inter- view - Quais du Polar
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inter- view - Quais du Polar
interview sylvie granotier Plusieurs de vos romans, dont celui-ci, se déroulent dans la Creuse. Pourquoi ? J'ai une passion pour cette région, avec laquelle je n'ai pourtant aucun lien. Citadine, sans racine, puis que née en Algérie, ayant séjourné dans de nom breux pays, de souches à la fois pyrénéenne et sa voyarde, je m’y suis un jour rendue, il y a vingt ans. Et, pour une fois, je m'y suis sentie chez moi. Làbas, je suis entièrement maîtresse de mon temps. p r opo s r e c u e illis pa r f r a n ç o i s p err in p h o t o s : cla u d i a imbe rt po u r t g v m a g az ine On caricature volontiers cette région comme un pays endormi... C'est ce que l’on croit, parce qu'elle est calme. Mais la campagne, c'est avant tout les secrets : il s'y passe, en réalité, des tas de choses. J'entends de ces histoires, y compris certaines qui n'arriveront jamais aux oreilles des gendarmes, ni du tribunal ! La campagne, un décor original pour le polar, non ? C'est un choix. D'ordinaire, ce genre se conçoit comme totalement urbain, alors que la campagne lui est tout aussi propice. Quand j'ai commencé à pu blier, en 1992, je commençais tout juste à en prendre conscience. Mais c'est véritablement dans La rigole du diable (Albin Michel, 2011) que j'ai commencé à utiliser la région de la Creuse, afin de mettre en paral lèle le monde judiciaire parisien, énorme, et celui de Guéret, minuscule – j'y déjeunais avec la présidente du tribunal ! Vos deux derniers romans, à la différence des précédents, mettent en scène un personnage récurrent. Pourquoi ? L'héroïne de La rigole du diable devait être un one shot. Mais la première personne qui m'a appelée avant sa sortie était un écrivain que je ne connaissais pas, mais qui tient une chronique littéraire et l'avait lu sur épreuves. Il m'en a fait une analyse d'écrivain, ce qui est rare, puis m'a dit que je tenais un vrai per sonnage, disposant d'un réel potentiel. Je m'en rends compte, depuis, les gens s'y sont attachés. Polar for ever Jusqu'à vous faire des reproches parce que toutes les intrigues ne sont pas résolues à la fin du livre, non ? Pour moi, éviter de tout avoir bouclé à la fin d'un roman, c'est presque un devoir. Même quand il ne doit pas y avoir de suite, j'aime que toutes les portes n'aient pas été fermées. Dans ce cas précis, ces pis tes irrésolues vont me servir à poursuivre l'histoire. > Rencontrée au festival Quais du polar, l'auteur, actrice et traductrice Sylvie Granotier raconte sa carrière littéraire, entamée en 1992 et illustrée cette année par La place des morts (Albin Michel), polar mettant à nouveau en scène l'avocate Catherine Monsigny. TGV magazine 102 TGV magazine 103 interview sylvie granotier j'étais aux États-Unis. Avant cela, je connaissais très peu ce genre littéraire. Aujourd'hui, pour me mettre en forme, je traduis, en suant sang et eau, un pas sage de Chandler, ou de l'incroyable JR, de William Gaddis (Plon, 2011). > Votre prochain roman reprendra-t-il le personnage de Catherine ? C'est une vraie question. J'ai hésité, alors même qu'une autre histoire me travaille. Mais je vais pour suivre l'expérience, très étrange pour moi, de conser ver un personnage d'un roman à l'autre. Une récur rence que j'apprécie en tant que lectrice – j'étais très attachée au George Smiley de John Le Carré –, mais dont je me suis toujours dit qu'elle n'était pas pour moi en tant qu'auteur. Or désormais, avec Catherine, c'est à mon tour de devoir suivre un cahier des char ges que je me suis construit moi-même. Vous avez pourtant écrit un épisode du Poulpe, héros récurrent (Comme un coq en plâtre, Baleine, 1998). C'était très particulier. Nous n'avions le droit de n'en écrire qu'un, il y avait une « Bible », c'était la col lection des potes... Trois ans de fiesta permanente. D'ordinaire, je préférais bâtir ma structure à l'échelle d'un seul roman. Les rapports familiaux, dans vos textes, s'avèrent souvent catastrophiques. Pourquoi ? Il en est ainsi dans toutes les familles ! Dans mon premier roman, j'avais pensé raconter l'histoire d'une femme qui découvrait, au décès de son amant, que celui-ci lui avait menti sur tout. En réalité, j'y ai ra conté trois générations de femmes. J'ai failli mettre en exergue du livre une phrase d'Euripide, qui aurait pu passer pour prétentieuse : « Ils remontent loin, les maux que je vois (…) toujours après les morts s'abattre sur les vivants, sans qu'aucune génération libère la suivante. » Cette idée des Atrides m'inté resse. J'ai d'ailleurs écrit un roman, non publié (la maison d'édition a fait faillite), qui suivait ainsi la tra jectoire d'un homme écrasé par le poids des actes de son père pendant la guerre d'Algérie. Euripide, trop prétentieux pour le polar, ditesvous ? C'était mon premier roman, je démarrais et crai gnais que l'on interprète cela comme une sorte de : vous savez, c'est du costaud, vous allez voir ce que vous allez voir ! Pour autant, à la réflexion, je pense que cet exergue pourrait fonctionner pour l'ensemble de mes livres. Pourquoi avoir écrit, dans votre présentation pour Quais du polar, que vous étiez « née à 40 ans » ? La majorité des gens se fixent un « moment par fait ». Pour moi, c'était à 40 ans, après tellement d'errances – curieuse de tout, attachée nulle part –, que je suis parvenue à comprendre réellement ce que j'étais, où était ma place. Tout d'un coup, les choses ont pris un sens. Désormais, je sens que j'ai 40 ans pour toujours. Si les relations familiales, de couple sont souvent compliquées dans vos romans, celles entre les fem mes ne le sont pas moins, si ? Comme toutes les relations intéressantes, celles, précieuses, que j'entretiens avec mes amies sont forcément complexes. Or, si l'amitié masculine a déjà été célébrée, mise en poèmes, les femmes étaient souvent décrites comme rivales, centrées sur les hommes. Alors, à ma façon, j'essaie aussi de célébrer l'amitié féminine : avec ses règles particu lières, souvent teintées de passion. Vous avez également indiqué « Chandler forever » dans la même présentation. Pourquoi lui ? Pour deux raisons : la correspondance de Raymond Chandler – ce grand lettré a parlé du polar comme personne – et ma découverte de ce genre littéraire par la lecture de ses romans, en anglais, alors que La place des morts, de Sylvie Granotier (Albin Michel, 336 pages). TGV magazine Sylvie Granotier a participé, en 2012, à la collection Les petits polars du Monde, en partenariat avec SNCF. 104 “Pour moi, éviter de tout avoir bouclé à la fin d'un roman, c'est presque un devoir. J'aime que toutes les portes n'aient pas été fermées. ” TGV magazine 105