La question du judaïsme chez Steve Reich

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La question du judaïsme chez Steve Reich
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Numéros de la revue / L'individuel et le collectif dans
l'art
« La question du judaïsme chez Steve Reich :
Dépersonnalisation, personnalisation,
universalité »
Jérôme Bodon-Clair
Résumé
De Tehillim (1981) à The Cave (1993), la démarche artistique de Steve Reich (né en 1936) semble se
développer parallèlement à une quête identitaire profonde. En effet, alors peu concerné par la religion, le
New-Yorkais décide en 1974 de s'intéresser à ses racines juives et pendant une période de 20 ans, cette
interrogation, de et sur, sa judéité ne cessera de contaminer ses compositions. Ainsi, après une nécessaire
période d'apprentissage, Reich écrit en 1981, sa première oeuvre d'inspiration religieuse, Tehillim, en
s'inspirant des psaumes. Ce premier essai s'avère déterminant et s'il n'interroge finalement « que » le rôle
du compositeur par rapport à une tradition, ouvre à Reich, qui pour la première fois fait entrer le texte
dans son art, une foule de possibles compositionnels. Different trains (1988) questionne Reich sur sa
condition de juif et met en parallèle son histoire personnelle avec l'Histoire majuscule (l'holocauste) d'un
peuple opprimé. Avec la découverte primordiale de la speech melody (basée sur des interviews), le
compositeur glisse du personnel au collectif, du je au nous (entendre « nous peuple juif »). Enfin, avec
The Cave (1990-1993), Reich va finir par considérablement étirer la problématique religieuse pour la
délayer dans des considérations plus universelles. Avec cet opéra/documentaire pour le moins novateur, le
New-Yorkais s'ouvre définitivement à l'humain, couronnant une trajectoire tout en variations de plans, du
je au nous puis au on, du personnel à l'universel.
Abstract
From Tehillim (1981) to The Cave (1993), Steve Reich's artistic approach seems to have developed in
parallel with a deep quest for identity. Having previously shown little interest in religion, in 1974 the
New York born composer began to explore his Jewish roots and for over twenty years, this investigation
of his Jewishness continued to infiltrate his compositions. Following a necessary learning period, in 1981
Reich wrote his first religious work, Tehillim, inspired by the psalms. This first attempt was fundamental,
and even if it "merely" examined the composer's role regarding tradition, it provided Reich, who for the
first time let text enter his art, with a spectrum of compositional possibilities. Different Trains (1988)
questions Reich's Jewish status and draws a parallel between his personal history and the general History
(the holocaust) of an oppressed people. With the crucial discovery of speech melody (based on
interviews), the composer drifted from personal to collective, from the I to the we (as in "We, the Jewish
people"). Finally, with The Cave (1990-1993), Reich broadened the religious issue by interweaving it
with more universal considerations. With this highly innovative opera/documentary, Reich emphatically
opened himself up to the human, thereby crowning a multi-faceted trajectory, from the I to the we to the
it, from the personal to the universal.
Si le nom de Steve Reich reste, pour la majorité des musiciens et amateurs de musique, attaché au
minimalisme en tant que répétition pure, cette acceptation de la musique comme processus (processus
graduel même (1)), ne caractérise finalement que très partiellement les productions du New-Yorkais, pour
qui ces expériences du milieu des années 60, ne semblent revêtir qu'une forme au plus matricielle, au
moins génératrice, germinative, véritables balbutiements d'une carrière de plus de 40 ans. En effet, si
Reich, en participant à la création du In C de Terry Riley en 1964, oeuvre à la naissance du courant
minimaliste, et s'il, par la découverte, l'exploration et la théorisation des processus de déphasage, persiste
dans la construction d'une identité toute new-yorkaise (2), le compositeur semble pourtant dévier de sa
ligne initiale dès 1971 avec Drumming jusqu'à presque totalement s'en écarter en 1976 avec son oeuvre
majeure Music for 18 musicians. Dès lors, à partir de cette date charnière (avec laquelle on bascule dans
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une ère post-minimaliste (3)), Reich va se tourner vers une nouvelle manière d'appréhender ses oeuvres,
moins centrée sur la musique « pure », leur insufflant une sève extra-musicale, s'ouvrant, à mesure que les
mots font leur apparition dans ses compositions, à une spiritualité certaine, un luxe ésotérique. Ainsi,
après des années de relatif oubli de ses origines, et alors qu'il a presque 40 ans, Steve Reich décide dès
1974, et plus intensément dès 1976, de se replonger dans sa judéité, d'appréhender de nouveau ses
racines. La révélation hébraïque semble totalement l'absorber et ses compositions ne tardent pas à être
contaminées par ce souffle. Dès lors les deux décennies qui suivent la création de Music for 18 musicians
voient éclore tout un lot d'oeuvres ayant plus ou moins trait à la religion juive. Tehillim (1981), Different
trains (1988) ou encore The Cave (1990-1993), trois oeuvres des plus importantes pour le compositeur,
qui toutes trois et de manières fort différentes, interrogent la place de Reich en tant que compositeur par
rapport à une tradition, en tant que juif par rapport à une lourde histoire ou considérant l'humain au milieu
de cultures et de traditions d'une origine identique mais aux croyances pourtant très différentes. Ainsi
l'enjeu sera ici de cerner les divers plans sur lesquels Steve Reich appuie ses réflexions sur ses conditions
d'artiste, de juif, d'humain. Autour des trois oeuvres jalons que sont Tehillim, Different trains et The Cave,
nous verrons comment Reich, entité je, parvient tantôt à s'inscrire dans une tradition collective, faisant
corps, à sa manière, avec un on ancestral et inamovible (la religion juive, les textes sacrés...), tantôt, une
fois les préceptes hébraïques assimilés, à interroger un je par rapport à l'histoire d'un nous. Enfin nous
verrons comment, par le biais d'un point de vue élargi, le compositeur ouvre ses recherches, ses
questionnements à un on englobant (désignant cette fois-ci l'humanité), embrassant une foule d'entités, de
je, d'humains.
Situation initiale : process music et
dépersonnalisation
« J'ai découvert le processus de phasage par accident. Je disposais de deux bandes d'un prédicateur
pentecôtiste, le frère Walter, que j'avais enregistrées sur Union Square à San Francisco. Il disait « Il va
pleuvoir ». Je jouais avec deux magnétophones bon marché ; une fiche mono de mes écouteurs
stéréophoniques était branchée dans le magnétophone A, l'autre dans le magnétophone B. J'avais eu
l'intention d'établir un rapport spécifique entre : « Il va » sur une bande et : « pleuvoir » sur l'autre. Mais
au lieu de ça, les deux magnétophones démarrèrent à l'unisson et l'un commença graduellement à
avancer plus vite que l'autre. L'effet que je ressentis fut que le son passait dans mon oreille gauche,
descendait vers mon épaule gauche, puis mon bras et ma jambe gauches, sur le plancher à gauche, pour
finalement commencer à se répercuter et à vibrer et devenir le rapport que je recherchais : « Il va/il va,
pleuvoir/pleuvoir », puis passer de l'autre côté pour se rejoindre au centre de ma tête. Quand j'ai entendu
ça, j'ai compris que c'était plus intéressant que toute autre relation particulière, car il s'agissait d'un
processus de passage à travers tous les rapports de canon en faisant un morceau entier et non plus un
seul instant » (4).
C'est donc par accident que Steve Reich va découvrir un processus qui va contaminer son oeuvre pendant
près de dix ans, qu'il expérimentera dans un premier temps, théorisera par la suite, pour totalement le
maîtriser avant de l'abandonner au début des années 1970. Les procédés de dépahasage et de rephasage,
qu'on pourrait décrire comme des désynchronisations progressives de motifs confrontés et qui finissent
par retourner à leur position initiale, vont véritablement accaparer toute la démarche artistique du premier
Reich, le Reich « minimaliste ». Avec les premières expériences autour du déphasage que sont les
oeuvres pour bandes It's gonna rain (1965) et Come out (1966), puis leurs applications instrumentales
variées (avec par exemple Piano Phase (1967) ou Violin Phase (1967)), le New-Yorkais va ancrer le
début de sa carrière dans une ère du processus, une hégémonie assumée de la process music. Après
quelques années d'expérimentations (dans un esprit pionnier tout à fait américain), Reich va fixer les
principes fondamentaux de sa doctrine minimaliste dans son célèbre article de 1968 : « Music as a gradual
process ». Outre l'exposition de ses conceptions compositionnelles propres, des traits particuliers de
pièces où oeuvre et processus se confondent, et une réflexion fondamentale sur le changement de
perception de cette musique comme procédé graduel, Reich ouvre en fin d'article son propos à une
dimension plus philosophique :
« En exécutant et en écoutant des processus musicaux graduels, on participe à une sorte de rituel
particulier, libérateur et impersonnel. Se concentrer sur un processus musical permet de détourner son
attention du lui, du elle, du toi et du moi, pour la projeter en dehors, à l'intérieur du ça » (5).
Cette idée d'un acte créatif dépersonnalisé, d'une oeuvre processus vidée en quelque sorte de tout
interventionnisme compositionnel, s'inscrit tout à fait dans l'esprit des arts minimalistes et conceptuels qui
rejoint une école musicale (autour de Reich, de Glass ...) et une école de sculpture et autres arts plastiques
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(Frank Stella, Sol Lewitt, Carl André ...). En effet, le Reich de Pendulum Music (1968) fait largement
écho aux propos de Sol Lewitt énoncés dans l'important « Paragraphs on conceptual art » :
« Dans l'art conceptuel l'idée ou le concept est l'aspect le plus important du travail. Quand un artiste
s'inscrit dans une forme artistique conceptuelle, cela signifie que tous les plans et décisions sont pris en
amont et que l'interprétation est une affaire superficielle. L'idée devient une machine qui fait l'art » (6).
Le parti pris de neutralité et le degré de dépersonnalisation que cela sous-tend, cette idée d'une idée
génératrice associée à la revendication toute minimaliste du « less is more » de Mies Van der Rohe,
placent les premières oeuvres de Steve Reich dans une optique de détournement de son statut, de dilution
de l'autorité du compositeur dans le processus graduel. En citant Frank Stella, « what you see is what you
see » et, alors que le travail du compositeur se limite à la révélation d'une idée (le scénario va parfois
remplacer la partition), celui de l'interprète se trouve réduit au rôle de déclencheur, devenant même
parfois (c'est le cas dans Pendulum music) spectateur du processus qu'il a amorcé.
Si l'exemple de Pendulum music reste plutôt marginal dans le catalogue de Steve Reich (aucune autre
oeuvre n'atteint un degré de « pureté », de fidélité aux concepts énoncés dans « Music as a gradual
process »), on assiste dans les premières années compositionnelles du New-Yorkais à un délayage de son
je dans le ça qu'est le processus graduel. La souveraineté du compositeur est mise à mal et cet effet de
dépersonnalisation touche aussi interprètes et auditeurs qui sont invités à se détourner de leurs habitudes
d'exécution ou d'écoute pour se « projeter à l'intérieur du ça ». Cependant, dès le début des années 1970,
Reich va progressivement abandonner cet art du processus au profit d'une conception plus « classique »
du rôle du compositeur, une véritable subjectivité, un interventionnisme assumé, de facto très éloigné des
propos de « Music as a gradual process ».
Steve Reich à la redécouverte de ses racines :
Tehillim (1981)
S'il ne laisse rien transpirer quant à ses origines avant 1974, Steve Reich est pourtant issu d'une famille
d'émigrés juifs européens. Les racines familiales trouvent, du côté maternel, source en Allemagne
(Coblence) et en Autriche (Vienne), alors que du côté du père, on lorgne plus à l'est, vers les villes de
Cracovie et de Budapest. Implantée depuis plus de trois générations sur le sol américain, la famille Reich
ne verse pas vraiment dans la culture de ses différences ethnico-culturelles et les maîtres-mots restent
assimilation, intégration (7). Dès lors, on comprend mieux l'attitude du jeune Steve qui peu de temps après
sa Bar mitzvah, s'éloigne de la question religieuse et s'installe durablement dans des préoccupations plus
laïques. Ainsi, lorsqu'en 1974 Steve Reich retourne aux rouleaux de la Torah, c'est à un véritable
réapprentissage, une imbibition totale qu'il doit procéder afin de retrouver ses racines, « redevenir » juif.
« J'ai été élevé avec seulement une exposition superficielle au judaïsme. Je n'avais appris ni l'hébreu, ni
la Torah, ni aucun chant traditionnel. Après une Bar Mitzvah « en playback », durant laquelle je
montrais des mots hébreux que je ne pouvais lire mais dire de mémoire à partir d'une transcription dans
l'alphabet anglais, je perdis l'intérêt pour le judaïsme, à l'exception de lectures de Martin Buber pendant
mon adolescence » (8).
Dès lors, le travail immersif impose sa conséquence et Reich s'inscrit dès 1975 aux cours de la Lincoln
Square Synagogue de New York. Retrouvant les bases de sa judéité, le compositeur va précisant son
enseignement et étudie durant les années 1976-1977 les usages de la cantillation biblique avec les cantors
Edward Berman et Johanna Spector du Jewish Theological Seminary, ainsi qu'avec Israël Adler et
Avidgor Herzog de l'Hebrew University of Jerusalem. Du côté purement musicologique, un livre apparaît
des plus importants pour Reich : Jewish music de Abraham Idelsohn (9) (il y trouvera des précisions sur
les paramètres musicaux des cantillations qui compteront beaucoup dans la composition de Tehillim).
Enfin, cette redécouverte hébraïque atteint son climax à l'été 1977 lorsque Reich et Beryl Korot (sa
femme) effectuent leur premier voyage en Israël et visitent le National Archive of Recorded Sound à
Jerusalem. En terre sainte, Reich opère ses premiers balbutiements musicaux d'inspiration juive par le
biais d'un enregistrement des cinq premiers versets du Bereshit (la Genèse), chantés par des vieillards
d'Irak, du Yemen, du Kurdistan ou d'Inde.
Dès lors, on peut s'interroger sur le pourquoi d'un tel revirement ésotérique chez le New-Yorkais.
Comment expliquer cet engouement tant soudain que durable et passionné ? Une partie de la réponse
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semble découler du goût très prononcé de Reich pour l'étude des cultures du monde qui l'entoure. Ainsi, à
bien regarder la genèse des oeuvres charnières de Reich, on constate qu'il aime, dans une première étape
pré-compositionnelle, à étudier les musiques d'autres contrées. La composition de Drumming (1971) est
ainsi précédée dès 1963, de correspondances et de lectures assidues du livre de A. M. Jones, Studies in
African Music, de séminaires suivis de Gunther Schuller ou encore d'un voyage d'étude durant l'été 1970
au Ghana (pour apprendre la pratique des percussions avec les maîtres tambourineurs de la tribu Ewe,
dont Gideon Alorworye). Reich reproduit le même schéma pré-compositionnel durant la période de
gestation de Music for 18 musicians (1976), lorsqu'à l'été 1973, il effectue des stages à la Société
Américaine pour les Arts Orientaux de Bob Brown à Seattle puis Berkeley et apprend par la même le
gamelan balinais Semar Pegulingan (10). C'est donc assez logiquement que ce travail presque
ethnomusicologique comme préalable à la composition, va encore une fois s'imposer pour Reich durant la
seconde moitié des années 70 pour finalement aboutir en 1981 à sa première oeuvre d'inspiration
religieuse : Tehillim. À défaut d'étudier des racines extra-occidentales, Reich va cette fois-ci regarder vers
ses propres origines.
À bien des égards, Tehillim pourrait passer pour l'oeuvre la plus « conventionnelle » de Steve Reich.
L'apparition d'un texte chanté, de lignes mélodiques claires, d'harmonies fonctionnelles, ou encore d'un
contrepoint presque « baroque », contrastent beaucoup avec les oeuvres du premier minimalisme, process
music assumée. Si, on l'a vu, avec Music for 18 musicians, Reich édulcore quelque peu la radicalité de ses
oeuvres antérieures, la pièce fonctionne tout de même sur des principes motiviques, sur un jeu de
tonalité/modalité, et s'inscrit donc dans un esprit de recherche de nouveauté (11). Mais pour Reich, qui n'a
eu de cesse d'user des motifs pendant plus de dix ans, le travail sur la mélodie est en soi une nouveauté et
s'il s'inscrit par la même dans toute une tradition musicale occidentale, le choix des mélodies est lui issu
de la tradition juive. Ayant constaté, durant l'enregistrement des cinq premiers versets du Bereshit en
Israël, que, malgré quelques particularités locales, les structures des chants était toujours presque
identiques, Reich finit par se pencher un peu plus sur les cantillations bibliques et par considérer les
phrases mélodiques qui les composent comme des agglomérats de longs motifs partageant le même profil
mélodico-rythmique, mis bout à bout (12).
« Contrastant avec la plupart de mes oeuvres antérieures, Tehillim n'est pas composée de courts motifs
qui se répètent ; bien qu'une mélodie entière doit se répéter presque comme le sujet d'un canon ou d'une
variation, tout cela est très proche de ce que l'on peut trouver à travers l'histoire de la musique
occidentale. [...] C'est la première fois que j'ai mis un texte en musique depuis mes années
d'apprentissage, et le résultat est une pièce fondée sur la mélodie dans le sens basique de ce mot.
L'utilisation de mélodies étendues, d'un contrepoint en imitation, d'une harmonie fonctionnelle, et d'une
orchestration complète, doit bien suggérer mon intérêt rénové pour la musique classique ? ou plus
précisément baroque et plus ancienne, dans la pratique musicale occidentale » (13).
Si le profil mélodique de Tehillim paraît nouveau chez Reich, ces compilations de motifs ne sont
réellement présentes que pour servir le véritable changement en profondeur dans le langage reichien :
l'apparition du texte. En effet, dans toutes ses oeuvres précédentes, s'il a utilisé la voix (par exemple dans
Drumming ou Music for 18 musicians), cette dernière n'émettait que des onomatopées, imitant
l'instrumentarium en place, complétant l'assise des percussions. Dès lors, avec Tehillim, Steve Reich entre
dans une ère du mot, et cette tendance se confirmera avec les oeuvres suivantes (on peut citer The Desert
music en 1984, Proverb en 1995 jusqu'aux Daniel variations en 2006). À l'origine, Reich voulait
transcrire le Livre de Jonas à l'identique, comme il est chanté dans les synagogues occidentales pour Yom
Kippour, mais pour voix de femmes, mais fort fut pour lui de constater que les synagogues, le culte,
n'avaient pas réellement besoin de nouvelles compositions pour leurs rituels (contrastant avec la tradition
chrétienne qui au cours des siècles a ouvert la porte à de nouvelles compositions pour le culte, la tradition
juive quant au chant biblique doit rester intacte, similaire à celle des origines). Dès lors, son choix se
porte sur les psaumes (en hébreu Tehillim), textes des plus musicaux du judaïsme et réputés écrits par le
roi David lui-même (notamment connu pour avoir été un très bon musicien).
Le choix des psaumes s'avère des plus judicieux du fait de la musicalité intrinsèque du texte, mais aussi
du fait d'une tradition de chant perdue, en somme d'un terrain vierge pour le compositeur :
« Une des raisons pour laquelle j'ai choisi les psaumes plutôt qu'une partie de la Torah ou du Livre des
Prophètes, c'est que la tradition orale entre les juifs occidentaux a été perdue pour les psaumes. (Elle a
été maintenue par les Juifs Yéménites). Ce qui veut dire qu'au contraire de la cantillation de la Torah ou
du Livre des Prophètes, qui est une tradition vivante de 2500 ans au travers des synagogues dans le
monde, la tradition orale pour chanter les psaumes dans les synagogues occidentales a été perdue. Ce
qui voulait dire que j'étais libre de composer des mélodies pour Tehillim sans une tradition orale vivante
à imiter ou ignorer » (14).
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Steve Reich choisit les psaumes 19 : 2-5, 34 : 13-15, 18 : 26-27 et 150 : 4-6 et leur alternance construit la
grande forme de la pièce (en quatre parties donc). Ces textes, s'ils sont de tradition judéo-chrétienne,
arborent avant tout une vocation assez universelle, au-delà de la dimension purement religieuse. Ainsi, le
psaume 34 : 13-15 (partie 2 chez Reich) exhorte chacun à se préserver du mal pour poursuivre la paix :
« Quel est l'homme qui aime la vie, Qui désire la prolonger pour jouir du bonheur ? Préserve ta langue
du mal, Et tes lèvres des paroles trompeuses ; éloigne-toi du mal, et fais le bien ; recherche et poursuis la
paix ».
Alors que le psaume 18 : 26-27 (partie 3 chez Reich), ouvrent à la réciprocité des sentiments entre les
hommes :
« Avec celui qui est bon tu te montres bon, Avec l'homme droit tu agis selon la droiture, Avec celui qui est
pur tu te montres pur, Et avec le pervers tu agis selon sa perversité ».
Une autre tendance dans le choix des psaumes semble être la propension de chacun à évoquer le monde
du sonore, de la musique. Ainsi, si le psaume 19 : 2-5 (partie 1 chez Reich) évoque d'abord Dieu, il se
tourne rapidement vers des préoccupations sinon plus musicales, en tous les cas portées sur la parole en
tant que son retentissant :
« Les cieux racontent la gloire de Dieu, Et l'étendue manifeste l'oeuvre de ses mains. Le jour en instruit
un autre, La nuit donne connaissance à une autre nuit. Ce n'est pas un langage, ce ne sont pas des
paroles Dont le son ne soit point entendu. Leur retentissement parcourt toute la terre, Leurs accents vont
aux extrémités du monde ».
Enfin, pour être complet, le psaume 150 : 4-6 (partie 4 chez Reich) s'il répond à la tradition de
l'Hallelujah, fait littéralement éclater la joie en musique :
« Louez-le avec le tambourin et avec des danses ! Louez-le avec les instruments à cordes et le
chalumeau ! Louez-le avec les cymbales sonores ! Louez-le avec les cymbales retentissantes ! Que tout ce
qui respire loue l'Éternel ! Louez l'Éternel » !
Musicalement, Reich cherche avant tout à coller au maximum au texte et axe ce travail de corrélation
texte/musique principalement sur la structure. Sans entrer dans les détails d'une analyse fastidieuse (ce
n'est pas le sujet de cet article), Steve Reich détermine, par la découpe même du texte en hébreu, une
structure rythmique par mètres changeants, qui constitue là encore une grande nouveauté dans l'oeuvre du
New-Yorkais.
Exemple 1: structuration par mètres changeants, Tehillim (partie IV) © 1981, 1998 Hendon Music, Inc,
Reproduced by the permission of Boosey & Hawkes Music Publishers Ltd.
Réalisé, de son propre aveu, principalement « à l'oreille », cette structuration par mètres changeants
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(suivant le texte) n'altère cependant aucunement la continuité du déroulement de la pièce, ce flot
mélodique contrapuntique qu'est Tehillim. Comme lorsqu'il avait travaillé sur la musique africaine ou
balinaise, Reich retient donc des éléments de structure plutôt que de son. Parlant de sa composition Octet
(1979) qui suit aussi les mêmes principes il dit :
« Il reste à voir comment les cantillations des manuscrits hébreux peuvent agir comme influence sur un
compositeur. Dans mon cas, les cantillations ont influencé ma composition Octet (appelée plus tard Eight
lines) et peut-être d'autres travaux à travers sa structure et pas son son. Juste comme j'avais trouvé cela
inapproprié d'imiter le son de la musique africaine ou balinaise, j'ai trouvé cela inapproprié d'imiter le
son des cantillations hébraïques. Il est vrai que je suis juif, mais je n'ai pas grandi avec le son des
cantillations, et je les ai vraiment découvertes à la fin de ma trentaine » (15).
Nouvellement tourné vers ses propres racines, Steve Reich ne semble pourtant pas, lorsqu'il veut
appliquer les préceptes acquis au cours de son étude des cantillations hébraïques, vouloir changer
d'attitude quant à l'inspiration qu'elles peuvent lui fournir. Ainsi, enrichi d'un background qui lui
manquait, le compositeur sait rester un je pensant et respectueux, ne cherchant pas à tordre toute une
tradition pour la faire entrer dans un moule compositionnel. Comme avec la musique africaine ou
balinaise, s'il y a inspiration, elle est de l'ordre fonctionnelle, schématique, structurelle et ne touche pas
aux paramètres presque « intimes » d'une musique, des éléments comme l'instrumentarium, le timbre ou
les techniques de jeu (16). Par ailleurs, ne peut-on pas voir dans cette volonté de ne garder d'une tradition
(qu'elle soit juive, africaine ou balinaise) que des éléments de structure, d'agencement, une certaine
dépersonnalisation des sources du compositeur (par épuration des éléments les plus distinctifs et
personnels de celles-ci). Comme dans ses premières oeuvres à processus, on pourrait soupçonner une
subsistance du sentiment d'attirance pour un ça synonyme de dépersonnalisation compositionnelle, alors
que, par contraste, le Reich « personne », « être » s'engage dans une affirmation identitaire par une
réappropriation progressive de son héritage juif.
La speech melody : je, nous, on, un art du
documentaire
Different trains (1988)
Après avoir pérennisé son approche du texte appliqué à la voix chantée (notamment avec sa pièce The
Desert music en 1984 où il soumet à un choeur un poème de William Carlos Williams), Steve Reich
retourne en 1988 à ses premières expériences pour bandes des années 1964-65, celles d'un minimalisme
encore balbutiant, de It's gonna rain ou Come out. En effet, autour d'une pièce qui va devenir Different
trains, Reich reprend micro et enregistreur afin d'aller interviewer les protagonistes de deux histoires
parallèles : celle d'un jeune juif américain, Steve Reich, qui traverse le pays en train, de New York à Los
Angeles et inversement (en passant par Chicago) pour rejoindre sa mère ou son père, divorcés, mais aussi
celle d'autres juifs, européens qui durant les mêmes années s'empilent dans des wagons insalubres, et
embarquent dans des trains en partance sans retour, les protagonistes de ce qu'on appellera bientôt
l'holocauste. Different trains prend donc ses racines entre 1939 et 1942 et met en parallèle les voyages du
jeune Steve Reich, alors âgé de 3 à 6 ans, et ceux des passagers des trains de la mort, les juifs d'une
Europe sous le joug nazi (17).
Reich décide de construire sa pièce en trois parties, la première se situant aux États-Unis avant la guerre,
la deuxième en Europe pendant la guerre, et la troisième, intitulée « après la guerre ». Toute la musique
contenue dans ces trois parties est générée par un principe de speech melody, nouveau concept pour le
compositeur, à base d'enregistrements de voix. Reich enregistre donc, pour agrémenter sa première partie,
Virginia Mitchell, sa gouvernante de l'époque, ainsi que Lawrence Davis, le conducteur du train de la
ligne qu'il empruntait régulièrement. Pour sa deuxième section, il recueille les témoignages de trois
survivants de l'holocauste : Rachella, née à Rotterdam (et vivant désormais à Seattle), Paul, né à Budapest
(et vivant maintenant à Boston), et Rachel, née à Bruxelles (et vivant en Floride). La troisième partie
propose un mixage entre les voix des première et deuxième sections. Pour compléter le tableau, Reich
récolte aussi des bruits de trains américains et européens des années 30-40 (qui se différencient
notamment au son de leurs sifflets respectifs).
Si l'on peut trouver de lointaines racines de la speech melody chez Janacek, Debussy ou chez Bartók (18),
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l'insertion de cette « mélodie du parlé » chez Reich, ne sert pas les mêmes visées dramatiques que chez
ses consoeurs d'une autre époque, d'un autre continent. En effet, si le compositeur construit sa musique à
partir de témoignages enregistrés, l'exercice ne s'arrête pas à la simple transcription d'intervalles, de
rythmes d'une voix, mais cette dernière reste présente, réduite à de courts motifs qui surgissent dans le
flot continu des quatuors à cordes (trois enregistrés et un joué en direct), littéralement « sur des rails » (19).
Exemple 2 :Principe de speech melody dans Different trains (1ère partie).
De plus, outre ce jeu d'apparition des motifs de voix enregistrées, la speech melody génère toute la
musique de Different trains, du motif doublé à un instrument particulier, à l'ensemble des quatuors. Ainsi,
dans l'exemple 3, l'enregistrement de la voix de Rachella « and when she stopped singing they said,
« more, more » and they applauded » (20), est doublé par l'alto (21), mais agit comme matrice et engendre
aussi tous les entremêlements canoniques des quatuors à cordes :
Exemple 3: speech melody génératrice dans Different trains (partie 3) © 1988, 1998 Hendon Music, Inc,
Reproduced by the permission of Boosey & Hawkes Music Publishers Ltd.
Dès lors, on peut voir dans Different trains un « triple-retour » à ses racines de la part de Steve Reich ; en
tant que juif, en continuant l'introspection de sa judéité (à travers l'étude de témoignages d'une sombre
partie de l'histoire des juifs), en la mettant en parallèle avec des éléments des plus personnels (comment
un très jeune garçon vit le divorce de ses parents), et en tant que compositeur, en retournant aux
enregistrements comme base même du travail de création (comme dans ses premières oeuvres : It's gonna
rain ou Come out).
Alors que Tehillim posait la question du rôle du compositeur par rapport au poids d'une tradition installée,
avec Different trains, Reich ouvre son oeuvre à une nouvelle dimension. En effet, la phase d'assimilation
des préceptes hébraïques étant désormais terminée, le New-Yorkais ne se place plus seulement en tant
que compositeur dans un contexte musical, mais avant tout en tant que juif par rapport à une histoire. La
mise en parallèle de son histoire personnelle et de l'Histoire majuscule qu'est la seconde guerre mondiale
(avec en toile de fond le destin tragique de toute une confession juive à laquelle il est désormais affilié),
est parfaitement révélatrice de ce changement d'échelle. Le texte même, la quintessence, musicale certes,
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mais aussi sémantique et sémiologique, des extraits de ses enregistrements, n'est en fait qu'entrelacs,
autant de superpositions de plans, du personnel aux personnels, les témoignages cumulés, formant un
agglomérat de je, révélateur d'un nous (dans le sens où Reich fait parti intégrante de ce corps), d'une
certaine unité, un consensus communautaire, des ressentiments de toute une religion opprimée.
Typiquement, alors que la première partie décline, à la fois l'expérience personnelle de Steve Reich
(toutefois par l'intermédiaire des mots de Virginia Mitchell), et un certain reflet des États Unis
d'avant-guerre (la métaphore du train, de la vitesse, avec le témoignage de Lawrence Davis), la deuxième
propose, par le biais de trois témoignages, une véritable page d'histoire de l'Europe pendant les années de
guerre.
Il est assez frappant de voir à quel point Reich, dans ces deux premières parties, met en branle toute une
dynamique, véritablement mécanique et toute chronologique. Dans la première section, on suit
littéralement le voyage du jeune Reich, étape par étape (« from New York to Los Angeles »...), ainsi que
la succession des années qui défilent (« 1939 », « 1940 »...). Dans la deuxième partie, l'effet est accentué
et l'on voit progressivement la machine d'invasion allemande avancer (« the Germans walked in »,
« walked into Holland »...), les juifs embarquer dans les wagons (« lots of cattle wagons there », « they
were loaded with people »), et l'arrivée aux camps et ses macabres fumées (« flames going up to the sky ?
it was smoking »).
Tableau : textes des parties 1 et 2 de Different trains.
Enfin, la troisième partie éclate complètement la compartimentation de ses prédécesseurs, et propose un
véritable mélange des répliques des première et deuxième parties. Reich parle ici de l'après guerre et
raconte l'exil des survivants de l'holocauste. Ces derniers, désormais aux États-Unis (« going to
America »), empruntent eux aussi des trains entre New York, Chicago, Los Angeles. Après une période
de doute quant à la fin de la guerre (« Are you sure ? »), Reich décide encore une fois de brouiller les
pistes en mélangeant les plans. En effet, lorsque Lawrence Davis, le conducteur de machines, déclame
« but today, they're all gone », il répond à la réplique de Virginia Mitchell « one of the fastest trains »
présentant les trains des années 30 qui brillaient par leur vitesse, mais qui sont aujourd'hui hors service.
Évidemment, étant donné les rappels historiques de la deuxième partie, on comprend rapidement
l'évocation de tous ces juifs décédés dans les camps de la mort, l'anglais « they're all gone » permettant
les ambiguïtés. Loin de s'appesantir sur ces double-sens macabres, Reich termine la pièce par une histoire
en forme de conte, rappelant le souvenir d'une petite fille qui chantait devant les Allemands et auprès
desquels elle avait beaucoup de succès. La dernière phrase de la pièce, « and when she stopped singing
they said, « More, more » and they applauded », termine l'histoire de la petite fille et nous ramène
habilement au monde du spectacle, la musique de Different trains étant terminée, l'auditoire n'ayant plus
qu'à applaudir la composition de Reich, la prestation du quatuor.
> Filigrane > L'individuel et le collectif dans l'art
Tableau : texte de la partie 3 de Different trains.
The Cave (1990-1993)
Le principe de speech melody que Reich utilise pour la première fois dans Different trains va
profondément l'inspirer et naturellement générer d'autres oeuvres. Ainsi en 1990, Reich se lance avec son
épouse Beryl Korot, dans un projet hybride, entre l'opéra et le documentaire, alliant vidéo et musique, un
nouveau genre de théâtre musical :
À vrai dire, on m'a demandé d'écrire des opéras dans les années 80, d'abord le Holland Festival et ensuite
le Frankfurt Opera. Les deux fois j'ai dit « non ». À l'époque, je savais que je ne voulais pas passer de
nombreuses années à écrire un opéra conventionnel, étant donné que j'avais des appréhensions quant au
genre même. Ce qui m'a réellement ouvert la porte de l'opéra a été Different trains. J'ai commencé à
comprendre que si vous pouviez voir des gens parler sur des vidéos et en même temps voir et entendre
des musiciens live littéralement jouer leurs speech melodies, ce serait un point de départ parfait pour moi
pour commencer une nouvelle forme d'opéra, ou de théâtre musical (22).
Conçu pour un ensemble de 17 musiciens, incluant 4 chanteurs (2 chanteuses et 2 chanteurs) et un chef
d'orchestre, The Cave propose, dans un spectacle mêlant musique et vidéo (multicanaux (23)), de mettre en
parallèle le texte biblique (24) et les paroles (comme les images d'ailleurs) de nombreuses personnes
interrogées au sujet des personnages de l'Ancien Testament. Suivant le principe de speech melody,
lorsqu'un interviewé parle, son image est projetée sur un ou plusieurs écrans (cinq au maximum) et la
mélodie de sa voix est doublée et harmonisée directement par les musiciens. Le rôle des chanteurs évolue
au fil des trois sections de la pièce ; ainsi, dans la première partie, unis comme un choeur, les chanteuses
et chanteurs chantent des extraits de textes bibliques, dans l'acte 2, ils reproduisent ce que disent les
interviewés, pour finalement dans une ultime section, mélanger les deux sources textuelles.
Le « livret » de The cave pose d'emblée l'ouverture de plus en plus conséquente du propos de Reich qui,
après une interrogation personnelle en tant que compositeur, en tant que juif, va penser l'humain dans la
complexité du rapport à l'autre, aux mémoires individuelles et collectives. En effet, la grotte dont il est
question ici est celle qu'Abraham a acheté à Ephrôn le Hittite, pour enterrer sa femme Sarah. Dans les
faits, la sépulture, que l'on nommera bientôt le « Tombeau des Patriarches », contiendrait les corps de
Sarah bien sûr, mais aussi d'Abraham, d'Isaac et Ismaël, leurs fils et leurs épouses respectives, ainsi que
ceux d'Adam et Eve (on trouverait dans la grotte de Makpéla un lien direct avec le jardin d'Eden). Un tel
contenu funéraire, si riche en source même des trois religions monothéistes principales (25), ouvre
évidemment à une certaine universalité. En effet, la grotte, située désormais en Cisjordanie est un lieu de
prière des plus importants, à la fois pour les juifs et pour les musulmans (en des terres où leurs rapports
sont plus que houleux). Par ailleurs, les chrétiens accordent aussi beaucoup d'importance à cet endroit aux
origines bibliques primordiales. Le Tombeau des Patriarches est donc le seul endroit sur terre où
musulmans, juifs et chrétiens prient ensemble, sans véritable tension, dans une certaine paix (26). Par
ailleurs, si Hebron signifie en hébreux « unifier », « lier » (avec des racines communes avec le mot
« ami »), en arabe, El-Khalil (le nom arabe de la ville), pourrait se traduire « L'ami de dieu », d'où cette
propension particulière du site à la tolérance, l'entente entre les peuples.
> Filigrane > L'individuel et le collectif dans l'art
En dehors du lieu, l'attrait de Reich et Korot pour le documentaire se retrouve totalement exacerbé par les
répliques des interviewés. Les questions sont simples en apparence : Qui pour vous est Abraham ?
Sarah ? Hagar ? Ismaël ? Isaac ? Cependant, suivant le « public » auquel Reich et Korot adressent leurs
questionnements, on assiste à une hétérogénéité complète des réponses. En effet, les deux associés
choisissent de déterminer trois parties pour leur opéra/documentaire, trois sections correspondant à la
population à laquelle on pose les questions.
Tableau : détails des sections de The Cave
Ainsi, après les Israéliens, Palestiniens et Américains se succèdent et développent toute une gradation de
réponses, de la plus strictement précise bibliquement (principalement au Moyen-Orient), à la plus
fantaisiste, éloignée, hors sujet (principalement aux États-Unis).
Abraham et les autres ne sont plus là. Comme je l'ai dit, ils vivent seulement dans l'esprit des vivants.
Pour certains, particulièrement au Moyen-Orient, ils sont encore bien vivants et pour d'autres ?
principalement aux États-Unis ? ils ont été oubliés ou détournés sur d'autres sujets. Quand j'ai interrogé le
sculpteur Richard Serra, il a dit, « Abraham Lincoln High School, tout en haut de la colline au milieu du
sable et de la mer ? c'est le plus loin que je situe Abraham ». Quand je suis passé à Ismaël il a dit,
« Appelle moi Ismael ? Moby Dick ». Mary Mac Arthur dit, « L'homme auquel nous nous identifions
tous ». « C'est le James Dean de l'Ancien Testament », dit Ann Druyan. Nous plaisantons souvent du fait
que c'est comme un Rorschach (27).
La diversité de la palette d'interviewés par Reich et Korot dénote bien la volonté d'ouverture du couple
quant à son appréhension des relations humaines. Tous les points de vue sont défendus et des personnages
d'horizons et d'opinions complètement différents sont interrogés. Ainsi, dans la première partie, les
répliques d'un directeur d'études sémitiques (Ephraim Isaac) côtoient celles d'un archéologue (Rivka
Gonen) ou d'un militant pour la paix inter-religions (Uriel Simone). Dans l'acte 2, le gérant d'hôtel Riad
Othman, s'exprime en même temps que le docteur en études islamiques Haj Mithkal Natour. Enfin, dans
l'ultime partie, certainement la plus hétérogène en matière de provenances des interviewés, les réponses
du sculpteur Richard Serra, sont contrebalancées par celles du prix Pullitzer et professeur d'astronomie
Carl Sagan ou du commentateur radio Dennis Prager. Outre l'extrême variété des intervenants, il est assez
révélateur de voir que le nombre d'interviewés dans chaque sections de l'oeuvre (synonyme aussi,
rappelons-le d'origine), est très disparate. En effet, alors que l'acte 1 compte 10 Israéliens interviewés,
l'acte 2 ne voit seulement que 5 Palestiniens appelés à répondre et l'acte 3 ne propose pas moins de 27
interviewés du côté américain. Ce grand déséquilibre peut certainement s'expliquer par la grande liberté
pour Reich de naviguer et d'interroger une foule d'Américains qui pour la plupart sont de ses amis, facilité
contrastant évidemment énormément avec les difficultés de déplacements et de discutions inhérentes aux
problèmes politiques en terre sainte. Cette difficulté est par ailleurs accrue lorsqu'un juif comme Steve
Reich veut interviewer des Palestiniens (conflit israélo-palestinien n'aidant guère).
Outre ces remarques quant au nombre et à la diversité des personnes interrogées, il convient de
comprendre, d'un point de vue plus philosophique, quels aspects sous-jacents sont pointés du doigt par le
couple Reich/Korot. S'il avoue une lignée Different trains/The Cave quant à la révélation qu'a pu être
pour lui le principe de speech melody, Reich à travers son opéra/documentaire semble pourtant aller plus
loin qu'avec son quadruple quatuor à cordes. En effet, alors qu'en 1988, il superposait, en quelque sorte,
sa condition de juif à celle de millions d'autres, de même confession, qui périrent dans les camps
d'extermination nazis, le compositeur accentue avec The Cave, le degré d'ouverture de son investigation et
ce n'est plus uniquement les juifs qu'il interroge, mais l'humanité entière. Si, bien évidemment, les
interviewés sont, dans leur grande majorité, affiliés à une religion abrahamique (28), finalement peu de
réponses aux questions de Reich et Korot, ne s'avèrent « hors-sujet ». Le travail de composition que Reich
fournit ensuite, l'agencement du matériau sonore que sont les réponses des interviewés, est par ailleurs
révélateur de cet esprit d'ouverture et à bien des égards de tolérance. En effet, à un travail initial de
fragmentation, nécessaire pour sélectionner les meilleures sources mélodiques, s'ajoute ensuite une
méticuleuse opération de mise en parallèle des extraits de réponses de chacun, propos souvent affectés par
les répétitions, favorisant ainsi formidablement les chevauchements et autres entrelacs. Les fragments de
répliques étant systématiquement doublés et harmonisés par les musiciens, ils prennent par conséquent
une épaisseur, une texture, propre à mettre en exergue leur contenu sémantique tout en lui donnant un
> Filigrane > L'individuel et le collectif dans l'art
certain lyrisme. Par ailleurs, le parti pris très sobre des extraits vidéos de Beryl Korot (les personnes sont
filmées le plus souvent de face, en plan fixe), appuie la dimension respectueuse de la pièce. Tous les
procédés qu'emploient Steve Reich et son épouse contribuent donc à renforcer le sentiment
d'inextricabilité du lien entre le vécu et la culture de chaque personne interrogée et le contenu des
Écritures. Ces dernières trouvent donc une actualité certaine dans cette mise en abîme qu'est The Cave.
Parallèlement aux voix et visages des interviewés (vidéo et musique ont dans The Cave une importance
égale), la pièce renvoie très fréquemment au texte de la Genèse. Ainsi, si le « choeur » chante le texte de
l'Ancien Testament dans le premier et le dernier acte, une part importante est aussi laissée à l'écrit. En
effet, The Cave commence par une courte section appelée par Reich typing music qui vise à révéler sur les
écrans le texte même de la Genèse. Ainsi durant cette section, on entend les doigts d'interprètes-scripteurs
taper sur des claviers d'ordinateurs amplifiés, l'histoire d'Abraham et de Hagar (Genèse XVI). Si par la
suite, le son même des claviers ne sera plus amplifié, à chaque fois que le texte de la Genèse sera chanté,
le texte apparaitra sur les écrans dans différentes langues. Cette révélation du texte dans sa forme écrite, la
multiplication et la mise en parallèle des langages, soulignent bien le désir de Reich et de Korot d'affirmer
l'universalité du contenu sémantique des premiers épisodes des livres sacrés quels qu'ils soient (Bible,
Tanakh, Coran).
Par ailleurs, le travail d'investigation de Reich et de Korot, s'il a avant tout des visées artistiques et
religieuses, ne peut certainement pas ne pas soulever des ouvertures toutes politiques, dans une zone du
monde où cohabitent tant bien que mal (plutôt mal), deux des principales religions monothéistes. Reich et
Korot ont pris, alors que la composition de la pièce avançait, toutes les précautions nécessaires, afin que
The Cave puisse éclore sans causer aucune nuisance à aucune des religions incriminées. Reich concède
d'ailleurs avoir été constamment en relation avec des rabbins et des imams afin qu'ils valident, analysent,
ne voient rien de gênant dans le travail compositionnel et textuel de la pièce. Cependant, malgré cette
logique précautionneuse de vérification des propos toute louable soit-elle, Korot et Reich ne semblent pas
dupes quant à la propension de l'oeuvre d'art à influer sur le contexte politique. En effet, l'oeuvre, si elle
se nourrit volontiers d'un contexte, n'a finalement en retour que peu d'influence directe sur celui-ci. Tout
au plus, l'oeuvre, si elle brille par sa qualité artistique, traverse les âges et peut prétendre se faire la
« mémoire », d'un contexte passé, d'une histoire. Ainsi, Reich dans un touchant article de 1994 faisant
suite à l'attentat extrémiste de Baruch Goldstein, ne se fait pas vraiment d'illusions concernant l'efficience
de The Cave sur la paix au Moyen-Orient :
Nous ne pensons pas que The Cave ou n'importe quelle autre oeuvre d'art puissent directement influer sur
la paix au Moyen-Orient. Le Guernica de Pablo Picasso n'eu aucun effet sur les bombardements aériens
des civils, comme les pièces de Kurt Weill, Bertold Brecht, et beaucoup d'autres artistes n'ont stoppés
l'ascension d'Hitler. Ces pièces vivent grâce à leur qualité d'oeuvre d'art. Leur message survit à travers la
qualité de leur art, et quelques uns qui les voient ou entendent, peuvent être transformés par l'expérience,
comme si un feu dans l'esprit de l'un allumait un feu dans l'esprit d'un autre. William Carlos Williams a
écrit dans Paterson, livre V : « à travers ce trou / à l'arrière de la caverne / de la mort, l'imagination /
s'évade intacte » (29).
À la confluence du religieux, du philosophique et du politique, The Cave apparaît donc comme l'oeuvre
de l'humanité pour Steve Reich. Les témoignages, fruits du vécu, de la culture, de la mémoire des
personnes interviewées, confèrent à la pièce multimédia, une vocation toute universelle, voire
« universalisante ». Ainsi, les textes qu'on dirait volontiers « racines » (représentatifs d'un on), sont
interrogés, par leur mise en parallèle avec les réponses tant diverses que passionnées, de personnes de
nationalités et d'opinions très variées, et un lien étroit se tisse entre les deux, ouvrant les Écritures
millénaires à une véritable actualité. Par ailleurs, d'un point de vue plus personnel pour le compositeur,
avec un parti pris documentaire, Reich compile les opinions d'une foule de contributeurs. C'est donc à une
délégation de son propre je dans un agglomérat d'autres je, qu'il procède, son travail ne consistant
finalement pas à émettre un avis, mais plutôt à agencer les considérations de chacun. On assiste alors en
quelque sorte à un transfert du je (traditionnellement corrélatif à la notion de compositeur), à un on
englobant et révélateur d'une véritable humanité de la part du New-Yorkais. Cette ouverture à l'humain
s'avère enfin tout à fait concomitante à une abstraction de facteurs tel que l'origine géographique, la
religion, la couleur politique, le corps de métier, par un délayage dans une masse épaisse d'entités
personnelles, de je, d'humains. Cependant, encore une fois, on peut constater qu'à mesure que Reich
s'affirme en tant que personne (il passe en quelque sorte du « statut » de juif à celui d'humain), le ça initial
(immiscé dans sa process music des années 60), semble persister au niveau des sources utilisées par le
compositeur ; en effet, par l'interrogation du texte sacré (en substance un on ancestral) et par le travail
d'interviews d'une foule de je, une certaine sensation de dépersonnalisation (qui va par ailleurs de paire
avec l'idée d'universalisation) subsiste au niveau compositionnel. Plus la masse d'interviewés est dense, et
plus son degré d'individualisation est bas, la foule n'étant plus qu'un patchwork, certes par définition,
> Filigrane > L'individuel et le collectif dans l'art
somme hétérogène, mais globalement très éloignée d'une véritable impression de personnalisation, ce que
l'agencement des répliques tout en entrelacs tend à renforcer.
La trajectoire suivie depuis 1974 par Steve Reich apparaît tout à fait révélatrice d'une tendance à la
variation de plans. En effet, alors qu'il s'interroge ardemment sur sa judéité et décide de s'inscrire à une
multitude d'enseignements hébraïques, Reich concrétise en 1981, la première véritable application de ses
études dans une composition musicale. Le compositeur réalise donc avec Tehillim une avancée vers ses
racines. Cependant, si cette progression apporte la véritable révélation du texte (et de la mise en musique
d'un texte, si nouvelle pour lui), ce premier cap ne permet finalement à Reich que de se penser en tant que
compositeur par rapport à une tradition. Dans cette première étape, le New-Yorkais reste donc un je
respectueux d'une tradition (un on ancestral et garant de valeurs, incarné par le texte religieux) qu'il ne
cherche aucunement à enfreindre, à tordre pour la faire entrer dans un moule compositionnel.
À bien des égards, Different trains constitue un palier décisif dans l'itinéraire de Reich. En effet, en
comparant par l'argument même de la composition, sa condition personnelle à celle des victimes de
l'holocauste, Reich pousse plus avant sa réflexion sur sa condition juive. Par la découverte majeure de la
speech melody, Reich donne corps, par le biais de témoignages, à une double lecture des années de
guerre. Du personnel on passe au collectif, et par l'habile imbrication des motifs enregistrés (que l'on
pense à la troisième partie), le compositeur procède à un glissement du je au nous (ce nous restant
toutefois limité à la confession juive) mais aussi, les préceptes hébraïques étant désormais assimilés par
Reich, du je par rapport à un nous (l'histoire personnelle par rapport à l'histoire de son propre peuple).
Enfin, c'est sur un plan plus universel encore que Reich va ancrer son opéra/documentaire The Cave entre
1990 et 1993. Reprenant les principes de speech melody énoncés dans Different trains, le compositeur va
ouvrir plus largement son panel d'interviewés (Israéliens, Palestiniens, Américains) et, partant de
questions au prime abord relativement réductrices (la grotte de Makpéla, les personnages de la Genèse...),
considérablement étirer la problématique religieuse pour la délayer dans des considérations plus
universelles. C'est avant tout un message de paix, de réconciliation des peuples, dans un contexte
politico-religieux des plus tendus, sorte de bouteille à la mer sans prétention aucune d'être jamais
retrouvée, que Steve Reich et Beryl Korot livrent à la postérité. On passe ainsi en quelque sorte d'une
somme de je qui crée un on tendant à l'universalité et qui se pose en commentateur d'un autre on qu'est le
texte biblique.
Tableau : Synthèse de l'évolution identitaire de Steve Reich.
Au gré de ses interrogations, Reich passe, synthétiquement, de la condition de compositeur (Tehillim), à
celle de juif (Different trains) pour finalement aboutir à la qualité d'humain (The Cave). Cet itinéraire en
ouverture progressive, en variation de plans, de conditions, montre toute la complexité du cheminement
identitaire et philosophique d'un compositeur qui a bien souvent collectionné les étiquettes (minimaliste,
New-Yorkais, juif...). Cependant, après cette période d'une vingtaine d'années (1974-1993), Reich ne
reviendra que rarement interroger des sujets hébraïques (exception faite à certains passages de You are
(variations) en 2004 et Daniel variations (2006) en guise d'hommage à Daniel Pearl), alors qu'avec Three
tales en 2002, il interrogera de nouveau l'humain dans sa mémoire et à travers la symbolique de l'avancée
> Filigrane > L'individuel et le collectif dans l'art
technologique.
Par ailleurs, eu égard à l'évolution de sa fascination pour le ça initial, comme il est énoncé dès 1968 dans
« Music as a gradual process », ne doit-on pas voir une corrélation entre l'universel et la
dépersonnalisation chez le New-Yorkais. En effet, alors qu'on décèle dans son évolution, toute une
gradation qui le fait passer, certes paradigmatiquement, du stade de compositeur, à celui de juif, pour
finalement atteindre la dimension de l'humain, le Steve Reich « compositeur » semble quant à lui associer
à sa démarche créative, le filigrane de la dépersonnalisation. Ce dernier revêt, comme on l'a vu, l'aspect
du processus dans lequel Reich dilue son je, mais s'applique, dans les oeuvres qui suivent, aux sources
même qu'il choisit. Ainsi, dans Tehillim, Reich travaille à partir des textes des psaumes et ne garde des
apports de la tradition juive, que des éléments structurels, épurant, éludant « l'âme », les éléments les plus
distinctifs, intimes des musiques qu'il interroge. De plus, le principe même de la speech melody que Reich
utilise dans Different trains et The Cave, s'inscrit lui aussi dans cette idée de dépersonnalisation. En effet,
en multipliant le nombre d'interviewés, Reich mute une situation d'hétérogénéité de ses sources en un
amas de je agglomérés et s'éloignant de toute sensation d'individualisation. Avec l'application du principe
fondamental de speech melody, Reich dilue en quelque sorte son autorité, délègue son pouvoir
d'énonciation, sa propre voix, au profit de celles de ces dizaines de je accumulés qu'il interroge.
Dépersonnalisation d'un point de vue compositionnel et universalisation d'un point de vue personnel
apparaissent donc comme les corrélats paradoxaux de l'évolution binaire de Steve Reich.
1. Voir « La musique comme processus graduel (1968) », dans Steve Reich, Écrits et entretiens sur la
musique, trad. de l'américain par Bérénice Reynaud, Paris : Christian Bourgois, 1981, p. 48-51.
2. D'autres compositeurs associés au « premier » minimalisme ne sont certes pas new-yorkais, mais les
travaux de Terry Riley ou de La Monte Young, s'avèrent très différents des conceptions reichiennes,
Young n'utilisant par exemple pas la répétition, mais travaillant sur le concept de drone.
3. Avec Music for 18 musicians de Steve Reich mais aussi Einstein on the beach de Philip Glass, on
bascule dans un second minimalisme, assez différent de la première vague, que l'on appellera rapidement
« post-minimalisme ».
4. Steve Reich dans une interview avec Jonathan Cott dans le livret du coffret : Steve Reich, Works :
1965-1995, Steve Reich and Musicians, coffret de 10 Cds, Nonesuch, 79451, 1997, p. 28.
5. « La musique comme processus graduel (1968) », dans Steve Reich, Écrits et entretiens sur la
musique, trad. de l'américain par Bérénice Reynaud, Paris : Christian Bourgois, 1981, p. 51.
6. Sol Lewitt, « Paragraphs on conceptual art », première publication dans Artforum (juin 1967),
consultable en ligne sur : http://www.ddooss.org/articulos/idiomas/Sol_Lewitt.htm.
7. À ce sujet Reich dit : « Je sais que mon grand-père parlait allemand, yiddish, polonais et anglais. Mais
quand je l'ai connu, il parlait seulement anglais, et ne parlait jamais de l'Europe, seulement de l'Amérique,
comme de nombreux immigrants le faisaient. Ils voulaient parler de leur nouvelle patrie, et tout le reste
était oublié », « I know my grandfather spoke german, yiddish, polish, and english. But when I knew him,
he only spoke english, and never talked about Europe, only of America, as many immigrants did. They
wanted to talk about the new country, and everything else was forgotten », Steve Reich, Writings on
music 1965-2000, éd. par Paul Hillier, New York : Oxford University Press, 2002, p. 6.
8. « I was brought up with only a superficial exposure to Judaism. I did not learn any Hebrew, any Torah,
or any traditionnal chanting. After a « lip-sync » Bar Mitzvah, in which I pointed at Hebrew words I
could not read but said from memory of a transcription into the english alphabet, I lost interest in
Judaism, with the exception of reading Martin Buber during my teens », Steve Reich, « Hebrew
cantillation as an influence on composition (1982) », ibid., p. 107.
9. Abraham Idelsohn, Jewish music in its historical development, New York : Dover, 1929, nouvelles
impressions en 1967 et 1992.
> Filigrane > L'individuel et le collectif dans l'art
10. Concernant le travail ethnomusicologique préalable à la composition dans Drumming et Music for 18
musicians, voir « Hebrew cantillation as an influence on composition (1982) », Steve Reich, op. cit.,
p. 107-118. Voir aussi Jérôme Bodon-Clair, Le Langage de Steve Reich. L'exemple de Music for 18
musicians, Paris : L'Harmattan, 2008, p. 35-42.
11. Sur les nouveautés de langage dans Music for 18 musicians, voir Jérôme Bodon-Clair, op. cit.
12. Dans son article « Steve Reich and hebrew cantillation », Antonella Puca montre le lien entre les
signes d'accentuations des cantillations, les « te'anim » et le travail de composition de Steve Reich dans
Tehillim. Le sujet de notre article n'étant pas spécifiquement les particularités musicales de Tehillim, je
vous invite à consulter la très bonne analyse de l'oeuvre par Antonella Puca dans Antonella Puca, « Steve
Reich and hebrew cantillation », The Musical Quaterly, vol. 81, n° 4 (hiver 1997), Oxford : Oxford
University Press, p. 537-555. Par ailleurs l'article de Steve Reich sur les cantillations est aussi des plus
intéressants : « Hebrew cantillation as an influence on composition (1982) », Steve Reich, op. cit.,
p. 105-118.
13. « In contrast to most of my earlier work, Tehillim is not composed of short repeating patterns ;
althought an entire melody may be repeated either as the subject of a canon or variation, this is actually
closer to what one finds throughout the history of Western music. [...] This is the first time I have to set a
text to music since my student days and the result is a piece based on melody in the basic sense of that
word. The use of extended melodies, imitative counterpoint, functional harmony, and full orchestration
may well suggest renewed interest in classical ? or, more accurately, baroque and earlier Western musical
practice », Steve Reich, « Tehillim (1981) », op. cit., p. 101.
14. « One of the reason I chose to set Psalms as opposed to parts of the Torah or Prophets is that the oral
tradition among Jews in the West for singing Psalms has been lost. (It has been maintained by Yemenite
Jews).That means that, as opposed to the cantillation of the Torah or Prophets, which is a living
2500-year-old oral tradition throughout the synagogues of the world, the oral tradition for Psalms singing
in the Western synagogues has been lost. This meant that I was free to compose the melodies for Tehillim
without a living oral tradition to either imitate or ignore », Steve Reich, « Tehillim (1981) », ibid., p. 101.
15. « It now remains to see how cantillation of the Hebrew Scriptures can act as an influence on a
composer. In my own case, cantillation influenced my composition Octet (later called Eight lines) and
perhaps other works throught its structure and not its sound. Just as I had found it inappropriate to imitate
the sound of African or Balinese music, I found it similarly inappropriate to imitate the sound of Hebrew
cantillation. It is true that I am Jewish, but I did not grow up with the sound of cantillation, and really
only discovered it in my late 30's, Steve Reich, « Hebrew cantillation as an influence on composition
(1982) », ibid., p. 113-114.
16. Reich dit par exemple dans son article « Non-Western music and the Western composer » : « Je ne
voulais pas sonner balinais ou africain, je voulais penser balinais ou africain. Ce qui signifiait que je
voudrais sonner comme moi-même tout en élargissant mes idées sur comment structurer rythmiquement
mes pièces », « I didn't want to sound Balinese or African, I wanted to think Balinese or African. Which
meant that I would sound like myself while expanding my ideas about how to rythmically structure my
pieces », Steve Reich, « Non-Western music and the Western composer (1988) », ibid., p. 148-149.
17. Il est intéressant de noter qu'avant de se pencher sur la question ferroviaire et tout ce qu'elle
sous-entend, Steve Reich avait pensé utiliser des enregistrements de la voix de Bartók pour une nouvelle
oeuvre. Il avait par la suite abandonné cette idée, ne voulant se frotter à toute une tradition musicale, à la
stature d'un compositeur qu'il admire énormément.
18. À ce sujet, voir l'article « Music and language (1996) » dans Steve Reich, ibid., p. 193-201.
19. Naomi Cumming voit dans la perspective ferroviaire de la pièce une dimension toute freudienne, la
locomotive sous-tendant une certaine passivité : « Les motifs rythmiques répétitifs qui compose le
mouvement de train sont « compulsifs » en cela qu'ils semblent simuler leur propre dynamique. Dans leur
compulsivité, ils devraient être reliés avec le mouvement de « conduite » dans la pensée de Freud, un
aspect dépersonnalisé du soi, donnant l'expression au impulsions primitives précédant la différentiation
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du « je » (ego) », « The repetitive rythmic patterns which form the train-motion are « compulsive » in so
for they seem to simulate their own continuation. In their compulsiveness they may be linked with the
motion of « drive » in Freud's thought, a depersonalized aspect of the self, giving expression to primitive
impulses preceding the differentiation of the « I » (ego) », Naomi Cumming, « The Horrors of
identification : Reich's Different trains », Perspectives of New Music, vol. 35, n° 1 (hiver 1997), p. 131.
20. « Et quand nous nous sommes arrêtés de chanter ils ont dit « Encore, encore » et ont applaudis ».
21. L'alto double toutes les voix de femmes, le violoncelle, les voix d'hommes, alors que les sifflets des
trains sont incarnés par les violons fiddle.
22. « Actually, I was asked to write operas during the 1980's first by the Holland festival and then by the
Frankfurt Opera. Both times I said « no ». At the time I knew I didn't want to spend several years writing
a conventional opera, since I had misgivings about the form itself. What really opened the door to opera
for me was Different trains. I began to realize that if you could see people speaking on videotape and at
the same time see and hear live musicians literally playing their speech melodies that would be a perfect
place for me to begin a new kind of opera or music theater », Steve Reich, « Kurt Weill, the orchestra,
and vocal style ? an interview with K. Robert Schwarz (1992) », op. cit., p. 166.
23. Dans The Cave, Beryl Korot utilise les techniques de multi-diffusion qu'elle avait développées dans
ses installations vidéo Dachau 74 et Text and commentary (1977).
24. Par « texte biblique » ou plus tard par « Genèse », j'entends sa conception et son exposition dans les
différents livres des trois religions mentionnées. Ainsi, par commodité, je parlerai de Genèse, qu'Abraham
et sa famille soient mentionnés dans la Bible chrétienne, hébraïque ou dans le Coran.
25. Rappelons qu'alors que les juifs descendent d'Abraham et de Sarah à partir de leur fils Isaac, les
musulmans ancrent leur descendance abrahamique à partir d'Ismaël, fils d'Abraham et de Hagar, la
servante de Sarah.
26. Exception faite au massacre du 25 février 1994, où un extrémiste sioniste religieux, Baruch
Goldstein, tua 29 Palestiniens en pleine prière et en blessa près de 150, à l'arme automatique, avant d'être
battu à mort par les survivants.
27. « Abraham and the others aren't there anymore. As I said, they only live in the minds of the livings.
For some, particulary in the Middle East, they're very much alive and for others ? particulary in America
? they become forgotten or turned to other purposes. When I asked the sculptor Richard Serra, he said,
« Abraham Lincoln High school, high on the hill top midst sand and sea ? that's about as far as I trace
Abram. » When I got to Ishmael he said, « Call me Ishmael ? Moby Dick. » Mary Mac Arthur says, « the
man we all identify with. » « He's the James Dean of the Old Testament, » says Ann Druyan. We often
joked that it's like a Rorschach », Steve Reich, « Jonathan Cott interviews Beryl Korot and Steve Reich
on the Cave (1993) », op. cit., p. 176.
28. La dimension universelle du propos est accrue du fait qu'en 2008, 3,7 milliards d'êtres humains sur
terre (soit près de 2/3 des hommes), adhèrent à une religion dite abrahamique.
29. « We do not think that The Cave or any other artwork can directly affect peace in the Middle East.
Pablo Picasso's Guernica had no effet on the aerial bombing of civilians, nor did the works of Kurt Weill,
Bertold Brecht, and many other artists stop the rise of Hitler. These works live because of their quality as
works of art. Their message survives through the quality of their artistry, and some individuals who see or
hear them can be changed by the experience, as if a fire in the mind of one lighted a fire in the mind of
another. William Carlos Williams wrote in Paterson, Book V, « through this hole / at the bottom of the
cavern / of death, the imagination / escapes intact », Steve Reich, « Thoughts about the madness in
Abraham's cave (1994) », op. cit., p. 180.
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Pour citer ce document:
Jérôme Bodon-Clair, « La question du judaïsme chez Steve Reich : Dépersonnalisation, personnalisation,
universalité », Filigrane [En ligne], Numéros de la revue, L'individuel et le collectif dans l'art, Mis à jour
le 30/05/2011
URL: http://revues.mshparisnord.org/filigrane/index.php?id=257
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