pas non
plus un si mauvais placement : une fois
déduite l’inflation, sa rémunération a
atteint, en moyenne, 2,05 % en 2015 (hors
prélèvements sociaux), soit sa meilleure
performance depuis 2009. Pas mal pour
un produit sans risque.
La deuxième étape consiste justement
à évaluer votre aversion au risque. Pour
des Français historiquement frileux, il a
fallu se faire violence. Mais ils se sont fait
une raison, comme en témoigne la part
croissante de la collecte de l’assurancevie sur les unités de compte, ces supports
qui permettent d’investir sur différentes
classes d’actifs (action, immobilier…).
« Cela reste trop timide. En raison d’une
mauvaise culture financière, les particuliers privilégient massivement le fonds
en euros. Or, dans la durée, ils réaliseraient des performances bien supérieures
s’ils allouaient leurs actifs autrement.
Quelqu’un disposant de huit ans devant
lui devrait en théorie panacher 60 % à
70 % de son contrat d’assurance-vie dans
des unités de compte, une répartition qui
passe à 20 % ou 30 % si sa durée d’investissement est de quatre ans », explique
M. Chartier-Kastler.
Meyer Azogui, président de Cyrus
Conseil, est moins sévère : « Nos clients
ont certes bien intégré qu’ils devaient
diversifier leurs placements, mais ils cherchent des produits au risque maîtrisé, car
leur objectif consiste bien souvent à se
préparer un revenu en prévision de leur
retraite. » Et celui-ci de promouvoir sous
certaines conditions le plan d’épargneretraite populaire (PERP), malgré ses
contraintes évidentes : seulement 20 %
de l’épargne accumulée est disponible
une fois à la retraite, le reste étant versé
sous forme de rente. « Oui, mais l’avantage fiscal à l’entrée est tel qu’il dope le rendement de ce placement. Un contribuable
imposé à 30 % qui investit chaque année
5 000 euros sur le support en euros d’un
PERP pendant dix ans obtient un taux de
rendement interne de 9 % par an, le tout
sans prendre de risques », argumente-t-il.
Si les Français ont du mal à diversifier
davantage leur épargne – sous-entendu à
investir en Bourse –, c’est que les krachs à
répétition depuis 2000 ont refroidi les
ardeurs. Inutile d’ailleurs de vous y aventurer cette année, si vous n’avez pas le
cœur bien accroché. « Deux phénomènes
se télescopent. D’un côté, le ralentissement économique de la Chine et des
Etats-Unis rend l’Europe vulnérable. De
l’autre, les montagnes de liquidités
déversées dans l’économie, qui avaient
artificiellement alimenté la hausse des
marchés, se tarissent. Lorsque les investisseurs en auront pleinement pris
conscience, les indices pourraient encore
chuter. Cette “capitulation” sera l’occasion de revenir en Bourse mais, en attendant, l’exposition de nos portefeuilles
aux actions est très faible », explique
Didier Saint-Georges, membre du comité
d’investissement de Carmignac.
Dans cette quête de rendement, une
autre piste consiste à s’intéresser au financement participatif et notamment à l’une
de ses facettes, le prêt. Non seulement
PATRIMOINE DES MÉNAGES (EN MILLIARDS D’EUROS)
PATRIMOINE FINANCIER
1 197 Dépôts à vue, livrets, PEL...
Actions non cotées*
844
597
PATRIMOINE IMMOBILIER
6 815
Actions cotées**
4 754
1 300 Assurance-vie :
fonds en euros
293
*Et autres participations
**Et obligations, épargne salariale, organismes de placement collectif
vous pourrez espérer des rendements
compris entre 4 % et 8 %, mais vous
aurez la satisfaction de soutenir des
PME. « En deux ans, nous avons financé
206 entreprises pour 16 millions d’euros,
ce qui leur a permis de créer ou de préserver une centaine d’emplois », indique
Nicolas Lesur, le fondateur du site Unilend. Mais là encore, ne vous y méprenez
pas. Si ces entreprises ne sont pas passées par le classique circuit bancaire, ce
n’est pas seulement pour des raisons
pratiques ou pour participer à la mode
du crowdfunding : la plupart des platesformes ont déjà enregistré au moins une
faillite d’une entreprise créditrice.
Dans cet environnement agité, la
pierre, symbole du placement refuge,
pourrait de nouveau briller. « La rentabilité de l’immobilier résidentiel en France
devrait rester stable cette année à 4,1 %.
Par rapport aux autres actifs et à condition d’investir dans une ville dynamique,
qui enregistre une forte pression démographique, l’investisseur ne prend pas trop
523
Autres
Assurance-vie en unités
de compte
SOURCE : PAIR CONSEIL
de risques », explique Guy Marty, directeur général de l’Institut de l’épargne
immobilière et foncière. Bien sûr, les
règles d’or doivent être respectées : étudier le quartier pour appréhender la réalité du marché locatif, intégrer les charges
annexes qui grèvent le rendement… Ceux
qui souhaitent éviter les tracas de gestion
se tourneront vers les sociétés civiles de
placement immobilier (SCPI). « Nos
clients en raffolent car le fait d’investir
dans des commerces ou dans l’immobilier
d’entreprise les rassure », relève le créateur
du site Netinvestissement.fr, Stephane
van Huffel. La performance de ces produits – attendue aux alentours de 4,7 %
en 2016 – a il est vrai de quoi séduire.
Mais là encore, les frais élevés à l’entrée, la
longue durée de détention, l’impact de la
crise économique sur l’activité des commerces sont autant d’éléments à bien appréhender. Ils rappellent que pour espérer un peu de rendement, il faut accepter
une dose de contraintes et de risque. p
frédéric cazenave
DOSSIER
| ARGENT & PLACEMENTS |
|5
0123
Mercredi 3 février 2016
Des livrets plutôt que rien
Au lieu de laisser vos économies végéter sur un compte bancaire,
faites le tour de ces produits. Certains battent nettement le Livret A
P
our les petits épargnants, ceux
dont l’univers des placements se
résume bien souvent aux classiques livrets réglementés, voire
au plan d’épargne logement (PEL), le coup
est rude. Depuis le 1er février, le taux du
PEL est descendu à 1,5 %. Cette baisse
intervient après celle du Livret A, le
1er août 2015, tombé à 0,75 %. Devant des
rémunérations aussi faibles, beaucoup de
particuliers laissent leur épargne végéter
sur leurs comptes courants. Dommage,
car malgré des taux au plancher, ces produits d’épargne continuent de rapporter.
« La hausse des prix a été quasi nulle
en 2015 et va rester très faible en 2016, la
rémunération faciale du Livret A peut
donc être considérée comme nette », précise Philippe Crevel, directeur du Cercle
de l’épargne. Cela peut sembler contreintuitif, mais même à 0,75 %, il demeure
l’un des meilleurs rendements depuis
cinq ans, une fois l’inflation déduite.
C’est pourquoi ce livret et son « cousin »,
le livret de développement durable (LDD),
restent les produits de base à détenir afin
d’y loger son épargne de précaution. Il est
conseillé de ne pas y placer plus de trois à
six mois de revenus, ou le montant nécessaire à financer un projet déjà défini
(achat d’un nouveau véhicule…). Ensuite,
il faut orienter son épargne sur d’autres
produits plus rémunérateurs.
2,25 % chez BNP Paribas et 2 % au CIC, au
Crédit mutuel et à la Société générale.
Le Livret d’épargne populaire (LEP) rapporte également davantage que le Livret A : 1,25 % net de tout impôt et prélèvement. Vous pouvez ainsi y investir jusqu’à
7 700 euros, à condition de ne pas dépasser un plafond de ressources, qui dépend
de votre situation familiale. Pour une
ouverture en 2016, le montant de votre
revenu fiscal de référence de 2014 (indiqué sur l’avis d’imposition 2015) ne doit
pas, par exemple, dépasser 19 255 euros si
vous êtes célibataire.
Si vous avez une somme importante à
placer en attente de réinvestissement
pour un délai de deux à quatre mois, les
super-livrets des banques sur Internet
offrent une alternative, car les plafonds de
versements y sont très élevés. Attention, le
taux de rémunération s’entend brut, les
gains sont soumis aux prélèvements
sociaux de 15,5 % et imposés. Pour booster
vos intérêts, investissez-y pendant les
périodes promotionnelles. A titre d’exemple, BforBank propose aujourd’hui la
meilleure offre : 3 % pendant trois mois
jusqu’à 75 000 euros, puis 0,85 % au-delà.
Si vous investissez ce montant pendant
Booster vos intérêts
Certains livrets – eux aussi sans aucun
risque – rapportent plus que le Livret A,
c’est le cas du Livret jeune. Réservé aux
12-25 ans, il est plafonné à 1 600 euros
d’épargne et rapporte au minimum 0,75 %
net. « Bien que le montant des versements
y soit limité, le taux de ce produit est généralement plus intéressant que celui des
autres livrets réglementés, et il n’est pas fiscalisé », souligne Isabelle Fauvel, chargée
de l’animation épargne pour la clientèle
particuliers chez LCL. Car pour fidéliser
leur jeune clientèle, beaucoup de banques
dopent le taux de ce produit. Il peut
atteindre jusqu’à 2,75 % net aux Banques
populaires, 2,50 % aux Caisses d’épargne,
cette période, vous gagnerez 409 euros
d’intérêts si vous êtes imposé à 14 %. En
plaçant cette même somme hors période
promotionnelle, vos gains nets s’élèveront
à seulement 116 euros.
Si votre durée d’investissement est plus
longue, et plutôt que de jongler d’une
promotion à une autre, direction le livret
qui offre la meilleure rémunération du
moment. Actuellement, il s’agit de celui
de RSI qui propose 1,70 % pour son livret
Zesto, soit 1,20 % net pour une personne
imposée à 14 %. Un taux nettement
supérieur à celui du Livret A.
Enfin, si vous pouvez bloquer vos fonds
au moins deux ans : ouvrez un PEL. Il rapporte 1,5 %, soit 1,27 % net après prélèvements sociaux, les intérêts étant soumis à
l’impôt sur le revenu à partir de son douzième anniversaire. Cette rémunération
correspond à la moitié de celle d’un fonds
en euros d’une assurance-vie, mais est
plus élevée que l’inflation. Le tout avec
une sécurité absolue. Avantage supplémentaire : si vous prévoyez d’acheter votre résidence principale ou d’y faire des
travaux, vous bénéficierez, après quatre
ans, d’un crédit au taux de 2,70 %. p
marie pellefigue
Les produits à proscrire
Vu le niveau abyssal des taux d’intérêt, quelques produits de trésorerie
sont à fuir. Si vous en détenez certains, vendez-les pour réinvestir
ailleurs. Premier sur la liste : les fonds monétaires, dont la performance est calquée sur le taux d’intérêt interbancaire européen qui
est… négatif depuis plus d’un an. Et encore, cela n’intègre pas les frais
de gestion annuels ponctionnés sur l’encours de l’épargne investie.
Les comptes à terme sont également à proscrire, car leur rentabilité
nette à moins d’un an est inférieure à celle du Livret A, plus faible
que celle du PEL à moins de deux ans, le tout avec une moindre
liquidité et des intérêts fiscalisés qui sont soumis aux prélèvements
sociaux. Les parts sociales des banques mutualistes font aussi grise
mine, car les banques ne peuvent pas les rémunérer au-dessus
du taux moyen de rendement des obligations des entreprises privées
(TMO). Ce dernier, qui était de 1,89 % en 2014, est passé à 1,07 % l’an
dernier. Comme les intérêts de ces placements sont soumis à l’impôt
sur le revenu et aux prélèvements sociaux de 15,5 %, cette année la
rentabilité maximale nette d’une part sociale sera de 0,75 % pour une
personne imposée à 14 % et de 0,58 % pour un contribuable à 30 %.
Assurance-vie, viser au-delà du fonds en euros
Pour améliorer la performance, le salut passe par des fonds de nouvelles générations et une nécessaire diversification
P
lacement préféré des
Français, avec près de
1 600 milliards d’euros
qui y fructifient, l’assurance-vie offre de multiples possibilités de trouver du rendement grâce aux compartiments
financiers qu’elle renferme. Et
permet de choisir un niveau de
risque adapté à votre sensibilité
et votre horizon, une flexibilité
qui n’est pas offerte par tous les
placements.
Le compartiment star de l’assurance-vie, c’est le fonds en
euros. Un ovni dans l’univers
financier, puisqu’il offre une
garantie totale sur le capital
investi et les intérêts accumulés
au fil du temps, mais aussi une
parfaite liquidité, car il permet
de retirer de l’argent en quelques
jours ou semaines. Le tout, saupoudré de précieux avantages
fiscaux sur les revenus et lors
des successions.
Investi très majoritairement
en obligations pour parvenir à
offrir cette sécurité, ce fonds
souffre toutefois de la baisse des
taux d’intérêt obligataires. Ainsi,
ses performances ne cessent de
diminuer : elles ont atteint en
moyenne 2,2 % l’an dernier
(avant prélèvements sociaux de
15,5 %, soit un taux crédité
de 1,85 %). Au regard d’une inflation très faible, à 0,2 %, le bilan
en reste toutefois très positif,
puisque l’épargne investie a vu
son pouvoir d’achat progresser
largement, de plus de 1,6 % en
moyenne.
Le fonds en euros continue
donc à remplir sa mission, mais
avec des écarts qui demeurent
importants selon les assureurs
et les types de fonds. Si les
Confier la gestion à des tiers
Pour faciliter la diversification de l’épargne investie en assurance-vie,
les professionnels proposent une solution attractive : la gestion
déléguée, ou pilotée. Elle consiste pour le particulier à confier
la gestion à un professionnel, qui se charge de répartir l’épargne
entre les différents supports du contrat, puis fait évoluer cette
répartition dans le temps, au gré de tous les aléas économiques
et conjoncturels. En général, plusieurs styles de gestion sont
proposés, allant d’une relative prudence à l’audace ; des mots
qui cachent une part plus ou moins importante d’actions dans
les portefeuilles. Les résultats sont plutôt encourageants.
Dommage que cette option soit souvent l’apanage des clientèles
fortunées, nombre d’établissements fixant un ticket d’entrée
élevé pour y accéder. Pour les épargnants modestes, le salut passe
par les contrats en ligne vendus sur Internet, dont certains
proposent cette gestion clés en main à partir de 1 000 euros.
moins rémunérateurs ont rapporté aux alentours de 1,5 % l’an
dernier (1,6 % pour le Crédit
mutuel Nord Europe), les plus
rentables ont dégagé un rendement supérieur à 3 % (3,30 %
pour la discrète Mutuelle
d’Ivry-La Fraternelle – MIF) et
certains, investis en immobilier,
ont fait encore mieux. Avec un
taux de 4 % en 2015, le record est
détenu par le fonds Sécurité
Pierre Euro de Primonial et
Suravenir, même si pour accéder
à ce type de fonds en euros alternatifs, il faut accepter de placer
une partie de son épargne sur
d’autres supports.
Pas de miracles
La preuve donc qu’il est possible
de trouver du rendement en
toute sécurité, à condition de
choisir des assureurs performants qui distribuent des
contrats avec des frais d’entrée
et de gestion légers.
Pour autant, il ne faut pas s’attendre à des miracles : les taux
de rendement vont continuer à
diminuer, car les portefeuilles
des assureurs sont aujourd’hui
remplis d’obligations faiblement rémunératrices. En 2016,
les taux moyens devraient tourner autour de 2 %, puis continuer à reculer à un rythme
de 20 à 30 points de base (de
0,20 % à 0,30 %) par an.
Seule une remontée des taux
d’intérêt obligataires pourrait
inverser cette tendance, mais ce
scénario ne figure dans aucun
programme, du moins tant que
la Banque centrale européenne
continue de mener sa politique
accommodante et que la croissance est atone.
En prévision de cette baisse à
venir, et parce que les fonds en
euros sont aujourd’hui trop peu
rentables, la plupart des assureurs incitent leurs clients à se
tourner vers d’autres compartiments financiers pour y placer
une partie de leurs économies.
Le courtier en ligne Altaprofits,
par exemple, propose un « pack
diversifié » qui repose à 60 % sur
le fonds en euros, et à 40 % sur
deux fonds investis en partie en
actions. « Ce panachage vise à
préserver le capital dans le
temps, tout en permettant d’espérer des performances supérieures à celles du seul fonds en
euros, explique Hervé Tisserand,
dirigeant d’Altaprofits. Les épargnants aiment bien ces solutions,
car elles sont simples et facilitent
la diversification. »
Les particuliers à la recherche
d’une alternative se voient aussi
proposer d’autres types de placements. On trouve ainsi de plus
en plus de supports immobiliers, comme les OPCI (organismes de placement collectif
immobilier) ou les SCPI (sociétés
civiles de placement immobilier). Investis sur des biens
tangibles, ils offrent, en outre,
un caractère rassurant pour les
investisseurs, en panne de
confiance au regard des marchés
financiers traditionnels.
Mais attention : tous ces fonds
ne bénéficient cependant d’au-
Une érosion continue
RENDEMENT NET (HORS PRÉLÈVEMENTS SOCIAUX)
APRÈS INFLATION, EN %
5,6
5,45
3,6
2,05
2,4
1990
1995
2000
*ESTIMATION
cune garantie. Leur valeur peut
donc diminuer à tout moment,
même s’ils affichent depuis
maintenant plusieurs années
des performances régulières et
flatteuses.
De nombreux assureurs proposent également de souscrire à
des fonds appelés « patrimoniaux » ou encore « flexibles »,
dans lesquels une gestion diversifiée est menée tout en laissant
d’assez larges marges de manœuvre aux gérants. Ces
produits ont pour ambition de
rapporter 5 % à 6 % par an et ont
2005
1,8
2010
2015*
SOURCES : INSEE, FFSA
pour objectif de ne pas perdre
d’argent sur des durées de trois
ans. S’ils parviennent ainsi à
tenir durablement cette double
promesse, ils pourraient représenter une porte de sortie honorable aux fonds en euros pour
tous les épargnants prudents
acceptant une légère prise de
risque à court terme. p
éric leroux
> Sur Lemonde.fr
Retrouver les rendements 2015
des fonds en euros des principaux
contrats d’assurance-vie.
6|
0123
Mercredi 3 février 2016
| ARGENT & PLACEMENTS |
DOSSIER
Le solide avenir
des SCPI
Les performances des sociétés civiles de placement
immobilier devraient être un peu moins bonnes
cette année. Mais elles restent un bon investissement
D
epuis vingt-cinq ans, les SCPI
(sociétés civiles de placement
immobilier), apparemment insensibles aux cycles des marchés de
bureaux et de commerces, délivrent une performance annuelle moyenne supérieure
à 5 %. Leur marché « pèse » environ 35 milliards d’euros et la collecte progresse vite. Elle
a bondi de 47,5 % au premier semestre 2015, à
1,86 milliard d’euros, selon l’Association françaises des sociétés de placement immobilier
(Aspim). « Par les temps qui courent, aucun
autre produit financier accessible au grand
public n’offre un tel rendement avec si peu de
risques », affirme Laurent Fléchet, directeur
général délégué du groupe Primonial.
Si le capital n’est pas protégé, la diversification des investissements réalisés par le gérant
est censée sécuriser l’épargne. Même dans les
périodes difficiles pour l’immobilier d’entreprise, qui peut entraîner une baisse de la
valeur des actifs détenus en portefeuille, la
solidité des baux (de six ou neuf ans) conclus
par une SCPI la protège. La dernière crise qui a
frappé le secteur, celle de 2008, a permis de le
vérifier. L’Institut de l’épargne immobilière et
foncière recense 166 SCPI. Toutes n’ont pas
annoncé leurs performances pour 2015, mais
on sait déjà que ce sera aussi un bon millésime. « Le rendement moyen devrait ressortir
entre 4,7 % et 4,8 %, en légère baisse après la
performance de 5,08 % observée en 2014 »,
annonce Julien Vrignaud, fondateur du
site SCPI-8. Ces produits offrent en effet une
excellente visibilité. Leur mécanique est bien
rodée : les SCPI achètent des immeubles ou
des commerces (rarement des logements)
pour percevoir des loyers qu’elles
redistribuent à leurs porteurs de parts, sous la
forme de généreux dividendes. Fiscalement,
les contribuables les déclarent comme s’ils
percevaient des loyers, mais ils échappent
aux contraintes de la gestion d’une location.
Sauf accident, l’appréciation du patrimoine
des SCPI entraîne une revalorisation des parts
sur le long terme, ce qui les rend doublement
intéressantes pour un investisseur. Cerise sur
le gâteau : il est possible de les acheter à crédit
en déduisant les intérêts de l’emprunt des
revenus perçus. Et de les placer dans un
contrat d’assurance-vie, même si les compagnies d’assurances ont une fâcheuse tendance à limiter leur offre aux SCPI maison.
Est-ce pour autant un produit sans défaut ?
Non, car les frais d’entrée élevés (environ 10 %) imposent un horizon d’investissement d’au moins dix ans. Sur le long terme,
leur principal ennemi est l’inflation, mais les
baux qu’elles signent prévoient une indexation des loyers en fonction de la hausse des
prix. En outre, le rachat des parts n’est pas
garanti. Dans les années 1990, le retournement brutal du marché immobilier avait provoqué une crise de liquidité sur le marché des
SCPI et de nombreux épargnants étaient restés longtemps sans pouvoir vendre leurs
parts. « Mais la situation est différente, car le
rendement des emprunts d’Etat est au plus bas,
ce qui n’était pas le cas à l’époque », se souvient
Jean-Marc Peter, directeur général de Sofidy.
« Beaucoup a été fait pour améliorer la
liquidité du marché des SCPI, constate Eric
Cosserat, président du directoire de Perial. Il y
a aujourd’hui un vrai marché secondaire. »
Lors de la crise de 1996-1998, le taux de parts
en attente de cession était monté à 4 %. Lors
de la crise de 2008, il n’a pas dépassé 1,15 %.
Pour 2016, une nouvelle érosion des rendements paraît inéluctable. La hausse de la
collecte est un défi pour les gérants de SCPI,
car ils doivent trouver des actifs aussi
rentables que ceux qu’ils ont en portefeuille.
« En 2016, la performance moyenne devrait se
situer aux alentours de 4,5 %, 4,6 % », estime le
fondateur du site Meilleurescpi.com, Jonathan Dhiver. Une vision partagée par Marc
Bertrand, directeur général de La Française REM : « Le tassement des performances
observé en 2015 va se reproduire en 2016, mais
le marché de la location de bureaux a fini de
baisser. Il n’y a aucune raison que l’effritement
des rendements se prolonge ensuite. »
Les secteurs des bureaux et des commerces
pâtissent de la molesse de la reprise économique en France. C’est pourquoi les gérants de
SCPI explorent de nouveaux territoires en
multipliant les investissements à l’étranger,
en particulier en Allemagne, et dans le
secteur de la santé. Primonial a ainsi collecté
450 millions d’euros à travers Primovie, qui
investit dans des crèches, écoles, cliniques.
Autre acteur de poids, La Française REM a
investi 200 millions d’euros outre-Rhin
en 2015, et compte en faire autant en 2016.
Alors, comment choisir ? Il est recommandé
de « panacher » ses investissements. Les SCPI
« anciennes » sont considérées comme les
plus sûres car leur portefeuille est très diversifié. Plus concentrés, les produits créés récemment, davantage tournés vers l’international,
« Par les temps qui courent,
aucun produit financier
accessible au grand public
n’offre un tel rendement
avec si peu de risques »
laurent fléchet
directeur général délégué du groupe Primonial.
présentent un profil plus risqué. « Il faut faire
surtout attention à ceux qui sont spécialisés
dans le commerce, met en garde M. Dhiver.
L’essor du commerce électronique pèse sur le
chiffre d’affaires des boutiques, qui tentent de
renégocier leur loyer à la baisse. »
Si leurs performances paraissent homogènes dans un cycle haussier, toutes les SCPI ne
se valent pas. « Je conseille d’éviter celles qui
possèdent des immeubles menacés d’obsolescence. Elles auront des difficultés à attirer de
nouveaux locataires à la fin des baux en
cours », poursuit M. Dhiver. Un risque réel,
sachant que 75 % des bureaux en Ile-deFrance ont été construits il y a plus de quinze
ans. Pour les repérer, la lecture des rapports
annuels des SCPI, qui détaille la composition
de leur portefeuille, constitue une source
d’informations précieuse. p
jérôme porier
Les sirènes du financement participatif
Cette nouvelle façon d’épargner permet d’espérer des taux très attrayants
I
l y a trois ans, le financement
participatif déboulait dans
l’univers figé des placements
financiers. Depuis, cette
nouvelle forme d’investissement,
accessible aux particuliers pour
quelques dizaines d’euros, a
donné un sérieux coup de vieux
aux autres classes d’actifs. En
cette période de faible rémunération, ce placement les surclasse
avec des rendements annuels
compris entre 4 % et 12 %.
Pour mémoire, le crowdfunding
consiste en une levée de fonds sur
Internet, orchestrée par une plateforme, auprès de particuliers
séduits par le projet d’une société.
Pour les start-up ou les très petites
entreprises (TPE), cela constitue
un complément, voire une alternative au financement bancaire
traditionnel. Pour le particulier,
« c’est une bonne façon d’investir
dans l’économie réelle en fonction
de ses moyens financiers », explique Benoît Bazzocchi, président
de l’Association française de l’investissement participatif (AFIP).
Déboires
Le crowdfunding offre trois
visages : le don, le prêt, et l’investissement en capital. Pour le prêt,
le taux est généralement fixé par
la plate-forme, la durée du crédit
varie de douze à trente-six mois
et la somme prêtée démarre à
10 euros. La rémunération varie
selon le profil de risque de la
société qui emprunte, mais les
plates-formes (les plus actives se
nomment Unilend, Lendix et
Lendopolis) proposent des intérêts compris entre 4 % et 8 %. Le
remboursement, qui est le plus
souvent mensuel, comprend une
fraction du capital et des intérêts.
Dans le cadre de l’investissement en capital (les principaux
sites sont Smartangels, Anaxago,
Wiseed), l’épargnant endosse le
costume du business angel. Il
entre dans le capital de start-up
avec des tickets d’entrée faibles (de
50 à 500 euros) en achetant des titres en direct ou à travers un holding. Cet investissement, peu liquide, implique une immobilisation des fonds plus longue (cinq à
huit ans). Certaines entreprises,
du fait de leurs caractéristiques,
permettent aux investisseurs de
loger les titres acquis dans un plan
d’épargne en actions ou un PEAPME – destiné au financement des
petites et moyennes entreprises
et des entreprises de taille intermédiaire – ou d’obtenir une baisse
d’impôt sur le revenu ou sur l’impôt de solidarité sur la fortune.
Attrayants, ces placements n’en
sont pas moins risqués. Les
performances annoncées ne sont
jamais garanties. Le capital placé
peut, à terme, ne pas être récupéré si la société emprunteuse ou
celle dans laquelle on a investi
connaît des déboires. « Tout va
dépendre de la réussite de la
société : on peut multiplier sa mise
par deux, trois, voire plus, ou dans
le pire des cas tout perdre », explique M. Bazzocchi. Les sites ont
beau affirmer être sélectifs dans
les dossiers mis en ligne, ils ne
savent pas si l’entreprise sera une
pépite, végétera, ou mettra la clef
sous la porte. Plusieurs sites de
prêts ont ainsi dû faire face à une
défaillance ces derniers mois.
Précaution avant d’investir :
vérifier que la plate-forme qui fait
office d’intermédiaire a obtenu
l’agrément officiel de l’Autorité
des marchés financiers, soit celui
de Conseillers en investissement
participatif, soit celui d’Intermédiaires en finance participative.
Ensuite, épluchez les dossiers et,
surtout, diversifiez au maximum.
« Dans la mesure du possible, il
faut multiplier les prêts et en avoir
jusqu’à 50. Cela permet de mutualiser le taux de défaillance qui
avoisine 3 % à 5 % », explique le
PDG de Bolden.fr, Tristan Grué.
Même stratégie dans l’investissement en capital, où la multiplication des participations (au
moins 10) est conseillée. Sachant
que ce type de placement, du fait
de ses contraintes, ne doit jamais
dépasser 5 % à 10 % de votre
patrimoine financier. D’autant
que, côté performances, on manque encore d’historique, peu de
projets dans l’investissement en
actions ayant été débouclés.
Et les avis ne sont pas unanimes. Dans une étude récente,
la Banque privée 1818 alertait
sur le mirage du crowdfunding,
en soulignant que ce secteur
« est lui-même une start-up »
avec tous les risques que cela
comporte. p
laurence boccara
L’immobilier s’y met aussi
Le secteur de l’immobilier a flairé les atouts du crowdfunding. Pour
les promoteurs locaux de taille moyenne, c’est une bonne façon de
compléter le financement de leur opération. La majorité des platesformes propose aux particuliers d’investir dans des programmes
neufs (logements, bureaux) et affiche des rendements compris entre 5 % et 10 % par an. Là encore, rien n’est garanti. « Pour ces opérations de promotion d’une durée de dix-huit à vingt-quatre mois, le risque de perte existe », reconnaît le cofondateur de Crowdfundingimmo.fr, Vincent Sillègue. Un retard de livraison de l’immeuble ou
une non-commercialisation du programme repousse le remboursement et peut même mettre en péril l’opération, et par conséquent le capital injecté. Pour le moment, seule une demi-douzaine
d’opérations ont été débouclées sur la centaine en cours. Encore
plus risqué, d’autres sites proposent de financer des marchands de
biens ou de réaliser un investissement locatif à plusieurs. A éviter,
surtout si le montage est une société civile immobilière, car, dans
ce cas, l’épargnant peut perdre plus que sa mise initiale.
DOSSIER
| ARGENT & PLACEMENTS |
En Bourse, sensations
fortes garanties
R
Le choix de la société de gestion est crucial, car plus
d’un fonds sur deux termine sa course dans le mur
ÉVOLUTION, EN %
Société de gestion
Cinq ans
Un an
17,51
BSF European Opps Extension
BlackRock
140,13
UBS ES Eurp Opp Uncons
UBS FM
110,11
7,15
Comgest Growth Mid-Caps Europe
Comgest AM
95,43
9,03
MFS Meridian Europ Sm Cos
MFS
92,16
6,05
F&C European Small Cap
F&C
91,64
1,23
Mandarine Unique S&M Caps Europe
Mandarine Gestion
88,04
9,96
SOURCE : MORNINGSTAR
avec un intérêt pour les valeurs
dites « en retournement ». « Il
s’agit de trouver des entreprises qui
ont réalisé, ou mènent actuellement, des réorganisations susceptibles d’améliorer leurs résultats, et
ce même sans intégrer la croissance de l’économie, explique
Didier Bouvignies, associé gérant.
Des groupes comme Peugeot, que
nous détenons déjà en portefeuille,
ou Saint-Gobain et Mediaset, en
Italie, sont de bons exemples. »
Sur les chapeaux de roues
Autre thème préféré des gérants
cette année, les fusions-acquisitions. Les acquisitions se multiplient en raison de la chute des
taux d’intérêt, qui permet de financer à moindre coût des opérations de croissance externe. En
2015, la barre des 5 000 milliards
de dollars de transactions dans le
monde a été franchie, selon le cabinet d’études Dealogics. Et 2016 a
commencé sur les chapeaux de
roues, avec des annonces dans la
pharmacie (le laboratoire Shire
veut racheter l’américain Baxalta)
ou dans les télécoms (Orange cherche à croquer Bouygues Telecom).
« Tous les secteurs sont concernés,
mais nous nous attendons à une
forte concentration dans les services informatiques », dit Louis Bert.
La digitalisation de l’économie
constitue une autre tendance
durablement porteuse, du moins
pour les entreprises qui savent
surfer sur cette vague. La société
de gestion Legg Mason mise sur le
développement du commerce en
ligne. Les analystes de Credit
Suisse recommandent, eux, les
géants de l’Internet, estimant que
leur capitalisation boursière, qui
pèse aujourd’hui 1 400 milliards
de dollars devrait pouvoir atteindre, en 2020, 3 000 milliards. Ils
privilégient notamment Alibaba,
Alphabet (Google) ou Facebook.
Plus près de chez nous, « nous
avons investi dans Ingenico, un leader des moyens de paiement, ou
Solutions 30, un installateur de box
et de compteurs ERDF intelligents »,
souligne Louis Bert. « L’avantage
de se positionner sur le secteur du
digital, c’est qu’il bénéficie d’une
demande émanant tant des entreprises que des consommateurs,
poursuit-il. Avec ce secteur, nous
sommes loin des problèmes chinois, ou des fluctuations des prix
des matières premières. » p
propos recueillis par f. pa.
les sociétés choisies ne devront pas avoir plus
de sept ans pour les FIP, dix ans pour les FCPI »,
résume Jean-David Haas, directeur général de
NextStage. C’est pourquoi, il est essentiel de
vérifier l’historique de la société de gestion.
« Nos quatre fonds maison clôturés signent des
gains de 1 % à 127 %, nets de frais et hors avantage fiscal », fait ainsi valoir Xavier Anthonioz,
président du directoire de 123Venture. Bonne
note aussi pour Alto Invest, par exemple : sur
les quatre fonds remboursés aux souscripteurs, trois affichent des gains. Autre type de
produit, les fonds communs de placement à
risques (FCPR). Mais leur ticket d’entrée reste
très élevé, l’épargne est bloquée sept à dix ans,
et les performances font aussi le grand écart.
Plutôt que de passer par un fonds, l’alternative consiste à investir en direct au capital
des PME. Quels sont les atouts de cette formule ? La réduction d’ISF maximale grimpe à
45 000 euros (50 % de la mise, à condition de
conserver les titres cinq ans), et la ristourne
d’impôt sur le revenu (18 % du montant
investi, maximum 50 000 euros pour un célibataire) est plafonnée à 9 000 euros. Bien
entendu, la solution la plus simple est d’entrer
au capital de la PME d’un proche. Mais attention, à partir de 2016, les actionnaires familiaux ne bénéficient plus de la réduction
d’impôt lorsqu’ils investissent dans leur propre société. Ceux qui ne connaissent pas d’entrepreneur ont intérêt à se faire aider pour sélectionner les dossiers. Chez Audacia, dès
5 000 euros, on investit dans cinquante PME,
en un seul versement. « Le but n’est pas de doubler la mise, mais de la retrouver à la sortie,
relève Charles-Henri Waquet, directeur commercial. Avec l’avantage fiscal, le particulier
reste largement gagnant. » p
caroline racapé
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Comme tout placement immobilier, la SCPI est un
investissement long terme dont la liquidité est limitée.
Ainsi, le capital et les revenus ne sont pas garantis et peuvent varier
à la hausse comme à la baisse. Bien entendu, les performances
passées ne sont pas un indicateur fiable des performances futures.
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de la part. (2) Taux de Rendement Interne (TRI) : calcul de la rentabilité de l’investissement qui tient compte de
l’évolution du prix de la part et des revenus distribués sur la période.
Avant tout investissement, le souscripteur doit prendre connaissance de la note d’information présentant l’ensemble
des caractéristiques, des risques et des frais afférents à l’investissement, disponible sur www.scpi-corum-convictions.
com et doit vérifier qu’il est adapté à sa situation patrimoniale. CORUM Convictions, visa SCPI n°12-17 de l’AMF du
24/07/2012, gérée par CORUM Asset Management agrément AMF GP-11000012 du 14/04/2011.
JE SOUHAITE RECEVOIR UNE DOCUMENTATION À L’ADRESSE INDIQUÉE CI-DESSOUS.
J’envoie mon bulletin à CORUM Convictions - 6 rue Lamennais 75008 Paris.
Nom :
Adresse :
Prénom :
LM0216
Je vois au moins trois raisons
de s’intéresser à Mediaset :
l’économie italienne s’améliore ;
le groupe bénéficie d’un potentiel
de réduction de coûts important,
ce qui compenserait un retour
plus tardif de la croissance
du marché publicitaire ; enfin,
Mediaset devrait participer
à la consolidation du secteur en
Europe. C’est, en Bourse, la chaîne
TV la moins chère d’Europe. »
Louis Bert : « Les investisseurs
n’ont pas intégré l’impact positif
de la fusion entre la Fnac et Darty,
qui permettra à chacune des
entreprises de doubler sa puissance d’achats pour atteindre
4 milliards d’euros en France. Lessynergies sont estimées à 1 % du
chiffre d’affaires pour le nouveau
groupe, qui bénéficiera d’une
solide structure financière. Madeuxième valeur est Sara. Ce raffineur indépendant, créé en 1962
et coté sur le marché italien,
est fortement décoté par rapport
à ses concurrents. Or, le bilan est
bon, et la société prévoit de verser
un dividende générant un rendement de plus de 10 % en 2016. » p
Performances contrastées
Cette carotte fiscale se mérite, car ce type de
placement n’est pas sans inconvénient. Tout
d’abord les frais sont élevés : 5 % à l’entrée, en
moyenne, puis 4 % annuels durant la durée du
fonds (soit 20 à 40 % des versements au total).
Pour les FCPI et FIP estampillés « ISF », un
décret plafonnera les frais, mais ceux qui sont
proposés aux particuliers en 2016, agréés à la
hâte fin 2015, ne sont pas concernés.
Autre réserve, les performances sont
contrastées. Plus d’un fonds sur deux termine
sa course dans le rouge. D’où l’importance du
choix de la société de gestion. D’autant que
pour les supports agréés à compter de 2016
– qui seront accessibles en 2017 –, les performances devraient devenir plus volatiles. « Les
conditions d’investissement ont été resserrées :
franck pauly
Pronostics de gérants
Nous avons demandé à Didier
Bouvignies, associé chez Rothschild & Cie Gestion, et à Louis
Bert, directeur général délégué
de Dorval Finance, une maison
spécialisée dans la gestion
flexible, de sélectionner deux
valeurs qui, selon eux, réaliseront un beau parcours boursier
en 2016. Nous ne manquerons
pas, en fin d’année, de revenir
sur ces choix.
Didier Bouvignies : « Si vous
croyez au redémarrage de
l’économie européenne, SaintGobain est un très bon dossier
pour profiter de la reprise
de la construction en Europe,
ce secteur représentant près
de 70 % de son chiffre d’affaires.
Depuis des années, le groupe
travaille à réduire sa base
de coûts. Les inquiétudes liées
à son exposition à l’industrie
américaine ou à la conjoncture
brésilienne sont désormais
prises en compte par les
investisseurs : la valorisation
du titre se situe en dessous
de sa moyenne historique
et affiche une décote de 20 %
par rapport à ses concurrents.
D
iversifier son patrimoine, tout en
réduisant ses impôts. L’investissement dans les petites et moyennes
entreprises (PME) a de quoi séduire.
En 2014, 97 000 personnes se sont laissées
tenter par les fonds communs de placement
dans l’innovation (FCPI) et les fonds d’investissement de proximité (FIP), ces structures qui
réunissent l’épargne des particuliers pour
investir dans des PME, selon les derniers
chiffres de l’AFIC (Association française des
investisseurs pour la croissance) et de l’AFG
(Association française de la gestion financière). En contrepartie des risques de ce placement et du blocage de leur épargne (sept à
dix ans), les investisseurs décrochent une
réduction d’impôt sur le revenu de 18 % du
montant investi (plafonnée à 2 160 euros
pour un célibataire, le double pour un couple) ou, selon le type de fonds, un rabais
d’impôt de solidarité sur la fortune (ISF).
LES FONDS EUROPE LES PLUS PERFORMANTS SUR CINQ ANS
Nom du fonds
|7
Investir dans les PME,
un pari tentant mais osé
La faible reprise de l’économie en Europe et la BCE peuvent-elles
soutenir les actions ? Les professionnels croisent les doigts
alentissement en Chine,
plongeon du pétrole,
risques géopolitiques…
L’incertitude hante les
marchés. Une chose est sûre : si
vous n’êtes pas prêt à affronter le
yo-yo des indices, passez votre
chemin. Car après le plongeon de
janvier – le CAC 40 a perdu 7 %
depuis le début de l’année, le Dow
Jones 8 %, le DAX 10 %… –, l’année
sera mouvementée, tant les
classes d’actifs et les régions du
monde se situent à des points
différents de leur cycle.
D’un côté, les banques centrales
en Europe et au Japon continuent
d’inonder les marchés de liquidités, de l’autre, la Réserve fédérale américaine relève ses taux.
D’un côté, l’économie européenne
est sur le chemin d’une timide
reprise, de l’autre, la conjoncture
s’essouffle outre-Atlantique…
Résultat : les experts sont partagés. Certains estiment que nous
sommes à l’aube d’un violent
décrochage, Albert Edwards, stratège de la Société générale, estimait, mi-janvier, que l’indice
S&P de Wall Street pourrait chuter de 70 %, d’autres pensent qu’il
est temps de profiter des « soldes » de ce début d’année… Les actions européennes pourraient gagner 10 %, avance la société de
Bourse Cholet Dupont. Un optimisme qui tranche avec le climat
ambiant. Malgré les avis divergents, un consensus se dégage sur
les thèmes à privilégier cette année : les professionnels visent les
sociétés sensibles à la conjoncture
européenne, celles menant la digitalisation de l’économie, ou participant aux fusions-acquisitions.
En Europe, les valeurs liées à la
consommation des ménages sont
préférées car elles bénéficient
« des effets positifs de l’augmentation du pouvoir d’achat résultant
de la chute des cours du pétrole »,
résume Frédéric Rollin, conseiller
en stratégie d’investissement chez
Pictet. « Nous nous intéressons aux
sociétés les plus sensibles à la
conjoncture en Europe, car les
chiffres sont malgré tout positifs :
la consommation, le marché automobile et l’immobilier repartent »,
ajoute Louis Bert, directeur général délégué de Dorval Finance.
Chez Rothschild & Cie Gestion,
on privilégie aussi la zone euro,
0123
Mercredi 3 février 2016
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En application de la loi 78-17 du 06.01.78, vous disposez, d’un droit d’accès, de rectification et d’opposition sur les informations vous concernant auprès de CORUM Asset Management, 6 rue Lamennais,
75008 Paris. Sauf opposition de votre part, ces informations pourront être utilisées par CORUM Asset Management à des fins de prospection.
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0123
Mercredi 3 février 2016
| ARGENT & PLACEMENTS |
BANQUES
La grande loterie des tarifs bancaires
En moyenne quatre fois plus chères que leurs concurrentes en ligne, les banques de réseau
affichent pour les mêmes prestations des prix très hétérogènes… et en hausse
L
es banques en ligne ne pouvaient pas rêver mieux. En
décidant d’augmenter leurs
tarifs en 2016, les réseaux
bancaires traditionnels n’ont
pas seulement créé une
polémique, ils ont également renforcé
un peu plus l’avantage compétitif de
leurs concurrents du Net. Les acteurs
100 % Web n’ont-ils pas fait de la gratuité
des principaux services (carte bancaire,
accès Internet, virements, etc.) leur
marque de fabrique ?
L’étude annuelle des tarifs bancaires
réalisée par Choisir-ma-banque.com
pour Le Monde, qui analyse pour six
profils types les prix de 134 établissements, est sans appel. « En moyenne, nos
six clients règlent 41 euros dans les banques en ligne, contre 166 euros dans les réseaux bancaires, soit un rapport de 1 à
4 pour des prestations identiques ! », calcule ainsi le fondateur de Choisir-mabanque.com, Ludovic Herschlikovitz.
Soucieux de permettre au consommateur de s’y retrouver dans la jungle
des prix, le ministère des finances a
d’ailleurs lancé le 1er février un comparateur public des onze tarifs de base. Cet
outil confirmera le grand écart entre les
banques Web et les autres.
1,4 %
C’est le taux d’augmentation des tarifs
bancaires en 2015, d’après le baromètre
annuel du Monde, en partenariat avec
choisir-ma-banque.com, publié le
12 janvier. Pour parvenir à ce résultat,
ce comparateur a passé au crible
les plaquettes tarifaires de 134 établissements (hors offres de produits et
services groupés) et les a appliquées
à six clients types. Carte bancaire classique ou haut de gamme, paiement
à l’étranger, découvert, assurance
moyens de paiement, perte du code
secret… les profils ont été établis au
plus près des consommations réelles.
A l’arrivée, la hausse, certes limitée,
est largement supérieure à l’inflation
(0,2 %).
Si les banques de réseau sont sensiblement plus chères, leurs tarifs sont par
ailleurs très hétérogènes. Ainsi, notre
profil « employé » (1 600 euros de revenu
mensuel net) règle 176,48 euros en
moyenne au Crédit mutuel, soit 40 % de
plus que le réseau le moins cher
(124,99 euros au Crédit agricole). Idem
pour notre profil « cadre supérieur »
(3 500 euros de revenu mensuel net),
avec une différence de 20 % entre l’établissement le plus coûteux (BNP Paribas) et le moins cher (Crédit agricole).
Cette année encore, les banques Internet trustent donc les premières places de
nos classements. Du moins pour les particuliers qui peuvent y prétendre. Car il
faut pouvoir justifier d’un minimum de
revenu pour être éligible à leurs services
(1 600 euros net par mois par exemple
chez BforBank) ou pour obtenir une carte
bancaire gratuite (1 000 euros net par
mois pour une carte standard chez Boursorama). Cette sélectivité explique que
notre profil jeune actif (pour lequel nous
avons fixé un revenu de 1 100 euros) n’ait
accès qu’à certaines banques en ligne.
Les établissements traditionnels, eux,
restent à la traîne. Désormais, 82 % des
banques de notre panel font payer des
frais de tenue de compte (16,42 euros par
an en moyenne), contre 43 % seulement
en 2013. BNP Paribas (30 euros) et la
Société générale (24 euros) ont ainsi
rejoint, depuis le 1er janvier, la longue
liste des banques les facturant. Précisons
que, dans la très grande majorité des cas,
la facturation de ces frais n’est appliquée
qu’en dehors des packages, ces offres
groupées de produits et services.
Parmi les autres hausses, notons celle
de l’assurance moyens de paiement,
dont le prix continue de grimper (+
1,29 %, à 27,70 euros) alors que son utilité
est plus que discutable, ou celle des cartes standard à débit immédiat (+ 2,05 %,
à 38,72 euros).
« Ces dernières années, les pouvoirs
publics se sont attaqués à des lignes de
frais bancaires en plafonnant, par exemple, les commissions d’intervention prélevées en cas de découvert non autorisé. Les
banques ont trouvé un moyen, avec les
frais de tenue de compte, de se rattraper »,
décrypte M. Herschlikovitz. L’existence
de ces frais est justifiée selon Baudoin
Choppin de Janvry, directeur conseil
industrie financière secteur banque de
détail chez Deloitte : « Le modèle des banques en ligne a pu laisser penser que les
services bancaires étaient gratuits. Mais,
en réalité, c’est une fausse idée, il n’y a
aucune raison à cela. Il n’est pas anormal
de régler quelques euros par mois à sa
banque, c’est largement inférieur à ce que
l’on débourse pour un accès Internet/téléphone. » Pas sûr que les consommateurs
l’entendent de cette oreille.
« Les banques Internet ont certes
gagné des parts de marché
ces dernières années, mais
il n’y a pas eu de raz de marée »
baudoin choppin de janvry
directeur conseil industrie financière
secteur banque de détail chez Deloitte
Point important : nous avons effectué
des moyennes nationales pour ceux qui
sont mutualistes (Banque populaire,
Caisse d’épargne, Crédit agricole et Crédit mutuel), mais dans ces réseaux, chaque région fixe librement sa politique
tarifaire, ce qui conduit à des différences
significatives.
« Cet écart grandissant des tarifs peut
servir de déclencheur en incitant les particuliers à quitter les réseaux classiques
pour rejoindre une banque en ligne »,
estime M. Herschlikovitz. D’autant que
pour les attirer, elles déroulent le tapis
rouge : toutes offrent régulièrement la
somme de 80 euros à leurs nouveaux
clients. « La prime sert d’accélérateur : elle
donne envie aux futurs clients d’ouvrir un
compte », constate André Coisne, le
directeur général de BforBank.
Combien de comptes courants les banques en ligne gèrent-elles ? Pour l’heure,
difficile d’obtenir une indication fiable :
la plupart de ces établissements ne donnent que le nombre total de leurs clients,
incluant ceux qui n’ont souscrit qu’à
leurs produits d’épargne. Ainsi, Fortuneo
en annonce 365 000. « Au total, 40 % de
nos clients détenant un compte courant
utilisent Fortuneo comme banque principale en 2015, contre 30 % en 2014, et 10 % il
y a cinq ans », consent à préciser Grégory
Guermonprez, son directeur. Idem pour
BforBank, qui vise 250 000 clients
en 2020. De son côté, ING Direct a
dépassé le million, y compris sur ses activités d’épargne ; pour sa part, Boursorama en revendiquait 750 000 fin 2015.
En fait, selon Bain & Company, les
banques en ligne détenaient, fin 2014, 2 %
de part de marché en tant que banque
principale, c’est-à-dire dans laquelle on
domicilie ses revenus. Pour séduire, elles
vont devoir continuer à étoffer leur palette de services : il ne suffit pas de proposer un compte courant et des produits
d’épargne pour concurrencer sérieusement les réseaux. Boursorama et ING Direct, qui disposent d’une offre de crédit
immobilier, l’ont bien compris. Hello
bank ! aussi, qui met à disposition l’ensemble de la gamme de produits et de
services de BNP Paribas. « Les banques en
ligne font aussi la différence sur leurs placements financiers : l’absence de frais sur
un contrat d’assurance-vie se traduit par
un gain de performance très important
sur la durée du contrat », rappelle ainsi
Grégory Guermonprez.
« Les banques Internet ont certes gagné
des parts de marché ces dernières années,
mais il n’y a pas eu de raz de marée », tempère cependant Baudoin Choppin de Janvry, chez Deloitte. La tendance pourrait
s’accélérer. Tout d’abord, l’arrivée
d’Orange en 2017 sur ce secteur déjà encombré va donner un nouveau coup de
projecteur. « C’est la première fois qu’un
opérateur télécoms entre sur le marché.
Or, entre sa base de clients, son réseau de
boutiques et, bien sûr, sa connaissance du
mobile, Orange devrait être un sérieux
concurrent », explique M. Herschlikovitz.
Surtout, à partir du mois de février 2017, il
sera nettement plus facile de changer de
banque, puisque c’est le nouvel établissement qui entrera directement en contact
avec l’ancien pour gérer le transfert des
prélèvements, des virements… Le client
n’aura plus aucune démarche à faire, sinon trouver la meilleure banque. p
agnès lambert
Des différences de coût considérables quel que soit le profil des clients
COÛT ANNUEL DES SERVICES CORRESPONDANT À CHAQUE PROFIL. LE DÉTAIL DES PROFILS ET L’INTÉGRALITÉ DU CLASSEMENT SONT DISPONIBLES SUR LEMONDE.FR, RUBRIQUE ARGENT & PLACEMENTS
JEUN E IN AC T IF
ACTI F D E MOI NS D E 2 5 AN S
COÛT
COÛT
MAXIMUM 213,33 €
MOYEN
E M P LOY É
COÛT
MAXIMUM
MAXIMUM 221,45 €
86,29
MOYEN
101,38
MOYEN
1 600 €
268,18 €
139,46
1 100 €
600 €
MINIMUM
MINIMUM
17,91
REVENU
MENSUEL
REVENU
MENSUEL
LES TROIS BANQUES LES MOINS CHÈRES
CAISSE D'EPARGNE LOIRE DROME ARDECHE
CRÉDIT AGRICOLE ALSACE VOSGES
CRÉDIT AGRICOLE PROV. CÔTE D'AZUR
17,91 €
31,84
37,88
MINIMUM
21,38
REVENU
MENSUEL
LES TROIS BANQUES LES MOINS CHÈRES
BOURSORAMA BANQUE
LES TROIS BANQUES LES MOINS CHÈRES
BFORBANK
21,38 €
SOON BY AXA BANQUE
CRÉDIT AGRICOLE FRANC-COMTOISE
50,4
56,13
BOURSORAMA BANQUE
FORTUNEO
ING DIRECT
LES TARIFS DES PRINCIPALES BANQUES
SOCIÉTÉ GÉNÉRALE
CRÉDIT AGRICOLE**
CAISSE D'EPARGNE**
BNP PARIBAS
LA BANQUE POSTALE
BANQUE POPULAIRE**
CRÉDIT MUTUEL**
LCL
** MOYENNE DES CAISSES RÉGIONALES.
42,01 €
65,76
69,55
77,89
78,84
79,23
84,78
89,59
3,16
LES TARIFS DES PRINCIPALES BANQUES
LA BANQUE POSTALE
CRÉDIT AGRICOLE**
BANQUE POPULAIRE**
CAISSE D'EPARGNE**
CRÉDIT MUTUEL**
SOCIÉTÉ GÉNÉRALE
BNP PARIBAS
LCL
3,16 €
3,16
3,16
3,16
LES TARIFS DES PRINCIPALES BANQUES
89,93 €
91,55
99,51
101,27
104,05
108,07
109,13
126,86
CRÉDIT AGRICOLE **
BANQUE POPULAIRE**
LCL
LA BANQUE POSTALE
SOCIÉTÉ GÉNÉRALE
BNP PARIBAS
CAISSE D’EPARGNE**
CRÉDIT MUTUEL**
124,99 €
127,72
127,89
129,01
135,12
139,27
166,45
176,48
BANQUES
| ARGENT & PLACEMENTS |
Les « fintech »
rajeunissent le secteur
E
nouvelle : il force les banques à se
creuser la tête pour améliorer
leurs services. « Les fintech sont
bien moins chères que les acteurs
traditionnels, car leurs coûts fixes
sont très inférieurs. Les banques ne
peuvent plus se reposer sur leurs
acquis », souligne Julien Maldonato, directeur conseil industrie
financière chez Deloitte.
Le segment le plus développé
est celui des paiements, avec des
solutions de paiement sur
mobile par carte bancaire (Lydia),
des « cagnottes en ligne » (Leetchi, Le Pot commun), ou encore
le transfert d’argent à l’étranger
(PayTop). Gros succès également
pour les applis de gestion de budget comme Linxo ou Bankin.
Côté compte courant, le CompteNickel, un compte sans banque
distribué par les buralistes, a déjà
séduit plus de 200 000 Français
depuis son lancement en 2014.
« D’autres acteurs viendront sur le
segment de la banque sans
agence, c’est le sens de l’histoire.
C’est déjà le cas au Royaume-Uni
avec Atom Bank et Tandem Bank,
ou en Allemagne avec Number 26 », explique ainsi Guillaume-Olivier Doré.
« Conseillers robots »
Les banques sont aussi concurrencées sur leurs produits d’épargne. Le financement participatif
devient peu à peu une alternative
aux placements classiques, puisqu’il permet aux particuliers de
prêter de l’argent à des PME ou d’y
investir en capital en échange de
rendements attrayants… et d’une
prise de risque.
Toujours dans l’épargne, des
robot advisors (« conseillers
robots ») commencent à émerger.
Advize, Yomoni, Fundshop ou
encore Marie Quantier ont pour
objectif d’aider le particulier à
Pour fidéliser leur clientèle, les établissements
mettent les bouchées doubles sur les applis mobiles
tout en jouant la carte du conseil et des services
L
es banques en ligne n’ont pas le
monopole de la banque à distance.
Les grands réseaux, de la Société
générale aux Caisses d’épargne en
passant par LCL, se sont eux aussi lancés dans
la course au numérique. Avec succès. En
novembre 2015, les sites Internet des banques
ont accueilli 23,7 millions de visiteurs uniques pour une durée moyenne de quarantetrois minutes sur le mois, selon la dernière
étude de Médiamétrie-NetRatings. Cela signifie que 50 % des internautes ont visité le site
d’une banque au cours de ce mois. « Au total,
85 % de nos clients consultent leur compte par
Internet. Et, pour la première fois en 2015,
les connexions mobiles dépassent celles de
l’Internet fixe », indique Denis Mancosu,
réaliser son allocation d’actifs
grâce à des algorithmes, basés
notamment sur les historiques
des marchés financiers. L’avenir
dira si les allocations qui ont été
proposées étaient pertinentes.
« Le secteur le moins développé
est l’assurance. C’est aujourd’hui
le plus prometteur car l’hyperconnectivité permettra de mieux
mesurer les risques et de les prévenir », estime Julien Maldonato
chez Deloitte. Quelques acteurs
se sont déjà lancés, à l’instar
d’InsPeer, qui permet de partager avec les autres inscrits les
montants non couverts (franchises) par son assureur en cas de
sinistre, et de Fluo, qui vérifie
précisément de quelles assurances vous disposez déjà grâce à
votre carte bancaire afin d’éviter
les doublons.
Les établissements financiers
sont donc attaqués de toute part.
« Evidemment, cela ne va pas faire
disparaître les banques. Mais elles
sont mises sous pression, car les
nouveaux entrants, comme les
fintech, mais aussi les opérateurs
de télécoms, les bancassureurs, les
géants de l’Internet, vont peu à
peu rogner leurs marges en leur
prenant certains services et en
leur laissant les produits les moins
rentables », souligne Alain Clot.
Les banques ont bien compris le
danger. Et à défaut de pouvoir arrêter les fintech, elles les rachètent. Certaines ont déjà commencé à prendre des participations : Crédit mutuel Arkéa a
ainsi investi dans Prêt d’union et
Linxo, et mis la main sur Leetchi ;
la Banque populaire Caisses
d’épargne a racheté Le Pot commun. Objectif : garder un œil sur
le développement de ces nouveaux usages et ne pas se faire
grignoter une part du gâteau. p
A l’étranger, les nouveaux
modèles d’agences
bancaires ressemblent
à des magasins de design
ou à des halls d’hôtels
dernier cri
directeur de la distribution multicanal des
Caisses d’épargne, dont l’appli a été téléchargée par 5,4 millions de clients.
A défaut de pouvoir vraiment concurrencer les banques 100 % Internet sur leurs
tarifs, les établissements traditionnels se
sont clairement mis au diapason en matière
d’accessibilité à distance. « Les fonctionnalités des applis et des sites des banques de
réseau sont à peu près identiques à celles de
leurs concurrentes du Web », confirme
Guillaume Alméras, consultant indépendant et animateur du site Score Advisor sur
les évolutions bancaires.
Parallèlement, les réseaux planchent sur
de nouveaux concepts d’agences bancaires,
dans un contexte global de réduction de la
voilure dans le nombre de succursales.
« L’erreur serait de simplement les relooker en
a. la.
C A DR E
C AD RE SUPÉRI EUR
COÛT
MAXIMUM
|9
La contre-attaque
des réseaux traditionnels
En inventant de nouveaux services financiers, ces start-up
bousculent les acteurs traditionnels et les obligent à évoluer
n France, elles sont une
centaine. Certaines n’en
sont qu’au stade de l’idée,
d’autres, comme l’appli
mobile de gestion de budget
Bankin, affichent plus d’un million d’utilisateurs. Point commun
de ces « fintech » (une contraction
de finance et de technologie),
start-up adeptes du big data, des
réseaux sociaux et, plus globalement, des nouvelles technologies :
elles s’attaquent aux banques en
inventant des services financiers
ou en rendant plus simples et ludiques ceux qui existent.
« Leur poids économique est
encore infinitésimal, mais elles
se développent très rapidement.
Elles vont progressivement s’installer dans le paysage bancaire »,
explique Guillaume-Olivier Doré,
fondateur de la holding d’investissement FinTech Invest. Le phénomène est à la fois mondial et
récent : l’investissement dans ce
secteur a triplé en 2014 pour
atteindre un montant de 12,2 milliards de dollars dans le monde,
d’après une étude publiée par
Accenture en mars 2015.
La France en est aux prémices
de ce mouvement : le consommateur commence à changer de
comportement, et semble désormais prêt à faire quelques infidélités à sa banque. « Le client est devenu un consommateur-utilisateur : il compare, vérifie les prix,
veut connaître les opinions des
autres et n’hésite pas à aller voir
ailleurs. C’est vrai dans la téléphonie, le tourisme, l’automobile… Ce
le sera dans les services financiers », analyse Alain Clot, le président de l’association France FinTech, lancée en juin 2015 pour
promouvoir les champions français du secteur.
Pour les particuliers, l’essor
de ces start-up est une bonne
0123
Mercredi 3 février 2016
les équipant d’écrans pour faire moderne !
Il faut au contraire les redéfinir autour du
rôle du conseiller », préconise Guillaume
Alméras. A terme, le particulier réalisera la
quasi-totalité de ses opérations à distance,
de façon autonome, et ne se déplacera en
agence que pour obtenir un conseil à forte
valeur ajoutée. Dans les nouvelles agences
de la Caisse d’épargne, par exemple, les
conseillers sont équipés de casques, écrans,
etc. pour dialoguer avec leurs clients à
distance, mais ils peuvent également les
recevoir dans un lieu davantage convivial,
en face à face. Objectif : réconcilier le numérique et l’humain.
L’agence devrait donc devenir une boutique comme les autres, conviviale et
accueillante. A l’étranger, les nouveaux
modèles ressemblent d’ailleurs davantage à
des magasins de design ou encore à des
halls d’hôtel dernier cri. Aux Etats-Unis,
Umpqua Bank ne propose-t-elle pas des
cours de yoga dans certaines de ses succursales ? « Les agences vont devenir des lieux de
vie : on viendra y rencontrer des experts pour
un conseil sur le crédit ou les placements,
mais on pourra aussi, pourquoi pas, louer
une salle de réunion », avance Baudoin
Choppin de Janvry, directeur conseil
industrie financière secteur banque de
détail chez Deloitte.
Reste le point crucial : les conseillers
doivent s’adapter à leur nouveau rôle. Et il
y a du pain sur la planche, les clients se
plaignant en effet régulièrement des
rotations trop rapides de leur conseiller, qui
changent, en moyenne, tous les trois ans.
L’une des pistes consiste à faire circuler des
conseillers spécialisés (épargne, crédit, etc.)
dans plusieurs agences. Le personnel
« fixe » aura pour mission, dans ce cas, de
nouer une relation de proximité avec le
client. « Le conseiller constitue le point
différenciant les réseaux bancaires des
banques en ligne, c’est un véritable atout.
Toutes les banques traditionnelles ont une
carte à jouer pour fidéliser leurs clients »,
indique Baudoin Choppin de Janvry. Même
si, par définition, ces conseillers restent des
commerciaux chargés de distribuer les produits maison. p
a. la.
S E N IO R SAN S IN TE R N E T
COÛT
3 500 €
MAXIMUM
449,22 €
COÛT
MAXIMUM
506,07 €
277,13 €
2 400 €
MOYEN
MINIMUM
234,79
MOYEN
MINIMUM
55,89
REVENU
MENSUEL
242,04
BOURSORAMA BANQUE
FORTUNEO
BFORBANK
FORTUNEO
BFORBANK
68,21
LA BANQUE POSTALE
CRÉDIT AGRICOLE**
CAISSE D’EPARGNE**
LCL
CRÉDIT MUTUEL **
SOCIÉTÉ GÉNÉRALE
BNP PARIBAS
92,96
LES TROIS BANQUES LES MOINS CHÈRES
BANQUE POPULAIRE MASSIF CENTRAL
51,48 €
57,60
CRÉDIT AGRICOLE PROV. CÔTE D'AZUR
BANQUE POP. PROVENÇALE ET CORSE
64
LES TARIFS DES PRINCIPALES BANQUES
221,3 €
224,94
228,94
237,75
243,49
252,25
262,67
263,09
159,30
REVENU
MENSUEL
BOURSORAMA BANQUE
LES TARIFS DES PRINCIPALES BANQUES
BANQUE POPULAIRE **
MINIMUM
LES TROIS BANQUES LES MOINS CHÈRES
55,89 €
62,01
MOYEN
51,48
REVENU
MENSUEL
LES TROIS BANQUES LES MOINS CHÈRES
1 600 €
CRÉDIT AGRICOLE**
BANQUE POPULAIRE**
LA BANQUE POSTALE
SOCIÉTÉ GÉNÉRALE
CRÉDIT MUTUEL**
LCL
CAISSE D’EPARGNE**
BNP PARIBAS
92,96 €
106,28
124,87
LES TARIFS DES PRINCIPALES BANQUES
225,14 €
235,82
241,13
251,4
252,86
263,77
268,99
281,67
LA BANQUE POSTALE
BANQUE POPULAIRE**
INFOGRAPHIE : MARIANNE BOYER
CRÉDIT AGRICOLE**
CAISSE D'EPARGNE**
BNP PARIBAS
CRÉDIT MUTUEL**
LCL
SOCIÉTÉ GÉNÉRALE
136,5 €
144,55
144,56
156,43
160,69
171,64
176,65
178,61
SOURCES : CHOISIR-MA-BANQUE.COM ; « LE MONDE ARGENT & PLACEMENTS »
10 |
| ARGENT & PLACEMENTS |
0123
Mercredi 3 février 2016
IMMOBILIER
e n
Une procédure d’urgence
pour changer de syndic
Davantage de bailleurs hors la loi à l’est de Paris
Il faut parfois utiliser la méthode forte pour se débarrasser d’un prestataire indélicat
F
in novembre 2015, mon syndic m’a annoncé qu’il comptait augmenter ses honoraires de 30 % en 2016 en
raison de l’entrée en vigueur de la
loi Alur, déclare Jérémie P., président du conseil syndical des
copropriétaires d’un immeuble situé dans le 17e arrondissement de
Paris. Il s’était arrangé pour que
l’assemblée générale de notre immeuble se déroule très tardivement,
en décembre, alors que les comptes
doivent être approuvés avant le
31 décembre. Nous étions piégés,
car il est difficile de mobiliser les
copropriétaires pour changer de
syndic dans un délai aussi court ! »
Depuis un an, les associations de
consommateurs disent recueillir
un grand nombre de témoignages
similaires. « La loi Alur n’induit
pas de surcoût pour les syndics,
c’est un mensonge. Ils utilisent ce
prétexte pour imposer de fortes
hausses de tarifs », s’énerve Emile
Hagège, directeur de l’Association
des responsables de copropriétés
(ARC), qui publiera, en mars, un
guide afin d’aider les copropriétaires à répondre aux arguties
des syndics.
Changer de prestataire est compliqué car le cadre législatif est très
contraignant. « La loi est précise : il
faut envoyer au syndic en place un
nouveau contrat négocié avec un
concurrent en lui demandant, par
l e
c a s
lettre recommandée, de mettre à
l’ordre du jour de la prochaine
assemblée générale une résolution
proposant le changement de syndic », détaille le fondateur de Syndicexperts.com, Sylvain Elkouby.
Les copropriétaires doivent être
informés des résolutions de l’assemblée générale au moins vingt
et un jours ouvrés avant le vote. Il
est donc recommandé d’envoyer
le contrat du nouveau syndic deux
mois avant la date fatidique. En
effet, il arrive fréquemment que le
syndic en place traîne les pieds,
espérant gagner suffisamment de
temps pour être reconduit une
année supplémentaire.
Jurisprudence
Heureusement, il existe une
possibilité pour changer de syndic
en urgence, même si les délais
sont dépassés. Elle consiste à
passer en force lors de l’assemblée
générale en votant contre le
renouvellement du syndic en
place, puis en demandant à l’un
des copropriétaires de se dévouer
pour exercer la fonction de syndic
bénévole à titre provisoire.
Une procédure illégale en l’absence de tout contrat ? « La jurisprudence reconnaît la légalité de
l’élection à condition que le nouveau syndic n’exige aucune rémunération, précise M. Hagège. Le
professionnel évincé ne peut rien
p r a t i q u e
Mon acheteur
se défausse
au dernier moment
J
e ne suis pas près d’oublier
ce 17 juin 2015. Au moment où
le camion de déménagement
démarre avec mes meubles
pour libérer l’appartement que
je m’apprête à céder, je reçois un
coup de fil affolé de mon notaire,
raconte Anne-Claire. C’est
la catastrophe : il m’annonce que
la signature de l’acte de vente
est définitivement annulée.
Le futur acheteur n’a pas obtenu
l’assurance emprunteur en lien
avec son crédit immobilier. En
quelques secondes, tout s’écroule,
mon logement est vide et je suis
dans l’incapacité d’acheter mon
nouvel appartement dont la signature est programmée le même
jour dans l’après-midi. » Cette
quadra parisienne n’a alors
d’autres choix que de reporter
le rendez-vous et de trouver en
urgence un garde-meubles.
Dossier incomplet
Ce coup de théâtre aurait-il pu
être évité ? L’avis des professionnels est partagé. Il semble y
avoir eu une négligence du côté
du notaire chargé de la transaction. Un suivi plus attentif,
notamment à l’approche du
jour J, aurait permis de détecter
que le dossier de prêt du futur
acheteur était incomplet et
commençait à poser un sérieux
problème. Anne-Claire aurait
donc pu être alertée plus tôt.
Toutefois, « lorsque le compromis ou la promesse de vente est
signé, rien n’est complètement
scellé. Une transaction immobilière n’est jamais sûre, elle peut
toujours capoter jusqu’au jour
de la signature de l’acte officiel »,
indique Jean-Michel Boisset,
notaire en Normandie. Tout
d’abord, l’acquéreur bénéficie
de dix jours à compter du
lendemain de la notification
de l’avant-contrat (promesse
ou compromis de vente) ou de
la remise en main propre de
l’acte de vente pour se rétracter.
Ensuite, l’exercice d’un droit
de préemption de la collectivité
locale ou encore un refus
de crédit ou d’assurance sont
des événements susceptibles de
remettre en cause l’engagement
entre les deux parties. « Ces
scénarios sont souvent prévus
par les conditions suspensives
intégrées dans l’avant-contrat »,
précise Jean-Michel Boisset.
Dans le cas d’Anne-Claire,
justement, une condition
prévoyait l’annulation de la
vente si l’acquéreur essuyait un
refus d’assurance lié à son crédit. L’ex-acheteur a ainsi pu récupérer l’intégralité de la somme
versée le jour du compromis.
Pour mémoire, lors de la signature d’un avant-contrat, il est
d’usage que l’acheteur dispose
d’un délai de trente à quarantecinq jours pour pouvoir trouver
un crédit et avertir (le vendeur,
l’agent immobilier ou le notaire)
qu’il a reçu l’offre ferme
de la banque. « C’est seulement
à partir de ce moment que
l’on fixe une date de signature,
souvent programmée deux
à trois semaines plus tard »,
explique Jean-Michel Boisset.
Pourquoi ce délai ? « A partir du
lendemain de la confirmation
de l’offre de prêt, le futur
emprunteur dispose, selon la loi,
d’un délai de réflexion de dix
jours calendaires », rappelle
David Rodrigues, juriste à l’association de consommateurs
CLCV. Autant de délais à intégrer
de préférence avant de faire
ses cartons. p
laurence boccara
faire car il faut avoir le statut de
copropriétaire pour contester le
vote : il est coincé ! »
Pour que l’opération réussisse, il
est impératif que tous les copropriétaires soient sur la même
longueur d’onde. Ce qui implique
de les mobiliser suffisamment
en amont. La recherche d’un professionnel compétent pouvant
prendre plusieurs mois, il faut
démarrer le plus tôt possible. Le
bouche-à-oreille est généralement
la méthode la plus efficace.
Si certains copropriétaires s’abstiennent lors de l’assemblée générale, aucune conséquence fâcheuse n’est à redouter, tant que le
quorum est atteint. En revanche,
si l’un d’eux s’oppose au changement de syndic et saisit le tribunal
de grande instance, ce dernier
b r e f
peut estimer que l’immeuble n’est
plus géré et le placer sous administration judiciaire. « C’est pourquoi cette stratégie est déconseillée
pour les grandes copropriétés, car il
est rare que tous les copropriétaires
de l’immeuble parviennent à se
mettre d’accord », recommande
Rachid Laaraj, créateur de Syneval,
un courtier en syndic.
Un conseil : au début de l’assemblée générale, veillez à nommer
l’un des copropriétaires comme
secrétaire de séance, et non le syndic, et n’oubliez pas d’emmener
avec vous le PV de la réunion s’il
vous expulse de ses locaux. « Dans
ce cas, il ne faut pas se laisser
démonter et poursuivre l’assemblée ailleurs, par exemple dans un
café proche », poursuit M. Laaraj. p
jérôme porier
Entré en vigueur à Paris le 1er août 2015, l’encadrement des loyers est
peu respecté. Meilleursagents. com, qui a épluché 14 114 références
de locations non meublées publiées sur les sites d’annonces pour
professionnels entre le 1er août et le 31 décembre 2015, estime que 29 %
des biens sont proposés au-dessus du loyer de référence majoré.
Autre information, la part de propriétaires-bailleurs hors la loi est
nettement plus élevée dans l’Est parisien. Dans le nord du 19e arrondissement ou dans le sud du 13e arrondissement, 50 % des annonces
ne respectent pas la loi. « Ces propriétaires sont majoritaires dans
les zones où le découpage réalisé par l’OLAP [l’Observatoire des loyers
de l’agglomération parisienne] juxtapose des quartiers populaires et
d’autres, plus huppés, explique le président de Meilleursagents. com,
Sébastien de Lafond. Ceux qui possèdent un appartement bien situé
tentent d’imposer un loyer élevé, mais comme leur zone englobe des
endroits beaucoup moins favorisés, leur loyer de référence est tiré vers
le bas. C’est pourquoi les dépassements sont aussi fréquents à l’est. »
Une reprise sans emballement
La Fnaim a dressé, le 28 janvier, un bilan optimiste du marché
immobilier. Le premier syndicat professionnel du secteur a constaté
une forte accélération des ventes au second semestre 2015.
Sur l’année, il table sur un volume de transactions supérieur
à 800 000 ventes dans l’ancien (+ 15,6 %), un niveau proche du record
de 2006-2007. Les prix semblent aussi repartir à la hausse. Un
retournement de tendance a été enregistré au quatrième trimestre
2015, avec une hausse de 1,9 % en France et de 0,7 % en Ile-de-France.
Moins optimistes, les experts du Crédit agricole prévoient un total
de 795 000 ventes (+ 15 %), dans l’ancien, en 2015. Pour 2016, ils
estiment que le marché restera bien orienté, « mais risque de baisser
légèrement, surtout dans l’ancien, avec des ventes en recul de 5 % et
des prix en repli de 1 % à 2 % en moyenne sur l’ensemble du territoire ».