CA Aix-en-Provence, arrêt du 28 juin 2011, n° 10/10365

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CA Aix-en-Provence, arrêt du 28 juin 2011, n° 10/10365
COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
17e Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 28 JUIN 2011
N°2011/
MV/FP-D
Rôle N° 10/10365
LOXAM
C/
Christine HARO
Grosse délivrée le :
à:
Me Sophie BOURGUIGNON, avocat au barreau de PARIS
Me Alain CURTI, avocat au barreau de NICE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRASSE en date du 05 Mai 2010,
enregistré au répertoire général sous le n° 09/1007.
APPELANTE
LOXAM, demeurant 42 Avenue de la Perrière - 56325 LORIENT CEDEX
représentée par Me Sophie BOURGUIGNON, avocat au barreau de PARIS
(5 rue Jean Mermoz 75008 PARIS) substitué par Me Delphine DERUMEZ, avocat au barreau de
PARIS
INTIMEE
Madame Christine HARO, demeurant 782 Route de St Jeannet - 06610 LA GAUDE
représentée par Me Alain CURTI, avocat au barreau de NICE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue
le 03 Mai 2011, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame
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Martine VERHAEGHE, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur Jean-Marc CROUSIER, Président
Madame Martine VERHAEGHE, Conseiller
Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller
Greffier lors des débats : Françoise PARADIS-DEISS.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au
greffe le 28 Juin 2011.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 28 Juin 2011
Signé par Monsieur Jean-Marc CROUSIER, Président et Françoise PARADIS-DEISS, greffier
auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Madame Christine SABATO épouse HARO a été engagée par la société LOXAM à compter du 12
juillet 2004 en qualité de Responsable d'agence statut cadre moyennant la rémunération mensuelle
brute de 3433,46 €.
Le 3 novembre 2008 les parties procédaient à la rupture conventionnelle du contrat de travail.
Contestant la validité de la rupture et sollicitant des dommages et intérêts au titre de la clause de
non-concurrence Madame HARO a le 13 mars 2009 saisi le Conseil de Prud'hommes de GRASSE
lequel, par jugement du 5 mai 2010, a dit que la rupture conventionnelle ne répondait pas aux
dispositions d'ordre public entourant la rupture du contrat de travail fut telle conventionnelle et
devait faire l'objet du versement de dommages et intérêts, condamnait la société LOXAM à lui verser
la somme de :
6 866 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice découlant du non-respect des dispositions
d'ordre public entourant la rupture du contrat de travail fut telle conventionnelle (somme fixée à
3433,46 € dans les motifs de la décision),
la déboutait de sa demande au titre de la clause de non-concurrence,
déboutait les parties du surplus de leurs demandes et laissait à chacune d'elles la charge de ses
dépens.
Le 7 mai 2010 la société LOXAM relevait appel de cette décision, limité au montant des dommages
et intérêts alloués .
La société LOXAM conclut à l'infirmation du jugement concernant la rupture conventionnelle et à sa
confirmation concernant la clause de non-concurrence et demande en conséquence de débouter Mme
HARO de l'ensemble de ses demandes et de la condamner à lui verser la somme de 2000 € sur le
fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
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Elle invoque la validité de la rupture conventionnelle homologuée par l'administration, le fait que
Mme HARO ne démontre pas en quoi son consentement aurait été vicié, le fait que la rupture n'avait
pas de motif économique, l'intéressée ayant bien été remplacée à son poste et l'inexistence de
l'obligation de non-concurrence dont elle avait libéré Mme HARO le mois de la rupture.
A l'audience la société LOXAM soulève l'irrecevabilité de l'appel incident formé par Mme HARO
faisant valoir qu'elle n'a elle-même formé qu'un appel partiel limité au montant des dommages et
intérêts octroyés par le Conseil de Prud'hommes.
En réponse Mme HARO fait valoir qu'elle a été informée par le Greffe de la Cour d'Appel d'un appel
global et non partiel et que le moyen soulevé par l'appelant étant postérieur à ses conclusions d'appel
incident, celui-ci est recevable.
Mme HARO, demande à la Cour de dire que la rupture négociée du contrat de travail est entachée de
nullité du fait de l'absence de convention stipulant les devoirs et obligations de chacune des parties,
en conséquence, de dire et juger qu'elle a fait l'objet d'un licenciement abusif et en conséquence
condamner la société LOXAM à lui verser la somme de :
12 000 € au titre des trois mois de préavis,
48 000 € à titre de dommages et intérêts représentant une année de salaire,
et les articles 1174 du Code civil et L 1121. 1 du code du travail de condamner la société LOXAM à
lui verser la somme de :
15 000 € à titre de dommages et intérêts au titre de la clause de non-concurrence.
Elle sollicite en outre la somme de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure
civile.
Elle fait valoir qu'elle a cédé à la pression de son employeur, qu'aucune convention n'a été rédigée ni
signée par les parties, que la procédure de rupture conventionnelle n'a donc pas été respectée, que
seul a été signé un document pré-imprimé ou formulaire mis à disposition des justiciables sur
internet par le Ministère du Travail, que la rupture est en l'espèce intervenue pour des motifs
économiques car elle n'a pas été remplacée par un salarié de même situation hiérarchique et de
salaire qu'elle ; que son poste de responsable d'agence a en réalité été supprimé ; que la personne qui
l'a remplacée était le responsable commercial régional dont le poste à la direction régionale avait été
supprimé ; que l'effectif de l'agence avant son départ était de sept salariés et a été réduit à 4 salariés
par le biais de rupture négociée, licenciement et démission ; que ce détournement de procédure est
interdit par la loi et par la circulaire du 17 mars 2009 ; qu'en conséquence la pseudo convention
devrait être annulée comme étant contraire à la loi pour défaut de convention écrite, détournement de
procédure de licenciement économique et vice du consentement ; que la levée de la clause de
non-concurrence figurant à son contrat de travail est intervenue unilatéralement du seul fait de
l'employeur sans qu'elle acquiesce à la levée de cette clause ; que du fait du respect de cette clause
elle doit être indemnisée du préjudice subi.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il y a
lieu de se référer au jugement du Conseil de Prud'hommes et aux écritures déposées, oralement
reprises.
En cours de délibéré les parties adressaient à la Cour des notes en délibéré concernant une pièce qui
était déjà dans le débat de sorte que ces notes n'ayant pas été déposées à la demande de la Cour il n'y
a pas lieu d'y répondre.
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Sur ce,
Sur la recevabilité de l'appel incident de Mme HARO,
Attendu qu'en application des articles 548 et 550 du code de procédure civile l'appel incident peut
être formé en tout état de cause alors même que celui qui l'interjette serait forclos pour agir au
principal ;
Attendu que si, dans un tel cas, la recevabilité de l'appel incident est subordonnée à celle de l'appel
principal, les limites apportées à celui-ci sont, en revanche, sans conséquence sur l'appel incident qui
peut, dès lors, être étendu aux chefs de jugement non visés par l'appel principal ;
Attendu qu'en l'espèce l'appel principal interjeté par la société LOXAM est recevable de sorte que
l'appel incident formé par Mme HARO est recevable ;
Sur la rupture conventionnelle,
Attendu que la rupture conventionnelle du contrat de travail telle que résultant de la loi du 25 juin
2008 complétée par les décrets du 18 juin 2008 et les arrêtés du 18 juillet 2008 et 28 juillet 2008 est
régie par les articles L. 1237. 11 et suivants du code du travail qui dispose notamment :
L. 1237. 11 : « l'employeur et le salarié peuvent convenir en commun des conditions de la rupture du
contrat de travail qui les lie.
La rupture conventionnelle, exclusive du licenciement ou de la démission, ne peut être imposée par
l'une ou l'autre des parties.
Elle résulte d'une convention signée par les parties au contrat. Elle est soumise aux dispositions de
la présente section destinées à garantir la liberté du consentement des parties »,
L. 1237. 12 : « les parties au contrat conviennent du principe d'une rupture conventionnelle lors
d'un ou plusieurs entretiens au cours desquels le salarié peut se faire assister :
1° soit par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise, qu'il s'agisse d' un
salarié titulaire d'un mandat syndical, ou d'un salarié membre d'une institution représentative du
personnel ou tout autre salarié ;
2° soit, en l'absence d'institution représentative du personnel dans l'entreprise, par un conseiller du
salarié choisi sur une liste dressée par l'autorité administrative.
Lors du ou des entretiens, l'employeur a la faculté de se faire assister quand le salarié en fait
lui-même usage... »
L. 1237. 13 : « La convention de rupture définit les conditions de celle-ci, notamment le montant de
l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle qui ne peut pas être inférieur à celui de l'indemnité
prévue à l'article L. 1234. 9.
Elle fixe la date de rupture du contrat de travail, qui ne peut intervenir avant le lendemain du jour
de l'homologation.
A compter de la date de sa signature par les deux parties, chacune d'entre elles dispose d'un délai de
15 jours calendaires pour exercer son droit de rétractation. Ce droit est exercé sous la forme d'une
lettre adressée par tous moyens attestant de sa date de réception par l'autre partie. . »
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L. 1237. 14 : « A l'issue du délai de rétractation, la partie la plus diligente adresse une demande
d'homologation à l'autorité administrative, avec un exemplaire de la convention de rupture. Un
arrêté du ministre chargé du travail fixe le modèle de cette demande » (arrêté du 18 juillet 2008
modifié par arrêté du 28 juillet 2008)
« L'autorité administrative dispose d'un délai d'instruction de 15 jours ouvrables, à compter de la
réception de la demande, pour s'assurer du respect des conditions prévues à la présente section et de
la liberté du consentement des parties. A défaut de notification dans ce délai, l'homologation est
réputée acquise et l'autorité administrative est dessaisie.
La validité de la Convention est subordonnée à son homologation.... »
L. 1237. 15 :...
L. 1237. 16 : « La présente section n'est pas applicable aux ruptures de contrat de travail résultant :
1° Des accords collectifs de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences dans les
conditions définies par l'article L. 2142. 15 ;
2° Des plans de sauvegarde de l'emploi dans les conditions définies par l'article L. 1233. 61» ;
Attendu qu'il apparaît en l'espèce que contrairement à ce que soutient Mme HARO cette dernière a
signé le 3 novembre 2008, en même temps que l'employeur, et après avoir apposé la mention « lu et
approuvé » le formulaire de « rupture conventionnelle d'un contrat de travail à durée indéterminée »
conformément à l'arrêté du 18 juillet 2008 publié au journal officiel le 19 juillet 2008, ledit document
contenant également («et ») le « formulaire de demande d'homologation » lequel a été adressé à
l'issue du délai de rétractation de 15 jours par l'employeur à la Direction Départementale du Travail
qui l'a réceptionné le 20 novembre 2008 et a, par courrier du 2 décembre 2008, informé la société
LOXAM « qu'à défaut de décision expresse prise au plus tard le 8 décembre 2008 la demande sera
réputée acquise. Je vous précise également que c'est à compter de la date d'homologation ou de
refus de celle-ci que commence à courir le délai de prescription de 12 mois. Tout litige concernant
la convention ou l'homologation devra être portée dans ce délai devant le conseil des prud'hommes »
;
Attendu que ces textes n'exigent aucun autre document que celui résultant des imprimés officiels
comportant deux parties distinctes (« rupture conventionnelle d'un contrat de travail à durée
indéterminée ET formulaire de demande d'homologation en application de l'article L. 1237. 14 du
code du travail ») de sorte que c'est à tort que Mme HARO soutient qu'aucune convention n'a été
rédigée ni signée par les parties ;
Attendu qu'il apparaît par ailleurs que la convention mentionne la date des deux entretiens (30
octobre et 3 novembre 2008) qui ont eu lieu, (précision faite que l'article L.1237. 12 n'exige qu'« un
» seul entretien avec possibilité de « plusieurs entretiens » de même qu'elle ne prévoit que la
possibilité et non l'obligation par les parties d'être assistées), prévoit le montant de l'indemnité
spécifique de rupture conventionnelle (15 000 €) largement supérieure à ce que Mme HARO aurait
perçu au titre de l'indemnité de licenciement, prévoit la date envisagée de la rupture du contrat de
travail et la date de fin du délai de rétractation, le tout dans les délais prévus par les textes susvisés de
sorte que cette convention répond en tous points aux conditions légales de la rupture conventionnelle
;
Attendu que Mme HARO n'a pas usé de son délai de rétractation de 15 jours, ne démontre nullement
le vice du consentement qu'elle allègue (avoir « cédé à la pression de son employeur ») et ne
démontre pas davantage que la rupture conventionnelle intervenue aurait été conclue en vue de
contourner les garanties en matière de licenciement économique et collectif ;
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Attendu en effet que contrairement à ce qu'elle soutient d'une part elle a été remplacée dans son poste
de responsable d'agence par M. Christophe CESARI, peu important que celui-ci comme elle le
soutient sans l'établir aurait lui-même vu son poste à la Direction Régionale supprimé,d'autre part ne
démontre nullement qu'il y aurait eu sept licenciements économiques, le chiffre « 7 » apparaissant
sur la pièce numéro 7-2 qu'elle communique et qui est un extrait du registre du personnel,
correspondant non au nombre de licenciements mais au « code » de sortie du licenciement
économique prononcé le 23 mai 2009 à l'encontre de M.DEPERAZ (de même que le chiffre « 32 »
apparaissant en regard du nom de M. Garino correspond au « code » de la rupture conventionnelle)
et ne démontre enfin nullement que l'entreprise aurait été lors de la rupture conventionnelle dans un
contexte économique difficile, de sorte qu'elle ne rapporte pas la preuve qui lui appartient qu'il y
aurait eu un détournement de la procédure de licenciement économique ;
Attendu que le contrat a donc été valablement rompu de sorte que c'est à tort que le Conseil de
Prud'hommes a dit que la rupture ne répondait pas aux exigences légales et a condamné la société
LOXAM à verser des dommages et intérêts à Mme HARO ;
Sur la clause de non-concurrence,
Attendu qu'indépendamment du fait que l'arrêté d'extension de l'accord collectif du 17 avril 2008
n'est intervenu que postérieurement à la rupture du contrat de travail de Mme HARO (24 février
2009 ) et ne peut donc être applicable au litige et ce d'autant que la société LOXAM ne s'est à aucun
moment prévalu pendant l'exécution du contrat de travail de l'accord collectif du 17 avril 2008, il
apparaît en toute hypothèse qu'une clause de non-concurrence n'est licite que si elle est indispensable
à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, limitée dans le temps et dans l'espace, qu'elle
tient compte des spécificités de l'emploi du salarié et comporte l'obligation pour l'employeur de
verser au salarié une contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives ;
Attendu qu'il en résulte que la clause de non-concurrence insérée au contrat de travail de Mme
HARO ne comportant pas de contrepartie pécuniaire, elle est nulle ;
Attendu par ailleurs que la société LOXAM ne pouvait renoncer unilatéralement comme elle l'a fait
le 30 décembre 2008 à l'exécution de la clause de non-concurrence stipulée dans le contrat de travail
dès lors que ce contrat ne prévoyait pas cette possibilité de renonciation et que cette clause était
instituée aussi dans l'intérêt de Mme HARO, créancière d'une contrepartie financière qui aurait dû
figurer au contrat , de sorte que c'est en vain qu'elle soutient , en invoquant l'accord collectif du 17
avril 2008 et le fait qu'elle en aurait libérer la salariée, que Mme HARO ne pourrait revendiquer
l'application de cette clause;
Attendu qu'en effet que le respect même temporaire par le salarié d'une clause de non-concurrence
illicite lui cause nécessairement un préjudice dont il appartient au juge d'apprécier le montant, et ce,
même si le salarié n'a fourni aucun élément établissant la nature et l'étendue de son préjudice ;
Attendu qu'il y a lieu, en tenant compte du fait que Mme HARO n'apporte aucun élément sur son
activité professionnelle postérieurement à la rupture , de fixer à 3000 € le montant des dommages et
intérêts devant lui être alloué en réparation du préjudice subi du fait de l'existence lors de la rupture
et jusqu'à sa levée le 30 décembre 2008 d'une clause de non-concurrence nulle ;
Attendu qu'il y a lieu d'allouer à Mme HARO la somme de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du
code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière prud'homale,
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Déclare recevable l'appel incident formé par Mme HARO,
Infirme le jugement déféré,
Et statuant à nouveau sur le tout,
Constate la validité de la rupture conventionnelle du contrat de travail,
Déboute Mme HARO de sa demande en paiement d'une indemnité de préavis et de dommages et
intérêts pour licenciement abusif,
Constate la nullité de la clause de non-concurrence,
Condamne la société LOXAM à verser à Mme HARO la somme de :
3000 € à titre de dommages et intérêts au titre de la clause de non-concurrence,
Rejette toute demande plus ample ou contraire,
Condamne la société LOXAM aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu' à payer à Mme
HARO la somme de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
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