Le syndicalisme autonome en Algérie

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Le syndicalisme autonome en Algérie
Le syndicalisme autonome en Algérie
Depuis 2003, le président Bouteflika, obéissant aux directives du FMI, s’est
engagé à privatiser le secteur public et à refuser toute augmentation de salaires, en
dehors d’une croissance économique hors hydrocarbures. L’instrument de cette
politique sociale régressive : la tripartite, bloc politique entre le gouvernement, le
patronat et l’UGTA. Pour protéger « ce rempart où viendrait se briser toute
revendication sociale autonome » 1, le pouvoir a exercé une répression multiforme
contre les syndicats autonomes et employé le harcèlement judiciaire, porté des atteintes
au droit syndical et essayer de faire imploser les syndicats autonomes.
Dès la mise en application de cette politique néo-libérale, les travailleurs
algériens organisés dans des syndicats autonomes ont engagé la riposte en dépassant
les luttes pour des revendications catégorielles pour adopter une revendication
unitaire : les augmentations de salaires.
« La revendication de l’augmentation des salaires est un enjeu stratégique pour le
mouvement syndical démocratique et revendicatif, car la dégradation dramatique du
pouvoir d’achat de l’écrasante majorité du peuple, depuis quelques années, risque de
créer dans le moyen terme une démobilisation générale chez les adhérentes et adhérents
des syndicats dans tous les secteurs. Elle se traduira par une course effrénée des
adhérents des syndicats aux emplois secondaires, aux vacations, aux heures
supplémentaires, afin de subvenir aux besoins quotidiens de leur famille, ce qui est
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parfaitement légitime . »
Aux origines du syndicalisme autonome
Pendant la colonisation, l’organisation syndicale n’était qu’une Union
départementale de la CGT française. Contrôlée par le PCA, elle défendait les intérêts
de l’aristocratie ouvrière européenne. Elle participait donc à la défense de l’Algérie
française et se fermait à la masse des travailleurs algériens pour qui la défense des
revendications matérielles était liée à l’obtention des libertés et à l’indépendance
nationale.
C’est pour briser ce carcan que la Commission ouvrière du MTLD jettera, en
s’inspirant de l’UGTT tunisienne, les bases d’un syndicat algérien indépendant qu’elle
voulait affilier à la CISL. Elle impulsera aussi la formation de comités de chômeurs
dans tout le pays.
Le 11 mars 1953, la Fédération de France du MTLD, organisée en fraction au
sein de la CGT, a célébré massivement l’anniversaire de la création du PPA. Le 19
mars, les différents comités ont organisé une journée nationale des chômeurs.3 Le 1er
mai 1953, des milliers d’Algériens ont manifesté pour revendiquer « du travail pour
tous ! », et « l’égalité dans l’emploi ». La résolution générale proposait une solution
radicale au problème du chômage4. C’est pour casser ce mouvement que la police
réprima sauvagement à Paris un cortège de travailleurs algériens, le 14 juillet 1953 5.
La lutte contre le chômage se poursuivra et le 14 novembre 1953, les délégués
d’une cinquantaine de comités de chômeurs formèrent un Comité national de
chômeurs. Les délégués élirent un Bureau et adoptèrent une Résolution générale qui
constitue la première Charte du syndicalisme algérien indépendant6 . Tout au long de
l’année 1954, le Comité National mènera campagne pour la CGTA lutte effectivement
contre le chômage7 . Elle organisera une journée nationale des chômeurs8 et toute une
série de luttes. Le 1er mai 1954, des milliers de travailleurs algériens participèrent aux
manifestations en défendant les revendications du Comité national des chômeurs et on
retrouve les mêmes mots d’ordre dans les cortèges des Algériens, le 14 juillet 1954.
Ce n’est qu’après l’explosion du 20 août 1955, que le premier syndicat algérien
sera créé en février 1956 : l’Union syndicale des travailleurs algériens (USTA). Dans
ses statuts, l’USTA se déclarait indépendante de tout État et de tout parti. Elle
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préconisait la démocratie ouvrière (droit de tendance en son sein) et se réclamait de
l’internationalisme prolétarien. À l’opposé, l’UGTA, créée peu après, ne fut pas
comme le dit Boualem Bourouiba, « un syndicat libérateur »9 mais le relais de la
politique du FLN dans le monde ouvrier. Comme l’ancienne CGTA, il n’admettait ni
la démocratie ouvrière ni l’internationalisme prolétarien.
La désintégration de l’UGTA
C’est en 1962, après la fin de l’Algérie française, l’effondrement du GPRA et
l’éclatement du FLN que les travailleurs algériens tentent de former, pendant le
Congrès de l’UGTA de 1963, un véritable syndicat. Le régime de Ben Bella qui se
mettait difficilement en place, malgré l’aide de de Gaulle qui prenait en charge la
reconstruction de l’État désintégré, ne pouvait accepter une organisation syndicale
indépendante. Il interviendra directement avec Khider pendant ce Congrès, entamant le
processus de caporalisation que Boumediene devait poursuivre.
C’est dans la voie de l’indépendance de l’UGTA que se sont orientés les
grévistes de la RSTA (transports) en 1972, comme ceux de la SNS (métallurgie) de
Kouba qui ont chassé de leurs rangs les bureaucrates, élus leurs propres dirigeants et
imposé la tenue d’un meeting à la Maison du Peuple avec le Comité de grève élu.
C’est dans cette voie qu’ont combattu les dockers, les métallos, les postiers et les
traminots qui ont balayé les structures corporatistes de la Gestion socialistes des
entreprises (GSE), chassés les bureaucrates et cherché à faire jouer à l’UGTA son
véritable rôle. Boumediene se dressera contre ce mouvement et il annoncera que le 5e
Congrès de l’UGTA serait celui de l’intégration du syndicat dans la GSE.
À l’issue d’un long combat, les différents syndicats autonomes se sont imposés,
depuis 2006, dans un mouvement social qui a culminé avec la grève unitaire de 2008.
Ce mouvement s’est approfondi l’année suivante dans un contexte de la crise d’un État
ouvertement corrompu10, de la dislocation des partis politiques et de la suspension dans
le vide de l’Assemblée nationale. La décomposition de la tripartite, avec l’affaissement
de son pilier central, l’UGTA, charge le syndicalisme autonome d’une lourde
responsabilité, celle de coordonner les mouvements sociaux, qui éclatent tous les jours,
de refuser la clochardisation de la société, de la défense de toutes les libertés
démocratiques, d’imposer un contrôle syndical sur les banques et la Sonatrach.
En bref, la tache de refondre la société algérienne sur les principes de la
démocratie et celle de l’État par des élections libres à une Assemblée Constituante
Souveraine.
47 ans plus tard, le fil est renoué entre le Comité national des chômeurs et le
syndicalisme autonome, ce qui conduit de façon logique, à la tenue d’un Congrès de
fondation d’un syndicat algérien, indépendant et démocratique.
Jacques Simon, 25 janvier 2010
1. Mustapha Hammouche. « La tripartie » et l’État syndical ». Liberté, 6/12/09
2. Farid Cherbal. « Le mouvement syndical autonome et les libertés syndicales en Algérie :
enjeux et luttes », El Watan, 1/12/09.
3. « Journée nationale des chômeurs », L’Algérie Libre, 19 mars 1954.
4. L’Algérie Libre, 18/12/53.
5. Rajfus Maurice. « 1953, un 14 juillet sanglant », Moisson rouge, 2003.
6. L’Algérie Libre, 18/12/53.
7. Ibid, 15/1/54 ; 12/2/54...
8. Ibid, 19/3/54.
9. Boualem Bourouiba (syndicaliste, membre fondateur de l’UGTA). Le Matin, 19/2/2005.
10. L.M. « Bouteflika : le règne de la corruption », Le Matin, 19/1/2010 ; « La corruption en
Algérie vue par Daho Djerbal, directeur de la revue Naqd », Le Matin, 15/1/2010.
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