L`improbable européanisation du droit international privé de la famille
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L`improbable européanisation du droit international privé de la famille
120 LA SEMAINE DU DROIT LIBRES PROPOS DROIT DE LA FAMILLE 120 L’improbable européanisation du droit international privé de la famille POINTS-CLÉS ➜ La commission européenne s’apprête à une nouvelle communication sur ses initiatives dans le domaine de la justice, incluant des avancées dans le champ familial ➜ Le bilan des textes adoptés conduit à exprimer de vives réserves à cet égard Isabelle Barriere Brousse, professeur à la faculté de droit d’Aix-Marseille NDLR : Le présent point de vue a contribué à la réponse présentée à la Commission européenne au nom du réseau Trans Europe Experts, pôle Droits fondamentaux et droit de la famille, sous la direction du professeur Vincent Egéa. Les opinions ici exprimées n’engagent toutefois que leur auteur. L a Commission européenne a lancé une consultation publique à la suite des Assises de la Justice qui se sont tenues à Bruxelles les 21 et 22 novembre 2013, dont un volet porte sur le droit civil de l’Union européenne (UE) (Discussion paper 1 on EU civil law: http://ec.europa. eu/justice /events/assises-- justice-- 2013/ files/civil_law_en.pdf ). L’un des points soulevés porte en substance sur la question de savoir dans quels domaines du droit de la famille l’UE pourrait intervenir plus avant, et de quelle façon ce progrès pourrait être accompli. La Commission invite plus particulièrement à examiner le recours, dans certains domaines, à la passerelle prévue à l’article 81, § 3, alinéa 2, TFUE, permettant l’adoption d’actes selon la procédure législative ordinaire, sur décision du Conseil prise à l’unanimité après consultation du Parlement européen, ainsi qu’à la technique de la coopération renforcée. Page 178 Ces questions nécessitent de rappeler tout d’abord les conditions dans lesquelles l’UE dispose d’une compétence dans les questions touchant au droit de la famille. Outre l’équilibre politique global qui préside à la répartition des compétences, et notamment la compétence d’attribution de l’Union et les principes de subsidiarité et de proportionnalité (TUE, art. 5), les « mesures relatives au droit de la famille ayant une incidence transfrontière » s’inscrivent dans un cadre juridique protecteur des droits nationaux. La règle de l’unanimité du Conseil après avis du Parlement européen (TFUE, art. 81, § 3, al. 1) se justifie par la nécessité de respecter, ici plus qu’ailleurs, les Questions par G. Carducci) a été pris selon la procédure ordinaire de codécision au motif contestable que les successions ne relevaient pas de la matière familiale, et les propositions relatives aux régimes matrimoniaux et aux effets des partenariats enregistrés qui eux, en relèvent, sont dans une situation de blocage. Cet état de choses n’est certainement pas indifférent à la question posée, concernant le recours à la « passerelle ». Celle ci constitue dès lors un mécanisme d’exception qui ne peut être employé qu’avec la plus grande prudence puisqu’elle est appelée à opérer dans un domaine particulièrement sensible. « Le DIP de la famille présente d’indéfectibles liens avec le droit interne de la famille, lui même profondément marqué par l’histoire, la religion, les mœurs propres à chaque pays. » traditions juridiques et la culture des États membres, conformément à l’article 67, § 1, TFUE : « L’Union constitue un espace de liberté, de sécurité et de justice dans le respect des droits fondamentaux et des différents systèmes et traditions juridiques des États membres ». Il faut souligner qu’aucun règlement, depuis Bruxelle II bis en 2003, n’a été adopté en application de la procédure spéciale prévue à l’article 81, § 3, TFUE. Le règlement n° 650/2012 sur les successions internationales (JCP G 2013, prat. 550, En Pareille éventualité implique ensuite d’examiner l’opportunité de légiférer dans les matières familiales ayant une incidence transfrontière, soit en droit international privé de la famille lato sensu. L’argumentation en défaveur de cette intervention, développée notamment par Mme Gaudemet-Tallon (De l’utilité d’une unification du droit international privé de la famille dans l’Union européenne, Estudos em homenagem à Pr Doutora I. de Maghalhaes Collaço, vol. 1 : Almedina 2002, p. 159), est LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 5 - 3 FÉVRIER 2014 LA SEMAINE DU DROIT LIBRES PROPOS bien connue : le DIP de la famille présente d’indéfectibles liens avec le droit interne de la famille, lui même profondément marqué par l’histoire, la religion, les mœurs propres à chaque pays. La dimension culturelle est si essentielle qu’il ne pourrait y être porté atteinte, fût-ce au nom des principes européens (libre circulation, reconnaissance mutuelle) sans affecter gravement l’attachement des citoyens à leurs racines et à leurs traditions et nourrir un sentiment de rejet vis-à-vis d’une Europe excessivement intégrationniste, et souffrant d’un sérieux déficit démocratique. L’immixtion de l’UE dans le champ familial, au vu des difficultés actuelles, n’est pas conforme aux souhaits de l’ensemble des États membres, et il serait donc inopportun de chercher à vaincre ces résistances en contournant la procédure instituée en la matière. Ce sentiment est renforcé à l’analyse des actes adoptés par l’UE en matière familiale qui révèlent en premier lieu une absence d’objectifs appropriés. Certes les solutions apportées à des questions délicates comme les déplacements illicites d’enfants peuvent être approuvées : en s’appuyant sur la Convention de la Haye du 25 octobre 1980, les mesures prises dans le but de renforcer l’efficacité du mécanisme du retour immédiat paraissent appropriées. Elles répondent au besoin de protection de l’enfant et du parent victime de l’enlèvement, et jouent, on peut le supposer, un rôle préventif aussi bien que curatif. Toutefois dans les autres domaines couverts par les règlements et propositions de règlements européens, les autorités européennes se sont révélées inaptes à construire un droit international privé européen de la famille émancipé de l’idéologie libérale du marché. Bien que la matière dans son ensemble soit dégagée de l’objectif du « bon fonctionnement du marché intérieur » depuis le Traité de Lisbonne, le législateur européen ne parvient pas à abandonner les habitudes forgées par cinquante ans de culture économique. Les références de ce type se retrouvent dans les règlements (V. par ex. Règl. n° 650/2012, consid. 6 et 17. - Comm. UE, COM (2011) 125 final, 16 mars 2011, consid. 9) et autres documents de travail (V. PE, rés. INI/2010/2080). Le discussion paper de la Commission sur le droit civil européen qui s’ouvre par des considérations relatives au marché intérieur, consacre l’essentiel des questions à des problématiques économiques, et n’envisage le droit de la famille que dans un 5e point, traité en quatre lignes. Le DIP européen de la famille apparaît dominé par le prisme processuel, l’individualisme et la culture de la désunion (V. Le droit international privé de la famille à l’heure européenne, in Mélanges en l’honneur du professeur J.-M. Jacquet : LexisNexis 2013, p. 347). Ce dernier point est crucial car la faveur pour les séparations ne peut s’expliquer autrement que par la philosophie individualiste et hédoniste sous jacente aux principes économiques faisant du libreéchange et de la mobilité la clef de voûte de toutes les relations sociales. Loin de rechercher la coordination des ordres juridiques nationaux au moyen de règles neutres, les règles de conflit en matière de divorce et de successions intègrent ainsi une dimension matérielle inspirée par les législations 120 libre circulation et de reconnaissance mutuelle : les autorités européennes n’hésitent pas à affirmer, en contradiction avec elle, que la diversité des législations constitue un obstacle à la libre circulation qu’il faut surmonter (V. par ex. Comm. UE, COM (2011) 125 final, 16 mars 2011). Il apparaît que le pluralisme affiché ne signifie pas que les conceptions portées par chaque droit national devraient être respectées : il implique au contraire l’équivalence des modèles familiaux, c’est à-dire l’obligation pour les États membres de reconnaître une valeur égale aux différentes conceptions du mariage et aux différents modes de conjugalité, et de renoncer par-là à la cohérence de leur propre système juridique. En second lieu, les actes adoptés en matière familiale présentent une technique juridique défectueuse. En matière de divorce, la multiplication des fors a entraîné une prolifération regrettable des procédures parallèles. La délimitation très étroite « Le développement de l’action législative européenne dans le droit de la famille ayant une incidence transfrontière ne répond à aucune nécessité réelle. » les plus libérales, contribuant à l’émergence d’un marché du droit et de la justice dans un domaine d’où toute idée de mise en concurrence devrait être bannie (V. É. Loquin, La création d’un marché européen du divorce ? in Droit européen du divorce, dir. S. Corneloup : LexisNexis 2013, CREDIMI p. 741). On constate ainsi l’incapacité du droit européen de la famille à se construire sur des bases qui seraient propres à l’espace de liberté, de sécurité et de justice et adéquates. L’accès à la justice (TFUE, art. 67, § 4) n’offre qu’une perspective tronquée et par là insuffisante pour fonder cet espace car l’élaboration de règles de conflit de lois ne lui doit pas grand-chose. Le pluralisme parfois présenté comme l’objectif de l’espace judiciaire européen en matière familiale, s’accorde en effet avec l’exclusion des notions fondatrices telles que le mariage du champ des règlements. Mais cette valeur est en réalité subvertie par les principes de LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 5 - 3 FÉVRIER 2014 des règlements Bruxelles II bis et Rome III oblige à combiner différents instruments. Les différentes règles de compétence et les règles de conflit de lois qui en résultent conduisent à un morcellement sans précédent du contentieux familial. La complexité de certains textes (V. dans le règlement n° 650/2012 l’abscons article 29 sur l’administration des successions), les incertitudes terminologiques (notion de résidence habituelle, pourtant omniprésente), l’articulation mal définie des instruments entre eux viennent démentir la communication officielle sur le thème « simplifier ou faciliter la vie des citoyens ». En troisième lieu enfin, le développement de l’action législative européenne dans le droit de la famille ayant une incidence transfrontière ne répond à aucune nécessité réelle. L’affirmation rituelle tenant à la volonté des européens d’exercer leur « liberté de circulation » ne correspond guère à la Page 179 120 pourraient être réglées (achever la réalisation de la tâche confiée à l’ARERT, d’interconnecter les registres des testaments ; faire de même pour les contrats de mariage serait éminemment utile). En revanche, légiférer plus avant en matière de droit international privé de la famille est clairement inopportun et comporte un risque « passerelle » qu’elle envisage implique la transmission de la proposition aux Parlements nationaux, et que l’opposition notifiée par un seul d’entre eux dans les six mois empêche l’adoption de la décision (TFUE, art. 81, § 3, in fine). En l’état, toute initiative en ce sens risque de rencontrer une opposition parlementaire, et l’image de l’UE, « Légiférer plus avant en matière de droit international privé de la famille est clairement inopportun et comporte un risque d’échec élevé. » d’échec élevé. La crispation de certains États membres sur une question pourtant assez consensuelle, celle des régimes matrimoniaux, est éloquente. Elle peut s’expliquer comme une réaction à l’adoption du règlement Successions selon la procédure ordinaire alors que la qualification retenue était très contestable, comme l’a montré la réaction de plusieurs parlements nationaux. L’échec de la proposition de règlement de 2006 réformant le règlement Bruxelles II bis, l’adoption du règlement Rome III par la moitié seulement des États membres au moyen d’une coopération renforcée met aussi en évidence cette réticence. Sur le plan prospectif, la Commission européenne doit avoir en mémoire que le recours à la déjà plus ou moins dégradée, en pâtirait sérieusement. En définitive, l’édification d’un espace judiciaire européen en matière familiale à géométrie variable, et manquant intrinsèquement de cohérence et d’objectifs appropriés ne répond à aucune justification claire, si ce n’est de gagner du terrain sur les champs de compétence qui appartiennent encore aux États membres. Les progrès de cet espace européen devraient plutôt porter sur la codification, plus facile à réaliser, du volet économique, i.e. la « matière civile et commerciale » (V. La matière civile et commerciale, socle d’un code européen de DIP, dir. M. Fallon, P. Lagarde, S. Poillot-Peruzzetto : Dalloz, 2009). LexisNexis® Formations Le nouveau rôle du JAF VENDREDI 21 MARS 2014 À PARIS 14h00 – 18h00 Le JAF liquidateur et les nouveautés procédurales VEZ RETROUALITÉ R L’INTÉG ATIONS M R DES FO s. rmation http://fonexis.fr lexis Programme t Maîtriser le nouveau rôle du juge aux affaires familiales dans la liquidation du régime matrimonial t Rédiger des actes efficaces et conformes aux exigences actuelles t Dresser un bilan des autres évolutions du contentieux familial I. Le nouveau rôle du juge aux affaires familiales dans la liquidation du régime matrimonial II. La procédure devant le juge aux affaires familiales III. Remettre en cause un changement de régime matrimonial IV. Le sort des biens financés par un époux séparé de biens Inscriptions & renseignements 4H VALIDÉES G IBL E ELI DIF AU 552 029 431 RCS Paris Intervention de : Vincent EGEA CP-14C048-01/2014 réalité. Les données statistiques le montrent : ainsi les données Eurostat indiquent que 2 à 3 % des européens seraient établis ou travailleraient dans un État autre que le leur. Le défaut d’appropriation citoyenne du marché intérieur lui même a été constaté (V. V. Constantinesco, Réalité sociale : quelle appropriation citoyenne ? in «1992-2012: 20 ans de marché intérieur. Le marché intérieur entre réalité et utopie », Dir. V. Michel Bruylant 2014). La citoyenneté européenne elle même semble n’être « le statut fondamental » des ressortissants des pays de l’UE que dans l’esprit de ceux qui l’affirment. Enfin des expériences étrangères, notamment celle des États Unis révèlent que même un État fédéral n’éprouve pas le besoin de fixer des règles de conflit de lois à l’échelle fédérale. En revanche l’attachement des citoyens européens à leurs valeurs et conceptions de la famille ne doit pas être sous estimé. Ici plus qu’ailleurs, le niveau pertinent d’exercice du pouvoir n’est pas celui, trop éloigné, de l’Europe, mais celui plus proche, de leur pays. En fonction de ces considérations, il est indispensable pour l’UE de marquer le pas en matière familiale et plutôt que d’envisager de nouveaux chantiers, d’essayer d’apporter remède aux défectuosités constatées. Limiter les chefs de compétence en matière de désunion et favoriser la concentration du contentieux serait éminemment souhaitable. Des questions d’ordre pratique t LexisNexis® Formations - 141, rue de Javel - 75747 Paris cedex 15 t Tél. 0821 200 700 t Fax 01 45 58 94 35 t [email protected] (0,112¤ puis 0,09¤/min à partir d’un poste fi xe) Page 180 LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 5 - 3 FÉVRIER 2014